FlaviusJosephe_OeuvresCompletes

29/11/2018 10:05

FlaviusJosephe_OeuvresCompletes

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Flavius Josèphe, table des matières

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FLAVIUS JOSEPHE Oeuvres complètes,

trad. en français sous la dir. de Théodore Reinach,.... trad. de René Harmand,... ; révisée et
annotée par S. Reinach et J. Weill E. Leroux, 1900-1932. Publications de la Société des études

juives)

     

 

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
GUERRE DES JUIFS
LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE VI - LIVRE VII 
ANTIQUITES JUDAIQUES

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE XI - LIVRE XII - LIVRE XIII - LIVRE XIV - LIVRE XV

CONTRE APION 
LIVRE I
- LIVRE II

LA PALESTINE en trois cartes : Carte1 - Carte2 - Carte3 reprises au site https://www.encyclopedie-
universelle.com/palestine-carte-epoque-romaine.html

 

Flavius Josèphe, table des matières

Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167-

4 av. J.-C)

LIVRE

I

AV - 0 - I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - XV - XVI - XVII - XVIII - XIX - XX - XXI - XXII - XXIII - XXIV - XXV - XXVI - XXVII -

 

 

 

 

 

 

 

 

 

XXVIII - XXIX - XXX - XXXI - XXXII - XXXIII

AV AVANT PROPOS 0 PRÉAMBULE

I          Dissensions entre les Juifs. Prise de Jérusalem par Antiochus

Épiphane. Mattathias et Judas Macchabée

II         Jonathan. Simon et Jean Hyrcan

III       Règne d'Aristobule

IV Règne d'Alexandre Jannée

V Règne d'Alexandra

VI       Rivalité d'Hyrcan II et d'Aristobule II. Intervention de Pompée

VII Siège et prise de Jérusalem par Pompée. Hyrcan grand-prêtre. Réorganisation de la Judée

VIII Révoltes d'Alexandre et d'Aristobule. Gabinius, Crassus et Cassius

IX Fin d'Aristobule et d'Alexandre. Antipater et César

X        Puissance d'Antipater. Procès d'Hérode

XI Cassius en Syrie. Meurtre d'Antipater et de Malichos

XII Antoine en Syrie. Hérode et Phasaël tétrarques

XIII Invasion des Parthes. Antigone restauré. Mort de Phasaël

XIV Voyage d'Hérode à Rome. Antoine le nomme roi

XV Siège de Masada. Premières opérations en Judée

XVI Extermination des brigands. Hérode devant Samosate

XVII Mort de Joseph, frère d'Hérode. Nouveaux succès et mariage d'Hérode

XVIII Prise de Jérusalem par Hérode. Supplice d'Antigone. Hérode et Cléopâtre

XIX Guerre contre les Arabes

XX Actium. Le royaume d'Hérode agrandi par Auguste

XXI Constructions d'Hérode. Son caractère

XXII Malheurs domestiques. Supplices d'Hyrcan, de Jonathas, de Mariamme

XXIII Premiers démêlés d'Hérode avec ses fils nés de Mariamme

 

Flavius Josèphe, table des matières

XXIV Intrigues d'Antipater et de Salomé. Arrestation d'Alexandre

XXV Intervention d'Archélaüs, roi de Cappadoce. Réconciliation

XXVI Intrigues du Lacédémonien Euryclès à la cour d'Hérode

XXVII Condamnation et supplice des fils de Mariamme

XXVIII Mariages princiers

XXIX Antipater à Rome. Disgrâce et mort de Phéroras

XXX Découverte des complots d'Antipater

XXXI Retour et arrestation d'Antipater

XXXII Procès d'Antipater. Nouveau testament d'Hérode

XXXIII Sédition de "l'aigle d'or". Supplice d'Antipater. Fin d'Hérode

LIVRE II

Depuis la mort d'Hérode jusqu'au début de l'insurrection (4 av. J.-C. - 66 ap. J.-C.)

LIVRE 0 - I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - XV - XVI -

II                                       XVII - XVIII - XIX - XX - XXI - XXII

0 PRÉAMBULE

Avènement et promesses d’Archélaüs. – 2-3. Exigences de la

I multitude. Sédition provoquée à l’occasion des obsèques des docteurs martyrs ; elle est étouffée dans le sang.

1. Archélaüs part pour Rome. – 2. Le procurateur Sabinus à

II Jérusalem. – 3-4. Intrigues d’Antipas contre la confirmation d’Archélaüs. – 5-7. Conseil tenu par Auguste. Plaidoyers d’Antipater, fils de Salomé, et de Nicolas de Damas. Perplexité d’Auguste.

1. Mort de Malthacé. Sédition à Jérusalem, provoquée par les

III violences de Sabinus. - 2-3. Combat autour du Temple. Incendie des portiques, pillage du Trésor ; - 4. Sabinus cerné dans le palais royal.

IV 1. Anarchie en Judée. Révolte en Idumée. Judas en Galilée. – 2. L’usurpateur Simon. – 3. Athrongéos et ses frères.

1. Marche de Varus au secours de Sabinus. Campagne de Galilée et

V de Samarie. – 2. Soumission de Jérusalem. – 3. Pacification de l’Idumée. Châtiment des rebelles.

 

Flavius Josèphe, table des matières

1. Archélaüs accusé devant Auguste par les ambassadeurs du peuple

VI juif. – 2. Plaidoyers des Juifs et de Nicolas de Damas. – 3. Auguste partage le royaume d’Hérode entre ses trois fils ; diverses dispositions.

1-2. Imposture du pseudo-Alexandre, dévoilée par Auguste. – 3.

VII Règne et déposition d’Archélaüs. Son rêve prophétique. – 4. Histoire de sa femme Glaphyra.

1. Coponius procurateur de Judée. Judas le Galiléen. – 2. Les trois sectes juives. Les Esséniens. – 3-6. Leur genre de vie. – 7. Entrée

VIII dans l’ordre. – 8-10. Coutumes diverses. – 11. Croyance à l’immortalité. – 12. Prévision de l’avenir. – 13. Variété des Esséniens qui pratique le mariage. – 14. Pharisiens et Sadducéens.

1. Testament de Salomé. Fondations d’Antipas et de Philippe. – 2-4.

IX Pilate procurateur. Affaires des enseignes et de l’aqueduc. – 5. Agrippa à Rome ; il est emprisonné par Tibère. – 6. Avènement de Caligula. Agrippa roi ; fin de Philippe et d’Antipas.

1. Caligula ordonne d’ériger sa statue dans le Temple. – 2 Digression

X sur Ptolémaïs et ses sables vitrifiables. – 3-5. Pétrone et les Juifs. La morts de Caligula sauve le Temple.

Zone de Texte: XI
XII
1-4. Rôle important d’Agrippa dans l’avènement de Claude. – 5. Agrippa roi de Judée, Hérode roi de Chalcis. – 6. Règne et mort d’Agrippa. La Judée soumise de nouveau aux procurateurs. Mort d’Hérode de Chalcis.

1. Agrippa roi de Chalcis. Cumanus procurateur de Judée. Sédition de la Pâque à Jérusalem. – 2. Affaire de la profanation de l’Écriture. – 3-7. Bataille entre Juifs et Samaritains. Claude donne gain de cause aux Juifs. – Félix procurateur. Agrippa roi de Batanée, etc. Mort de Claude.

1. Caractère de Néron. – 2. Accroissement des États d’Agrippa. Félix

XIII

et les brigands. – 3-4. Sicaires et faux prophètes. – 5. Le prophète égyptien. – 6. Nouveaux brigandages. – 7. Désordres à Césarée.

Zone de Texte: XIV1. Les procurateurs Festus et Albinus. – 2. Excès de Gessius Florus. – 3. Plaintes des Juifs à Cestius Gallus. – 4-5. Émeute de Césarée. – 6­9. Premier pillage du Temple par Florus. Fermentation à Jérusalem. Florus livre la ville à la soldatesque.

1. Intervention de Bérénice. – 2-5. Deuil du peuple. Florus amène

XV deux cohortes de Césarée ; nouvelle collision. – 6. Destruction des portiques contigu à l’Antonia. Florus évacue Jérusalem.

XVI 1-2. Enquête de Neapolitanus à Jérusalem. – 3-5. Grand discours d’Agrippa aux Juifs pour les dissuader de la guerre.

 

Zone de Texte: XVII
XVIII
Zone de Texte: IVZone de Texte: 1. La garnison de Sepphoris dévaste la Galilée. – 2. Titus et Vespasien opèrent leur jonction à Ptolémaïs. Dénombrement de l’armée romaine.Flavius Josèphe, table des matières

1. Agrippa expulsé de la ville. – 2-3. Prise de Masada. Interruption des sacrifices pour Rome. – 4. Démarches des notables juifs. Agrippa leur envoie des renforts. – 5-6. Lutte entre les insurgés et les partisans de Rome. Arrivée des Sicaires. Prise de la ville haute, incendie des Archives. – 7. Prise de la tour Antonia. Les Romains assiégés dans le palais d’Hérode. – 8. Domination de Manahem. Évacuation du palais. – 9. Meurtre de Manahem. – 10. Capitulation et massacre de la garnison romaine.

1-2. Massacre des Juifs à Césarée et autres lieux. Représailles des Juifs. – 3-4. Perfidie des Scythopolitains. Mort héroïque de Simon fils de Saül. – 5-6. Autres tueries. Guet-apens de Varus, régent du royaume d’Agrippa. Prise de Cypros et de Machérous. – 7-8. Émeute d’Alexandrie. – 9-11. Entrée en campagne de Cestius Gallus. Prise de Chaboulôn et de Joppé ; occupation de la Galilée.

1. Marche de Cestius sur Jérusalem. – 2-6. Il échoue dans son

XIX attaque contre la ville intérieure et le Temple. – 7-9. Retraite désastreuse de Cestius ; combat de Béthoron.

1. Évasions de Jérusalem. Cestius envoie son rapport à Néron. – 2.

XX Massacre des Juifs de Damas. – 3-4. Désignation des généraux par les insurgés. – 5-8. Josèphe organise la défense en Galilée.

Zone de Texte: XXI
XXII
1-2. Intrigues et déprédations de Jean de Gischala. – 3-5. Affaire de Dabarittha ; émeute de Tarichées. – 6. Guet-apens de Tibériade. – 7. Josèphe disperse l’armée de Jean et se débarrasse des commissaires du Sanhédrin. – 8-10. Révolte, soumission et pillage de Tibériade.

1. Préparatifs de guerre à Jérusalem. – 2. – Excès de Simon Bargioras en Acrabatène et en Idumée.

LIVRE III

Depuis la prise du commandement par Vespasien jusqu’à la soumission de la Galilée (67 ap. J.-C.)

LIVRE

I - II - III - IV- V - VI - VII - VIII - IX - X

III

I 1. Inquiétude de Néron à la nouvelle des évènements de Judée. – 2-3.

Il désigne Vespasien pour prendre le commandement.

II 1-3. Tentatives infructueuses des Juifs contre Ascalon. – 4. Vespasien à Ptolémaïs ; soumission des Sepphorites.

III 1-2. Description de la Galilée. – 3. La Pérée. – 4-5. Samarie et Judée. Royaume d’Agrippa.

 

Flavius Josèphe, table des matières

1. Digression sur l’armée romaine. Les exercices en temps de paix. – 2-

V 3. Le camp, le service journalier. – 4-5. Marches, sonneries et
armements. – 6-7. Tactique et discipline. – 8. Conclusion

Zone de Texte: VI
VII
VIII
IX
X
1. Tentative infructueuse de Placidus contre Jotapata. – 2. Vespasien part de Ptolémaïs : ordre de marche de son armée. – Débandade de l’armée de Josèphe à Garis.

1. Prise et destruction de Gabara. – 2. Message de Josèphe au gouvernement de Jérusalem. – 3-4. Vespasien investit Jotapata. – 8­10. Travaux de siège des Romains. – 11-14. Le siège transformé en blocus. – 15-16. Tentative d’évasion de Josèphe. – 17-18. Sorties des Juifs. – 19-23. Ravages du bélier, Vespasien blessé. – 24-30. Grand assaut repoussé. – 31. Massacre des Samaritains sur le Garizim. – 33­36. Prise de Jotapata.

1-3. Josèphe, réfugié dans une caverne avec quarante compagnons, est découvert par les Romains, qui l’invitent à se rendre. – 4-6. Les compagnons de Josèphe s’opposent à son dessein ; longue

controverse sur le suicide. – 7. Ils s’entretuent et Josèphe se livre aux Romains. – 8-9. Josèphe devant Vespasien. Il lui prédit l’empire et en reçoit un bon traitement.

1. Vespasien cantonne ses troupes à Césarée et à Scythopolis. – 2-4. Destruction des pirates de Joppé. – 5-6. Agitation de Jérusalem à la nouvelle de la prise de Jotapata ; sentiments envers Josèphe. – 7-8. Vespasien dans le royaume d’Agrippa. Soumission de Tibériade.

1-6. Défaite des Juifs devant Tarichées ; prise de cette ville par Vespasien et Titus. – 7-8 Le lac de Tibériade et le Jourdain. – 9. Combat naval sur le lac ; destruction de la flottille juive. – 10. Les captifs vendus à l’encan.

LIVRE IV

LIVRE IV

Depuis la soumission de presque toute la Galilée jusqu'au séjour de Vespasien à Alexandrie

 

I - II -III - IV - V - VI - VII- VIII - IX - X - XI

I         Siège de Gamala

II        Jean à Gischala; sa fuite à Jérusalem

III       Les zélateurs et Ananos

IV Intervention des Iduméens

V Mort d'Ananos et de Zacharie

VI Crimes des zélateurs

VII Jean prend le pouvoir absolu

 

Flavius Josèphe, table des matières

VIII Vespasien subjugue la Judée

IX Simon fils de Gioras et les zélateurs

X Vespasien, proclamé empereur, libère Josèphe

XI Défaite et mort de Vitellius; Vespasien à Alexandrie

LIVRE V

Depuis l’avance de Titus contre Jérusalem jusqu’aux premiers ravages de la famine.

LIVRE                    I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII

V

1-2. Ancienne et nouvelle faction à Jérusalem. - 3. Rôle de Simon fils

I de Gioras. - 4-5. Menace de famine et misère du peuple. - 6. Avance de Titus.

II 1-2. Danger que court Titus. - 3. Disposition de ses forces. - 4. Revers de la Xe légion. - 5. Titus rétablit la situation.

III 1. Jean pénètre dans le Temple. - 2. Titus fait aplanir le terrain. - 3-4. Revers des Romains. - 5. Titus regroupe ses forces.

IV 1-5. Description de Jérusalem ; ses défenses ; le palais d'Hérode.

V 1-6. Description du Temple. – 7. Les prêtres. – 8. La tour Antonia.

1. Forces des Juifs. - 2. Travaux de siège des Romains. - 3. Attaques

VI des Juifs. - 4. L'artillerie romaine entre en action. - 5. Succès et revers des assiégés.

VII 1-2. Panique des Romains ; retraite des Juifs. - 3. Titus déplace son camp. - 4. Ruse du Juif Castor.

VIII 1-2. Les Romains prennent le second mur, en sont chassés, puis le reprennent.

IX 1-2. Le siége est suspendu, puis repris. – 3-4. Efforts de Josèphe pour persuader aux Juifs de se rendre ; ses discours.

X 1. Désertion de Juifs. - 2-3. La famine. – 4-5. Traitements infligés aux riches ; misère générale.

1-2. Crucifixion de prisonniers Juifs ; Titus fait couper les mains de

XI quelques-uns. - 3. Antiochus Epiphane et les Macédoniens. – 4-5. Jean détruit une partie des travaux romains ; Simon les attaque. - 6. Succès de Titus.

XII 1-2. Conseil de guerre de Titus ; un mur sera construit autour de la ville. - 3-4 Mortalité parmi les assiégés.

 

Zone de Texte: LIVRE VIIFlavius Josèphe, table des matières

1. Simon tue Matthias. – 2. Il découvre un complot livrer la ville. – 3. XIII Josèphe est blessé. – 4. Sort horrible de déserteurs juifs. – 5. Titus réprimande les troupes alliées. – 6. Jean pille le Temple. – 7. La population indigente meurt en masse.

LIVRE VI

Depuis l'achèvement des travaux romains jusqu'à la prise de la ville.

LIVRE                                I - II - III - IV - V - VI  - VII - VIII - IX - X

VI

1-2. Les Romains achèvent leurs travaux. - 3. Attaque manquée des

I Juifs. - 4. Chute d'Antonia. - 5. Allocution de Titus. - 6. Sabinus escalade le rempart. - 7. Combat de nuit. - 8. Le centurion Julianus.

1-2. Discours de Josèphe aux Juifs ; nombreuses désertions. – 3. Le parti de la résistance l'emporte. - 4. Titus adresse un appel aux Juifs. -

II 5-6. Attaque nocturne des Romains. - 7. Nouveaux travaux romains. - 8. Offensive des Juifs. - 9. Incendie des portiques du Temple. - 10. Combat singulier d'un Juif et d'un Romain.

1. Revers romain. - 2. Exploits individuels. - 3. La famine s'aggrave. -

III 4. Une mère dévore son enfant. – 5. Indignation de Titus, qui n’a pas voulu cela.

1. Attaque romaine manquée. - 2. Progrès de l’incendie. - 3. Conseil

IV de guerre de Titus relatif au sort du Temple. - 4. Attaque juive manquée. – 5-8 Incendie du Temple, malgré les efforts de Titus.

V 1-2. Ravages de l'incendie. - 3-4. Présages et oracles.

1. Titus salué imperator ; massacre des prêtres. - 2. Discours de Titus

VI à Simon et à Jean. – 3. Titus décide de détruire la ville. - 4. La famille d’Izates.

VII 1. Sort du Palais royal. - 2. Incendie de la ville basse. - 3. Les Juifs tentent d'échapper par les mines.

1. Préparatifs romains contre la ville haute. - 2. Pourparlers avec les

VIII Iduméens. - 3. Livraison des trésors du Temple. - 4. Attaque de la ville haute. - 5. Victoire décisive des Romains.

IX 1. Entrée de Titus à Jérusalem. - 2. Sort des captifs. - 3. Nombre des prisonniers et des morts.

X Coup d’œil sur le passé de Jérusalem.

 

Zone de Texte: 1. Peuples issus de Japheth. - 2. Peuples issus de Cham. - 3
VI		Malédiction de Cham. - 4. Peuples issus de Sem. - 5. Origine des 
Hébreux.
Flavius Josèphe, table des matières

Depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à la fin de la guerre,

LIVRE                            I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI

VII

I Jérusalem est rasée ; Titus récompense les vainqueurs

II Simon est fait prisonnier

III Les Juifs d'Antioche sont accusés d'être des incendiaires

IV Réception de Vespasien à Rome: révolte des Gaulois et incursions des Sarmates

V Triomphe de Vespasien et de Titus: fondation du temple de la Paix

VI Siège et prise de Machaeron

VII Malheurs de la Commagène ; invasions des Alains

VIII Les Romains assiègent Masada

IX Prise de Masada ; suicide de la population

X Les sicaires en Égypte ; destruction du temple d'Onias

XI Les sicaires à Cyrène ; accusation portée contre Josèphe. Épilogue

ANTIQUITES JUDAIQUES LIVRE I

Préambule - I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - LIVRE I XV - XVI - XVII - XVIII - XIX - XX - XXI - XXII

Préambule 1. Motifs variés d’écrire l’histoire - 2. Objet du présent ouvrage. – 3. La Bible. – 4. Philosophie de Moïse.

I          1. Création du monde. - 2. Adam et Ève. - 3. Le paradis. - 4. Le

pêché ; Adam et Ève chassés du paradis terrestre.

II        1. Caïn et Abel. – 2. Prospérité de Caïn. – 3. Seth et ses

descendants.

1. Corruption des hommes ; les fils des anges; Noé. - 2. Le déluge et l'arche. - 3. Epoque du déluge. - 4. Chronologie des patriarches.

III        - 5. Fin du déluge. - 6. Témoignages d'auteurs païens sur le
déluge. - 7. Sacrifice de Noé. - 8. L'arc-en-ciel. - 9. Longévité des patriarches.

IV        1. Les fils de Noé dans la plaine de Sennaar. - 2. Nemrod. - 3. La

Tour de Babel.

V        Les descendant de Noé se répandent par toute la terre.

 

Zone de Texte: Flavius Josèphe, table des matièresVII        1. Sagesse d'Abraham ; il s'établit en Canaan - 2. Témoignages

païens sur Abraham.

VIII       1. - Abraham en Égypte. - 2. Il communique sa science aux

Égyptiens. - 3. Son partage avec Lôt.

IX         Guerres des Sodomites et des Assyriens ; Lôt prisonnier

1. Victoire d'Abraham sur les Assyriens. - 2. Rencontre avec

X          Melchisédech. -3. Promesses de Dieu à Abraham. - 4. Agar et
Ismaël. - 5. Naissance d'Isaac. La circoncision.

1. Impiété des Sodomites. - 2. Abraham et les anges. - 3. Les

XI         anges à Sodome. – 4. Destruction de Sodome. - 5. Lôt et ses fils,
Moab et Ammon.

XII        1. Abraham chez Abimélech - 2. Naissance et circoncision d'Isaac.

- 3. Expulsion d'Agar. - 4. Prospérité d'Ismaël.

1. Dieu ordonne à Abraham le sacrifice d'Isaac. - 2. Préparatifs du

XIII      sacrifice. - 3. Discours d'Abraham. - 4. Isaac sauvé. Bénédiction
de Dieu.

XIV       Mort et sépulture de Sara.

XV        Prospérité d'Abraham et de Chetoura.

XVI       1. Abraham envoie demander la main de Rébecca pour Isaac. - 2.

La scène du puits. - 3. Mariage d'Isaac.

XVII Mort d'Abraham.

1. Naissance d'Ésaü et de Jacob. - 2. Isaac à Gérare ; les trois

XVIII puits. - 3. Réconciliation avec Abimélech. - 4. Mariages d'Ésaü. - 5. Vieillesse d'Isaac. - 6. Jacob béni par Isaac. - 7. Prédiction pour Ésaü. - 8. Ésaü épouse Basemmathé.

1. Songe de Jacob. - 2. Consécration de Béthel - 3. Le puits de Charran. - 4. Rencontre avec Rachel - 5. Jacob et Laban. – 6.

XIX       Servitude et mariages de Jacob. - 7. Enfants de Jacob. - 8. Fuite
de Jacob et des siens. - 9. Dispute entre Jacob et Laban. - 10. Leur réconciliation.

XX        1. Retour de Jacob en Canaan. - 2. Jacob et l'ange. - 3. Rencontre

avec Esaü.

XXI       1. Rapt de Dina ; massacre des Sichémites. - 2. Purification des

Israélites. - 3. Mort de Rachel.

XXII     Mort d’Isaac ; il est enseveli à Hébron.

LIVRE II

LIVRE         I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - XV - XVI

II

I      1.

Ésaü cède son droit d’aînesse à Jacob. – 2. Prospérité d’Ésaü ; l’Idumée.

 

Zone de Texte: LIVRE IIIFlavius Josèphe, table des matières

II 1. Prospérité de Jacob. - 2-3. Songe de Joseph. - 4. Jalousie de ses frères.

III 1. Les frères de Joseph complotent sa mort. - 2. Discours de Ruben. -

3. Joseph vendu aux Ismaélites. - 4. Deuil de Jacob.

1. Joseph chez Putiphar. - 2. La femme de Putiphar. - 3. Ses

IV instances auprès de Joseph. - 4. Chasteté de Joseph. - 5. Vengeance de la femme de Putiphar.

1. Joseph en prison - 2. Songe de l’échanson du roi. - 3. Songe du

V panetier. - 4-5. Songes de Pharaon. - 6. Joseph les interprète. - 7. Joseph ministre de Pharaon.

1. Mariage et enfants de Joseph. La famine. - 2. Les fils de Jacob en

VI Égypte. - 3. Discours de Ruben. - 4. Joseph renvoie ses frères. - 5. Nouveau voyage des fils de Jacob. - 6. Accueil de Joseph. - 7. La coupe de Benjamin. - 8. Discours de Juda. - 9. La reconnaissance.

1. Joie de Jacob. – 2-3. Vision du puits du Serment. - 4.

VII Dénombrements des fils et petits-fils de Jacob. - 5. Jacob en Égypte. - 6. Son entrevue avec Pharaon. - 7. Nouveau régime des terres en Égypte.

VIII 1. Mort et sépulture de Jacob. - 2. Mort de Joseph.

1. Oppression des Israélites par les Égyptiens. - 2. Ordre de faire périr

IX les nouveau-nés. - 3. Prédiction de Dieu à Amram. – 4. Naissance et exposition de Moïse. - 5. Moïse sauvé des eaux. - 6. Sa beauté ; son nom. - 7. Moïse enfant et le Pharaon.

X 1. L'invasion Éthiopienne en Égypte. - 2. Succès et mariage de Moïse.

XI 1. Fuite de Moïse au pays de Madian. - 2. Moïse et les filles de Ragouël.

XII 1. Le buisson ardent. - 2. Crainte de Moïse. - 3. Dieu le rassure par des miracles. - 4. Le nom divin.

XIII 1. Retour de Moïse en Égypte. - 2. Moïse devant le nouveau Pharaon. - 3. Miracle des bâtons-dragons. - 4. Obstination du Pharaon.

1. Les plaies d'Égypte. Le Nil. - 2. Les grenouilles. - 3. Vermine et

XIV bêtes féroces. - 4. Ulcères, grêle, sauterelles. - 5. Ténèbres. - 6. La Pâque. Mort des premiers-nés.

XV 1. L'exode ; les azymes. - 2. Date de l'exode. - 3. Poursuite des Égyptiens. - 4. Détresse des Hébreux. - 5. Exhortations de Moïse.

1. Prière de Moïse. - 2. Miracle de la mer Rouge. - 3. Destruction des

XVI Égyptiens. - 4. Joie des Hébreux. Cantique de Moïse. - 5. Parallèle tiré

de l'histoire d'Alexandre. - 6. Armement des Hébreux.

 

Flavius Josèphe, table des matières

LIVRE III

I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI - XII - XIII - XIV - XV

 

1. Marche pénible vers le Sinaï - 2. Les eaux de Mar. – 3-4.

I Souffrances à Élim. - 5. Miracle des cailles. - 6. La manne. - 7. Le rocher de Raphidim.

1. Préparatifs de guerre des Amalécites. - 2. Moïse encourage les

II Hébreux effrayés. - 3. Il les prépare au combat. - 4. Victoire des Hébreux ; butin considérable. – 5. Fêtes en l’honneur de cette victoire et arrivée au Sinaï.

III Jéthro, son beau-père, étant venu le rejoindre au Sinaï, Moïse le reçoit avec joie.

IV 1. Conseils de Ragouël à Moïse. - 2. Moïse s'y conforme.

1. Moïse monte au Sinaï. - 2. Orage miraculeux sur la montagne. - 3. Discours de Moïse aux Hébreux. - 4. Transmission des dix

V commandements. - 5. Leur sens. - 6. Les Hébreux demandent des lois. - 7. Moïse remonte au Sinaï ; son absence inquiète les Hébreux. - 8. Il revient avec les Tables de la loi.

I. Les matériaux du tabernacle. - 2. Description de l'atrium (parvis). -

VI 3. Le tabernacle proprement dit - 4. Son aménagement intérieur. - 5. L'arche. - 6. La table. - 7. Le candélabre. - 8. Les deux autels.

1. Vêtements des prêtres ordinaires : le caleçon. - 2. La tunique ; la

VII ceinture. - 3. Le bonnet. - 4. Vêtements du grand-prêtre : la tunique. - 5. L'éphoudès ; l'essèn avec les pierres précieuses ; la ceinture. - 6. Le bonnet et la couronne d'or. - 7. Symbolisme de ces vêtements.

1. Aaron est nommé grand-prêtre. - 2. Tentures protectrices du tabernacle ; contribution du demi-sicle. - 3. Les parfums de purification. – 4. Consécration du tabernacle. - 5. Apparition de la

VIII nuée divine. - 6. Cérémonies de l'inauguration. - 7. Mort des deux fils aînés d'Aaron. - 8. Rôle de Moïse. - 9. Les pierres précieuses du grand-prêtre. - 10. Sacrifices offerts par les douze phylarques ; entretiens de Moïse avec Dieu.

1. Différentes sortes de sacrifices ; leur mode d'offrande. - 2.

IX Sacrifices d'actions de grâce. - 3. Sacrifices d'expiation. - 4. Oblations et libations ; prescriptions relatives aux sacrifices.

Zone de Texte: X
XI
XII
1. Sacrifices quotidiens et de la néoménie. - 2. Sacrifices du 7e mois (1e jour). - 3. Sacrifices du 10e jour. - 4. Construction des tentes (le 15) ; cérémonies et sacrifices. - 5. Fêtes et rites de Pâque. - 6. La Pentecôte. - 7. Pains de proposition ; oblations du prêtre.

1. Moïse intronise les Lévites. - 2. Lois alimentaires. - 3. Lois relatives aux lépreux. -4. Absurdité des légendes concernant la lèpre de Moïse et des Hébreux en Égypte. - 5. Impureté des femmes en couche. - 6. La femme adultère.

1. Unions prohibées. - 2. Dispositions spéciales aux prêtres - 3. Lois de la septième année et du jubilé. - 4 Dénombrement de l'armée. - 5. Disposition du camp. - 6. Les trompettes sacrées et les signaux.

 

Zone de Texte: 1. Expédition contre les Madianites ; victoire des Hébreux ; partage du VII butin. - 2. Moïse désigne Josué pour son successeur. - 3. Attribution de l’Amôritide aux tribus de Ruben et de Gad et à la demi-tribu de Manassé. - 4. Les villes de refuge. - 5. Règlement sur les héritages.Flavius Josèphe, table des matières

XIII Nouvelles plaintes des Hébreux ; pluie de cailles ; les Tombeaux de la concupiscence.

1. Discours de Moïse au peuple. - 2. Voyage et rapport des douze

XIV explorateurs. - 3. Découragement et plaintes des Hébreux. - 4. Josué et Galeb essayent de les rassurer. Apparition de la nuée divine.

1. Punition des Hébreux, dont les enfants seulement occuperont

XV Chanaan. - 2. Supplications du peuple ; Moïse les dissuade de tenter la conquête. - 3. Autorité durable de la législation de Moïse.

LIVRE IV

I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII -

I 1. Les Hébreux, révoltés contre Moïse, se préparent à lutter seuls avec les Chananéens. - 2. Échec des Hébreux. -3. Moïse les ramène dans le désert.

1. Indiscipline des Hébreux. - 2. Jalousie de Coré ; ses récriminations

II contre Moïse et Aaron. - 3. Succès de ses calomnies parmi le peuple. - 4. Discours de Moïse à l'assemblée.

1. Réunion de l’assemblée ; Moïse et la faction de Dathan. - 2. Moïse

III fait appel à l'intervention de Dieu. - 3. La terre engloutit les factieux. - 4. Coré et sa faction foudroyés par le feu céleste.

1. Prolongation de la sédition. -2. Miracle du bâton d’Aaron ; apaisement des esprits. - 3. Villes et dîmes lévitiques. - 4. Revenus des

IV prêtres. - 5. Le roi des Iduméens refuse de laisser passer Moïse par ses États. - 6. Mort de Miriam ; purification par les cendres de la vache rousse. - 7. Mort d'Aaron.

1. Sichon, roi des Amorrhéens, refuse le passage. - 2. Défaite des

V Amorrhéens ; conquête de leur pays. - 3. Lutte avec Og ; conquête de son royaume.

1. Séjour des Israélites dans la plaine vis-à-vis de Jéricho. - 2. Craintes de Balac, roi de Moab ; il mande le devin Balaam pour venir maudire les Hébreux ; Balaam congédie les envoyés. - 3. Nouveau message ; départ de Balaam ; épisode de l'ânesse. - 4. Balaam prédit la grandeur future des Hébreux. - 5. Explications Balaam à Balac ; nouvelles

VI bénédictions. - 6. Fureur de Balac ; conseil de Balaam. - 7. Séduction des jeunes gens hébreux par les femmes madianites. - 8. Conditions imposées par elles. - 9. Dérèglement des Hébreux. - 10. Apostasie de Zambrias ; remontrances de Moïse. - 11. Réplique de Zambrias. - 12. Phinéès le met à mort ; châtiment des coupables. - 13. Conservation par Moïse des prophéties de Balaam.

 

Flavius Josèphe, table des matières

1. Convocation d'une assemblée. - 2. Moise, avant de mourir, exhorte son peuple et lui donne une constitution. - 3. Regrets des Hébreux - 4. Considérations sur la rédaction des lois. - 5. La ville sainte et le Temple. - 6. Lois sur le blasphème. - 7. Pèlerinage triennal au Temple. - 8. Dîme des fruits. - 9. Argent inutilisable pour l'offrande de sacrifices. - 10. Défenses relatives aux cultes étrangers. - 11. Défense relative au mélange de la laine et du lin. - 12. Lecture septennale de la législation. - 13. Prières quotidiennes. - 14. Administration de la justice. - 15. Les témoignages. - 16. Meurtres dont l'auteur reste inconnu. - 17. Devoirs des rois. - 18. Respect des limites. - 19. Plants de la quatrième année. - 20. Défenses relatives aux plantes et aux animaux hétérogènes. - 21. Droits des pauvres, des bêtes et des passants sur les produits du sol ; peine de la flagellation. - 22. Dîme triennale des veuves et des

VIII orphelins ; déclaration après l'acquittement des redevances. - 23. Lois matrimoniales. - 24. Lois sur la rébellion des enfants. – 25. Le prêt à intérêt. - 26. La restitution des gages. - 27. Lois sur le vol. - 28. Lois sur l'esclavage. - 29. La restitution des objets trouvés. - 30. Assistance aux bêtes en détresse. - 31. Obligation de renseigner les personnes égarées. - 32. Défense de médire des sourds et des muets. - 33. Lois sur les rixes. - 34. Lois sur les poisons. - 35. Lois sur l'estropiement. - 36. Le bœuf heurteur. - 37. Prescriptions concernant les puits et les terrasses. - 38. Les dépôts ; défense de retenir les salaires. - 39. Responsabilité individuelle. - 40. Éloignement des eunuques et des castrats. - 41. Vœux de Moïse ; manière d'engager les guerres. - 42. Sièges et représailles. - 43. Décence dans le costume. - 44. Remise par Moïse des lois et des écrits saints ; bénédictions et malédictions. - 45. Exhortation au peuple. - 46. Prédictions de Moïse ; sa fin. - 47. Ses dernières paroles. - 48. Émotion du peuple. - 49. Éloge de Moïse.

LIVRE V

LIVRE                            I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI

V

1. Josué envoie des espions à Jéricho et se prépare à franchir le Jourdain. - 2. Aventure des explorateurs chez Rahab. - 3. Passage du Jourdain à gué. - 4. Érection d'un autel et célébration de la Pâque. - 5. Préparatifs de la conquête de Jéricho. - 6. Écroulement des murs de Jéricho. - 7. Massacre des habitants, â l'exception de Rahab. - 8. Destruction de Jéricho et imprécations de Josué. - 9. Consécration à Dieu du butin. - 10. Objets détournés par Achan. - 11. Josué à Guilgal. - 12. Échec devant Aï; découragement de l'armée. - 13. Prière de Josué. - 14. Découverte du sacrilège commis par Achan; mort de ce dernier. - 15. Conquête d'Aï. - 16. Ruse des Gabaonites, qui obtiennent l'alliance de Josué. - 17. Josué les défend contre les rois

I chananéens. - 18. Victoires de Josué sur les Chananéens et les Philistins - 19. Érection du tabernacle de Silo et cérémonie des imprécations à Sichem. - 20. Josué convoque une assemblée à Silo et fait un discours au peuple. - 21. Il envoie dix hommes pour mesurer

 

Flavius Josèphe, table des matières

les dimensions du pays. - 22. Partage du pays entre les neuf tribus et demie. - 23. Attribution antérieure de l'Amoritide. - 24. Villes lévitiques et de refuge; partage du butin. - 25. Josué congédie amicalement les deux tribus et demie. - 26. Érection par elles d'un autel sur l'autre rive du Jourdain; émoi des Israélites; discours de Phinéès. - 27. Les tribus transjordaniques protestent de leur fidélité aux lois communes. - 28. Discours de Josué avant sa mort. - 29. Mort de Josué et d'Éléazar.

1. Mission donnée aux tribus de Juda et de Siméon. - 2. Victoire de ces tribus sur Adônibézèk ; siége de Jérusalem. - 3. Prise de Hébron ; répartition des territoires conquis. - 4. Dernières conquêtes des deux tribus. - 5. Paix avec les Chananéens. - 6. Prise de Béthel par la tribu d’Éphraïm. - 7. Relâchement général des Israélites. - 8. Le Lévite

II d’Ephraïm et sa femme ; celle-ci meurt, victime des violences des Gabaéniens. - 9. Les Israélites réclament en vain les coupables. - 10. Guerre civile avec les Benjamites. - 11. Défaite finale des Benjamites ; représailles exercées sur eux. - 12. Réconciliation avec les Benjamites survivants ; moyen employé pour assurer la permanence de leur tribu.

III 1. Établissement de la tribu de Dan. - 2. Les Israélites sous la domination des Assyriens. - 3. Keniaz les délivre.

Zone de Texte: IV
V
VI
VII
1. Les Israélites tributaires d'Eglon, roi de Moab. - 2. Eoud tue Eglon. – 3. Les Hébreux taillent en pièces les Moabites ; gouvernements d'Eoud, de Samgar.

1. Asservissement des Israélites par Yabin, roi des Chananéens, et son général Sisarès. - 2. La prophétesse Débora et Barac. - 3. Débora part avec Barac pour la guerre. - 4. Victoire des Israélites ; mort de Sisarès et de Yabin.

1. Déprédations des Madianites. - 2. Mission donnée à Gédéon. - 3. Constitution de l'armée de Gédéon. - 4. Songe d'un soldat madianite. - 5. Défaite des Madianites ; mort de leurs chefs. - 6. Mécontentement de la tribu d'Ephraïm ; Gédéon l'apaise. - 7. Gouvernement et mort de Gédéon.

1. Meurtre des fils de Gédéon par le bâtard Abimélech. - 2. Apologue de Jôtham aux habitants de Sichem ; expulsion d'Abimélech. - 3. Hostilités contre lui. - 4. Siège de Sichem par Abimélech ; massacre des Sichémites. - 5. Mort d'Abimélech. - 6. Gouvernement de Yaïr. - 7. Les Israélites asservis par les Ammonites et les Philistins, - 8. 0n s'adresse à Jephté. – 9. Échec des pourparlers avec le roi ammonite. - 10. Vœu de Jephté ; victoire des Israélites ; sacrifice de la fille de Jephté. - 11. Guerre avec la tribu d'Ephraïm. - 12. Mort de Jephté. - 13. Gouvernement d'Ibsan. - 14. Gouvernement d'Elon. - 15. Gouvernement d'Abdon.

 

Zone de Texte: 1. Règne d'Artaxerxés. Disgrâce de Vasté. - 2. Artaxerxés épouse Esther. - 3. Règlement sur les audiences royales. - 4. Complot découvert par Mardochée. - 5-6. Aman arrache au roi un édit de
VI proscription contre les Juifs. - 7. Mardochée intervient auprès d'Esther. - 8. Prière d'Esther et de Mardochée. - 9. Esther va trouver le roi. - 10. Honneurs décernées à Mardochée. - 11. Disgrâce et supplice d'Aman. - 12. Nouvel édit d'Artaxerxés. -12. Massacre des ennemis des Juifs ; institution de la fête de Pourim.
Flavius Josèphe, table des matières

1. Les Israélites asservis aux Philistins. - 2. Un ange annonce la naissance d'un fils à la femme de Manôchès. - 3. Nouvelle apparition de l'ange ; ses recommandations. - 4. Naissance et enfance de

VIII Samson. - 5. Il tue un lion. - 6. L'énigme de Samson. -7. Il détruit les moissons des Philistins. - 8. Livré par les gens de Juda, il rompt ses liens et taille les Philistins en pièces. - 9. Dieu fait jaillir une source pour Samson altéré. - 10. Enfermé à Gaza, il s'échappe de nuit. - 11. Dalila le livre aux Philistins. -12. Fin de Samson.

IX 1. Noémi, devenue veuve dans le pays de Moab, revient avec Ruth à Bethléem. - 2. Accueil fait à Ruth par Boaz. - 3. Ruth va trouver Boaz la nuit dans sa grange. - 4. Boaz épouse Ruth ; leur descendance.

X 1. Le grand-prêtre Éli ; indignité de ses fils. - 2. Éli annonce à Anna la naissance d'un fils. -3. Naissance de Samuel ; il est consacré à Dieu. - 4. Révélations faites par Dieu à Samuel.

XI 1. Victoire des Philistins sur les Hébreux. - 2. Arrivée de l'arche au camp des Hébreux ; défaite de ceux-ci et capture de l'arche. - 3. Mort d'Elia' la nouvelle du désastre. - 4. Naissance de Yochabès. - 5. Transmission du sacerdoce.

LIVRE XI

1-2. Cyrus, ému par les prophéties, autorise les Juifs à rebâtir

I Jérusalem et le Temple. - 3. Restitution des vases du Temple. Lettre de Cyrus aux satrapes de Syrie.

Zone de Texte: II
III
1. Les satrapes et les Samaritains s'opposent à la reconstruction. - 2. Elle est arrêtée par Cambyse.

1. Avènement et vœu de Darius. - 2-6. Histoire des trois gardes du corps de Darius ; Zorobabel l'emporte dans un concours d'éloquence et de sagacité. - 7-8. Darius autorise la reprise des travaux. - 9-10. Colonie conduite à Jérusalem par Zorobabel.

1-2. Achèvement du Temple ; sa médiocrité. - 3-5. Intriques des Samaritains et des satrapes. - 6-7. Darius, après avoir consulté les

IV archives royales, assure les Juifs de sa protection. - 8. Célébration de la Pâque. - 9. Nouvelle intervention de Darius contre les menées des Samaritains.

1-2. Règne de Xerxès. Mission d'Esdras. - 3.4. Affaire des mariages

V prohibés. - 5. Fête des Tabernacles ; lecture de la Loi. -6-8. Mission de Néhémie. Achèvement des murs de Jérusalem.

 

Flavius Josèphe, table des matières

VII 1. Le grand-prêtre Jean tue son frère Jésus ; persécution de Bagosès. - 2. Sanballat et Manassé.

1. Alexandre le Grand. - 2. Manassé émigre auprès de Sanballat. - 3.

VIII Siège de Tyr. - 4. Alexandre autorise la construction du temple du Garizim. - 5. Alexandre à Jérusalem. Alexandre et les Sichémites.

LIVRE XII

Querelles successives d’Alexandre. Prise de Jérusalem par Ptolémée

I Sôter. Captifs et garnisaires juifs en Égypte ; disputes entres Juifs et Samaritains.

Zone de Texte: II
III
IV
V
1. Ptolémée Philadelphe, sur le conseil de Démétrius de Phalère, désire se procurer pour sa bibliothèque les livres des Juifs. - 2. Aristée exhorte le roi à délivrer les prisonniers juifs. - 3. Décret conforme du roi. – 4. Rapport de Démétrius au roi. – 5. Message du roi au grand-prêtre Eléazar. - 6. Réponse du grand-prêtre. - 7. Envoi des soixante-dix interprètes de la Loi. -8-10. Présents de Ptolémée au temple de Jérusalem. - 11. Réception des interprètes à Alexandrie. - 12. Banquet des Septante. - 13. Traduction de la Loi. - 14. Pourquoi les anciens auteurs grecs n'ont pas parlé de la Bible. - 15. Renvoi des Septante.

1. Séleucus Ier. Privilèges des Juifs d'Antioche, maintenus par Vespasien. - 2. Antiochus II. Les Juifs d'Ionie et Agrippa. – 3-4. Antiochus III conquiert la Palestine. Ses rescrits favorables aux Juifs.

1. La Judée rendue à l'Égypte. Le grand-prêtre Onias II. - 2-5. Histoire du fermier d'impôts Joseph, neveu d'Onias. - 6-9. Histoire d'Hyrcan, fils de Joseph. - 10. Les grands-prêtres Simon II et Onias III. Lettre du roi de Sparte Areios. - 11. Fin d'Hyrcan.

  1. Les grands-prêtres Jason et Ménélas. Hellénisation de Jérusalem. -
  2. Antiochus Épiphane et l'Égypte. - 3. Premier pillage de Jérusalem. - 4. Deuxième pillage. Abolition du culte juif. - 5. Le temple des Samaritains consacré à Zeus Hellénios.

VI 1. Mattathias et ses fils. - 2. Révolte et succès de Mattathias. - 3-4. Sa mort. Judas Macchabée lui succède.

1. Judas Macchabée bat Apollonios, puis Séron. - 2-4. Lysias régent.

VII Victoire de Judas à Emmaüs. - 5. Lysias battu à Bethsoura. – 6-7. Restauration du culte du Temple. Institution de la fête de Hanoucca.

1. Guerre contre les Iduméens et les Ammonites. - 2. Expédition de

VIII Simon en Galilée. 3-5. Campagne de Judas et de Jonathan en Galaad. - 6. Echec contre Iamnée.

1. Mort d'Antiochus Épiphane. Avènement d'Antiochus Eupator. – 3.

IX Siége de la citadelle de Jérusalem par Judas. - 4. Combat de Bethzacharia, mort héroïque d’Eléazar. - 5-6. Siège du Temple par Lysias. - 7. Antiochus traite avec les Juifs. Alkimos grand-prêtre.

 

Zone de Texte: VIIIZone de Texte: 1. Avènement de Jean Hyrcan ; sa lutte contre son beau-frère
Ptolémée. - 2-3. Siége et prise de Jérusalem par Antiochus Sidétès. - 4. Hyrcan l'accompagne contre les Parthes.
1. Conquêtes d'Hyrcan. Ruine du temple du Garizim. Conversion
Zone de Texte: IX forcée des Iduméens. - 2. Senatusconsulte romain en faveur des Juifs. - 3. Mort de Démétrius II. Usurpation et mort d'Alexandre Zébina.Flavius Josèphe, table des matières

X

1-2. Avènement de Démétrius Soter. Mission de Bacchidès en Judée. - 3. Lutte d'Alkimos et de Judas. - 4-5. Expédition de Nicanor. Bataille d'Adasa. - 6. Mort d'Alkimos. Judas grand-prêtre. Son alliance avec Rome.

 

XI 1. Nouvelle campagne de Bacchidès. - 2. Combat de Berzetho ; défaite et mort de Judas Macchabée.

Zone de Texte: ILIVRE XIII

1. Jonathan choisi pour général des Juifs insurgés. - 2. Jonathan dans le désert. Massacre de son frère Jean par les Nabatéens. - 3. Combat des bouches du Jourdain. Forteresses élevées par Bacchidés. - 4. Vengeance de Jonathan et de Simon sur les Nabatéens. - 5. Trêve de deux ans. Bacchidés vient assiéger Béthalaga. - 6. Traité entre Jonathan et Bacchidés.

II 1-3. Invasion d'Alexandre Bala. Concessions des deux prétendants aux Juifs ; Jonathan grand-prêtre. - 4. Défaite et mort de Démétrius.

III 1-3. Onias fonde le temple de Léontopolis en Égypte. - 4. Querelle des Juifs et des Samaritains à Alexandrie.

1. Alexandre Bala épouse la fille du roi d'Égypte. - 2. Faveur de Jonathan auprès de lui. - 3-4. Invasion de Démétrius Nicator. Victoire

IV de Jonathan sur Apollonios à Azot. – 5-7. Conquête de la Syrie par Ptolémée Philométor. - 8. Mort d'Alexandre et de Ptolémée. - 9. Démétrius roi ; son rescrit en faveur des Juifs.

1. Complot de Tryphon. - 2-3. Jonathan aide Démétrius à réprimer la révolte d'Antioche. Défaite de Démétrius par Tryphon. - 4. Jonathan s'allie avec Antiochus Dionysos. - 5-6. Il soumet Gaza et s'empare de

V Bethsoura. - 7. Sa victoire sur les généraux de Démétrius à Asor. - 8. Renouvellement de l’alliance avec Rome et Sparte. - 9. Sectes juives. - 10. Nouvelle victoire de Jonathan. Prise de Jopé. - 11. Restauration des murs de Jérusalem. Captivité de Démétrius.

1-2. Tryphon s'empare par trahison de Jonathan. - 3-4. Simon prend

VI le commandement des Juifs et chasse les habitants de Jopé. - 5. Négociations avec Tryphon. - 6. Mort de Jonathan. Mausolée de Modéïn. - 7. Simon grand-prêtre. Prise de la citadelle de Jérusalem.

VII 1. Usurpation de Tryphon. - 2-3. Antiochus Sidétès et Simon. - 4. Mort de Simon.

 

Flavius Josèphe, table des matières

Zone de Texte: X1. Rivalité d'Antiochus Grypos et d'Antiochus Cyzicène. - 2-3. Conquête de Samarie et de Scythopolis. - 4. Cheikias et Ananias généraux de Cléopâtre. - 5-6. Brouille d'Hyrcan avec les Pharisiens. - 7. Sa mort, son caractère.

1-2. Aristobule, grand-prêtre, prend le titre de roi. Meurtre de sa mère

XI et de son frère Antigone. - 3. Remords et mort d'Aristobule. Conquête de l'Iturée.

1. Avènement d'Alexandre Jannée. - 2. Ptolémaïs assiégée appelle

XII Ptolémée Lathyre. - 3-4. Campagne de Ptolémée en Palestine - 5-6. Bataille d'Asophon.

1-2. Lutte de Ptolémée Lathyre et de Cléopâtre. - 3. Alexandre Jannée

XIII conquiert Gaza. - 4. Discordes des derniers Séleucides. 5. Séditions en Judée.

XIV 1. Alexandre battu à Sichem par Démétrius Acairos. - 2. Cruelle répression des séditions. - 3. Guerre civile de Démétrius et de Philippe.

1. Antiochus Dionysos en Palestine. - 2. Alexandre Jannée battu par

XV Arétas. - 3. Ses conquêtes dans la Pérée. - 4. Étendue des possessions d'Alexandre. - 5. Sa mort et ses derniers conseils.

1. Avènement d'Alexandra. Caractère de ses fils. - 2-3. Domination et

XVI excès des Pharisiens. Sédition des grands. - 4. Ambassade des Juifs à Tigrane. - 4-5. Révolte d'Aristobule. Fin d'Alexandra.

LIVRE XIV

1. Préambule. - 2. Guerre civile entre Hyrcan II et Aristobule II.

I Aristobule roi - 3-4. Intrigues de l'Iduméen Antipater auprès d'Hyrcan et d'Arétas.

II 1-2. Arétas ramène Hyrcan en Judée et assiège Aristobule dans le Temple. - 3. Scaurus, lieutenant de Pompée, l'oblige à lever le siège.

Zone de Texte: III1. Vigne d'or offerte à Pompée par Aristobule. - 2. Pompée à Damas. Les princes juifs plaident leur cause devant lui. - 3.4. Marche de Pompée. Négociations avec Aristobule.

IV 1. Pompée à Jéricho. Aristobule mis aux fers. - 2. Siège de Jérusalem. - 3-5. Prise du Temple. Règlement de la Judée par Pompée.

V 1. Scaurus soumet Arétas. - 2-4. Révolte et défaite d'Alexandre, fils d’Aristobule. Gabinius réorganise la Judée.

1. Révolte et défaite d'Aristobule. -2-3. Gabinius en Égypte. Nouvelle

VI tentative d'Alexandre fils d'Aristobule. - 4. Derniers règlements de Gabinius.

1. Pillage du Temple par Crassus. - 2. Digression sur les Juifs d'Asie et

VII de Cyrène. - 3. Révolte de Peitholaos. Puissance d'Antipater – 4. Mort d'Aristobule et d'Alexandre.

1-3. Secours prêtés à César en Égypte par Antipater et les Juifs. - 4.

VIII Antigone accuse Antipater devant César. - 5. Décrets des Romains et des Athéniens pour Hyrcan.

 

Zone de Texte: IIIZone de Texte: 1. Déposition du grand-prêtre Ananel. - 2. Nouvelles intrigues d'Alexandra. - 3-4. Meurtre du jeune Aristobule. -5-8. Hérode, dénoncé par Cléopâtre, se justifie devant Antoine, - 9. Soupçons contre Mariamme. Exécution de Joseph.Flavius Josèphe, table des matières

IX 1-2. Puissance d'Antipater et de ses fils. - 3-5. Procès et fuite d'Hérode.

1. Ambassade d'Hyrcan à Rome. - 2-7. Décrets de César en faveur des Juifs. - 8. Lettre d'un proconsul aux Pariens en faveur des Juifs. - 9­10. Sénatus-consulte ratifiant un décret posthume de César en leur faveur. - 11-12. Décret de Dolabella exemptant les Juifs d'Asie du

X service militaire. - 13-19. Décrets de Lentulus et des villes grecques dans le même sens (15. Lettre du préteur Fannius aux gens de Cos). – 20. Décret de Laodicée. 21. Lettre du proconsul Galba aux Milésiens. - 22-25. Décrets de Pergame, Halicarnasse, Sardes et Milet. - 26. Conclusion.

1. Guerre civile en Syrie. - 2. Exactions de Cassius. - 3-4. Meurtre

XI d'Antipater. - 5-6. Vengeance d'Hérode sur Malichos. - 7. Nouveaux désordres en Judée.

1. Hérode bat Antigone et Marion. Ses fiançailles avec Mariamme. - 2.

XII Antoine vainqueur fait bon accueil à Hérode. - 3. Rescrit d'Antoine aux Juifs. - 4.6. Edits aux Tyriens.

1-2. Antoine en Syrie. Ambassades des Juifs châtiées par lui – 3. Les

XIII Parthes et Antigone envahissent la Judée. – 4-5. Les Parthes à Jérusalem. Capture d'Hyrcan et de Phasaël. - 6-9. Fuite d'Hérode. - 10. Hyrcan mutilé, Phasaël se tue.

1. Hérode repoussé par Malchos. - 2. Son séjour en Égypte. - 3-5. Il

XIV vient à Rome, persuade Antoine et obtient du Sénat le titre de roi. - 6. Siège de Masada. Ventidius se laisse acheter par Antigone.

1. Retour d'Hérode en Judée. Délivrance de Masada. - 2-3. Première attaque de Jérusalem ; inaction de Silo ; prise de Jéricho ; quartiers d'hiver. - 4-6. Soumission de la Galilée. Guerre des cavernes. – 7.

XV Machaeras en Judée. - 8-9. Hérode à Samosate. - 10. Défaite et mort de Joseph. - 11-13. Nouvelle campagne d'Hérode. Bataille et massacre d’Isana. Préservation miraculeuse d'Hérode. – 14. Investissement de Jérusalem. Noces d'Hérode.

XVI 1. Arrivée de Sossius. - 2-3. Siége et prise de Jérusalem par Sossius et Hérode. – 4. Supplice d'Antigone. Fin de la dynastie hasmonéenne.

LIVRE XV

I 1. Vengeances d'Hérode ; faveur de Pollion et de Saméas. – 2. Exactions : supplice d’Antigone

1-3. Hyrcan renvoyé à Jérusalem par le roi des Parthes. – 4. Ananel ci

II grand-prêtre. – 5-6. Intrigues d'Alexandre auprès d'Antoine. – 7.

Réconciliation apparente d'Hérode avec Alexandre. Aristobule III grand-prêtre

 

Flavius Josèphe, table des matières

IV

  1. Convoitises de Cléopâtre ; Antoine lui donne le canton de Jéricho. -
  2. Hérode repousse une tentative de séduction de Cléopâtre. - 3. Triomphe d'Antoine sur l’Arménie. - 4. Difficultés avec le roi des Arabes.

 

1. Guerre d'Hérode contre Malchos, roi des Arabes Nabatéen. Défaite

V de Canatha. - 2. Tremblement de terre en Judée. - 3-5. Nouvelle campagne ; victoire de Philadelphie.

1-4. Bataille d'Actium. Dangers d'Hérode. Il fait mourir Hyrcan. - 5-6.

VI Il se rend à Rhodes et se concilie la faveur d'Octave. - 7. Ses services à l'armée d'Octave dans la campagne d'Égypte.

1-2. Démêlés d'Hérode avec Mariamme. – 3. Territoires attribués à Hérode par Auguste. - 4-6. Supplice de Soaimos et de Mariamme ;

VII caractère de cette princesse. - 7. Douleur et maladie d'Hérode. - 8. Supplice d'Alexandra. - 9-10. Supplice de Costobaros et de ses complices.

1-2. Bâtiments d'Hérode à Jérusalem. Le théâtre et les jeux

VIII quinquennaux. Affaire des trophées. - 3-4. Complot de l'aveugle. -5. Réseau de forteresses. Reconstruction de Samarie-Sebaste.

1-2. Famine ; habile générosité d'Hérode. - 3. Hérode renforce le corps

IX expéditionnaire de Gallus. Son palais. Son mariage avec Mariamme II. - 4. Forteresse et ville d'Hérodion. - 5-6. Prospérité et largesses

d'Hérode. Construction de Césarée.

1. Les fils d'Hérode à Rome. Il reçoit la province affermée à Zénodore et réduit les brigands de la Trachonitide. - 2. Sa visite à Agrippa.

Intrigues des Arabes. - 3. Auguste en Syrie. Plaintes des Gadaréniens.

X Hérode reçoit la tétrarchie de Zénodore. Temple de Panion. - 4. Système de gouvernement d'Hérode. Les Pharisiens refusent le serment. - 5. Son attitude envers les Esséniens ; prédiction de Manahem.

1-2. Hérode décide la reconstruction du Temple. - 3. Description du Temple et des fortifications de la colline sacrée. - 4. La tour Antonia ;

XI vicissitudes du vêtement du grand-prêtre. - 5. Les portes, le portique royal, les trois parvis. - 6-7. Fêtes de l'inauguration du nouveau Temple ; miracle des pluies nocturnes.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

 

 

 

 

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JOSEPHE

 

 

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE VI - LIVRE VII

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

FLAVIUS JOSÈPHE Guerre des juifs. LIVRE 1

PRÉAMBULE [1]

SOMMAIRE. – 1-2 - Pourquoi Josèphe a entrepris cet ouvrage. Grandeur du sujet, insuffisance des récits

antérieurs. - 3. Erreur de ceux qui rabaissent la

résistance des Juifs - 4. Sentiments personnels de

l'auteur. – 5. Supériorité de l'historien des faits

contemporains sur le compilateur d'histoires anciennes. - 6. Le passé lointain des Juifs ; inutilité d'y remonter. – 7-

  1. Aperçu sommaire des faits traités dans cet ouvrage. -
  2. Sa division, sa sincérité.

1- La guerre que les Juifs engagèrent contre les Romains est la plus considérable, non seulement de ce siècle, mais, peu s'en faut, de toutes celles qui, au rapport de la tradition, ont surgi soit entre cités. soit entre nations. Cependant parmi ceux qui en ont écrit l'histoire, les uns, n'ayant pas assisté aux événements, ont rassemblé par oui dire des renseignements fortuits et contradictoires, qu'ils ont mis en oeuvre a la façon des sophistes; les autres, témoins des faits, les ont altérés par flatterie envers les Romains ou par haine envers les Juifs, et

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

leurs ouvrages contiennent ici un réquisitoire, là un panégyrique, jamais un récit historique exact. C'est pour cela que je me suis proposé de raconter en grec cette histoire, à l'usage de ceux qui vivent sous la domination romaine. traduisant l'ouvrage que j'ai com­posé auparavant dans ma langue maternelle[2] à l'usage des

Barbares de l'intérieur. Mon nom est Josèphe, fils de Matthias, Hébreu de nation[3], originaire de Jérusalem,

prêtre : aux débuts j'ai moi-même pris part à la guerre contre les Romains ; les événements ultérieurs, j'y ai assisté par contrainte.

2- Quand se produisit[4] 3 le grand mouvement dont je

viens de parler, les affaires des Romains étaient

malades : chez les Juifs, le parti révolutionnaire profita de ces temps troublés pour se soulever[5], jouissant

alors de la plénitude de ses forces et de ses ressources ; tel était l'excès des désordres, que les uns conçurent l'espoir de conquérir l'Orient, les autres la crainte d’en être dépouillés. En effet, les Juifs espérèrent que tous ceux de leur race, habitant au delà de l'Eu­phrate, se révolteraient avec eux : d'autre part, les Romains étaient inquiets de l'attitude des Gaulois, leurs voisins ; la Germanie[6] de­meurait point en repos. Après la mort de

Néron, la confusion régnait partout, beaucoup, alléchés par les circonstances, aspiraient au principat ; la soldatesque, séduite par l'espoir du butin, ne rêvait que de changements. - J'ai donc pensé que, s'agissant d'événements si considérables, il était absurde de laisser la vérité s'égarer. Alors que les Parthes, les Babyloniens, les Arabes les plus éloignés, nos compa­triotes habitant au delà de l'Euphrate, les Adiabéniens savent exactement, grâce à mes recherches, l'origine de la guerre, les péripéties les douloureuses qui en marquèrent le cours, enfin le dénouement, il ne faut pas que, en revanche, les Grecs et ceux des Romains qui n'ont pas pris part à la campagne continuent à ignorer tout cela parce qu'ils n'ont rencontré que flatteries ou fictions.

3. Et cependant on ose donner le titre d'histoires à ces écrits qui, à mon avis, non seulement ne racontent rien

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

de sensé. mais ne répondent pas même à l'objet de leurs auteurs. Voilà, en effet, des écrivains, qui. voulant exalter la grandeur des Romains, ne cessent de

calomnier et de rabaisser les Juifs : or, je ne vois pas en vérité comment paraîtraient grands ceux qui n’ont vaincu que des petits. Enfin, ils n’ont égard ni à la longue durée de la guerre, ni aux effectifs considérables de cette armée romaine, qui peina durement, ni à la gloire des chefs, dont les efforts et les sueurs devant Jérusalem, Si l'on rabaisse l'importance de leur succès, tombent eux-mêmes dans le mépris.

4. Cependant je ne me suis pas proposé de rivaliser avec ceux qui exaltent la gloire des Romains en exagérant moi-même celle de mes compatriotes : je rajoute exactement les faits accomplis par les uns et par les autres : quant à l'appréciation des événements, je ne pourrai

m'abstraire de mes propres sentiments, ni refuser libre cours à ma douleur pour gémir sur les malheurs de ma patrie. Que ce sont, en effet, les factions domestiques qui l'ont détruite, que ce sont les tyrans des Juifs qui ont attiré sur le Temple saint le bras des Romains,

contraints et forcés, et les ravages de l'incendie, c’est ce dont Titus César, auteur de cette dévastation, portera lui-même témoi­gnage, lui qui, pendant toute la guerre, eut pitié de ce peuple garrotté par les factieux, lui qui souvent différa volontairement la ruine de la ville, et, en prolongeant le siège, voulut fournir aux coupables l'oc­casion de se repentir. On pourra critiquer les accusations que je dirige contre les tyrans et leur

séquelle de brigands, les gémissements que je pousse sur les malheurs de ma patrie ; on voudra bien pourtant pardonner à ma douleur, fût-elle contraire à la loi du genre historique. Car de toutes les cités soumises aux Romains, c'est la nôtre qui s'est élevée au plus haut degré de prospérité pour retomber dans le plus profond abîme de malheur. En effet, toutes les catastrophes enregistrées depuis le commencement des siècles me paraissent, par comparaison, inférieures aux nôtres[7],

et comme ce n'est pas l'étranger qui est responsable de ces misères, il m'a été impossible de retenir nies

plaintes. Ai-je affaire à un critique inflexible envers l'attendrisse­ment? Qu'il veuille bien alors faire deux

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

parts de mon ouvrage mettre sur le compte de l'histoire les faits, et sur celui de l'historien les larmes.

  1. Maintenant, comment ne pas blâmer ces Grecs diserts qui, trou­vant dans l’histoire contemporaine une série d'événements dont l'importance éclipse complètement celle des guerres de l'antiquité, ne s'érigent pas moins en juges malveillants des auteurs appliqués à l'étude de ces faits, - auteurs aussi inférieurs a leurs critiques par l'éloquence que supérieurs par le jugement - tandis qu'eux-mêmes s'appliquent à récrire l'histoire des Assyriens et des Mèdes sous prétexte que les anciens écrivains l'ont médiocrement racontée? Et pourtant ils le cèdent à ces derniers aussi bien sous le rapport du talent que sous celui de la méthode: car les anciens, sans exception, se sont attachés à écrire l'histoire de leur propre temps, alors que la connaissance directe qu'ils avaient des événements donnait à leur récit la clarté de la vie, alors qu'ils savaient qu'ils se déshonoreraient en altérant la vérité devant un public bien informé. En réalité, livrer à la mémoire des hommes des faits qui n'ont pas encore été racontés rassembler pour la postérité les événements contemporains, est une entreprise qui mérite a coup sûr la louange et l'estime; le vrai travailleur, ce n'est pas celui qui se contente de remanier l'économie et le plan de l'ouvrage d'un autre, mais celui qui raconte des choses inédites et compose avec une en­tière originalité tout un corps d'histoire. Pour moi, quoique étranger je n'ai épargné ni dépenses ni peines pour cet ouvrage, où j'offre aux Grecs et aux Romains le souvenir de faits mémorables ; tandis que les Grecs de naissance, si prompts à ouvrir leur bouche et à délier leur langue quand il s'agit de gains et de procès, s'agit-il, au con­traire, d'histoire, où il faut dire ta vérité et réunir les faits au prix de grands efforts, les voilà muselés et abandonnant à des esprits mé­diocres, mal informés, le soin de consigner les actions des grands capitaines. Apportons donc cet hommage à la vérité historique, puisque les Grecs la négligent.
  2. L'histoire ancienne des Juifs, qui ils étaient et comment ils émi­grèrent d'Égypte, les pays qu'ils parcoururent dans leur marche errante, les lieux qu'ils

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

occupèrent ensuite, et comment ils en furent déportés, tout ce récit je l'ai jugé inopportun à cette place, et d'ail­leurs superflu, car, avant moi, beaucoup de Juifs ont raconté exactement l'histoire de nos pères, et quelques Grecs ont fait passer dans leur langue ces récits, sans altérer sensiblement la vérité[8]. C'est donc à

l'endroit où cesse le témoignage de ces historiens et de nos pro­phètes que je fixerai le début de mon ouvrage. Parmi les événements qui suivent je traiterai avec le plus de détail et de soin possibles ceux de la guerre dont je fus témoin; quant a ceux qui précèdent mon temps, je me contenterai d'une esquisse sommaire.

  1. C'est ainsi que je raconterai brièvement comment Antiochus, surnommé Épiphane, après s’être emparé de Jérusalem par la force, occupa la ville trois ans et six mois jusqu'a ce qu'il fut chassé du pays par les fils d'Asmonée : ensuite, comment les descendants des Asmonéens, se disputant le trône, entraînèrent dans leur querelle les Romains et Pompée : comment Hérode, fils d’Antipater, mit fin à leur dynastie avec le concours de Sossius : comment le peuple, après la mort d’Hérode, fut livré à la sédition sous le principat d'Auguste à Rome. Quintilius Varus étant gouverneur du pays ; comment la guerre éclata la douzième année du principat de Néron, les événements qui se succédèrent sous le gouvernement Cestius, les lieux que dans leur premier élan les Juifs occupèrent de vive force.
  2. Je dirai ensuite comment ils fortifièrent les villes voisines : comment Néron, ému des revers de Ceslius et craignant une ruine complète de l’empire, chargea Vespasien de la conduite de la guerre ; comment celui-ci, accompagné de l’aîné de ses fils, envahit le territoire des Juifs ; avec quels effectifs, romains ou alliés, il se répandit dans toute la Galilée[9] ; comment il occupa les

villes de cette province, les unes par force, les autres par composition. En cet endroit de mon livre viendront des renseignements sur la belle discipline des Romains à la guerre, sur l’entraînement de leurs légions, puis sur l’étendue et la nature des deux Galilées, les limites de la Judée et les particularités de ce pays, les lacs, les sources qu’on y trouve ; enfin, pour chaque ville, je

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

raconterai les misères de ceux qui y furent pris, le tout avec exactitude, selon ce que j’ai vu ou souffert moi-même. Car je ne cacherai rien de mes propres

infortunes, puisqu’aussi bien je m’adresse à des gens qui les connaissent.

  1. Je raconte ensuite comment, au moment où déjà la situation des Juifs périclitait, Néron mourut, et Vespasien, qui avançait vers Jérusalem, en fut détourné pour aller occuper la dignité impériale ; j’énumère les présages qu’il obtint à ce sujet , les révolutions de Rome, les soldats le saluant malgré lui du titre d’empereur, puis, quand il s’est rendu en Égypte pour mettre ordre dans l'empire, la Judée en proie aux factions, des tyrans surgissant et luttant les uns contre les autres,
  2. Je montre alors Titus quittant l'Égypte et envahissant une seconde fois notre contrée ; j'explique comment il rassembla ses troupes, en quels lieux, en quel nombre ; dans quel état à son ar­rivée, la discorde

avait mis la ville ; toutes les attaques de Titus, tous ses travaux d'approche, et, d'autre part, la triple enceinte de nos murailles, leurs dimensions, la force de notre ville, la disposition de l’enceinte sacrée et du Temple, leurs mesures et celles de l'autel, le tout avec exactitude ; je décris quelques rites usités dans nos fêtes, les sept degrés de la pureté[10], les fonctions des prêtres, leurs

vêtements et cieux du grand pontife, enfin le sanctuaire du Temple, le tout sans rien omettre, sans rien ajouter aux détails pris sur le fait.

  1. Je dépeins ensuite la cruauté des tyrans contre des compatriotes, contrastant avec les ménagements des Romains a l'égard d'étrangers ; je raconte combien de fois Titus, désirant sauver la ville et le Temple, invita les factions à traiter. Je classerai les souffrances et les misères du peuple, provenant soit de la guerre, soit des séditions, soit de la famine, et qui finirent par les réduire à la captivité. Je n’omettrai ni les mésaventures des déserteurs, ni les supplices infligés aux prisonniers ; je raconterai le Temple incendié malgré César, quels objets sacrés furent arrachés des flammes, la prise de la ville

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

entière, les signes et les prodiges qui précédèrent cet événement ; la capture des tyrans, le grand nombre des captifs vendus à l'encan, les destinées si variées qu’ils rencontrèrent ; puis la manière dont les Romains étouffèrent les dernières convulsions de cette guerre et démolirent les remparts des forteresses, Titus

parcourant toute la contrée pour l’organiser, enfin son départ pour l’Italie et son triomphe.

12. Tel est l’ensemble des événement que je compte raconter et embrasser dans sept livres. Je ne laisserai à ceux qui connaissent les faits et qui ont assisté à, la guerre aucun prétexte de blâme ou d'ac­cusation, - je parle de ceux qui cherchent dans l'histoire la vérité, et non le plaisir. Et je commencerai mon récit par où j'ai commencé le sommaire[11] qu'on vient de lire.

LIVRE IER I

1. Dissensions entre nobles juifs. Antiochus Epiphane prend Jérusalem et interrompt le culte des sacrifices. - 2­3. Persécution religieuse. Soulèvement de Mattathias. - 4­6. Exploits et mort de Judas Macchabée.

1[12]. La discorde s'éleva parmi les notables juifs, dans

le temps où Antiochus Épiphane disputait la Cœlé-Syrie à Ptolémée, sixième du nom. C'était une querelle d'ambition et de pouvoir, aucun des person­nages de marque ne pouvant souffrir d’être subordonné à ses égaux. Onias, un des grands-prêtres, prit le dessus et chassa de la ville les fils de Tobie : ceux-ci se réfugièrent auprès d’Antiochus et le suppliè­rent de les prendre pour guides et d'envahir la Judée. Le roi, qui depuis

longtemps penchait vers ce dessein, se laisse persuader et, à la tête d'une forte armée, se met en marche et prend d'assaut la ville[13] ; il y tue un grand nombre des

partisans de Ptolémée, livre la ville sans restriction au

pillage de ses soldats, et lui-même dépouille le Temple et interrompt durant trois ans et six mois la célébration

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

solennelle des sacrifices quotidiens[14]. Quant au grand-

prêtre Onias, réfugié auprès de Ptolémée, il reçut de ce prince un territoire dans le nome d'Héliopolis : là il bâtit une petite ville le plan de Jérusalem et un temple semblable au notre ; nous reparlerons de ces évènements en temps et lieu[15].

2. Antiochus ne se contenta pas d'avoir pris la ville contre toute espérance, pillé et massacré à plaisir ; entraîné par la violence de ses passions, par le souvenir des souffrances qu'il avait endurées pen­dant le siège, il contraignit les Juifs, au mépris de leurs lois nationales, à laisser leurs enfants incirconcis et à sacrifier des porcs sur l'autel. Tous désobéissaient à ces prescriptions, et les plus illustres furent égorgés. Bacchidès, qu’Antiochus avait envoyé comme gouverneur militaire[16], exagérait encore par cruauté naturelle les

ordres impies du prince ; il ne s’interdit aucun excès d'illégalité, outrageant individuellement les citoyens notables et faisant voir chaque jour à la nation toute entière l'image d'une ville captive, jusqu'à ce qu'enfin l'excès même de ses crimes excitât ses victimes à oser se défendre.

3[17]. Un prêtre, Matthias[18], fils d'Asamonée, du bourg

de Modéin, prit les armes avec sa propre famille, - il avait cinq fils - et tua Bacchidès[19] à coups de

poignard ; puis aussitôt, craignant la multitude des

garnisons ennemies, il s'enfuit dans la montagne[20]. Là

beaucoup de gens du peuple se joignirent à lui ; il reprit confiance, redes­cendit dans la plaine, engagea le combat, et battit les généraux d'An­tiochus, qu'il chassa de la Judée. Ce succès établit sa puissance ; reconnaissants de l'expulsion des étrangers, ses concitoyens l'élevèrent au principat ; il mourut en laissant le pouvoir a Judas, l'aîné de ses fils[21].

4[22]. Celui ci, présumant qu'Antiochus ne resterait pas

en repos, recruta des troupes parmi ses compatriotes. Et, le premier de sa nation, fit alliance avec les Romains[23]. Quand Epiphane envahit de nouveau le

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

territoire juif[24], il le repoussa en lui infligeant 1111

grave échec. Dans la chaleur de sa victoire, il s'élança ensuite contre la garnison de la ville qui n'avait pas encore été expulsée. Chassant les soldats étrangers de la ville haute, il les refoula dans la ville basse, dans celte partie de Jérusalem qu'on nommait Acra. Devenu maître du sanc­tuaire, il en purifia tout l'emplacement, l'entoura de murailles, fit fa-briquer de nouveaux vases sacrés et les introduisit dans le temple, pour remplacer ceux qui avaient été souillés, éleva un autre autel et recommença les sacrifices expiatoires[25], Tandis que

Jérusalem re­prenait ainsi sa constitution sacrée, Antiochus mourut ; son fils An­tiochus hérita de son royaume et de sa haine contre les Juifs[26].

5[27]. Ayant donc réuni cinquante mille fantassins,

environ cinq mille cavaliers et quatre-vingts éléphants[28], il s'élance à travers la Judée vers les

montagnes. Il prit la petite ville de Bethsoura[29], mais

près du lieu appelé Bethzacharia, où l'on accède par un défilé étroit, Judas, avec toutes ses forces, s'opposa à sa marche. Avant même que les phalanges eussent pris contact, Éléazar, frère de Judas, apercevant un éléphant, plus haut que tous les autres, portant une vaste tour et une armure dorée, supposa qu'il était monté par Antiochus lui-même ; il s'élance bien loin devant ses compagnons, fend la presse des ennemis, parvient jusqu'à l'éléphant ; mais comme il ne pouvait atteindre, en raison de la hauteur, celui qu'il croyait être le roi, il frappa la bête sous le ventre, fit écrouler sur lui cette masse et mourut écrasé. Il n'avait réussi qu'à tenter une grande action et à sacrifier la vie à la gloire, car celui qui montait l'éléphant était un simple particulier ; eût-il été Antiochus, l'auteur de cette audacieuse prouesse n'y eût gagné que de paraître chercher la mort dans la seule espérance d'un brillant succès. Le frère d'Éléazar vit dans cet événement le présage de l'issue du combat tout entier. Les Juifs, en effet, combattirent avec courage et acharnement ; mais l'armée royale, supérieure en nombre et favo­risée par la fortune, finit par l’emporter ; après avoir vu tomber un grand nombre des siens, Judas s'enfuit avec le reste

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

dans la préfec­ture de Gophna[30], Quant à Antiochus, il

se dirigea vers Jérusalem, y resta quelques jours, puis s'éloigna à, cause de la rareté des vivres, laissant dans la ville une garnison qu'il jugea suffisante, et emmenant le reste de ses troupes hiverner en Syrie.

6[31]. Après la retraite du roi, Judas ne resta pas inactif;

rejoint par de nombreuses recrues de sa nation, il t'allia les soldats échappés à la défaite, et livra bataille près du bourg d'Adasa aux généraux d'Antio­chus[32]. Il fit, dans

le combat, des prodiges de valeur, tua un grand nombre d'ennemis, mais périt lui-même[33]. Peu de jours après,

son frère Jean tomba dans une embuscade des partisans d'Antiochus et périt également[34].

II

I. Principat de Jonathan. - 2. Principat de Simon. - 3-4, Jean Hyrcan contre son beau-frère Ptolémée. – 5. Jean Hyrcan et Antiochus Sidétés. – 6-8. Succès et mérites de Jean Hyrcan.

1[35]. Jonathas, son frère, qui lui succéda, sut se

préserver des embûches des indigènes et affermit son pouvoir par son amitié avec les Romains ; il conclut

aussi un accord avec le fils d'Antiochus[36]. Malgré tout,

il ne put échapper à son destin. Car le tyran Tryphon, tuteur du fils d'Antiochus, et qui conspirait dès longtemps contre son pupille, s’efforçant de se débarrasser des amis du jeune roi, s'empara par trahison de Jonathas lorsque celui-ci, avec une suite peu nombreuse, fut venu a Ptolémaïs rencontrer Antiochus. Tryphon le charge de fers et part en campagne contre la Judée ensuite, repoussé par Simon, frère de Jonathas et furieux de sa défaite, il met à mort son captif[37].

2[38]. Simon, qui conduisit les affaires avec énergie,

s'empara de Gazara, de Joppé, de Jamnia, villes du

voisinage, et rasa la citadelle (Acra), après avoir réduit la

garnison a capituler. Puis il se fit l'allié d'Antiochus[39]

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

contre Tryphon, que le roi assiégeait dans la ville de Dora avant de partir pour son expédition contre les Mèdes. Pourtant, il eut beau collaborer a la perte de TryphonF40], il ne réussit pas a conjurer l'avidité du roi ;

car Antiochus, peu de temps après, envoya Cendébée, son général, avec une armée pour ravager la Judée et s'emparer de Simon. Celui-ci, malgré sa vieillesse,

commença la guerre avec une ardeur juvénile ; il envoya en avant ses fils avec les hommes les plus vigoureux contre le général ennemi ; lui-même, prenant une partie des troupes, attaqua sur un autre point. Il posta a diverses reprises des embuscades dans les montagnes et obtint l'a­vantage dans tous les engagements. Après ce brillant succès, il fut proclamé grand-prêtre et délivra les Juifs de la domination des Macé­doniens, qui pesait sur eux depuis cent soixante-dix ansF41].

3F42]. Il mourut lui-même dans des embûches que lui

dressa au cours d'un festin son gendre Ptolémée. Le

meurtrier retint prisonniers la femme et deux des fils de Simon, et envoya des gens pour tuer le troisième, Jean,

surnommé Hyrcan. Le jeune homme, prévenu de leur approche, se hâta de gagner la ville, ayant toute confiance dans le peuple, qui gardait le souvenir des belles actions de ses ancêtres et haïssait les violences de Ptolémée. Cependant Ptolémée se hâta d'en­trer lui aussi par une autre porte ; mais il fut repoussé par le peuple, qui s'était empressé de recevoir Hyrcan. Il se retira aussitôt dans une des forteresses situées au-dessus de Jéricho, nommée Dagon. Hyrcan, succédant à son père dans la grande-prêtrise, offrit un sacrifice à Dieu, puis se lança à la' poursuite de Ptolémée pour délivrer sa mère et ses frères.

4. Il assiégea la forteresse, mais, supérieur sur tous les points, il se laissa vaincre par son bon naturel. Lorsque Ptolémée se trouvait vivement pressé, il faisait conduire sur la muraille, en un endroit bien visible, la mère et les frères d'Hyrcan, les maltraitait et menaçait de les précipiter en bas si Hyrcan ne s'éloignait sur-le-champ. Devant ce spectacle, la colère d'Hyrcan cédait à la pitié et à la crainte. Mais sa mère, insensible aux outrages et

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

aux menaces de mort, tendait les bras vers lui et le suppliait de ne pas se laisser fléchir par la vue de l'indigne traitement qu'elle endurait, au point d’épargner cet impie : elle préférait à l'immortalité même la mort sous les coups de Ptolémée, pourvu qu'il expiât tous les crimes qu'il avait commis contre leur maison. Jean, quand il considérait la constance de sa mère et entendait ses prières, ne songeait plus qu’à l'assaut ; mais quand il la voyait frapper et déchirer, son cœur s'amollissait, et il était tout entier à sa douleur. Ainsi le siège traîna en longueur, et l'année de repos survint ; car tous les sept ans les Juifs consacrent une année à l'inaction comme ils font du septième jour de la semaine. Ptolémée, délivré alors du siège, tua la mère et les frères de Jean et s'enfuit auprès de Zénon, surnommé Cotylas, tyran de Philadelphie.

5[43]. Antiochus, irrité du mal que lui avait causé

Simon, fit une ex­pédition en Judée, se posta devant Jérusalem et y assiégea Hyrcan. Celui-ci fit ouvrir le tombeau de David, le plus riche des rois, en tira une somme de plus de trois mille talents[44] et obtint

d'Antiochus, au prix de trois cents talents, qu'il levât le siège ; avec le reste de cet argent, il commença à payer des troupes mercenaires qu'il fut le premier des Juifs a entretenir.

6[45]. Plus tard, Antiochus, parti en guerre contre les

Mèdes, fournit à Hyrcan l'occasion d'une revanche. Celui-ci se jeta alors sur les villes de Syrie, pensant, comme ce fut le cas, qu'il les trouverait dépourvues de défenseurs valides. Il prit ainsi Médabé, Samaga et les villes

voisines, puis Sichem et Garizim ; en outre, il soumit la race des Chuthéens, groupée autour du temple bâti à l'instar de celui de Jérusalem. Il s'empara encore de diverses villes d'Idumée, en assez grand nombre, notamment d'Adoréon[46] et de Marisa.

7[47]. Il s'avança jusqu'à la ville de Samarie, sur

l'emplacement de laquelle est aujourd'hui Sébasté, bâtie par le roi Hérode. L'ayant investie de toutes parts, il en confia le siège à ses fils Aristobule et Antigone ; ceux-ci

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

exercèrent une surveillance si rigoureuse que les habitants, réduits à une extrême disette, se nourrirent des aliments les plus répugnants. Ils appelèrent à leur secours Antiochus, sur­nommé Aspendios[48]. Celui-ci

répondit volontiers à leur appel, mais fut vaincu par Aristobule. Poursuivi par les deux frères jusqu'à Scytho­polis, il se sauva ; ceux-ci, se retournant ensuite contre Samarie, renfermèrent de nouveau le peuple dans ses murs ; ils prirent la ville, la détruisirent et réduisirent les habitants en esclavage. Poussant leurs succès, sans laisser refroidir leur ardeur, ils

s'avancèrent avec leur armée jusqu'à Scythopolis, firent des incursions sur son terri­toire et livrèrent au pillage tout le pays en deçà du mont Carmel.

8[49]. Les prospérités de Jean et de ses fils provoquèrent

dans le peuple la jalousie, puis la sédition ; un grand nombre de citoyens, après avoir conspiré contre eux, continuèrent à s'agiter jusqu'au jour où leur ardeur les jeta dans une guerre ouverte, où les rebelles succombèrent. Jean passa le reste de sa vie dans le bonheur, et après avoir très sagement gouverné pendant trente-trois ans entiers[50], il mourut en laissant cinq

fils. Il avait goûté la véritable félicité, et rien ne permit d'accuser la fortune à son sujet. Il fut le seul a réunir trois grands avantages : le gouvernement de sa nation, le souverain pontificat et le don de prophétie. En effet, Dieu habitait dans son cœur, si bien qu’il n'ignora jamais rien de l'avenir ; ainsi il prévit et annonça que ses deux fils aînés ne resteraient pas maîtres des affaires. Il vaut la peine de raconter leur fin et de montrer combien ils déchurent du bonheur de leur père.

III [51]

1. Avènement d’Aristobule. Ses premiers actes. - 2-4. Meurtre de son frère Antigone. - 5. Prédiction de Judas l'Essénien. - 6. Fin d'Aristobule.

1. Après la mort d'Hyrcan, Aristobule, l'aîné de ses fils, transforma le principat en royauté; il fut le premier à,

ceindre le diadème, quatre cent soixante et onze ans[52]

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

et trois mois après que le peuple, délivré de la captivité de Babylone, fut revenu en Judée. Parmi ses frères, il s'associa, avec des honneurs égaux aux siens, le puîné Antigone, pour lequel il paraissait avoir de l'affection ; les autres furent, par son ordre, emprisonnés et chargés de liens. Il fit enchaîner aussi sa mère, qui lui disputait le pouvoir et à qui Jean avait tout légué par testament ; il poussa la cruauté jusqu'à la faire mourir de faim dans sa prison.

  1. Il fut puni de ces iniquités dans la personne de son frère Anti­gone qu'il aimait et avait associé à la royauté car il le tua lui aussi sur des calomnies que forgeaient de perfides courtisans. Tout d'abord Aristobule avait refusé toute créance à leurs propos, parce qu'il chéris­sait son frère et attribuait à l'envie la plupart de ces imputations. Mais un jour qu'Antigone revint d'une expédition en un brillant appareil pour assister à la fête solennelle ou l'on élève à Dieu des tabernacles, il se trouva qu'Aristobule était malade en ce temps là. Antigone, à la fin de la solennité, monta au Temple, entouré de ses hommes d'armes, avec la pompe la plus magnifique, et pria Dieu surtout pour son frère. Les méchants coururent alors auprès du roi, lui dépeignirent le cortège d’hoplites, l'assurance d'Antigone trop grande pour un sujet ; ils dirent qu'Antigone revenait avec une très nom­breuse armée pour mettre son frère à mort, qu'il ne se résignait pas à n'avoir que les honneurs de la royauté quand il pouvait obtenir le pouvoir lui-nième.
  2. Peu à peu Aristobule ajouta foi malgré lui à ces discours. Préoccupé à la fois de ne pas dévoiler ses soupçons et de se prémunir contre un danger incertain, il fit poster ses gardes du corps dans un souterrain obscur - il demeurait dans la tour nommée d’abord Baris, depuis Antonia - et ordonna d'épargner Antigone, s'il était sans armes, de le tuer, s'il se présentait tout

armé. Il envoya même vers lui pour l'avertir de ne pas prendre ses armes. Cependant la reine se concerta très malicieusement avec les perfides, à cette occa­sion : on persuada aux messagers de taire les ordres du roi et de dire, au contraire, à Antigone que son frère savait qu'il s'était procuré en Galilée de très belles armes et un

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équipement militaire que la maladie l'empêchait d'aller examiner tout le détail de cet appareil « mais, puisque tu es sur le point de partir, il aurait un très grand plaisir à te voir dans ton armure ».

  1. En entendant ces paroles, comme il n'y avait rien dans les dispo­sitions de son frère qui pût lui faire soupçonner un piège, Antigone revêtit ses armes et partit comme pour une parade. Arrivé dans le passage obscur, appelé la tour de Straton, il y fut tué par les gardes du corps. Preuve certaine que la calomnie brise tous les liens de l'affection et de la nature, et qu'aucun bon sentiment n'est assez fort pour résister durablement a l'envie.
  2. On admirera dans cette affaire la conduite d'un certain Judas, Essénien de race. Jamais ses prédictions n'avaient été convaincues d’erreur ou de mensonge. Quand il aperçut a cette occasion Anti­gone qui traversait le Temple, il s'écria, en s'adressant a ses familiers, - car il avait autour de lui un assez grand nombre de disciples - : « Hélas ! Il convient désormais que je meure, puisque l'esprit de vérité m'a déjà quitté et qu'une de mes prédictions se trouve démentie, Car il vit, cet Antigone, qui devait être tué aujourd’hui. Le lieu marqué pour sa mort était la tour de Straton : elle est a six cents stades d’ici, et voici déjà la quatrième heure du jour le temps écoulé rend impossible l'accomplissement de ma prophétie ». Cela dit, le vieillard resta livré a une sombre méditation ; mais bientôt on vint lui annoncer qu'Antigone avait été tué dans un souterrain appelé aussi tour de Straton, du même nom que portait la ville aujourd'hui appelée Césa­rée-sur-mer. C'est cette équivoque qui avait troublé le prophète.
  3. Le remords de ce crime aggrava la maladie d'Aristobule. Il se consumait, l'âme sans cesse rongée par la pensée de son meurtre. Enfin cette immense douleur déchirant ses entrailles, il se mit à vomir le sang en abondance ; 0r, comme un des pages de service enlevait ce sang, la Providence divine voulut qu'il trébuchât au lieu où Antigone avait été égorgé et qu'il répandit sur les traces encore visibles de l'assassinat le

 

 

 

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sang du meurtrier. Les assistants poussèrent une grande clameur, croyant que le page avait fait exprès de répandre là sa sanglante libation. Le roi entend ce bruit et en demande la cause, et comme personne n'ose répondre, il insiste d'autant plus pour savoir. Enfin ses menaces et la contrainte arrachent la vérité. Alors, ses veux se remplissent de larmes, il gémit avec le peu de force qui lui reste et dit : « Ainsi donc je ne devais pas réussir à soustraire mes actions coupables à l’œil puissant de Dieu, et me voici poursuivi par un prompt châtiment pour le meurtre de mon propre sang. Jusques a quand, corps impudent, retiendras-tu mon âme, due a la malédiction d'un frère et d'une mère ? Jusques à quand leur distil­lerai-je mon sang goutte à goutte ? Qu'ils le prennent donc tout entier et que Dieu cesse de les amuser en leur offrant en libation des parcelles de mes entrailles ». En disant ces mots, il expira soudain après un règne qui n'avait duré qu’un an[53].

IV

1. Avènement d'Alexandre Jannée. - 2-4. Premières guerres ; révolte des Juifs. - 5-6. Lutte contre Démétrius l’Intempestif. Atroces exécutions. - 7-8. Dernières guerres. Mort du roi.

1[54]. La veuve d’Aristobule[55] fit sortir de prison les

frères du roi et mit sur le trône l'un d'eux. Alexandre, qui paraissait l'emporter par l'âge et la modération du caractère. Mais a peine arrivé au pouvoir, Alexandre tua l'un de ses frères qui visait au trône; le survivant, qui aimait a vivre loin des affaires publiques, fut traité avec honneur.

2[56]. Il livra aussi bataille à Ptolémée Lathyre, qui avait

pris la ville d’Asochis ; il tua un grand nombre d'ennemis, mais la victoire resta du coté de Ptolémée. Quand celui-ci, poursuivi par sa mère Cléopâtre, s'en retourna en Égypte[57], Alexandre assiégea et prit

Gadara et Ama­thonte, la plus importante des

forteresses sises au-delà du Jourdain, et qui renfermait les trésors les plus précieux de Théodore, fils de Zénon.

 

 

 

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Mais Théodore, survenant à l'improviste, reprit ses biens, s'em­para aussi des bagages du roi et tua près de dix mille Juifs. Cepen­dant Alexandre ne se laissa pas ébranler par cet échec; il se tourna vers le littoral et y enleva Raphia, Gaza et Anthédon, ville qui reçut ensuite du roi Hérode le nom d'Agrippias.

3F58]. Après qu'il eut réduit ces villes en esclavage, les

Juifs se soulevèrent à l'occasion d'une fête car c'est surtout dans les réjouissances qu’éclatent chez eux les séditions. Le roi n'eût pas, ce semble, triomphé de la révolte, sans l'appui de ses mercenaires. Il les recrutait parmi les Pisidiens et les Ciliciens ; car il n'y admettait pas de Syriens, à cause de leur hostilité native contre son peuple. Il tua plus de six mille insurgés, puis s'attaqua à l'Arabie ; il y réduisit les pays de Galaad et de Moab, leur imposa un tribut et se tourna de nouveau contre Amathonte. Ses victoires frappèrent de terreur Théodore ; le roi trouva la place abandonnée et la démantela.

4. Il attaqua ensuite Obédas, roi d'Arabie, qui lui tendit une embuscade dans la Gaulanitide ; il y tomba et perdit toute son armée, jetée dans un profond ravin et écrasée sous la multitude des chameaux. Alexandre se sauva de sa personne à Jérusalem, et la gravité de son désastre excita a la révolte un peuple qui depuis longtemps le haïssait. Cette fois encore, il fut le plus fort dans une suite de combats, en six ans, il fit périr au moins cinquante mille Juifs. Ses victoires, qui ruinaient son royaume, ne lui causaient d'ailleurs aucune joie ; il posa donc les armes et recourut aux discours pour tacher de ramener ses sujets. Ceux-ci ne l'en haïrent que davantage pour son repentir et l'inconstance de sa conduite. Quand il voulut en savoir les motifs et demanda ce qu'il devait faire pour les apaiser :

« Mourir », lui répondirent-ils, et encore c'est à peine si, à ce prix, ils lui pardonneraient tout le mal qu'il leur avait fait. En même temps, ils invoquaient le secours de Démétrius surnommé l'Intempestif. L'espérance d'une plus haute fortune fit répondre ce prince avec empressement à leur appel ; il amena une armée, et les Juifs se joignirent à leurs alliés près de Sichem.

 

 

 

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5[59]. Alexandre les reçut à la tête de mille cavaliers et

de huit mille mercenaires à pied il avait encore autour de lui environ dix mille Juifs restés fidèles. Les troupes ennemies comprenaient trente mille cavaliers et quatorze mille fantassins[60]. Avant d’en venir aux mains, les

deux rois cherchèrent par des proclamations à débaucher réciproquement leurs adversaires : Démétrius espérait gagner les mercenaires d'Alexandre, Alexandre les Juifs du parti de Démétrius. Mais comme ni les Juifs ne renonçaient à leur ressentiment, ni les Grecs à la foi jurée, il fallut enfin trancher la question par les armes. Démétrius l'emporta, malgré les nombreuses marques de force d'âme et de corps que donnèrent les mercenaires d'Alexandre. Cependant l'issue finale du combat trompa l'un et l'autre prince. Car Démétrius, vainqueur, se vit abandonné de ceux qui l'avaient appelé : émus du changement de fortune d'Alexandre, six mille Juifs le rejoignirent dans les montagnes où il s’était réfugié. Devant ce revirement, jugeant que dès lors Alexandre était de nouveau en état de combattre et que tout le peuple retournait vers lui, Démétrius se retira.

6. Cependant, même après la retraite de ses alliés, le reste de la multitude ne voulut pas traiter : ils poursuivirent sans relâche la guerre contre Alexandre, qui enfin, après en avoir tué un très grand nombre, refoula les survivants dans la ville de Bémésélis[61] ; il

s'en empara et emmena les défenseurs enchaînés à Jérusalem. L'excès de sa fureur porta sa cruauté jusqu’au sacrilège. Il fit mettre en croix au milieu de la ville huit cents des captifs et égorger sous leurs yeux leurs femmes et leurs enfants ; lui-même contemplait ce spectacle en buvant, étendu parmi ses concubines. Le peuple fut saisi d'une teneur si forte que huit mille Juifs, de la faction hostile, s'enfuirent, la nuit suivante, du territoire de la Judée ; leur exil ne finit qu'avec la mort d'Alexandre. Quand il eut par de tels forfaits tardivement et à grand'peine assuré la tranquillité du royaume, il posa les armes.

7[62]. Son repos fut de nouveau troublé par les

 

 

 

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entreprises d'Antiochus, surnommé Dionysos, frère de Démétrius et le dernier des Séleucides. Comme ce prince partait en guerre contre les Arabes, Alexandre, effrayé de ce projet, tira un fossé profond entre les collines au-dessus d'Antipatris et la plage de Joppé ; devant le fossé il fit élever une haute muraille garnie de tours de bois, de manière à barrer le seul chemin praticable. Cependant il ne put arrêter Antiochus ; celui-ci incendia les tours, combla le fossé, et força le passage avec son armée ; toutefois ajournant la vengeance qu'il eût pu tirer de cette tentative d'obstruction, il s'avança à marches forcées contre les Arabes. Le roi des Arabes, se retirant d'abord vers des cantons plus favorables au combat, fit ensuite brusquement volte-face avec sa cavalerie, forte de dix mille chevaux, et tomba sur l'armée d'Antiochus en désordre. La bataille fut acharnée : tant qu’Antiochus vécut, ses troupes résistèrent, même sous les coups pressés des Arabes, qui les décimaient. Quand il tomba mort, après s’être exposé continuellement au premier rang pour soutenir ceux qui faiblissaient, la déroute devint générale. La plupart des Syriens succombèrent sur le champ de bataille ou dans la retraite les survivants se réfugièrent dans le bourg de Cana, mais, dépourvus de vivres, ils périrent, à l'exception d'un petit nombre.

8[63]. Sur ces entrefaites, les habitants de Damas, par

haine de Ptolémée, fils de Mennéos, appelèrent Arétas[64] et l'établirent roi de Cœlé-Syrie. Celui-ci fit

une expédition en Judée, remporta une victoire sur Alexandre et s'éloigna après avoir conclu un traité. De son côté, Alexandre s'empara de Pella et marcha contre Gerasa, convoitant de nouveau les trésors de Théodore. Il cerna les défenseurs par un triple retranchement et, sans combat, s'empara de la place. Il conquit encore Gaulana, Séleucie et le lieu dit « Ravin d'Antiochus » ; puis il s'empara de la forte citadelle de Gamala, dont il chassa[65] le gouverneur, Démétrius, objet de

nombreuses accusations. Enfin il revint en Judée, après une campagne de trois ans. Le peuple l'accueillit avec joie à cause de ses victoires ; mais la fin de ses guerres fut le commencement de sa maladie. Tourmenté par la fièvre quarte, on crut qu'il vaincrait le mal en reprenant

 

 

 

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le soin des affaires. C'est ainsi que, se livrant à d'inopportunes chevauchées, contraignant son corps à des efforts qui dépassaient ses forces, il hâta son dernier jour. Il mourut dans l'agitation et le tumulte des camps, après un règne de vingt-sept ansF66].

V

1-2. Avènement d'Alexandra. Domination des Pharisiens. - 3. Persécution des conseillers de Jannée. Politique étrangère. – 4. Révolte d'Aristobule. Mort d'Alexandra.

1F67]. Alexandre légua le royaume à sa femme

Alexandra, persuadé que les Juifs recevraient son autorité plus favorablement qu'aucune autre, parce que, très éloignée de sa cruauté, elle s'était opposée aux violences du roi, de manière à se concilier l'affection du peuple. Cet espoir ne fut pas trompé, et cette faible femme se maintint au pouvoir, grâce à sa réputation de piété. Elle observait, en effet, exactement, les traditions nationales et ôtait leur charge à ceux qui transgressaient les lois religieuses. Des deux fils qu'elle avait eus d'Alexandre, elle éleva l'aîné, Hyrcan, à la dignité de grand-prêtre, en considération de son âge, et aussi de son caractère, trop indolent pour s'immiscer dans les affaires d'État ; quant au cadet, Aristobule, tempérament bouillant, elle le retint dans une condition privée.

2. On vit collaborer à son gouvernement les Pharisiens, secte juive qui passe pour être la plus pieuse de toutes et pour interpréter les lois avec le plus d'exactitude. Alexandra leur accorda un crédit particulier dans son zèle passionné pour la divinité. Mais bientôt les Pharisiens s'insinuèrent dans l'esprit confiant de cette femme et gouvernèrent toutes les affaires du royaume, bannissant ou rappelant, mettant en liberté ou en prison selon ce qui leur semblait bon. D'une façon générale, les avantages de la royauté étaient pour eux, les dépenses et les dégoûts pour Alexandra. Elle était d'ailleurs habile à conduire les affaires les plus importantes ; par des levées de troupes continuelles elle parvint à doubler l'effectif de l'armée et recruta des troupes mercenaires en grand

 

 

 

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nombre, destinées non seulement à tenir en bride son propre peuple, mais encore a se faire craindre des princes étrangers. Cependant, Si elle était la maîtresse des autres, les Pharisiens étaient ses maîtres à leur tour.

  1. C'est ainsi qu'ils firent mourir un homme de marque, Diogène, qui avait été l'ami d'Alexandre ; ils l'accusaient d'avoir conseillé au roi la mise en croix des huit cents Juifs. Ils pressaient aussi Alexandra de frapper d'autres notables qui avaient excité le prince contre ces rebelles. Et comme elle cédait toujours, par crainte religieuse, ils tuaient ceux qu'ils voulaient. Les plus éminents des citoyens, ainsi menacés, cherchèrent un refuge auprès d'Aristobule. Celui-ci conseilla à sa mère d'épargner leur vie en considération de leur rang, mais de les bannir de la cité, si elle les croyait fautifs. Les suspects obtinrent ainsi la vie sauve et se dispersèrent dans le pays[68].

Cependant Alexandra envoya une armée à Damas, sous prétexte que Ptolémée continuait à pressurer la ville ; l’expédition revint sans avoir rien accompli de remarquable. D'autre part, elle gagna par une convention et des présents. Tigrane, roi d'Arménie, qui campait avec ses troupes devant Ptolémaïs et y assiégeait Cléopâtre[69]. Il se hâta de partir, rappelé par

les troubles de son royaume, où Lucullus venait de faire invasion.

  1. Sur ces entrefaites Alexandra tomba malade, et Aristobule, le plus jeune de ses fils, saisit l'occasion avec ses amis, qui étaient nombreux et tout dévoués à sa personne, en raison de son naturel ardent. Il s'empara de toutes les places-fortes et, avec l’argent qu'il y trouva, recruta des mercenaires et se proclama roi. Les plaintes d’Hyrcan émurent la compassion de sa mère, qui enferma la femme et les fils d’Aristobule dans la tour Antonia ; c'était une citadelle adjacente au flanc nord du temple, nommée autrefois Baris ; comme je l'ai déjà dit[70], et qui changea de nom au temps de la

suprématie d'Antoine, comme Auguste Sébastos et Agrippa donnèrent leur nom aux villes de Sébasté et d'Agrippias. Cependant avant d'avoir eu le temps de faire expier à Aristobule la déposition de son frère, Alexandra

 

 

 

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mourut après un règne de neufs années[71]. VI

1. Hyrcan II abdique en faveur d’Aristobule II. - 2-3. Antipater et Arétas cherchent à rétablir Hyrcan. Intervention de Scaurus . - 4-6. Négociations des deux frères avec Pompée. Sa marche sur Jérusalem.

1[72]. Hyrcan était l'héritier universel de sa mère, qui lui

avait même de son vivant remis le sceptre ; mais il était bien inférieur à Aristobule par la capacité et le courage. Dans la bataille livrée à Jéricho pour décider de l'empire, Hyrcan fut abandonné par la plupart de ses soldats, qui passèrent du côté d'Aristobule ; avec ceux qui lui restèrent il courrut chercher un refuge dans la tour Antonia. Il y trouva de précieux otages de son salut, la femme et les et les enfants d’Aristobule ; mais avant d'en venir à des maux irréparables, les deux frères se réconcilièrent à condition qu'Aristobule exercerait la royauté, et que Hyrcan renonçant au pouvoir jouirait des honneurs dus au frère du roi. Cet accord se fit dans le Temple, en présence du peuple ; ils s'embrassèrent affectueusement et échangèrent leurs demeures ; Aristobule s'établit au palais, et Hyrcan dans la maison d'Aristobule.

2[73]. Tous les adversaires d'Aristobule furent frappés de

crainte devant son triomphe inattendu, mais surtout Antipater, qu'une haine profonde séparait de lui depuis longtemps. Iduméen de naissance, l'éclat de ses ancêtres, ses richesses et d'autres avantages lui donnaient le premier rang dans sa nation. Il persuada Hyrcan de chercher un refuge auprès du roi d'Arabie, Arétas, pour revendiquer ensuite le pouvoir ; en même temps il pressa Arétas d'accueillir Hyrcan et de le rétablir sur le trône ; sans cesse il dénigrait le caractère d'Aristobule et lui faisait l'éloge d'Hyrcan ; ne convenait-il pas au souverain d'un si brillant royaume de prendre en main la défense des opprimés ? or, c’était bien un opprimé, puisqu'il était dépouillé d'un trône que lui conférait son droit d'aînesse. Après avoir ainsi travaillé

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

l'un et l'autre, Antipater, une nuit, enlève Hyrcan de Jérusalem et s'évade avec lui ; courant sans relâche, il parvient jusqu'à la ville de Pétra, capitale du royaume d'Arabie. Là, il remet Hyrcan aux mains d'Arétas et, à force de prières et de présents, il gagne ce prince et le décide à fournir les forces nécessaires pour rétablir Hyrcan. Arétas arma, tant fantassins que cavaliers, cinquante mille hommes[74]. Aristobule ne put résister ;

vaincu dès la première rencontre, il s’enferma dans Jérusalem. La ville allait être emportée de vive force, lorsque Scaurus, général romain, survenant dans cette situation critique, fit lever le siège. Envoyé d'Arabie en Syrie par le grand Pompée, qui était alors en guerre avec Tigrane, il avait atteint Damas, où il trouva Metellus et Lollius qui venaient de s'en emparer[75], il les fit partir,

et, apprenant les événements de Judée, se rendit en toute hâte dans ce pays pour profiter d'une telle aubaine.

3. Quand il fut arrivé sur le territoire juif, les deux frères lui adressèrent aussitôt des députés, chacun d'eux implorant son secours. Trois cents talents[76], offerts

par Aristobule, l’emportèrent sur la justice ; à peine Scaurus les eut-il reçus qu’il envoya un héraut à Hyrcan et aux Arabes, les menaçant, s’ils ne levaient pas le siège, de la colères des Romains et de Pompée. Arétas, frappé de terreur, évacua la Judée et se retira à Philadelphie, pendant que Scaurus retournait à Damas. Aristobule, non content de son propre salut, ramassa toutes ses troupes, poursuivit les ennemis, les attaqua non loin du lieu dit Papyrôn, et en tua plus de six mille ; parmi les morts se trouvait le frère d'Antipater, Phallion.

4[77]. Privés du secours des Arabes, Hyrcan et Antipater

tournèrent leurs espérances du côté opposé. Quand Pompée, abordant la Syrie, fut arrivé à Damas[78], ils

cherchèrent un refuge auprès de lui ; outre des

présents[79], ils apportaient encore pour leur défense les

mêmes raisons dont ils s'étaient servis auprès d’Arétas, suppliant Pompée de détester la violence d'Aristobule et de ramener sur le trône celui que son caractère et son âge en rendaient digne. Cependant Aristobule ne montra

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

pas moins d'empressement ; le succès de ses dons à Scaurus lui donnait confiance, et il parut devant Pompée dans l'appareil le plus magnifiquement royal. Toutefois, méprisant la bassesse et ne souffrant pas de se laisser imposer, même par intérêt, une servilité indigne de son rang, il partit brusquement de la ville de Dion[80].

  1. Irrité de cette conduite et cédant aux supplications d'Hyrcan et de ses amis, Pompée marcha en hâte contre Aristobule, prenant avec lui les troupes romaines et un fort contingent d'auxiliaires syriens. Il avait dépassé Pella et Scythopolis et atteint Corées, où commence le territoire de Judée pour ceux qui se dirigent vers l'intérieur, lorsqu'il apprit qu'Aristobule s'était enfui à Alexandrion, place somptueusement fortifiée et située sur une haute montagne ; il lui envoya par des messagers l'ordre d'en descendre. Aristobule, devant cette invitation trop impérieuse, était disposé à risquer le combat plutôt que d'obéir, mais il voyait la multitude effarée, ses amis le pressaient de considérer la puissance invincible des Romains. Il se laissa persuader et descendit auprès de Pompée ; puis, après avoir justifié longuement devant lui son titre royal, il remonta dans son château. Il en sortît une seconde fois sur l'invitation de son frère, plaida sa cause contradictoirement avec lui, puis repartit sans que Pompée y mît obstacle. Balancé entre l'espérance et la crainte, tantôt il descendait dans l'espoir d'émouvoir Pompée et de le décider à lui livrer le pouvoir, tantôt il remontait dans sa citadelle, craignant de ruiner son propre prestige. Enfin Pompée lui intima l'ordre d'évacuer ses forteresses, et comme il savait qu'Aristobule avait enjoint aux gouverneurs de n'obéir qu'a des instructions écrites de sa main, il le contraignit de signifier à chacun d'eux un ordre d'évacuation ; Aristobule exécuta ce qui lui était prescrit, mais, pris d'indignation, il se retira a Jérusalem pour préparer la guerre contre Pompée.
  2. Alors celui-ci, sans lui laisser de temps pour ses préparatifs, le suivit à la piste. Ce qui hâta encore plus sa marche, ce fut la nouvelle de la mort de Mithridate ; il l'apprit près de Jéricho, la contrée la plus fertile de toute la Judée, qui produit en abondance le palmier et le

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

baumier ; pour recueillir le baume, on pratique dans les troncs avec des pierres tranchantes des incisions qui le laissent distiller goutte à goutte. Après avoir campé dans cette localité une seule nuit, Pompée dès l'aurore s'avança rapidement contre Jérusalem. Epouvanté à son approche, Aristobule se présente en suppliant, et par la promesse qu'il lui fait de livrer la ville et sa propre personne, il adoucit la colère de Pompée. Cependant il ne put exécuter aucun de ses engagements, car lorsque Gabinius, envoyé pour prendre livraison de l'argent, se présenta, les partisans d'Aristobule refusèrent même de l'admettre dans la ville.

VII

1-3. Siège de Jérusa1em par Pompée. - 4-6. Prise du Temple et massacres. Hyrcan redevient grand-prêtre. La Judée tributaire. - 7. Distribution des territoires enlevés aux Juifs. Aristobule emmené captif à Rome.

1[81]. Indigné de ces procédés, Pompée retint sous

bonne garde Aristobule et se dirigea vers la ville pour

examiner de quel côté il pouvait l'attaquer. Il observa que la solidité des murailles les rendait inabordables,

qu'elles étaient précédées d’un ravin d'une profondeur effrayante, que le Temple ceint par ce ravin était lui-même très solidement fortifié et pouvait fournir, après la prise de la ville, une seconde ligne de défense aux ennemis.

2. Pendant que son indécision se prolongeait, la sédition éclata dans Jérusalem ; les partisans d'Aristobule voulaient combattre et délivrer le roi, ceux d'Hyrcan conseillaient d'ouvrir les portes à Pompée ; ce dernier parti était grossi par la crainte qu'inspirait le bel ordre de l'armée romaine. Le parti d'Aristobule, ayant le dessous, se retira dans le Temple, coupa le pont qui le joignait à la ville et se prépara à lutter jusqu'au dernier souffle. Le reste de la population reçut les Romains dans la ville et leur livra le palais royal. Pompée envoya des troupes pour l'occuper, sous la conduite d'un de ses lieutenants, Pison ; celui-ci distribua des postes dans la

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

ville, et comme il ne put, par ses discours, amener à composition aucun de ceux qui s'étaient réfugiés dans le Temple, il disposa pour l'attaque tous les lieux d'alentour ; dans ce travail Hyrcan et ses amis l'assistèrent avec zèle de leurs conseils et de leurs bras.

  1. Pompée lui-même combla sur le flanc Nord le fossé et tout le ravin, en faisant apporter des matériaux par l'armée. Il était difficile de remplir cette immense profondeur, d'autant plus que les Juifs, du haut du Temple, s'efforçaient par tous les moyens d'écarter les travailleurs. Les efforts des Romains fussent restés infructueux, si Pompée n'avait profité du septième jour de la semaine, ou, par religion, les Juifs s’abstiennent de tout travail manuel ; il parvint ainsi à élever le remblai, en interdisant cependant aux soldats tout acte d'hostilité ouverte, car le jour dit Sabbat, les Juifs ont le droit de défendre leur vie, mais rien de plus. Le ravin une fois comblé, Pompée dressa sur le remblai de hautes tours, fit avancer les machines amenées de Tyr, et les essaya contre les murailles. Des balistes faisaient reculer ceux qui d'en haut s'opposaient aux progrès des Romains. Cependant les tours des assiégés, qui étaient, dans ce secteur, d'une grandeur et d'un travail remarquables, résistèrent très longtemps.
  2. Pendant que les Romains supportaient des fatigues épuisantes, Pompée eut occasion d'admirer en général l'endurance des Juifs et surtout la constance avec laquelle ils ne négligeaient aucun détail du culte, même enveloppés d'une grêle de traits. Comme si une paix profonde régnait dans la cité, les sacrifices, les purifications de chaque jour, tous les détails du culte s'accomplissaient exactement en l'honneur de Dieu ;i le jour même de la prise du Temple, quand on les massacrait auprès de l'autel, les Juifs n'interrompirent pas les cérémonies journalières prescrites par la loi. Ce fut le troisième mois du siège[82] que les Romains, ayant

réussi à grand’peine à renverser une des tours, s'élancèrent dans le Temple. Le premier qui osa franchir le mur fut le fils de Sylla, Faustus Cornelius ; après lui vinrent deux centurions, Furius et Fabius. Suivis chacun de leur troupe, ils cernèrent de toutes parts les

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Juifs et les taillèrent en pièces, soit qu'ils cherchassent

un refuge dans l'enceinte sacrée, soit qu'ils opposassent quelque résistance.

  1. Alors bon nombre de prêtres, voyant les ennemis s'élancer le glaive à ta main, demeurèrent impassibles dans l'exercice de leur ministère et se laissèrent égorger, tandis qu'ils offraient les libations et l'encens ; ils mettaient ainsi le culte de la divinité au-dessus de leur propre salut. La plupart furent massacrés par leurs concitoyens de la faction adverse ou se jetèrent en foule dans les précipices ; quelques-uns, se voyant perdus sans ressources, brûlèrent dans leur fureur les constructions voisines de l'enceinte et s'abîmèrent dans les flammes. Il périt en tout douze mille Juifs; les Romains eurent très peu de morts, mais un assez grand nombre de blessés.
  2. Dans ce déluge de calamités, rien n'affligea aussi vivement la nation que de voir dévoilé au regard des étrangers le lieu saint, jusque-là invisible. Pompée entra, en effet, avec sa suite dans le sanctuaire, dans la partie ou seul le grand-prêtre avait le droit de pénétrer ; il y contempla les objets sacrés : le candélabre, les lampes, la table, les vases à libations, les encensoirs, le tout en or massif, quantité d'aromates accumulés et le trésor sacré, riche d'environ deux mille talents. Cependant il ne toucha ni ces objets ni rien autre du mobilier sacré, et, le lendemain de la prise du Temple, il ordonna aux gardiens de purifier l'enceinte sacrée et de recommencer les sacrifices accoutumés. Il réintégra Hyrcan dans ses fonctions de grand-prêtre, parce qu'il lui avait témoigné beaucoup de zèle pendant le siège et surtout avait détaché nombre d'habitants de la campagne, qui désiraient prendre les armes pour Aristobule ; grâce a cette conduite digne d'un sage général, il gagna le peuple. par la bienveillance plutôt que par la terreur. Parmi les prisonniers se trouvait le beau-père d'Aristobule, qui était en même temps son oncle[83].

Ceux des captifs qui avaient le plus activement favorisé la guerre furent condamnés à périr sous la hache. Faustus et ceux qui s'étaient avec lui distingués par leur valeur obtinrent de brillantes récompenses ; le pays et

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Jérusalem furent frappés d'un tribut.

7. Pompée enleva aux Juifs toutes les villes de Cœlé-Syrie que ce peuple avait conquises, plaça ces villes sous l'autorité du gouverneur romain préposé à cette région, et renferma ainsi les Juifs dans leurs propres limites. Il releva de ses ruines la ville de Gadara, détruite par les Juifs, pour complaire à l'un de ses affranchis, Démétrius, qui était de Gadara. Il affranchit aussi du joug des Juifs les villes de l'intérieur, qu'ils n'avaient pas eu le temps de ruiner, Hippos, Scythopolis, PellaF84],

Samarie, Marissa, puis encore Azotos, Jamnée, Aréthuse, et, sur le littoral, Gaza, Joppé, Dora, et la ville qu'on appelait jadis Tour de Straton et qui, plus tard, réédifiée et ornée de constructions splendides par Hérode, prit le nom nouveau de Césarée. Toutes ces villes, restituées à leurs légitimes habitants, furent rattachées à la province de Syrie. Il la confia, avec la Judée et tout le pays jusqu'à l'Égypte et l'Euphrate, à l’administration de Scaurus, qui commanda deux

légions ; lui-même se hâta vers Rome à travers la Cilicie, emmenant prisonniers Aristobule et sa famille. Ce prince avait deux filles et deux fils, dont l'aîné, Alexandre, s'évada en route ; le cadet, Antigone, et ses sœurs furent conduits à Rome.

VIII

1. Scaurus contre Arétas. - 2-5, Gouvernement de Gabinius. Révolte et défaite d'Alexandre. Constitution aristocratique octroyée à la Judée. - 6. Révolte et défaite d'Aristobule. - - 7. Nouvelle tentative d'Alexandre. – 8-9. Crassus et Cassius. Pillage du Temple. Puissance d'Antipater.

1F85]. Cependant Scaurus avait envahi l'Arabie. Les

difficultés du terrain le firent échouer devant Pétra ; il se mit alors à ravager le territoire environnant, mais il en résulta pour lui de nouvelles et graves souffrances, car son armée fut réduite à la disette. Hyrcan la soulagea, en faisant amené des vivres par Antipater. Comme celui-ci avait des relations d'amitié avec Arétas, Scaurus l'envoya

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

auprès de ce roi pour le décider à acheter la paix.

L'Arabe se laissa persuader : il donna trois cents talents à ces conditions, Scaurus évacua l'Arabie avec son armée.

2[86]. Alexandre, celui des fils d'Aristobule qui s'était

échappé des mains de Pompée, avait peu a peu rassemblé des troupes considérables et causait de graves ennuis à Hyrcan en parcourant la Judée. On pouvait croire qu'il renverserait bientôt ce prince ; déjà même, s'approchant de la capitale, il poussait la hardiesse jusqu'a vouloir relever les murs de Jérusalem détruits par Pompée[87]. Heureusement Gabinius, envoyé en

Syrie comme successeur de Scaurus[88], se distingua

par divers actes d'énergie et marcha contre Alexandre. Celui-ci, pris de crainte à son approche, réunit une grosse armée - dix mille fantassins et quinze cents cavaliers - et fortifia les places avantageusement situées d'Alexandreion, d'Hyrcaneion et de Machérous, près des montagnes d'Arabie.

  1. Gabinius lança en avant Marc Antoine avec une partie de son armée ; lui-même suivit avec le gros. Le corps d'élite que conduisait Antipater et le reste des troupes juives sous Malichos et Pitholaos firent leur jonction avec les lieutenants de Marc Antoine ; tous marchèrent ensemble à la rencontre d'Alexandre. Peu de temps après survint Gabinius lui-même avec la lourde infanterie. Sans attendre le choc de toutes ces forces réunies, Alexandre recula ; il approchait de Jérusalem quand il fut forcé d'accepter le combat ; il perdit dans la bataille six mille hommes, dont trois mille morts et trois mille prisonniers, et s'enfuit avec le reste à Alexandreion.
  2. Gabinius le poursuivit jusqu'a cette place. Il trouva un grand nombre de soldats campés devant les murs ; il leur promit le pardon, essayant de les gagner avant le combat. Mais comme leur fierté repoussait tout accommodement, Gabinius en tua beaucoup et rejeta le reste dans la forteresse. Ce fut dans ce combat que se distingua le général Marc Antoine ; il montra toujours et partout sa valeur, mais jamais elle ne fut si éclatante.

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

Laissant un détachement pour réduire la garnison, Gabinius parcourut lui-même la contrée, réorganisant les villes qui n'avaient pas été dévastées, relevant celles qu'il trouva en ruines. Ainsi se repeuplèrent, d'après ses ordres, Scythopolis, (Samarie), Anthédon, Apollonia, Jamnée, Raphia, Marisa, Adoréos[89], Gamala, Azotos,

et d'autres encore ; partout les colons affluaient avec empressement.

5. Cette opération terminée, Gabinius revint contre Alexandreion et pressa le siège avec tant de vigueur qu'Alexandre, désespérant du succès, lui envoya un héraut : il demandait le pardon de ses fautes et livrait les places qui lui restaient, Hyrcancion et Machérous ; enfin il remit Alexandreion même. Gabinius, sur les conseils de la mère d'Alexandre, détruisit de fond en comble toutes ces places, pour qu'elles ne pussent servir de base d'opération dans une nouvelle guerre. Cette princesse demeurait auprès de Gabinius, qu'elle cherchait à se concilier par sa douceur, craignant pour les prisonniers de Rome, son époux et ses autres enfants. Ensuite Gabinius ramena Hyrcan a Jérusalem, lui confia la garde du Temple et remit le reste du gouvernement entre les mains des grands. Il divisa tout le pays en cinq ressorts dont les sénats[90] devaient siéger

respectivement à Jérusalem, à Gazara, à Amathonte, à Jéricho, et à Sepphoris, ville de Galilée. Les Juifs, délivrés de la domination d'un seul, accueillirent avec joie le gouvernement aristocratique.

6[91]. Peu de temps après, Aristobule lui-même

s'échappa de Rome et suscita de nouveaux troubles. Il rassembla un grand nombre de Juifs, les uns avides de changement, les autres depuis longtemps dévoués à sa personne. Il s'empara d'abord d'Alexandreion et commençait à en relever les murs, quand Gabinius envoya contre lui une armée commandée par Sisenna, Antoine et Servilius[92] ; à cette nouvelle, il se réfugia à

Machérous, renvoya la foule des gens inutiles et ne retint que les hommes armés au nombre de huit mille environ ; parmi eux se trouvait Pitholaos, qui commandait en second a Jérusalem et avait fait défection avec mille

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

hommes. Les Romains le suivirent à la piste. Dans la bataille qui se livra, les soldats d'Aristobule résistèrent longtemps et combattirent avec courage ; mais enfin, ils furent enfoncés par les Romains : cinq mille hommes tombèrent, deux mille environ se réfugièrent sur une éminence ; les mille qui restaient, conduits par Aristobule, se frayèrent un chemin à travers l'infanterie romaine et se jetèrent dans Machérous. Le roi campa le premier soir sur les ruines de cette ville, nourrissant l'espoir de rassembler une autre armée, si la guerre lui en laissait le temps, et élevant autour de la place de méchantes fortifications ; mais quand les Romains l'attaquèrent, après' avoir résisté pendant deux jours au-delà de ses forces, il fut pris. On l'amena, chargé de fers, auprès de Gabinius, avec son fils Antigone qui s'était enfui de Rome avec lui. Gabinius le renvoya de nouveau à Rome. Le Sénat retint Aristobule en prison, mais laissa rentrer ses enfants en Judée, car Gabinius expliqua dans ses lettres qu’il avait accordé cette faveur à la femme d'Aristobule en échange de la remise des places-fortes[93].

7[94]. Gomme Gabinius allait entreprendre une

expédition contre les Parthes, il fut arrêté dans ce dessein par Ptolémée[95]. Des bords de l'Euphrate; il

descendit vers l'Egypte. Il trouva, pendant cette campagne, auprès d'Hyrcan et d'Antipater toute l'assistance nécessaire. Argent, armes, blé, auxiliaires, Antipater lui fit tout parvenir ; il lui gagna aussi les juifs de cette région, qui gardaient les abords de Péluse, et leur persuada de livrer passage aux Romains. Cependant le reste de la Syrie profita du départ de Gabinius pour s’agiter. Alexandre, fils d'Aristobule, souleva de nouveau les juifs ; il leva une armée très considérable et fit mine de massacrer tous les Romains du pays. Ces événements inquiétèrent Gabinius, qui, à la nouvelle des troubles, s'était hâté de revenir d'Égypte : il envoya Antipater auprès de quelques-uns des mutins et les fit rentrer dans le devoir. Mais il en resta trente mille avec Alexandre, qui brûlait de combattre. Gabinius marcha donc au combat ; les Juifs vinrent à sa rencontre, et la bataille eut lieu près du mont Itabyrion ; dix mille Juifs périrent, le reste se débanda. Gabinius retourna à

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Jérusalem et y réorganisa le gouvernement sur les conseils d’Antipater. De là il partit contre les Nabatéens qu'il vainquit en bataille rangée ; il renvoya aussi secrètement deux exilés Parthes, Mithridate et Orsanès, qui s'étaient réfugiés auprès de lui, tout en déclarant devant les soldats qu'ils s'étaient évadés[96].

8[97]. Cependant Crassus vint pour lui succéder dans le

gouvernement de la Syrie. Avant d'entreprendre son expédition contre les Parthes, il mit la main sur l'or que renfermait le Temple de Jérusalem et emporta méme les deux mille talents auxquels Pompée n'avait pas touché. Il franchit l'Euphrate et périt avec toute son armée ; mais ce n'est pas le lieu de raconter ces événements.

9. Après la mort de Crassus, les Parthes s'élançaient pour envahir la Syrie mais Cassius, qui s'était réfugié dans cette province, les repoussa. Ayant ainsi sauvé la Syrie, il marcha rapidement contre les Juifs, prit Tarichées, où il réduisit trente mille Juifs en esclavage, et mit à mort Pitholaos, qui cherchait à réunir les partisans d'Aristobule : c'est Antipater qui lui conseilla cette exécution. Antipater avait épousé Kypros, femme d'une noble famille d'Arabie ; quatre fils naquirent de ce mariage - Phasaël, Hérode, qui fut roi, Joseph, Phéroras - et une fille, Salomé. Il s'était attaché les puissants de partout par les liens de l'amitié et de l'hospitalité ; il avait gagné surtout la faveur du roi des Arabes, par son alliance matrimoniale, et c'est à lui qu'il confia ses enfants quand il engagea la guerre contre Aristobule. Cassius, après avoir contraint par un traité Alexandre à se tenir en repos, se dirigea vers l'Euphrate pour empêcher les Parthes de franchir le fleuve ; ce sont des évènements dont nous parlerons ailleurs[98].

IX

1-2. Mort d'Aristobule et d'Alexandre. - 3-5. Services rendus par Antipater à César en Égypte.

1[99]. Quand Pompée se fut enfui avec le sénat romain au-delà de la mer Ionienne[100], César, maître de Rome

 

 

 

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et de l'Empire mit en liberté Aristobule. Il lui confia deux légions et le dépêcha en Syrie, espérant, par son moyen, s'attacher facilement cette province et la Judée. Mais la haine prévint le zèle d'Aristobule et les espérances de César. Empoisonné par les amis de Pompée, Aristobule resta, pendant longtemps, privé de la sépulture dans la terre natale. Son cadavre fut conservé dans du miel, jusqu'au jour où Antoine l'envoya aux Juifs pour être enseveli dan s le monument de ses pères.

2. Son fils Alexandre péril aussi à cette époque : Scipion[101] le fit décapité à Antioche, sur l'ordre de

Pompée, après l'avoir fait accuser devant son tribunal pour les torts qu'il avait causés aux Romains. Le frère et les sœurs d'Alexandre reçurent l'hospitalité de Ptolémée, fils de Mennæos, prince de Chalcis dans le Liban. Ptolémée leur avait envoyé à Ascalon son fils Philippion, ci celui-ci réussit à enlever à la femme d'Aristobule, Antigone et les princesses, qu'il ramena auprès de son père. Épris de la cadette, Philippion l'épousa, mais ensuite son père le tua pour cette même princesse Alexandra, qu'il épousa à son tour. Depuis ce mariage il témoigna au frère et à la sœur beaucoup de sollicitude.

3[102]. Antipater, après la mort de Pompée[103],

changea de parti et fit la cour à César. Quand Mithridate de Pergame, conduisant une armée en Égypte, se vit barrer le passage de Péluse et dut s'arrêter à Ascalon, Antipater persuada aux Arabes dont il était l'hôte de lui prêter assistance ; lui-même rejoignit Mithridate avec trois mille fantassins juifs armés. Il persuada aussi les personnages les plus puissants de Syrie de seconder Mithridate, à savoir[104] Ptolémée du Liban et

Jamblique. Par leur influence les villes de la région contribuèrent avec ardeur a cette guerre. Mithridate, puisant une nouvelle confiance dans les forces amenées par Antipater, marcha sur Péluse et, comme on refusait de le laisser passer, assiégea la ville. A l'assaut, Antipater s'acquit une gloire éclatante ; car il fit une brèche dans la partie de la muraille en face de lui et, suivi de ses soldats, s'élança le premier dans la place.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. C'est ainsi que Péluse fut prise. L'armée, en continuant sa marche, fut encore arrêtée par les Juifs égyptiens qui habitaient le territoire dit d'Onias. Cependant Antipater sut les persuader, non seulement de ne faire aucune résistance, mais encore de fournir des subsistances à l'armée. Dès lors ceux de Memphis[105] ne résistèrent pas davantage et se

joignirent de leur plein gré à Mithridate. Celui-ci, qui avait fait le tour du Delta, engagea le combat contre le reste des Égyptiens au lieu appelé « camp des Juifs ». Dans cet engagement, il courait de grands risques avec toute son aile droite, quand Antipater, en longeant le fleuve, vint le dégager ; car celui-ci, avec l'aile gauche, avait battu les ennemis qui lui étaient opposés ; tombant alors sur ceux qui poursuivaient Mithridate, il en tua un grand nombre et poussa si vivement le reste qu'il s'empara de leur camp. Il ne perdit que quatre-vingts[106] des siens ; Mithridate dans sa déroute en

avait perdu huit cents. Sauvé contre son espérance,

Mithridate porta auprès de César un témoignage sincère de la brillante valeur d’Antipater.

  1. César, par ses louanges et par ses promesses, stimula Antipater à courir de nouveaux dangers pour son service. Il s'y montra le plus hardi des soldats, et, souvent blessé, portait presque sur tout son corps les marques de son courage. Puis, quand César eut mis ordre aux affaires d'Égypte et regagna la Syrie, il honora Antipater du titre de citoyen romain et de l'exemption d'impôts. Il le combla aussi de témoignages d'honneur et de bienveillance, qui firent de lui un objet d'envie ; c'est aussi pour lui complaire que César confirma Hyrcan dans sa charge de grand-prêtre.

X

1-3. Plaintes d'Antigone contre Antipater ; César décide en faveur de ce dernier. - 4. Antipater gouverne la Judée sous le nom d'Hyrcan. - 5-9. Exploits, procès, exil et retour d'Hérode. - 10. Guerre d'Apamée.

4[107]. Vers le même temps se présenta devant César

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Antigone, fils d'Aristobule, et son intervention eut pour effet inattendu d'avancer la fortune d'Antipater. Antigone aurait dû se contenter de pleurer sur la mort de son père, empoisonné, semble-t-il, à cause de ses dissentiments avec Pompée, et de flétrir la cruauté de Scipion envers son frère, sans mêler à ses plaintes aucun sentiment de haine. Loin de là, il osa encore venir en personne accuser Hyrcan et Antipater : ils l'avaient, disait-il, au mépris de tout droit, chassé, lui, ses frères et sœurs, de toute leur terre natale ; ils avaient, dans leur insolence, accablé le peuple d'injustices ; s'ils avaient envoyé des secours en Égypte, ce n'était pas par bienveillance pour César, mais par crainte de voir renaître de vieilles querelles et pour se faire pardonner leur amitié envers Pompée.

  1. En réponse, Antipater, arrachant ses vêtements. montra ses nombreuses cicatrices. « Son affection pour César, dit-il, point n'est besoin de la prouver par des paroles ; tout son corps la crie, gardât-il il le silence. Mais l'audace d'Antigone le stupéfait. Quoi ! le fils d'un ennemi des Romains, d'un fugitif de Rome, lui qui a hérité de son père l’esprit de révolution et de sédition, ose accuser les autres devant le général romain et s'efforce d'en obtenir quelque avantage, quand il devrait s'estimer heureux d'avoir la vie sauve ! D'ailleurs, s'il recherche le trône, ce n'est pas le besoin qui l'y pousse ; ce qu'il désire plutôt, c'est de pouvoir, présent de sa personne, semer la sédition parmi les Juifs et user de ses ressources contre ceux qui les lui ont fournies ».
  2. Après avoir entendu ce débat, César déclara qu'Hyrcan méritait mieux que tout autre le grand pontificat et laissa à Antipater le droit de choisir la dignité qu'il voudrait. Celui-ci déclara s'en rapporter à son bienfaiteur du soin de fixer l'étendue du bienfait ; il fut alors nommé procurateur de toute la Judée. Il obtint de plus l'autorisation de d'élever les murailles détruites de sa patrie. César expédia ces décisions à Rome pour être gravées au Capitole comme un monument de sa propre justice et du mérite d'Antipater.

4F108]. Antipater, après avoir accompagné César

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

jusqu'aux frontières de Syrie, revint à Jérusalem. Son premier soin fut de relever les murs de la capitale, que Pompée avait abattus, et de parcourir le pays pour apaiser les troubles, usant tour a tour de menaces et de conseils. En s'attachant à Hyrcan, disait-il, ils vivront dans l'abondance et dans la tranquillité et jouiront de leurs biens au sein de la paix commune ; s'ils se laissent, au contraire, séduire par les vaines promesses de gens qui, dans l'espoir d'un avantage personnel, trament des changements, ils trouveront dans Antipater un maître au lieu d'un protecteur, dans Hyrcan un tyran au lieu d'un roi, dans les Romains et dans César des ennemis au lieu de chefs et d'amis ; car ceux-ci ne laisseront pas chasser du pouvoir celui qu'ils y ont eux-mêmes installé. En même temps, il s'occupa lui-même d'organiser le pays car il ne voyait chez Hyrcan qu'inertie et faiblesse indignes d'un roi[109]. Il donna à son fils

aîné Phasaël le gouvernement de Jérusalem et des alentours ; il envoya Hérode, le second, avec des

pouvoirs égaux en Galilée, malgré son extrême jeunesse.

  1. Hérode, doué d'un naturel entreprenant, trouva bientôt matière à son énergie. Un certain Ezéchias, chef de brigands, parcourait à la tète d'une grosse troupe les confins de la Syrie ; Hérode s'empara de sa personne et le mit à mort avec un bon nombre de ses brigands. Ce succès fit le plus grand plaisir aux Syriens. Dans les bourgs, dans les villes, les chansons célébraient Hérode comme celui qui assurait par sa présence la paix et leurs biens. Cet exploit le fit aussi connaître à Sextus César, parent du grand César et gouverneur de Syrie. Phasaël, de son côté, par une noble émulation, rivalisait avec le bon renom de son frère ; il sut se concilier la faveur des habitants de Jérusalem et gouverner en maître la ville sans commettre aucun excès fâcheux d'autorité. Aussi le peuple courtisait Antipater comme un roi : tous lui rendaient des honneurs comme s'il eût été le maître absolu ; cependant il ne se départit jamais de l'affection ni de la fidélité qu'il devait à Hyrcan.
  2. Mais il est impossible dans la prospérité d'éviter l'envie. Déjà Hyrcan se sentait secrètement mordu par la gloire de ces jeunes gens ; c'étaient surtout les succès

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

d'Hérode qui l'irritaient, c'étaient les messagers se succédant sans relâche pour raconter ses hauts faits. Il ne manquait pas non plus de médisants à la cour, pour exciter les soupçons du prince, gens qui avaient trouvé un obstacle dans la sagesse d'Antipater ou de ses fils. Hyrcan, disaient-ils, avait abandonné à Antipater et à ses fils la conduite des affaires ; lui-même restait inactif, ne gardant que le titre de roi sans pouvoir effectif. Jusqu'à quand persévérerait il dans son erreur de nourrir des rois contre lui ? Déjà ses ministres ne se contentent plus du masque de procurateurs ; ils se déclarent ouvertement les maîtres, ils le mettent entièrement de côté, puisque, sans avoir reçu ni ordre ni message d'Hyrcan, Hérode a, au mépris de la loi juive, fait mourir un si grand nombre de personnes ; s'il n'est pas roi, s'il est encore simple particulier, Hérode doit comparaître en justice et se justifier devant le prince et les lois nationales, qui interdisent de tuer un homme sans jugement.

  1. Ces paroles peu à peu enflammaient Hyrcan ; sa colère finit par éclater, et il cita Hérode en justice. Celui-ci, fort des conseils de son père et s'appuyant sur sa propre conduite, se présenta devant le tribunal, après avoir préalablement mis bonne garnison en Galilée. Il marchait suivi d'une escorte suffisante, calculée de manière à éviter d’une part l’apparence de couloir renverser Hyrcan avec des forces considérables, et d’autre part le danger de se livrer sans défense a l'envie. Cependant Sextus César, craignant que le jeune homme, pris par ses ennemis, n’éprouvât quelque malheur, manda expressément à Hyrcan qu'il eut à absoudre Hérode de l'accusation de meurtre. Hyrcan, qui d'ailleurs inclinait à cette solution, car il aimait Hérode, rendit une sentence conforme[110].
  2. Cependant Hérode, estimant que c'était malgré le roi qu'il avait évité la condamnation, se retira à Damas auprès de Sextus et se mit en mesure de répondre à une nouvelle citation. Les méchants continuaient à exciter Hyrcan, disant qu'Hérode avait fui par colère et qu’il machinait quelque chose contre lui. Le roi les crut, mais il ne savait que faire, voyant son adversaire plus fort que

 

 

 

Zone de Texte: XIFLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

lui. Lorsque ensuite Sextus nomma Hérode

gouverneur[111] de Cœlé-Syrie et de Samarie, formidable

à la fois par la faveur du peuple et par sa puissance propre, il inspira une extrême terreur à Hyrcan, qui s'attendait dès lors à le voir marcher contre lui à la tête d'une armée.

9. Cette crainte n'était que trop fondée. Hérode, furieux de la menace que ce procès avait suspendue sur sa tète, rassembla une armée et marcha sur Jérusalem pour déposer Hyrcan. Il aurait exécuté ce dessein incontinent, si son père et son frère n'étaient venus au-devant de lui et n'avaient arrêté son élan ; ils le conjurèrent de borner sa défense à la menace, à l'indignation, et d'épargner le roi sous le règne duquel il était parvenu à une si haute puissance. Si, disent-ils, il a raison de s'indigner d'avoir été appelé au tribunal, il doit, d'autre part, se réjouir de son acquittement ; s'il répond par la colère à l'injure, il ne doit pas répondre par l'ingratitude au pardon. Et s'il faut estimer que les hasards de la guerre sont dans la main de Dieu, un acte injuste prévaudra sur la force d'une armée : aussi ne doit-il pas avoir une confiance absolue dans la victoire, puisqu'il va combattre contre son roi et son ami, qui fut souvent son bienfaiteur et ne lui a été hostile que le jour où, cédant à de mauvais conseils, il l'a menacé d'une ombre d'injustice. Hérode se laissa persuader par ces avis, pensant qu'il suffisait à ses espérances d'avoir fait devant le peuple cette manifestation de sa puissance.

10[112]. Sur ces entrefaites, des troubles et une véritable

guerre civile éclatèrent à Apamée. entre les Romains. Cécilius Bassus, par attachement pour Pompée,

assassina Sextus César[113] et s'empara de son armée ;

les autres lieutenants de César, pour venger ce meurtre, attaquèrent Bassus avec toutes leurs forces. Antipater, dévoué aux deux Césars, le mort et le vivant, leur envoya des secours sous ses deux fils. Comme la guerre traînait en longueur, Murcus fut envoyé d'Italie pour Succéder à Sextus.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

1-2. Guerre civile. Cassius en Syrie ; ses exactions. - 3-4. Antipater assassiné par Malichos. - 5-8. Hérode tire vengeance de Malichos.

1[114]. A cette époque éclata entre les Romains la

grande guerre, après que Brutus et Cassius eurent assassiné César, qui avait occupé le pouvoir pendant

trois ans et sept mois[115]. Une profonde agitation suivit

ce meurtre ; les citoyens les plus considérables se divisèrent ; chacun, suivant ses espérances particulières, embrassait le parti qu'il croyait avantageux. Cassius, pour sa part, se rendit en Syrie afin d'y prendre le commandement des armées réunies autour d'Apamée. Là il réconcilia Bassus avec Murcus et les légions séparées, fit lever le siège d’Apamée, et, se mettant lui-même à la tète des troupes, parcourut les villes en levant des tributs avec des exigences qui dépassaient leurs ressources.

  1. Les juifs reçurent l'ordre de fournir une somme de sept cents talents. Antipater, craignant les menaces de Cassius, chargea ses fils et quelques-uns de ses familiers, entre autres Malichos, qui le haïssait, de lever promptement cet argent, chacun pour sa position, - à tel point les talonnait la nécessité ! Ce fut Hérode qui, le premier, apaisa Cassius, en lui apportant de Galilée sa contribution, une somme de cent talents ; il devint par là son intime ami ; quant aux autres, Cassius leur reprocha leur lenteur et fit retomber sa colère sur les villes mêmes. Après avoir réduit en servitude Gophna, Emmaüs et deux autres villes de moindre importance[116], il s'avançait dans le dessein de mettre

à mort Malichos pour sa négligence à fournir le tribut, mais Antipater[117] prévînt la perte de Malichos et la

ruine des autres villes en calmant Cassius par le don de cent talents.

  1. Cependant, après le départ de Cassius, Malichos, loin de savoir gré à Antipater de ce service, machina un complot contre celui qui l'avait sauvé à plusieurs reprises, brûlant de supprimer l'homme qui s'opposait à ses injustices. Antipater, craignant la force et la

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

scélératesse de ce personnage, passa le Jourdain pour rassembler une armée et déjouer le complot. Malichos, quoique pris sur le fait, sut à force d'impudence gagner les fils d'Antipater : Phasaël, gouverneur de Jérusalem et Hérode, commandant de l'arsenal, ensorcelés par ses excuses et ses serments, consentirent à lui servir de médiateurs auprès de leur père. Une fois de plus Antipater le sauva, en apaisant Murcus, gouverneur do. Syrie, qui voulait mettre à mort Malichos comme factieux.

4. Quand le jeune César et Aubine ouvrirent les

hostilités contre Cassius et Brutus, Cassius et Murcus levèrent une armée en Syrie, et comme Hérode paraissait leur avoir rendu de grands services dans cette opération, ils le nommèrent alors procurateur de la Syrie entièreF118] en lui donnant de l'infanterie et de la

cavalerie ; Cassius lui promit même, une fois la guerre terminée, de le nommer roi de Judée. La puissance du fils et ses brillantes espérances amenèrent la perte du père. Car Malichos, inquiet pour l'avenir, corrompit à prix d'argent un des échansons royaux et fit donner du poison à Antipater. Victime de l'iniquité de Malichos, Antipater mourut en sortant de tableF119]. C'était un

homme plein d'énergie dans la conduite des affaires, qui fit recouvrer à Hyrcan son royaume et le garda pour lui.

5F120]. Malichos, voyant le peuple irrité par le soupçon

du crime, l'apaisa par ses dénégations et, pour affermir son pouvoir, leva une troupe de soldats. En effet, il pensait bien qu'Hérode ne se tiendrait pas en repos ; celui-ci parut bientôt à la tête d'une armée pour venger son père. Cependant Phasaël conseilla à son frère de ne pas attaquer ouvertement leur ennemi, dans la crainte d’exciter des séditions parmi la multitude. Hérode accepta donc pour le moment la justification de Malichos et consentit à l'absoudre du soupçon ; puis il célébra avec une pompe éclatante les funérailles de son pèreF121].

6. Il se rendit ensuite à Samarie, troublée par la sédition et y rétablit l'ordre ; puis il revint passer les fêtes à

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Jérusalem, suivi de ses soldats. Hyrcan, à l'instigation de Malichos, qui craignait l'entrée de ces troupes, le prévint par un message et lui défendit d'introduire des étrangers parmi le peuple qui se sanctifiait. Mais Hérode, dédaignant le prétexte et l'auteur de l'ordre, entra de nuit dans la ville. Là-dessus Malichos se présenta encore une fois auprès de lui pour pleurer Antipater. Hérode lui répondit en dissimulant, tout en ayant peine à contenir sa colère. En même temps il adressa à Cassius des lettres où il déplorait la mort de son père ; Cassius, qui haïssait d'ailleurs Malichos, lui répondit en l'engageant à poursuivre le meurtrier ; bien plus, il manda secrètement à ses tribuns de prêter leur concours à Hérode pour une juste entreprise.

  1. Quand Cassius se fut emparé de Laodicée et vit arriver de tous les côtés les principaux du pays portant des présents et des couronnes, Hérode jugea le moment venu pour sa vengeance. Malichos avait conçu des soupçons ; arrivé à Tyr, il résolut de faire échapper secrètement son fils, qu'on gardait alors en otage dans cette ville, et lui-même se disposa à fuir en Judée. Le désespoir le poussa même à de plus vastes desseins ; il rêvait de soulever la nation contre les Romains, pendant que Cassius serait occupé à la guerre contre Antoine, et se flattait d'arriver a la royauté, dès qu'il aurait sans peine renversé Hyrcan.
  2. Mais la destinée se rit de ses espérances. En effet, Hérode, devinant son intention, l'invita a souper avec Hyrcan ; ensuite il appela un[122] de ses serviteurs qui

se trouvait là et l'envoya, en apparence pour préparer le festin, en réalité pour prévenir les tribuns de disposer une embuscade. Ceux-ci, se rappelant les ordres de Cassius, sortirent en armes sur le rivage de la mer, devant la ville ; là ils entourèrent Malichos et le criblèrent de blessures mortelles. Saisi d'épouvante à cette nouvelle, Hyrcan tomba d'abord évanoui ; quand il revint à lui, non sans peine, il demanda à Hérode qui avait tué Malichos. Un des tribuns lui répondit : « Ordre de Cassius ». « Alors, répondit-il, Cassius m'a sauvé ainsi que ma patrie, puisqu'il a mis à mort celui qui tramait notre perte ». Hyrcan parlait il ainsi du fond du cœur, ou

 

 

 

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acceptait-il par crainte le fait accompli, c'est un point douteux. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi qu'Hérode se vengea de Malichos.

XII

  1. Révolte d'Hélix et du frère de Malichos. - 2. Rivalité d'Hérode et de Marion, tyran de Tyr. - 3. Victoire d'Hérode sur Antigone. Il épouse Mariamme. - 4-5. Antoine éconduit les ambassadeurs juifs ; Hérode et Phasaël nommés tétrarques. - 6.7. Massacre des députés juifs.

1[123]. Cassius avait à peine quitté la Syrie qu'une

nouvelle sédition éclata à Jérusalem. Un certain Hélix se mit à la tête d'une armée et se souleva contre Phasaël, voulant, à cause du châtiment infligé à Malichos, se venger d’Hérode sur la personne de son frère. Hérode se trouvait alors à Damas, près du général romain Fabius ; désireux de porter secours à Phasaël. il fut retenu par la maladie. Cependant Phasaël quoique laissé à ses seules forces, triompha d'Hélix et accusa Hyrcan d'ingratitude, pour avoir favorisé les desseins d'Hélix et laissé le frère de Malichos s'emparer d'un grand nombre de places et particulièrement de la plus forte de toutes, Masada.

  1. Mais rien ne pouvait garantir Hélix de l'impétuosité d'Hérode. Celui-ci, rendu à la santé, lui reprit les places-fortes et le fit sortir lui-même de Masada, en suppliant. Il chassa pareillement de Galilée Marion, tyran de Tyr, qui avait déjà pris possession de trois places ; quant aux Tyriens, qu'il avait faits prisonniers, il les épargna tous ; il y en eut même qu'il relâcha avec des présents, s'assurant ainsi à lui-même la faveur des Tyriens et au tyran leur haine. Marion tenait son pouvoir de Cassius, qui divisa la Syrie entière en tyrannies de ce genre ; plein de haine contre Hérode, il ramena dans le pays Antigone, fils d'Aristobule. Il se servit à cet effet surtout de Fabius, qu’Antigone s'était concilié par des largesses et qui favorisa son retour ; Ptolémée, beau-frère d'Antigone, fournissait à toutes les dépenses.

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3. Hérode, s'opposant à leur marche, livra bataille à l'entrée du territoire de la Judée et fut vainqueur. Antigone chassé, Hérode revint à Jérusalem, où sa victoire lui valut la faveur générale ; ceux même qui auparavant lui étaient hostiles s'attachèrent à lui, quand un mariage le fit entrer dans la famille d'Hyrcan. Il avait d'abord épousé une femme du pays, d'assez noble naissance, nommée Doris, dont il eut un fils, Antipater ; maintenant il s'unit à la fille d'Alexandre, fils d'Aristobule, et petite-fille d'Hyrcan, nommée

Mariamme : il devenait ainsi parent du prince.

4F124]. Lorsque, après avoir tué Cassius à PhilippesF125], César et Antoine retournèrent, l'un en

Italie, l'autre en Asie, parmi les nombreuses députations des cités, qui allèrent saluer Antoine en Bithynie, se trouvèrent aussi des notables juifs qui vinrent accuser Phasaël et Hérode de s'être emparés du pouvoir par la violence et de n'avoir laissé à Hyrcan qu'un vain titre. Hérode, présent à ces attaques, sut se concilier par de fortes sommes d'argent la faveur d'Antoine ; à son instigation, Antoine refusa même d'accorder à audience à ses ennemis, qui se virent congédiés.

5F126]. Bientôt après les notables juifs, au nombre de

cent, se rendirent de nouveau à Daphné d’Antioche auprès d'Antoine, déjà asservi à l'amour de Cléopâtre ; ils mirent à leur tête les plus estimés pour l'autorité et l'éloquence et dressèrent une accusation en règle contre les deux frères. En répons, Messalla présenta leur défense ; et Hyrcan se plaça à côté de lui, en raison de son alliance matrimoniale avec les accusés. Après avoir entendu les deux parties, Antoine demanda à Hyrcan quels étaient les plus dignes du commandement : comme Hyrcan déclarait que c'était Hérode et son frère, Antoine s'en réjouit, en souvenir des anciens liens d’hospitalité qui l'unissaient à cette famille, car leur père, Antipater, l'avait reçu avec bienveillance quand il fit campagne en Judée avec Gabinius. En conséquence, il nomma les deux frères tétrarques et leur confia l'administration de toute la Judée.

 

 

 

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  1. Les députés du parti adverse ayant manifesté leur irritation, Antoine fit arrêter et mette en prison quinze d'entre eux et voulut même les faire mourir : il chassa le reste avec ignominie. Ces événements provoquèrent une agitation encore plus vive à Jérusalem. Les habitants envoyèrent cette fois mille députés à Tyr, où séjournait Antoine, en route vers Jérusalem. Comme les députés menaient grand bruit, il leur envoya le gouverneur de Tyr, avec ordre de châtier ceux qu'il prendrait et de consolider l'autorité des tétrarques institués par lui.
  2. Déjà auparavant, Hérode accompagné d'Hyrcan s'était rendu sur le rivage ; là il exhorta longuement les députés à ne pas déchaîner la ruine sur eux-mêmes et la guerre sur leur patrie par une querelle inconsidérée. Mais cette démarche ne fit que redoubler leur fureur ; alors Antoine envoya contre eux son infanterie, qui en tua ou blessa un grand nombre ; Hyrcan accorda la sépulture aux morts et des soins aux blessés. Malgré tout, ceux qui s'échappèrent ne se tinrent pas en repos[127] ; par les

troubles qu'ils entretenaient dans la cité, ils irritèrent Antoine, au point qu'il se décida a faire exécuter les prisonniers.

XIII

1. Le Parthes en Syrie. - 2-3. Pacoros attaque Jérusalem. - 4-5. Capture de Phasaël et d'Hyrcan. – 6-8 Fuite d'Hérode. – 9-11. Restauration d'Antigone. Mort de Phasaël.

1[128]. Deux ans après[129], Barzapharnès, satrape des

Parthes, occupa la Syrie avec Pacoros, fils du roi. Lysanias, qui avait hérité du royaume de son père Ptolémée, fils de Mennaios, persuada le satrape, en lui promettant mille talents et cinq cents femmes, de ramener sur le trône Antigone et de déposer Hyrcan[130]. Gagné par ces promesses, Pacoros lui-

même s'avança le long du littoral et enjoignit à Barzapharnès de faire route par l'intérieur des terres. Parmi les populations côtières, Tyr refusa le passage à Pacoros, alors que Ptolémaïs et Sidon lui avaient fait bon

 

 

 

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accueil. Alors le prince confia une partie de sa cavalerie à un échanson du palais qui portait le même nom que lui, et lui ordonna d'envahir la Judée pour observer l'ennemi et soutenir Antigone au besoin.

  1. Comme ces cavaliers ravageaient le Carmel, un grand nombre de Juifs se rallièrent à Antigone et se montrèrent pleins d'ardeur pour l'invasion. Antigone les dirigea vers le lieu appelé Drymos (la Chênaie)[131] dont ils devaient

s'emparer. Ils y livrèrent bataille, repoussèrent les ennemis, les poursuivirent jusqu'à Jérusalem et, grossissant leurs rangs, parvinrent jusqu'au palais. Hyrcan[132] et Phasaël les y reçurent avec une forte

troupe. La lutte s'engagea sur l'agora ; Hérode mit en fuite les ennemis, les cerna dans le Temple et établit dans les maisons voisines un poste de soixante hommes pour les surveiller. Mais le peuple, soulevé contre les deux frères attaqua cette garnison et la fit périr dans les flammes. Hérode, exaspéré de cette perte, se vengea en chargeant le peuple et tuant un grand nombre de citoyens. Tous les jours de petits partis se ruaient les uns sur les autres : c'était une tuerie continuelle.

  1. Comme la fête de la Pentecôte approchait, tous les lieux voisins du Temple et la ville entière se remplirent d'une foule de gens de la campagne, armés pour la plupart. Phasaël défendait les murailles ; Hérode, avec peu de soldats, le palais. Il fit une sortie vers le faubourg contre la multitude désordonnée des ennemis, en tua un grand nombre, les mit tous en fuite et les rejeta les uns dans la ville, d'autres dans le Temple, d'autres dans le camp fortifié loin des murs. Là-dessus Antigone demanda que l'on introduisit Pacoros[133] comme

médiateur de la paix. Phasaël, se laissant persuader, reçut le Parthe dans la ville et lui donna l'hospitalité. Accompagné de cinq cents cavaliers, il se présentait sous prétexte de mettre un terme aux factions, mais en réalité pour aider Antigone. Ses manœuvres perfides décidèrent Phasaël à se rendre auprès de Barzapharnès pour terminer la guerre, bien qu'Hérode l'en détournât avec insistance et l'engageât à tuer ce traître, au lieu de se livrer à ses ruses, car la perfidie, disait-il, est naturelle aux barbares. Cependant Pacoros, pour détourner le

 

 

 

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soupçon, partit aussi, emmenant avec lui Hyrcan et laissant auprès d'Hérode quelques-uns de ces cavaliers

que les Parthes appellent Eleuthères (Libres)F134] ; avec

le reste il escortait Phasaël.

  1. Arrivés en Gaulée, ils trouvèrent les indigènes en pleine défection et en armes : ils se présentèrent au satrapeF135], qui dissimula adroitement sous la

bienveillance la trame qu'il préparait : il leur donna des présents, puis, quand ils s’éloignèrent, leur dressa une embuscade. Ils connurent le piège où ils étaient tombés lorsqu'ils se virent emmener dans une place maritime, nommée Ecdippa. Là ils apprirent la promesse faite à Pacoros de mille talents, et que, parmi ce tribut de cinq cents femmes qu’Antigone consacrait aux Parthes, se trouvaient la plupart des leurs ; que les barbares surveillaient sans cesse leurs nuits ; enfin qu'on les aurait déjà arrêtés depuis longtemps si l'on n'avait préféré attendre qu'Hérode fût pris à Jérusalem, pour éviter que la nouvelle de leur capture ne le mît sur ses gardes. Ce n'étaient déjà plus de vaines conjectures : déjà ils pouvaient voir des sentinelles qui les gardaient à quelque distance.

  1. Un certain Ophellias, que Saramalla, le plus riche Syrien de ce temps, avait informé de tout le plan du complot, insistait vivement auprès de Phasaël pour qu'il prit la fuite ; mais celui-ci se refusait obstinément à abandonner Hyrcan. Il alla trouver le satrape et lui reprocha en face sa perfidie, le blâmant surtout d'agir ainsi par cupidité ; il s'engageait d'ailleurs à lui donner plus d'argent pour son salut qu'Antigone ne lui en avait promis pour sa restauration. Le Parthe répondit habilement et s'efforça de dissiper les soupçons par des protestations et des serments ; puis il se rendit auprès de PacorosF136]. Bientôt après les Parthes, qu'on avait

laissés auprès de Phasaël et d'Hyrcan, les arrêtèrent comme ils en avaient l'ordre ; les prisonniers les accablèrent de malédictions, flétrissant le parjure et la perfidie dont ils étaient victimes.

  1. Cependant l'échanson (Pacoros) envoyé contre Hérode

 

 

 

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s'ingéniait à l'attirer par ruse hors du palais, pour s'emparer de lui comme il en avait reçu l'ordre. Hérode, qui dès l'abord se défiait des Barbares, avait encore appris que des lettres, qui lui donnaient avis de leur complot, étaient tombées aux mains des ennemis ; il se refusait donc à sortir, malgré les assurances spécieuses de Pacoros, qui le pressait d'aller à la rencontre de ses messagers ; car les lettres, disait-il, n'avaient pas été prises par les ennemis, elles ne parlaient pas de trahison, mais elles devaient le renseigner sur tout ce qu'avait fait Phasaël. Mais Hérode avait appris d'une autre source la captivité de son frère, et Mariamme, la fille d'Hyrcan[137], la plus avisée des femmes, se rendit

près de lui, pour le supplier de ne pas sortir ni de se fier aux Barbares, qui déjà machinaient ouvertement sa perte.

  1. Pendant que Pacoros et ses complices délibéraient encore comment ils exécuteraient secrètement leur complot, car il n'était pas possible de triompher ouvertement d'un homme aussi avisé, Hérode prit les devants, et, accompagné des personnes qui lui étaient les plus proches, partit de nuit, à l'insu des ennemis, pour l'Idumée. Les Parthes, s'étant aperçus de sa fuite, se lancèrent à sa poursuite. Hérode mit en route sa mère, ses sœurs, sa fiancée, avec la mère de sa fiancée et son plus jeune frère[138] ; lui-même avec ses

serviteurs, par d'habiles dispositions, repoussa les Barbares, en tua un grand nombre dans leurs diverses attaques et gagna ainsi la forteresse de Masada.

  1. Il trouva dans cette fuite les Juifs plus incommodes que les Barbares, car ils le harcelèrent continuellement, et à soixante stades de Jérusalem lui présentèrent même le combat, qui dura assez longtemps. Hérode fut vainqueur et en tua beaucoup ; plus tard, en souvenir de sa victoire, il fonda une ville en ce lieu, l'orna de palais somptueux, y éleva une très forte citadelle et l'appela de son propre nom Hérodion. Cependant, au cours de sa fuite, il voyait chaque jour un grand nombre de partisans se joindre à lui. Arrivé à Thrésa, en Idumée, son frère Joseph le rejoignit et lui conseilla de se décharger de la plupart de ses compagnons, car Masada

 

 

 

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ne pouvait recevoir une telle multitude ; ils étaient, en effet, plus de neuf mille. Hérode se rangea à cet avis et dispersa à travers l'Idumée, après leur avoir donné un viatique, les hommes plus encombrants qu'utiles puis, gardant auprès de lui les plus robustes et les plus chéris, il se jeta dans la place. Après y avoir laissé huit cents hommes pour garder les femmes et des vivres suffisants pour soutenir un siège, lui-même gagna à marches forcées Pétra, en Arabie.

  1. Cependant les Parthes, restés à Jérusalem, se livrèrent au pillage ; ils envahirent les maisons des fugitifs et le palais, n'épargnant que les richesses d'Hyrcan, qui ne dépassaient pas trois cents talents ; ils ne trouvèrent pas chez les autres autant qu'ils espéraient, car Hérode, perçant depuis longtemps la perfidie des Barbares, avait fait transporter en Idumée ses trésors les plus précieux, et chacun de ses amis en avait fait autant. Après le pillage, l'insolence des Parthes dépassa toute mesure : ils déchaînèrent sur tout le pays les horreurs de la guerre, sans l'avoir déclarée. Ils ruinèrent de fond en comble la ville de Marisa, et, non contents d'établir Antigone sur le trône, ils livrèrent à ses outrages Phasaël et Hyrcan enchaînés. Antigone, quand Hyrcan se jeta à ses pieds, lui déchira lui-même les oreilles avec ses dents[139], pour empêcher que

jamais, même si une révolution lui rendait la liberté, il pût recouvrer le sacerdoce suprême ; car nul ne peut être grand-prêtre s'il n'est exempt de tout défaut corporel.

  1. Quant à Phasaël, son courage rendit vaine la cruauté du roi, car il la prévint en se brisant la tête contre une pierre, n'ayant à sa disposition ni ses bras ni un fer. Il mourut ainsi en héros, se montrant le digne frère d'Hérode et fit ressortir la bassesse d'Hyrcan : fin digne des actions qui avaient rempli sa vie. D'après une autre version, Phasaël se serait remis de sa blessure, mais un médecin envoyé par Antigone, sous prétexte de le soigner, appliqua sur la plaie des médicaments toxiques et le fit ainsi périr. Quelque récit qu'on préfère, la cause de la mort n'en est pas moins glorieuse, On dit encore qu’avant d'expirer, il apprit d'une femme qu'Hérode

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

s'était sauvé. « Maintenant, dit-il, je partirai avec joie, puisque je laisse vivant un vengeur pour punir mes ennemis ».

11. Ainsi mourut Phasaël. Les Parthes, quoique déçus dans leur plus vif désir, celui de ravir des femmes, n'en installèrent pas moins Antigone comme maître à Jérusalem, et emmenèrent Hyrcan prisonnier en Parthyène.

XIV

1-3. Hérode, repoussé par le roi des Arabes Malichos, traverse l’Égypte et Rhodes et se rend à Rome. – 4. Antoine fait déclarer Hérode roi des Juifs par le Sénat.

1F140]. Cependant Hérode hâtait sa marche vers

l'Arabie, croyant son frère encore vivant et pressé d'obtenir de l'argent du roi, seul moyen de sauver Phasaël en flattant la cupidité des Barbares. Au cas ou l'Arabe, oubliant l'amitié qui l'unissait au père d’Hérode, lui refuserait par avarice un présent, il comptait du moins se faire payer le prix de la rançon, en laissant comme otage le fils du prisonnier : car il emmenait avec lui son neveu, enfant de sept ans. Il était d'ailleurs prêt à donner jusqu’à trois cents talents, en invoquant la caution des Tyriens qui s'offraient. Mais la destinée prévint son zèle, et la mort de Phasaël rendit vaine l'affection fraternelle d'Hérode. Au reste, il ne trouva pas chez les Arabes d'amitié durable. Leur roi Malichos envoya au plus vite des messagers pour lui enjoindre de quitter son territoire, sous prétexte que les Parthes lui avaient mandé par héraut d'expulser Hérode de l'Arabie : en fait, il préférait ne pas s'acquitter des obligations qu’il avait contractées envers Antipater et se refusait décidément à fournir, en échange de tant de bienfaits, la moindre somme à ses fils malheureux. Ceux qui lui conseillèrent cette impudente conduite voulaient également détourner les dépôts confiés à eux par Antipater, et c’étaient les personnages les plus considérables de sa cour.

 

 

 

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  1. Hérode, trouvant les Arabes hostiles pour les raisons mêmes qui lui avaient fait espérer leur dévouement, donna aux envoyés la réponse que lui dicta sa colère et se détourna vers l'Égypte. Le premier soir, il campa dans un temple indigène, où il rallia ceux de ses compagnons qu'il avait laissés en arrière ; le lendemain, il parvint à Rhinocouroura et y reçut la nouvelle de la mort de son frère. Il accorda le temps nécessaire à sa douleur, puis, secouant ses préoccupationsF141], reprit sa marche. Le

roi des Arabes, se repentant un peu tard, envoya en hâte des messagers pour rappeler celui qu'il avait offensé. Mais Hérode, les devançant, était déjà arrivé à Péluse. Là il se vit refuser le trajet par les navires qui stationnaient dans le port. Il alla donc trouver les commandants de la place, qui, en considération de sa renommée et de sa valeur, l'accompagnèrent jusqu'à Alexandrie. Arrivé dans cette ville, Cléopâtre le reçut avec éclat, espérant lui confier le commandement d'une expédition qu'elle préparait : mais il éluda les offres de la reine et, sans considérer la rigueur de l'hiver ni les troubles d'Italie. il s'embarqua pour Rome.

  1. Il faillit faire naufrage sur les côtes de Pamphylie ; à grand'peine, après avoir jeté la plus grande partie de la cargaison, il put trouver un refuge dans l’île de Rhodes, fortement éprouvée par la guerre contre Cassius. Accueilli par ses amis Ptolémée et Sapphinias, il se fit construireF142], malgré son dénuement, une très grande

trirème. C'est sur ce bâtiment qu'il se rendit avec ses amis à Brindes, d'où il se hâta vers Rome. Il alla d'abord voir Antoine, confiant dans l'amitié qui l'unissait à son propre père ; il lui raconta ses malheurs et ceux de sa famille, et comment il avait laissé ses plus chers amis assiégés dans une citadelle, pour traverser la mer en plein hiver et venir se jeter à ses pieds.

  1. Antoine fut touché de compassion au récit de ces vicissitudes ; le souvenir de la généreuse hospitalité d'Antipater, et, en général, le mérite du suppliant lui-même lui inspirèrent la résolution d'établir roi des Juifs celui qu'il avait auparavant lui-même fait tétrarque. Autant que son estime pour Hérode, il écouta sa haine contre Antigone, qu'il considérait comme un fauteur de

 

 

 

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troubles et un ennemi de Rome. Il trouva César encore mieux disposé que lui ; ce dernier rappelait à sa mémoire les campagnes d'Egypte, dont Antipater avait partagé les fatigues avec son père, l’hospitalité et les continuelles marques d'amitié que celui-ci en avait reçues ; il considérait aussi le caractère entreprenant d'Hérode. Il[143] rassembla donc le Sénat, auquel

Messala et après lui Atratinus présentèrent Hérode : ils exposèrent les services rendus par son père, la bienveillance du fils envers les Romains et dénoncèrent l'hostilité d'Antigone ; elle s'était déjà montrée à la promptitude avec laquelle il leur avait cherché querelle, mais plus encore à ce moment même, quand il prenait le pouvoir avec l'appui des Parthes, au mépris du nom romain. A ces paroles, le Sénat s'émut, et quand Antoine s'avança pour dire qu'en vue même de la guerre coutre les Parthes, il était avantageux qu'Hérode fût roi, tous votèrent dans ce sens. Le Sénat se sépara, et Antoine et César sortirent ayant Hérode entre eux ; les consuls et les autres magistrats les précédèrent au Capitole pour sacrifier et y consacrer le sénatus-consulte. Le premier jour du règne d'Hérode, Antoine lui offrit à dîner[144] .

1. Siège de Masada par Antigone. – 2. Ventidius et Silo en Syrie. – 3-4. Arrivée d’Hérode. Prise de Joppé : délivrance de Masada. – 5-6. Siège de Jérusalem par Hérode et Silo.

1[145]. Pendant ce temps. Antigone assiégeait les

réfugiés de Masada. Bien pourvus de tout le reste, l'eau leur faisait défaut. Aussi Joseph, frère d'Hérode, résolut-il de fuir, avec deux cents compagnons, chez les Arabes, apprenant que Malichos s’était repenti de son injuste conduite à l'égard d'Hérode. Au moment où il allait quitter la place, la nuit même du départ, la pluie tomba en abondance ; les citernes se trouvèrent remplies, et Joseph ne jugea plus la fuite nécessaire. Dés ce moment la garnison prit l’offensive contre les soldats d'Antigone et, soit à découvert soit dans des embuscades, en tua un très grand nombre. Toutefois ses sorties ne furent pas

 

 

 

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toujours heureuses ; plus d'une fois, elle fut battue et repoussée.

  1. A ce moment Ventidius, général romain, qui avait été envoyé pour chasser les Parthes de Syrie, passa à leur poursuite en Judée, sous prétexte de secourir Joseph et sa troupe, mais en réalité pour tirer de l'argent d'Antigone. Il campa donc tout prés de Jérusalem et, quand il fut gorgé d'or, partit en personne avec la plus grande partie de son armée, laissant derrière lui Silo et quelques troupes ; il eût craint, en les emmenant toutes, de mettre son trafic en évidence, de son côté, Antigone, espérant que les Parthes lui fourniraient encore des secours, continuait néanmoins à flatter Silo, pour l'empêcher de déranger ses affaires.
  2. Mais déjà Hérode, après avoir navigué d'Italie à Ptolémaïs et rassemblé une armée assez considérable de compatriotes et d'étrangers, s'avançait contre Antigone à travers la Galilée, aidé de Ventidius et de Silo, que Dellius, envoyé par Antoine, avait décidés à ramener Hérode. Ventidius était alors occupé à pacifier les villes troublées par les Parthes ; Silo séjournait en Judée, ou. il se laissait corrompre par Antigone. Cependant les forces d'Hérode n'étaient pas médiocres ; à mesure qu'il s'avançait, il voyait augmenter journellement l'effectif de son armée; toute la Galilée, à peu d'exceptions près, se joignit à lui. L’entreprise la plus pressante était celle de Masada, dont il devait avant tout faire lever le siège pour sauver ses proches ; mais on était arrêté par l'obstacle de Joppé. Cette ville était hostile, et il fallait d'abord l'enlever pour ne pas laisser derrière soi, en marchant sur Jérusalem, une place d'armes aux ennemis. Silo se joignit volontiers à Hérode, ayant trouvé là un prétexte à sa défection, mais les Juifs le poursuivirent et le serrèrent de près. Hérode avec une petite troupe court les attaquer et les met bientôt en fuite, sauvant Silo, qui se trouvait en mauvaise posture.
  3. Ensuite il s'empara de Joppé et se dirigea à marches forcées vers Masada pour sauver ses amis. Les indigènes venaient à lui, entraînés les uns par un vieil attachement à son père, d'autres par sa propre

 

 

 

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renommée, d'autres encore par la reconnaissance pour les services du père et du fils, le plus grand nombre par l'espérance qui s'attachait à un roi d'une autorité déjà assurée ; c'est ainsi que s'assemblait une armée difficile à battre. Antigone essaya de l'arrêter dans sa marche en plaçant des embuscades aux passages favorables, mais elles ne causaient aux ennemis que peu ou point de dommage. Hérode recouvra sans difficulté ses amis de Masada et la forteresse de Thrésa, puis marcha sur Jérusalem : il fut rejoint par le corps de Silo et par un grand nombre de citoyens de la ville, qu'effrayait la force de son armée.

  1. Il posta son camp sur le flanc ouest de la ville. Les gardes placés de ce côté le harcelèrent à coups de flèches et de javelots, tandis que d'autres, formés en pelotons, dirigeaient de brusques sorties contre ses avant-postes. Tout d'abord, Hérode fit promener un héraut autour murailles, proclamant qu'il venait pour le bien du peuple et le salut de la cité, qu'il ne se vengerait pas même de ses ennemis déclarés et qu'il accorderait l'amnistie aux plus hostiles. Mais comme les exhortations contraires des amis d'Antigone empêchaient les gens d'entendre les proclamations et de changer de sentiment, Hérode ordonna à ses soldats de combattre les ennemis qui occupaient les murailles ; en conséquence ils tirèrent sur eux et les chassèrent bientôt tous de leurs tours.
  2. C'est alors que Silo montra bien qu'il s'était laissé corrompre. A son instigation, un grand nombre de soldats se plaignirent à grands cris de manquer du nécessaire ; ils réclamaient de l'argent pour acheter des vivres et demandaient qu'on les emmenât prendre leurs quartiers d'hiver dans des endroits favorables, car les environs de la ville étaient vidés par les troupes d'Antigone qui s'y étaient déjà approvisionnées. Là-dessus il mit son camp en mouvement et fit mine de se retirer. Hérode alla trouver les chefs, placés sous les ordres de Silo, et aussi les soldats en corps, les

suppliant de ne pas l'abandonner, lui que patronnaient César, Antoine et le Sénat : il ferait, dés ce jour même, cesser la disette. Après ces prières, il se mit lui-même en campagne dans le plat pays et ramena une assez grande

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

abondance de vivres pour couper tout prétexte à Silo ; puis, voulant pour l'avenir assurer le ravitaillement, il manda aux habitants de Samarie, qui s’étaient déclarés pour lui, de conduire à Jéricho du blé, du vin, de l'huile et du bétail. A cette nouvelle, Antigone envoya dans le pays des messagers pour répandre l'ordre d'arrêter les convoyeurs et de leur tendre des embûches. Les habitants obéirent, et une grosse troupe d'hommes en armes se rassembla au-dessus de Jéricho ; ils se postèrent sur les montagnes, guettant les convois de vivres. Cependant Hérode ne restait pas inactif : il prit dix cohortes, dont cinq de Romains et cinq de Juifs, mêlées de mercenaires, avec un petit nombre de cavaliers ; à la tête de ce détachement il marcha sur Jéricho. Il trouva la ville abandonnée et les hauteurs occupées par cinq cents hommes avec leurs femmes et leurs enfants, il les fit prisonniers, puis les renvoya, tandis que les Romains envahissaient et pillaient le reste de la ville, ou ils trouvèrent des maisons remplies de toutes sortes de biens. Le roi revint, laissant une garnison à Jéricho ; il envoya l'armée romaine prendre ses quartiers d'hiver dans des contrées dont il avait reçu la soumission, Idumée, Galilée, Samarie. Ce son côté, Antigone obtint, en achetant Silo, de pouvoir loger une partie de l'armée romaine à Lydda ; il faisait ainsi sa cour à Antoine.

1-3. Campagne d’Hérode en Idumée et en Galilée pendant l’hiver ; défaite des brigands à Arbèles. - 4. Extermination des brigands des cavernes. – 5. Nouveau soulèvement et châtiment de la Galilée. – 6. Machacras en Judée, son attitude équivoque. – 7. Hérode secourt Antoine au siège de Samosate.

1F146]. Pendant que les Romains vivaient dans

l'abondance et l'inaction, Hérode, toujours actif, occupait I'Idumée avec deux mille fantassins et quatre cents cavaliers, qu'il y envoyait sous son frère Joseph, pour prévenir toute nouvelle tentative en faveur d'Antigone. Lui-même cependant installait à Samarie sa mère et ses autres parents, qu'il avait emmenés de Masada ; quand

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

il eut pourvu à leur sûreté, il partit pour s'emparer des dernières forteresses de Galilée et en chasser les garnisons d'Antigone.

  1. Il arriva, malgré de violentes chutes de neige, devant Sepphoris et occupa la ville sans combat, la garnison s'étant enfuie avant l'attaque. Là il laissa se refaire ses soldats, que l'hiver avait éprouvés, car il y trouva des vivres en abondance. Puis il partit relancer les brigands des cavernes, qui, ravageant une grande partie de la contrée, maltraitaient les habitants autant que la guerre même. Il envoya en avant trois bataillons d’infanterie et un escadron de cavalerie au bourg d'Arbèles ; lui-même les y rejoignit le quarantième jour avec le reste de ses forces. Les ennemis ne se dérobèrent pas à l'attaque ; ils marchèrent en armes à sa rencontre, joignant à l'expérience de la guerre l'audace des brigands. Ils engagèrent donc la lutte et avec leur aile droite mirent en déroute l'aile gauche d'Hérode ; mais lui, pivotant vivement avec son aile droite qu'il commandait en personne, vint porter secours aux siens : non seulement il arrêta la fuite de ses propres troupes, mais il s'élança encore contre ceux qui les poursuivaient et contint leur élan jusqu'au moment où ils cédèrent aux attaques de front et prirent la fuite.
  2. Hérode les poursuivit, en les massacrant, jusqu'au Jourdain ; un grand nombre périt, le reste se dispersa au delà du fleuve. Ainsi la Galilée fut délivrée de ses terreurs, sauf toutefois les brigands qui restaient blottis dans les cavernes et dont la destruction demanda du temps. Hérode accorda donc d'abord à ses soldats le fruit de leurs peines, distribuant à chacun d'eux cent cinquante drachmes d'argent et aux officiers une somme beaucoup plus considérable ; puis il les envoya dans leurs quartiers d'hiver. Il ordonna à Phéroras, le plus jeune de ses frères, de pourvoir à leur approvisionnement[147] et de fortifier Alexandreion[148],

Phéroras s'acquitta de cette double tâche.

  1. Dans le même temps, Antoine séjournait à Athènes[149], et Ventidius manda Silo et Hérode auprès

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

de lui pour le seconder dans la guerre contre les Parthes, les invitant à régler d'abord les affaires de Judée. Hérode, sans se faire prier, lui envoya Silo, mais lui-même se mit en campagne contre les brigands des cavernes. Ces cavernes étaient situées sur le flanc de montagnes escarpées, inabordables de toutes parts, n'offrant d'accès que par des sentiers étroits et tortueux ; de front la roche plongeait dans des gorges profondes, dressant ses pentes abruptes et ravinées. Longtemps le roi fut paralysé à la vue de ces difficultés du terrain : enfin il imagina un stratagème très hasardeux. Il plaça ses soldats les plus vigoureux dans des coffres, qu'il fit descendre d'en haut à l'aide de cordes et amena à l'entrée des Cavernes ; ceux-ci massacraient alors les brigands et leurs enfants et lançaient des brandons enflammés contre ceux qui se défendaient. Hérode, voulant en sauver quelques-uns, les invita par la voix d'un héraut à se rendre auprès de lui. Aucun n'obéit de son propre gré[150], et parmi ceux qui y furent

contraints, beaucoup préférèrent la mort à la captivité. C’est là qu'ou vit un vieillard, père de sept enfants, tuer ses fils qui, avec leur mère, le priaient de les laisser sortir et se rendre à merci ; il les fit avancer, l'un après l'autre, et, se tenant à l'entrée, les égorgea un à un. Du haut d'une éminence, Hérode contemplait cette scène, profondément remué, et tendait la main vers le vieillard pour le conjurer d'épargner ses enfants mais celui-ci, sans s'émouvoir en rien de ces paroles, invectivant même l'ignoble naissance d'Hérode, tua, après ses fils, sa femme, jeta les cadavres dans le précipice et finalement s'y lança lui-même.

5. Hérode se rendit ainsi maître des cavernes et de leurs habitants. Après avoir laissé (en Galilée) sous les ordres de Ptolémée un détachement suffisant, à son avis, pour réprimer des séditions, il retourna vers Samarie, menant contre Antigone trois mille hoplites et six cents cavaliers. Alors, profitant de son absence, les fauteurs ordinaires de troubles en Galilée attaquèrent à l'improviste le général Ptolémée et le tuèrent. Ensuite ils ravagèrent la contrée, trouvant un refuge dans les marais et les places d'un accès difficile. A la nouvelle de ce soulèvement, Hérode revint en hâte à la rescousse ; il massacra un

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

grand nombre des rebelles, assiégea et prit toutes les

forteresses et imposa aux villes une contribution de cent talents pour les punir de cette défection.

  1. Cependant quand les Parthes eurent été chassés et Pacoros tué[151], Ventidius, suivant les ordres

d'Antoine, envoya comme auxiliaires à Hérode, pour les opposer à Antigone, mille chevaux et deux légions ; leur chef était Machæras. Antigone écrivit lettres sur lettres à ce général, le suppliant de l'aider plutôt lui-même, ajoutant force plaintes sur la violence d'Hérode et les dommages qu'il causait au royaume ; il y joignait des promesses d'argent. Machæras n'osait pas mépriser ses instructions, et d'ailleurs Hérode lui donnait d’avantage ; aussi ne se laissa-t-il pas gagner à la trahison[152] ;

toutefois, feignant l'amitié, il alla observer la situation d'Antigone, sans écouter Hérode, qui l'en détournait. Or Antigone, qui avait deviné ses intentions, lui interdit l'entrée de la ville et du haut des murs le fit repousser comme un ennemi. Enfin, Machæras, tout confus, se retira à Emmaüs, auprès d'Hérode ; rendu furieux par sa déconvenue, il tua sur son chemin tous les Juifs qu'il rencontrait, sans même épargner les Hérodiens, mais les traitant tous comme s'ils appartenaient à la faction d'Antigone.

  1. Hérode, fort mécontent, s'élança d'abord pour attaquer Machæras comme un ennemi, mais il maîtrisa sa colère et se rendit auprès d'Antoine pour dénoncer les procédés injustes de ce personnage. Celui-ci, ayant réfléchi sur ses fautes, courut après le roi et, à force de prières, réussit à se réconcilier avec lui. Hérode n'en continua pas moins son voyage auprès d'Antoine. Apprenant que ce général assiégeait avec des forces considérables Samosate, importante place voisine de l'Euphrate, il pressa encore sa marche, voyant là une occasion favorable de montrer son courage et de se pousser dans l'amitié d'Antoine. Son arrivée amena le dénouement du siège ; il tua de nombreux ennemis et fit un butin considérable. De là deux résultats : Antoine, qui admirait depuis longtemps la valeur d'Hérode, s'affermit encore dans ce sentiment et accrut de toute manière ses honneurs et ses espérances de règne ; quant

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

au roi Antiochus, il fut contraint de rendre Samosate. XVII

1-2. Défaite et mort de Joseph, frère d’Hérode, près de Jéricho. Défections en Galilée et en Idumée. – 3-4. Retour d’Hérode en Palestine. Incident à Jéricho. – 5-6. Victoire d’Hérode à Cana (ou Isana) ; mort de Pappos. – 8 Hérode assiège Jérusalem. Ses noces avec Mariamme. – 9. Sosius rejoint Hérode devant Jérusalem.

1F153]. Pendant cette expédition, les affaires d'Hérode

subirent un grave échec en Judée. Il y avait laissé son frère Joseph avec de pleins pouvoirs, mais en lui recommandant de ne rien entreprendre contre Antigone jusqu'à sou retour : car Machæras, à en juger d'après sa conduite passée, n'était pas un allié sûr. Mais Joseph, dès qu'il sut son frère assez loin, négligea cette recommandation et marcha vers Jéricho avec cinq cohortes que Machæras lui avait prêtées ; son objet était d'enlever le blé, car on était au fort de l'été. Sur la route il fut attaqué par les ennemis qui s'étaient postés au milieu des montagnes dans un terrain difficile ; il périt dans le combat après avoir montré une brillante valeur et tout le contingent romain fut détruit ; ces cohortes venaient d'être levées en Syrie, et on n’y avait pas mêlé de ces « vieux soldats », comme on les appelle, qui auraient pu secourir l'inexpérience des jeunes recruesF154].

2. Antigone ne se contenta pas de la victoire : il porta la fureur au point d'outrager Joseph même après sa mort. Comme les cadavres étaient restés en sa puissance, il fit couper la tête de Joseph, malgré la rançon de cinquante talents que Phéroras, frère du défunt, lui offrait pour la racheter. En Galilée, la victoire d’Antigone produisit un si grand bouleversement que ceux des notables qui favorisaient Hérode furent emmenés et noyés dans le lac (de Génésareth) par les partisans d'Antigone. Il y eut aussi de nombreuses défections en IduméeF155], où

Machæras fortifiait à nouveau une place du nom de Gittha. De tout cela, Hérode ne savait encore rien.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Antoine, après la prise de Samosate, avait établi Sossius gouverneur de Syrie ; il lui ordonna de secourir Hérode contre Antigone et s'en retourna de sa personne en Égypte[156]. Sossius envoya tout de suite deux légions

pour seconder Hérode ; lui-même suivit de près avec le reste de ses troupes.

  1. Tandis qu’Hérode était à Daphné, près d’Antioche, il eut un rêve qui lui annonçait clairement la mort de son frère. Il sauta tout troublé du lit au moment où entrèrent les messagers qui lui apprirent son malheur. La douleur lui arracha quelques gémissements, puis il ajourna la plupart des marques de deuil et se mit vivement en route contre ses ennemis. Marchant a étapes forcées, il arriva au Liban, où il s'adjoignit comme auxiliaires huit cents montagnards et rallia une légion romaine. Puis, sans attendre le jour[157], il envahit la Galilée et refoula les

ennemis, qui s'opposèrent à sa marche, dans la forteresse qu'ils venaient de quitter. Il pressa la garnison par de fréquentes attaques, mais avant d'avoir pu la prendre, un orage terrible le força de camper dans les bourgades environnantes. Peu de jours après, la seconde légion prêtée par Antoine le rejoignit ; alors les ennemis, que sa puissance effrayait, évacuèrent nuitamment la forteresse.

  1. Il continua sa marche rapide à travers Jéricho, ayant hâte de rejoindre les meurtriers de son frère. Dans cette ville il fut le héros d'une aventure providentielle : échappé à la mort par miracle, il y acquit la réputation d'un favori de la divinité. En effet, comme ce soir-là un grand nombre de magistrats soupaient avec lui, au moment où le repas venait de se terminer et tous les convives de partir, soudain la salle s'écroula. Il vit là un présage à la fois de dangers et de salut pour la guerre future, et leva le camp dés l'aurore. Six mille ennemis environ, descendant des montagnes, escarmouchèrent avec son avant-garde. N'osant pas en venir aux mains avec les Romains, ils les attaquèrent de loin avec des pierres et des traits et leur blessèrent beaucoup de monde. Hérode lui-même, qui chevauchait devant le front des troupes, fut atteint d’un javelot au côté.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Antigone, voulant se donner l'apparence non seulement de l'audace, mais encore de la supériorité du nombre, envoya contre Samarie Pappos, un de ses familiers, à la tête d’un corps d’armée, avec la mission de combattre Machæras. Cependant Hérode fit une incursion dans le pays occupé par l'ennemi, détruisit cinq petites villes, y tua deux mille hommes et incendia les maisons ; puis il revint vers Pappos, qui campait près du bourg d'Isana.
  2. Tous les jours une foule de Juifs, venus de Jéricho même et du reste de la contrée, le rejoignaient, attirés à lui les uns par leur haine d'Antigone, les autres par les succès d'Hérode, la plupart par un amour aveugle du changement. Il brûlait de livrer bataille, et Pappos, à qui le nombre et l'ardeur de ses adversaires n'inspiraient aucune crainte, sortit volontiers à sa rencontre. Dans ce choc des deux armées, le gros des troupes ennemies résista quelque temps, mais Hérode, animé par le ressentiment[158] de la mort de son frère, ardent à se

venger des auteurs du meurtre, culbuta rapidement les troupes qui lui faisaient face, et ensuite, tournant successivement ses efforts contre ceux qui résistaient encore, les mit tous en fuite. Il y eut un grand carnage, car les fuyards étaient refoulés dans la bourgade d'où ils étaient sortis, tandis qu'Hérode, tombant sur leurs derrières, les abattait en foule. Il les relança même à l'intérieur du village, où il trouva toutes les maisons garnies de soldats et les toits mêmes chargés de tireurs. Quand il en eut fini avec ceux qui luttaient dehors, Hérode, éventrant les habitations, en extrayait ceux qui s’y cachaient. Beaucoup périrent en masse sous les débris des toits qu'il fit effondrer ceux qui s'échappaient des ruines étaient reçus par les soldats à la pointe de l'épée : tel fut l'amoncellement des cadavres que les rues obstruées arrêtaient les vainqueurs. Les ennemis ne purent résister à ce coup : quand le gros de leur armée, enfin rallié, vit l'extermination des soldats du village, ils de dispersèrent. Enhardi par ce succès, Hérode eut aussitôt marché sur Jérusalem, si une tempête d'une extrême violence ne l'en avait empêché. Cet accident ajourna la complète victoire d’Hérode et la défaite d'Antigone, qui songeait déjà à évacuer la capitale.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Le soir venu, Hérode congédia ses compagnons fatigués et les envoya réparer leurs forces : lui-même, encore tout chaud de la lutte, alla prendre son bain comme un simple soldat, suivi d’un seul esclave. Au moment d'entrer dans la maison de bain, il vit courir devant lui un des ennemis, l'épée à la main, puis un second, un troisième, et plusieurs à la suite. C’étaient des hommes échappés au combat, qui s'étaient réfugiés, tout armés, dans les bains ; ils s'y étaient cachés et s’étaient dérobés jusque-là aux poursuites ; quand ils aperçurent le roi, anéantis par l’effroi, ils passèrent prês de lui, en tremblant, quoi-qu’il fut sans armes, et se précipitèrent vers les issues. Le hasard fit que pas un soldat ne se trouva là pour les saisir. Hérode, trop heureux d’en être quitte pour la peur, les laissa tous se sauver.
  2. Le lendemain, il lit couper la tête à Pappos, général d'Antigone, qui avait été tué dans le combat, et envoya cette tête à son frère Phéroras, comme prix du meurtre de leur frère : car c'était Pappos qui avait tué Joseph. Quand le mauvais temps fut passé[159], il se dirigea sur

Jérusalem et conduisit son armée jusque sous les murs : il y avait alors trois ans qu’il avait été salué à Rome du nom de roi. Il posa son camp devant le Temple, seul côté par où la ville fut accessible ; c'est là que Pompée avait naguère dirigé son attaque quand il prit Jérusalem. Après avoir réparti son armée en trois corps et coupé tous les arbres des faubourgs : il ordonna d’élever trois terrasses et d’y dresser des tours ; il chargea ses lieutenants les plus actifs de diriger ces travaux, et lui-même s'en alla à Samarie, rejoindre la fille d'Alexandre, fils d'Aristobule, à qui, nous l'avons dit, il était fiancé. Il fit ainsi de son mariage un intermède du siège, tant il méprisait déjà ses adversaires.

  1. Après ses noces, il retourna à Jérusalem avec des forces plus considérables encore. Il fut rejoint par Sossius, avec une forte armée d’infanterie et de cavalerie ; il avait envoyé ces troupes en avant par l'intérieur, tandis que lui-même cheminait par la Phénicie. Quand furent concentrées toutes ses forces,

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

qui comprenaient onze légions d’infanterie et six mille chevaux, sans compter les auxiliaires de Syrie, dont l’effectif était assez élevé, les deux chefs campèrent prês du mur nord. Hérode mettait sa confiance dans les décisions du Sénat, qui l'avait proclamé roi, Sossius dans les sentiments d'Antoine, qui avait envoyé son aimée pour soutenir Hérode.

XVIII

  1. Siège de Jérusalem. – 2. Prise de la ville : massacre et pillage. – 3. Hérode rachète le Temple de la profanation ; supplice d’Antigone. – 4-5. Représailles d’Hérode. Exactions de Cléopâtre.

1[160]. La multitude des Juifs enfermés dans la ville

était agitée en sens divers. Les plus faibles, agglomérés autour du Temple, se livraient à des transports mystiques et débitaient force discours prophétiques selon les circonstances[161] ; les plus hardis formaient

des compagnies qui s’en allaient marauder : ils rançonnaient surtout les environs de la ville et ne laissaient de nourriture ni pour les hommes ni pour les chevaux[162]. Quant aux soldats, les plus disciplinés

étaient employés à déjouer les attaques des assiégeants ; du haut de la muraille, ils écartaient les terrassiers et imaginaient toujours quelque nouvel engin pour combattre ceux de l'ennemi ; c'est surtout dans les travaux de mine qu’ils montraient leur supériorité.

  1. Pour mettre fin aux déprédations des brigands, le roi organisa des embuscades, qui réussirent à déjouer leurs incursions : au manque de vivres il remédia par des convois amenés du dehors ; quant aux combattants ennemis, l’expérience militaire des Romains assurait Hérode l'avantage sur eux, encore que leur audace ne connût point de bornes. S'ils évitaient d'attaquer les Romains en face et de courir à une mort assurée[163],

en revanche ils cheminaient par les galeries de mines et apparaissaient soudain au milieu même des

assiégeants ; avant même qu’une partie de la muraille fût ébranlée, ils en élevaient une autre derrière ; en un

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

mot, ils n'épargnaient ni leurs bras ni les ressources de leur esprit, bien résolus à tenir jusqu’à la dernière extrémité. Aussi, malgré l'importance des forces qui entouraient la ville, ils supportèrent le siège pendant cinq mois[164] ; enfin, quelques soldats d’élite d'Hérode

eurent la hardiesse d’escalader le mur et s'élancèrent dans la ville ; après eux montèrent des centurions de Sossius. D'abord ils prirent le quartier voisin du Temple et comme les troupes débordaient de toutes parts, le carnage sévit sous mille aspects, car la longueur du siège avait exaspéré les Romains, et les Juifs de l'armée d’Hérode s’appliquaient à ne laisser survivre aucun de leurs adversaires. On égorgea les vaincus par monceaux dans les ruelles et les maisons où ils se pressaient ou aux abords du Temple qu'ils qu’ils cherchaient à gagner ; on n’épargna ni l’enfance ni la vieillesse ni la faiblesse du sexe ; le roi eut beau envoyer partout des messagers exhorter à la clémence, les combattants ne retinrent point leurs bras, et, comme ivres de fureur, firent tomber leurs coups sur tous les âges indistinctement. Alors Antigone, sans considérer ni son ancienne fortune ni sa fortune présente, descendit de la citadelle (Baris) et se jeta aux pieds de Sossius. Celui-ci, loin de s'apitoyer sur son infortune, éclata de rire sans mesure et l'appela Antiqona ; cependant il ne le traita pas comme une femme, qu'on eût laissée en liberté : Antigone fut mis aux fers et placé sous une garde étroite.

3. Hérode, vainqueur des ennemis, se préoccupa maintenant de vaincre ses alliés étrangers. Les Gentils se ruaient en foule pour visiter le Temple et les ustensiles sacrés du sanctuaire. Le roi exhortait, menaçait, quelquefois même mettait les armes à la main pour repousser les curieux, jugeant sa victoire plus fâcheuse qu’une défaite, si ces gens étaient admis à contempler les choses dont la vue est interdite. Il s'opposa aussi dès lors au pillage de la ville, ne cessant de représenter à Sossius que si les Romains dépouillaient la ville de ses richesses et de ses habitants, ils ne le laisseraient régner que sur un désert ; il ite voudrait pas, au prix du meurtre de tant de citoyens, acheter l'empire de l'univers. Sossius répliquant qu'il était juste d'autoriser le pillage pour payer les soldats

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

des fatigues du siège, Hérode dit qu’il leur accorderait lui-même à tous des gratifications sur son trésor particulier. Il racheta ainsi les restes de sa patrie et sut remplir ses engagements. Chaque soldat fut récompensé largement, les officiers à proportion, et Sossius lui-même avec une libéralité toute royale, en sorte que nul ne s'en alla dépourvu. Sossius, de son côté, après avoir dédié à Dieu une couronne d’or partit de Jérusalem emmenant vers Antoine Antigone enchaîné. Celui-ci, attaché jusqu'au bout à la vie par une misérable espérance, périt sous la hache, digne châtiment de sa lâcheté.

  1. Le roi Hérode fit deux parts dans la multitude des citoyens de la ville : ceux qui avaient soutenu ses intérêts, il se les concilia plus étroitement encore en les honorant ; quant aux partisans d'Antigone, il les extermina. Se trouvant bientôt à court d'argent, il fit monnayer tous les objets précieux qu'il possédait, pour envoyer des subsides à Antoine et à son entourage. Cependant même à ce prix il ne s'assura pas encore contre tout dommage : car déjà Antoine, corrompu par l'amour de Cléopâtre, commençait à se laisser dominer en toute occasion par sa passion, et cette reine, après avoir persécuté son propre sang au point de ne laisser survivre aucun membre de sa famille, s'en prenait désormais au sang des étrangers. Calomniant les grands de Syrie auprès d'Antoine, elle lui conseillait de les détruire, dans l'espoir de devenir facilement maîtresse de leurs biens. Son ambition s'étendait jusqu'aux Juifs et aux Arabes, et elle machinait sournoisement la perte de leurs rois respectifs, Hérode et Malichos.
  2. Antoine n'accorda qu'une partie de ses désirs : il jugeait sacrilège de tuer des hommes innocents, des rois aussi considérables ; mais il laissa se relâcher l'étroite amitié qui les unissait a lui et leur enleva de grandes étendues de territoire, notamment le bois de palmiers de Jéricho d'où provient le baume, pour en faire cadeau a Cléopâtre ; il lui donna aussi toutes les villes situées en-deçà du fleuve Eleuthéros, excepté Tyr et Sidon[165].

Une fois mise en possession de toutes ces contrées, elle escorta jusqu'à l'Euphrate Antoine, qui allait faire la

guerre aux Parthes, et se rendit elle-même en Judée par

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Apamée et Damas. Là, par de grands présents, Hérode adoucit son inimitié et reprit à bail pour une somme annuelle de deux cents talents les terres détachées de son royaume : puis il l'accompagna jusqu'à Péluse, en lui faisant la cour de mille manières. Peu de temps après, Antoine revint de chez les Parthes, menant prisonnier Artabaze, fils de Tigrane, destiné à Cléopâtre, car il s'empressa de lui donner ce Parthe avec l'argent et tout le butin conquisF166].

XIX

1-2. Guerre d’Hérode contre les Arabes. Vainqueur à Diospolis, il est battu à Canatha. – 3. Tremblement de terre désastreux. – 4. Harangue d’Hérode à ses troupes. – 5-6. Hérode, vainqueur à Philadelphie, devient protecteur des Arabes.

1F167]. Quand éclata la guerre d'Actium, Hérode se

prépara à courir au secours d'Antoine, car il était déjà débarrassé des troubles de Judée et s'était emparé de la forteresse d'Hyrcania, qu'occupait la sœur d'Antigone. Mais Cléopâtre sut par ruse l'empêcher de partager les périls d'Antoine ; car, complotant, comme nous l'avons dit, contre les rois, elle persuada Antoine de confier à Hérode la guerre contre les Arabes, espérant, s'il était vainqueur, devenir maîtresse de l'Arabie, s'il était vaincu, de la Judée, et détruire ainsi les deux rois l'un par l'autre.

2. Toutefois ces desseins tournèrent à l'avantage d'Hérode ; car après avoir d'abord exercé des représailles sur ses ennemis, il ramassa un gros corps de cavalerie et le lança contre eux aux environs de Diospolis : il remporta la victoire, malgré une résistance opiniâtre. Cette défaite provoqua un grand mouvement parmi les Arabes : ils se réunirent en une foule innombrable autour de CanathaF168], ville de Cœlé-Syrie et y

attendirent les Juifs. Hérode, arrivé avec ses troupes, aurait voulu conduire les opérations avec prudence et ordonna aux siens de fortifier leur camp. Mais cette multitude ne lui obéit pas ; enorgueillie de sa récente

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

victoire, elle s'élança contre les Arabes. Elle les enfonça au premier choc et les poursuivit ; mais au cours de cette poursuite, Hérode tomba dans un guet-apens. Athénion, l'un des généraux de Cléopâtre, qui lui avait toujours été hostile, souleva contre lui les habitants de Canatha[169]. Les Arabes, à l'arrivée de ce renfort,

reprennent courage et font volte-face. Rassemblant toutes leurs forces dans un terrain rocheux et difficile, ils mettent en fuite les troupes d'Hérode et en font un grand carnage. Ceux qui s'échappèrent se réfugièrent à Ormiza ; mais les Arabes y cernèrent leur camp et le prirent avec ses défenseurs.

  1. Peu de temps après ce désastre Hérode revint avec des secours, trop tard pour y remédier. La cause de sa défaite fut l'insubordination de ses lieutenants : sans ce combat improvisé Athénion n'eût pas trouvé l'occasion de sa perfidie. Cependant Hérode se vengea des Arabes en ravageant encore à diverses reprises leur territoire, et leur rappela ainsi par maints cuisants souvenirs leur unique victoire. Tandis qu'il se défendait contre ses ennemis, une autre fatalité providentielle l'accabla dans la septième année de son règne, pendant que la guerre d'Actium battait son plein[170]. Au début du printemps

un tremblement de terre fit périr d'innombrables bestiaux et trente mille personnes : heureusement l'armée ne fut pas atteinte, car elle campait en plein air. A ce moment l'audace des Arabes redoubla, excitée par la rumeur, qui grossit toujours les évènements funestes. Ils s'imaginèrent que toute la Judée était en ruine et qu'ils s'empareraient d’un pays sans défenseurs ; dans cette pensée ils l'envahirent, après avoir immolé les députés que les Juifs leur avaient envoyé. L'invasion frappe de terreur la multitude, démoralisée par la grandeur de ces calamités successives ; Hérode la rassemble et s'efforce par ce discours de l’encourager à la résistance :

  1. « La crainte qui vous envahit à cette heure me paraît complètement dénuée de raison. Devant les coups de la Providence le découragement était naturel ; devant l'attaque des hommes, ce serait le fait de lâches. Pour moi, bien loin de craindre l'invasion des ennemis

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

succédant au tremblement de terre, je vois dans cette catastrophe une amorce dont Dieu s'est servi pour attirer les Arabes et les livrer à notre vengeance. S'ils nous attaquent, ce n'est pas, en effet, par confiance dans leurs armes ou leurs bras, mais parce qu'ils comptent sur le contre-coup de ces calamités naturelles ; or trompeuse est l'espérance qui repose non sur notre propre force, mais sur le malheur d'autrui. Ni la bonne ni la mauvaise chance n’est durable parmi les hommes, et l'on voit souvent la fortune changer de face : vous pouvez l'apprendre par votre propre exemple. Vainqueurs dans la première rencontre, nous avons vu ensuite les ennemis remporter l'avantage ; de même aujourd'hui, suivant toute vraisemblance, ils succomberont, alors qu'ils se flattent de triompher. Car l'excès de confiance rend imprudent, tandis que l'appréhension enseigne la précaution ; aussi votre pusillanimité même raffermit ma confiance. Lorsque vous vous montriez pleins d'une hardiesse excessive, lorsque, dédaignant mes avis, vous vous élanciez contre les ennemis, Athénion trouva l'occasion de sa perfidie ; maintenant, votre inertie et vos marques de découragement me donnent l'assurance de la yictoire. Cependant cette disposition d'esprit ne convient que pendant l'attente ; dans l'action même, vous devez porter haut vos cœurs afin que les plus impies sachent bien que jamais calamité humaine ni divine ne pourra humilier le courage des Juifs, tant qu'ils auront un souffle de vie, que nul d'entre eux ne laissera avec indifférence ses biens tomber au pouvoir d'un Arabe, qu'il a tant de fois, pour ainsi dire, pu emmener captif. Ne vous laissez pas davantage troubler par les mouvements de la matière brute, n'allez pas vous imaginer que le tremblement de terre soIt le signe d'un autre malheur ; les phénomènes qui agitent les éléments ont une origine purement physique ; ils n’apportent aux hommes d'autres dommages que leur effet immédiat. Une peste, une famine, les agitations du sol peuvent être précédées elles-mêmes de quelque signe plus fugitif, mais ces catastrophes une fois réalisées sont limitées par leur propre étendue. Et, en effet, quels dommages plus considérables que ceux de ce tremblement de terre pouvait nous faire éprouver l'ennemi, même victorieux ?

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

En revanche, voici un prodige important qui annonce la perte de nos ennemis ; il ne s'agit ni de causes naturelles, ni du fait d'autrui : contre la loi commune à tous les hommes, ils ont brutalement mis à mort nos ambassadeurs ; voila les victimes couronnées qu'ils ont offertes à Dieu pour obtenir le succès. Mais ils n'échapperont pas à son oeil puissant, à sa droite invincible ; bientôt ils subiront le châtiment mérité, si, retenant quelque trace de la hardiesse de nos pères[171],

nous nous levons pour venger cette violation des traités. Marchons donc non pour défendre nos femmes, nos enfants, notre patrie en danger, mais pour venger les députés assassinés. Ce sont eux qui conduiront nos armes mieux que nous, les vivants. Moi-même, je m'exposerai le premier au péril, pourvu que je vous trouve dociles, car, sachez le bien, votre courage est irrésistible, si vous ne vous perdez vous-mêmes par quelque témérité. »

  1. Ces paroles ranimèrent l'armée : quand Hérode la vit pleine d’ardeur il offrit un sacrifice à Dieu, puis franchit le Jourdain avec ses troupes. Il campa à Philadelphie près de l'armée ennemie et commença à escarmoucher au sujet d'un château placé entre les deux camps avec le désir d'engager la bataille au plus vite. Les ennemis avaient fait un détachement pour occuper ce poste ; la troupe envoyée par le roi les délogea promptement et tint fortement la colline. Tous les jours Hérode amenait son armée, la rangeait en bataille et provoquait les Arabes au combat ; mais nul d'entre eux ne sortait des retranchements, car ils étaient saisis d'un profond abattement, et tout le premier, le général arabe Elthémos restait muet d'effroi. Alors le roi s'avança et commença à arracher les palissades du camp ennemi. Les Arabes, contraints et forcés, sortirent enfin pour livrer bataille, en désordre, les fantassins confondus avec les cavaliers. Supérieurs en nombre aux Juifs, ils avaient moins d'enthousiasme ; pourtant le désespoir même leur donnait quelque audace.
  2. Aussi, tant qu'ils tinrent bon, ils ne subirent que de faibles pertes, mais dés qu'ils tournèrent le dos, les Juifs les massacrèrent en foule : un grand nombre aussi

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

s'entre-tuèrent en s'écrasant les uns les autres. Cinq mille hommes tombèrent dans la déroute, le reste de la multitude se hâta de gagner le camp fortifié et s'y s'enferma. Hérode les entoura aussitôt et les assiégea ; ils devaient nécessairement succomber à un assaut, lorsque le manque d'eau et la soif précipitèrent leur capitulation. Le roi reçut avec mépris leurs députés et, quoiqu'ils offrissent une rançon de cinq mille talents, il les pressa encore plus étroitement. Dévorés par la soif, les Arabes sortaient en foule pour se livrer d'eux-mêmes aux Juifs. En cinq jours, on fit quatre mille prisonniers ; le sixième jour, cédant au désespoir, le reste de la multitude sortit au combat : Hérode fit face et en tua encore environ sept mille. Après avoir, par ce coup terrible, repoussé les Arabes et brisé leur audace, il acquit auprès d'eux tant de crédit que leur nation le choisit pour protecteur.

1-2. Bataille d’Actium. Hérode confirmé dans son

royaume par Octavien. – 3. Services rendus par Hérode à Octavien dans la campagne d’Égypte. Son territoire agrandi. - 4. Nouveaux agrandissements (Trachonitide, etc.)

1[172]. A peine ce danger disparu, il trembla bientôt

pour son existence même ; et cela à cause de son amitié pour Antoine, que César venait de vaincre à

Actium[173]. Il eut cependant plus de crainte que de

mal ; car tant qu'Hérode restait fidèle à Antoine, César

ne jugeait pas celui-ci à sa merci[174], Cependant le roi

résolut d'aller au devant du péril ; il se rendit à Rhodes, où séjournait César, et se présenta devant lui sans diadème, dans le vêtement et l'attitude d'un simple particulier, mais gardant la fierté d’un roi ; car, sans rien altérer de la vérité, il lui dit en face : « Fait loi par Antoine, César, j'avoue qu’en toute occasion j'ai cherché à le servir : je ne te cacherai même pas, que ma reconnaissance l'aurait suivi jusque sur les champs de bataille, si les Arabes ne m'en avaient empêché ; cependant je lui ai envoyé des troupes dans la mesure de

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

mes forces et des milliers de boisseaux de blé. Même après sa délaite d'Actium, je n'ai pas abandonné mon bienfaiteur ; ne pouvant plus être un allié utile, je fus pour lui le meilleur des conseillers. Je lui représentai qu'il n'y avait qu'un seul remède à ses désastres : la mort de Cléopâtre ; elle tuée, je lui promettais mes richesses, mes remparts pour sa sûreté, mes troupes et moi-même, pour l'aider dans la guerre qu'il te faisait. Mais les charmes de Cléopâtre et Dieu qui t'accorde l'empire ont bouché ses oreilles. J'ai été vaincu avec Antoine, et quand tomba sa fortune, j'ai déposé le diadème. Je suis venu vers toi, mettant dans mon innocence l'espérance de mon salut, et présumant qu'on examinera quel ami je fus et non pas de qui je l'ai été. »

2. A cela César répondit : « Eh bien ! sois donc pardonné, et règne désormais plus sûrement qu'autrefois. Car tu es digne de régner sur beaucoup d’hommes, toi qui respectes l'amitié à ce point. Tâche de garder la même fidélité à ceux qui sont plus heureux ; de mon côté, la grandeur d'âme me fait concevoir les plus brillantes espérances. Antoine a bien fait d'écouter les conseils de Cléopâtre plutôt que les tiens : c’est à sa folie que je dois le gain de ton alliance. Tu inaugures déjà tes services, puisque si j'en crois une lettre de Q. DidiusF175], tu lui

as envoyé des secours contre les gladiateurs. Maintenant je veux par un décret public confirmer ta royauté et je m'efforcerai à l'avenir de te faire encore du bien, pour que tu ne regrettes pas Antoine. »

3F176]. Ayant ainsi témoigné sa bienveillance au roi et

placé le diadème sur sa tête, il confirma ce don par un décret où il faisait longuement son éloge en termes magnifiques. Hérode, après l'avoir adouci par des présents, chercha à obtenir la grâce d'Alexas, un des amis d'Antoine, venu en suppliant ; mais le ressentiment de César fut le plus fort ; les nombreux et graves griefs qu'il avait contre Alexas firent repousser cette supplique. Quand ensuite César se dirigea vers l'Égypte à travers la Syrie, Hérode le reçut en déployant pour la première fois un faste royal il l'accompagna à cheval dans la revue que César passa de ses troupes, près de Ptolémaïs ; il lui offrit un festin à lui et à tous ses amis ; au reste de

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

l'armée il lit faire bonne chaire de toute façon. Puis, quand les troupes s'avancèrent jusqu'à Péluse à travers une région aride, il prit soin de leur fournir l'eau en abondance, et de même au retour ; par lui, en un mot, l'armée ne manqua jamais du nécessaire. César lui-même et les soldats estimaient que le royaume d'Hérode était bien étroit, en proportion des sacrifices qu’il faisait pour eux. Aussi, lorsque César parvint en Égypte après la mort de Cléopâtre et d'Antoine, non seulement il augmenta tous les honneurs d'Hérode, mais il agrandit encore son royaume en lui rendant le territoire que Cléopâtre s'était approprié ; il y ajouta Gadara, Hippos et Samarie ; en outre, sur le littoral, Gaza, Anthédon, Joppé et la Tour de Straton. Il lui donna, enfin, pour la garde de sa personne, quatre cents Gaulois qui avaient d'abord été les satellites de Cléopâtre. Rien n'excita d'ailleurs cette générosité comme la fierté de celui qui en était l'objet.

4F177]. Après la première période ActiaqueF178],

l’empereur ajouta au royaume d'Hérode la contrée appelée Trachonitide et ses voisines, la Batanée et l'Auranitide. En voici l'occasion, Zénodore, qui avait loué le domaine de Lysanias, ne cessait d'envoyer les brigands de la Trachonitide contre les habitants de Damas. Ceux-ci vinrent se plaindre auprès de Varron, gouverneur de Syrie, et le prièrent d’exposer à César leurs souffrances quand l'empereur les apprit, il répondit par l'ordre d'exterminer ce nid de brigands. Varron se mit donc en campagne, nettoya le territoire de ces bandits et en déposséda Zénodore : c'est ce territoire que César donna ensuite à Hérode, pour empêcher que les brigands n'en fissent de nouveau leur place d'armes contre Damas. Il le nomma aussi procurateur de toute la Syrie, quand, dix ans après son premier voyage, il revint dans cette provinceF179] ; car il défendit que les

procurateurs pussent prendre aucune décision sans son conseil. Quand enfin mourut Zénodore, il donna encore à Hérode tout le territoire situé entre la Trachonitide et la Galilée. Mais ce qu'Hérode appréciait au-dessus de ces avantages, c'est qu'il venait immédiatement après Agrippa dans l'affection de César, après César dans celle d'Agrippa. Grâce à cette faveur, sa prospérité s'éleva au

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

plus haut degré : son esprit croissait dans la même

mesure et presque toute son ambition se tourna vers des oeuvres de piété.

1. Reconstruction par Hérode du Temple de Jérusalem : palais royal, tour Antonia. – 2. Fondation de Sébasté. – 3. Temple du Paneion. – 4. Constructions diverses en l’honneur d’Auguste. – 5-7. Port de Césarée. – 8-9. Jeux de Césarée. Fondation d’Agrippium (Anthédon), Antipatris, Cypros, Phasaëlis. – 10. Les deux Hérodium. – 11-12. Libéralités à des villes étrangères. Jeux olympiques. – 13. Portrait d’Hérode.

1[180]. Ce fut donc dans la quinzième année de son règne[181] qu'il fit rebâtir le Temple et renouveler les

fortifications de l'espace environnant, porté au double de son étendue primitive. Ce fut une entreprise extrêmement coûteuse et d'une magnificence sans égale, comme l’attestent les grands portiques élevés autour du Temple et la citadelle qui le flanqua au nord : les portiques furent reconstruits de fond en comble, la citadelle restaurée avec une somptuosité digne d’un palais royal ; Hérode lui donna le nom d'Antonia, en l'honneur d'Antoine. Son propre palais, qu'il fit construire dans la partie haute de la ville, comprenait deux appartements très vastes et magnifiques, avec lesquels le Temple même ne pouvait soutenir la comparaison ; il les appela du nom de ses amis, l'un Césaréum, l'autre Agrippium.

2[182]. D'ailleurs, il ne se contenta pas d'attacher à des

palais le nom et la mémoire de ses protecteurs ; sa générosité s'exprima par la création de cités entières. Dans le pays de Samarie, il entoura une ville d'une magnifique enceinte de vingt stades, y introduisit six mille colons et leur attribua un territoire très fertile ; au centre de cette fondation, il éleva un très grand temple dédié a l'empereur, l'entoura d'un enclos réservé de un stade et demi[183] et nomma la ville Sébasté. Les

habitants reçurent une constitution privilégiée.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

3[184]. Quand plus tard l'empereur lui fit présent de

nouveaux territoires, Hérode lui dédia là aussi un temple de marbre blanc près des sources du Jourdain, au lieu appelé Paneion. Une montagne y dresse son sommet à une immense hauteur[185] et ouvre dans la cavité de

son flanc un antre obscur, où plonge jusqu'à une profondeur inaccessible un précipice escarpé ; une masse d'eau tranquille y est enfermée, si énorme qu'on a vainement essayé par des sondages d'atteindre le fond. De cet antre au pied de la montagne, jaillissent extérieurement les sources qui, suivant l'opinion de plusieurs, donnent naissance au Jourdain ; nous en parlerons avec plus de précision dans la suite.

4[186]. A Jéricho encore, entre la citadelle de Cypros[187] et l'ancien palais, le roi fit construire de

nouvelles habitations plus belles et mieux aménagées

pour la réception des hôtes ; il leur donna le nom de ces mêmes amis[188]. En un mot, il n'y eut pas dans son

royaume un lieu approprié où il ne laissât quelque marque d'hommage envers César. Après avoir rempli de temples son propre territoire, il fit déborder sur la province entière sa dévotion à l'empereur et fonda des temples de César dans plusieurs cités.

5[189]. Il remarqua parmi les cités du littoral une ville

appelée Tour de Straton , alors en pleine décadence, mais qu'une situation favorable recommandait à sa libéralité. Il la reconstruisit tout entière en pierre blanche, l'orna des palais les plus magnifiques et y déploya plus que partout ailleurs la naturelle grandeur de son génie. Tout le littoral entre Dora et Joppé, à égale distance desquelles se trouve cette ville, est dépourvu de ports : aussi tous les navigateurs qui longent la Phénicie pour se rendre en Égypte jetaient-ils l'ancre au large sous la menace du vent du sud-ouest ; car, même quand il souffle modérément, le flot se soulève à une telle hauteur contre les falaises que son reflux entretient à une grande distance la fureur de la mer. Le roi, par sa prodigue magnificence, triompha de la nature, construisit un port plus grand que le Pirée et pratiqua

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

dans ses recoins d'autres mouillages profonds.

  1. Bien que le terrain contrariât tous ses projets, il combattit si bien les obstacles, qu'il garantit contre les attaques de la mer la solidité de ses constructions, tout en leur donnant une beauté qui éloignait toute idée de difficulté. En effet, après avoir mesuré pour le port la superficie que nous avons indiquée, il fit immerger dans la mer, jusqu’à une profondeur de vingt brasses, des blocs de pierre dont la plupart mesuraient cinquante pieds de longueur, neuf de hauteur et dix de

largeur[190] ; quelques-uns même étaient plus grands

encore. Quand le fond eut été ainsi comblé, il dressa sur ces assises, au-dessus de l'eau, un môle large de deux cents pieds : la moitié, cent pieds, servait à recevoir l'assaut des vagues, - d'où son nom de « brise-lames » - le reste soutenait un mur de pierre, qui faisait tout le tour du port ; de ce mur surgissaient, de distance en distance, de hautes tours dont la plus grande et la plus magnifique fut appelée Drusion, du nom du beau-fils de l’empereur.

  1. Il ménagea dans le mur un grand nombre de chambres voûtées, où s'abritaient les marins qui venaient jeter l'ancre : toute la terrasse circulaire, courant devant ces arcades, formait un large promenoir pour ceux qui débarquaient. L'entrée du port s'ouvrait au nord, car, dans ces parages, c'est le vent du nord qui est, de tous, le plus favorable. Dans la passe on voyait de chaque côté trois colosses, étayés sur des colonnes ; ceux que les navires entrants avaient à bâbord s'élevaient sur une tour massive, ceux à tribord sur deux blocs de pierre dressés et reliés entre eux, dont la hauteur dépassait celle de la tour vis-à-vis. Adjoignant au port on voyait des édifices construits eux aussi en pierre blanche, et c'était vers le port que convergeaient les rues de la ville, tracées à des intervalles égaux les unes des autres. En face de l'entrée du port s'élevait sur une éminence le temple d'Auguste[191], remarquable par

sa beauté et sa grandeur ; il renfermait une statue colossale de l'empereur, qui ne le cédait point à celle du Zeus d'Olympie dont elle était inspirée, et une statue de Rome, semblable à celle d'Héra, à Argos. Hérode dédia la

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

ville à la province, le port à ceux qui naviguaient dans ces parages, à César la gloire de cette fondation ; aussi donna-t-il à la cité le nom de Césarée.

8F192]. Le reste des constructions, l'amphithéâtre, le

théâtre, les places publiques, furent dignes du nom de cette ville. Hérode y institua aussi des jeux quinquennauxF193], également dénommés d'après

l'empereur ; il les inaugura lui-même, dans la 192e OlympiadeF194], en proposant des prix magnifiques :

non seulement les vainqueurs, mais encore ceux qui venaient au second et au troisième rang prenaient part aux largesses royales. Il releva encore Anthédon, ville du littoral, qui avait été ruinée au cours des guerres, et lui donna le nom d'AgrippiumF195] ; dans l'excès de son

affection pour Agrippa, il fit graver le nom de ce même ami sur la porte qu'il éleva dans le TempleF196].

9F197]. Hérode, qui aimait ses parents autant que fils au

monde, consacra à la mémoire de son père une cité dont il choisit l'emplacement dans la plus belle plaine de son royaume, abondante en cours d'eau et en arbres ; il lui donna le nom d'Antipatris. Au-dessus de Jéricho, il entoura de murailles un lieu remarquable par sa forte position et sa beauté et l'appela Cypros du nom de sa mère. Celui de son frère Phasaël fut attribué à un tour de Jérusalem, dont nous dirons dans la suite la structure et la somptueuse grandeur. Il nomma encore Phasaëlis une autre ville qu'il fonda dans la vallée, au nord de Jéricho.

10F198]. Ayant ainsi transmis à l'immortalité ses parents

et ses amis, il n'oublia pas le souci de sa propre mémoire. C'est ainsi qu'il renouvela les fortifications d'une place située dans la montagne, du côté de l'Arabie, et l'appela de son propre nom, Hérodium. Une colline artificielle en forme de mamelon, à soixante stades de Jérusalem, reçut le même nom, mais fut embellie avec plus de recherche. Hérode entoura le sommet de la colline d'une couronne de tours rondes et accumula dans l'enceinte les palais les plus somptueux : non seulement l'aspect des constructions, à l'intérieur, était

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

superbe, mais les richesses étaient répandues à profusion sur les murs extérieurs, les créneaux et les toits. Il fit venir à grands frais de loin des eaux abondantes et assura l'accès du palais par un escalier de deux cents degrés de marbre d'une blancheur éclatante, car la colline était assez haute et tout entière faite de main d'homme. Au pied du coteau, il bâtit un autre palais pouvant abriter un mobilier et recevoir ses amis. Par la plénitude des ressources, cette enceinte fortifiée paraissait être une ville par ses dimensions, c'était un simple palais.

11[199]. Après tant de fondations, il témoigna encore sa

générosité à un grand nombre de villes étrangères. Il construisit, en effet, des gymnases à Tripolis, à Damas et à Ptolémaïs, une muraille à Byblos, des exèdres, des portiques, des temples et des marchés à Béryte et à Tyr, des théâtres à Sidon et à Damas; à Laodicèe sur mer, un aqueduc ; à Ascalon, des bains, de somptueuses fontaines, des colonnades admirables pour la beauté et les dimensions ; d'autres cités furent embellies de parcs et de prairies. Beaucoup de villes, comme si elles eussent été associées à son royaume, reçurent de lui des territoires ; d'autres, comme Cos, obtinrent des gymnasiarchies annuelles à perpétuité, assurées par des rentes constituées, afin de n’être jamais privées de cet honneur. Il distribua du blé à tous ceux qui en avaient besoin ; il fournit aux Rhodiens à diverses reprises de fortes sommes destinées à des constructions navales, et quand leur Pythion fut incendié, il le fit reconstruire plus magnifiquement à ses frais. Faut-il rappeler ses présents aux Lyciens et aux Samiens, et des marques de générosité qu'il répandit dans l'Ionie entière suivant les besoins de chacun ? Les Athéniens, les Lacédémoniens, les habitants de Nicopolis, de Pergame en Mysie, ne sont-ils pas comblés des offrandes d'Hérode ? Et la grande rue d’Antioche de Syrie, qu'on évitait à cause de la boue, n'est-ce pas lui qui l'a pavée en marbre poli sur une longueur de vingt stades, lui qui l'a ornée d'un portique de même longueur pour abriter les promeneurs contre la pluie ?

12[200]. Tous ces dons, dira-t-on, n'intéressaient que

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

chacun des peuples particuliers ainsi gratifiés ; les largesses qu'il fit aux Eléens ne sont pas seulement un présent commun à la Grèce entière, mais à tout l’univers où se répand la gloire des jeux olympiques. En voyant ces jeux déchus par l'absence de ressources et cet unique reste de l'ancienne Grèce tombant en ruine, non seulement il se laissa nommer agonothète pour la période quinquennale qui commençait au moment où, faisant voile vers Rome[201], il passa par là, mais il

constitua encore, au profit de la fête, des revenus perpétuels qui devaient à jamais conserver sa mémoire

parmi les agonothètes futurs[202]. Je n'en finirais pas de

passer en revue les dettes et les impôts qu'il pris à sa charge ; c'est ainsi qu'il allégea les contributions annuelles des habitants de Phasélis[203], de

Balanéa[204], des petites villes de Cilicie. Il dut souvent

mettre un frein à sa générosité, par crainte d'exciter l'envie et de paraître poursuivre un but trop ambitieux en faisant plus de bien aux villes que leurs propres maîtres.

13[205]. Il était servi par une constitution physique en

rapport avec son génie. Il excella toujours à la chasse, où il se distingua surtout par son expérience de cavalier : en un seul jour il terrassa quarante bêtes sauvages, car le pays nourrit des sangliers, et foisonne surtout de cerfs et d'ânes sauvages. Il fut aussi un soldat irrésistible. Souvent, dans les exercices du corps, il frappa d'étonnement les spectateurs à le voir jeter le javelot si juste et tirer de l'arc avec tant de précision. Mais outre les avantages de l'esprit et du corps, il eut encore pour lui la bonne fortune : il fut rarement battu à la guerre ; ses échecs ne furent-ils pas de sa faute, mais dus à la trahison, ou a l'ardeur téméraire de ses soldats.

XXII

1. Malheurs domestiques d’Hérode. Exil d’Antipater, supplice d’Hyrcan. – 2. Enfants d’Hérode. Mort de Jonathas (Aristobule). – 3-5. Supplice de Mariamme.

1[206]. Cependant la prospérité extérieure d'Hérode fut

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

empoisonnée de chagrins domestiques par le sort

jaloux ; l'origine de ses infortunes fut la femme qu'il aimait le plus. Arrivé au pouvoir, il avait répudié l'épouse qu'il s'était donnée dans une condition privée, Doris, originaire de Jérusalem, et pris pour nouvelle compagne Mariamme, fille d’Alexandre, fils d'Aristobule ; ce fut elle qui jeta le trouble dans sa maison. Ce trouble commença de bonne heure, mais s'aggrava surtout après le retour d'Hérode de Rome. Tout d'abord il chassa de la capitale le fils qu'il avait eu de Doris, Antipater, à cause des enfants que lui avait donnés Mariamme ; il ne l'autorisa à y paraître que pour les fêtes. Ensuite il mit à mort, sous le soupçon d'un complot, Hyrcan, grand-père de sa femme, qui était revenu de chez les Parthes auprès de lui[207]. On a vu que Barzapharnès, lorsqu'il envahit la

Syrie, avait emmené Hyrcan prisonnier ; mais les Juifs qui habitaient au delà de l'Euphrate obtinrent, à force de larmes, sa mise en liberté. S'il avait suivi leur conseil de ne pas rentrer auprès d'Hérode, il aurait évité sa fin tragique ; le mariage de sa petite-fille fut l'appât mortel qui le perdit. Il vint, confiant dans cette alliance et poussé par un ardent désir de revoir sa patrie. Hérode fut exaspéré, non pas que le vieillard aspirât à la

royauté, mais parce qu'elle lui revenait de droit.

2[208]. Hérode eut cinq enfants de Mariamme, deux

filles[209] et trois fils. Le plus jeune de ceux-ci fut élevé à Rome et y mourut ; les deux aînés[210] reçurent une

éducation royale, à cause de l'illustre naissance de leur mère et parce qu'ils étaient liés après l'avènement d'Hérode au trône. Plus que tout cela, ils avaient pour eux l'amour d'Hérode envers Mariamme, amour de jour en jour plus passionné, au point même de le rendre insensible aux chagrins que lui causait l'aimée ; car l'aversion de Mariamme pour lui égalait son amour pour elle. Comme les événements donnaient à Mariamme de justes motifs de haine, et l'amour de son mari le privilège de la franchise, elle reprochait ouvertement à Hérode sa conduite envers son aïeul Hyrcan et son frère Jonathas[211] ; car il n'avait pas même épargné cet

enfant : investi à l'âge de dix-sept ans des fonctions de grand prêtre, il avait été mis à mort, aussitôt après son

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

entrée en charge ; son crime fut qu'un jour de fête, comme, revêtu de la robe du sacerdoce, il montait à l'autel, le peuple assemblé en foule s'était mis à pleurer. Là-dessus Hérode le fit partir de nuit pour Jéricho, où, sur l'ordre du roi, les Gaulois[212] le plongèrent dans

une piscine et le noyèrent.

3[213]. Pour ces motifs Mariamme harcelait Hérode de

ses reproches, poursuivant même de ses outrages la mère et la sœur du roi. Comme la passion d'Hérode continuait à le paralyser, ces deux femmes, bouillantes d'indignation, dirigèrent contre la reine la calomnie qui devait à leurs yeux toucher le plus vivement Hérode : l'adultère. Parmi tant d'inventions qu'elles imaginèrent pour le persuader, elles accusèrent Mariamme d'avoir envoyé son portrait à Antoine, en Égypte, et d'avoir poussé l'excès de son impudeur jusqu'à se montrer, absente, à un homme passionné pour le sexe et assez puissant pour la prendre de force. Cette accusation frappa Hérode comme un coup de tonnerre : l'amour allumait sa jalousie ; il se représentait avec quelle habileté Cléopâtre s'était débarrassée du roi Lysanias et de l'Arabe Malichos[214] ; il se vit menacé non

seulement de perdre son épouse mais la vie.

4[215]. Comme il devait partir en voyage, il confia sa

femme à Joseph, mari de Salomé sa sœur, personnage fidèle et dont cette alliance lui garantissait l'affection ; il lui donna en secret l'ordre de mettre à mort la reine, si Antoine le tuait lui-même. Là-dessus Joseph, sans aucune mauvaise intention, mais pour donner à la reine une idée de l'amour du roi, qui ne pouvait souffrir d'être séparé d'elle, même dans la mort, révéla le secret à Mariamme. Quand Hérode revint, il fit à Mariamme, dans l'effusion de leurs entretiens, mille serments de son affection, l'assurant qu'il n'aimerait jamais une autre femme. Alors la reine : « Tu l'as bien montré cet amour, dit-elle, par l'ordre que tu as donné à Joseph de me tuer ».

5. En entendant ce propos, Hérode devint comme fou : il s'écria que Joseph n'aurait jamais trahi à la reine sa

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

mission, s'il ne l'avait d'abord séduite. Égaré par le chagrin, il s'élança du lit et courut çà et là dans le palais. Salomé, sa sœur, saisit cette occasion d'enfoncer ses calomnies et fortifia les soupçons du roi contre Joseph. Affolé par l'excès de sa jalousie, il donna aussitôt l'ordre de les tuer tous les deux. Le regret suivi de près cette explosion de douleur, et quand la colère fût tombée, l'amour se ralluma de nouveau. Telle était l'ardeur de sa passion qu'il ne pouvait croire sa femme morte ; dans son égarement il lui parlait comme si elle respirait ; et quand enfin le temps lui eut fait comprendre sa perte, son deuil égala l'amour que vivante elle lui avait inspiré.

XXIII

1-2. Hostilité des fils de Mariamme envers Hérode. Rappel et intrigues d’Antipater. – 3. Procès des fils de Mariamme devant Auguste ; réconciliation générale. – 4. Visite chez Archélaüs de Cappadoce. – 5. Hérode proclame ses trois fils héritiers de sa couronne ; son discours au peuple.

1[216]. Les fils de Mariamme héritèrent du ressentiment

de leur mère. Réfléchissant au crime de leur père, ils le regardaient comme un ennemi, cela dès le temps où ils faisaient leur éducation à Rome, et plus encore après leur retour en Judée : cette disposition ne fit que croître chez eux avec les années. Quand ils furent en âge de se marier et qu'ils épousèrent, l'un la fille de sa tante Salomé, l'accusatrice de leur mère, l'autre[217] la fille du

roi de Cappadoce, Archélaüs, leur haine se doubla de franc parler. Leur audace fournit un aliment à la calomnie, et dés lors certaines gens firent entendre clairement au roi que ses deux fils conspiraient contre lui, que même celui qui avait épousé la fille d’Archélaüs, comptant sur le crédit de son beau-père, se préparait à fuir pour aller accuser Hérode devant l'empereur. Le roi, saturé de ces calomnies, fit alors revenir le fils de Doris, Antipater, pour lui servir de rempart contre ses autres fils et commença à lui marquer sa préférence de mille manières.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

2F218]. Ce Changement parut intolérable aux fils de

Mariamme. Devant la faveur croissante de ce fils d'une mère bourgeoise, la fierté de leur sang ne put maîtriser son indignation ; à chacun des affronts qu'ils recevaient, leur ressentiment éclatait ; Pendant que leur opposition s'accentuait chaque jour, Antipater se mit à intriguer de son côté, montrant une habileté consommée à flatter son père. Il forgeait contre ses frères des calomnies variées, répandant les unes lui-même, laissant propager les autres par ses confidents, jusqu'au point de ruiner complètement les espérances de ses frères à la couronne. En effet, il fut déclaré héritier du trône à la fois dans le testament de son père et par des actes publics : quand il fut envoyé en ambassadeur vers CésarF219], son équipage fut celui d'un roi ; il en avait

les ornements et le cérémonial, excepté le diadème. Avec le temps il fut assez fort pour ramener sa mère dans le lit de Mariamme usant alors contre ses frères d'une arme double, la flatterie et la calomnie, il travailla l'esprit du roi jusqu'a lui faire projeter leur supplice.

3F220]. Le père traîna l'un d’eux, Alexandre, à Rome, et

l'accusa devant César d’avoir tenté de l’empoisonner. Le prince, trouvant enfin l’occasion d'exprimer librement ses plaintes et ayant devant lui ni juge plus (impartial ?) qu'Antipater et de sens plus rassis qu'HérodeF221], eut

cependant la modestie de voiler les fautes de son père, mais réfuta avec force les calomnies dont il était l'objet. Puis il démontra de la même manière l'innocence de son frère, qui partageait ses périls, et se plaignit de la scélératesse d'Antipater et de l'ignominie où tous deux étaient plongés. Il trouvait un secours à la fois dans la pureté de sa conscience et dans la force de ses discours il avait, en effet, un grand talent de parole. Quand, à la fin, il déclara que leur père pouvait les mettre à mort, s'il tenait l'accusation pour fondée, il arracha des larmes à tous les assistants. L'empereur touché s'empressa d'absoudre les accusés et de les réconcilier aussitôt avec Hérode. Les conditions de l'accommodement furent que les princes obéiraient en tout à leur père et que le roi serait libre de léguer la couronne à qui bon lui semblerait.

 

 

 

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4F222]. Après cette dérision, le roi quitta Rome, écartant,

semblait-il, ses accusations contre ses fils, mais non ses soupçons. Car Antipater, instigateur de sa haine, l'accompagnait, tout en n'osant pas manifester ouvertement soit inimitié, par crainte de l'auteur de la réconciliation. Quand le roi, en longeant le littoral de la Cilicie, aborda à Elaioussa, Archélaüs les reçut aimablement à sa table ; il félicita son gendre de son acquittement et se réjouit de voir le père et les fils réconciliés ; il s'était d'ailleurs empressé d’écrire à ses amis de Rome pour les prier de prêter assistance à Alexandre dans son procès. Il accompagna ses hôtes jusqu'à Zéphyrion et leur fit des présents dont la valeur montait à trente talents.

5F223]. Arrivé à Jérusalem, Hérode assembla le peuple

et, lui présentant ses trois fils, s'excusa de son voyage, puis adressa de longs remerciements à Dieu, mais aussi à César, qui avait rétabli sa maison ébranlée et assuré à ses fils un bien plus précieux que la royauté la concorde.

« Cette concorde, dit-il, j'en resserrerai les liens moi-même, car l'empereur m'a institué maître du royaume et arbitre de ma succession. Or, considérant à la fois mon intérêt et la reconnaissance pour son bienfait, je proclame rois mes trois fils que voici, et je demande à Dieu d'abord, à vous ensuite, de confirmer mon suffrage. Ils ont droit à ma succession, l'un par son âge, les autres par leur naissance ; et l'étendue de mon royaume suffirait même à un plus grand nombre. Ceux donc que César a réconciliés, que leur père exalte, à votre tour respectez-les, décernez-leur des honneurs qui ne soient ni injustes, ni illégaux, mais proportionnés à l'âge de chacun, car en honorant quelqu'un au delà du droit que lui confèrent les années, on le réjouit moins qu'on n'attriste celui qu'on néglige. Je choisirai avec soin les conseillers intimesF224] qui devront vivre auprès de

chacun d'eux, et je les instituerai garants de leur bonne intelligence, sachant bien que les factions et les rivalités des princes ont leur source dans ta méchanceté de leurs amis, comme leur concorde dans la vertu de ceux-ci.

 

 

 

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D'ailleurs j'exige non seulement de ces confidents, mais encore des chefs de mon armée, qu'ils mettent jusqu'à nouvel ordre leurs espérances en moi seul : ce n'est pas la royauté, ce sont les honneurs royaux seulement que je décerne à mes fils ; ils jouiront ainsi des agréments du pouvoir, comme s'ils étaient les maîtres, mais c'est sur moi que retombera le poids des affaires, quand même je ne le voudrais pas. Au reste, considérez tous mon âge, la conduite de ma vie, ma piété. Je ne suis pas assez vieux pour qu'on puisse escompter ma mort à bref délai, ni adonné aux plaisirs qui sapent la jeunesse même : j'ai honoré assez la divinité pour pouvoir espérer le plus long terme de l'existence. Quiconque fera donc la cour à mes fils, en vue de ma perte, encourra mon châtiment comme coupable envers eux-mêmes. Car ce n'est pas la jalousie envers ces enfants, sortis de moi, qui me fait limiter les hommages qu'on leur adresse, c'est la conviction que l'excès de flatterie encourage la jeunesse à la témérité. Si donc chacun de ceux qui approchent mes fils se persuade bien que, vertueux, il s'assurera ma reconnaissance, que, factieux, il perdra sa méchanceté même auprès de celui qu'il flattera, je pense qu'ils prendront tous à cœur mes intérêts, je veux dire ceux de mes fils ; car il est bon pour eux que je règne et bon pour moi qu'ils s'entendent entre eux. Quant à vous, mes chers fils, considérez les liens sacrés de la nature, qui maintiennent l'affection même entre les bêtes sauvages. Considérez César, auteur de notre réconciliation, considérez moi-même qui conseille là où je pourrais ordonner, et restez frères. Je vous donne, dès ce moment, la robe et les honneurs des rois je prie Dieu de confirmer mon jugement, si vous restez unis ».

A ces mots, il embrassa cordialement chacun de ses fils, et renvoya la multitude ; les uns appuyaient de leurs vœux ses paroles, tandis que ceux qui désiraient un changement feignaient de ne les avoir pas même entendues.

XXIV

1. Intrigues et calomnies d’Antipater contre les fils de Mariamme.- 2. Toute-puissance d’Antipater ; arrogance

 

 

 

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de Glaphyra. – 3. Plaintes de Salomé contre Aristobule. – 4. Essai de conciliation tenté par Hérode. – 5-6. Fautes et pardon de Phéroras et de Salomé. – 7. Alexandre dénoncé par ses eunuques. – 8. Son arrestation.

1[225]. Cependant les trois frères, en se séparant,

emportaient la discorde attachée à leurs cœurs. Alexandre et Aristobule, redoublant de défiance, s'affligeaient de voir Antipater confirmé dans ses privilèges d'aîné ; Antipater en voulait à ses frères de prendre rang même après lui. Toutefois, ce dernier, d'un caractère très artificieux, savait garder le silence et, usant d'une extrême adresse, dissimulait la haine qu'il portait à ses frères ; ceux-ci, au contraire, enflés de leur noble naissance, avaient toutes leurs pensées sur les lèvres. Beaucoup de gens s'ingénièrent à les exciter, un plus grand nombre s'insinuèrent dans leur amitié pour les espionner. Tout ce qui se disait dans l'entourage d'Alexandre était bientôt connu d'Antipater et passait d'Antipater à Hérode, non sans amplifications. Le jeune prince ne pouvait ouvrir la bouche sans être incriminé, tant la calomnie savait travestir le sens de ses paroles ; parlait-il avec un peu de liberté, les moindres bagatelles devenaient des énormités. Antipater glissait sans cesse auprès de lui des agents provocateurs, pour que ses mensonges eussent un fond de vérité ; de la sorte, parmi tant de médisances, un seul trait bien établi donnait créance au reste. Quant à ses propres amis, ou bien ils étaient de leur nature impénétrables, ou bien il obtenait d'eux, à force de présents, qu'ils ne divulguassent aucun secret. On aurait donc pu, sans se tromper, appeler la vie d'Antipater tout entière un mystère de perversité[226]. Corrompant à prix d'argent les familiers

d’Alexandre ou les gagnant par des flatteries, son moyen à tout faire[227], il les changeait en traîtres, qui

espionnaient tous les actes, toutes les paroles de son frère. Avec l’habilité d’un prudent machiniste, il savait amener ses calomnies aux oreilles d'Hérode par des voies artificieuses ; lui-même jouait le personnage d'un véritable frère, laissant à d'autres celui de dénonciateur. Alors, dès qu'on lançait quelque accusation contre Alexandre, il survenait comme par hasard, prenait sa défense et démolissait d'abord les méchants propos,

 

 

 

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mais, ensuite, il les relevait à loisir, et excitait contre lui la colère du roi. Toute la conduite de son frère était ramenée à un complot, tout convergeait à faire croire qu'il épiait l'occasion de tuer son père ; et rien ne donnait crédit à la calomnie comme les plaidoyers mêmes d'Antipater pour Alexandre.

2. Exaspéré par ces artifices, Hérode retranchait chaque jour quelque chose de son affection pour les jeunes princes et le reportait sur Antipater ; les familiers du palais inclinèrent dans le même sens, les uns de leur plein gré, les autres par ordre, tels que Ptolémée, le plus influent des amis d'Hérode, les frères du roi et toute sa famille. Antipater était tout-puissant, et, chose encore plus amère pour Alexandre, toute-puissante aussi la mère d'Antipater. Elle l'assistait de ses conseils dans tout ce qu'il tramait contre les deux frères, et, plus dure qu'une marâtre, elle haïssait ces fils de reine plus que des beaux-fils ordinaires.

Tout le monde, donc, sur les espérances qu'il inspirait, faisait sa cour à Antipater ; tous étaient poussés à la désertion par les ordres mêmes du roi qui avait défendu à ses plus chers amis de fréquenter Alexandre ou de lui témoigner de la sympathie. Hérode était, d'ailleurs, redouté non seulement par les gens de son royaume, mais encore par ses amis du dehors, car nul roi n'avait obtenu de César de pareilles prérogatives, jusqu'à pouvoir revendiquer ses sujets fugitifs même dans un ville non soumise à son autorité. Quant aux jeunes princes, ignorant les calomnies dont ils étaient l'objet, ils s’y exposaient avec d'autant plus d'imprévoyance, car jamais leur père ne leur faisait ouvertement de reproches ; pourtant, peu à peu sa froideur les avertit, et son humeur de plus en plus revêche à proportion de son chagrin.

En outre, Antipater indisposa contre eux leur oncle paternel Phéroras et leur tante Salomé, qu'il excitait par des conversations incessantes, parce qu'il la savait de grand sens[228]. Glaphyra, épouse d'Alexandre,

nourrissait la haine de Salomé, à force de vanter la lignée de sa noble famille elle se targuait d'être la

 

 

 

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souveraine de toutes les femmes du palais puisqu'elle remontait par son père à Téménos, par sa mère à

Darius, fils d'HystaspeF229]. En revanche, elle reprochait

sans cesse la bassesse de leur naissance à la sœur d'Hérode et à ses femmes, qui toutes avaient été choisies pour leur beauté et non pour leur race. Ces femmes d'Hérode étaient en grand nombre, car la coutume nationale autorisait la polygamie chez les Juifs, et le roi s'y complaisait. L'arrogance de Glaphyra et ses injures faisaient de toutes ces femmes autant d'ennemies d'Alexandre.

3F230]. Aristobule lui-même, quoique gendre de Salomé,

s'aliéna cette princesse déjà irritée par les mauvais propos de Glaphyra. Il ne cessait de reprocher à sa femme la bassesse de sa naissance, disant qu'il avait épousé une femme du peuple et son frère Alexandre une princesse. La fille de Salomé, vint tout en pleurs rapporter ces reproches à sa mère ; elle ajouta qu'Alexandre avait même menacé, une fois roi, de réduire les mères de ses autres frères à tisser la toile, comme ses esclaves, et de faire des princes eux-mêmes de simples greffiers de village, raillant ainsi le soin qu'on mettait à les instruire. Là-dessus, Salomé, ne pouvant maîtriser son ressentiment, alla tout raconter à Hérode, qui ne devait que trop la croire du moment qu'elle attaquait sont propre gendre. Une autre calomnie s'ajouta à celle-ci pour allumer la colère du roi : il apprit que les princes invoquaient fréquemment le nom de leur mère et gémissaient en maudissant leur père ; lorsque - et cela arrivait souvent - il donnait à ses nouvelles épouses des robes qui avaient appartenu à Mariamme, ils les menaçaient de les dépouiller bientôt de ces vêtements royaux pour leur faire porter des cilicesF231].

4F232]. Hérode, quoique ayant appris à craindre

l'insolence des jeunes princes, ne renonça pas à tout espoir de les ramener dans la bonne voie. Il les fit appeler au moment de s'embarquer pour Rome, leur adressa en roi de brèves menaces, et en père de longs avertissements. Il les exhorta à aimer leurs frères, promettant de pardonner leurs fautes passées, si leur

 

 

 

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conduite s'amendait à l'avenir. Les jeunes princes réfutèrent les attaques dont ils étaient l'objet, les déclarant mensongères et assurèrent que leurs actes confirmeraient leur dénégation ; ils ajoutèrent que cependant le roi devait aussi fermer la porte aux médisances, en cessant d'y croire si facilement ; car il ne manquerait pas de calomniateurs tant que la calomnie trouverait quelqu'un pour l'écouter.

5[233]. Ces assurances persuadèrent promptement le

cœur d'un père, mais si les princes dissipèrent le danger pour le présent, ils conçurent de nouveaux soucis pour l'avenir, car ils reconnurent alors l'inimitié de Salomé et de leur oncle Phéroras. Tous deux étaient durs et malveillants, mais Phéroras le plus à redouter, car il partageait avec Hérode tous les honneurs royaux, sauf le diadème. Il avait un revenu personnel de cent talents et la jouissance de tout le territoire situé au delà du Jourdain, qu’il avait reçu en don de son frère. Hérode l'investit aussi du titre de tétrarque, après en avoir demandé la grâce a César, et l'honora d'un hymen royal en l'unissant à la sœur de sa propre femme[234]. Quand

celle-ci mourut, le roi lui fiança l'aînée de ses propres filles[235], avec une dot de trois cents talents. Mais

Phéroras se déroba à cette union royale, pour courir après une esclave qu'il aimait. Hérode, irrité, maria sa fille à un de ses neveux, qui fut plus tard tué par les Parthes[236] ; après quelque temps, il se relâcha de son

ressentiment et pardonna à Phéroras sa maladie amoureuse.

6[237]. Depuis longtemps et du vivant même de la reine.

Phéroras avait été accusé de comploter l'empoisonnement du roi, mais au moment où nous sommes[238], il survint un si grand nombre de

dénonciateurs qu’Hérode, en dépit de sa grande affection pour son frère, finit par ajouter foi à leurs discours et prendre peur. Après avoir soumis à la question beaucoup de suspects, il en vint enfin aux amis de Phéroras. Aucun de ceux-ci n’avoua explicitement le complot, mais ils dirent qu’après avoir enlever sa maîtresse, Phéroras avait médité de fuir chez les

 

 

 

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Parthes, ayant pour confident de ce dessein et de cette fuite Costobaros auquel le roi avait uni sa sœur Salomé quand son premier époux eut été mis a mort pour crime d'adultère. Salomé elle-même n’était pas épargnée par la calomnie : son frère Phéroras l'accusait d'avoir signé lin engagement de mariage avec Sylléos, procurateur du roi des Arabes Obodas, ennemi juré d’Hérode. Quoique convaincue de cette faute et de toutes celles dont Phéroras l'accusait, elle obtint son pardon ; quant à Phéroras lui-même, Hérode le déchargea des accusations dont il était l'objet.

7F239]. C'est sur Alexandre que se détourna la tempête

domestique c'est sur sa tête qu’elle s'abattit tout entière. Il y avait trois eunuques, particulièrement honorés du roi, comme l'indiquent les services dont ils étaient chargés : l'un versait le vin, l'autre servait le souper, le troisième mettait le roi au lit et reposait à côté de lui. Alexandre avait, à grand prix, obtenu les faveurs de ces hommes. Sur une dénonciation, le roi les soumit à la torture et leur arracha des aveux ; ils confessèrent bien vite leurs relations avec Alexandre, mais révélèrent aussi les promesses qui les y avaient amenés. Alexandre, racontaient-ils, les avait trompés, en leur disant : « Ne mettez pas votre confiance dans Hérode, ce vieillard impudentF240] et qui se teint les cheveux, à moins que

cet artifice ne vous l'ait fait prendre pour un jeune homme : c'est moi, Alexandre, qu'il faut considérer, moi qui hériterai du trône, que mon père le veuille ou non ; j'aurai bientôt fait de me venger de mes ennemis et de faire le bonheur et l'opulence de mes amis, de vous entre tous ». Ils ajoutaient que, à l'en croire, les grands faisaient secrètement leur cour à Alexandre et que les chefs de l'armée et les commandants des régiments s'abouchaient avec lui en cachette.

8F241]. Ces aveux effrayèrent tellement Hérode qu'il

n'osa pas sur-le-champ les publier ; mais il sema des espions nuit et jour, recueillit tout t'e qui se faisait ou se disait, et se hâta de faire mourir ceux qui donnaient prise au soupçon. Le palais fut livré à une effroyable anarchie. Chacun, au gré de ses rivalités ou de ses haines personnelles, forgeait des calomnies ; beaucoup

 

 

 

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exploitaient contre leurs ennemis la colère meurtrière du roi. Le mensonge trouvait incontinent créance, le châtiment devançait la calomnie. L'accusateur d'hier se voyait bientôt accusé et traîné au supplice avec celui qu'il avait fait condamner : à tel point le danger de mort que croyait courir le roi lui faisait abréger ses enquêtes. Il s'exaspéra tellement que même ceux que nul n'accusait n'obtenaient plus de lui un regard bienveillant, et qu'il maltraita durement ses propres ami : beaucoup se virent interdire l'accès du palais ; ceux qu'épargnait son bras étaient blessés par ses paroles. Au milieu des malheurs d'Alexandre, Antipater revint à la charge et, faisant masse des favoris, ne recula devant aucune calomnie. Le roi fut poussé à un tel degré de terreur par les romans et les machinations d'Antipater qu'il se figurait voir Alexandre se dresser devant lui l'épée à la main. Il le fit donc arrêter à l'improviste et mettre en prison, puis procéda à la torture des amis de ce prince. La plupart moururent en silence, sans rien dire contre leur conscience ; quelques-uns se laissèrent arracher par la douleur des aveux mensongers : ils racontèrent qu'Alexandre, de concert avec son frère Aristobule, complotait contre le roi et qu'ils épiaient l'occasion de le tuer à la chasse, puis de s'enfuir à Rome. Ces récits avaient beau être invraisemblables et improvisés par la détresse : le roi prit plaisir à les croire et se consola d'avoir incarcéré son fils en s'imaginant l'avoir fait à bon droit.

1. Mémoires justificatifs d’Alexandre. Visite à son beau-père Archélaüs. – 2-5. Archélaüs innocente Alexandre, obtient la grâce de Phéroras et réconcilie tout le monde. – 6. Présents offerts à Archélaüs par Hérode.

1F242]. Alexandre. jugeant impossible de changer les

sentiments de son père, résolut d'aller au-devant du péril. Il composa alors contre ses ennemis quatre mémoires où il avouait le complot, mais désignait pour ses complices la plupart d'entre eux, surtout Phéroras et Salomé ; celle-ci, disait-il, avait même pénétré une nuit

 

 

 

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chez lui et l'avait, contre son gré, forcé de partager sa couche. Hérode avait déjà entre les mains ces mémoires, terrible réquisitoire contre les plus grands personnages, quand Archélaüs arriva en toute hâte en Judée[243],

craignant pour son gendre et sa fille. Il vint très habilement à leur aide et sut, par son artifice, détourner d'eux les menaces du roi. Dès qu'il fut en présence d'Hérode : « Où est, s'écria-t-il, mon scélérat de gendre ? Où pourrai-je voir cette tête parricide, afin de la trancher de mes propres mains ? Avec ce bel époux, j'immolerai aussi ma fille : si même elle n'a pas pris part au complot, il lui suffit d'avoir épousé uin pareil homme pour être souillée. Je m'étonne de ta longanimité. On a comploté ta mort, et Alexandre vit encore ! Pour moi, je suis venu en hâte de Cappadoce, croyant trouver le coupable depuis longtemps châtié et seulement pour faire, de concert avec toi, une enquête au sujet de ma fille, que je lui ai fiancée en considération de ta grandeur. Maintenant, je le vois, c'est sur tous deux que nous devons délibérer ; si ton cœur de père le rend trop faible pour punir un fils perfide, mets ta main dans ma main et prenons la place l'un de l'autre pour assouvir notre colère sur nos enfants ».

2. Par ces protestations bruyantes, il gagna Hérode, bien que celui-ci fût sur ses gardes[244]. Hérode lui donna

donc à lire les mémoires composés par Alexandre et, s'arrêtant après chaque chapitre, l'examinait avec lui. Archélaüs y trouva l'occasion de développer son stratagème et peu à peu retourna l'accusation contre ceux que le prince y avait dénoncés et particulièrement contre Phéroras. Quand il vît qu'il avait la confiance du roi : « Prenons garde, dit-il, que tous ces méchants n'aient tramé un complot contre ce jeune homme et non ce jeune homme contre toi. Et en effet je ne vois pas pour quel motif il serait tombé dans un tel abîme de noirceur, - lui qui jouissait déjà des honneurs royaux, qui avait l'espoir de succéder au trône. - si certains personnages ne l'avaient séduit et n'avaient tourné vers le mal la facilité de son âge : de telles gens n'égarent pas seulement les jeunes hommes, mais encore des vieillards : ils renversent ainsi des maisons très illustres, des royaumes entiers ».

 

 

 

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  1. Hérode approuvait ces discours ; peu a peu, il se relâchait de son ressentiment contre Alexandre et s'animait contre Phéroras : car c'était lui le vrai sujet des quatre mémoires. Quand celui-ci eut observé la versatilité du roi et la place prépondérante qu'Archélaüs avait su prendre dans son affection, désespérant de se sauver par des moyens honnêtes, il chercha le salut dans l'impudence : il abandonna Alexandre et se plaça sous la protection d'Archélaüs. Le Cappadocien lui déclara qu'il ne voyait pas moyen de tirer d'affaire un homme chargé de si lourdes accusations, qui avait manifestement comploté contre le roi et causé tous les malheurs actuels du jeune prince, à moins qu'il ne voulût renoncer à sa scélératesse, à ses dénégations, confesser tous les méfaits qu'on lui reprochait et implorer le pardon d'un frère qui l'aimait ; dans ce cas, Archélaüs se disait prêt à l'assister de tout son pouvoir.
  2. Phéroras se rend a cet avis ; il se compose l'attitude la plus pitoyable, et vêtu de noir, tout en pleurs, se jette aux pieds d'Hérode, comme il l'avait fait bien des fois, en demandant son pardon. Il confesse qu'il n'est qu'un misérable, avoue tout ce qu'on lui reproche ; mais il déplore cet égarement d'esprit, ce délire qui a pour cause son amour pour sa femme. Ayant ainsi déterminé Phéroras a devenir son propre accusateur et à témoigner contre lui-même, Archélaüs, à son tour, demanda grâce pour lui et chercha à calmer la fureur d'Hérode ; il recourait à des exemples personnels : lui aussi avait souffert encore bien pis de la part de son frère[245], mais

il avait fait passer avant la vengeance les droits de la nature car dans un royaume, comme dans un corps massif, il y a toujours quelque membre qui s’enflamme à cause de sa pesanteur ; et ce membre, il ne faut pas le retrancher, mais lui appliquer des remèdes plus bénins pour le guérir.

  1. A force de pareils discours, il réussit à apaiser Hérode envers Phéroras ; lui-même affecta de rester indigné contre Alexandre, fit divorcer sa fille et déclara qu'il allait l'emmener ; par là, il sut amener Hérode a l'implorer lui même en faveur du jeune homme et à lui demander de

 

 

 

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nouveau la main de sa fille pour lui. Archélaüs, avec un grand accent de sincérité, répond qu'il lui remet sa fille pour l'unir à qui bon lui semble, sauf le seul Alexandre : car son plus cher désir est de maintenir les liens de parenté qui les unissent. Le roi repartit que ce serait vraiment lui rendre son fils que de consentir à ne pas rompre le mariage, d'autant qu'ils avaient déjà des enfants et que le prince aimait beaucoup sa femme ; si elle reste auprès de lui, elle lui inspirera le regret de ses fautes ; si on la lui arrache, on le plongera dans un désespoir prêt à tous les excès, car un caractère bouillant trouve un dérivatif dans les affections domestiques. Archélaüs se laissa fléchir à grand'peine, consentit à se réconcilier lui-même et réconcilia le père et le fils : il ajouta cependant qu'il fallait de toute nécessité envoyer Alexandre à Rome[246] pour causer

avec César, car lui-même avait rendu compte de toute l'affaire à l'empereur.

6. Tel fut le dénouement du stratagème par lequel Archélaüs assura le salut de son gendre ; après le raccommodement, le temps se passa en festins et mutuels témoignages d'affection. A son départ, Hérode lui offrit pour présents 70 talents, un trône d'or enrichi de pierreries, des eunuques et une concubine, du nom de Pannychis ; il gratifia aussi ses amis, chacun selon son rang. De même, sur l'ordre du roi, tous les courtisans haut placés firent à Archélaüs des présents magnifiques. Hérode et les plus puissants personnages l'escortèrent jusqu'à Antioche.

XXVI

  1. Arrivée d’Euryclès à la cour d’Hérode ; ses flatteries. –
  2. Il calomnie Alexandre auprès d’Hérode. – 3. Enquête dirigée contre les princes. – 4. Récompense et fin d’Euryclès. – 5. Conduite toute opposée d’Euarotos de Cos.

1[247]. Peu de temps après aborda en Judée un homme

dont l'influence l'emporta de beaucoup sur les artifices d'Archélaüs, et qui non seulement ruina

 

 

 

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l'accommodement négocié par lui au profit d'Alexandre, mais décida la perte de ce prince. C'était un Lacédémonien, appelé Euryclès[248], que le désir

immodéré du gain introduisit par malheur dans le royaume, car la Grèce ne suffisait pas à ses besoins de luxe. Il vint, apportant à Hérode de magnifiques présents, amorce de ceux qu'il espérait en retour ; en effet, il en reçut de beaucoup plus considérables, mais ce don pur et simple lui paraissait sans valeur, s'il ne trafiquait du royaume au prix du sang. Il circonvint donc le roi par ses flatteries, ses discours habiles et les éloges mensongers qu'il faisait de lui. Ayant vite percé à jour le caractère d'Hérode, il ne négligea aucune parole, aucune action pour lui plaire, et compta bientôt parmi ses principaux amis ; en effet, le roi et toute la cour prenaient plaisir à honorer particulièrement ce Spartiate, en considération de sa patrie.

2. Quand il connut la pourriture de la maison royale, les différends des frères, les sentiments de leur père à l'égard de chacun d'eux, Euryclès commença par s'attacher Antipater par les liens d’hospitalité, puis feignit l'amitié pour Alexandre[249], prétendant

faussement être lié de vieille date avec Archélaüs. Aussi fut-il bientôt accueilli comme un ami éprouvé, et Alexandre le mit aussi en rapport avec son frère Aristobule. Prenant tour à tour tous les visages, il s'insinuait de façons diverses auprès de chacun : mais de préférence il se fit l'espion d'Antipater et le traître d'Alexandre. Au premier il faisait honte de négliger, lui l'aîné, les intrigues de ceux qui complotaient contre ses espérances, à Alexandre, de laisser, lui fils et époux d'une princesse royale, succéder au trône un fils de bourgeoise, alors surtout qu'il avait en Archélaüs un si solide appui. Le jeune prince, trompé par la liaison fictive d'Euryclès avec Archélaüs, croyait trouver en lui un conseiller digue de confiance. Aussi. sans rien déguiser, se plaignit-il à lui de la conduite d'Antipater ; d'ailleurs, disait-il, il n'était pas étonnant de voir Hérode, le meurtrier de leur mère, vouloir ravir, à son frère et à lui, la royauté qu'ils tenaient d'elle. Là-dessus. Euryclès feignit de s'apitoyer et de partager sa douleur. Ses ruses arrachèrent à Aristobule des confidences semblables.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Quand il eut ainsi extorqué aux deux frères des doléances contre le roi, il les alla rapporter à Antipater ; il y ajouta l'invention d'un complot des deux frères contre Antipater : peu s'en fallait, à l'en croire, qu'ils n'eussent déjà le glaive tiré contre lui. Largement payé pour ces rapports, il s'empressa d'aller chanter la louange d'Antipater auprès de son père. Finalement, se chargeant de l'entreprise de faire mourir Aristobule et Alexandre, il vint les accuser auprès d'Hérode. Admis en sa présence, il déclara qu'il venait lui apporter la vie pour prix de ses bienfaits, la lumière du jour en échange de son hospitalité. « Depuis longtemps, dit-il, Alexandre aiguise son fer et tend son bras contre toi : moi seul ai retardé le coup en feignant de le favoriser. A en croire Alexandre, non content d'avoir régné sur un peuple auquel tu étais étranger, et, après le meurtre de leur mère, morcelé l'héritage de cette princesse, tu as désigné encore pour successeur un bâtard et livré[250] à ce fléau

d'Antipater le royaume qu'ils tenaient de leurs aïeux. Il saura, ajoute-t-il, venger les mânes d'Hyrcan et de Mariamme, car il ne lui convient pas de recueillir l'héritage d’un tel père, sans effusion de sang. Chaque jour multiplie ses motifs d'irritation, puisqu'aucun propos sorti de sa bouche n'échappe à la calomnie. Fait-on mention d’une illustre naissance ? son père l'outrage sans raison en disant : « Voilà bien notre Alexandre lui, seul, se croit noble et méprise son père pour la bassesse de sa naissance ! » A la chasse, se tait-il ? on est choqué. Fait-il l'éloge de son père ? on veut y voir de l'ironie. Bref, en toute occasion, il trouve son père inflexible, réservant son affection au seul Antipater ; aussi mourra-t-il avec joie s'il échoue dans sa conjuration. S'il frappe, il trouvera des protecteurs puissants : d'abord son beau-père Archélaüs, auprès duquel il pourra se réfugier sans peine ; ensuite César, qui jusqu'à ce jour ignore le vrai caractère d'Hérode. On ne le verra pas, comme naguère, comparaître tout tremblant devant l'empereur, par crainte de son père présent à l'entretien, ni répondre seulement sur les crimes dont on l'accuse : il dénoncera hautement d'abord les malheurs du peuple, les impôts qui prennent tout aux pauvres gens jusqu'à la vie, puis la luxure et les crimes où se dissipe l'argent obtenu par le sang ; il dira quels hommes s'engraissent à nos

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

dépens, quelles villes et à quel prix Hérode a comblées de ses faveurs. Là il appellera en témoignage son

aïeul[251] et sa mère, il proclamera toutes les turpitudes

du royaume et, cela faisant, on n'osera pas le condamner comme parricide ».

3[252]. Après avoir débité ces fables atroces contre

Alexandre, Euryclès fit un magnifique éloge d'Antipater, qui seul aimait son père et, à ce titre, s'était opposé au complot jusqu'à ce jour. Le roi, mal remis de ses précédentes émotions, entra dans une colère implacable. Antipater, saisissant à son tour l'occasion, envoya contre ses frères d'autres accusateurs, qui affirmaient que les princes avaient de secrets entretiens avec Jucundus et Tyrannus, naguère hipparques[253] dans l'armée du roi,

mais qui, à la suite de quelques fautes, avaient dû quitter leurs charges. Cette nouvelle porta à son comble l'indignation d'Hérode, et il fit aussitôt mettre ces deux hommes à la torture. Ils n'avouèrent aucun de leurs prétendus crimes[254], mais on produisit une lettre

d'Alexandre adressée au gouverneur d'Alexandrion, l'invitant à les recevoir dans la place lui et son frère Aristobule, quand ils auraient tué leur père, et à les fournir d'armes et d'autres ressources. Alexandre déclara que c'était là un faux de Diophantos, secrétaire du roi, homme audacieux et habile à imiter tous les genres d'écriture ; convaincu de nombreuses falsifications, il finit par être mis à mort pour un crime de ce genre. Quant au gouverneur, à qui on appliqua la torture, Hérode n'obtint de lui aucun aveu sur les faits allégués.

4[255]. Malgré la faiblesse des preuves ainsi obtenues,

Hérode plaça ses fils sous une surveillance, tout en les laissant encore libres ; quant à Euryclès, le fléau de sa maison, le machinateur de toutes ces infamies, le roi l'appela son sauveur, son bienfaiteur, et lui fit don de cinquante talents. Celui-ci, devançant les nouvelles exactes de ses exploits, courut alors en Cappadoce, où il extorqua encore de l'argent à Archélaüs, en osant lui raconter qu'il avait réconcilié Hérode avec Alexandre. De là, il partit pour la Grèce, où il employa l'argent mal

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

acquis à des entreprises non moins mauvaises. Deux

fois accusé devant César de troubler la province d'Achaïe et de dépouiller les villes, il dut s'exiler.

5F256]. C'est ainsi qu'Euryclès paya la peine de sa

trahison envers Alexandre et Aristobule. Il n'est pas sans intérêt d'opposer à la conduite de ce Spartiate celle d'Euaratos de Cos. Ce personnage, venu, en Judée dans le même temps qu'Euryclès, comptait aussi parmi les plus chers amis d'Alexandre ; le roi l'ayant interrogé sur les accusations répandues par le Lacédémonien, il affirma sous serment qu'il n'avait rien entendu de pareil des jeunes princes. Cependant ce témoignage ne fut d'aucun secours aux infortunés, car Hérode ne prêtait une oreille facile qu'aux médisances et n'accordait sa faveur qu'à ceux qui partageaient sa crédulité et son indignation.

XXVII

1. Dénonciation de Salomé. Les princes aux fers. Auguste donne carte blanche à Hérode. – 2-3. Tribunal de Césarée ; condamnation des princes. – 4-5. Affaires du soldat Tiron et du barbier Tryphon. – 6 Supplice des fils de Mariamme.

1F257]. Salomé vint encore exaspérer la férocité d'Hérode

contre ses fils. Aristobule, dont elle était la belle-mère et la tante, voulant l'associer à leurs périls, lui manda avec insistance de veiller à son propre salut, car le roi, disait-il, méditait de la faire mourir, sous l'accusation déjà précédemment dirigée contre elle : on prétendait que, voulant épouser l'Arabe Sylléos, elle lui communiquait à la dérobée les secrets du roi, dont il était l'ennemi. Ce fut là le dernier coup de vent qui acheva de submerger les jeunes princes, battus par la tempête. Salomé courut chez le roi et lui dénonça l'avis qu'elle avait reçu. Alors Hérode, sa patience à bout, fit mettre aux fers ses deux fils, les isola l'un de l'autre et envoya en hâte auprès d'Auguste le tribunF258] Volumnius et Olympos, un de

ses amis, porteurs d'un réquisitoire écrit contre les princes. Arrivés à Rome, ils remirent les lettres du roi à

 

 

 

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l'empereur ; celui-ci, vivement affligé du sort des jeunes gens, ne crut pas cependant devoir enlever au père ses droits sur ses fils. Il répondît donc à Hérode qu'il était le maître, que, cependant, il ferait bien d'examiner ce complot avec le conseil commun de ses propres parents et des administrateurs romains de la province : si les princes étaient convaincus de crime, ils méritaient la mort ; si leur seul dessein avait été de s'enfuir, une peine plus douce suffisait.

2[259]. Hérode se rendit à cet avis. Il se transporta à

Beryte, lieu que César lui avait désigné, et il y réunit le tribunal. La cour était présidée par les officiers romains, auxquels César l'avait mandé par écrit, à savoir Saturninus[260] et ses légats, Pédanius[261] et autres ;

y figuraient encore le procurateur Volumnius, les parents et amis de roi, puis Salomé et Phéroras, enfin les plus grands personnages de la Syrie à l'exception du roi Archélaüs[262] : car celui-ci était suspect à Hérode en

qualité de beau-père d'Alexandre. Quant à ses fils, Hérode ne les fit pas comparaître : mesure très

prudente, car il savait que leur seule vue inspirerait une compassion irrésistible, et que, s'ils obtenaient la parole, Alexandre n'aurait pas de peine à se justifier. Ils furent donc retenus sous bonne garde au bourg de Platané, dans le territoire de Sidon.

3. Le roi, ayant pris place, parla contre eux, comme s'ils eussent été présents : il développa faiblement l'accusation de complot, faute de preuves, mais il insista sur les outrages, les railleries, les insolences, les manquements innombrables et plus cruels que la mort commis à son égard, qu'il énuméra aux conseillers. Ensuite, personne ne contredisant, il fondit en gémissements, comme un homme qui se condamnait lui-même et qui remportait sur ses enfants une douloureuse victoire, puis il demanda l'avis de chacun. Saturninus opina le premier : il déclara qu'il condamnait les jeunes gens, mais non à la peine de mort ; père lui-même de trois enfants présents à la séance, il croirait commettre une impiété s'il votait la mort des fils d'un autre. Ses deux légats[263] votèrent dans le même sens, et

 

 

 

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quelques autres les suivirent. Ce fut Volumnius qui inaugura la sentence impitoyable : après lui, tous se prononcèrent pour la mort, les uns par flatterie, les autres par haine d'Hérode, aucun par indignation. Dès lors, toute la Syrie et la Judée furent dans des transes, attendant le dénouement du drame : nul cependant ne pensait qu'Hérode pousserait la barbarie jusqu'au meurtre de ses enfants. Lui, cependant, traîna ses fils jusqu'à Tyr, et, passant par mer à Césarée, chercha là de quelle façon il les exécuterait.

4F264]. Il y avait dans l'armée du roi un vieux soldat

nommé Tiron, dont le fils était l'ami ultime d'Alexandre et qui lui-même avait les princes en particulière affection. Dans l'excès de son indignation, il perdit la raison. D'abord, courant çà et là, il s'écriait que le droit était foulé aux pieds, la vérité morte, la nature confondue, le monde rempli d'iniquité, et autres discours que la douleur suggérait à un homme indifférent a la vie. Enfin il se présenta devant le roi et lui tînt ce langage : « Maudit entre tous les hommes, toi qui, contre les êtres les plus chers, suis le conseil des plus méchants, s'il est vrai que Phéroras et Salomé, que tu as plus d'une fois condamnés à mort, trouvent crédit auprès de toi contre tes enfants. Ne vois-tu pas qu'ils t'enlèvent tes héritiers légitimes pour te laisser le seul Antipater, qu’ils se sont choisi pour roi, afin d'en tenir les ficelles ? Mais prends garde que la mort de ses frères ne soulève un jour contre lui la haine de l'armée ; car il n'y a personne qui ne plaigne ces pauvres jeunes gens, et beaucoup de chefs font même éclater librement leur indignation ». Ce disant, Tiron nommait les mécontents. Là-dessus le roi les fit arrêter aussitôt, mais aussi Tiron et son fils.

5F265]. A ce moment, un des barbiers du roi, nommé

Tryphon, saisi d'une sorte de frénésie, s'élança et se dénonça lui-même. « Et moi aussi, dit-il, ce Tiron a voulu me persuader, lorsque je ferais mon office auprès de toi, de te tuer avec mon rasoir, et il me promettait de grandes récompenses au nom d'Alexandre ». En entendant ces mots, Hérode ordonne de soumettre à la question Tiron, son fils et le barbier, et comme les premiers niaient tout et que le barbier n'ajoutait rien à

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

son témoignage, il commanda de torturer Tiron plus sévèrement encore. Alors, pris de pitié, le fils offrit au roi de tout raconter s'il voulait épargner son père. Et comme Hérode lui octroya sa demande, il déclara qu'effectivement son père, à l'instigation d’Alexandre, avait voulu tuer le roi. Ce témoignage, selon les uns, n était qu'une invention destinée à faire cesser les souffrances du père ; d'autres y voyaient l'expression de la vérité.

6. Hérode réunit une assemblée publique, y accusa les officiers coupables ainsi que Tiron, et ameuta le peuple contre eux ; on les acheva sur la place même, avec le barbier, à coups de bâtons et de pierres. Il envoya ensuite ses fils à Sébasté, ville peu éloignée de Césarée, et ordonna de les y étrangler. L'ordre fut promptement exécuté ; puis il fit transporter les corps dans la forteresse d'Alexandréon pour y être ensevelis auprès de leur grand-père maternel Alexandre. Telle fut la fin d'Alexandre et d'Aristobule[266].

XXVIII

1. Impopularité et craintes d’Antipater. – 2-5. Hérode marie les enfants d’Aristobule et d’Alexandre, puis, sur les instances d’Antipater, modifie ces unions. – 6. Mariages de Salomé, de ses filles et des filles de Mariamme.

1[267]. La succession était alors assurée sans

contestation à Antipater, mais il vit s'élever contre lui du sein du peuple une haine insurmontable, car tous savaient que c'était lui qui avait machiné toutes les calomnies dirigées contre ses frères. Il se sentait, en outre, envahi par une crainte démesurée quand il voyait grandir les enfants de ses victimes. Alexandre avait eu de Glaphyra deux fils, Tigrane et Alexandre ; et de l'union d'Aristobule avec Bérénice, fille de Salomé, étaient nés trois fils, Hérode, Agrippa et Aristobule, et deux filles, Hérodias et Mariamme. Le roi Hérode, dès qu'il eut fait mourir Alexandre, renvoya en Cappadoce Glaphyra avec sa dot ; quant à Bérénice, veuve

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

d’Aristobule, il la donna en mariage à l'oncle maternel d’Antipater[268] ; c'est pour se concilier Salomé, qui lui

était hostile, qu'Antipater arrangea ce mariage. Il gagna aussi Phéroras par des présents et d'autres attentions, et les amis de César en envoyant à Rome des sommes considérables. En particulier, tout l'entourage de Saturninus, en Syrie, fut comblé de ses libéralités. Cependant, plus il donnait, plus on le haïssait, car on sentait que ses largesses ne venaient pas de sa générosité, mais de la crainte. Ceux qui recevaient n'en étaient pas plus bienveillants, ceux qu'il négligeait devenaient des ennemis plus implacables. Cependant il accroissait encore l'éclat de ses distributions, en voyant le roi, au mépris de ses espérances, prendre soin des orphelins et témoigner ses remords du meurtre de ses fils par les marques de pitié qu'il prodiguait à leurs enfants.

  1. Un jour, en effet, Hérode rassembla ses parents et amis[269], fit placer près de lui ces enfants, et, les yeux

pleins de larmes, parla en ces termes : « Un démon jaloux m'a enlevé les pères de ceux que vous voyez, et cela, joint aux mouvements de la nature, m'apitoie sur leur état d'orphelins. Si j'ai été le plus infortuné des pères, j'essaierai du moins de me montrer un aïeul plus tendre, et je veux leur laisser pour guides, après moi, ceux qui me sont le plus chers. Je fiance donc ta fille[270], Phéroras, à l'aîné des deux fils d'Alexandre,

afin que cette alliance fasse de toi son protecteur

naturel ; et toi, Antipater, je donne à ton fils la fille d'Aristobule : puisses-tu devenir ainsi un père pour cette orpheline ! Quant à sa sœur, mon propre fils Hérode la prendra, car il est par sa mère petit-fils d'un grand-prêtre. Que mes volontés soient ainsi réglées, et que nul de mes amis n’y mette obstacle ! Je prie Dieu de bénir ces unions pour le plus grand bonheur de mon royaume et de mes descendants ; puisse-t-il regarder ces enfants d'un oeil plus clément que leurs pères ! »

  1. Ayant ainsi parlé, il pleura de nouveau et unit les mains des enfants, puis, les embrassant affectueusement l'un après l'autre, il congédia l'assemblée. Aussitôt Antipater frissonna et laissa voir à

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

tous son émotion ; il pensait, en effet, que la sollicitude de son père pour les orphelins annonçait sa propre ruine et que ses droits à la couronne seraient en péril, si les fils d'Alexandre avaient pour soutien, outre Archélaüs, Phéroras, qui avait rang de tétrarque. Il considérait encore la haine du peuple pour lui-même, sa pitié pour les orphelins, le zèle que les Juifs avaient témoigné à ses frères vivants, le souvenir qu'ils leur gardaient maintenant qu'ils étaient morts sous ses coups : il résolut donc de briser à tout prix ces fiançailles.

  1. Il n'essaya pas de circonvenir par la ruse un père difficile et prompt au soupçon il osa se présenter devant lui et le supplia en face de ne pas lui ôter les honneurs dont il l'avait jugé digne, ni de lui laisser le titre de roi en déférant la puissance à d'autres ; car il ne serait plus le maître si le fils d'Alexandre pouvait s'appuyer, outre son grand-père Archélaüs, sur Phéroras, son beau-père. Il le conjura donc, puisqu'il avait dans son palais une nombreuse descendance, de modifier ces mariages. Le roi eut, en effet, neuf épouses[271], qui lui donnèrent

sept enfants : Antipater lui-même était fils de Doris ; Hérode II de Mariamme (II), fille du grand-prêtre : Antipas et Archélaüs de Malthacé, la Samaritaine ; Olympias, fille de cette dernière avait épousé son neveu Joseph[272]. Il avait eu de Cléopâtre, native de

Jérusalem, Hérode (III) et Philippe ; de Pallas, Phasaël. Il avait encore d'autres filles, Roxane et Salomé, liées, l'une de Phèdre, l'autre d’Elpis. Deux autres de ses femmes n'eurent pas d'enfants : l'une était sa cousine germaine, l'autre sa nièce[273]. Enfin, il lui restait deux filles de

Mariamme (I)[274], sœurs d’Alexandre et d'Aristobule.

Vu le grand nombre de ces enfants, Antipater demandait de changer l'ordre des mariages.

  1. Le roi entra dans une vive indignation, quand il apprit les sentiments d'Antipater à l'égard des orphelins, et, songeant à ceux qu'il avait tués, un soupçon lui vint qu'eux aussi n'eussent été victimes des calomnies d'Antipater. A ce moment donc, il répondit longuement, avec colère, et chassa Antipater de sa présence ; ensuite, cependant, séduit par ses flatteries, il changea de

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

sentiment et fit épouser à Antipater lui-même la fille

d'Aristobule, tandis qu'il unissait à la fille de Phéroras le fils d'Antipater.

6. Rien ne montre mieux l'empire des flatteries d'Antipater en cette occasion, que l'insuccès de Salomé dans des circonstances toutes semblables. Bien qu'elle fût la sœur d'Hérode et recourût à l'intercession de l'impératrice Livie pour supplier le roi de lui laisser épouser l'Arabe Sylléos[275], Hérode jura qu'il la

tiendrait pour sa plus cruelle ennemie, si elle ne renonçait à cette passion ; enfin, il la maria malgré elle à un de ses amis, nommé Alexas, et unit l'une des filles de Salomé[276] au fils d'Alexas, l'autre[277] à l'oncle

maternel d'Antipater. Quant aux filles de Mariamme, l'une[278] épousa Antipater, fils de la sœur d'Hérode,

l'autre[279] Phasaël, fils de son frère. XXIX

1. Intrigues d’Antipater et de la femme de Phéroras. – 2. Phéroras refuse de divorcer. Antipater se fait envoyer à Rome.- 3. Intrigues de Sylléos ; découverte du complot de Corinthos. 4. Exil et mort de Phéroras.

1[280]. Lorsqu'Antipater eut anéanti les espérances des

orphelins et réglé les mariages à sa convenance, il crut pouvoir se reposer sur la certitude de ses propres chances, et, joignant désormais la présomption à la méchanceté, se rendit insupportable. Impuissant à détourner la haine qu'il inspirait à chacun, c'est par la terreur qu'il voulut pourvoir à sa sûreté ; il trouva un auxiliaire dans Phéroras, qui considérait déjà sa royauté comme assurée. Il se produisit aussi à la cour une conjuration de femmes, qui suscita de nouveaux troubles. L'épouse de Phéroras, coalisée avec sa mère, sa sœur et la mère d'Antipater, se livra dans le palais à mille insolences et osa même insulter deux jeunes filles du roi[281] ; pour ces motifs, Hérode la poursuivit

âprement de sa haine ; mais, haïes du roi, ces femmes n'en dominaient pas moins les autres. Seule, Salomé s'opposa résolument à cette ligue et la dénonça au roi

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

comme une association contraire à ses intérêts. Quand les femmes apprirent cette dénonciation et la colère d'Hérode, elles cessèrent de se réunir ouvertement et de se montrer une affection mutuelle : au contraire, elles feignirent une inimitié réciproque dès que le roi pouvait les entendre ; Antipater jouait la même comédie, querellant ostensiblement Phéroras. Mais elles continuèrent à tenir des conciliabules secrets et des festins nocturnes, et la surveillance dont elles étaient l'objet resserrait leur accord. Cependant Salomé n'ignorait aucun détail de cette conduite et rapportait tout à Hérode.

  1. Le roi s'enflammait de colère, surtout contre la femme de Phéroras, objet principal des accusations de Salomé. Il convoqua donc une réunion de ses amis et parents et accusa cette créature d'une foule de méfaits, entre autres d'avoir insulté les filles du roi, fourni des subsides aux Pharisiens contre lui[282], aliéné son frère

en l'ensorcelant par un breuvage. Comme conclusion, il interpella Phéroras, l'invitant à choisir entre deux partis : son frère ou sa femme. Phéroras répondit qu'il renoncerait plutôt à la vie qu'à sa femme. Hérode, ne sachant que faire, se retourna vers Antipater et lui défendit d'avoir désormais aucun commerce avec la femme de Phéroras, ni avec Phéroras lui-même, ni avec personne de leur coterie. Antipater se conforma ostensiblement à cet ordre, mais en secret et de nuit il continua à voir cette société. Craignant toutefois l'espionnage de Salomé, il prépara, de concert avec ses amis d'Italie, un voyage à Rome. Ceux-ci écrivirent au roi qu'il fallait bientôt envoyer Antipater auprès de César : Hérode le fit partir incontinent avec une suite brillante, lui confiant une somme d'argent considérable et un testament où le roi déclarait Antipater son successeur et lui donnait comme successeur à lui-même Hérode, né de Mariamme, fille du grand-prêtre[283].

  1. Sylléos l'Arabe partit aussi pour Rome, afin de se justifier d'avoir enfreint les ordres d'Auguste et de recommencer contre Antipater la plaidoirie qu'il avait naguère soutenue contre Nicolas[284]. Il avait aussi une

grave contestation avec Arétas, son propre souverain,

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

car il avait mis à mort nombre d'amis de ce prince, et, entre autres, Sohémos, un des plus puissants personnages de Pétra[285]. Il sut gagner à gros prix

Fabatus, intendant de César[286], et trouva en lui un

auxiliaire, même contre Hérode. Cependant Hérode fit à Fabatus des dons encore plus considérables, le détacha ainsi de Sylléos et, par son ministère, tâcha de faire rentrer l'amende infligée à Sylléos par Auguste. Mais Sylléos ne voulut rien payer : bien plus, il accusa Fabatus devant César, disant que cet intendant prenait, non pas les intérêts de l'empereur, mais ceux d'Hérode. Fabatus, indigné de ce procédé et d'ailleurs toujours comblé d'honneurs par Hérode, trahit les secrets de Sylléos et révéla au roi que celui-ci avait corrompu à prix d'argent Corinthos, un de ses gardes du corps, et qu'il devait se méfier de cet homme ; le roi suivit ce conseil, sachant que ce Corinthos, quoique élevé dans le royaume, était Arabe de naissance. Il le fit arrêter aussitôt et avec lui deux autres Arabes qu'il avait trouvés à ses côtés, l'un ami de Sylléos, l'autre chef de tribu. Mis à la torture, ces hommes avouèrent que Corinthos les avait engagés, par de fortes sommes, à tuer Hérode. Ils furent examinés encore par Saturninus, gouverneur de Syrie, et envoyés à Rome.

4. En attendant, Hérode ne cessait de vouloir contraindre Phéroras à se séparer de son épouse ; il ne trouvait pas moyen de punir cette créature, contre laquelle il avait tant de sujets de haine, jusqu'à ce qu'enfin, dans l'excès de sa colère, il la chassa de la cour en même temps que son propre frère. Phéroras, acceptant patiemment cette avanie, se retira dans sa tétrarchie, jurant que le seul terme de son exil serait la mort d'Hérode et que jamais, du vivant de celui-ci, il ne retournerait auprès de lui. Effectivement, il ne revint jamais voir son frère, même pendant sa maladie et malgré ses continuels messages ; car Hérode, se sentant mourir, voulait lui laisser quelques instructions. Cependant le roi guérit contre tout espoir, et, peu après, Phéroras tombait malade. Hérode, moins entêté que son frère, vint le trouver et lui prodigua des soins affectueux. Mais il ne put triompher du mal, et Phéroras mourut au bout de quelques jours. Malgré l'affection qu'Hérode eut

 

 

 

Zone de Texte: 3. Telles furent les révélations d'une des femmes libres.FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

pour lui jusqu'à la fin, le bruit se répandit qu'il l'avait, lui aussi, empoisonné. Il fit transporter le corps à Jérusalem, ordonna un grand deuil à tout le peuple et l'honora des funérailles les plus pompeusesF287].

  1. Hérode découvre que Phéroras a été empoisonné par Sylléos. – 2-3. Révélations des femmes de Phéroras touchant Antipater. – 4. Doris répudiée. 5-7. Découverte d’un complot formé par Antipater et Phéroras pour empoisonner Hérode.

1F288]. Telle fut la fin d'un des meurtriers d'Alexandre et

d'Aristobule. Bientôt l'auteur principal de ce crime, Antipater, tomba à son tour, par une conséquence lointaine de la mort de Phéroras. Quelques-uns des affranchis de Phéroras allèrent, les yeux bas, trouver le roi et lui dirent que son frère était mort empoisonné ; sa femme lui avait offert un mets peu ordinaire, et, aussitôt après l'avoir mangé, il était tombé malade. Or, deux jours auparavant, la mère et la sœur de sa femme avaient amené une femme d'Arabie, experte en poisons, pour préparer un philtre d'amour à Phéroras, au lieu de quoi elle lui avait donné un breuvage de mort, à l'instigation de SylléosF289], qui la connaissait.

  1. Aussitôt, assailli de nombreux soupçons, le roi fit mettre à la torture les servantes et quelques femmes libres. Une de ces dernières s'écria au milieu des douleurs : « Puisse le Dieu qui gouverne la terre et le ciel frapper l'auteur de ces maux que nous souffrons, la mère d'Antipater ! » Hérode, s'attachant à cet indice, poussa plus loin la recherche de la vérité. La femme dévoila alors l'amitié de la mère d'Antipater pour Phéroras et les dames de sa famille, leurs rencontres clandestines : elle dit que Phéroras et Antipater passaient des nuits à boire avec elles, après avoir quitté le roi, sans laisser aucun serviteur ni servante assister à ces réunions.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

D'autre part Hérode fit torturer séparément toutes ces esclaves. Tous leurs témoignages se trouvèrent

concorder avec le précédent ; elles ajoutèrent que c'était par suite d'un accord qu'Antipater et Phéroras s'étaient retirés l'un à Rome, l'autre dans la Pérée, car l'un et l'autre se disaient souvent qu'Hérode, après avoir frappé Alexandre et Aristobule, s'attaquerait à eux et à leurs femme ; qu'ayant immolé Mariamme et ses enfants, il n'épargnerait personne, et qu'il valait donc mieux fuir le plus loin possible de cette bête féroce. Antipater, disaient-elles encore, se plaignait souvent à sa mère d'avoir déjà des cheveux gris, tandis que son père rajeunissait tous les jours ; il précéderait peut-être Hérode dans la tombe avant d'avoir vraiment régné. Si même Hérode se

décidait à mourir - et quand cela serait-il ? - il ne jouirait que très peu de temps de son héritage. Car ne voyait-on pas croître les têtes de l'hydre, les fils d’Aristobule et d'Alexandre ? Son père ne lui avait-il pas ravi même l'espérance qu'il avait fondée sur ses enfants ? Ne lui avait-il pas assigné pour héritier, non pas un de ses propres fils, mais Hérode, le fils de Mariamme (II) ? En cela, le roi faisait d'ailleurs preuve de sénilité s'il pensait que ses dispositions testamentaires seraient

maintenues ; car lui-même prendrait soin de ne laisser en vie aucun de ses enfants. Ce père, le plus dénaturé qui fut jamais, haïssait encore plus son frère que ses enfants. L'autre jour encore, il avait donné à Antipater cent talents pour ne plus s'entretenir avec Phéroras : « Quelle offense, dit alors Phéroras, lui avons-nous donc faite ? » Et Antipater : « Plût au ciel qu'il nous

dépouillât de tout et nous laissât la vie toute nue ! mais il est difficile d'échapper à une bête aussi altérée de sang, qui ne vous laisse même pas aimer ouvertement quelques amis. Voyons-nous donc maintenant en

secret : nous pourrons le faire ouvertement le jour où nous aurons le courage et le bras d'un homme ».

4. A ces révélations les femmes torturées ajoutaient que Phéroras avait songé à fuir avec elles à Pétra. Hérode ajouta foi à tous ces témoignages, à cause du détail des cent talents ; car il n'en avait parlé qu'au seul Antipater. Sa colère se déchaîna d'abord sur Doris, mère

d'Antipater ; après l'avoir dépouillée de toutes les

 

 

 

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parures qu'il lui avait données et qui valaient beaucoup de talents, il la répudia pour la seconde fois. Quant aux femmes de Phéroras, une fois torturées, il se réconcilia avec elles et leur prodigua ses soins. Mais tremblant de frayeur et s'enflammant au moindre soupçon, il faisait traîner à la question nombre d'innocents, dans sa crainte que quelque coupable ne lui échappât.

  1. Ensuite, il se tourna contre Antipater de Samarie, qui était intendant de son fils Antipater. En lui infligeant la torture, il apprit qu'Antipater avait fait venir d'Égypte, pour tuer le roi, un poison mortel, par l'entremise d'Antiphilos, un de ses compagnons ; que Theudion, oncle maternel d'Antipater, l'avait reçu de cet homme et transmis à Phéroras ; qu'Antipater avait, en effet, prescrit à Phéroras de tuer Hérode, pendant que lui-même serait a Rome, protégé contre tout soupçon ; qu'enfin Phéroras avait remis le poison aux mains de sa femme. Le roi envoya chercher cette femme et lui commanda d'apporter sur-le-champ ce qu'on lui avait confié. Elle sortit comme pour le chercher, mais se précipita du haut du toit pour échapper à la preuve de son crime et aux outrages du roi ; cependant la Providence, ce semble, qui poursuivait Antipater, la fit tomber non sur la tête. mais sur le dos, et la sauva. Transportée près du roi, celui-ci lui fit reprendre ses sens, car la chute l'avait fait évanouir puis il lui demanda pourquoi elle s'était jetée du toit ; il déclara avec serment que, si elle disait la vérité, il lui épargnerait tout châtiment, mais que, si elle dissimulait, il déchirerait son corps dans les tourments et n'en laisserait même rien pour la sépulture.
  2. La femme garda un instant le silence, puis s'écria : « Après tout, pourquoi respecterais-je encore ces secrets, maintenant que Phéroras est mort ? pourquoi sauverais-je Antipater, l'auteur de notre perte à tous ? Ecoute-moi, ô roi ; qu'il m'entende aussi, Dieu, témoin de la vérité de mes paroles, juge infaillible ! Quand tu étais assis en pleurant auprès de Phéroras mourant, il m'appela pour me dire : « Femme je me suis trompé sur les sentiments de mon frère à mon égard ; je l'ai haï, lui qui m'aimait tant; j'ai comploté de tuer celui qui se montre si

 

 

 

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bouleversé de chagrin avant même ma mort. Pour moi, je reçois le prix de mon impiété ; quant à toi, apporte-moi le poison que tu gardes pour lui et qu'Antipater nous a laissé, détruis-le promptement sous mes yeux, pour que je n'aille pas me nourrir aux enfers mêmes un démon vengeur ». J'apportai le poison, comme il l'ordonnait ; sous ses yeux, j'en jetai au feu la plus grande partie ; je n'en ai gardé pour moi qu'une petite dose contre les incertitudes de l'avenir et la crainte que tu m'inspirais ».

7. Après avoir fait cette déclaration elle apporta la boite qui ne renfermait qu'un petit reste de poison. Le roi fit alors mettre à la question la mère et le frère

d'Antiphilos ; ceux-ci avouèrent qu'Antiphilos avait

apporté d'Égypte cette boite et qu'il tenait le poison d'un de ses frères, médecin à Alexandrie.

Ainsi les mânes d’Alexandre et d'Aristobule[290] se

promenaient à travers tout le palais, recherchant et dévoilant tous les mystères, et traînant devant le juge ceux mêmes qui paraissaient le plus à l'abri du soupçon. C'est ainsi qu'on découvrit aussi que Mariamme, la fille du grand-prêtre, avait été partie au complot ; ses frères, mis à la torture, la dénoncèrent. Le roi punit sur le fils l'audace de la mère : Hérode, qu'il avait donné pour successeur à Antipater, fut rayé de son testament.

XXXI

1-2. Perfidie d’Antipater dénoncée par son affranchi Bathyllos. – 3-5. Retour et accueil d’Antipater.

1[291]. Le dernier anneau dans la chaîne des preuves du

complot d'Antipater fut apporté par son affranchi Bathyllos. Ce personnage arriva avec un second poison, composé de venin d'aspic et des sécrétions d'autres serpents, dont Phéroras et sa femme devaient s'armer contre le roi, si le premier manquait son effet. Par un surcroît de perfidie contre Hérode, Antipater avait remis à cet homme des lettres astucieusement rédigées contre ses frères, Archélaüs et Philippe. Ces fils du roi, qu'il faisait élever à Rome, étaient déjà des adolescents pleins

 

 

 

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de hautes pensées. Antipater, qui voyait en eux un obstacle à ses espérances, chercha à s'en défaire au plus vite ; il forgea donc contre eux des lettres au nom de ses amis de Rome et détermina, contre espèces sonnantes, d'autres personnes à écrire que ces jeunes princes déblatéraient contre leur père, déploraient publiquement le sort d'Alexandre et d'Aristobule et s'irritaient de leur propre rappel ; car leur père les avait mandés auprès de lui, et c'était là ce qui inquiétait le plus Antipater.

  1. Avant même son départ pour Rome, Antipater, étant encore en Judée, avait fait envoyer de Rome, à prix d'or, des lettres de ce genre contre ses frères ; puis il était allé trouver son père, qui n'avait encore nul soupçon contre lui, et avait plaidé la cause de ses frères, alléguant que telle chose était fausse, telle autre imputable à leur jeunesse. Pendant son séjour à Rome, comme il avait dû payer très grassement ceux qui écrivaient contre ses frères, il se préoccupa de dépister les recherches qu'on pourrait en faire. A cet effet, il acheta de riches vêtements, des tapis variés, de la vaisselle d'argent et d'or et beaucoup d'autres objets précieux, afin de pouvoir dissimuler, dans l'énorme total de ces dépenses, le salaire payé pour l'autre affaire. Il consigna une dépense totale de deux cents talents, dont le plus fort était mis au compte de son procès avec Sylléos. Toutes ces fourberies, même les moindres, furent alors découvertes en même temps que son grand forfait. Cependant, au moment même où toutes les tortures criaient son complot contre son père, où les lettres en question révélaient un nouveau projet de fratricide, aucun de ceux qui arrivaient à Rome ne lui apprit le drame qui se jouait en Judée ; et pourtant il s'écoula sept mois entre la preuve de son crime et son retour. Tant était forte la haine que tous lui portaient ! Peut-être y en eut-il qui avaient l'intention de lui apprendre ces nouvelles, mais les mânes de ses frères, tués par lui, leur fermèrent la bouche. Il écrivit donc de Rome, annonçant avec joie son prochain départ et les honneurs que César lui faisait en le congédiant.
  2. Le roi, impatient de mettre la main sur le traître et craignant qu'Antipater, averti à temps, ne prît ses

 

 

 

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sûretés, lui écrivit, pour le tromper, une lettre pleine d'une feinte bienveillance, où il l'exhortait à hâter son retour. S'il faisait diligence, disait Hérode, il pourrait faire oublier les griefs qu'on avait contre sa mère, car Antipater n'ignorait pas que celle-ci eût été répudiée.

Précédemment Antipater avait reçu à Tarente la lettre lui annonçant la mort de Phéroras, il avait donné de très grandes marques de deuil. Plusieurs lui en faisaient un mérite, l'attribuant à la perte d'un oncle, mais son émotion, à ce qu’il semble, se rapportait à l'échec de son complot : il pleurait en Phéroras non l'oncle, mais le complice. Puis la peur le prenait au souvenir de ses machinations : le poison pouvait être découvert. Il reçut en Cilicie le message de son père dont nous venons de parler et hâta aussitôt son voyage. Cependant, en débarquant à Celenderis[292], la pensée lui vint de la

disgrâce de sa mère, et son âme eut une vision prophétique de sa propre destinée. Les plus prévoyants de ses amis lui conseillèrent de ne pas aller retrouver son père avant de savoir clairement les raisons pour lesquelles Hérode avait chassé sa mère : ils appréhendaient que les calomnies répandues contre elle n'eussent quelque autre conséquence. Mais les imprudents, plus impatients de revoir leur patrie que de servir les intérêts d'Antipater, l'exhortèrent à faire diligence, tout retard pouvant donner à son père de fâcheux soupçons, à ses calomniateurs un prétexte favorable ; « même si quelque intrigue s'est tramée maintenant contre lui, c'est en raison de son absence ; lui présent, on n'aurait pas osé. Et puis il est insensé de sacrifier des biens certains à de vagues soupçons, de ne pas courir se jeter dans les bras d'un père pour recueillir un royaume dont il supporte seul malaisément le

poids ». Persuadé par ces discours ou plutôt poussé par sa destinée, Antipater continua sa route et débarqua au port d'Auguste, à Césarée.

4. Là, contre son attente, il trouva une profonde solitude ; tous se détournaient, nul n'osait l'aborder, c'est qu'en effet, il était également haï de tous, et que la haine trouvait maintenant la liberté de se montrer. De plus, la crainte du roi intimidait grand nombre de gens, toutes

 

 

 

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les villes étaient remplies de rumeurs annonçant une disgrâce qu'Antipater était seul a ignorer : nul n'avait obtenu compagnie plus brillante que la sienne à son départ pour Rome, nul ne rencontra jamais accueil plus glacial que celui qui reçut son retour. Cependant Antipater, devinant les tragédies qui s'étaient déroulées au palais, dissimulait encore par une habileté scélérate. Mourant de crainte au fond du cœur, il sut se faire un front d'airain. D'ailleurs, il n'y avait plus moyen de fuir, d'échapper aux dangers qui l'entouraient. Même alors, il ne reçut aucune nouvelle certaine de ce qui se passait au palais, tant les menaces du roi jetaient l'épouvante ; et il gardait encore un rayon d'espoir : peut-être n'avait-on rien découvert; peut-être, si l'on avait découvert quelque chose, saurait-il à, force d'impudence et de l'uses, ses seuls moyens de salut, dissiper l'orage.

5. Ainsi armé, il se rendit au palais, sans ses amis, car on les avait injuriés et écartés dès la première porte. A l'intérieur se trouvait Varus, gouverneur de Syrie[293],

Antipater entra chez son père et, payant d'audace, s'approcha de lui pour l'embrasser. Mais le roi, tendant les bras pour l'écarter et détournant la tête : « Voilà bien, s'écria-t-il, la marque d'un parricide, de vouloir m'embrasser, quand il est sous le coup de pareilles accusations. Sois maudite, tête sacrilège ; n'ose pas me toucher avant de t'être disculpé. Je t'accorde un tribunal et, pour juge, Varus, qui vient ici fort à propos. Va, et prépare ta défense jusqu'à demain ; je laisse ce délai à tes artifices ». Le prince, stupéfait, se retira sans pouvoir rien répondre, puis sa mère et sa femme[294] vinrent le

trouver et lui rapportèrent en détail toutes les preuves

rassemblées contre lui. Alors il se recueillit et prépara sa défense.

XXXII

1-4. Mise en jugement d’Antipater : discours d’Hérode, d’Antipater et de Nicolas. – 5. Issue du procès. – 6. Découverte du faux Antipater contre Salomé. – 7. Maladie et nouveau testament d’Hérode en faveur d’Antipater.

 

 

 

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1F295]. Le lendemain, Hérode réunit le Conseil de ses

parents et amis ; il y convoqua également les amis d'Antipater. Lui-même présidait avec Varus ; il fit introduire tous les dénonciateurs, parmi lesquels se trouvaient quelques serviteurs de la mère d'Antipater, récemment arrêtés, porteurs d'une lettre de Doris à son fils, rédigée en ces termes : « Puisque ton père a tout découvert, ne te présente pas devant lui, si tu n'as obtenu quelques troupes de l'empereur ». Quand ceux-ci et les autres eurent été introduits, Antipater entra et tomba prosterné aux pieds de son père : « Mon père, dit-il, je te supplie de ne pas me condamner d'avance, mais d'accorder à ma défense une oreille sans prévention, car je saurai démontrer mon innocence, si tu le permets ».

2. Hérode lui hurla de se taire et dit à Varus : « Je suis persuadé, Varus, que toi, et tout juge intègre, vous condamnerez Antipater comme un scélérat. Mais je crains que ma destinée ne vous semble aussi digne de haine et que vous ne me jugiez digne de tous les malheurs pour avoir engendré de tels fils. Plaignez-moi plutôt d'avoir été un père tendre envers de pareils misérables. Ceux que précédemment j'avais tout jeunes désignés pour le trône, que j'avais fait élever a grands frais à Rome, introduits dans l'amitié de César, rendus pour les autres rois un objet d'envie, j'ai trouvé en eux des traîtres. Leur mort a surtout servi les intérêts d'Antipater : il était jeune, il était mon héritier, et en les supprimant c'est surtout à sa sécurité que je veillais. C'est alors que ce monstre impur, gorgé des bienfaits de mon indulgence, a tourné contre moi sa satiété ; il lui a paru que je vivais bien longtemps, ma vieillesse lui pesait, il n'a pu supporter l'idée de devenir roi autrement qu'à la faveur d'un parricide. C'est ainsi qu'il me récompensait de l'avoir rappelé de la campagne où il était relégué, d'avoir écarté les fils nés d'une reine, pour l'appeler à ma succession ! Je confesse, Varus, ma propre démence. Ces fils, je les ai excités contre moi en retranchant, dans l'intérêt d'Antipater, leurs justes espérances. Quand leur ai-je jamais fait autant de bien qu'à celui-ci ? De mon vivant, je lui ai presque cédé le pouvoir ; je l'ai, dans mon testament rendu public, désigné pour héritier de mon sceptre, je lui ai assigné un

 

 

 

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revenu particulier de cinquante talents[296], sans

compter d'infinies largesses sur mes propres biens ; tout récemment, quand il est parti pour Rome, je lui ai donné trois cents talents et l'ai même recommandé à César, seul de tous mes enfants, comme le sauveur de son père. Et quel crime les autres ont-ils commis comparable à celui d'Antipater ? Quelle preuve fut portée contre eux aussi décisive que celle qui établit sa trahison ? Pourtant le parricide ose parler, il espère, une fois de plus, étouffer la vérité sous ses mensonges ! Varus, c'est à toi de le garder, car moi, je connais le monstre, je devine ses discours spécieux, ses gémissements simulés c'est lui qui me conseilla jadis, du vivant d'Alexandre, de prendre mes sûretés contre lui et de ne pas confier ma vie à tout te monde ; c'est lui qui m'accompagnait jusqu’à ma couche, regardant partout s'il n'y avait pas un assassin caché ; c'est lui qui m'octroyait mon sommeil, assurait ma tranquillité, me consolait du chagrin que m'inspiraient mes victimes, sondait les sentiments de ses frères survivants ; le voilà mon bouclier, mon garde du corps ! Quand je me rappelle, Varus, dans chaque circonstance, sa fourberie et son hypocrisie, je doute de ma propre existence et m'étonne d'avoir pu échapper à un traître aussi profond. Mais puisqu'un mauvais génie s’acharne à vider mon palais et dresse l'un après l'autre contre moi les êtres qui me sont le plus chers, je pleurerai sur mon injuste destinée, je gémirai en moi-même sur ma solitude, mais je ne laisserai échapper au châtiment aucun de ceux qui ont soif de mon sang, quand bien même tous mes enfants devraient y passer. »

3. A ces mots, l'émotion lui coupa la voix : il ordonna à Nicolas, un de ses amis, d'exposer les charges. Alors Antipater, qui jusque-là était resté prosterné aux pieds de son père, releva la tête et s'écria : « C'est toi-même, mon père, qui viens de présenter ma défense. Comment serais-je parricide, moi qui, de ton aveu, t'ai toujours servi de gardien ? Tu appelles artifice et feinte ma piété filiale. Comment donc moi, si rusé en toute occasion, aurais-je été assez insensé pour ne pas comprendre qu'il était difficile de dissimuler aux hommes mêmes la préparation d'un pareil forfait et impossible de le cacher au Juge céleste, qui voit tout, qui est présent partout ?

 

 

 

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Est-ce que, par hasard, j'ignorais la fin de mes frères, que Dieu a si durement punis de leur perfidie envers toi ? Et puis, quel motif aurait pu m'exciter contre toi ? L'espérance de régner ? mais j'étais roi ! Le soupçon de ta haine ? mais n'étais-je pas chéri ? Avais-je quelque autre raison de craindre ? mais, en veillant à ta sûreté, j'étais un objet de crainte pour autrui. Le besoin d'argent ? mais qui donc avait ses dépenses plus largement pourvues ? En admettant que je fusse né le plus scélérat de tous les hommes et que j'eusse l'âme d'une bête féroce, n'aurais-je pas été, mon père apprivoisé par tes bienfaits ? car, comme tu l'as dit toi-même, tu m'as rappelé de l'exil, tu m'as préféré à un si grand nombre de fils ; de ton vivant tu m'as proclamé roi, en me comblant de tous les biens tu m'as rendu un objet d'envie ! O le funeste voyage, cause de mon malheur ! c'est lui qui a laissé le champ libre à la haine et une longue avance aux complots. Mais ce voyage, je l'ai entrepris dans ton intérêt, mon père, pour soutenir ton procès et empêcher Sylléos de mépriser ta vieillesse. Rome m'est témoin de ma piété filiale, et aussi César, le patron de l'univers, qui m'appelait souvent « Philopator ». Prends, mon père, cette lettre de lui. Elle mérite plus de créance que les calomnies qu'on répand ici : qu'elle soit ma seule défense ; voilà la preuve de mon amour pour toi. Souviens-toi que je ne suis pas parti pour Rome de plein gré ; je savais quelle hostilité cachée me guettait dans ce royaume. Et toi, mon père, tu m'as perdu, malgré toi, en m'obligeant à laisser ainsi le champ libre à la haine et à la calomnie. Me voici enfin présent pour réfuter mes accusateurs : me voici, moi, le prétendu parricide, qui ai traversé les terres et les mers sans éprouver aucun dommage. Pourtant, cet indice même d'innocence ne m’a pas servi : Dieu m'a condamné, et toi aussi, mon père. Mais, quoique condamné, je te prie de ne pas t’en rapporter aux aveux arrachés par la torture à d'autres. Apportez contre moi le feu ! Fouillez mes entrailles avec le fer ! N'avez aucune pitié de ce corps impur ! Car si je suis parricide, je ne dois pas mourir sans avoir été torturé ». Ces exclamations, mêlées de gémissements et de larmes, excitaient la pitié de tous et notamment de Varus : seul Hérode restait les yeux secs, dominé par sa colère, et surtout parce qu'il savait que

 

 

 

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les preuves étaient authentiques[297].

  1. Là-dessus Nicolas, comme l'avait ordonné le roi, prit la parole. Il parla d’abord longuement de la fourberie d'Antipater et dissipa les impressions de pitié que celui-ci avait fait naître ; puis il développa un âpre réquisitoire, attribuant à Antipater tous les méfaits commis dans le royaume, en particulier le supplice de ses frères, dont il montra la cause dans les calomnies d’Antipater. Il ajouta que celui-ci ourdissait la perte de ceux qui restaient, les soupçonnant de guetter la succession : et pourquoi celui qui avait préparé le poison pour son père aurait-il épargné ses frères ? Arrivant ensuite aux preuves de l'empoisonnement, il exposa successivement tous les témoignages : il s'indigna qu'Antipater eût fait d'un homme tel que Phéroras un fratricide ; il montra l'accusé corrompant les plus chers amis du roi, remplissant tout le palais de scélératesse. Après avoir ajouté nombre d'autres griefs et arguments, il mit fin à sa harangue.
  2. Varus ordonna à Antipater de présenter sa défense. Le prince se borna à dire que Dieu était témoin de son innocence et resta étendu, sans parler. Alors le gouverneur demanda le poison et en fit boire à un prisonnier, condamné à mort, qui rendit l'âme sur le champ. Après quoi, Varus s'entretint secrètement avec Hérode, rédigea son rapport à Auguste, et partit au bout d'un jour. Le roi fit mettre aux fers Antipater et envoya des messagers à César pour l'informer de cette catastrophe.
  3. On découvrit ensuite qu'Antipater avait comploté aussi contre Salomé. Un des serviteurs d'Antiphilos vint de Rome, apportant des lettres d'une suivante de Livie, nommée Acmé. Elle mandait au roi qu’elle avait trouvé des lettres de Salomé dans la correspondance de Livie et les lui envoyait secrètement pour l'obliger. Ces lettres de Salomé, qui contenaient les injures les plus cruelles envers le roi et un long réquisitoire, Antipater les avait forgées, et il avait persuadé Acmé, en la soudoyant, de les envoyer à Hérode. Il fut convaincu de ce faux par une lettre que lui écrivait cette femme en ces termes : « Selon

 

 

 

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ton désir, j'ai écrit à ton père et je lui ai adressé les lettres en question, certaine qu'après les avoir lues, il n'épargnera pas sa sœur. Tu feras bien, quand tout sera achevé, de te rappeler tes promesses ».

7. Après avoir saisi cette lettre et celles qui avaient été composées contre Salomé, le roi conçut le soupçon qu’on avait peut-être aussi forgé les lettres qui avaient perdu Alexandre[298]. Il fut pris d'un véritable désespoir à la

pensée qu'il avait failli tuer aussi sa sœur à cause d'Antipater ; il ne voulut donc plus attendre pour le châtier de tous ces crimes. Mais au moment où il se préparait à sévir contre Antipater, il fut atteint d'une grave maladie : il écrivit cependant à César au sujet d'Acmé et des intrigues tramées contre Salomé ; puis il demanda son testament et le modifia. Il désigna pour roi Antipas, laissant de côté ses aînés, Archélaüs et Philippe, qu'Antipater avait également calomniés il légua à Auguste, outre des objets de prix, mille talents ; à l'impératrice, aux enfants, amis et affranchis de l'empereur, environ cinq cents talents ; il partageait entre ses autres enfants une assez grande quantité de terres et d'argent et honorait sa sœur Salomé des présents les plus magnifiques.

XXXIII

1. Aggravation de l’état d’Hérode. – 2-4. Sédition des fanatiques contre l’aigle d’or du temple ; châtiment des coupables. – 5. Hérode à Callirhoé. – 6. Hérode à

Jéricho ; arrestation des notables. – 7. Supplice d’Acmé et d’Antipater. Dernier testament d’Hérode en faveur d’Archélaüs. – 8. Mort d’Hérode. Lecture de son testament. – 9. Ses obsèques.

1[299]. Telles furent les corrections qu'Hérode fit à son

testament. Cependant sa maladie allait s'aggravant, comme il était fatal d'une indisposition survenue chez un vieillard démoralisé. Car il avait déjà presque soixante-dix ans, et ses malheurs domestiques l'avaient

 

 

 

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tellement abattu que, même en bonne santé, il ne jouissait plus d'aucun des plaisirs de la vie. Sa maladie s'exaspérait à la pensée qu'Antipater était encore vivant, car il avait décidé de le mettre à mort, non pas à la dérobée, mais lui présent et rétabli.

  1. A toutes ces misères vint s'ajouter un soulèvement du peuple. Il y avait dans la capitale deux docteurs qui passaient pour fort experts dans les lois des ancêtres et qui, pour cette raison, jouissaient dans toute la nation d'une très grande renommée : ils s'appelaient Judas, fils de Sepphorée, et Matthias, fils de Margalos. Ses docteurs expliquaient les lois devant un nombreux auditoire de jeunes gens et, tous les jours, ils réunissaient ainsi une véritable armée d'hommes à la fleur de l'âge. Quand ils surent que le roi se consumait de chagrin et de maladie, ils firent entendre confidentiellement à leurs amis que le moment était venu de venger Dieu et de détruire les ouvrages élevés au mépris des lois nationales. Il était, en effet, interdit de placer dans le Temple des images, des bustes ou des représentations quelconques d'êtres vivants. Or, le roi avait fait ériger au-dessus de la grande porte du Temple[300] un aigle d'or : les docteurs

exhortaient leurs amis à le détruire, proclamant que, si même l'acte offrait quelque danger, il était beau de mourir pour la loi nationale ; car l'âme de ceux qui avaient une telle fin était immortelle[301] et gardait

éternellement le sentiment de sa félicité, tandis que les âmes sans noblesse qui n’avaient pas suivi leur enseignement s'attachaient par ignorance à la vie et préféraient à une fin héroïque la mort par la maladie.

  1. Pendant qu'ils discouraient ainsi, le bruit se répandit que le roi était à la mort ; les jeunes gens se mirent à l’œuvre d'autant plus hardiment. Au milieu du jour, à l’heure où, dans le Temple, circulait beaucoup de monde, ils se firent descendre du toit au moyen de grosses cordes et brisèrent à coups de hache l’aigle d'or. Le préfet du roi, aussitôt informé, accourut avec un fort détachement, arrêta environ quarante jeunes gens et les conduisit devant le roi. Hérode leur demanda d'abord s'ils avaient osé abattre l'aigle d'or. Ils le reconnurent. - Qui vous l'a ordonné ? - La loi de nos pères. - Et

 

 

 

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pourquoi tant de joie au moment où vous allez être mis a mort ? - C'est qu'après notre mort, nous jouirons d'une félicité plus parfaite.

  1. Là-dessus, le roi entra dans une si violente colère qu'il en oublia sa maladie. Il se fit porter dans l'assemblée[302] et y prononça un long réquisitoire

contre ces hommes : c'étaient des sacrilèges qui, sous prétexte de servir la loi, poursuivaient, en réalité, un dessein plus profond ; il fallait donc les punir comme des impies. Le peuple, craignant que les poursuites ne s'étendissent démesurément, pria le roi de se borner à punir les machinateurs de l'entreprise ainsi que ceux qui avaient été arrêtés en flagrant délit, et de détourner sa colère des autres. Le roi se laissa fléchir à grand'peine ; les jeunes gens qui s'étaient fait descendre du toit et les docteurs furent brûlés vifs ; les autres prisonniers furent livrés aux bourreaux.

  1. A partir de ce moment, la maladie, ravageant tout son corps, l'affligea de souffrances multiples. Sans avoir beaucoup de fièvre, il éprouvait une insupportable démangeaison de toute la peau, de continuelles tranchées, un oedème des pieds pareil à celui des hydropiques ; en outre la tuméfaction du bas-ventre et une gangrène des parties sexuelles qui engendrait des vers, enfin l'asthme, la suffocation, des crampes de tous les membres. Il se trouva des prophètes pour dire que ces douleurs étaient le châtiment du supplice des docteurs. Pourtant le roi, luttant contre tant de souffrances, s'accrochait à la vie, espérait la guérison et imaginait remède sur remède. C'est ainsi qu'il passa de l'autre côté du Jourdain pour prendre les bains chauds de Callirhoé[303] : ces sources descendent vers le lac

Asphaltite, et leur douceur les rend potables. Là les médecins furent d'avis de réchauffer tout son corps dans l'huile chaude : comme il se détendait dans une baignoire pleine d'huile, il défaillit, et ses yeux se retournèrent comme ceux d'un mort. Le tumulte et les cris de ses serviteurs le firent revenir à lui, mais, désespérant désormais de sa guérison, il ordonna de distribuer cinquante drachmes par tête aux soldats et des sommes considérables aux officiers et à ses amis.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Il prit le chemin du retour et parvint à Jéricho. Là, vomissant déjà de la bile noire. il lança une sorte de défi à la mort même, en procédant à une exécution sacrilège. Il fit rassembler dans l'hippodrome des citoyens notables de tous les bourgs de la Judée et ordonna de les y mettre sous clef. Puis, appelant auprès de lui sa sœur Salomé et Alexas, mari de la princesse : « Je sais, dit-il, que les Juifs célèbreront ma mort par des réjouissances, mais j'ai un moyen de les faire pleurer et d'obtenir des funérailles magnifiques si vous voulez suivre mes instructions. Ces hommes que j'ai fait emprisonner, dès que j'aurai rendu le dernier soupir, faites-les aussitôt cerner et massacrer par des soldats ; ainsi toute la Judée, toutes les familles, qu'elles le veuillent ou non, pleureront sur moi ».
  2. Au moment où il donnait ces ordres, il reçut des lettres de ses ambassadeurs à Rome, qui lui apprenaient qu'Acmé avait été exécutée sur l'ordre de César et Antipater condamné à mort ; toutefois si son père voulait se borner à le bannir, César lui en donnait l'autorisation. Cette nouvelle lui rendit un moment de sérénité, mais ensuite, torturé par le manque de nourriture et une toux convulsive, vaincu par la douleur, il entreprit de devancer l'heure fatale. Il prit une pomme et demanda un couteau, car il avait coutume de couper lui-même ses aliments ; puis, après avoir guetté le moment où personne ne pourrait l'empêcher, il leva la main droite pour se frapper. Cependant Achab, son cousin, accourut assez vite pour retenir son bras et arrêter le coup. Aussitôt de grands gémissements s'élevèrent dans le palais, comme si le roi était mort. Lorsqu'Antipater les entendit, il reprit courage, et, plein de joie, supplia ses gardes, en leur promettant de l'argent, d'enlever ses chaînes et de le mettre en liberté. Leur officier, non seulement s'y opposa, mais courut raconter au roi cette tentative. Celui-ci poussa un cri qu'on n'eût pas attendu d'un malade et envoya aussitôt ses gardes tuer Antipater. Il fit ensevelir le cadavre à Hyrcanion. Après cela, il modifia encore son testament : il désigna pour héritier Archélaüs, son fils aîné, né du même lit qu'Antipas[304], et nomma ce dernier tétrarque.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Après l'exécution de son fils, Hérode vécut encore cinq jours. Il expira après un règne de trente-quatre ans à compter du jour, où, Antigone mort, il devint le maître, trente-sept depuis le jour où les Romains l'avaient nommé roi[305]. Si l'on considère sa vie dans son

ensemble, sa prospérité fut sans égale, car, simple particulier, il parvint à la couronne, la garda longtemps et la transmit à ses propres enfants ; en revanche, nul ne fut plus malheureux avec sa famille. Avant que l'armée eût appris la mort du roi, Salomé alla avec son mari délivrer les prisonniers qu'Hérode avait ordonné d'exécuter ; elle pré-tendit que le roi avait changé d'avis et prescrit de renvoyer tous ces hommes dans leurs foyers[306]. Après leur départ, les deux époux

annoncèrent la mort aux soldats et les réunirent en assemblée avec le reste du peuple dans l'amphithéâtre de Jéricho. Là, Ptolémée, à qui Hérode avait confié le sceau royal, s'avança, bénit la mémoire du roi et adressa des exhortations à la multitude ; il lut aussi une lettre laissée par Hérode à l'adresse des soldats, où il les engageait en termes pressants à aimer son successeur. Après cette lettre, Ptolémée brisa les cachets des codicilles et en donna lecture : Philippe y obtenait la Trachonitide et les districts[307] limitrophes ; Antipas,

comme nous l'avons dit, était nommé tétrarque[308],

Archélaüs roi. Hérode chargeait encore celui-ci de remettre à Auguste son anneau et les comptes de l'administration du royaume, dûment scellés ; car il désignait César comme arbitre de toutes ses dispositions et garant de son testament ; tout le reste devait être réglé suivant son testament précédent.

  1. Aussitôt s'élevèrent des acclamations en l'honneur d'Archélaüs les soldats, rangés par bataillons, vinrent, avec le peuple, lui promettre leur dévouement et invoquer sur lui la protection de Dieu. Ensuite on s'occupa des funérailles du roi. Archélaüs n'épargna rien pour qu'elles fussent magnifiques. Il étala tous les ornements royaux qui devaient accompagner le mort dans sa tombe. Sur un lit d'or massif, constellé de pierreries, était jeté un tapis de pourpre brodé de

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

couleurs variées : le corps reposait sur cette couche, enveloppé d'une robe de pourpre, la tête ceinte du diadème, surmontée d'une couronne d'or, le sceptre dans la main droite. Autour du lit marchaient les fils d'Hérode et la foule de ses parents, et après ceux-ci les gardes, les mercenaires thraces, germains et gaulois, tous dans leur équipement de guerre. Tout le reste de l'armée formait escorte[309] ; elle s'avançait en armes,

accompagnant en bon ordre les généraux et les commandants ; venaient, enfin, cinq cents serviteurs et affranchis, portant des aromates. Le corps fut ainsi transporté sur un parcours de 200 stades[310] jusqu'à,

Hérodion, où il fut enseveli comme le roi l'avait prescrit. Ainsi finit le règne d'Hérode.

  1. Les notes de ce volume sont toutes, à moins d'avertissement spécial, dues à M. Th. Reinach.
  2. Non l'hébreu, mais l'araméen, qui était parlé ou compris par les

Juifs et par toutes les populations de la Syrie et de la Mésopotamie. Pour la rédaction grecque du Bellum Josèphe eut des collaborateurs (C. Apion, I, §50)

  1. Ces mots omis par P. Eusèbe (et Niese), sont indispensables.
  2. Les § 4 et 5 forment une grande parenthèse, peut-être ajoutée

après coup, et destinée à préciser l'immensité de la commotion visée au début ; le fil du discours reprend en § 6.

  1. Exposé tendancieux. Au moment ou éclata l'insurrection juive (66) il n’y avait aucun désordre dans l'Empire.

[6] Josèphe, comme Dion Cassius et d'autres historiens grecs,

entend la Germanie opposée à la Gaule ; cf. Ant., XIX, § 119. Les troubles de la Gaule désignant la révolte de Vindex (68) les troubles de Ger­manie celle des Bataves (69)

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Whiston rapproche les termes presque analogues où l'Évangile

annonce la catastrophe qui fondit sur les Juifs (Math. XXIV, 21 ;

Marc, XIII, 19 ; Luc, XXI, 24). C'est qu'en effet les Synoptiques ont été rédigé sous l'impression récente de la ruine de Jérusalem.

  1. Est-ce une allusion aux ouvrages de Démétrius, Philon l'Ancien et Eupolémos, sur le compte desquels Josèphe s'exprime ailleurs presque exactement dans les mêmes termes (C. Apion, I, ,§ 218). Quoi qu'il en soit, Josèphe ne devait pas tarder à changer d'avis sur l'inutilité d'une nouvelle « Archéologie » juive.
  2. Le texte étant profondément altéré, c’est une traduction au jugé.
  3. Il faut entendre par là sans doute 1es zones successivement resserrées de la ville sainte, dont l'accès n'était permis qu'à des personnes de plus en plus “pures” au point de vue rituel. La Mishna (Kélim, I, 8) parait bien énumérer sept zones de ce genre : la ville, la colline du temple avant cour extérieure, le hél (espace au delà de la grille du temple), l'avant cour des femmes, l'avant cour des Israélites, l'avant cour des prêtres, le Saint des saints. Mais dans le passage assez confus auquel Josèphe fait allusion (V, § 227 et suiv.), on ne trouve pas d'énumération aussi précise. Cf. Olilzki, Flavius Josephus und die Halache, I. p. 28 (Schürer, II, 273)
  4. Tel est sûrement le sens de des mots grecs, quoique le pluriel soit insolite. Kohout l'a traduit exactement, mais non Whiston (I will begin... with what I call my first chapter!). Le fait qui va être raconté immédiatement - l'intervention d'Antiochus Epiphane à Jérusalem - est effectivement celui qui est placé plus haut (§19) en tête de cette espèce de table des matières.
  5. Cette section et les suivantes correspondent en gros b Ant.,

XII, 5' mais la maniéra dont sont présentés les faits diffère beaucoup dans les deux ouvrages. On notera particulièrement les points suivants : 1° Le récit de Guerre ne nomme pas les « grands-prêtres » qui se disputaient le pouvoir, et ne se prononce pas sur leur parenté ; il attribue à Onias le rôle joué dans Ant. par Jason (XII, § 239 suiv.) ; 2° Guerre ne connaît qu'une occupation de Jérusalem par Antiochus, au lieu de deux (Ant., § 246 et 248); 3° les sacrifices sont interrompus selon Guerre pendant trois ans et demi, selon Ant., § 320, pendant juste trois ans ; 4° d'après Ant., XII, § 237 et XIII, § 62, l’Onias qui fonde le temple en Égypte n'est pas un grand-prêtre dépossédé, mais le fils d'Onias III mort avant le commencement des discordes. En général, le récit de Guerre donne aux événements une tournure plus profane. Nous ne pouvons discuter ici la question de savoir lequel de ces deux récits

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

est le plus rapproché de la vérité ; Josèphe lui-même, quand il a repris le tableau de ces faits dans les Ant, déclare surtout vouloir donner un récit « plus détaillé » (~X~t&~) que dans son premier ouvrage, sans s'expliquer sur les contradictions. Quant à la source du récit de la Guerre, ici comme pour toute l'histoire des Hasmonéens, c'est incontestablement un historien grec (Nicolas de Damas, comme le prouvent les allusions répétées à Hérode?) ; certains détails (comme le dévouement d'Éléazar, § 42 suiv., si curieusement rabaissé) peuvent provenir de la tradition juive; il paraît certain qu'en rédigeant ce chapitre, Josèphe n'a pas connu I Macc. (Cf. la liste des divergences dressée par G. Hoelsclier Die Quellen des Josephus für die Zeit com Exil bis zum jüdischen Kriege [Leipzig, 1904], p. 4-5.) Les erreurs sur la chronologie des Séleucides peuvent être imputées à son étourderie.

  1. 170 69 av. J.-C.
  2. Comme le rétablissement des sacrifices (§ 39) eut lieu en déc. 165, il en résulte que leur interruption daterait de juin 168.

[15] Infra ; VII, 10, 2

  1. La mention de Bacchidès est un anachronisme; ce général n’entra en scène que beaucoup plus tard (Ant., XII, § 899)
  2. Section 3 Ant., XII, 6.
  3. Mattathias
  4. Apellès d'après Ant., XII, § 270
  5. « Dans le désert », Ant., § 271.
  6. 167/6 av. J.-C. En réalité, Judas n'était pas l’aîné des cinq fils, mais le troisième (I Macc., 2, 2).
  7. Section 4 Ant., XII, 7 et XII, 9, 1-2.
  8. Anachronisme. Ce traité (s'il est authentique ne se place que sous Démétrius (162-150). Cf. en dernier lieu Niese, Eine Urkunde aus der Makkabœerzeit (Mélanges, Noeldeke, p. 817 suiv.), qui place l'ambassade juive en 161.
  9. Non pas Antiochus lui-même, mais ses généraux, Gorgias, Lysias.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Décembre 165 av. J.-C.
  2. 164/3 av. J.-C.
  3. Section 5 Ant., XII, 9, 3-7
  4. D’après Ant., I, § 366, 100 000 fantassins, 20 000 chevaux, 32 éléphants.
  5. Bethsoura ne fut prise qu’après la bataille, selon Ant., §376.
  6. D'après Ant., § 375 suiv., il se retire, au contraire, à

Jérusalem et y soutient un siège qui se termine par une capitulation honorable.

  1. Section 6 Ant., XII, 10 et 11.
  2. En réalité : de Démétrius Soter.
  3. Judas ne périt pas à la bataille d'Adasa (mars 161), mais à celle de Berzètho ou Elasa (?) (I Macc., 9, 5), en septembre (?) de la même année (Ant., XII, § 430; I Macc., 9, 3).
  4. Ant., XIII, 2.
  5. Section 1 - Ant., XIII. 1-6.
  6. Jonathan a traité 1° avec Bacchidès, lieutenant de Démétrius Soter, 2° avec Alexandre Bala, prétendu fils d'Antiochus Épiphane, 3° avec Démétrius II Nicanor, 4° avec Antiochus VI Dionysos. fils de Bala. C'est probablement à ce dernier traité (Ant., § 145) qu’il est fait ici allusion ; malgré la qualification inexacte de « grec » donnée au roi. La correction proposée par Bernard, ne peut être admise en présence du § 49. Josèphe a visiblement confondu Antiochus VI avec Antiochus V.
  7. 143 av. J.-C.
  8. Section 2 Ant., XIII, 6, 1 à 7, 3.
  9. Antiochus VII Sidétès, frère de Démétrius II Nicanor.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. 139/8 av. J.-C.
  2. D'après la vulgate, Simon fut proclamé grand-prêtre

immédiatement après la mort du grand-prêtre Jonathan, 143/2 av. J.-C. Ant , XIII, § 213. On voit que Josèphe, guidé par un historien grec, n'attribue aux premiers Asmonéens que le caractère de chefs militaires et profanes. - Par les « 170 ans de domination macédonienne », Josèphe entend tout simplement (et à tort) l'an 170 de l’ère des Séleucides. En réalité, la domination macédonienne durait depuis 190 ans.

  1. Sections 3-4 Ant., XIII, 7, 4 à 8,1. Les deux récits coïncident presque mot pour mot et dérivent donc d'une même source (païenne).
  2. Section 5 Ant., XIII, 8, 2-4.
  3. 3 600 d'après le ms. M. - D'après le récit des Ant., § 249, Hyrcan n'ouvre le tombeau de David qu'après le départ d'Antiochus ; mais un autre texte (Ant., VII, § 393) s'accorde avec Guerre.
  4. Section 6 Ant., XIII, 9, 1. - Il n'est pas exact, d’ailleurs, que l’entreprise d'Hyrcan ait coïncidé avec l'expédition d’Antiochus Sidétès contre les « Mèdes » (Parthes), expédition à laquelle prit part Hyrcan (Ant., XIII, § 250, d’après Nicolas). Cette expédition eut lieu on 130/129 ; les entreprises d’Hyrcan commencèrent après la mort de Sidétès (129). Remarquons que l'expression « Mèdes » employée ici et au § 51 peut faire douter que Nicolas soit ici la source directe de Josèphe.
  5. Adora des Ant., § 257
  6. Section 7 Ant., XIII, 10, 1-3
  7. Antiochus Aspendios ou d'Aspendos est Antiochus VIII

Grypos, fils de Démétrius II (avènement en 123/2). Mais les Ant., § 2~7, nomment ici à sa place, et probablement avec raison, son frère utérin Antiochus IX Cyzicène, fils d'Antiochus Sidétès, qui lui disputa la Syrie à partir de 114 av. J.-C.

  1. Section 8 = Ant., XIII, 10, 5-8. La fin est presque identique dans les deux.
  2. 31 selon Ant., § 299 (30 selon Ant., XX, § 240). Hyrcan en mort en 105 ou 104 av. J.-C.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Chapitre III de Ant., XIII, II. Les deux récits sont presque

identiques et copient le même original, mais les renseignements

précis de Ant., § 319, sur les conquêtes d'Aristobule manquent ici.

  1. 481 d'après Ant., § 301. Ces deux chiffres sont également erronés, mais celui des Ant. s'accorde mieux avec la chronologie de Josèphe fondée sur la prophétie de Daniel : il compte 490 ans (70 semaines d'années) entre la destruction du Temple par les Chaldéens et la mort de Judas Macchabée (d'après lui, 150 av. J.-C.). Cf. Destinon, Chronologie des Josephus (Kiel, 1880, prog.), p. 31.
  2. La mort d'Aristobule se place en 103 av.
  3. Section 1 Ant., XIII, 12, 1.
  4. Salomé dite Alexandra (Ant., § 320). Ni ici ni dans les

Antiquités, Josèphe ne dit explicitement qu'elle épousa Alexandre Jannée.

  1. Section 2 Ant., XIII, 12,2 à 13,3. Hœlscher (op. cit.) a

démontré très ingénieusement que les parties communes de ces deux récits remontent à Nicolas (nommé, à côté de Strabon, Ant., § 347).

  1. Erreur de Josèphe. Ptolémée Lathyre, chassé d'Égypte par sa mère, régnait à Chypre, et c'est là qu'il se retira après sa campagne de Palestine.
  2. Sections 3 et 4 Ant., XIII, 13, 5.
  3. Sections 5 et 6 = Ant., XIII, 14, 1-2.
  4. Ces chiffres sont plus probables que ceux d'Ant., § 377 (Alexandre : 6 200 mercenaires, 20 000 Juifs ; Démétrius : 3 000 chevaux, 40 000 fantassins).
  5. Béthomé d’après Ant., § 380.
  6. Section 7 Ant., XIII, 15, 1.
  7. Section 8 Ant., XIII, 15, 2-5.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Ptolémée était dynaste de Chalcis, Arétas est le roi des Arabes (Nabatéens) dont il vient d’être question.
  2. La leçon de la plupart des mss. signifierait que Alexandre

acquitta Démétrius. Mais d'après Ant., § 394, Démétrius fut, au contraire, dépouillé. On doit donc soupçonner ici une faute de texte : probablement il faut lire le sens de « faire mourir ».

  1. 77 ou 76 av. J.-C.
  2. Sections 1 à 4 Ant., XIII, 16.
  3. D'après Ant., § 417, ils furent proposés à la garde des places-fortes du moindre importance, ce qui explique la facilité avec laquelle Aristobule s'en empara (§ 117).
  4. Cléopâtre Séléné, fille du Ptolémée Physcon, et veuve de

plusieurs rois Séleucides. Ces événements se placent en 70 av. J.-C.

  1. Supra III, 3
  2. 69 av. J.-C. (Josèphe lui-même, Ant., XIV, § 4, indique la date 69)
  3. Section 1 Ant., XIV, 1, 2.
  4. Sections 2-3 Ant., XIV, 1, 8 à 2, 3.
  5. D'après Ant., XIV, § 19, la cavalerie seule comptait 50 000 hommes
  6. 65 av. J.-C.
  7. Quatre cents d’après Ant., § 30, qui suit une autre source.
  8. Sections 4-6 Ant., 3 à 4, 1.
  9. Printemps 63 av. J.-C.
  10. Les mots en grec sont équivoques ; ils peuvent se traduire soit

« sans apporter de présents » ou, au contraire, « sans parler des

présents qu'ils apportèrent ». Ce dernier sens, plus alexandrin, est

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

aussi plus vraisemblable.

  1. D'après Ant., § 47, Aristobule serait, au contraire, parti de Damas pour se rendre à Dion.
  2. Sections 1-7 Ant., XIV, 4, 2-5. Le récit de Guerre est par moments plus détaillé que celui des Antiquités.
  3. Ant. 66 ajoute « le jour du jeûne » (sabbat selon les uns, Kippour selon d'autres), la date 01. 179 et le consulat.
  4. Il s’appelait Absalon (Ant., 71)
  5. Et Dion (Ant. 75)
  6. Section 1 Ant., XIV, 5, 1.
  7. Sections 2-5 Ant., XIV, 5, 2-4.
  8. Quoique la construction soit équivoque, il est évident qu'il s’agit d'Alexandre, non d'Hyrcan. Voir la note sur Ant., XIV, § 82.
  9. Inexact ; dans l’intervalle, la Syrie avait eu deux gouverneurs, Marcius Philippus et Lentulus Marcellinus (Appien, Syr., 51).
  10. Dora (par erreur) dans les mss. des Ant., § 88. Pour la différence des deux listes, voir ma note ad locum.
  11. Au lieu de Gazara, les mss. (Ici et dans Ant.) ont Gadara.
  12. Section 6 Ant., XIV, 6, 1.
  13. Servilius d'après Ant., § 92, et la plupart des mss. de Guerre ; Servianus d'après le ms. P et Syncelle. Niese et Naber préfèrent cette dernière leçon.
  14. 56 av. J.-C.
  15. Section 7 Ant., XIV, 6, 2-4.
  16. Ptolémée Aulète, roi d'Égypte, chassé par ses sujets, persuada Gabinius, à prix d'or, de le restaurer (55 av. J.-C.)

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Détail complètement étranger à l’histoire juive et qui suffirait à prouver que Josèphe copie, en l'abrégeant, une histoire générale.
  2. Sections 8 et 9 Ant.; XIV, 7, 1-3.
  3. Phrase copiée sans réflexion dans Nicolas ? Nulle part (( ailleurs » dans la Guerre on ne trouve le récit de ces évènements. Dans le passage correspondant des Ant. (§122) on lit : (( comme d'autres l'ont raconté ».
  4. Sections 1 et 2 Ant., XIV, 7, 4.
  5. 49 av. J.-C.
  6. Q. Cæcilius Metellus Scipio, beau-père de Pompée et gouverneur de Syrie.
  7. Sections 3 à 5 Ant., XIV, 8, 1-3.
  8. 48 av. J.-C.
  9. Si l'on acceptait la conjecture d'Aldrich, il faudrait traduire : (( les plus puissants de la Syrie... et, parmi les dynastes du Liban, Ptolémée et Jamblique ». Il s'agit de Ptolémée, fils de Sobémos, non de Ptolémée, fils de Mennæos. Cf. ma note sur Ant., § 129.
  10. Peut-être les Iduméens, qui formaient à Memphis une importante colonie, dont un décret s'est récemment retrouvé (Dittenberger, Orientalis græci inscr., n° 747). Antipater, leur compatriote, dut les gagner sans peine. Mais il peut s’agir aussi des Juifs de Memphis ou des habitants de cette ville en général.
  11. 40 (ou 50) d'après Ant., § 135.
  12. Sections 1 à 3 Ant., XIV, 8, 4-5. (Le récit de Guerre est plus développé.)
  13. Sections 4-9 Ant., XIV, 9.
  14. Terme impropre, qui revient plusieurs fois ici et dans Ant., XIV, 9. Hyrcan n'avait que le titre d'ethnarque.
  15. D’après le récit de Ant., § 177, Hyrcan ne rendit pas une sentence d'acquittement, mais d’ajournement, qui permis à

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

Hérode de s'évader.

  1. Encore un terme impropre, Hérode n’était sans doute que procurateur. Cf. XI, 4, infra.
  2. Section 10 Ant., XIV, 11, 1.
  3. 46 av. J.-C.
  4. Section 1 à 4 Ant., XIV, 2-4 (§ 281).
  5. Trois ans et six mois d'après Ant., § 270. Si l'on compte

depuis Pharsale (9 août 48) jusqu'au 15 mars 44 ; le chiffre de 7 mois est plus exact.

[116] Lydda et Thamna (Ant., § 275).

  1. Hyrcan, d'après Ant., § 2~6; Antipater n'aurait servi que d’intermédiaire.
  2. De la Cœlé-Syrie seulement, d'après Ant., § 280, ce qui est plus vraisemblable. Aux troupes confiées à Hérode, le texte d'Ant. ajoute des navires.
  3. Printemps 43 av. J.-C.
  4. Sections 5-8 Ant., XIV, 11, 4, (§ 282) à 6.
  5. D'après Ant., § 284, c'est Phasaël qui s'occupe de ce soin.
  6. Quelques mss. ont « quelques-uns de ses serviteurs ».
  7. Sections 1-3- Ant., XIV, 11, 7 à 12, 1.
  8. Section 4 Ant., XIV, 12, 2
  9. Automne 42 av. J.-C.
  10. Sections 5-7 Ant., XIV, 13,1-2.
  11. Ant., § 329, dit le contraire.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Sections 1 à 11 Ant., XIV, 13, 3-10.
  2. 40 av. J.-C.
  3. D'après Ant., § 331, cette promesse fut faite par Antigone lui-même. Voir d'ailleurs infra, XII, 4.
  4. Entre Tour de Straton (Césarée) et Jopé.
  5. Hérode, d'après Ant., § 335.
  6. L'échanson ou le prince ? Plutôt l’échanson, car le prince aurait pu traiter directement avec Phasaël.
  7. Plus exactement: 200 cavaliers et 10 Eleuthères (Ant., § 342). La majeure partie de l'armée Parthe se composait d'esclaves (Justin, XLI, 2, 5).
  8. Barzapharnès.
  9. Le prince royal et non, comme le veut Kohout, l’échanson.
  10. Lapsus pour « petite-fille ». Dans Ant., § 351, il est bien

question de la fille d'Hyrcan, mais c'est Alexandra, non Mariamme ; cette dernière version est plus vraisemblable.

  1. Le plus jeune frère d'Hérode, non de Mariamme (qui n'en avait qu'un).
  2. Ce détail atroce et suspect manque dans Ant., § 366.
  3. Sections 1-4 Ant., XIV, 14, 1-5.
  4. Texte altéré.
  5. Ou plutôt équiper (Ant., § 378).
  6. On ne voit pas bien quel est le sujet du verbe Antoine ou

César Octavien. Dans Ant., § 383, c'est Messala et Atratinus qui convoquent le Sénat, on ne sait à quel titre.

  1. Fin 40 av. J.-C.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Sections 1.6 Ant,. XIV, 14, 6 à 15, 3.
  2. Sections 1-7 Ant., XIV, 15, 4-9.
  3. D'après Ant., § 418, Phéroras fut chargé de nourrie, non les soldats d’Hérode, mais les Romains, qu’Antigone, au bout d’un mois, avait laissés à court.
  4. Ou plutôt d'en relever les fortifications (Ant., § 419).
  5. Hiver 39-38 av. J.-C.
  6. Ant., §427, parle, au contraire, de nombreux cas de soumission.
  7. 9 juin 38.
  8. Ant., § 435, est bien loin d'être aussi affirmatif.
  9. Sections 1-9 = Ant., XIV. 15, 10 à 16, 1.
  10. Mai 38 av. J.-C.
  11. Cette leçon est préférable à celle d'Ant., § 450. Malheureusement le site de Gittha (Gath ?), est incertain.
  12. C'est une erreur, Antoine se rendit alors à Athènes, où il passa l'hiver 38/37.
  13. La phrase grecque est équivoque (on pourrait entendre : sans tarder d'un jour), mais le sens résulte de Ant., § 452, où l'on voit que la marche eut lieu de nuit.
  14. Ou le souvenir
  15. printemps 37 av. J.-C.
  16. Sections 1-3 Ant., XIV, 16, 2-4. Pour le supplice d'Antigone, cf. XV, 1, 2. On a remarque avec raison que Josèphe s'exprime plus durement sur le compte d'Antigone dans la Guerre. que dans les Antiquités.
  17. Le texte est douteux, d’autres mss. ont « proclamaient le

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

plus heureux et le plus pieux celui qui mourrait à propos », ce qui n’offre guère de sens.

  1. Nous traduisons d'après le texte de Niese (P A M). La leçon d'autres manuscrits (L V R G) signifierait : « Puisqu'il n'était resté (dans la ville ?) de nourriture ni pour les hommes ni pour les chevaux ».
  2. Nous traduisons selon le texte des mss. L V R C : les mss. P A donnent le sens contraire : « ils attaquaient en face », etc.
  3. D'après Ant., § 487, Jérusalem fut prise « le 3e mois », mais le sens de cette expression est controversé (voir ma note sur ce passage). La prise de la ville paraît être de juin 37 av. J.-C. Dion la place à tort (XLIX, 22) en 38.
  4. 36 av. J.-C.
  5. 34 av. J.-C. Artabaze Artavasde était roi d'Arménie et nullement Parthe; Josèphe paraît le confondre avec son homonyme, roi des Mèdes.
  6. Sections 1-6 Ant., XV, 5 (1-5). Nous avons déjà signalé la grande différence de la harangue d'Hérode dans les deux récits.
  7. Cana dans Ant., § 112. Peut-être Canata (Kerak).
  8. D'après Ant., § 116, Athénion attaque lui-même « avec des troupes levées dans le pays ».
  9. Printemps 31 av. J,-C. Josèphe compte ici par année effectives du règne d'Hérode, depuis l'année de la prise de Jérusalem (37), au printemps.
  10. Le texte est altéré, nous traduisons par à peu près.
  11. Sections 1-2 Ant., XV, 6, 1 et 6-7 jusqu'au § 196. A partir de cette époque, qui eqt celle de la consolidation définitive de la royauté d'Hérode, le récit de Guerre s'écarte de l'ordre chronologique suivi par les Antiquités, pour adopter un ordre méthodique. Il traite successivement : 1° des agrandissements territoriaux d'Hérode (ch. XX) ; 2° de ses constructions (ch. XXI) ; 3° de ses affaires de famille (ch. XXII-XXXI) ; 4° de sa fin (ch. XXXII-XXXIII). G. Hölscher (Qullen des Josephus etc., 1904, p. 27) a cherché à montrer que cet ordre méthodique reproduit la

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

disposition de l'ouvrage de Nicolas de Damas.

  1. 2 septembre 31 av. J.-C.
  2. Forte exagération dont il n'y a pas trace dans les Antiquités.
  3. Correction de Hudson d’après Dion.
  4. Section 3 Ant., XV, 6, 7 (depuis § 196) et 8, 3 (§ 215-217).
  5. Section 4 Ant., XV, 10, 1 et 3.
  6. 28-24 av. J.-C. Ce comput était sans doute destiné à remplacer celui des Olympiades.
  7. 20 av. J. C.
  8. Section 1 Ant., XV, 11 et Ant., XV, 9, 3, § 318
  9. La dix-huitième (20/19 av. J.-C.) d'après Ant., § 380, indication qui paraît préférable. La date est celle du commencement des travaux.
  10. Section 2 Ant., XV, 8, 5, § 296-298 ; mais le texte de Guerre donne des détails nouveaux. Date : 25 av. J.-C.
  11. ce qui est considérable.
  12. Section 3 Ant., XV, 10, 3, § 363-364 (moins détaillé).
  13. Le mont Hermon 2 860 mètres.
  14. Section 4. Pas de parallèle exact dans Ant. (Pour les Cæsarea provinciaux, Cf. cependant Ant., XV, § 328 suiv.).
  15. Elle avait été bâtie par Hérode en l'honneur de sa mère, cf. infra XXI, 9.
  16. César (Auguste) et Agrippa.
  17. Sections 5-7 (construction de Césarée) Ant., XV, 9, 6.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. 18 selon Ant., § 334
  2. Plus exactement : de Rome et d'Auguste cf. Suétone, Aug., 52.
  3. Section 8, Ant., XVI, 5, 1, § 136-138. – Mais la fin de la section (Il releva encore Anthédon ...) n'a pas de parallèle dans les Antiquités, quoi qu'en disent les éditeurs.
  4. C'est-à-dire célébrés tous les quatre ans.
  5. Plus exactement, la 3e année de cette Olympiade, 10 av. J.-C.
  6. Agrippias, d'après Ant., XIII, § 357.
  7. De Jérusalem. Le Temple d'Hérode comportait de

nombreuses portes, les unes donnant accès à la cour extérieure, les autres à la cour intérieure ; on ignore de quelle porte il s'agit ici.

  1. Section9 Ant., XVI, 5, 2.
  2. Section 10 Ant., XV, 9, 4, § 323-325. Le premier Hérodium, sur la frontière d'Arabie, parait être mentionné Ant., XVI, § 14. Le site en est inconnu ; l'identité avec Machérous, proposée par Schlatter, est sans vraisemblance.
  3. Section 11 Ant. XVI, 5, 3, § 146-148. Pour les présents d'Hérode à Samos, cf. XVI, § 24. Le texte de Guerre est ici plus complet et parait reproduire littéralement un développement oratoire de Nicolas
  4. Section 12, Ant., XVI, 5, 3, § 149. La fin de la section (Je n’en finirais pas ...) n'a pas de parallèle.
  5. Il ne s'agit sûrement pas (comme le croit Kohout) du premier voyage d'Hérode à Rome, mais du second (12 av. J.-C.) ou du troisième, dont la date est incertaine. Cf. Schürer, I 3, p. 373.
  6. Le texte est incertain. Dans le texte parallèle des Ant., XVI, § 119, il est question d'une agonothésie perpétuelle qui lut fut conférée par les Eléens.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Il faut lire ainsi avec le Laurentianus et Niese : il y avait bien une ville de ce nom supra, XXI, 9, mais en Palestine, et ici il est question uniquement de villes étrangères. Phasélis est en Lycie.
  2. Sur la côte syrienne, entre Laodicée et Aradus.
  3. Section 13. Pas de parallèle dans les Antiquités. Pour la « chance » d'Hérode, cf. cependant Ant, XVII, § 191.
  4. Section 1, jusqu’à ...le retour d’Hérode à Rome, pas de parallèle exact dans Antiquités. Après : Ant., XV, 2, 1-4 ; 6, 1-4.
  5. 31/30 av. J.-C.
  6. Section 2, pas de parallèle jusqu’à ...l’avènement d’Hérode

au trône, après Ant., XV, 7, 1-2 (mort de Jonathan Aristobule) et XV, 3, 3.

  1. Salampsio et Cypros.
  2. Alexandre et Aristobule.
  3. Il est appelé Aristobule dans les Antiquités ; il portait sans doute deux noms, comme plusieurs princes juifs de cette époque.
  4. Anachronisme, car l’évènement est d'octobre 35, et Hérode n'a eu de garde gauloise qu'après la mort de Cléopâtre, en 30 (Ant., XV, § 217).
  5. Section 3 Ant., XV, 2, 6 ; mais il n'y est pas dit qu'Hérode ait connu l'envoi du portrait. L'affaire paraît être de 35 av. J.-C.
  6. L'exécution de Lysanias tombe bien en 36 (cf. Ant., XV, § 92), mais Malichos vivait encore en 31 av. J.-C. et il n'y a pas apparence que Cléopâtre l'ait jamais fait mourir.
  7. Sections 4.5 Ant., XV, 3, 5.9 ; 7, 3-5. Mais dans le récit des

Ant. on distingue : 1° l'indiscrétion de Joseph se place en 34, lors d'un voyage d'Hérode auprès d'Antoine, et n'est suivie que de l'exécution du coupable ; 2° une seconde indiscrétion, commise par Soaimos en 29 (après le voyage d'Hérode auprès d'Auguste), est suivie du supplice de la reine. Sur cette contradiction cf. ma note sur Ant., XV, § 239.

 

 

 

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  1. Section 1 Ant., XVI, 1, 2 : 3, 1-3 (jusqu'au § 80). Le retour des princes en Judée est de 22 av. J.-C., le rappel d'Antipater de l'an 14. On notera que dans tout le récit de Bellum, Alexandre est mis en vedette plus que son frère.
  2. Alexandre
  3. Section 2 Ant., XVI, 3, 3 (§ 81-86) ; 4, 1 (§ 87-89).
  4. 13 av. J.-C.
  5. Section 3 Ant., XVI, 4, 1 (depuis § 90-5). Il résulte de ce récit détaillé que le frère utérin d'Alexandre (Aristobule) et Antipater assistaient ou procès, qui eut lieu non à Rome, mais à Aquilée (11 av. J.-C. ?)
  6. Texte bizarre, sûrement altéré.
  7. Section 4 Ant., XVI, 4, 5, § 127 ; 6, § 131. Le récit de Guerre est ici plus détaillé (lettres d'Archélaüs à Rome, chiffre des présents, etc.).
  8. Section 5 Ant., XVI, 4, 5, § 132-135 (version beaucoup plus abrégée).
  9. Terme technique de la hiérarchie de cour hellénistique.
  10. Sections 1-2 Ant., XVI, 7, 2.
  11. Cette expression a été contestée par Herwerden, mais, comme l'a fait observer Kohout, elle se trouve aussi dans la 2e Épître aux Thessaloniciens, II, 7
  12. Texte douteux.
  13. Nous lisons avec Naber : « comme si elle eût été sa femme ». Il est bien question plus loin (XXV, 1) des relations coupables de Salomé avec un de ses neveux, mais c'était Alexandre, non Antipater.
  14. Ces indications manquent dans le passage parallèle des

Antiquités. Glaphyra se vantait de descendre de Téménos (fils d'Héraclès), parce que son père Archélaüs rattachait sans doute sa généalogie aux rois Téménides de Macédoine (des emblèmes

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

héracléens figurent sur ses monnaies) ; mais nous ne savons pas comment « par sa mère » elle prétendait descendre de Darius. Nous ignorons en effet qui était la femme d’Archélaüs : peut-être une petite-fille de Mithridate Eupator, dont on connaît les prétentions à une origine achéménide. Archélaüs lui-même descendait, ou prétendait descendre, il est vrai, d'un bâtard de Mithridate, mais ce n'est pas là une descendance pour Glaphyra. Quant à la mère d'Archélaüs, c'était une courtisane, maîtresse d'Antoine.

  1. Section 3 Ant., XVI, 7, 3, § 197-204.
  2. Des guenilles.
  3. Section 4 Ant., § 205.
  4. Section 5 Ant., XVI., 3, § 194-196.
  5. On ne sait pas son nom.
  6. Salampsio, fille de Mariamme Ire. Il lui offrit ensuite sans plus de succès sa seconde fille Cypros.
  7. Il s'agit (Ant. XVI, § 196) d'un fils de Phasaël, appelé comme son père (XVII, § 22). Nous n'apprenons rien ailleurs sur la destinée de ce jeune prince ; aussi a-t-on supposé qu'il y a ici une méprise ou une corruption de texte et que Josèphe a voulu dire : fils de Phasaël qui avait été tué précédemment par les Parthes (supra, XII, 10).
  8. Section 6, jusqu’à ...pour crime d’adultère, pas de parallèle

dans Ant., qui raconte, en revanche, une autre mésaventure de Phéroras (XVI, 7, 4-5). Pour le reste Ant., XVI, '7, 6.

  1. L'accusation portée contre Phéroras visait des faits anciens (puisque Costobaros a été mis à mort vers 24 av. J.-C., Ant., XV, § 266). Mais elle a été renouvelée à l'époque dont il s'agit ici, 10 av. J.-C. C'est la seule manière de concilier les deux récits.
  2. Section 7 Ant., XVI, 8, 1.
  3. Débile, comme le propose Naber.
  4. Section 8 Ant., XVI, 8, 2 et 4.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Sections 1-6 Ant., XVI, 8, 5-6 (récit moins circonstancié).
  2. Probablement en 9 av. J.-C.
  3. On peut traduire aussi « troublé ».
  4. Personnage inconnu de l’histoire.
  5. D'après Ant., XVI. § 270, c'est Hérode qui s'engage à faire le voyage de Rome pour informer Auguste.
  6. Sections 1,2 et 4 An~, XVI, 10, 1, § 300-308.
  7. C. Julius Euryclès, créé citoyen romain par Auguste et

investi de la domination de Sparte, en reconnaissance de ses services dans la guerre contre Antoine. Pausanias décrit les somptueux monuments dont il avait embelli sa patrie.

  1. Texte corrompu.
  2. « en buvant » selon certaines traductions.
  3. Ou plutôt son bisaïeul (Hyrcan).
  4. Section 3 Ant. XVI, 10, 3-4.
  5. Ant., XVI, 314, en fait des gardes du corps.
  6. Ant., XVI, 314, en fait des gardes du corps.
  7. Section 4 Ant., XVI, 10, 1, § 309.
  8. Section 5 Ant., XVI, 10, 2 (très brève allusion, probablement mutilée).
  9. Section 1 Ant., XVI, 10, 5-7; 11, 1.
  10. Dans Ant., XVI. 332 et 354, ce personnage n'est pas défini

par sa fonction, mais ailleurs nous trouvons un Volumnius procurateur (Guerre, 1, XXVII, 2), général romain (Ant., XVI, 277) ou administrateur de la Syrie (280) que je ne crois pas différent du messager d'Hérode a Rome. Tel paraît être l'avis de Naber, tandis que Niese, Kohout, etc.. distinguent deux Volumnius. S'il n'y a

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

qu'un Volumnius, le titre doit s'interpréter, comme ailleurs (Guerre, II, XIX, 4, etc.), par tribun militaire, et non par chef d'armée comme le font les traducteurs.

  1. Sections 2 et 3 Ant., XVI1 11, 2-3.
  2. C. Sentuis Saturninus, gouverneur de Syrie, homme de guerre distingué, il avait été consul en 19 av. J.-C.
  3. Inconnu d'ailleurs. Peut-être le frère de Saturninus, mentionné sans Ant., XVII, § 7, comme faisant partie du tribunal.
  4. On doit conclure de ce passage qu'à cette époque le royaume

de Cappadoce était placé sous la surveillance du gouverneur de Syrie.

  1. Nous ne savons pas au juste de quelle espèce de légat il s'agit : dans les provinces de l'empereur, comme la Syrie, le gouverneur étant lui-même légat (legatatus Augusti) n'a pas, comme le proconsul dans ses provinces sénatoriales, trois légats proprement dits sous ses ordres (Dion Cass. 53. 11, .7), mais il a à côté de lui des legati Augusti iuridici (depuis Auguste selon Momm-en. Eph. epig., 5 656) et des legati Augusti legionis (en Syrie 3 ou 4 selon le nombre des légions). Certaines provinces ont plusieurs legati iuridici (p. ex. la Tarraconaise), d'autres un seul ; les inscriptions ne nous apprennent rien de ceux de Syrie.
  2. Section 4 Ant., XVI, 11, 4-5.
  3. Section 5-6 Ant., XVI. 11, 6-7
  4. Hiver 7 à 6 av. J.-C.
  5. Sections 1 et 6 Ant,, XVII, 1, 1. Sections 2-5 Ant., XVII, 1, 2­3.
  6. Il s'appelait Theudion (Ant., XVII, 70).
  7. En fait, les membres plus élevés de la hiérarchie aulique dans les cours hellénistiques.
  8. On ne sait pas le nom de la fille de Phéroras, pas plus que du fils d'Antipater. Le fils aîné d'Alexandre serait, d'après § 552, Tigrane, d'après Ant., XVIII, 139, Alexandre. La fille d'Aristobule, fiancée au fils d'Antipater, s'appelait Mariamme ; celle que devait

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

épouser Hérode le jeune est la célèbre Hérodias. La mère de ce jeune Hérode, Mariamme II, était fille du grand-prêtre Simon fils de Boéthos (Ant., XV, 320). Aux mariages ici énumérés, Ant., XVII, § 14, ajoute les fiançailles d'une fille d'Antipater avec le fils aîné d'Aristobule (Hérode).

  1. Dix en comptant Mariamme 1re. On ne voit pas bien si toutes ces neuf épouses doivent être considérées comme simultanées.
  2. Fils de Joseph, tué au combat de Jéricho.
  3. On ignore leurs noms.
  4. Salampsio et Cypros.
  5. D'après Ant., XVII, § 10. Julie (Livie) aurait, au contraire, détourné Salomé de cette passion.
  6. On ignore son nom et celui de son mari.
  7. Bérénice, veuve d'Aristobule. Son second mari s'appelait Theudion.
  8. Cypros.
  9. Salampsio.
  10. Section I Ant., XVII, 2, 4; Section 2 Ant., XVII, 3, § 46-53; Section 3 Ant., § 54 57 ; Section 4 Ant., § 58-60.
  11. Salomé et Roxane. Ant., XVII, 34 (et 46), ne mentionne pas ces injures qu'on retrouve ici, mais des avanies faîtes par la femme de Phéroras à des filles du premier lit de son mari.
  12. Elle avait payé l'amende à laquelle ils avaient été condamnés

pour refus de serment à l'avènement du roi. En retour, ils

prophétisaient la couronne à la descendance de cette femme, dont on connaît l'origine servile.

[283] Fin 6 av. J.-C.

  1. Nicolas de Damas avait en 7 av. J.-C, convaincu Sylléos de rapports mensongers sur l'affaire de Trachonitide.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Autre traduction : « le personnage le plus puissant de Pétra ».
  2. C'était un esclave (ou un affranchi ?) de l'empereur, Ant., XVII, 54, non un procurateur. Le récit de Guerre omet de dire que Sylléos finit par l’assassiner (Ant., ib.).
  3. Hiver 6/5 av. J.-C.
  4. Ch. XXX Ant., XVII, 4, 1-2.
  5. D'après Ant., XVII, § 63, la femme de Phéroras aurait été liée avec la maîtresse de Sylléos.
  6. Image toute païenne, empruntée sans réflexion à Nicolas. Elle reparaît plus loin.
  7. Sections 1-2 Ant., XVII, 4, 3 ; Sections 3-5 Ant., XVII, 5, 1­2.
  8. Il semble qu'il y ait là quelque confusion, car Celenderis est un des premiers ports de la Cilicie Trachée et il semble qu’Antipater ait dû aborder là.
  9. P. Quintilius Varus, légat de Syrie, de 6 à 4 av. J.-C.
  10. Non pas la fille d'Aristobule, mais celle du roi Antigone (Ant., XVII, 92).
  11. Sections 1-2 Ant., XVI I, 5, 3. Section 3 Ant., 5, 4. Section 4 ibid., 5, 5 et 6 (jusqu'au § 126). Section 5 ibid., § 127-133. Section 6 ibid., § 134-141. Section 7 ibid., 5, 8 et 6, 1 (jusqu'au § 147).
  12. D'après Ant., XVI, 250, Antipater avait même reçu en apanage un territoire rapportant 200 talents.
  13. D'après Ant., XVII, 106, les assistants auraient pourtant soupçonné qu'Hérode était ébranlé.
  14. Il s'agit de la lettre supposée d'Alexandre au commandant de la place d'Alexandrion, supra., I, XXVI, 3.

 

 

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre I (traduction)

 

  1. Section 1 Ant., XVII, 6, 1, § 148. - Sections 2-4 Ant., XVII, 6, 2-4. - Sections 5-6 ibid. 6, 5-6. - Section 7 Ant., XVII, 7 et 8, 1 (§ 188-190). - Section 8 Ant., XVII. 8, 1 (§ 191 et suiv.) à 3.
  2. On ne sait quelle est la porte ainsi désignée.
  3. Dans le texte correspondant des Ant., XVII, 153, il n'est point question de cette immortalité.
  4. Elle eut lieu, d'après Ant., XVII, 161, à Jéricho, au théâtre,

et c'était, non une assemblée du peuple comme il est dit ici, mais une réunion de magistrats.

  1. Hammam ez-Zerka, à 2 lieues au N. de la mer Morte.
  2. Ils étaient tous deux fils de la Samaritaine Malthacé.
  3. Hérode mourut en mars 4 av. J.-C. peu avant la Pâque, la 34e année depuis l'exécution d'Antigone (37 av.), la 37e depuis sa nomination à Rome (fin 40 av.). Josèphe compte donc comme pleines les années romaines commencées. Cf. Schürer, 13, p. 416.
  4. Cette histoire, également racontée dans les Antiquités, se

retrouve dans la Megillat Taanith, § 25, avec cette variante que le roi s'appelle Jannée et que Salminôn est sa femme (Cf. Derenbourg, Essai, p. 164). On peut se demander si Josèphe suit ici sa source habituelle (Nicolas) ou une aggada.

  1. Philippe était fils de Cléopâtre. - Le mot grec peut désigner soit les districts, soit les places fortes limitrophes de la Trachonitide.
  2. Entendez : tétrarque de la Pérée, comme l'avait été Phéroras (Ant., XVI, 1, 188).
  3. On voit par Ant., XVII, 199 qu'elle marchait derrière la garde.
  4. Hérodion était à 60 stades de Jérusalem (supra, I, XXI, 10), mais ici le cortège part de Jéricho, qui était à 150 stades de la capitale (Guerre, IV, VIII, 3)

 

FLAVIUS JOSEPHE : Avant propos.

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JOSEPHE

LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE VI - LIVRE VII  texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER FLAVIUS JOSÈPHE

AVANT PROPOS

Si l'on mesure la valeur d'un historien au nombre et à l'importance des informations dont on lui est redevable, il est peu d'historiens qui puissent être comparés à Flavius Josèphe. Son ouvrage le plus considérable - les Antiquités judaïques - n'est, dans la première moitié, qu'un abrégé de la Bible à l'usage des lecteurs païens, abrégé rendu fade à notre goût par l'abus d'une

rhétorique banale, le manque de naïveté, sinon de foi, l'absence de sentiment poétique ; mais on y remarque avec intérêt les tendances rationalistes d'une exégèse qui s'oppose curieusement à l'exégèse allégorique, presque contemporaine, de Philon ; de plus, l'insertion discrète de traits légendaires, étrangers à l'Écriture et empruntés à la tradition orale, nous montre comme le début d'un genre littéraire qui devait prendre un si riche

développement dans la partie haggadique du Talmud et dans le Midrasch. Les dix derniers livres de cet ouvrage constituent, surtout à partir de l'époque des rois

hasmonéen, un document historique de premier ordre. A défaut de sources juives, qui manquaient pour cette période, Josèphe a soigneusement dépouillé tous les historiens grecs et romains qui pouvaient lui fournir, même en passant, des données sur les faits et gestes du peuple juif ; comme ces historiens sont perdus, son ouvrage comble ainsi une lacune qui serait autrement irréparable. Dans l'histoire d'Hérode, où Josèphe suit de très près les mémoires de Nicolas de Damas, secrétaire de ce roi, dans celle des soixante-dix années suivantes, sur lesquelles il a pu recueillir des renseignements de la bouche des contemporains, les Antiquités acquièrent presque la valeur d'un document original. Elles

 

FLAVIUS JOSEPHE : Avant propos.

intéressent au plus degré non seulement l'histoire juive, mais l'histoire romaine et celle du christianisme naissant, quoique Josèphe y fasse à peine une allusion fugitive ; sans lui, comme on l'a dit, le milieu historique où le christianisme a pris naissance - ce qu'on appelle en Allemagne la Zeitgeschichte de Jésus - serait impossible à reconstituer.

Son second grand ouvrage, le premier par ordre de date, est la Guerre judaïque, l'histoire de la formidable insurrection de 66 à 70 après J.-C. où succomba définitivement l'indépendance de sa patrie. Il y raconte presque jour par jour les événements auxquels il fut mêlé lui-même, tantôt comme acteur, tantôt comme spectateur. Si l'on peut quelquefois suspecter son impartialité, s'il exagère volontiers les chiffres, si, par une prudence naturelle mais excessive, il a systématiquement rabaissé les "patriotes" qui l'avaient compromis et exalté ses bienfaiteurs, Vespasien et Titus, on ne peut mettre en doute ni la compétence du narrateur, ni la véracité générale de la narration. Or, ce récit, qui se recommande aux spécialistes par l'abondance et la précision des détails relatifs aux opérations militaires (01), est en même temps le tableau,

émouvant par sa froideur même, d'une des plus tragiques catastrophes nationales que l'histoire ait enregistrées. Ce journal de l'agonie d'un peuple, c'est quelque chose comme le second livre de l'Énéide, sorti, non de l'imagination d'un poète, mais des souvenirs d'un témoin bien informé. Plus d'un qui a relu ces pages pendant l'Année terrible, au milieu des angoisses du siège de Paris et de la Commune de 1871, y a retrouvé comme une image anticipée des hommes et des choses d'alors, avec cette atmosphère "fièvre obsidionale" qui engendra tant d'héroïques dévouements et d'aberrations criminelles.

L'Autobiographie forme comme un complément de la Guerre judaïque. Ce sont les mémoires piquants d'un général d'insurrection malgré lui, auquel peut s'appliquer le mot éternellement vrai de la comédie : "Je suis leur chef, il faut que je les suive." Seulement Josèphe ne les a pas suivis jusqu'an bout.

Le quatrième et dernier ouvrage de Josèphe, la Défense du judaïsme connue sous le titre impropre de Contre

 

FLAVIUS JOSEPHE : Avant propos.

Apion, n'est pas le moins précieux. L'auteur, arrivé à la pleine maturité de son talent, s'y révèle polémiste ingénieux, apologiste souvent éloquent, Il nous initie aux procédés de discussion des judéophobes d'il y a dix-huit siècles, si semblables à ceux des antisémites d'aujourd'hui. Enfin, dans son zèle de prouver l'antiquité du peuple juif par le témoignage des auteurs païens eux-mêmes, il reproduit de longs extraits, infiniment curieux des historiens grecs qui avaient encore en à leur disposition les annales sacerdotales de l'Égypte, de la Chaldée et de Tyr. Josèphe a ainsi préservé de la destruction quelques pages de l'histoire de ces vieilles monarchies, engloutie dans le naufrage de la littérature alexandrine ; c'est un service qui lui mérite la reconnaissance durable des orientalistes, comme par ses autres ouvrages il s'est acquis celle des historiens de la Judée, de Rome et du christianisme.

L'auteur de ces quatre livres ne fut, malgré ses prétentions, ni un grand écrivain ni un grand caractère ; mais il reste un des spécimens les plus curieux de la civilisation judéo-grecque, dont le type accompli est Philon ; il offre aussi un merveilleux exemple de la souplesse du génie israélite et de ses puissantes facultés d'assimilation. Son œuvre, qui ne paraît pas avoir atteint auprès des païens son but apologétique, méritait de survivre. Négligée par les Juifs, qui ne s'intéressaient pas à l'histoire et voyaient dans l'auteur un demi-renégat, c'est à l'Église chrétienne qu'elle doit d'être parvenue jusqu'à nous. Les Pères de l'Église citent fréquemment Josèphe et l'interpolent quelquefois ; les clercs du moyen âge le lisaient, sinon dans le texte original, du moins dans la traduction latine exécutée par ordre de Cassiodore et dans un abrégé grec des Antiquités qui paraît dater du Xème siècle. L'annaliste du peuple élu, le "Tite-Live grec", comme l'appelait saint Jérôme. Mais si bien l'historien par excellence que sa renommée finit par retentir jusque chez ses anciens coreligionnaires : au Xème siècle une chronique légendaire de l'histoire israélite jusqu'à Titus se recommande de son nom : C'est le Josippon, rédigé en hébreu par un Juif d'Italie. Avec la Renaissance on

revint au texte intégral et de nombreuses traductions le popularisèrent dans toutes les langues modernes.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Avant propos.

Il fut un temps où toute famille un peu lettrée possédait sur les rayons de son armoire à livres, à côté d'une Bible, un gros Josèphe in-folio, agrémenté de nombreuses vignettes où se déroulait toute l'histoire du peuple saint depuis l'expulsion d'Adam et d'Ève jusqu'à l'incendie du Temple par les soldats de Titus. De nos jours, sauf les savants, on lit beaucoup moins Josèphe ; la substance de ses écrits a passé dans des ouvrages modernes facilement accessibles, la source est négligée et c'est un tort. Il serait trop long de rechercher toutes les causes de ce discrédit, mais l'une des plus importantes en notre pays c'est assurément l'absence d'une traduction française satisfaisante. Sans parler des informes tentatives du XVe et du XVIe siècles (02), il

existe dans notre langue deux versions complètes de Josèphe. L'une, celle d'Arnauld d'Andigny (1667-9), a dû au nom de son auteur et à un certain charme janséniste de style la faveur de nombreuses réimpressions (03) ; ce

n'est pourtant qu'une « belle infidèle », beaucoup plus infidèle que belle. L'autre, celle du Père Louis-Joachim Gillet (1756-7), est un peu plus exacte, mais beaucoup moins lisible. Il nous a semblé que le moment était venu d'offrir au public français une traduction nouvelle, qui fût vraiment l'équivalent du texte original. L'entreprise vient il son heure, au moment où ce texte, fort défiguré par les copistes, a été sensiblement amélioré par le grand travail critique de Niese (Berlin, 1887 suiv.). C'est son édition qui, naturellement, a servi de base à notre traduction ; ce sont ses paragraphes, à numérotage continu, si commode pour les citations, qui figurent dans nos manchettes. Toutefois nous ne nous sommes pas astreint à une reproduction servile du texte de Niese ; lui-même, par l'abondant apparat critique placé au bas de ses pages, nous a souvent fourni les éléments d'une leçon préférable à celle qu'il a insérée dans le texte ; d'autres fois nous avons suivi l'édition plus récente de Naber (Leipzig, 1888 suiv.), qui offre un choix judicieux de variantes ; dans des cas très rares nous avons eu recours à des conjectures personnelles.

Une traduction complète de Josèphe est une œuvre difficile et de longue haleine. L'auteur, qui apprit le grec tard et assez imparfaitement, écrit d'un style pénible ; sa phrase, longue et lourde, chargée d'incises, de redites,

 

FLAVIUS JOSEPHE : Avant propos.

d'ornements vulgaires, souvent peu claire et mal construite, n'est pas toujours aisée à com prendre et est toujours malaisée à rendre. Que de fois un traducteur consciencieux doit sacrifier l'élégance à la fidélité ! Nous nous sommes efforcé du moins de n'y jamais sacrifier la clarté. La tâche, décourageante pour un seul, a été partagée entre plusieurs jeunes savants qui nous ont apporté le concours de leur talent et de leurs connaissances spéciales. Chacun d'eux est responsable du volume qu'il a signé et des notes qu'il y a jointes ; toutefois celui qui écrit ces lignes s'est réservé la direction et la revision générale du travail, et a marqué de ses initiales quelques notes dont il accepte la responsabilité exclusive. Les notes, - celles des traducteurs aussi bien que du reviseur, ont été rédigées avec sobriété ; elles ont pour but de lever ou de signaler certaines difficultés d'interprétation, de l'approcher des passages parallèles, mais surtout d'indiquer, chemin faisant, dans la mesure du possible, les sources premières de l'information de Josèphe. C'est la première fois que l'historien juif reçoit ces éclaircissements indispensables ; car les commentaires de l'édition d'Havercamp sont en général plus prolixes qu'instructifs ; on peut leur appliquer ce mot du philologue Boeckh, qui convient à tant de commentaires de ce genre : sie ühergehen nicht viel, nur das schwierige, « ils n'omettent pas grand'chose, seulement ce qui est difficile. »

Notre traduction est calculée pour une étendue de sept volumes, correspondant à peu près à celle de l'édition de Niese. Les Antiquités en réclameront quatre, la Guerre judaïque (à laquelle nous rattachons, pour des raisons de fond l'Autobioglaphie), deux ; le septième sera consacré au Contre Apion, aux débris des historiens judéo-grecs antérieurs à Josèphe, à un index général et peut-être il une étude d'ensemble sur l'œuvre et la vie de Josèphe. La tâche, attaquée de plusieurs côtés à la fois, est déjà très avancée. Si quelques tâtonnements inévitables ont retardé l'apparition du premier volume, les autres se succéderont à des intervalles'rapprochés, sans que nous croyions devoir nous astreindre à un ordre rigoureux. Puisse la faveur du public répondre à notre effort et le récompenser ! Puisse Josèphe redevenir, sinon un livre de chevet, du moins un ouvrage de fond,

 

FLAVIUS JOSEPHE : Avant propos.

ayant sa place marquée dans toutes les bibliothèques sérieuses !

Saint-Germain, 10 septembre 1900. THÉODORE REINACH.

  1. Un extrait de la Guerre, sous le titre de Siège de Jérusalem, figure dans la Bibliothèque de l'armée française (Paris. Hachette, 1872).
  2. Traduclion complète, par Antoine de La Faye (Paris, 1507).

Traductions des Antiquités par Guillaume Michel (1539), François Bourgoing (Lyon, 1562), Jean Le Frère de Laval (1569), Gilbert Genebrard (1578, souvent réimprimée) ; de la guerre par des anonymes (Paris, Vérard, 1492, el Leber, 1530), par Herberay des Essars (1553).

  1. Au nombre desquelles il faut compter la réimpression de Buchon (Panthéon littéraire, 1836) et la belle édition illustrée, avec notes variorum, par Quatremère et l'abbé Glaire (Paris, Maurice, 1846, in-folio; l'exemplaire de la Bibliothèque Nationale ne comprend que les trois premiers livres des Antiquités ; a-t-il paru davantage ?

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

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JOSEPHE

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE VI - LIVRE VII

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER FLAVIUS JOSÈPHE

Guerre des juifs.

LIVRE II

Depuis la mort d'Hérode jusqu'au début de l'insurrection (4 av. J.-C. - 66 ap. J.-C.)

Avertissement : Ce livre va depuis la mort d'Hérode (4 av. J. -C.) jusqu'à l'explosion de la grande insurrection contre Rome (66 ap. J.-C.). Les six premiers chapitres (jusqu'à VI), qui nous conduisent jusqu'à l'investiture définitive d'Archélaüs, ont sûrement pour source l'Histoire de Nicolas de Damas. Le long fragment 5 chez C. Müller, FHG. III, p. 351 354 raconte, en effet, les événements depuis l'affaire de Sylléus et le supplice des fils de Mariamme jusqu'à l'investiture d'Archélaüs d'une manière conforme au récit de Josèphe (ici et dans Ant.) et en termes souvent identiques. Müller range, il est vrai, ce fragment parmi les extraits de

l'Autobiographie de Nicolas, mais le Cod. Escorialensis, qui l'a conservé, le donne comme extrait : si Nicolas y est constamment en scène, cela prouve seulement la vanité du personnage. Nicolas doit être mort à Rome pendant le principat d'Archélaüs. A partir du ch. VII (Ant., XVII, 12) Josèphe, privé de ce guide excellent, n'a eu jusqu'à l'époque où commencent ses souvenirs personnels (ch. XIII, Ant., XX, 11) que des sources très défectueuses, par exemple des Histoires générales des empereurs romains, moins détaillées que celles qu'il a plus tard utilisées dans son récit des Antiquités.

I

1[1]. La nécessité où se trouva Archélaüs d'entreprendre

le voyage de Home fut le signal de nouveaux désordres. Après avoir donné sept jours au deuil de son père et offert au peuple un somptueux banquet funèbre -

coutume juive qui réduit à la pauvreté bien des gens qui

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

se croient obligés de traiter ainsi tout le peuple faute de quoi ils passeraient pour impies[2] - il reprit un vêtement

blanc et se rendit au Temple où le peuple le reçut avec des acclamations variées. Archélaüs harangua les Juifs du haut d'une tribune élevée et d'un trône d'or. Il témoigna sa satisfaction du zèle qu'ils avaient montré pour les funérailles de son père et des marques d'affection qu'ils lui donnaient comme à un roi déjà confirmé dans son pouvoir. Cependant pour le moment, il s'abstiendrait non seulement d'exercer l'autorité d'un roi, mais encore d'en prendre le titre, jusqu'à ce que César, que le testament d'Hérode avait fait maître de tout, eût ratifié ses droits à la succession ; déjà à Jéricho, quand l'armée avait voulu ceindre son front du diadème, il ne l'avait pas accepté. Cela ne l'empêcherait pas de récompenser généreusement le peuple aussi bien que les soldats de leur empressement et de leur dévouement dès que les maîtres du monde lui auraient définitivement donné la couronne car il s’appliquerait en toutes choses à les traiter mieux que ne l'avait fait son père.

2. La multitude, enchantée de ces paroles, voulut aussitôt éprouver les sentiments du prince en lui présentant force requêtes. Les uns lui criaient d'alléger les tributs, les autres de supprimer les droits fiscaux[3],

quelques-uns de mettre en liberté les prisonniers. Dans son désir de complaire à la foule, il s'empressa d'acquiescer à toutes ces demandes. Ensuite il offrit un sacrifice et fit bonne chère avec ses amis. Vers le soir, un assez grand nombre de citoyens, qui ne rêvaient que désordres, s'assemblèrent, et, alors que le deuil général pour le roi était terminé, instituèrent une cérémonie et des lamentations particulières en l'honneur de ceux qu’Hérode avait châtiés pour avoir abattu l'aigle d'or de la porte du sanctuaire[4]. D'ailleurs rien de moins

dissimulé que ce deuil : c'étaient des gémissements perçants, un chant funèbre réglé, des coups, frappés sur la poitrine, qui retentissaient à travers la ville entière ; on prétendait honorer ainsi des hommes qui, par amour pour les lois des ancêtres et pour le Temple, avaient, disait-on, misérablement péri sur le bûcher. Il fallait, criait-on, venger ces martyrs en châtiant les favoris

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

d'Hérode, et tout d'abord destituer le grand prêtre institué par lui[5], pour le remplacer par un homme plus

pieux et de mœurs plus pures.

3. Archélaüs, piqué au vif, mais pressé de partir, voulut différer sa vengeance : il craignait, s'il entrait en lutte avec la multitude, d'être ensuite retenu par la fermentation générale. Aussi essaya-t-il de la persuasion plutôt que de la force pour apaiser la sédition. Il envoya secrètement son général pour exhorter les mutins au calme. Mais, comme celui-ci se dirigeait vers le Temple, les factieux, avant même qu'il eût ouvert la bouche, le chassèrent à coups de pierres ; ils en firent autant à ceux qu'Archélaüs envoya en grand nombre après lui pour les sermonner. A toutes les objurgations ils répondirent avec colère, et il devint clair qu'on ne pourrait plus les maîtriser si leur nombre venait à grossir. Comme la fête des Azymes, que les Juifs nomment Pâque et qui comporte une grande quantité de sacrifices, était arrivée, une innombrable multitude affluait de la campagne pour célébrer la fête, et les instigateurs du deuil en l'honneur des docteurs se groupaient dans le Temple, où leur faction trouvait toujours de nouveaux aliments. Alors Archélaüs, pris de crainte et voulant empêcher que cette peste ne se répandit dans tout le peuple, envoya un tribun à la tête d'une cohorte, avec ordre de saisir de force les promoteurs de la sédition. Mais toute la foule s'ameuta contre cette troupe et l'assaillit d'une grêle de pierres ; la plupart des soldats périrent, tandis que le commandant, couvert de blessures, se sauvait à grand'peine. Puis, comme si de rien n'était, les mutins retournèrent à leurs sacrifices. Archélaüs comprit alors que la multitude ne pouvait plus être réprimée sans effusion de sang ; il envoya donc contre elle toute son armée, l'infanterie en bataille, à travers la ville, la cavalerie par la plaine. Les soldats, tombant à l'improviste sur la foule occupée à sacrifier, en tuèrent près de trois mille et dispersèrent le reste dans les montagnes du voisinage. Vinrent ensuite des hérauts d'Archélaüs ordonnant à chacun de rentrer à la maison, et tous, interrompant la fête, s'en retournèrent chez eux.

 

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II

  1. Archélaüs part pour Rome. – 2. Le procurateur Sabinus à Jérusalem. – 3-4. Intrigues d’Antipas contre la confirmation d’Archélaüs. – 5-7. Conseil tenu par Auguste. Plaidoyers d’Antipater, fils de Salomé, et de Nicolas de Damas. Perplexité d’Auguste.

1F6]. Quant au prince lui-même, il descendit vers le

littoral avec sa mère et ses amis Poplas, Ptolémée et Nicolas, laissant Philippe pour administrer le palais et veiller à ses intérêts privés. Salomé partit aussi avec ses enfants, accompagnée de neveux et de gendres du roi, en apparence pour soutenir les droits d'Archélaüs à la succession, en réalité pour porter plainte contre lui au sujet des violations de la loi commises dans le Temple.

  1. Ils rencontrèrent à Césarée Sabinus, procurateur de SyrieF7], qui remontait vers la Judée pour prendre

charge des trésors d'Hérode. Varus, qui survint, l'empêcha de continuer sa route : Archélaüs avait mandé ce gouverneur, par l'entremise de Ptolémée, avec d'instantes prières. Sabinus, déférant aux désirs de Varus, renonça pour le moment à son projet de courir aux châteaux forts et de fermer à Archélaüs l'accès des trésors de son père ; il promit de se tenir en repos jusqu'à la décision de César, et, en attendant, demeura à Césarée. Mais dès que ceux qui l'avaient arrêté furent partis, l'un pour AntiocheF8], l'autre pour Rome, il se

rendit en toute hâte à, Jérusalem et prit possession du palais ; puis, mandant à lui les gouverneurs des châteaux et les intendants, il chercha à se procurer les comptes du trésor et à mettre la main sur les châteaux. Cependant, les préposés se souvinrent des instructions d'Archélaüs : ils continuèrent à veiller scrupuleusement sur leur dépôt, dont ils devaient compte, disaient-ils, plus à César qu'à Archélaüs.

  1. Sur ces entrefaites, Antipas, à son tour, surgit pour disputer la royauté à son frère. soutenant que le codicille avait moins d'autorité que le testament où lui-même avait été désigné pour roiF9]. Salomé lui avait promis son

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

aide, et aussi un grand nombre de ses parents[10] qui

faisaient la traversée avec Archélaüs. Il s’était concilié encore sa mère et le frère de Nicolas[11], Ptolémée, dont

l'influence paraissait grande, à cause du crédit dont il avait joui auprès d'Hérode : de tous ses amis, c’est, en effet, Ptolémée que ce roi honorait le plus. Mais Antipas mettait surtout sa confiance dans la brillante éloquence de l'avocat Irénée ; aussi écarta-t-il rudement ceux qui lui conseillaient de s’effacer devant Archélaüs par égard pour son droit d'aînesse et le codicille. A Rome, le zèle de tous les parents qui haïssaient Archélaüs se tournait en faveur d'Antipas : tous désiraient en première ligne l'autonomie sous la tutelle d'un gouverneur romain : mais, à défaut de cette solution, ils préféraient avoir pour roi Antipas.

  1. Ils trouvèrent encore pour auxiliaire dans cette intrigue Sabinus qui, dans des lettres à César, accusa Archélaüs et fit un grand éloge d'Antipas. Après avoir dressé leur réquisitoire, Salomé et ses amis le remirent entre les mains de César ; Archélaüs répondit par un résumé de ses droits et fit adresser par Ptolémée à l'empereur l'anneau de son père et les comptes du royaume. César, après avoir examiné en son particulier les allégations des deux partis, supputé la grandeur du royaume, le chiffre des revenus, et aussi le nombre des enfants d'Hérode, après avoir pris connaissance des lettres que Varus et Sabinus lui envoyèrent sur ce sujet, réunit un Conseil des Romains les plus considérables, où il fit pour la première fois entrer Caïus, fils d'Agrippa et de sa fille Julie, qu'il avait adopté ; puis il ouvrit les débats.
  2. Alors se leva Antipater, fils de Salomé, qui était de tous les ennemis d'Archélaüs le plus habile orateur. Il se porta accusateur d' Archélaüs. Tout d'abord, dit-il, Archélaüs, qui à l'heure actuelle fait mine de demander la couronne, agit en fait comme roi depuis longtemps. Il amuse maintenant les oreilles de César, mais il n'a pas attendu sa sentence au sujet de la succession, puisque, après la mort d’Hérode, il a soudoyé secrètement des gens pour lui ceindre le diadème, qu'il a pris place sur le trône et donné audience à la manière d'un roi, distribué

 

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des postes dans l'armée, accordé des dignités, promis au peuple toutes les grâces que celui-ci lui réclamait comme à un roi, rendu à la liberté des hommes que son père avait emprisonnés pour les plus graves délits. Et c'est après tout cela qu'il vient demander à l'empereur l'ombre de cette royauté, dont il a usurpé la substance, faisant ainsi de César un dispensateur non de réalités, mais de vains titres ! - Antipater fit encore à son frère le reproche outrageant d'avoir joué la comédie avec le deuil de son père, le jour donnant à son visage l'expression de la douleur, la nuit banquetant jusqu'à l'orgie. Si le peuple s'était soulevé, c'est qu'il était indigné de cette conduite. Arrivant enfin au point principal de son discours, il insista sur le grand nombre de Juifs massacrés autour du Temple, malheureux qui s'étaient rendus à la fête et qui furent barbarement immolés au moment où eux-mêmes allaient offrir leurs sacrifices. Il y avait eu dans le Temple, disait-il, un amoncellement de cadavres tel que n'en aurait pas produit une guerre étrangère survenue inopinément. C'est parce qu'il devinait ce naturel féroce d'Archélaüs que son père ne l'avait jamais jugé digne même d'espérer le trône, jusqu'au jour où, malade d'esprit encore plus que de corps, incapable d'un raisonnement sain, il n'avait même plus su quel nom il inscrivait sur son codicille, alors qu'il n'avait aucun sujet de blâme contre l'héritier qui figurait dans le testament, rédigé au temps où il avait un corps plein de santé, une âme libre de toute passion. Si cependant on voulait à toute force respecter le choix d'un malade, Archélaüs s'était lui-même reconnu indigne de la royauté par les crimes dont il l'avait souillée. Quel roi serait-il, une fois investi par César, lui qui, avant de l'être, avait versé tant de sang !

6. Après avoir exprimé beaucoup de griefs de ce genre et invoqué comme témoins, à chacune de ces accusations, la plupart des princes du sang, Antipater cessa de parler. Alors Nicolas se leva pour la défense d'Archélaüs. Il montra que le massacre dans le Temple avait été commandé par la nécessité : les victimes étaient non seulement des ennemis de la royauté, mais encore de César, qui en était l'arbitre. Quant aux autres faits reprochés à Archélaüs, ses accusateurs mêmes les lui

 

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avaient conseillés. La validité du codicille était rendue éclatante par le fait qu'il constituait César garant de la succession le souverain assez sage pour remettre son pouvoir au maître du monde n'avait pas dû se tromper dans la désignation de son héritier. Le choix de l'investiteur garantissait la sagesse du choix de l'investi.

7. Quand Nicolas eut achevé ses explications, Archélaüs s’avança et tomba en silence aux genoux de César. L'empereur le releva avec beaucoup de bienveillance, lui témoignant ainsi qu'il le jugeait digne de la succession paternelle, mais ne lui donna aucune assurance ferme. Après avoir congédié le Conseil, il passa ce jour-là à réfléchir sur ce qu'il avait entendu, se demandant s'il valait mieux désigner pour héritier un de ceux que nommaient les testaments, ou diviser le royaume entre tous les enfants : car le grand nombre des membres de cette famille paraissait exiger un soulagement.

III

1. Mort de Malthacé. Sédition à Jérusalem, provoquée par les violences de Sabinus. - 2-3. Combat autour du Temple. Incendie des portiques, pillage du Trésor ; - 4. Sabinus cerné dans le palais royal.

1. Avant que César eût pris une décision à cet égard, la mère d'Archélaüs, Malthacé, mourut de maladie, et Varus envoya de Syrie des lettres relatives à la défection des Juifs. Varus avait cet évènement. Après le départ d'Archélaüs, il était monté à Jérusalem pour contenir les mutins, et comme il était évident que le peuple ne se tiendrait pas en repos, il avait laissé dans la ville une des trois légions de Syrie qu'il avait amenées avec lui ; lui-même s’en retourna à Antioche. L’arrivée de Sabinus fournit aux Juifs l'occasion d’un soulèvement. Celui-ci essayait de contraindre par la violence les gardes à lui livrer les citadelles, et recherchait avec âpreté les trésors royaux, employant à cette tâche non seulement les soldats laissés par Varus, mais encore la multitude de ses propres esclaves, qu'il pourvut tous d'armes pour en faire les instruments de son avidité. Quand arriva la

 

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Pentecôte[12] - les Juifs appellent ainsi une fête qui

survient sept semaines après Pâque et qui tire son nom de ce nombre de jours - le peuple s'assembla non pour célébrer la solennité habituelle, mais pour donner vent à sa colère. Une innombrable multitude afflua de la Galilée, de l'Idumée, de Jéricho, de la Pérée située au delà du Jourdain, mais c'étaient surtout les indigènes de Judée qui se distinguaient par le nombre et l'ardeur. Après s'être divisés en trois corps, les Juifs établirent autant de camps, l'un du côté nord du Temple, l'autre au midi, dans le voisinage de l'hippodrome[13], le

troisième près du palais royal, au couchant. Investissant ainsi les Romains de toutes parts, ils les assiégèrent.

  1. Sabinus, effrayé de leur nombre et de leur audace, dépêcha à Varus messager sur messager, réclamant de prompts secours, assurant que si le légat tardait, sa légion serait taillée en pièces. Lui-même, monté sur la plus haute tour de la citadelle, qui portait le nom de Phasaël, - en l'honneur du frère d'Hérode, tombé sous les coups des Parthes, - faisait signe de là aux soldats de sa légion d'attaquer les ennemis, car l'effroi lui ôtait le courage de descendre même vers les siens. Les soldats, obéissant, s'élancèrent vers le Temple et engagèrent contre les Juifs une lutte acharnée. Tant que personne ne les combattit d'en haut, l'expérience militaire leur donna l'avantage sur des combattants novices ; mais quand un grand nombre de Juifs, grimpant sur les portiques, firent pleuvoir de là des traits sur la tête des assaillants, beaucoup de ceux-ci périrent, et les Romains ne pouvaient ni se défendre contre ceux qui tiraient d'en haut, ni soutenir le corps à corps des autres.
  2. Ainsi accablés en haut et en bas, les légionnaires mirent le feu aux portiques, ouvrages merveilleux par leur grandeur et leur magnificence. Des Juifs qui les défendaient, les uns, en grand nombre, entourés soudain par l'incendie, périrent ; d'autres, sautant parmi les ennemis, tombèrent sous leurs coups ; quelques-uns se précipitèrent à la renverse dans l'abîme, de l'autre côté des murs : plusieurs enfin, réduits au désespoir, se jetèrent sur leur propre épée pour éviter de devenir la proie des flammes. Quant à ceux qui, s'étant glissés en

 

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bas du mur, vinrent se heurter contre les Romains, la stupeur où ils étaient plongés les livrait sans défense. Quand les uns furent morts, les autres dispersés par la panique, les légionnaires, s'élançant contre le trésor sacré, dénué de défenseurs, en enlevèrent près de 400 talents, dont Sabinus recueillit ce qui ne fut pas dérobé[14].

4. Cependant ces destructions et ce carnage n'eurent pas d'autre effet que de dresser les Juifs plus nombreux et plus ardents contre les Romains. Cernant le palais, ils menacèrent de les tuer jusqu'au dernier s'ils ne se hâtaient de l'évacuer : si Sabinus voulait se retirer avec sa légion, ils lui garantissaient la vie sauve. Les rebelles avaient avec eux la plupart des troupes royales, qui avaient passé de leur côté. Pourtant les soldats d'élite, 3,000 soldats Sébasténiens[15], ayant à leur tête Rufus

et Gratus, commandants l'un de l'infanterie, l'autre de la cavalerie royale, - deux hommes qui, même sans troupes, valaient une armée par leur bravoure et leur science militaire -, s'étaient joints aux Romains. Les Juifs continuèrent donc le siège, faisant effort contre les murailles de la citadelle ; ils criaient à Sabinus et à ses gens de s'en aller, de ne pas opprimer des hommes qui voulaient recouvrer leur indépendance nationale depuis si longtemps perdue[16]. Sabinus n'eût demandé qu'à

partir, mais il se défiait des promesses, et leur douceur lui paraissait une amorce cachant un piège ; il espérait toujours le secours de Varus et il continuait à soutenir le siège.

IV

1. Anarchie en Judée. Révolte en Idumée. Judas en Galilée. – 2. L’usurpateur Simon. – 3. Athrongéos et ses frères.

1[17]. Le reste du pays était aussi plein de troubles, et

l'occasion faisait surgir de nombreux prétendants à la royauté. En Idumée, deux mille anciens soldats d'Hérode prirent les armes et combattirent les troupes royales que commandait Achab, cousin du roi. Celui-ci d'ailleurs se

 

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replia sur les places les plus fortes, évitant soigneusement de s'engager en rase campagne. A Sepphoris de Galilée, Judas, fils de cet Ezéchias qui jadis avait infesté le pays à la tête d'une troupe de brigands et que le roi Hérode avait capturéF18], réunit

une multitude considérable, saccagea les arsenaux royaux, et, après avoir armé ses compagnons, attaqua ceux qui lui disputaient le pouvoir.

  1. Dans la Pérée, Simon, un des esclaves royauxF19], fier

de sa beauté et de sa haute taille, ceignit le diadème. Courant le pays avec des brigands qu'il avait rassemblés, il brûla le palais royal de Jéricho et beaucoup de villas de gens opulents pour s'enrichir du pillage. Pas une maison de quelque apparence n'eût échappé aux flammes si Gratus, commandant de l'infanterie royale, prenant avec lui les archers de la Trachonitide et les plus aguerris des Sébasténiens, n'eût barré le chemin à ce bandit. Nombre de Péréens tombèrent dans le combat : quant à Simon lui-même, comme il s'enfuyait par un ravin, Gratus lui coupa la retraite et frappa le fugitif d'un coup d'épée oblique qui sépara sa tète du tronc. A la même époque, le palais de BetharamphtaF20],

voisin du Jourdain, fut également incendié par d'autres insurgés de la Pérée.

  1. On vit alors un simple berger aspirer au trône. Il s'appelait Athrongéos et avait pour tout motif d'espérance la vigueur de son corps, une âme dédaigneuse de la mort, et quatre frères tout semblables à lui. A chacun d'eux il confia une bande d'hommes armés, et les expédia en courses comme ses lieutenants et satrapes ; lui-même, jouant au roi, se réservait les affaires les plus considérables. C’est alors qu'il ceignit le diadème ; il se maintint assez longtemps, parcourant la montagne avec ses frères. Ils s'appliquaient surtout à tuer des Romains et des gens du roi, mais ils n'épargnèrent pas davantage les Juifs qui tombaient entre leurs mains, dès qu'il y avait quelque chose à gagner. Ils osèrent un jour cerner près d'Emmaüs un fort détachement de Romains, qui portaient à la légion du blé et des armes. Leur centurion Arius et quarante des plus braves tombèrent sous les traits des brigands ;

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

le reste, qui risquait d'en subir autant, fut sauvé par l'intervention de Gratus accompagné de ses Sébasténiens. Après avoir, au cours de la guerre, surpris ainsi nombre de Juifs et de Romains, ils furent enfin pris, l'aîné par Archélaüs, les deux suivants par Gratus et Ptolémée, à qui le hasard les livra ; le quatrième vint se rendre à Archélaüs par compositionF21]. Ce

dénouement se produisit plus tard ; à l'époque où nous parlons, ces hommes remplissaient toute la Judée d'une véritable guerre de brigands.

V

1. Marche de Varus au secours de Sabinus. Campagne de Galilée et de Samarie. – 2. soumission de Jérusalem. – 3. Pacification de l’Idumée. Châtiment des rebelles.

1F22]. Quand Varus reçut le message de Sabinus et des

officiers, il en fut alarmé pour toute la légion et résolut de la secourir en toute hâte. Prenant les deux légions qui restaient et les quatre ailes de cavalerie qui leur étaient attachéesF23], il partit pour Ptolémaïs où il donna rendez-

vous aux troupes auxiliaires des rois et des dynastes. En passant à Béryte, il joignit à, ces forces 1,500 hommes armés que lui fournit cette cité. Quand il eut concentré à Ptolémaïs le reste des contingents alliés, et que l'Arabe Arétas, en souvenir de sa haine contre Hérode, lui eut amené un corps assez nombreux de cavaliers et de fantassins, il détacha aussitôt une partie de son armée dans la région de la Galilée voisine de Ptolémaïs, sous le commandement de Gaius, un de ses amis ; celui-ci dispersa les gens qui s'opposèrent à sa marche, prit et brûla la ville de Sepphoris et réduisit en esclavage ses habitants. Varus lui-même avec le gros de ses forces entra dans le pays de Samarie ; il épargna la ville, qui était restée parfaitement tranquille au milieu du tumulte général, et alla camper prés d'un bourg nommé

ArousF24] ; c'était une possession de Ptolémée, qui, pour

cette raison, fut pillée par les Arabes acharnés même contre les amis d'Hérode. Ensuite il s'avança jusqu'à SaniphoF25], autre bourgade fortifiée ; celle-ci fut

également saccagée par les Arabes, ainsi que toutes les

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

localités voisines qu'ils rencontraient sur leur chemin. Tout le territoire était plein d'incendie et de carnage, et leur soif de pillage n'épargnait rien. Emmaüs, dont les habitants avaient pris la fuite, fut incendié sur l'ordre de Varus en représailles du massacre d'Arius et de ses soldats[26].

  1. Marchant de là sur Jérusalem, il n'eut qu'à montrer ses forces pour disperser les camps des Juifs. Ceux-ci s'enfuirent à travers la campagne ; ceux de la ville accueillirent le vainqueur et cherchèrent à se disculper du reproche de défection, prétendant qu'eux-mêmes n’avaient pas bougé, que la fête les avait contraints à recevoir cette multitude venue du dehors, et qu'ils avaient plutôt partagé les épreuves des Romains assiégés qu'ils ne s'étaient associés aux attaques des rebelles. Bientôt Varus vit venir au-devant de lui Joseph, cousin d'Archélaüs[27], Rufus et Gratus, amenant avec eux

l'armée royale, les Sébasténiens, et la légion romaine dans sa tenue de parade accoutumée. Quant à Sabinus, n'ayant pu soutenir la pensée de se présenter aux regards de Varus, il était sorti auparavant de la ville pour gagner le littoral. Varus répartit une partie de l'armée dans les campagnes pour saisir les auteurs du soulèvement dont beaucoup lui furent amenés. Il fit garder en prison ceux qui parurent les moins ardents ; les plus coupables, au nombre de deux mille environ, furent mis en croix.

  1. On lui annonça qu'il restait encore en Idumée dix mille hommes armés. Trouvant que les Arabes ne se conduisaient pas comme de véritables alliés, mais qu'ils faisaient plutôt la guerre pour leur propre compte et, par haine d'Hérode, maltraitaient le pays plus qu'il n'aurait voulu, il les congédia, et, avec ses propres légions, marcha rapidement contre les rebelles. Ceux-ci, avant d'en venir aux mains, firent leur soumission, sur le conseil d'Achab : Varus gracia la multitude et envoya à César les chefs pour être jugés. César pardonna à la plupart, mais il ordonna de châtier ceux de sang royal - car dans le nombre il y avait plusieurs parents d'Hérode - pour avoir porté les armes contre un roi qui était de leur famille. Ayant ainsi apaisé les troubles de Jérusalem,

 

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Varus y laissa comme garnison la légion qu'il y avait détachée dès le principe, puis retourna lui-même à Antioche[28].

VI

  1. Archélaüs accusé devant Auguste par les ambassadeurs du peuple juif. – 2. Plaidoyers des Juifs et de Nicolas de Damas. – 3. Auguste partage le royaume d’Hérode entre ses trois fils ; diverses dispositions.

1[29]. Cependant Archélaüs eut à soutenir à Rome un

nouveau procès contre les députés juifs qui, avant la révolte, étaient partis avec l'autorisation de Varus pour réclamer l'autonomie de leur nation. Il y avait cinquante députés présents, mais plus de huit mille des Juifs qui habitaient Rome faisaient cause commune avec eux. César réunit un Conseil, composé de magistrats Romains et de plusieurs de ses amis, dans le temple d'Apollon Palatin, édifice fondé par lui et décoré avec une merveilleuse somptuosité. La foule des Juifs se tenait près des députés; en face d'eux, Archélaüs avec ses amis ; quant aux amis de ses parents, ils ne parurent ni d'un côté ni de l'autre, répugnant, par haine et par

envie, à se joindre à Archélaüs, et d'autre part ayant honte que César les vit parmi ses accusateurs. Là se trouvait aussi Philippe, frère d'Archélaüs, que Varus, par bienveillance, avait envoyé, avec une escorte, avant tout pour soutenir Archélaüs, mais aussi pour recueillir une part[30] de l'héritage d'Hérode dans le cas ou César le

partagerait entre tous ses descendants.

  1. Quand les accusateurs eurent obtenu la parole, ils commencèrent par énumérer toutes les injustices d'Hérode. « Ce n'était pas un roi qu'ils avaient supporté, mais le plus cruel tyran qui eût jamais existé. Beaucoup sont tombés sous ses coups, mais les survivants ont tant souffert qu'ils ont envié le sort des morts. Il a torturé non seulement les corps de ses sujets, mais des cités entières et pendant qu'il ruinait ses propres villes, il ornait de leurs dépouilles celles de l'étranger, offrant en sacrifice aux nations extérieures le sang de la Judée. Au

 

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lieu de l'ancienne prospérité, au lieu des lois des ancêtres, il a fait régner dans le peuple la misère et la dernière iniquité : pour tout dire, les malheurs qu'Hérode en peu d'années a infligés aux Juifs surpassent tous ceux que souffrirent leurs pères pendant tout le temps qui suivit le retour de Babylone et leur rapatriement sous le règne de Xerxès[31]. Pourtant,

l'accoutumance du malheur les avait rendus si résignés qu'ils ont même consenti à subir volontairement l'hérédité de cette amère servitude : cet Archélaüs, fils d'un si rude tyran, ils l'ont spontanément proclamé roi ; après que son père eut rendu le dernier soupir, ils se sont unis à lui pour célébrer le deuil d'Hérode, ils l'ont félicité de son avènement. Mais lui, craignant apparemment d'être pris pour un bâtard d'Hérode, a préludé à son règne par le massacre de trois mille citoyens ; voilà le nombre des victimes qu'il a offertes à Dieu pour bénir son trône, voilà les cadavres qu'il a accumulés dans le Temple en un jour de fête ! Quoi de plus naturel si les survivants de pareils désastres font enfin front contre leur malheur et veulent être frappés en face, suivant la loi de la guerre. Ils demandent aux Romains de prendre en pitié les débris de la Judée, de ne pas jeter le reste de cette nation en proie aux cruels qui la déchirent, de rattacher leur pays à la Syrie et de le faire administrer par des gouverneurs particuliers ; les Juifs montreront alors que malgré les calomnies, qui les représentent à cette heure comme des factieux toujours en quête de bataille, ils savent obéir à des chefs équitables ». C'est par cette prière que les Juifs terminèrent leur réquisitoire. Alors Nicolas, se levant, réfuta les accusations dirigées contre la dynastie et rejeta la faute sur le caractère du peuple, impatient de toute autorité et indocile à ses rois. Il flétrit en même temps ceux des proches d'Archélaüs qui avaient pris rang parmi ses accusateurs.

3. César, ayant écouté les deux partis, congédia le Conseil. Quelques jours plus tard, il rendit sa décision : il donna la moitié du royaume à Archélaüs avec le titre d'ethnarque, lui promettant de le faire roi s'il s'en montrait digne ; le reste du territoire fut partagé en deux tétrarchies, qu'il donna à deux autres fils d'Hérode, l'une

 

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à Philippe, l'autre à Antipas, qui avait disputé la couronne a Archélaüs. Antipas eut pour sa part la Pérée et la Galilée, avec un revenu de 200 talents. La Batanée, la Trachonitide, l'Auranitide et quelques parties du domaine de Zénodore[32] aux environs de Panias[33],

avec un revenu de 100 talents, formèrent le lot de Philippe. L'ethnarchie d'Archélaüs comprenait toute l'Idumée et la Judée, plus le territoire de Samarie, dont le tribut fut allégé du quart, pour la récompenser de n'avoir pas pris part à l’insurrection. Les villes assujetties a Archélaüs furent la Tour de Straton, Sébasté, Joppé et Jérusalem ; quant aux villes grecques de Gaza, Gadara et Hippos, Auguste les détacha de sa principauté et les réunit à la Syrie. Le territoire donné à Archélaüs produisait un revenu de 400 talents[34].

Quant à Salomé, outre les biens que le roi lui avait légués par testament, elle fut déclarée maîtresse de Jamnia, d'Azotos et de Phasaëlis ; César lui fit aussi don du palais d'Ascalon : le tout produisait 60 talents de revenus ; toutefois, son apanage fut placé sous la dépendance de la principauté d'Archélaüs. Chacun des autres membres de la famille d'Hérode obtint ce que le testament lui attribuait. En outre César accorda aux deux filles encore vierges de ce roi[35] 500.000 drachmes

d'argent et les unit aux fils de Phéroras. Après ce partage du patrimoine, il distribua entre les princes le présent qu'Hérode lui avait légué et qui montait à 1,000 talents[36]. ne prélevant que quelques objets d'art assez

modestes qu'il garda pour honorer la mémoire du défunt[37].

VII

1-2. Imposture du pseudo-Alexandre, dévoilée par Auguste. – 3. Règne et déposition d’Archélaüs. Son rêve prophétique. – 4. Histoire de sa femme Glaphyra.

1[38]. Sur ces entrefaites un jeune homme, Juif de

naissance, mais élevé à Sidon chez un affranchi Romain, se fit passer, à la faveur d'une ressemblance physique, pour le prince Alexandre, qu'Hérode avait naguère mis à mort, et vint à Rome dans l'espoir d'y exploiter son

 

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imposture. Il avait pour auxiliaire un compatriote, parfaitement informé des affaires du royaume, qui lui fit la leçon ; il racontait que les meurtriers, envoyés pour le tuer, lui et son frère Aristobule, les avaient épargnés par pitié en leur substituant les cadavres de deux individus qui leur ressemblaient. Il abusa par ce récit les Juifs de Crête, qui le fournirent d'un brillant équipage, et fit voile ensuite pour Mélos ; là, il obtint encore bien plus par l'extrême apparence de vérité qu'il sut donner à son histoire et persuada même à ses hôtes de se rendre à Rome avec lui. Il aborda à Dicéarchie[39] où il reçut de

la colonie juive force présents et fut escorté comme un roi par les amis de son prétendu père. La ressemblance était si saisissante que ceux mêmes qui avaient vu et bien connu Alexandre affirmaient par serment son identité. A Rome notamment, toute la population juive fut bouleversée à son aspect : une innombrable multitude se pressait dans les ruelles où il passait. Les Méliens[40] poussèrent leur aveuglement au point de le

porter en litière et de lui fournir, à leurs propres frais, un équipage royal.

2. César, qui connaissait exactement les traits d'Alexandre, puisqu'Hérode l'avait accusé devant lui[41],

devina, même avant d'avoir vu le personnage, qu'il n'y avait là qu'une imposture fondée sur une ressemblance ; toutefois, pour laisser une chance à un espoir plus favorable, il envoya Célados, un de ceux[42], qui

connaissaient le mieux Alexandre, avec ordre de lui amener ce jeune homme. A peine Célados l'eut-il aperçu, qu'il observa les différences entre les deux visages : il remarqua dans le corps de l'imposteur une apparence plus rude et un air de servilité, et comprit dès lors toute la machination[43]. L'audace des propos du fourbe

acheva de l'exaspérer. L'interrogeait-on sur le sort d'Aristobule, il répondait que celui-là aussi était vivant, mais qu'on l'avait à dessein laissé à Chypre pour le soustraire aux embûches : en restant séparés, les deux frères seraient moins exposés. Célados l'ayant pris a l'écart : « César, lui dit-il, t'accorde la vie pour prix de ton aveu, si tu dénonces celui qui t'a poussé à une telle imposture ». L'homme promit à Célados de livrer celui

 

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qui l'avait inspiré, et, le suivant auprès de César, dénonça le Juif qui avait abusé ainsi de sa ressemblance avec Alexandre pour battre monnaie ; car il avait, disait-il, reçu dans les diverses villes plus de présents que jamais Alexandre n'en obtint de son vivant, César rit de cette naïveté et enrôla le pseudo-Alexandre, qui était grand et fort, parmi les rameurs de ses galères ; il fit mettre à mort son inspirateur ; quant aux Méliens, il les jugea assez punis de leur folie par leurs prodigalités.

3[44]. Quand Archélaüs eut pris possession de

l'ethnarchie, il n'oublia pas ses anciennes rancunes, mais traita avec férocité les Juifs et même les Samaritains. Les uns et les autres ayant envoyé des députés à César, la neuvième année de son règne. Archélaüs fut exilé dans la ville de Vienne en Gaule[45] :

sa fortune fut attribuée au fisc de l'empereur. On dit qu'avant d'être mandé par César, il eut un songe : il lui sembla voir neuf épis pleins et grands que broutaient des bœufs. Il fit venir les devins et quelques Chaldéens[46] et leur demanda d'interpréter ce présage.

Chacun l'expliqua à sa façon, mais un certain Simon, de la secte Essénienne, dit que les épis signifiaient des années et les bœufs une révolution, parce que les bœufs, en traçant le sillon, bouleversent la terre : il règnerait donc autant d'années qu'il y avait d'épis, et mourrait après une existence très mouvementée. Cinq jours après, Archélaüs était cité au tribunal de César[47].

4. Je considère aussi comme digne de mémoire le songe qu'eut sa femme Glaphyra, fille d'Archélaüs roi de Cappadoce. Cette princesse avait épousé en premières noces Alexandre, frère de notre Archélaüs, et fils du roi Hérode, qui le mit à mort comme nous l'avons raconté[48]. Après la mort d'Alexandre elle s’unit à Juba,

roi de Libye[49] ; devenue veuve une seconde fois[50],

elle revint se fixer auprès de son père : c'est là qu'Archélaüs l'ethnarque la vit et s'éprit d'elle si violemment qu'il répudia aussitôt sa femme Mariamme[51] pour l'épouser. Peu de temps après son

arrivée en Judée, elle crut voir en rêve Alexandre qui se tenait debout devant elle et lui disait : « Ton mariage

 

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africain aurait dû te suffire tu ne t'en es pas contentée, et voici que tu reviens à mon foyer pour prendre un troisième mari qui est, ô téméraire, mon propre frère[52].

Mais je ne pardonnerai pas cet outrage et même malgré toi je saurai te reprendre ». Elle raconta ce songe et ne vécut plus que deux jours.

VIII

  1. Coponius procurateur de Judée. Judas le Galiléen. –
  2. Les trois sectes juives. Les Esséniens. – 3-6. Leur genre de vie. – 7. Entrée dans l’ordre. – 8-10. Coutumes diverses. – 11. Croyance à l’immortalité. – 12. Prévision de l’avenir. – 13. Variété des Esséniens qui pratique le mariage. – 14. Pharisiens et Sadducéens.

1[53]. Quand le domaine d'Archélaüs eut été réduit en

province, Coponius, Romain de l'ordre équestre, y fut envoyé comme procurateur : il reçut d'Auguste des pouvoirs étendus, sans excepter le droit de vie et de mort. Sous son administration, un Galiléen, du nom de Judas, excita à la défection les indigènes[54], leur

faisant honte de consentir à payer tribut aux Romains et de supporter, outre Dieu, des maîtres mortels. Ce sophiste fonda une secte particulière, qui n'avait rien de commun avec les autres[55].

2[56]. Il y a, en effet, chez les Juifs, trois écoles

philosophiques : la première a pour sectateurs les Pharisiens, la deuxième les Sadducéens, la troisième, qui passe pour s’exercer à la sainteté, a pris le nom d'Esséniens[57], Juifs de naissance, mais plus

étroitement liés d'affection entre eux que les autres, ces hommes répudient les plaisirs comme un péché et tiennent pour vertu la tempérance et la résistance aux passions. Ils dédaignent le mariage pour eux-mêmes, mais adoptent les enfants des autres, à l'âge où l'esprit encore tendre se pénètre facilement des enseignements, les traitent comme leur propre progéniture et leur impriment leurs propres mœurs. Ce n’est pas qu'ils condamnent en principe le mariage et la procréation, mais ils redoutent le dévergondage des femmes et sont

 

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persuadés qu'aucune d'elles ne garde sa foi à un seul homme[58].

  1. Contempteurs de la richesse, ils pratiquent entre eux un merveilleux esprit de communauté. Personne chez eux qui surpasse les autres par la fortune ; car leur loi prescrit à ceux qui adhèrent à leur secte de faire abandon de leurs biens à la corporation, en sorte qu'on ne rencontre nulle part chez eux ni la détresse de la pauvreté ni la vanité de la richesse, mais la mise en commun des biens de chacun donne à tous, comme s'ils étaient frères, un patrimoine unique[59]. Ils considèrent

l'huile comme une souillure, et si l'un d'eux a dû malgré lui se laisser oindre, il s'essuie le corps : car ils prisent fort d’avoir la peau rude et sèche[60] et d'être toujours

vêtus de blancs[61]. Ils ont, pour veiller aux intérêts

communs, des administrateurs élus, à qui le suffrage de tous désigne leurs services particuliers.

  1. Ils ne forment pas une ville unique, mais vivent dispersés en grand nombre dans toutes les villes. Quand des frères arrivent d'une localité dans une autre, la communauté met tous ses biens à leur disposition, comme s’ils leur appartenaient : ils fréquentent chez des gens qu'ils n'ont jamais vus comme chez d'intimes amis. Aussi, dans leurs voyages n'emportent-ils rien avec eux, si ce n'est des armes à cause des brigands. Dans chaque ville est délégué un commissaire spécialement chargé de ces hôtes de la communauté ; il leur fournit des vêtements et des vivres. Leur habillement et leur tenue ressemblent à ceux des enfants élevés sous la férule d'un maître. Ils ne changent ni de robe ni de souliers avant que les leurs ne soient complètement déchirés ou usés par le temps. Entre eux rien ne se vend ni ne s'achète : chacun donne à l'autre sur ses provisions le nécessaire et reçoit en retour ce dont il a besoin ; mais, même sans réciprocité, il leur est permis de se faire donner de quoi vivre par l'un quelconque de leurs frères.
  2. Leur piété envers la divinité prend des formes particulières. Avant le lever du soleil, ils ne prononcent pas un mot profane : ils adressent à cet astre des prières

 

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traditionnelles, comme s'ils le suppliaient de paraître[62]. Ensuite, leurs préposés envoient chacun

exercer le métier qu'il connaît, et jusqu'à la cinquième heure ils travaillent de toutes leurs forces ; puis ils se réunissent de nouveau dans un même lieu, ceignent leurs reins d'une bande de lin et se lavent tout le corps d'eau froide. Après cette purification, ils s'assemblent dans une salle particulière où nul profane ne doit pénétrer ; eux-mêmes n'entrent dans ce réfectoire que purs, comme dans une enceinte sacrée. Ils prennent place sans tumulte, puis le boulanger sert à chaque convive un pain, le cuisinier place devant lui un plat contenant un seul mets[63]. Le prêtre prononce une

prière avant le repas, et nul n'y peut goûter que la prière ne soit dite. Après le repas, il prie derechef ; tous, au commencement et à la fin, rendent grâce a Dieu, dispensateur de la nourriture qui fait vivre. Ensuite, dépouillant leurs vêtements de repas comme des robes sacrées[64], ils retournent à leurs travaux jusqu'au soir.

Alors, revenus au logis commun, ils soupent de la même manière, cette fois avec leurs hôtes s'il s'en trouve de passage chez eux. Ni cri, ni tumulte ne souille la maison : chacun reçoit la parole à son tour. Pour les gens qui passent, ce silence à l'intérieur du logis apparaît comme la célébration d'un mystère redoutable ; mais la cause en est simplement dans leur invariable sobriété, dans leur habitude de mesurer à chacun la nourriture et la boisson nécessaires pour le rassasier, sans plus.

6. Tous leurs actes en général s'exécutent sur l'ordre de leurs préposés, mais il y a deux vertus dont la pratique ne dépend que d'eux-mêmes : l'assistance d'autrui et la pitié. Il leur est permis, en effet, de secourir, sans autre formalité, ceux qui en sont dignes et qui les en prient, comme aussi de donner des vivres aux nécessiteux. Cependant, ils n'ont pas le droit de faire des dons à leurs proches sans l'autorisation des préposés. Ils savent gouverner leur colère avec justice, modérer leurs passions, garder leur foi, maintenir la paix. Toute parole prononcée par eux est plus forte qu'un serment, mais ils s'abstiennent du serment même, qu'ils jugent pire que le parjure, car, disent-ils, celui dont la parole ne trouve pas

 

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créance sans qu'il invoque Dieu se condamne par là même[65]. Ils s'appliquent merveilleusement à la lecture

des anciens ouvrages, choisissant surtout ceux qui peuvent servir au bien de l'âme et du corps. C'est là qu'ils cherchent, pour guérir les maladies, la connaissance des racines salutaires, et des vertus des pierres.

7. Ceux qui désirent entrer dans cette secte n'en obtiennent pas aussitôt l'accès. Le candidat fait un stage extérieur d’une année, pendant laquelle il est astreint au genre de vie des Esséniens ; on lui donne une hachette[66], la ceinture dont j'ai déjà parlé et le

vêtement blanc. Quand il a fourni pendant le temps prescrit la preuve de sa tempérance, il est associé encore plus étroitement au régime des confrères : il participe aux lustrations du bain de purification, mais il n'est pas encore admis aux repas en commun[67]. Car après qu'il

a montré son empire sur ses sens, il faut encore deux ans pour éprouver son caractère. Si l'épreuve est manifestement satisfaisante, il est alors admis dans la communauté. Mais avant de toucher à la nourriture commune, il s'engage envers ses frères, par de redoutables serments, d'abord à vénérer la divinité, ensuite à observer la justice envers les hommes, à ne faire tort à personne ni spontanément ni par ordre ; à toujours détester les injustes et venir au secours des justes ; à garder sa foi envers tous, particulièrement envers les autorités[68], car c'est toujours par la volonté

de Dieu que le pouvoir échoit à un homme. Il jure que si lui-même exerce le pouvoir il ne souillera jamais sa magistrature par une allure insolente ni ne cherchera à éclipser ses subordonnés par le faste de son costume ou de sa parure ; il jure de toujours aimer la vérité et de confondre les menteurs ; de garder ses mains pures de larcin, son âme pure de gains iniques ; de ne rien tenir caché aux membres de la secte et de ne rien dévoiler aux profanes sur leur compte, dût-on le torturer jusqu'à la mort. Il jure encore de transmettre les règles de la secte exactement comme il les a reçues, de s'abstenir du brigandage[69] et de conserver avec le même respect les

livres de la secte et les noms des anges[70]. Tels sont les

 

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serments par lesquels les Esséniens enchaînent les néophytes.

  1. Quelqu'un d'entre eux est-il pris sur le fait commettant un délit grave, ils le chassent de la communauté. Souvent l'expulsé trouve une mort misérable : car, lié par ses serments et ses habitudes, il ne peut toucher aux aliments des profanes[71] ; réduit à

se nourrir d'herbes, il meurt le corps épuisé de faim. Aussi ont-ils souvent repris par pitié ces malheureux au moment où ils allaient rendre le dernier soupir, considérant comme suffisante pour leur péché cette torture poussée jusqu'à la mort.

  1. Ils dispensent la justice avec beaucoup de rigueur et d'impartialité. Ils se rassemblent, pour juger, au nombre de cent au moins, et la sentence rendue est immuable. Après le nom de Dieu, celui du législateur[72] est chez

eux l'objet d'une vénération profonde ; quiconque l'a blasphémé est puni de mort. Ils regardent comme louable de suivre l'autorité de l'âge et du nombre ; dix Esséniens siègent-ils ensemble, nul ne pourra parler si les neuf autres s'y opposent. Ils évitent de cracher en avant d'eux ou à leur droite[73], et observent plus

rigoureusement que les autres Juifs le repos du sabbat ; car ils ne se contentent pas de préparer la veille leur nourriture pour n'avoir pas à allumer de feu ce jour-là : ils n'osent ni déplacer aucun ustensile ni même satisfaire leurs besoins naturels. Les autres jours, ils creusent à cet effet une fosse de la profondeur d'un pied à l'aide d'un hoyau -car telle est la forme de cette petite hache que reçoivent les néophytes - et l'abritent de leur manteau pour ne pas souiller les rayons de Dieu[74] ;

c'est là qu'ils s'accroupissent, puis ils rejettent dans la fosse la terre qu'ils en ont tirée. Ils choisissent pour cela les endroits les plus solitaires : et, bien qu'il s'agisse là d'une évacuation, ils ont l'habitude de se laver ensuite comme pour se purifier d'une souillure[75].

  1. Ils se divisent en quatre classes suivant l'ancienneté de leur admission aux pratiques[76] ; les plus jeunes

sont réputés tellement inférieurs à leurs aînés que si un

 

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ancien vient à toucher un nouveau il doit se purifier comme après le contact d'un étranger. Ils atteignent un âge avancé, la plupart même passent cent ans, et ils doivent cette longévité, suivant moi, à la simplicité et à la régularité de leur vie. Ils méprisent les dangers, triomphent de la douleur par la hauteur de leur âme et considèrent la mort, si elle se présente avec gloire, comme préférable à une vie immortelle. La guerre des Romains a éprouvé leur force de caractère en toutes circonstances : les membres roués, tordus, brûlés, brisés, soumis à tous les instruments de torture afin de leur arracher un mot de blasphème contre le législateur ou leur faire manger des mets défendus, on n'a pu les contraindre ni à l'un, ni à l'autre, ni même à flatter leurs tourmenteurs ou à verser des larmes. Souriant au milieu des supplices et raillant leurs bourreaux, ils rendaient l'âme avec joie, comme s'ils devaient la reprendre

bientôt.

11. En effet, c'est une croyance bien affermie chez eux que le corps est corruptible et la matière qui le compose inconsistante, mais que l'âme est immortelle et impérissable, qu'elle habitait l'éther le plus subtil, qu'attirée dans le corps comme dans une prison, elle s'unit à lui par une sorte de charme naturel, que cette âme une fois détachée des liens de la chair, débarrassée pour ainsi dire d'un long esclavage, prend son vol joyeux vers les hauteurs. D'accord avec les fils des Grecs, ils prétendent qu'aux âmes pures seules est réservé un séjour au delà de l'Océan, un lieu que n’importunent ni les pluies, ni les neiges, ni les chaleurs excessives, mais que le doux zéphyr, soufflant de l'Océan, vient toujours rafraîchir ; les âmes impures, au contraire, ils les relèguent dans un abîme ténébreux et agité par les tempêtes, foisonnant d'éternelles souffrances. C'est dans la même pensée, ce me semble, que les Grecs consacrent à leurs vaillants, à ceux qu'ils appellent héros et demi-dieux, les îles des bienheureux, aux âmes des méchants, l'Hadès, la région de l'impiété, ou, d'après leurs légendes, les Sisyphe, les Tantale, les Ixion et les Tityos sont au supplice : croyance où l'on retrouve d'abord l'idée de l'immortalité des âmes, ensuite la préoccupation d'exhorter à la vertu et de détourner du vice car les

 

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bons, pendant la vie, deviendront meilleurs par l'espérance des honneurs qu'ils obtiendront après leur mort, et les méchants mettront un frein à leurs passions dans la crainte que, même s'ils échappent de leur vivant au châtiment, ils ne subissent, après leur dissolution, un châtiment éternel. Tels sont les enseignements religieux des Esséniens, appât irrésistible pour ceux qui ont une fois goûté à leur sagesse[77].

  1. Il y en a même parmi eux qui se font fort de prévoir l'avenir à force de s'exercer par l'étude des livres sacrés, les purifications variées et les paroles des prophètes1 et il est rare qu'ils se trompent dans leurs prédictions[78].
  2. Il existe encore une autre classe d'Esséniens, qui s'accordent avec les autres pour le régime, les coutumes et les lois, mais qui s'en séparent sur la question du mariage[79]. Ils pensent que renoncer au mariage c'est

vraiment retrancher la partie de la vie la plus importante, à savoir la propagation de l'espèce ; chose d'autant plus grave que le genre humain disparaîtrait en très peu de temps si tous adoptaient cette opinion. Ils prennent donc leurs femmes à l'essai, et après que trois époques successives ont montré leur aptitude à concevoir, ils les épousent définitivement. Dès qu'elles sont enceintes, ils n'ont pas commerce avec elles, montrant ainsi qu'ils se marient non pour le plaisir, mais pour procréer des enfants. Les femmes usent d'ablutions en s'enveloppant de linges comme les hommes d'une ceinture. Tels sont les usages de cette classe d'Esséniens.

  1. Des deux sectes plus anciennes, les Pharisiens, considérés comme les interprètes exacts des lois et comme les créateurs de la première école, rattachent tout au destin et à Dieu. Ils pensent que la faculté d'agir bien ou mal dépend pour la plus grande part de l'homme lui-même, mais qu'il faut que le destin[80] coopère pour

chaque acte particulier que toute âme est impérissable, que celles des bons seules passent dans un autre corps[81], que celles des mauvais subissent un

châtiment éternel. Quant à la seconde secte, celle des

 

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Sadducéens, ils suppriment absolument le destin et prétendent que Dieu ne peut ni faire, ni prévoir le mal ; ils disent que l'homme a le libre choix du bien et du mal et que chacun, suivant sa volonté, se porte d'un côté ou de l'autre. Ils nient la persistance de l'âme après la mort, les châtiments et les récompenses de l'autre monde. Les Pharisiens se montrent très dévoués les uns aux autres et cherchent à rester en communion avec la nation entière. Les Sadducéens, au contraire, sont, même entre eux, peu accueillants, et aussi rudes dans leurs relations avec leurs compatriotes qu'avec les étrangers. Voilà ce que j'avais à dire sur les sectes philosophiques des Juifs.

IX

1. Testament de Salomé. Fondations d’Antipas et de Philippe. – 2-4. Pilate procurateur. Affaires des enseignes et de l’aqueduc. – 5. Agrippa à Rome ; il est emprisonné par Tibère. – 6. Avènement de Caligula. Agrippa roi ; fin de Philippe et d’Antipas.

1[82]. Quand l'ethnarchie d’Archélaüs eut été réduite en province[83], les autres princes, Philippe et Hérode,

surnommé Antipas, continuèrent à gouverner leurs tétrarchies respectives ; quant à Salomé, en mourant[84]

elle légua à Julie, femme d'Auguste, sa toparchie, avec Jamnia et les bois de palmiers de Phasaélis. Quand l'empire des Romains passa à Tibère, fils de Julie, après la mort d'Auguste, qui avait dirigé les affaires pendant cinquante sept ans, six mois et deux jours[85], Hérode

(Antipas) et Philippe, maintenus dans leurs tétrarchies, fondèrent, celui-ci, près des sources du Jourdain, dans le district de Panéas, la ville de Césarée et, dans la Gaulanitide inférieure celle de Julias ; Hérode, en Galilée Tibériade et, dans la Pérée, une cité qui prit aussi le nom de Julie[86].

2[87]. Pilate, que Tibère envoya comme procurateur en

Judée, introduisit nuitamment à Jérusalem, couvertes d'un voile, les effigies de César, qu'on nomme enseignes[88]. Le jour venu, ce spectacle excita parmi les

 

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Juifs un grand tumulte : les habitants présents furent frappés de stupeur, voyant là une violation de leurs lois, qui ne permettent d'élever aucune image dans leur ville ; l'indignation des gens de la ville se communiqua au peuple de la campagne, qui accourut de toutes parts. Les Juifs s'ameutèrent autour de Pilate, a Césarée, pour le supplier de retirer les enseignes de Jérusalem et de maintenir les lois de leurs ancêtres. Comme Pilate refusait, ils se couchèrent autour de sa maison et y restèrent prosternés, sans mouvement, pendant cinq jours entiers et cinq nuits.

3. Le jour qui suivit, Pilate s'assit sur son tribunal dans le grand stade et convoqua le peuple sous prétexte de lui répondre : là, il donna aux soldats en armes le signal convenu de cerner les Juifs. Quand ils virent la troupe massée autour d’eux sur trois rangs, les Juifs restèrent muets devant ce spectacle imprévu. Pilate, après avoir déclaré qu'il les ferait égorger s’ils ne recevaient pas les images de César, fit signe aux soldats de tirer leurs épées. Mais les Juifs, comme d'un commun accord, se jetèrent à terre en rangs serrés et tendirent le cou, se déclarant près à mourir plutôt que de violer la loi. Frappé d'étonnement devant un zèle religieux aussi ardent, Pilate donna l'ordre de retirer aussitôt les enseignes de Jérusalem.

4[89]. Un peu plus tard il souleva une nouvelle émeute

en épuisant, pour la construction d’un aqueduc, le trésor sacré qu'on appelle Korbónas[90] ; l'eau fut

emmenée d'une distance de 400 stades[91]. A cette

nouvelle, le peuple s'indigna : il se répandit en vociférant autour du tribunal de Pilate, qui se trouvait alors à Jérusalem. Celui-ci, prévoyant la sédition, avait pris soin de mêler à la multitude une troupe de soldats armés, mais vêtus d'habits civils, et, tout en leur défendant de faire usage du glaive, leur ordonna de frapper les manifestants avec des gourdins. Du haut de son tribunal il donna un signe convenu. Les Juifs périrent en grand nombre, les uns sous les coups, d'autres en s'écrasant mutuellement dans la fuite. La multitude, stupéfiée par ce massacre, retomba dans le silence.

 

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5F92]. Sur ces entrefaites. Agrippa, fils de cet Aristobule

que son père Hérode avait mis à mort, se rendit auprès de Tibère pour accuser le tétrarque Hérode (Antipas). L'empereur n'ayant pas accueilli l'accusation, Agrippa resta à Rome pour faire sa cour aux gens considérables et tout particulièrement à Gaius, fils de Germanicus, qui vivait encore en simple particulier. Un jour qu'il le recevait à souper, Agrippa, après force compliments de toute espèce, leva les bras au ciel et exprima publiquement le vœu de voir bientôt Gaius maître du monde, par le décès de Tibère. Un des domestiques d'AgrippaF93] l'apporta ce mot à, Tibère ; l'empereur,

plein de colère, fit enfermer Agrippa dans une prison, où il le garda avec rigueur pendant six mois jusqu'à sa propre mort, qui survint après un règne de vingt-deux ans, six mois et trois joursF94].

6F95]. Gaius, proclamé César, délivra Agrippa et lui

donna, avec le titre de roi, la tétrarchie de Philippe, qui venait de mourirF96]. Quand il eut pris possession de

son royaumeF97], Agrippa excita la jalousie et l'ambition

du tétrarque Hérode. C'était surtout Hérodias, femme de ce tétrarque, qui poussait celui-ci à espérer la royauté ; elle lui reprochait sa mollesse et prétendait que son refus d'aller trouver César empêchait son avancement. Puisque César avait fait un roi d'Agrippa, qui était un simple particulier, hésiterait-il à donner le même titre à un tétrarque ? Cédant à ces sollicitations, Hérode se rendit auprès de Gaius, qui le punit de sa cupidité en l’exilant en EspagneF98], car Agrippa l'avait suiviF99]

pour l'accuser. Gaius joignit encore à la tétrarchie d'Agrippa celle de son rival. Hérode mourut en Espagne, où sa femme avait partagé son exil.

X

1. Caligula ordonne d’ériger sa statue dans le Temple. – 2 Digression sur Ptolémaïs et ses sables vitrifiables. – 3­5. Pétrone et les Juifs. La morts de Caligula sauve le Temple.

 

Zone de Texte: 3. Les Juifs, rassemblés avec leurs femmes et leurs enfants dans la plaine de Ptolémaïs, imploraient PétroneFlavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

1[100]. Rien n'égala l'insolence avec laquelle l'empereur

Gaius défia la fortune : il voulut se faire passer pour un dieu et être salué de ce nom, il amputa sa patrie en mettant à mort les plus nobles citoyens. Son impiété s'étendit jusqu'en Judée. En effet, il envoya Pétrone avec une armée à Jérusalem pour installer dans le Temple des statues faites à son image : il lui ordonna, si les Juifs ne consentaient pas à les recevoir, de mettre a mort les mutins et de réduire en esclavage tout le reste de la nation. Mais Dieu veilla a ce que de pareils ordres ne reçussent pas leur exécution. Pétrone, parti d'Antioche, entra en Judée avec trois légions[101] et de

nombreux contingents alliés de Syrie. Parmi les Juifs, les uns révoquaient en doute les bruits de guerre, et ceux qui y croyaient ne percevaient aucun moyen de défense ; bientôt la terreur se répandit dans toute la multitude, l'armée étant déjà, arrivée à Ptolémaïs[102].

2. Ptolémaïs est une ville de Galilée, bâtie sur le littoral, au seuil de la Grande plaine. Son territoire est ceint de montagnes : au levant, à 60 stades, celles de Galilée ; au midi, le Carmel, éloigné de 120 stades ; au nord, la chaîne la plus élevée, que les habitants du pays appellent l'Echelle des Tyriens, à une distance de 100 stades. A 2 stades environ de Ptolémaïs coule le fleuve Bélæos[103], très peu considérable ; sur ses rives se

dresse le tombeau de Memnon[104], et à côté se trouve

un emplacement de cent coudées qui offre un spectacle merveilleux. C'est un terrain, d'une forme circulaire et creuse, qui produit un sable vitrifié. De nombreux bâtiments abordent à ce rivage et vident la fosse de sable : aussitôt, elle se comble de nouveau, sous le souffle des vents qui y accumulent comme de concert le sable brut amené du dehors, que la vertu de cette mine a bientôt fait de transformer entièrement en substance vitreuse. Mais ce qui me paraît être plus étonnant encore, c'est que le verre en excès qui déborde de cette cavité redevient un pur sable comme auparavant. Telles sont les curieuses propriétés de ce site.

 

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d'abord pour les lois de leurs pères, ensuite pour eux-mêmes. Touché par cette multitude et ces prières, ce général laissa à Ptolémaïs les statues et les troupes et passa en Galilée où il convoqua à Tibériade le peuple et tous les notables ; là, il exposa la puissance des Romains et les menaces de l'empereur et montra ensuite aux Juifs la témérité de leur requête toutes les nations soumises avaient érigé dans chacune de leurs villes des statues à César parmi celles des autres dieux ; si donc, seuls de tous, ils prétendaient rejeter cet usage, c'était presque une défection, et en tout cas un outrage.

  1. Comme les Juifs alléguaient leur loi et la coutume de leurs ancêtres, qui leur interdisaient absolument de placer l'image de Dieu, et à plus forte raison celle d'un homme, non seulement dans le Temple, mais encore dans un endroit profane, quel qu'il fût, de leur pays, Pétrone répondit : « Mais moi aussi, il faut que je maintienne la loi de mon maître ; si je la transgresse et que je vous épargne, je serai condamné avec justice. Celui qui vous fera la guerre, c'est celui qui m’envoie, et non moi-même ; car aussi bien que vous je suis son sujet ». A ces mots la multitude s'écria qu'elle était prête à tout souffrir pour la loi. Alors Pétrone, leur imposant silence : « Vous ferez donc, dit-il, la guerre à César ? » Les Juifs répondirent que deux fois par jour ils offraient des sacrifices en l'honneur de César et du peuple

romain ; mais que, s'il voulait dresser les statues, il lui faudrait d'abord immoler la nation juive tout entière ; ils s'offrirent eux-mêmes au sacrifice, avec leurs femmes et leurs enfants. Ces paroles emplissent Pétrone d'étonnement et de pitié devant l'incomparable piété de ces hommes et leur ferme résignation à la mort. Cette fois encore on se sépara sans avoir rien décidé[105].

  1. Les jours suivants, il réunit les notables en grand nombre dans des conférences particulières et rassembla publiquement la multitude ; il recourut tour à tour aux exhortations, aux conseils, le plus souvent aux menaces, insistant sur la puissance des Romains, l'indignation de Gaius et la nécessité où les circonstances le réduisaient lui-même. Comme il voyait que les Juifs ne cédaient à aucun de ces moyens et que la campagne risquait de ne

 

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pas être ensemencée, car au moment des semailles le peuple passa auprès de lui cinquante jours[106] dans

l'inaction, il finit par les convoquer et leur dit : « C'est donc plutôt à moi de courir le danger. Ou bien, avec l'aide de Dieu, je persuaderai César et j'aurai le bonheur de me sauver avec vous, ou bien, si sa colère se déchaîne, je suis prêt à donner ma vie pour un peuple si nombreux ». Cela dit, il congédia le peuple qui le comblait de bénédictions et, ramassant ses troupes, passa de Ptolémaïs à Antioche[107]. De cette dernière

ville il se hâta de mander à César son expédition en Judée et les supplications du peuple, ajoutant que, à moins que l'empereur ne voulût détruire le pays en même temps que les habitants, il devait respecter leur loi et révoquer l'ordre donné. A ces lettres Gaius répondit sans douceur, menaçant de mort Pétrone pour avoir mis trop de lenteur à exécuter ses ordres. Mais il arriva que les porteurs de ce message furent pendant trois mois ballottés en mer par la tempête, tandis que d'autres messagers, qui apportaient la nouvelle de la mort de Gaius, eurent une heureuse traversée. Aussi Pétrone reçut-il cette dernière nouvelle vingt-sept jours avant les lettres qui le menaçaient[108].

XI

1-4. Rôle important d’Agrippa dans l’avènement de Claude. – 5. Agrippa roi de Judée, Hérode roi de Chalcis. – 6. Règne et mort d’Agrippa. La Judée soumise de nouveau aux procurateurs. Mort d’Hérode de Chalcis.

1[109]. Quand Gaius, après un règne de trois ans et huit mois[110], eut été assassiné, les troupes de Rome

portèrent de force Claude à l’empire : mais le Sénat, sur la motion des consuls Sentius Saturninus et Pomponius Secundus, chargea les trois cohortes[111] qui lui étaient

restées fidèles de garder la ville, puis s’assembla au Capitole et, alléguant la cruauté de Gaius, décréta la guerre contre Claude : il voulait donner à, l'empire une constitution aristocratique, comme celle d'autrefois, ou choisir par voie de suffrage un chef digne de

commander.

 

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  1. Agrippa se trouvait alors à Rome ; le hasard voulut qu'il fût mandé et appelé en consultation à la fois par le Sénat et par Claude, qui l'invita dans son camp ; les deux partis sollicitaient son aide dans ce besoin pressant. Agrippa, quand il vit celui qui par sa puissance était déjà César, passa au parti de Claude. Celui-ci le chargea alors d'aller exposer au Sénat ses sentiments : d'abord, c'est malgré lui que les soldats l'ont enlevé ; mais il n'a cru ni juste de trahir leur zèle, ni prudent de trahir sa propre fortuneF112], car on est en danger par le

seul fait d'être proclamé empereur. D'ailleurs, il gouvernera l'empire comme un bon président et non comme un tyran ; l'honneur du titre suffit à son ambition. et, pour chaque affaire, il consultera le peuple entier. Quand même il n'eût pas été d'un naturel modéré, la mort de Gaius était pour lui une suffisante leçon de sagesse.

  1. Quand Agrippa eut délivré ce message, le Sénat répondit que, confiant dans la force de l'armée et la sagesse de ses propres conseils, il ne se résignerait pas à un esclavage volontaire. Dès que Claude connut cette réponse des sénateurs, il renvoya encore Agrippa pour leur dire qu'il ne consentirait pas à trahir ceux qui lui avaient juré fidélité ; il combattrait donc, malgré lui, ceux que pour rien au monde il n'aurait voulu avoir pour ennemis. Toutefois, il fallait, disait-il, désigner pour champ clos un endroit hors de ville, car il serait criminel que leur funeste entêtement souillât les sanctuaires de la patrie du sang de ses enfants. Agrippa reçut et transmit ce message.
  2. Sur ces entrefaites, un des soldats qui avaient suivi le parti du Sénat, tirant son glaive : « Camarades, s'écria-t-il, quelle folie nous pousse à vouloir tuer nos frères et à nous ruer contre nos propres parents, qui accompagnent Claude, quand nous avons un empereur exempt de tout reproche, quand tant de liens nous unissent à ceux que nous allons attaquer les armes à la main ? » Cela dit, il se précipite au milieu de la curie, entraînant avec lui tous ses compagnons d'armes. En présence de cette désertion, les nobles furent d'abord saisis d'effroi, puis,

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

n'apercevant aucun moyen de salut, ils suivirent les soldats et se rendirent en hâte auprès de Claude. Au pied des murailles, ils virent arriver contre eux, l'épée nue, les plus ardents courtisans de la fortune, et leurs premiers rangs auraient été décimés avant que Claude eût rien su de la fureur des soldats. Si Agrippa, accourant auprès du prince, ne lui avait montré le péril de la situation : il devait arrêter l'élan de ces furieux contre les sénateurs, sans quoi il se priverait de ceux qui font la splendeur de la souveraineté et ne serait plus que le roi d'une solitude.

  1. Sitôt informé, Claude arrêta l'impétuosité des soldats, reçut les sénateurs dans son camp et, après leur avoir fait bon accueil, sortit aussitôt avec eux pour offrir à Dieu un sacrifice de joyeux avènement. Il s'empressa de donner à Agrippa tout le royaume qu'avait possédé son aïeul, en y joignant, hors des frontières, la Trachonitide et l'Auranitide, dont Auguste avait fait présent à Hérode, en outre un autre territoire dit « royaume de

Lysanias »[113]. Il fit connaître cette donation au peuple

par un édit et ordonna aux magistrats de la faire graver sur des tables d'airain qu'on plaça au Capitole. Il donna aussi à Hérode, à la fois frère d'Agrippa et gendre de ce prince par son mariage avec Bérénice, le royaume de Chalcis[114].

  1. Maître de domaines considérables Agrippa vit promptement affluer l'argent dans ses coffres ; mais il ne devait pas profiter longtemps de ces richesses. Il avait commencé à entourer Jérusalem d'une muraille si forte[115] que, s’il eût pu l'achever, les Romains plus

tard en auraient en vain entrepris le siège. Mais avant que l'ouvrage eût atteint la hauteur projetée, il mourut à Césarée[116], après un règne de trois ans, auquel il faut

ajouter ses trois ans de tétrarque[117]. Il laissa trois filles nées de Cypros[118] : Bérénice, Mariamme et

Drusilla, et un fils, issu de la même femme, Agrippa. Comme celui-ci était en bas âge[119], Claude réduisit de

nouveau les royaumes en province et y envoya en qualité de procurateurs Cuspius Fadus[120], puis Tibère

Alexandre[121], qui ne portèrent aucune atteinte aux

 

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coutumes du pays et y maintinrent la paix. Ensuite mourut Hérode, roi de Chalcis[122] ; il laissait, de son

mariage avec sa nièce Bérénice, deux fils, Bérénicien et Hyrcan, et, de sa première femme, Mariamme, un fils, Aristobule. Un troisième frère, Aristobule, était mort dans une condition privée, laissant une fille, Jotapé[123]. Ces trois princes avaient pour père, comme

je l'ai dit précédemment, Aristobule fils d'Hérode ; Aristobule et Alexandre étaient nés du mariage d'Hérode avec Mariamme, et leur père les mit à mort. Quant à la postérité d'Alexandre elle régna dans la grande Arménie[124].

XII

1. Agrippa roi de Chalcis. Cumanus procurateur de Judée. Sédition de la Pâque à Jérusalem. – 2. Affaire de la profanation de l’Écriture. – 3-7. Bataille entre Juifs et Samaritains. Claude donne gain de cause aux Juifs. – Félix procurateur. Agrippa roi de Batanée, etc. Mort de Claude.

1[125]. Après la mort d’Hérode, souverain de Chalcis,

Claude donna son royaume à son neveu Agrippa, fils d'Agrippa[126]. Le reste de la province passa, après

Tibère Alexandre, sous l'administration de Cumanus[127]. Sous ce procurateur des troubles

éclatèrent, et les tueries de Juifs recommencèrent de plus belle. Le peuple, en effet, s’était porté en foule à Jérusalem pour la fête des azymes, et la cohorte romaine avait pris position sur le toit du portique du temple, car il est d'usage[128] que la troupe en armes surveille

toujours les fêtes, pour parer aux désordres qui peuvent résulter d'une telle agglomération de peuple. Alors un des soldats, relevant sa robe, se baissa dans une attitude indécente, de manière à tourner son siège vers les Juifs, et fit entendre un bruit qui s’accordait avec le geste[129]. Ce spectacle indigna la multitude ; elle

demanda à grands cris que Cumanus punit le soldat. Quelques jeunes gens qui avaient la tête plus chaude et quelques factieux de la plèbe engagèrent le combat ; saisissant des pierres, ils en lapidèrent les troupes.

 

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Cumanus, craignant une attaque de tout le peuple contre lui-même, manda un renfort de fantassins. Quand ceux-ci se répandirent dans les portiquesF130],

une irrésistible panique s'empara des Juifs qui, fuyant hors du Temple, cherchèrent un refuge dans la ville. Une ruée si violente se produisit vers les portes que les gens se foulèrent aux pieds et s'écrasèrent les uns les autres ; il en périt plus de trente milleF131], et la fête se tourna

en deuil pour la nation entière, en gémissements pour toutes les familles.

2F132]. A ce malheur succédèrent d'autres désordres, causés par les brigands. Près de BéthoronF133], sur la route publique, des brigandsF134] assaillirent un certain

Stéphanos, esclave de César, et s'emparèrent de son bagage. Cumanus, envoyant de tous côtés des soldats, se fit amener les habitantsF135] des bourgs voisins,

enchaînés, et leur reprocha de n'avoir pas poursuivi et arrêté les brigands. A cette occasion un soldat, trouvant un exemplaire de la loi sacrée dans un village, déchira le volume et le jeta au feuF136]. Là-dessus les Juifs

s'émurent comme si toute la contrée avait été livrée aux flammes. Poussés par leur religion comme par un ressort, ils coururent tous, dès la première nouvelle, à Césarée, auprès de Cumanus, le conjurant de ne pas laisser impunie une aussi grave offense envers Dieu et leur loi. Le procurateur, voyant que le peuple ne se calmerait pas s'il n'obtenait satisfaction, ordonna d'amener le soldat et le fit conduire à la mort, entre les rangs de ses accusateurs : sur quoi, les Juifs se retirèrent.

3F137]. Puis ce fut au tour des Galiléens et des

Samaritains d'en venir aux mains. Au bourg de GhémaF138], situé dans la Grande plaine du pays de

SamarieF139], un GaliléenF140], mêlé aux nombreux

Juifs qui se rendaient à la fête, fut tué. Là-dessus une foule considérable accourut de Galilée pour livrer bataille aux Samaritains ; les notables du pays vinrent trouver Cumanus et le supplièrent, s'il voulait prévenir un malheur irréparable, de se rendre en Galilée pour punir les auteurs du meurtre : seul moyen. disaient-ils, de

 

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disperser la multitude avant qu’on en vînt aux coups. Mais Cumanus, ajournant leur requête à la suite des affaires en coursF141], renvoya les suppliants sans

aucune satisfaction.

  1. Quand la nouvelle du meurtre parvint à Jérusalem, elle souleva la plèbe. Abandonnant la fête, les Juifs se précipitèrent vers Samarie, sans généraux, sans écouter aucun des magistrats qui essayaient de les retenir. Les brigands et les factieux avaient pour chefs Eléazar, fils de Dinæos, et AlexandreF142], qui, attaquant les cantons

limitrophes du distrit d’AcrabatèneF143], massacrèrent

les habitants sans distinction d'âge et incendièrent les bourgades.

  1. Alors Cumanus, tirant de Césarée une aile de cavalerie dite « des SébasténiensF144] », se porta au

secours des populations ainsi ravagées : il fit prisonniers beaucoup de compagnons d'Eléazar et en tua un plus grand nombre. Quant au reste des émeutiers, qui se ruaient pour faire la guerre aux Samaritains, les magistrats de Jérusalem coururent à leur rencontre, revêtus du cilice, la tête couverte de cendre, les suppliant de retourner en arrière, de ne pas, en attaquant Samarie, exciter les Romains contre Jérusalem, de prendre en pitié la patrie, le Temple, leurs enfants et leurs femmes, qui, pour venger le sang d'un seul Galiléen, risquaient de périr tous. Cédant à ces sollicitations, les Juifs se dispersèrent. Mais beaucoup d'entre eux, encouragés par l'impunité, se tournèrent au métier de brigand ; dans toute la contrée ce ne furent que pillages et soulèvements, fomentés par les plus audacieux. Les notables de Samarie se rendirent alors à Tyr, auprès d'Ummidius Quadratus, gouverneur de Syrie, et le pressèrent de tirer vengeance de ces déprédations. D'autre part les notables Juifs se présentèrent également, le grand prêtre Jonathas, fils d'Ananos, à leur tète, assurant que les Samaritains avaient, par le meurtre en question, donné le signal du désordre, et que le véritable auteur de tout ce qui s’en était suivi, c’était Cumanus, pour avoir refusé de poursuivre les auteurs de l'assassinat.

 

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  1. Quadratus, pour l'heure, ajourna les deux partis, disant qu'une fois sur les lieux il examinerait l'affaire en détail ; dans la suite il passa à Césarée[145], où il fit

mettre en croix tous les individus arrêtés par Cumanus. De là, il se rendit à Lydda, où il entendit derechef les plaintes des Samaritains. Puis il manda dix-huit Juifs[146], qu’il savait avoir pris part au combat, et les

fit périr sous la hache ; il envoya à César, avec deux autres personnes de marque, les grands prêtres Jonathas et Ananias, Ananos[147], fils de ce dernier, et

quelques autres notables Juifs, en même temps que les Samaritains les plus distingués. Enfin, il ordonna à Cumanus et au tribun Céler de mettre à la voile pour Rome et de rendre compte à Claude de leur conduite. Ces mesures prises, il quitta Lydda pour remonter vers Jérusalem ; comme il trouva le peuple célébrant paisiblement la fête des Azymes[148], il retourna à

Antioche.

  1. A Rome, l'empereur entendit Cumanus et les Samaritains en présence d'Agrippa, qui plaida avec ardeur la cause des Juifs, tandis que beaucoup de grands personnages soutenaient Cumanus ; l'empereur condamna les Samaritains, fit mettre à mort trois des plus puissants et exila Cumanus. Quant à Céler, il l'envoya enchaîné à Jérusalem et ordonna de le livrer aux outrages des Juifs : après l'avoir traîné autour de la ville, on devait lui trancher la tête.

8[149]. Après ces événements, Claude envoie Félix, frère

de Pallas, comme procurateur de la Judée, de Samarie, de la Galilée et de la Pérée[150] : il donne à Agrippa un

royaume plus considérable que Chalcis, à savoir le territoire qui avait appartenu a Philippe et qui se composait de la Trachonitide, de la Batanée et de la Gaulanitide, en y ajoutant le royaume de Lysanias et l'ancienne tétrarchie de Varus[151]. Claude, après avoir

gouverné l'empire pendant treize ans, huit mois et vingt jours[152], mourut en laissant Néron pour successeur :

cédant aux artifices de sa femme Agrippine, il avait adopté et désigné pour héritier ce prince, bien qu'il eût

 

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lui-même de Messaline, sa première femme, un fils légitime, Britannicus, et une fille, Octavie, qu'il avait lui-même unie à Néron. Il avait encore eu de Pétina une autre fille, Antonia.

XIII

1. Caractère de Néron. – 2. Accroissement des États d’Agrippa. Félix et les brigands. – 3-4. Sicaires et faux prophètes. – 5. Le prophète égyptien. – 6. Nouveaux brigandages. – 7. Désordres à Césarée.

1. Tous les défis que Néron lança à la fortune, quand l'excès de prospérité et de richesse eut égaré la tête, la manière dont il fit périr son frère, sa femme et sa mère, premières victimes d'une cruauté qu’il reporta ensuite sur les plus nobles personnages, enfin la démence qui l'entraîna sur la scène et sur le théâtre, tous ces faits, devenus si rebattus, je les laisserai de côté, et je me bornerai à raconter ce qui, de son temps, s'est passé chez les Juifs.

2[153]. Il donna donc le royaume de la Petite Arménie à

Aristobule, fils d'Hérode de Chalcis ; il agrandit celui d'Agrippa le jeune de quatre villes avec leurs toparchies : Abila et Julias dans la Pérée, Tarichées et Tibériade en Galilée[154] ; il nomma[155] Félix procurateur du reste

de la Judée. Celui-ci s'empara du chef de brigands, Eléazar[156], qui depuis vingt ans ravageait le pays,

ainsi que d'un grand nombre de ses compagnons, et il les envoya à Rome ; quant aux brigands qu'il fit mettre en croix et aux indigènes, convaincus de complicité, qu'il châtia, le nombre en fut infini.

3[157]. Quand il eut ainsi purgé la contrée, une autre

espèce de brigands surgit dans Jérusalem : c’étaient ceux qu'on appelait sicaires[158] parce qu'ils

assassinaient en plein jour au milieu même de la ville. Ils se mêlaient surtout à la foule dans les fêtes, cachant sous leurs vêtements de courts poignards, dont ils frappaient leurs ennemis ; puis, quand la victime était tombée, le meurtrier s'associait bruyamment à

 

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l'indignation de la foule. inspirant ainsi une confiance qui le rendait insaisissable. Ils égorgèrent d'abord le grand prêtre Jonathas, et beaucoup d'autres après lui : chaque jour amenait son meurtre. La crainte était pire encore que le mal ; chacun, comme à la guerre, attendait la mort à chaque moment. On surveillait de loin ses ennemis, on ne se fiait même pas aux amis que l'on voyait s'avancer vers soi ; mais on avait beau multiplier les soupçons et les défiances, le poignard faisait son oeuvre. tant les assassins étaient prompts et habiles à se cacher.

4[159]. Il se forma encore une autre troupe de scélérats,

dont les bras étaient plus purs, mais les sentiments plus impies, et qui contribuèrent autant que les assassins à ruiner la prospérité de la ville. Des individus vagabonds et fourbes, qui ne cherchaient que changements et révolutions sous le masque de l'inspiration divine, poussaient la multitude à un délire furieux et l'entraînaient au désert, où Dieu, disaient-ils, devait leur montrer les signes de la liberté prochaine[160]. Comme

on pouvait voir là les premiers germes d'une révolte. Félix envoya contre ces égarés des cavaliers et des fantassins pesamment armés et en tailla en pièces un très grand nombre.

5[161]. Plus funeste encore aux Juifs fut le faux

prophète égyptien. Il parut, sous ce nom, dans le pays, un charlatan qui s'attribuait l'autorité d'un prophète et qui sut rassembler autour de lui trente mille dupes[162].

Il les amena du désert, par un circuit, jusqu'à la montagne dite des Oliviers ; de là, il était capable de marcher sur Jérusalem et de s'en emparer de force, après avoir vaincu la garnison romaine, puis d'y régner en tyran sur le peuple avec l'appui des satellites qui l'accompagnaient dans son invasion. Cependant, Félix devança l'attaque en marchant à sa rencontre avec la grosse infanterie romaine ; tout le peuple prit part à la défense. Dans le combat qui s'engagea, l'Égyptien prit la fuite avec quelques compagnons ; beaucoup d'autres furent tués ou faits prisonniers ; le reste de la foule se dispersa et chacun alla se cacher chez soi.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

6[163]. A peine ce mouvement réprimé, l'inflammation,

comme dans un corps malade, reparut sur un autre point. Les imposteurs et les brigands se réunirent pour entraîner à le défection et appeler à la liberté un grand nombre de Juifs, menaçant de mort ceux qui se soumettaient à la domination romaine et déclarant qu'ils supprimeraient de force ceux qui acceptaient volontairement la servitude. Répartis par bandes dans le pays, ils pillaient les maisons des principaux citoyens, tuaient les propriétaires et incendiaient les bourgades. Toute la Judée fut remplie de leur frénésie, et de jour en jour cette guerre sévissait plus violente.

7[164]. D'autres désordres se produisirent à Césarée, où

les Juifs, mêlés à la population, se prirent de querelle avec les Syriens qui habitaient cette ville. Les Juifs prétendaient que Césarée devait leur appartenir, alléguant la nationalité juive de son fondateur, le roi Hérode : leurs adversaires maintenaient que, en admettant que le fondateur fût Juif, la ville même était grecque, car Si Hérode avait voulu l'attribuer aux Juifs, il n'y aurait pas érigé des statues et des temples[165].

Telle était l'origine de leur dispute. Bientôt la rivalité alla jusqu'à la lutte armée : tous les jours, les plus hardis de l'un et de l'autre camp couraient au combat ; ni les anciens de la communauté juive n'étaient capables de retenir leurs propres partisans, ni les Grecs ne voulaient subir l’humiliation de céder aux Juifs. Ces derniers l'emportaient par la richesse et la vigueur corporelle, les Grecs tiraient avantage de l'appui des gens de guerre : car les Romains levaient en Syrie la plupart des troupes chargées de garder cette région, et en conséquence les soldats de la garnison étaient toujours prêts à secourir leurs compatriotes[166]. Cependant les gouverneurs

n'avaient jamais négligé de réprimer ces troubles : toujours en arrêtaient les plus ardents et les punissaient du fouet et de la prison. Mais les souffrances des prisonniers, loin d'inspirer à leurs amis hésitation ou crainte, les excitaient encore davantage à la sédition. Un jour que les Juifs l'avaient emporté, Félix s'avança au milieu de la place publique et leur commanda sur un ton de menace de se retirer : comme ils n'obéissaient pas, il

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

lança contre eux les soldats, en tua un grand nombre et laissa piller leurs biens. Voyant que la sédition continuait, Félix choisit des notables, appartenant aux deux partis et les envoya à Néron comme députés pour discuter devant lui leurs droits respectifs[167].

XIV

1. Les procurateurs Festus et Albinus. – 2. Excès de Gessius Florus. – 3. Plaintes des Juifs à Cestius Gallus. – 4-5. Émeute de Césarée. – 6-9. Premier pillage du Temple par Florus. Fermentation à Jérusalem. Florus livre la ville à la soldatesque.

1[168]. Festus, que ce prince institua ensuite

procurateur, poursuivit les principaux auteurs de la ruine du pays : il prit un très grand nombre de brigands et en fit périr beaucoup. Son successeur, Albinus[169],

suivit malheureusement une autre méthode, et il n'y a pas un genre de scélératesse qu'il n'ait pratiqué. Non seulement au cours de son administration il vola et pilla les biens des particuliers, accabla de contributions extraordinaires toute la nation, mais il s'avisa de rendre à leurs parents, moyennant rançon, ceux qui avaient été mis en prison pour crime de brigandage par les Conseils locaux ou par les précédents procurateurs ; et nul n'était criminel que celui qui n'avait rien à donner. Alors aussi s'affermit à Jérusalem l'audace de ceux qui aspiraient à une révolution : les plus puissants, à prix d'argent, se concilièrent Albinus et s'assurèrent la liberté de la sédition ; dans le peuple, quiconque était dégoûté de la paix penchait vers les complices d'Albinus. Chaque malfaiteur, groupant autour de lui une troupe particulière, prenait sur cette cohorte l'autorité d'un chef de brigands ou d'un tyran, et employait ses satellites au pillage des gens ou bien. On voyait les victimes de ces excès se taire au lieu de s'en indigner, et les citoyens encore indemnes, par peur des mêmes maux, flatter des misérables dignes du supplice. En résumé, plus de franc parler nulle part, partout des tyranneaux, et déjà les germes de la catastrophe future répandus dans la cité.

 

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2[170]. Tel était Albinus, et cependant son successeur, Gessius Florus[171], le fit paraître, par comparaison, fort

homme de bien : le premier avait accompli la plupart de ses méfaits en secret, avec dissimulation ; Gessius, au contraire, se glorifia des injustices dont il accabla la nation, et, comme s'il eût été un bourreau envoyé pour châtier des condamnés, ne s'abstint d'aucune forme de brigandage ou de violence. Eût-il fallu montrer de la pitié, c'était le plus cruel des hommes ; de la pudeur, c'était le plus éhonté. Nul ne répandit sur la vérité plus de mensonges, nul n'inventa pour le crime chemins plus tortueux. Dédaignant de s'enrichir aux dépens de simples particuliers, il dépouillait des villes, détruisait des peuples entiers ; peu s'en fallut qu'il ne fît proclamer par le héraut dans toute la contrée le droit pour tous d'exercer le brigandage, à condition de lui abandonner une part du butin. Son avidité fit le vide dans tous les districts : tant il y eut de Juifs qui, renonçant aux coutumes de leurs ancêtres, émigrèrent dans des provinces étrangères.

3. Tant que Cestius Gallus, gouverneur de Syrie, resta dans sa province, nul n’osa même députer auprès de lui pour se plaindre de Florus. Mais un jour qu'il se rendait à Jérusalem – c’était l'époque de la fête des azymes[172] -

le peuple se pressa autour de lui et une foule qui n'était pas inférieure à trois millions d'âmes[173] le supplia de

prendre en pitié les malheurs de la nation, proférant de grands cris contre celui qu'ils appelaient la peste du pays. Florus, présent, et se tenant auprès de Cestius, accueillit ces plaintes avec des railleries. Alors, Cestius arrêta l'impétuosité de la multitude et lui donna l'assurance qu'à l’avenir il saurait imposer à Florus plus de modération, puis il retourna a Antioche. Florus l'accompagna jusqu’à Césarée, en continuant à le tromper : déjà il méditait une guerre contre la nation, seul moyen à son avis de jeter un voile sur ses iniquités ; car si la paix durait, il jugeait bien que les Juifs l'accuseraient devant César ; il espérait, au contraire, en les excitant à la révolte, étouffer sous un si grand méfait l'examen de crimes moins graves. Tous les jours donc, afin de pousser la nation à bout, il renforçait son oppression.

 

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  1. Sur ces entrefaites, les Grecs de Césarée avaient gagné leur cause auprès de Néron et obtenu de lui le gouvernement de cette cité ils l'apportèrent le texte de la décision impériale et ce fut alors que la guerre prit naissance, la douzième année du principat de Néron, la dix-septième du règne d'Agrippa, au mois d’Artémisios[174]. L'incident qui en devint le prétexte ne

répondait pas à la grandeur des maux qui en sortirent. Les Juifs de Césarée, qui tenaient leur synagogue près d'un terrain appartenant à un Grec de cette ville, avaient essayé à maintes reprises de l'acheter, offrant un prix bien supérieur à sa valeur véritable : le propriétaire dédaignait leurs instances et même, pour leur faire pièce, se mit à bâtir sur son terrain et à y aménager des boutiques, de manière à ne leur laisser qu'un passage étroit et tout a fait incommode. Là-dessus, quelques jeunes Juifs, à la tète chaude, commencèrent à tomber sur ses ouvriers et s'opposèrent aux travaux. Florus ayant réprimé leurs violences, les notables Juifs, et parmi eux Jean le publicain, à bout d'expédients, offrirent à Florus huit talents d'argent pour qu'il fit cesser le travail en question. Le procurateur promit tout son concours moyennant finance : mais, une fois nanti, il quitta précipitamment Césarée pour Sébaste, laissant le champ libre à la sédition, comme s'il n'avait vendu aux Juifs que le droit de se battre.

  1. Le lendemain, jour de sabbat, comme les Juifs se rassemblaient à la synagogue, un factieux de Césarée installa une marmite renversée à côté de l'entrée et se mit à sacrifier des volailles sur cet autel improvisé. Ce spectacle acheva d'exaspérer la colère des Juifs, qui voyaient là un outrage envers leurs lois, une souillure d'un lieu sacré[175]. Les gens modérés et paisibles se

bornaient à conseiller un recours auprès des autorités ; mais les séditieux et ceux qu'échauffait la jeunesse brûlaient de combattre. D'autre part, les factieux du parti Césaréen se tenaient là, équipés pour la lutte, car c'était de propos délibéré qu'ils avaient envoyé ce provocateur. Aussitôt on en vint aux mains. Vainement le préfet de la cavalerie, Jucundus, chargé d'intervenir,

 

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accourt, enlève la marmite et tâche de calmer les

esprits : les Grecs, plus forts, le repoussèrent ; alors les Juifs, emportant leurs livres de lois, se retirèrent à Narbata, village juif situé à 60 stades de Césarée. Quant aux notables, au nombre de douze, Jean à leur tête, ils se rendirent à Sébasté, auprès de Florus, se lamentèrent sur ces évènements et invoquèrent le secours du procurateur, lui rappelant avec discrétion l'affaire des huit talents. Là-dessus Florus les fit empoigner et mettre aux fers, sous l'accusation d'avoir emporté de Césarée leurs livres de lois.

  1. A ces nouvelles, les gens de Jérusalem s'indignèrent, tout en se contenant encore. Mais Florus, comme s'il avait pris à tâche d'attiser l'incendie, envoya prendre dans le trésor sacré dix-sept talents, prétextant le service de l'empereur[176]. Là-dessus le peuple s'ameute, court

au Temple et, avec des cris perçants, invoque le nom de César, le supplie de les délivrer de la tyrannie de Florus. Quelques-uns des factieux lançaient contre ce dernier les invectives les plus grossières et, faisant circuler une corbeille, demandaient l'aumône pour lui comme pour un pauvre malheureux. Florus ne démordit pas pour cela de son avarice, mais ne trouva là, dans sa colère, qu'un prétexte de plus à battre monnaie. Au lieu, comme il aurait fallu, de se rendre à Césarée pour éteindre le feu de la guerre qui y avait pris naissance et déraciner la cause les désordres, tâche pour laquelle il avait été payé, il marcha avec une armée[177] de cavaliers et de

fantassins contre Jérusalem, pour faire prévaloir sa volonté avec les armes des Romains et envelopper la ville de terreur et de menaces.

  1. Le peuple, espérant conjurer son attaque, se rendit au-devant de la troupe avec de bons souhaits et se prépara à recevoir Florus avec déférence. Mais celui-ci envoya en avant le centurion Capiton avec cinquante cavaliers[178]

et ordonna aux Juifs de se retirer, en leur défendant de feindre une cordialité mensongère pour celui qu'ils avaient si honteusement injurié ; s'ils ont des sentiments nobles et francs, disaient-ils, ils doivent le railler même en sa présence et montrer leur amour de la liberté non

 

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seulement en paroles, mais encore les armes à la main. Épouvantée par ce message et par la charge des cavaliers de Capiton, qui parcouraient ses rangs, la foule se dissipa, avant d'avoir pu saluer Florus, ni témoigner son obéissance aux soldats. Rentrés dans leurs demeures, les Juifs passèrent la nuit dans la crainte et l'humiliation.

  1. Florus prit son quartier au palais royal ; le lendemain, il fit dresser devant cet édifice un tribunal où il prit place ; les grands prêtres, les nobles et les plus notables citoyens se présentèrent au pied de l'estrade. Florus leur ordonna de lui remettre ses insulteurs, ajoutant qu'ils ressentiraient sa vengeance s'ils ne lui livraient pas les coupables. Les notables protestèrent alors des sentiments très pacifiques du peuple et implorèrent le pardon de ceux qui avaient mal parlé de Florus. Il ne fallait pas s'étonner, disaient-ils, si dans une si grande multitude il se rencontrait quelques esprits téméraires ou inconsidérés par trop de jeunesse ; quant à discerner les coupables, c'était impossible, car chacun maintenant se repentait et par crainte nierait sa faute. Il devait donc, lui, s'il avait souci de la paix de la nation, s'il voulait conserver la ville aux Romains, pardonner à quelques coupables en faveur d'un grand nombre d'innocents, plutôt que d'aller, à cause d'une poignée de méchants, jeter le trouble dans tout un peuple animé de bonnes intentions.
  2. Ce discours ne fit qu'irriter davantage Florus. Il cria aux soldats de piller l'agora dite « marché d'en haut »[179], et de tuer ceux qu'ils rencontreraient. Les

soldats, à la fois avides de butin et respectueux de l'ordre de leur chef, ne se bornèrent pas à ravager le marché : ils se précipitèrent dans toutes les maisons et en égorgèrent les habitants. C'était une débandade générale à travers les ruelles, le massacre de ceux qui se laissaient prendre, bref toutes les variétés du

brigandage ; beaucoup de citoyens paisibles furent arrêtés et menés devant Florus, qui les fit déchirer de verges et mettre en croix. Le total de tous ceux qui furent tues en ce jour, y compris les femmes et les enfants, car l'enfance même ne trouvait pas grâce, s'éleva à environ

 

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trois mille six cents[180]. Ce qui aggrava le malheur des

Juifs, ce fut le caractère inouï de la cruauté des Romains. Florus osa ce que nul avant lui n'avait fait : il fit fouetter devant son tribunal et clouer sur la croix des hommes de rang équestre, qui, fussent-ils Juifs de naissance, étaient revêtus d'une dignité romaine.

1. Intervention de Bérénice. – 2-5. Deuil du peuple. Florus amène deux cohortes de Césarée ; nouvelle collision. – 6. destruction des portiques contigu à l’Antonia. Florus évacue Jérusalem.

  1. A ce moment, le roi Agrippa était parti pour Alexandrie, où il allait féliciter Alexandre[181], que

Néron, l'honorant de sa confiance, avait envoyé gouverner l'Égypte. Sa sœur Bérénice, qui se trouvait à Jérusalem, voyait avec une vive douleur les excès féroces des soldats : à plusieurs reprises elle envoya les commandants de sa cavalerie et ses gardes du corps à, Florus pour le prier d'arrêter le carnage. Celui-ci, ne considérant ni le nombre des morts ni la haute naissance de la suppliante, mais seulement les profits qu'il tirait du pillage, resta sourd aux instances de la reine. Bien plus, la rage des soldats se déchaîna même contre elle : non seulement ils outragèrent et tuèrent sous ses yeux leurs captifs, mais ils l'auraient immolée elle-même si elle ne s'était hâtée de se réfugier dans le palais royal[182] ; elle y passa la nuit, entourée de

gardes, craignant quelque agression des soldats. Elle était venue à Jérusalem pour accomplir un vœu fait à Dieu : car c’est une coutume pour ceux qui souffrent d'une maladie ou de quelque autre affliction de faire vœu de s'abstenir de vin et de se raser la tête pendant les trente jours précédant celui où ils doivent offrir des sacrifices[183]. Bérénice accomplissait alors ces rites, et

de plus, se tenant nu-pieds devant le tribunal, elle suppliait Florus, sans obtenir de lui aucun égard, et même au péril de sa vie.

  1. Tels furent les événements qui se passèrent le 16 du

 

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mois Artémisios[184], le lendemain, la multitude, en

proie à une vive douleur, se répandit dans l'agora d'en haut, poussant des lamentations terribles sur les morts, et encore plus des cris de haine contre Florus. A cette vue, les notables et les grands prêtres, pris de terreur, déchirèrent leurs vêtements, et, tombant aux pieds des perturbateurs, les supplièrent individuellement de se taire et de ne pas exciter Florus, après tant de maux, à quelque nouvelle et irréparable violence. La multitude obéit aussitôt, à la fois par respect pour les suppliants et dans l'espoir que Florus mettrait un terme à ses iniquités.

  1. Or, quand le tumulte fut calmé, Florus s'inquiéta : préoccupé de rallumer l'incendie, il manda les grands prêtres et l'élite des Juifs, et leur dit que le peuple avait un seul moyen de prouver qu'il était rentré dans l'obéissance : c'était de s'avancer à la rencontre des troupes - deux cohortes - qui montaient de Césarée. Pendant que les notables convoquaient à cet effet la multitude, Florus se dépêcha d'envoyer dire aux centurions des cohortes qu’ils instruisissent leurs soldats à ne pas rendre le salut des Juifs et, au premier mot proféré contre lui, à faire usage de leurs armes. Cependant les grands prêtres, ayant réuni la foule au Temple, l'exhortèrent à se rendre au devant des Romains et à prévenir un irrémédiable désastre en faisant bon accueil aux cohortes. Les factieux ne voulaient d'abord rien entendre, et le peuple, ému par le souvenir des morts, penchait vers l'opinion des plus audacieux.
  2. Alors tous les prêtres, tous les ministres de Dieu, portant en procession les vases sacrés et revêtus des ornements d'usage pour la célébration du culte, les citharistes et les chanteurs d'hymnes, avec leurs instruments, tombèrent à genoux et adjurèrent le peuple de préserver ces ornements sacrés et de ne pas exciter les Romains à, piller le trésor de Dieu. On pouvait voir les grands prêtres se couvrir la tète de poussière, déchirer leurs vêtements, mettre à nu leur poitrine. Ils appelaient par leur nom chacun des notables en particulier et suppliaient la multitude tout entière d'éviter la moindre faute qui pourrait livrer la patrie à

 

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qui brûlait de la saccager. « Et après tout, de quel profit seront à la troupe les salutations des Juifs ? Quel remède à leurs souffrances passées leur apporterait le refus d'aller au-devant des cohortes ? Si, au contraire, ils accueillent les arrivants avec leur courtoisie accoutumée, ils ôteront à Florus tout prétexte de guerre, ils conserveront leur patrie et conjureront de nouvelles épreuves. Et puis, enfin, quelle faiblesse que de prêter l'oreille à une poignée de factieux quand ils devraient, au contraire, eux qui forment un peuple si nombreux, contraindre même les violents à suivre avec eux la voie de la sagesse ! »

5. Par ce discours ils réussirent à calmer la multitude ; en même temps ils continrent les factieux, les uns par la menace, les autres en les rappelant au respect. Alors, prenant la conduite du peuple, ils avancèrent d'une allure tranquille et bien réglée au-devant des soldats, et, quand ceux-ci furent proches, les saluèrent. Comme la troupe ne répondait pas, les séditieux proférèrent des invectives contre Florus. C'était là le signal attendu pour tomber sur les Juifs. Aussitôt, la troupe les enveloppe, les frappe à coups de bâtons, et, dans leur fuite, la cavalerie les poursuit et les foule aux pieds des chevaux. Beaucoup tombèrent, assommés par les Romains, un plus grand nombre en se bousculant les uns les autres. Autour des portes, ce fut une terrible poussée : chacun voulant passer le premier, la fuite de tous était retardée d'autant ; ceux qui se laissaient choir périssaient misérablement ; étouffés et rompus par la cohue, ils s'effondraient, et leurs corps furent défigurés au point que leurs proches ne pouvaient les reconnaître pour leur donner la sépulture. Les soldats pénétraient avec les fuyards, frappant sans pitié quiconque leur tombait entre les mains. Ils refoulèrent ainsi la multitude par le quartier de Bézétha[185] pour se frayer de force un

passage et occuper le Temple ainsi que la citadelle Antonia[186].

Florus qui visait le même but, fit sortir du palais son propre détachement pour gagner la citadelle. Mais il échoua dans cette tentative : une partie du peuple, s'opposant de front à sa marche, l'arrêta, tandis que d'autres, se répartissant sur les toits, accablaient les

 

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Romains à coups de pierres. Maltraités par les traits qui tombaient d'en haut, incapables de percer les masses qui obstruaient les rues étroites, les soldats battirent en retraite vers leur camp, situé près du palais.

6. Cependant les factieux, craignant que Florus, revenant à la charge, ne s'emparât du Temple en s'appuyant sur l'Antonia, montèrent aussitôt sur les portiques qui établissaient la communication du Temple avec cette citadelle et les coupèrent[187]. Cette

manœuvres refroidit la cupidité de Florus : c'était par convoitise des trésors de Dieu qu'il avait cherché à, parvenir jusqu'à l'Antonia ; dès qu'il vit les portiques détruits, il arrêta son élan, manda les grands prêtres et tes Conseillers, et déclara son intention de sortir lui-même de ta ville en leur laissant la garnison qu'ils voudraient. Ceux-ci s'engagèrent formellement à maintenir l'ordre et à empêcher toute révolution pourvu qu'il leur laissât une seule cohorte, mais non pas celle qui avait combattu[188], car le peuple l'avait prise en

haine pour en avoir été tant maltraité. En conséquence, il changea la cohorte selon leur désir, et, avec le reste de ses forces, reprit le chemin de Césarée.

1-2. Enquête de Neapolitanus à Jérusalem. – 3-5. Grand discours d’Agrippa aux Juifs pour les dissuader de la guerre.

1. Cependant Florus fournit un nouvel aliment au conflit en faisant à Cestius un rapport mensonger sur la défection des Juifs ; il attribuait à ceux-ci le commencement des hostilités et mettait sur leur compte les violences qu'ils avaient en réalité souffertes. D'autre part, les magistrats de Jérusalem ne gardèrent pas le silence : ils écrivirent, ainsi que Bérénice, à Cestius pour lui apprendre quelles iniquités Florus avait commises contre la cité. Cestius, ayant pris connaissance des lettres des deux partis, en délibéra avec ses lieutenants. Ceux-ci étaient d'avis que Cestius montent lui-même vers Jérusalem avec son armée, soit pour punir la

 

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défection, si elle était réelle, soit pour raffermir la fidélité des Juifs, s'ils étaient restés dans le parti de Rome ; mais le gouverneur préféra envoyer d'abord un de ses amis pour faire une enquête sur les événements et lui rapporter fidèlement tes dispositions d'esprit des Juifs. Il choisit pour cette mission le tribun Neapolitanus[189]

qui rencontra à Jamnée Agrippa[190] revenant

d'Alexandrie, et lui fit connaître de qui il tenait sa mission et quel en était l'objet.

2. Les grands-prêtres des Juifs, les notables et le Conseil s'étaient également rendus dans cette ville pour saluer le roi. Après lui avoir présenté leurs hommages, ils se lamentèrent sur leurs propres malheurs et peignirent la cruauté de Florus. A ce récit, Agrippa s'indigna, mais en bon diplomate il tourna sa colère contre les Juifs, qu'il plaignait au fond du cœur ; il voulait ainsi humilier leur fierté et, en feignant de ne pas croire à leurs griefs, les détourner de la vengeance. Ces Juifs, qui représentaient une élite et qui, en leur qualité de riches, désiraient la paix, comprirent la bienveillance contenue dans la réprimande du roi. Mais le peuple de Jérusalem s'avança à une distance de soixante stades au-devant d'Agrippa et de Neapolitanus pour les recevoir ; les femmes des Juifs massacrés couraient en avant et poussaient des cris perçants ; à leurs gémissements, le peuple répondait par des lamentations, suppliait Agrippa de le secourir, criait à Neapolitanus les souffrances que Florus leur avait infligées. Entrés dans la ville, les Juifs leur montrèrent l'agora déserte et les maisons ravagées. Ensuite, par l'entremise d'Agrippa, ils persuadèrent Neapolitanus de faire le tour de la ville accompagné d'un seul serviteur, jusqu'à Siloé[191], pour se rendre compte que les Juifs

obéissaient volontiers à tous les Romains, mais qu'ils haïssaient le seul Florus pour l'excès de ses cruautés envers eux. Quand le tribun eut fait sa tournée et fut suffisamment édifié sur leur esprit de soumission, il monta au Temple. Il y convoqua la multitude des Juifs, les félicita chaudement de leur fidélité envers les Romains, les encouragea avec insistance à maintenir la paix, et, après avoir fait ses dévotions à Dieu dans le rayon permis[192], s'en retourna auprès de Cestius.

 

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  1. Alors la multitude, se retournant vers le roi et les grands prêtres, les adjura d'envoyer à Néron des députés pour accuser Florus, et de ne pas faire le silence autour d'un massacre aussi affreux, qui laisserait planer sur les Juifs le soupçon de révolte ils passe-raient pour avoir commencé les hostilités à moins que, prenant les devants, ils n'en dénonçassent le premier auteur. Il était clair qu'ils ne se tiendraient pas en repos, si l'on s'opposait à l'envoi de cette ambassade. Agrippa voyait des inconvénients à élire des accusateurs contre Florus, mais il sentait aussi pour lui le danger de fermer les yeux sur la tourmente qui entraînait les Juifs vers la guerre. Il convoqua donc la multitude au Xyste et se plaça bien en vue avec sa sœur Bérénice sur le toit du palais des Asmonéens : ce palais s'élevait au-dessus du Xyste et sa façade regardait les terrains qui font vis-à-vis à la ville haute ; un pont reliait le Xyste au Temple[193].

Là, Agrippa prononça le discours suivant[194].

  1. « Si je vous avais vus tous résolus à la guerre contre les Romains, sans que la partie la plus honnête et la plus scrupuleuse de votre nation se prononçât pour la paix, je ne me serais pas présenté devant vous et je n’aurais pas osé vous adresser des conseils ; car il est inutile de plaider en faveur du bon parti quand il y a, chez les auditeurs, unanimité pour le plus mauvais. Mais puisque ce qui vous entraîne c'est, les uns, un âge qui n'a pas encore l'expérience des maux de la guerre, les autres, une espérance irréfléchie de liberté, quelques-uns enfin la cupidité et le désir d'exploiter les plus faibles à la faveur d'un bouleversement général, j'ai pensé, afin de ramener les égarés à la raison, afin d'épargner aux gens de bien les conséquences de la faute de quelques téméraires, j'ai pensé qu'il était de mon devoir de vous réunir tous pour vous dire ce que je crois utile à vos intérêts. Que personne ne proteste bruyamment, s'il entend des paroles qui ne lui paraissent pas agréables : ceux qui sont irrévocablement décidés à la rébellion sont libres, après mon exhortation, de persister dans leurs sentiments ; et d'autre part, mes paroles seraient perdues même pour ceux qui veulent les écouter, si, tous, vous ne faisiez pas silence.

 

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« Je sais que beaucoup présentent sur le ton tragique les violences des procurateurs et le panégyrique de la liberté quant à moi, je veux, avant d'examiner qui vous êtes et contre qui vous engagez la lutte, prendre séparément les prétextes qu'on a confondus. Car si votre objet est de vous venger de l'injustice, à quoi bon exalter la liberté ? Si, au contraire, c'est la servitude que vous trouvez insupportable, le réquisitoire contre les gouverneurs devient superflu : fussent-ils les plus justes du monde, la servitude n'en serait pas moins honteuse.

« Considérez donc, en prenant chaque argument à part, combien sont faibles vos raisons de faire la guerre ; et d'abord, voyons vos griefs contre les procurateurs. Il faut adoucir la puissance en la flattant, non l'irriter ; quand vous vous élevez avec violence contre de petits manquements, c'est à vos dépens que vous dénoncez les coupables : au lieu de vous maltraiter, comme auparavant, en secret, avec quelque honte, c'est à découvert qu'ils vous persécuteront. Rien n'arrête si bien les coups que de les supporter, et la patience des victimes tourne à la confusion des bourreaux. Mais j'admets que les ministres de la puissance romaine soient d'une dureté intolérable ; on ne doit pas en conclure que tous les Romains soient injustes envers vous, non plus que César : or, c'est contre eux tous, c'est contre lui que vous entreprenez la guerre ! Ce n'est point sur leur ordre que vous vient de là-bas un oppresseur, et ils ne peuvent voir de l'occident ce qui se passe en

orient ; même il n'est pas facile de se renseigner là-bas sur les événements d'ici. Il est donc insensé, à cause d'un seul, d'entrer en lutte contre tout un peuple, de s'insurger, pour des griefs insignifiants, contre une telle puissance, sans qu'elle sache seulement le sujet de vos plaintes. D'autant que la fin de vos maux ne se fera guère attendre : le même procurateur ne reste pas toujours en fonctions, et il est vraisemblable que les successeurs de celui-ci seront plus modérés, en revanche, la guerre une fois engagée, vous ne sauriez ni l'interrompre ni la supporter sans vous exposer à tous les maux.

« J'arrive à votre passion actuelle de la liberté : je dis qu'elle ne vient pas à son heure. C'est autrefois que vous deviez lutter pour ne pas perdre vos franchises, car subir

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

la servitude est pénible, et rien n'est plus juste que de combattre pour l'éviter. Mais après qu'on a une fois reçu le joug, tâcher ensuite de le secouer, c'est agir en esclave indocile, non en amant de la liberté. Il fut un jour où vous deviez tout entreprendre pour repousser les Romains : c'est quand Pompée envahit notre contrée. Mais nos ancêtres et leurs rois, qui nous étaient bien supérieurs par la richesse, la vigueur du corps et celle de l’âme, n'ont pu résister alors à une petite fraction de la puissance romaine ; et vous, assujettis de pères en fils, vous, inférieurs en ressources à ceux qui obéirent les premiers, vous braveriez l'empire romain tout entier ! « Voyez les Athéniens, ces hommes qui, pour maintenir la liberté des Grecs, livrèrent jadis leur ville aux

flammes ; devant eux l'orgueilleux Xerxès, qu'on avait vu naviguer les continents et chevaucher les flots[195],

Xerxès pour qui les mers étaient trop étroites, qui conduisait une armée débordant l'Europe, Xerxès finit par s'enfuir comme un esclave évadé sur un seul esquif. Eh bien, ces hommes, qui, près de la petite Salamine ont brisé cette immense Asie, aujourd'hui ils obéissent aux Romains, et les ordres venus d'Italie régissent la cité qui fut la reine de la Grèce. Voyez les Lacédémoniens : après les Thermopyles et Platées, après Agésilas qui poussa une reconnaissance à, travers l'Asie, les voilà satisfaits d'obéir aux mêmes maîtres. Voyez les Macédoniens, qui ont encore présents à l'esprit Philippe et Alexandre, et l'empire du monde palpitant devant eux, ils supportent cependant un si grand changement et révèrent ceux à qui la fortune a passé. Mille autres nations, le cœur gonflé de l'amour de la liberté, ont plié. Et vous seuls jugeriez intolérable de servir ceux à qui tout est asservi ! « Et dans quelles forces, dans quelles armes placerez-vous votre confiance ? Où est la flotte qui s'emparera des mers que domine Rome ? où sont les trésors qui subviendront aux dépenses de vos campagnes ? Croyez-vous donc partir en guerre contre des Égyptiens ou des Arabes ? Ne vous faites-vous pas une idée de la puissance de Rome ? Ne mesurez-vous pas votre propre faiblesse ? N'est-il pas vrai que vos armes ont été souvent vaincues même par les nations voisines, tandis que les leurs n'ont jamais subi d'échec dans le monde connu tout entier ? Que dis-je ? ce monde même n'a pas

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

suffi à leur ambition : c'était peu d'avoir pour frontières tout le cours de l'Euphrate à l'orient, l'Ister au nord, au midi la Libye explorée jusqu'aux déserts, Gadès à l'occident ; voici que, au delà de l'océan, ils ont cherché un nouveau monde et porté leurs armes jusque chez les Bretons auparavant inconnus. Parlez : êtes-vous plus riches que les Gaulois, plus forts que les Germains, plus intelligents que les Grecs, plus nombreux que tous les peuples du monde ? Quel motif de confiance vous soulève contre les Romains ?

« Il est dur de servir, direz-vous. Combien plus dur pour les Grecs qui, supérieurs en noblesse à toutes les nations qu'éclaire le soleil, les Grecs qui, établis sur un si vaste territoire, obéissent à six faisceaux d'un magistrat romain[196] ! Il n'en faut pas davantage pour

contenir les Macédoniens, qui, à plus juste titre que vous, pourraient revendiquer leur liberté. Et les cinq cents villes d'Asie[197] ? Ne les voit-on pas, sans

garnison, courbées devant un seul gouverneur et les faisceaux consulaires ? Parlerai-je des Hénioques, des Colques, de la race des Tauriens, des gens du Bosphore, des riverains du Pont-Euxin et du lac Méotide ? Ces peuples, qui jadis ne connaissaient pas même un maître indigène, obéissent maintenant à 3,000 fantassins ; 40 vaisseaux longs suffisent à faire régner la paix sur une mer naguère inhospitalière et farouche[198]. Quels

tributs payent, sans la contrainte des armes, la Bithynie, la Cappadoce, la nation Pamphylienne, les Lyciens, les Ciliciens, qui pourtant auraient des titres de liberté à faire valoir ? Et les Thraces, qui occupent un pays large de cinq jours de marche et long de sept, plus rude et beaucoup plus fort que le vôtre, où la seule rigueur des glaces arrête un envahisseur, les Thraces n'obéissent-ils pas à une armée de 2,000 Romains[199] ? Les Illyriens,

leurs voisins, qui occupent la région comprise entre la Dalmatie et l'Ister, ne sont-ils pas tenus en bride par deux légions romaines, avec lesquelles eux-mêmes repoussent les incursions des Daces[200] ? Les

Dalmates aussi, qui tant de fois ont secoué leur crinière, qui, toujours vaincus, ont tant de fois ramassé leurs forces pour se rebeller encore, ne vivent-ils pas en paix sous la garde d'une seule légion[201] ? Certes, s'il est un

 

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peuple que des raisons puissantes dussent porter à la révolte, ce sont les Gaulois que la nature a si bien fortifiés, à l'orient par les Alpes, au nord, par le fleuve Rhin, au midi par les monts Pyrénées, du côté du couchant par l'océan. Cependant, quoique ceintes de si fortes barrières, quoique remplies de 305 nations[202],

les Gaules, qui ont pour ainsi dire en elles-mêmes les sources de leur richesse et font rejaillir leurs productions sur le monde presque entier, les Gaules supportent d'être devenues la vache à lait des Romains et laissent gérer par eux leur fortune opulente. Et si les Gaulois supportent ce joug, ce n’est point par manque de cœur ou par bassesse, eux qui pendant quatre-vingts ans[203] ont lutté pour leur indépendance, mais ils se

sont inclinés, étonnés à la fois par la puissance de Rome et par sa fortune, qui lui a valu plus de triomphes que ses armes mêmes. Voilà pourquoi ils obéissent à douze cents soldats[204], eux qui pourraient leur opposer

presque autant de villes[205] ! Quant aux Ibères, ni l'or

que produit leur sol, ni l'étendue de terres et de mers qui les sépare des Romains, ni les tribus des Lusitaniens et des Cantabres, ivres de guerre. ni l'océan voisin dont le reflux épouvante les habitants eux-mêmes, rien de tout cela n'a suffi dans leur guerre pour l'indépendance : les Romains, étendant leurs armes au delà des colonnes d’Hercule, franchissant à travers les nuées les monts Pyrénées, les ont réduits, eux aussi, en servitude : ces peuples si belliqueux, si lointains, une seule légion suffit à les garder[206] ! Qui de vous n'a entendu parler de la

multitude des Germains ? assurément vous avez pu juger souvent de la vigueur et de la grandeur de leurs corps, puisque partout les Romains traînent des captifs de ce pays. Ces peuples habitent une contrée immense, ils ont le cœur encore plus haut que la stature, une âme dédaigneuse de la mort, des colères plus terribles que celles des bêtes les plus sauvages, eh bien, le Rhin oppose une barrière à leur impétuosité : domptés par huit légions romaines[207], les uns réduits en captivité,

servent comme esclaves, et le reste de la nation a trouvé son salut dans la fuite. Regardez encore comment étaient fortifiés les Bretons, vous qui mettez votre confiance dans les fortifications de Jérusalem : l'océan

 

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les entoure, ils habitent une île qui n'est pas inférieure en étendue à notre continent habité tout entier[208] ;

pourtant les Romains, traversant la mer, les ont asservis ; quatre légions[209] contiennent cette île si

vaste. Mais pourquoi insister, quand les Parthes eux-mêmes, cette race si guerrière, souveraine de tant de nations, pourvue de forces si nombreuses, envoie des otages aux Romains[210], et qu'on peut voir en Italie la

noblesse de l'orient, sous prétexte de paix, languir dans les fers ?

« Ainsi, lorsque presque tous les peuples éclairés par le soleil s'agenouillent devant les armes des Romains, serez-vous les seuls à les braver, sans considérer comment ont fini les Carthaginois, qui, fiers du grand Annibal et de la noblesse de leur origine Phénicienne, sont tombés sous la droite de Scipion ? Ni les Cyréniens, fils de Lacédémone, ni les Marmarides, race qui s'étend jusqu'aux régions de la soif, ni le rivage des Syrtes, dont le nom soul fait frémir, ni les Nasamons, ni les Maures, ni l'innombrable multitude des Numides n'ont ébranlé la valeur romaine. Cette troisième partie du monde habité, dont il n'est pas facile même de compter les peuplades, qui, bordée par l'océan Atlantique et les colonnes d'Hercule, nourrit jusqu'à la mer Rouge les Éthiopiens sans nombre, ils l'ont soumise tout entière, et ces peuples, outre leurs productions annuelles, qui alimentent pendant huit mois la plèbe de Rome, paient encore par surcroît d'autres tributs variés et versent sans balancer leurs revenus au service de l'Empire, loin de voir, comme vous, un outrage dans les ordres qu'ils reçoivent, alors qu'une seule légion séjourne parmi eux[211].

« Mais pourquoi chercher si loin les preuves de la puissance romaine, quand je puis les prendre à vos portes mêmes, en Égypte ? Cette terre, qui s'étend jusqu'au pays des Éthiopiens et à l'Arabie heureuse, qui confine à l'Inde, qui contient sept millions cinq cent mille habitants[212], sans compter la population d'Alexandrie,

comme on peut le conjecturer d'après les registres de la capitation, cette terre subit sans honte la domination romaine ; et pourtant, quel merveilleux foyer d'insurrection elle trouverait dans Alexandrie, si peuplée, si riche, si vaste ! Car la longueur de cette ville n'est pas

 

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moindre de trente stades, sa largeur de dix[213] ; le

tribut qu'elle fournit aux Romains surpasse celui que vous payez dans l'année ; outre l'argent, elle envoie à Rome du blé pour quatre mois[214], et de toutes parts

elle est défendue par des solitudes infranchissables, des mers dépourvues de ports, des fleuves et des marais. Mais rien de tout cela n'a prévalu contre la fortune de Rome : deux légions[215], établies dans cette cité,

tiennent en bride la profonde Égypte et l'orgueil de race des Macédoniens.

« Quels alliés espérez-vous donc pour cette guerre ? Les tirerez-vous des contrées inhabitables ? car sur la terre habitable, tout est romain, à moins que nos espérances ne se portent au delà de l'Euphrate et que vous ne

comptiez obtenir des secours des Adiabéniens, qui sont de votre race[216] ; mais ils ne s'engageront pas dans

une si grande guerre pour de vains motifs, et s'ils méditaient pareille folie, le Parthe ne le leur permettrait pas ; car il veille à maintenir la trêve conclue avec Rome, et il croirait violer les traités s'il laissait un de ses tributaires marcher contre les Romains.

« Il ne vous reste donc d'autre refuge que la protection de Dieu. Mais ce secours encore, Rome peut y compter, car sans lui, comment un si vaste empire eut-il pu se fonder ? Considérez de plus combien les prescriptions de votre culte sont difficiles à observer dans leur pureté, même si vous luttiez contre des troupes peu redoutables : contraints à transgresser les principes où réside votre principal espoir en l'aide de Dieu, vous le détournerez de vous. Si vous observez le sabbat et refusez ce jour-là tout travail, vous serez facilement vaincus, comme le furent vos ancêtres, quand Pompée pressait le siège, les jours mêmes où les assiégés restaient dans l'inaction[217] ; si au contraire, vous

violez dans la guerre la loi de vos ancêtres, je ne vois plus alors quel sens aurait la lutte, puisque tout votre souci, c'est de ne rien changer aux institutions de vos pères. Comment donc invoquerez-vous Dieu pour votre défense, si vous manquez volontairement au culte que vous lui devez ?

« Tous ceux qui entreprennent une guerre mettent leur confiance soit dans le secours de Dieu, soit dans celui

 

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des hommes ; dés lors, quand suivant toute vraisemblance l'un et l'autre leur manquera, ils vont au-devant d'une ruine certaine. Qu'est-ce donc qui vous empêche de faire périr plutôt de vos propres mains vos enfants et vos femmes et de livrer aux flammes votre magnifique patrie ? Démence, direz-vous : mais du moins vous vous épargnerez ainsi la honte de la défaite. Il est beau, mes amis, il est beau, tandis que la barque est encore au mouillage, de prévoir l'orage futur, afin de ne pas être emporté du port au milieu des tempêtes ; à ceux qui succombent à des désastres imprévus, il reste l'aumône de la pitié : mais courir à une perte manifeste, c'est mériter par surcroît l'opprobre.

« Car n'allez pas penser que la guerre se fera selon des conditions particulières et que les Romains vainqueurs vous traiteront avec douceur ; bien plutôt, pour vous faire servir d'exemple aux autres nations, ils incendieront la ville sainte et détruiront toute votre race. Même les survivants ne trouveront aucun refuge, puisque tous les peuples ont pour maîtres les Romains, ou craignent de les avoir. Au reste, le danger menace non seulement les Juifs d'ici, mais encore ceux qui habitent les villes étrangères, et il n'y a pas au monde un seul peuple qui ne contienne une parcelle du notre[218].

Tous ceux-là, si vous faites la guerre, leurs ennemis les égorgeront, et la folie d'une poignée d'hommes remplira toutes les villes du carnage des Juifs. Ce massacre trouverait une excuse ; que si par hasard il ne s'accomplissait pas, pensez quel crime de porter les armes contre des hommes si pleins d'humanité ! Prenez donc pitié, sinon de vos enfants et de vos femmes, du moins de cette capitale et de ces saints parvis. Épargnez le Temple, préservez pour vous-mêmes le sanctuaire avec ses vases sacrés : car les Romains, vainqueurs, n'épargneront plus rien, voyant que leurs ménagements passés ne leur ont valu que l'ingratitude. Pour moi, je prends à témoin les choses saintes que vous possédez, les sacrés messagers de Dieu et notre commune patrie, que je n'ai rien négligé de ce qui pouvait contribuer à votre salut ; quant à vous, si vous décidez comme il faut, vous jouirez avec moi des bienfaits de la paix ; si vous suivez votre colère, vous affronterez sans moi ces suprêmes dangers[219] ».

 

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  1. Après avoir ainsi parlé, il fondit en larmes, et sa sœur avec lui ; ces pleurs touchèrent sensiblement le peuple. Cependant les Juifs s'écrièrent qu'ils ne faisaient pas la guerre contre les Romains, mais contre Florus, à cause du mal qu'il leur avait causé. Alors le roi Agrippa : « Mais vos actes, dit-il, sont déjà des faits de guerre contre Rome : vous n'avez pas payé le tribut de César, vous avez abattu les portiques de la citadelle Antonia. Si vous voulez écarter de vous le reproche de défection, rétablissez les portiques et payez l'impôt ; car assurément ce n'est pas à Florus qu'appartient la citadelle, ce n'est pas à Florus qu'ira votre tribut ».

XVII

1. Agrippa expulsé de la ville. – 2-3. Prise de Masada. Interruption des sacrifices pour Rome. – 4. Démarches des notables juifs. Agrippa leur envoie des renforts. – 5-

  1. Lutte entre les insurgés et les partisans de Rome. Arrivée des Sicaires. Prise de la ville haute, incendie des Archives. – 7. Prise de la tour Antonia. Les Romains assiégés dans le palais d’Hérode. – 8. Domination de Manahem. Évacuation du palais. – 9. Meurtre de Manahem. – 10. Capitulation et massacre de la garnison romaine.

1. Le peuple, gagné par ce discours, monta au Temple avec le roi et Bérénice pour commencer à rebâtir les portiques, tandis que les magistrats et les Conseillers, se répartissant parmi les villages, y levaient le tribut. En peu de temps les quarante talents qui manquaient furent réunis. Agrippa avait ainsi écarté pour le moment la menace de guerre ; il revint ensuite à la charge pour engager le peuple à obéir à Florus, en attendant que César lui envoyât un successeur. Pour le coup les Juifs s'exaspérèrent : ils se déchaînèrent en injures contre le roi et lui firent interdire formellement le séjour de la ville ; quelques factieux osèrent même lui jeter des pierres. Le roi, jugeant impossible d'arrêter l'ardeur des révolutionnaires, indigné des outrages qu'il avait reçus, envoya les magistrats et les principaux citoyens à Césarée, auprès de Florus, pour que le gouverneur

 

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désignât ceux qui lèveraient le tribut dans le pays[220] ; quant à lui, il rentra dans son royaume.

  1. A ce moment, quelques-uns des plus ardents promoteurs de la guerre entreprirent une expédition contre une forteresse du nom de Masada[221] ; ils

l'occupèrent par surprise, égorgèrent la garnison romaine et établirent une garnison juive à la place. En même temps, dans le Temple, Eléazar, fils du grand prêtre Ananias, jeune homme plein d'audace et qui y remplissait alors les fonctions de capitaine[222],

détermina les prêtres officiants à n'accepter désormais ni offrandes ni sacrifices offerts par un étranger. C'était là déclarer véritablement la guerre aux Romains : car on rejetait tout ensemble les sacrifices offerts au nom des Romains et de César[223]. En vain les grands prêtres et

les notables les exhortèrent à ne pas négliger le sacrifice traditionnel célébré en l'honneur des empereurs ; les prêtres refusèrent de les entendre, confiant dans leur grand nombre, -d'autant que le concours des révolutionnaires les plus vigoureux leur était assuré, - et surtout dans l'autorité d'Eléazar, capitaine du Temple.

  1. Là-dessus, les principaux citoyens se réunirent avec les grands prêtres et les plus notables Pharisiens pour délibérer sur la chose publique, maintenant que le mal paraissait sans remède. Ayant décidé de faire un dernier appel aux factieux, ils convoquèrent le peuple devant la porte d'airain : on nomme ainsi la porte du Temple intérieur tournée vers l'Orient[224]. Après avoir exprimé

vivement leur indignation contre l'audace de cette révolte et d'une guerre si formidable déchaînée sur la patrie, ils exposèrent l'absurdité des raisons alléguées pour l’interruption du sacrifice : leurs ancêtres avaient orné le Temple surtout aux frais des étrangers, recevant sans cesse les offrandes des nations ; non seulement ils n'avaient interdit les sacrifices à personne, - ce qui eut été la plus grave impiété, - mais ils avaient consacré autour du Temple toutes ces offrandes qu'on y voyait encore conservées intactes depuis tant d'années. Et les voici, eux, au moment où ils provoquent les armes des Romains et les excitent à la guerre, qui apportent une

 

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innovation étrange dans le culte et ajoutent au danger la honte de l'impiété pour leur ville, puisque les Juifs seront désormais les seuls chez qui un étranger ne pourra ni sacrifier ni adorer Dieu ! Si quelqu'un s'opposait une pareille loi à l'égard d'un particulier, ils s'indigneraient contre un décret aussi inhumain, et il leur est indifférent que les Romains et César soient mis hors la loi ! Qu'ils redoutent qu'après avoir interdit les sacrifices offerts au nom de Rome, ils ne soient bientôt empêchés d'en célébrer pour eux-mêmes, et que la ville ne soit mise hors la loi de l'empire : sinon, qu'ils se hâtent de rentrer dans la raison, de reprendre les sacrifices, et de réparer leur outrage avant que le bruit n'en parvienne à ceux qu'ils out offensés.

4. Tout en tenant ce langage, ils amenaient des prêtres versés dans la tradition, qui expliquaient que tous leurs ancêtres avaient accepté les sacrifices des étrangers. Cependant aucun des révolutionnaires ne voulut les écouter ; même les ministres du culte, dont la conduite inaugurait les hostilités, ne bougèrent pas. Aussi les principaux citoyens, estimant qu'ils ne pouvaient plus arrêter eux-mêmes la sédition et qu'ils seraient les premières victimes de la vengeance de Rome, ne songèrent plus qu'à écarter d'eux-mêmes tout reproche et envoyèrent des députés, les uns, dirigés par Simon, fils d'Ananias, auprès de Florus, les autres auprès d'Agrippa, parmi lesquels on remarquait Saül, Antipas et Costobaros[225], tous membres de la famille royale. Ils

adjuraient l'un et l'autre de monter vers la capitale avec des troupes et de briser la révolte avant qu'elle devînt invincible. Ce malheureux incident était une aubaine pour Florus ; désireux d'allumer la guerre, il ne fit aucune réponse aux députés. Quant à Agrippa, également soucieux de ceux qui se révoltaient et de ceux contre qui s’allumait la révolte, désireux de conserver la Judée aux Romains et aux Juifs leur Temple et leur capitale, sachant bien d'ailleurs qu'il n'avait rien à gagner dans ce désordre, il envoya deux mille[226]

cavaliers pour défendre le peuple : c’étaient des Auranites, des Batanéens, des Trachonites, ayant pour commandant de cavalerie Darius et pour général Philippe, fils de Jacime[227],

 

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  1. Confiants dans ces forces, les notables, les grands prêtres et tous les citoyens épris de la paix occupent la ville haute ; car les séditieux étaient maîtres de la ville basse et du Temple. On se jetait sans relâche des pierres et des balles de fronde : de part et d'autre les traits volaient ; parfois même des détachements faisaient une sortie et l'on combattait corps à corps. Les insurgés l'emportaient par l'audace, les gens du roi par l'expérience. Le but des Royaux était de s’emparer du Temple et de chasser ceux qui souillaient le sanctuaire ; les factieux groupés autour d'Eléazar cherchaient à conquérir la ville haute outre les points qu'ils occupaient déjà. Pendant sept jours, il se fit un grand carnage des uns et des autres sans qu’aucun cédât la portion de la ville qu'il détenait.
  2. Le huitième jour amena la fête dite de la Xyiophorie, où il était d'usage que tous apportassent du bois à l'autel pour que la flamme ne manqua jamais d’aliment : et en effet le feu de l'autel ne s'éteint jamais[228]. Les

Juifs du Temple exclurent donc leurs adversaires de cette cérémonie : à cette occasion, leur multitude mal armée se grossit d'un grand nombre de sicaires qui s'étaient glissés parmi eux : on appelait ainsi les brigands qui cachaient un poignard dans leur sein - et ils poursuivirent leurs attaques avec plus de hardiesse. Inférieurs en nombre et en audace, les Royaux, refoulés de vive force, évacuèrent la ville haute. Les vainqueurs y firent irruption et livrèrent aux flammes la maison du grand prêtre Ananias et les palais d'Agrippa et de Bérénice[229] ; puis ils portèrent le feu dans les Archives

publiques, pressés d'anéantir les contrats d'emprunt et d'empêcher le recouvrement des créances, afin de grossir leurs rangs de la foule des débiteurs et de lancer contre les riches les pauvres sûrs de l'impunité. Les gardiens des bureaux des conservateurs s'étant sauvés, ils mirent donc le feu aux bâtiments. Une fois le nerf du corps social ainsi détruit, ils marchèrent contre leurs

ennemis ; notables et grands prêtres se sauvèrent en partie dans les égouts ; d'autres gagnèrent avec les soldats du roi le palais royal situé plus haut[230] et se

 

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hâtèrent d'en fermer les portes : de ce nombre étaient le grand prêtre Ananias, son frère Ezéchias, et ceux qui avaient été envoyés auprès d'Agrippa.

  1. Ce jour-là, les séditieux s'arrêtèrent, se contentant de leur victoire et de leurs incendies. Le lendemain, qui était le quinzième jour du mois de Loos[231], ils

attaquèrent la citadelle Antonia ; après avoir tenu la garnison assiégée pendant deux jours, ils la firent prisonnière, l’égorgèrent et mirent le feu au fort. Ensuite, ils se retournèrent vers le palais, où les gens du roi s'étaient réfugiés : divisés en quatre corps ils firent plusieurs tentatives contre les murailles. Aucun des assiégés n’osa risquer une sortie, à cause du grand nombre des assaillants : répartis sur les mantelets des murs et sur les tours, ils se contentaient de tirer sur les agresseurs, et force brigands tombèrent au pied des murailles. Le combat ne cessait ni jour ni nuit, car les factieux espéraient épuiser les assiégés par la disette et les défenseurs, les assiégeants par la fatigue.

  1. Cependant, un certain Manahem, fils de Juda le Galiléen – ce docteur redoutable qui jadis, au temps de Quirinius[232], avait fait un crime aux Juifs de

reconnaître les Romains pour maîtres alors qu'ils avaient déjà Dieu - emmena ses familiers à Masada, où il força le magasin d'armes du roi Hérode, et équipa les gens de son bourg avec quelques autres brigands ; s’étant ainsi constitué une garde du corps, il rentra comme un roi à Jérusalem, et, devenu le chef de la révolution, dirigea le siège du palais[233]. Cependant les assiégeants

manquaient de machines et, battus du haut de la muraille, ils ne pouvaient la saper à ciel ouvert. Ils commencèrent donc à distance une mine, l'amenèrent jusqu'à l'une des tours qu'ils étayèrent, puis sortirent après avoir mis le feu aux madriers qui la soutenaient. Quand les étais furent brûlés, la tour s'écroula soudain, mais ils virent apparaître un autre mur construit en arrière d'elle, car les assiégés, prévoyant le stratagème, peut-être même avertis par l'ébranlement de la tour au moment où on la sapait, s'étaient pourvus d'un nouveau rempart. Ce spectacle inattendu frappa de stupeur l'assaillant, qui se croyait déjà victorieux. Cependant

 

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les défenseurs députèrent auprès de Manahem et des promoteurs de la sédition, demandant à sortir par capitulation. Les insurgés n’accordèrent cette permission qu’aux soldats du roi et aux indigènes, qui sortirent en conséquence. Les Romains, restés seuls, furent pris de découragement. Ils désespéraient de percer à travers une telle multitude et ils avaient honte de demander une capitulation : d'ailleurs , l’eussent-ils obtenue, quelle confiance méritait-elle ? Ils abandonnèrent donc le camp, trop facile à emporter, et se retirèrent dans les tours royales, qui se nommaient Hippicos, Phasaël et Mariamme[234]. Les compagnons de Manahem , se

ruant dans les positions que les soldats venaient de quitter, tuèrent tous les retardataires qu’ils purent saisir, pillèrent les bagages et incendièrent le camp. Ces événements eurent lieu le sixième jour du mois de Gorpiéos[235].

9. Le lendemain, le grand prêtre Ananias fut pris dans la douve du palais royal, où il se cachait, et tué par les brigands avec son frère Ezéchias. Les factieux investirent les tours et les soumirent à une étroite surveillance pour qu’aucun soldat ne pût s’en échapper. La prise des fortifications et le meurtre du grand prêtre Ananias grisèrent à tel point la férocité de Manahem qu'il crut n'avoir plus de rival pour la conduite des affaires et devint un tyran insupportable. Les partisans d'Eléazar se dressèrent alors contre lui ; ils se répétaient qu'après avoir, pour l'amour de la liberté, levé l’étendard de la rébellion contre les Romains, ils ne devaient pas sacrifier cette même liberté à un bourreau juif et supporter un maître qui, ne fît-il même aucune violence, était pourtant fort au-dessous d'eux : s’il fallait à toute force un chef, mieux valait n'importe lequel que celui-là. Dans ces sentiments, ils se conjurèrent contre lui dans le Temple même : il y était monté plein d'orgueil pour faire ses dévotions, revêtu d'un costume royal, et traînant à sa suite ses zélateurs armés. Lorsqu’Eléazar et ses compagnons s'élancèrent contre lui, et que le reste du peuple, saisissant des pierres, se mit à lapider l’insolent docteur, pensant étouffer toute la révolte par sa mort, Manahem et sa suite résistèrent un moment, puis, se voyant assaillis par toute la multitude, s'enfuirent

 

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chacun ou ils purent ; là dessus on massacra ceux qui se laissèrent prendre, on fit la chasse aux fugitifs. Un petit nombre parvinrent à se faufiler jusqu'à Masada, entre autres Eléazar, fils de Jaïr, parent de Manahem, qui plus tard exerça la tyrannie à Masada. Quant à Manahem lui-même, qui s'était réfugié au lieu appelé Ophlas[236] et s'y cachait honteusement, on le saisit, on

le traîna au grand jour, et, après mille outrages et tortures, on le tua. Ses lieutenants eurent le même sort, ainsi qu'Absalon, le plus fameux suppôt de la tyrannie.

10. Le peuple, je l'ai dit, s'associa à cette exécution, dans l'espoir de voir ainsi s'apaiser l'insurrection tout entière[237], mais les conjurés, en tuant Manahem, loin

de désirer mettre fin à la guerre, n'avaient voulu que la poursuivie avec plus de liberté. En fait, tandis que le peuple invitait les soldats avec insistance à se relâcher des opérations du siège, ils le pressaient au contraire plus vigoureusement. Enfin, à bout de résistance, les soldats de Metilius - c'était le nom du préfet[238] romain

- députèrent auprès d'Eléazar, lui demandant seulement d'obtenir par capitulation, la vie sauve, et offrant de livrer leurs armes et tout leur matériel. Les révoltés, saisissant au vol cette requête, envoyèrent aux Romains Gorion, fils de Nicomède[239], Ananias, fils de Sadoc, et

Judas, fils de Jonathas, pour conclure la convention et échanger les serments. Cela fait, Metilius fit descendre ses soldats. Tant que ceux-ci gardèrent leurs armes, aucun des révoltés ne les attaqua ni ne laissa flairer la trahison. Mais quand les Romains eurent tous déposé, suivant la convention, leurs boucliers et leurs épées, et, désormais sans soupçon, se furent mis en route, les gens d'Eléazar se jetèrent sur eux, les entourèrent et les massacrèrent ; les Romains n’opposèrent ni résistance ni supplication, se bornant à rappeler à grands cris la convention et les serments. Tous périrent ainsi, cruellement égorgés. Le seul Metilius obtint grâce, à force de prières, et parce qu’il promis de se faire Juif, voire se laisser circoncire. C'était là un léger dommage pour les Romains, qui de leur immense armée ne perdirent qu’une poignée d'hommes, mais on y reconnut le prélude de la ruine des Juifs. En voyant la rupture

 

Zone de Texte: 2. Les Syriens de lotir côté ne tuaient pas moins de JuifsFlavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

désormais sans remède, la ville souillée par cet horrible forfait qui promettait quelque châtiment divin, à défaut de la vengeance de Rome, on se livra à un deuil public : la ville se remplit de consternation, et il n'y avait pas un modéré qui ne se désolât en songeant qu'il payerait lui-même le crime des factieux. Eh effet, le massacre s'était accompli le jour du sabbat, où la piété fait abstenir les Juifs même des actes les plus innocents.

XVIII

1-2. Massacre des Juifs à Césarée et autres lieux. Représailles des Juifs. – 3-4. Perfidie des

Scythopolitains. Mort héroïque de Simon fils de Saül. – 5­6. Autres tueries. Guet-apens de Varus, régent du royaume d’Agrippa. Prise de Cypros et de Machérous. – 7­8. Émeute d’Alexandrie. – 9-11. Entrée en campagne de Cestius Gallus. Prise de Chaboulôn et de Joppé ; occupation de la Galilée.

1. Le même jour et à la même heure[240], comme par un

décret de la Providence, les habitants de Césarée massacrèrent les Juifs qui vivaient parmi eux : en une heure plus de vingt mille furent égorgés, et Césarée tout entière fut vidée de Juif ; car ceux qui s’enfuyaient furent, par ordre de Florus, saisis et conduits,

enchaînés, aux arsenaux maritimes. A la nouvelle du désastre de Césarée, toute la nation entra en fureur : partagés en plusieurs bandes, les Juifs saccagèrent les villages des Syriens et le territoire des cités

voisines[241], Philadelphie, Hesbon, Gerasa, Poila et

Scythopolis. Ils se ruèrent ensuite contre Gadara Hippos et la Gaulanitide, détruisant ou incendiant tout sur leur passage, et s'avancèrent jusqu'à Kedasa, bourgade tyrienne[242], Ptolémaïs, Gaba et Césarée. Ni Sébaste, ni

Ascalon ne résistèrent à leur élan ; ils brûlèrent ces villes[243], puis rasèrent Anthédon et Gaza. Sur le

territoire de chacune de ces cités, force villages furent pillés, une quantité prodigieuse d'hommes pris et égorgés.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

: eux aussi, ils égorgeaient ceux qu'ils prenaient dans les villes, non plus seulement, comme auparavant, par haine, mais pour provenir le péril qui les menaçait eux-mêmes. La Syrie entière fut en proie à un affreux désordre ; toutes les villes étaient divisées en deux camps ; le salut pour les nus était de prévenir les autres. On passait les jours dans le sang, les nuits dans une terreur plus affreuse encore. Se croyait-on débarrassé des Juifs, restaient les judaïsants dont on se méfiait ; on reculait devant l'horreur d'exterminer les éléments équivoques, et pourtant on redoutait ces sang-mêlé autant que des étrangers avérés. Des hommes réputés de longue date pour leur douceur se laissaient entraîner par la cupidité à se défaire de leurs adversaires ; car on pillait impunément les biens des victimes, on transportait chez soi comme d'un champ de bataille les dépouilles des morts, et celui qui gagnait le plus se couvrait de gloire , parce qu’il avait été le plus grand meurtrier. On voyait les villes remplies de cadavres sans sépulture, des vieillards morts étendus avec des enfants, des femmes à qui on avait enlevé même le dernier voile de la pudeur ; toute la province pleine de calamités inouïes ; et, plus terrible encore que les forfaits réels, la menace de l'avenir qui tenait les esprits en suspens.

3. Jusque-là les Juifs n'avaient eu à faire qu'à des étrangers, mais quand ils envahirent le territoire de Scythopolis ils trouvèrent pour ennemis leurs propres coreligionnaires : les Juifs de ce pays se rangèrent, en effet, à côté des Scythopolitains, et, faisant passer la parenté après leur propre sécurité, combattirent en masse contre leurs frères. Cependant leur extrême ardeur parut suspecte : les gens de Scythopolis craignirent que la population juive ne s'emparât de la ville pendant la nuit et n'y semât le carnage pour se faire pardonner par ses frères sa défection. Ils ordonnèrent donc à ces Juifs, s'ils voulaient confirmer leurs sentiments de concorde et montrer leur fidélité à un peuple de race étrangère, de se transporter avec leurs familles dans le bois sacré de la ville. Les Juifs obéirent sans défiance à cette invitation. Pendant deux jours, les Scythopolitains se tinrent en repos, pour mieux endormir leur confiance, mais la troisième nuit, épiant le

 

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moment où les uns étaient sans défense, les autres endormis, ils les égorgèrent tous au nombre de plus de

treize mille et pillèrent tous leurs biens[244].

4. Je ne veux pas omettre ici la triste destinée de Simon, fils d'un certain Saül, assez notable citoyen. Doué d'une force et d'une audace supérieures, il avait abusé de l'une et de l'autre au détriment de ses coreligionnaires. Tous les jours on l'avait vu marcher au combat et tuer un grand nombre des Juifs qui attaquaient Scythopolis ; souvent même, on le voyait à lui seul mettre en fuite toute leur troupe, et supporter tout le poids du combat. Mais il subit le juste châtiment de ses fratricides. Lorsque les Scythopolitains eurent cerné le bois sacré et criblaient les Juifs de leurs traits, Simon mit l'épée à la main puis, au lieu de courir aux ennemis, dont le nombre dépassait toute mesure, il s’écria sur le ton le plus émouvant : « Scythopolitains, je suis justement puni par vous de mes forfaits, moi et ceux qui, en tuant un si grand nombre de leurs frères, vous ont donné des gages de leur fidélité. Eh bien donc ! nous qui éprouvons, comme de juste, la perfidie des étrangers, nous qui avons poussé jusqu’à l'extrême l'impiété envers les nôtres, mourrons comme des maudits de nos propres mains, car il ne sied point que nous périssions sous le bras de nos ennemis. Ce sera à la fois le juste prix de mon crime et l'honneur de ma bravoure : aucun de mes ennemis ne pourra se glorifier de ma mort ni insulter mon cadavre ». A ces mots, il promène sur sa famille un regard de pitié et de colère : il avait là sa femmes, ses enfants, ses vieux parents. D'abord saisissant son père par ses cheveux blancs, il le traverse de son épée ; après lui, il tue sa mère, qui n'offre aucune résistance, puis sa femme et ses enfants, qui tous s'offrent presque à son fer, dans leur hâte de prévenir les ennemis. Lui-même, après avoir tué toute sa famille, il se tint debout en évidence au-dessus des cadavres, étendit sa main droite pour attirer tous les regards, et s'enfonçant dans le corps son épée jusqu'à la garde, la baigna de son sang. Ainsi périt ce jeune homme digne de pitié par la vigueur de son corps et la fermeté de son âme, mais qui expia, comme de raison, son trop de foi dans les étrangers.

 

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  1. Après la boucherie de Scythopolis, les autres cités se soulevèrent chacune contre les Juifs de leur territoire. Les habitants d’Ascalon en tuèrent 2,500, ceux de Ptolémaïs 2,000, sans compter ceux qu'ils mirent aux fers. Les Tyriens en égorgèrent bon nombre, mais enchaînèrent et mirent en prison la plupart ; de même Hippos et Gadara se débarrassèrent des fortes tètes, et mirent sous bonne garde les plus craintifs. Les autres villes de Syrie agirent suivant la haine ou la crainte qu'elles ressentaient à l'égard des Juifs. Seules, Antioche, Sidon et Apamée épargnèrent leurs métèques juifs, et ne permirent ni de tuer ni d'emprisonner aucun d'entre eux ; peut-être ces cités très peuplées dédaignaient-elles les soulèvements éventuels des Juifs, mais ce qui les guidait surtout, je pense, c'était leur pitié pour des hommes qui ne manifestaient aucune velléité sérieuse. Quant aux gens de Gerasa, non seulement ils ne maltraitèrent point les Juifs qui restèrent chez eux, mais ils escortèrent jusqu’à leurs frontières ceux qui voulurent émigrer.
  2. Même dans le royaume d'Agrippa, on complota contre les Juifs. Le roi s'était rendu de sa personne à Antioche, auprès de Cestius Gallus, laissant pour gouverner ses affaires un de ses amis, nommé Varus[245], apparenté

au roi Sohémos[246]. A ce moment vint de la Batanée[247] une ambassade de soixante-dix citoyens,

les plus éminents par la naissance et l'intelligence, qui demandaient au roi un corps de troupes afin que, en cas de troubles, ils fussent en force pour réprimer le mouvement. Varus envoya de nuit quelques réguliers du roi qui massacrèrent toute cette députation : il osa accomplir ce forfait sans prendre l'avis d'Agrippa ; poussé par sa cupidité sans bornes il se souilla du sang des gens de sa race, au grand dommage du royaume. Il continua a exercer une tyrannie cruelle jusqu'à ce que Agrippa, informé de sa conduite, mais n'osant pas, à cause de Sohémos, le faire périr, le révoquât de sa régence[248]. Vers le même temps les insurgés

surprirent la forteresse de Cypros, qui domine Jéricho[249], massacrèrent la garnison et démantelèrent

la place. Un autre jour la populace juive de Machérous

 

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décida la garnison romaine à évacuer cette forteresse et à la lui livrer. Les soldats, craignant d'être réduits de vive force, convinrent de sortir aux termes d'une capitulation et, après avoir reçu des gages, livrèrent le fort, que les gens de Machérous occupèrent et garnirent de troupes.

7. A Alexandrie la discorde n'avait cessé de régner entre la population indigène et les Juifs, depuis le temps où Alexandre le Grand, ayant trouvé chez les Juifs un concours très empressé contre les Égyptiens, leur avait accordé, en récompense de leur aide, le droit d'habiter la ville avec des droits égaux à ceux des Grecs. Ses successeurs leur confirmèrent ce privilège et leur assignèrent même un quartier particulier[250], afin

qu'ils puissent observer plus sévèrement leur régime en se mêlant moins aux étrangers ; ils les autorisèrent aussi à prendre le titre de Macédoniens. Quand les Romains acquirent l'Égypte, ni le premier César ni aucun de ses successeurs ne permirent qu'on diminuât les honneurs des Juifs d'Alexandrie. Mais ils se battirent continuellement avec les Grecs, et les châtiments nombreux infligés tous les jours par des gouverneurs aux factieux des deux partis ne faisaient qu'exaspérer la sédition. Maintenant que le désordre régnait partout, la lutte redoubla d'ardeur à Alexandrie. Un jour que les Alexandrins tenaient une assemblée au sujet d'une ambassade qu'ils voulaient envoyer à Néron, un grand nombre de Juifs pénétrèrent dans l'amphithéâtre en même temps que les Grecs : leurs adversaires, dès qu’ils les aperçurent, leur jetèrent les noms d'ennemis et d'espions, puis se ruèrent sur eux et en vinrent aux mains. La masse des Juifs prit la fuite et se dispersa, mais les Alexandrins en retinrent trois, qu'ils entraînèrent pour les brûler vifs. Là-dessus tout le peuple juif s'arma à la rescousse : ils lancèrent d'abord des pierres contre les Grecs, ensuite, saisissant des torches, coururent à l'amphithéâtre, menaçant d'y exterminer dans les flammes la population jusqu'au dernier homme. Et ils auraient exécuté leur menace si le préfet[251] Tibère Alexandre ne se fût hâté d'arrêter leur

fureur. Au début il ne recourut pas aux armes pour ramener l'ordre ; il leur envoya les principaux citoyens,

 

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les invitant à se calmer et ne pas exciter contre eux l'armée romaine. Mais les émeutiers accueillirent avec des éclats de rire ses exhortations et chargèrent le préfet d’invectives.

  1. Comprenant alors que les révoltés ne s’arrêteraient pas si on ne leur infligeait une sévère leçon, il envoie contre eux les deux légions romaines stationnées dans la ville et leur adjoint deux mille soldats[252] arrivés par

hasard de Libye pour la perte des Juifs ; il leur permit non seulement de tuer les rebelles, mais encore de piller leurs biens et d'incendier leurs maisons. Les soldats, se ruant sur le quartier « Delta[253] » où la population juive

était concentrée, exécutèrent ces ordres, non sans effusion de sang : car les Juifs, se massant en ordre serré, mirent au premier rang les mieux armés d'entre eux, et opposèrent une résistance prolongée ; mais quand une fois ils furent enfoncés, les aspects : les uns étaient saisis dans la plaine, les autres refoulés dans leurs maisons, que les Romains brûlèrent après les avoir vidées de leur contenu ; nulle pitié pour les enfants, nul respect pour les vieillards : ils s'attaquaient à tous les âges et tuaient avec une telle rage que tout le quartier fut inondé de sang et cinquante mille cadavres amoncelés : le reste même n'eût pas échappé, s'il n'avait eu recours aux supplications. Tibère Alexandre, pris enfin de pitié, ordonna aux Romains de se retirer. Ceux-ci, rompus à l'obéissance, cessèrent le massacre au premier signal ; mais la populace d’Alexandrie dans l'excès de sa haine était difficile à ramener, et c'est à grand'peine qu'on l'arracha aux cadavres.

  1. Telle fut la catastrophe qui fondit sur les Juifs d'Alexandrie. Cestius, voyant que de tous cotés on faisait la guerre aux Juifs, ne voulut pas l'ester inactif pour son compte. Il partit donc d'Antioche, emmenant avec lui la 12e légion au complet et, de chacune des autres, deux mille hommes choisis[254] ; en outre, six cohortes

d’infanterie et quatre escadrons de cavalerie. Il y adjoignit les contingents des rois : Antiochus[255]

fournit deux mille cavaliers et trois mille fantassins, tous archers ; Agrippa le même nombre de fantassins et un

 

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peu moins de deux mille chevaux ; Sohémos[256] quatre

mille hommes, dont le tiers était des cavaliers, et la plupart archers. A la tête de ces forces il se dirigea vers Ptolémaïs. Il leva aussi dans les cités un très grand nombre d'auxiliaires, inférieurs aux soldats de métier par l'expérience, mais suppléant par leur ardeur et leur haine des Juifs au défaut de connaissances militaires. Agrippa l'assistait en personne, pour guider l'armée et pourvoir à son ravitaillement. Cestius, prenant une partie des troupes marcha contre Chaboulôn, ville forte de Galilée[257], sur la frontière de Ptolémaïs et du

territoire juif. Il trouva la localité vide d'hommes - car le peuple avait fui dans les montagnes -, mais pleine de ressources de tout genre, qu'il livra on pillage aux soldats ; quant à la ville, quoiqu'il l'admirait pour sa beauté et qu'elle eut des maisons construites comme celles de Tyr, de Sidon et de Béryte, il l'incendia. Ensuite il parcourut le plat pays, saccageant tout sur son passage et brûlant les villages aux alentours, puis se replia vers Ptolémaïs. Mais tandis que les Syriens et surtout ceux de Béryte étaient encore occupés au pillage, les Juifs, informés du départ de Cestius, reprirent courage et, tombant à l'improviste sur les soldats qu'il avait laissés en arrière, en tuèrent environ deux mille.

10. Cestius, parti de Ptolémaïs, se transporta lui-même à Césarée, mais détacha vers Joppé une partie de sou armée, avec ordre d'y mettre garnison, si on pouvait la surprendre, mais, au cas où les habitants seraient sur leurs gardes, de l'attendre, lui et le reste de ses forces. Cette avant-garde, procédant à marches forcées par terre et par mer, emporta facilement la ville en l'attaquant des deux côtés ; les habitants n'eurent pas le temps de fuir ni, à plus forte raison, de préparer la résistance, et les Romains, faisant irruption dans la place, les tuèrent tous avec leurs familles, puis pillèrent la ville et y mirent le feu ; le nombre des victimes s'éleva à huit mille quatre cents. De la même manière Cestius envoya un gros corps de cavaliers dans la toparchie de la Nabatène, limitrophe de Césarée : ils ravagèrent le territoire, tuèrent une multitude d’habitants, pillèrent leurs biens et brûlèrent leurs villages.

 

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11. En Galilée il détacha Césennius Gallus, légat de la douzième légion, avec des forces qui lui semblaient suffisantes pour réduire cette province. La plus forte ville de Galilée, Sepphoris, reçut Gallus à bras ouverts et, suivant le sage conseil de cette cité, les autres se tinrent en repos. Mais tout ce qu'il y avait de factieux et de brigands s'enfuit vers la montagne la plus centrale de Galilée, située en face de Sepphoris, et qu'on appelle Asamon[258]. Gallus conduisit contre eux ses troupes.

Les ennemis, tant qu'ils occupèrent des positions dominantes, repoussèrent facilement les attaques des Romains et en tuèrent près de deux cents ; mais quand les Romains les eurent tournés et gagnèrent les hauteurs, ils furent promptement mis en déroute armés à la légère, ils ne pouvaient supporter le choc des légionnaires complètement équipés ou, dans la fuite, échapper aux cavaliers ; seuls quelques-uns réussirent à se cacher dans des lieux accidentés, et il en périt plus de deux mille.

XIX

1. Marche de Cestius sur Jérusalem. – 2-6. Il échoue dans son attaque contre la ville intérieure et le Temple. – 7-9. Retraite désastreuse de Cestius ; combat de Béthoron.

1. Césennius Gallus, ne voyant plus de trace de révolte en Galilée, ramena son corps d'armée à Césarée ; alors Cestius, se remettant en marche avec toutes ses forces, se dirigea sur Antipatris. Apprenant qu'une troupe assez considérable de Juifs s'était rassemblée dans une tour du nom d'Aphékou[259], Il envoya un détachement pour

les déloger. La crainte dispersa les Juifs avant même qu'on on vint aux mains : le détachement envahit le camp, qu'il trouva évacué, et l'incendia, ainsi que les bourgades des alentours. D'Antipatris, Cestius s'avança jusqu'à Lydda, qu'il trouva vide d'hommes ; car, à cause de la fête des Tabernacles[260], tout le peuple était

monté à Jérusalem. Il découvrit cependant quelques retardataires, en tua cinquante, incendia la ville, et, poursuivant sa marche, monta par Béthoron, puis vint

 

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camper au lieu appelé Gabaô, à cinquante stades de Jérusalem[261].

  1. Quand les Juifs virent la guerre aux portes de la capitale, ils interrompirent la fête et coururent aux armes : pleins de confiance dans leur nombre, ils s'élancèrent au combat, sans ordre, en poussant des cris, sans même tenir compte du repos du Septième jour, car on était précisément au jour du sabbat, qu’ils observent avec tant de scrupule. Cette même fureur qui éclipsait leur piété leur assura l'avantage dans le combat : ils tombèrent sur les Romains avec une telle impétuosité qu'ils enfoncèrent leurs unités et pénétrèrent au cœur même de l'armée en semant le carnage. Si la cavalerie, faisant un circuit, n'était venue soutenir les parties du corps de bataille qui faiblissaient, avec l'aide des troupes d'infanterie encore intactes, toute l'armée de Cestius eût couru le plus grand danger. Les Romains perdirent cinq cent quinze hommes, dont quatre cents fantassins et le reste cavaliers : la perte des Juifs ne s'éleva qu’à vingt-deux morts. Ceux qui dans leurs rangs montrèrent le plus de bravoure furent Monobazos et Kénédéos, parents de Monobazos roi d'Adiabène[262], puis Niger de la Pérée et Silas le

Babylonien[263], transfuge de l’armée du roi Agrippa.

Les Juifs, repoussés de front, se replièrent vers la ville mais sur les derrières de l'armée, Simon, fils de Gioras, tomba sur l'arrière-garde romaine qui montait encore vers Béthoron, en dispersa une bonne partie et enleva nombre de bêtes de somme qu'il emmena à Jérusalem. Pendant que Cestius s’arrêtait trois jours dans ses cantonnements, les Juifs occupèrent les hauteurs et gardèrent les défilés ; il n'était pas douteux qu'ils reviendraient à la charge dès que les Romains se remettraient en route.

  1. Alors Agrippa, voyant la situation des Romains menacée par cette innombrable multitude d'ennemis qui occupaient la lisière des montagnes, crut devoir essayer la voix de la raison avec les Juifs : il pensait ou bien les persuader tous de terminer la guerre, ou bien détacher des ennemis ceux qui ne partageraient pas leurs

 

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sentiments[264]. Il leur envoya donc ses deux familiers

que les Juifs connaissaient le plus, Borcéos et Phœbos, chargés de leur promettre, de la part de Cestius, un traité et, de la part des Romains, le pardon assuré de leurs fautes s’ils déposaient les armes et faisaient leur soumission. Les factieux, craignant que l'espoir de l'amnistie ne ramenât tout le peuple à Agrippa, se jetèrent sur ses envoyés pour les faire périr : Phœbos fut tué avant d’avoir ouvert la bouche ; Borcéos, quoique blessé, réussit à s’enfuir ; ceux du peuple qui manifestaient leur mécontentement furent, à coups de pierres et de bâtons, chassés vers la ville.

  1. Cestius, comptant tirer parti de ces dissensions de l'ennemi, mena alors toutes ses troupes à l'attaque, battit l'ennemi et le refoula jusqu'à Jérusalem. Il établit son camp dans l’endroit appelé Scopos[265], distant de

sept stades de la capitale. Pendant trois jours il suspendit toute attaque, espérant peut-être que les défenseurs lui livreraient la ville, mais il lança dans les villages des alentours de nombreux fourrageurs pour ramasser du blé. Le quatrième jour, qui était le 30 du mois Hyperbérétéos, il rangea son armée en bataille et la conduisit à l'assaut. Le peuple était paralysé par les factieux, ceux-ci, stupéfaits à la vue du bel ordre des Romains, évacuèrent les parties extérieures de la ville pour se concentrer dans les quartiers intérieurs et dans le Temple. Cestius, avançant toujours, brûla le quartier de Bézétha, la « ville neuve[266] », et le lieu dit « marché

aux poutres » ; ensuite, obliquant vers la ville haute, il campa en face du palais royal. S’il avait osé à cette heure, diriger une attaque de vive force contre les remparts, il aurait occupé la ville et terminé la guerre ; mais le préfet de son camp[267], Turranius Priscus, et la

plupart des commandants de cavalerie, corrompus à prix d'argent par Florus[268], le détournèrent de cette

tentative. Telle fut la cause pourquoi la guerre se prolongea si longtemps et accabla les Juifs de calamités sans remède.

  1. Sur ces entrefaites, un groupe nombreux de notables citoyens, cédant aux conseils d’Ananos, fils de

 

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Jonathas[269], appelèrent Cestius pour lui ouvrir les

portes. Mais le général romain, à la fois dédaigneux par colère et peu confiant, tarda si longtemps que les factieux, avertis de la trahison, jetèrent du haut des murs Ananos et ses compagnons et les chassèrent dans leurs maisons à coups de pierres : eux-mêmes, répartis sur les tours, tiraient sur ceux qui tentaient l'escalade des remparts. Pendant cinq jours les Romains multiplièrent de tous les côtés leurs attaques sans aucun résultat ; le sixième jour, Cestius, prenant avec lui un gros corps de soldats d'élite et les archers, dirigea une tentative contre le flanc nord du Temple. Les Juifs postés en haut des portiques résistèrent à l'attaque et repoussèrent plusieurs fois l’assaut ; mais enfin, accablés sous une nuée de traits ils durent se replier. Alors, les premiers rangs des troupes romaines appuyèrent leurs boucliers contre les remparts ; ceux qui venaient derrière placèrent les leurs en contre-bas de cette première ligne de boucliers, et ainsi de suite, formant ce qu'on appelle la tortue ; contre ce toit de cuivre, les traits lancés glissaient sans effet, et les soldats, à l'abri, pouvaient, sans éprouver aucun dommage, saper le pied des remparts et préparer l'incendie de la porte du Temple.

  1. Une frayeur terrible saisit alors les séditieux ; déjà beaucoup s'enfuyaient de la ville, dont ils croyaient la prise imminente. Le peuple[270], de son côté, sentit

renaître sa confiance, et, à mesure que les scélérats faiblissaient, il s'avançait vers les portes pour les ouvrir et accueillir Cestius comme son bienfaiteur. Si ce dernier eût persévéré un peu plus dans le siège, il n'eût pas tardé à prendre la ville ; mais Dieu, je pense, s'était, à cause des méchants, déjà détourné même de son sanctuaire et empêcha la guerre de se terminer ce jour-là.

  1. Cestius donc, ne pénétrant ni le désespoir des assiégés ni les vrais sentiments du peuple, rappela soudainement ses troupes, renonça à ses espérances, sans avoir souffert aucun échec, et, contre toute attente, s'éloigna de la ville. Sa retraite inattendue rendit courage aux brigands, qui assaillirent son arrière-garde et

 

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tuèrent un grand nombre de cavaliers et de fantassins. Cestius passa cette nuit dans son camp du Scopos ; le lendemain, en continuant sa retraite, il ne fit qu'encourager encore les ennemis ; ceux-ci, s'attachant aux derniers rangs de l'armée, les décimaient, et, se répandant des deux côtés de la route, tiraient sur les flancs de la colonne. Les soldats de l'arrière-garde n'osaient faire volte-face contre ceux qui les blessaient par derrière, croyant avoir sur les talons une innombrable multitude ; ils ne se sentaient pas non plus la force de chasser ceux qui menaçaient leurs flancs : lourdement chargés, ils craignaient de rompre leur ordonnance, tandis qu'ils voyaient les Juifs alertes et prompts aux incursions ; ils éprouvèrent donc de grandes pertes sans riposter à leurs adversaires. Tout le long de la route on voyait des hommes frappés, arrachés de leurs rangs et tombant à terre. Après avoir perdu beaucoup de monde, et dans le nombre Priscus, légat de la 6e légion[271], le tribun Longinus, Æmilius

Jucundus, commandant d’une aile de cavalerie[272],

l'armée atteignit à grand'peine son ancien camp de Gabaô, abandonnant la plus grande partie de ses bagages. Cestius y resta deux jours, incertain de ce qu'il devait faire ; le troisième, voyant que le nombre des ennemis ne cessait d'augmenter et que les hauteurs environnantes foisonnaient de Juifs, il comprit que ses retards n'avaient fait que lui nuire et qu'un plus long arrêt ne pouvait que grossir les forces ennemies.

8. Pour s'échapper plus vite il ordonna de retrancher tout ce qui embarrassait la marche de l'armée. On tua donc les mulets, les ânes, toutes les bêtes de somme sauf celles qui portaient les armes de jet et les machines, qu'on garda pour leur utilité et par crainte que les Juifs, en les prenant, ne les tournassent contre les Romains. Cela fait, Cestius se remit en marche vers Béthoron. Tant qu'on resta en terrain découvert, les attaques des Juifs furent rares, mais dés que les troupes, resserrées dans les défilés, eurent commencé la descente[273], une

partie des ennemis, prenant les devants, leur barra la sortie ; d'autres refoulaient l'arrière-garde dans le ravin, pendant que le gros de leurs forces, posté sur le col de la

 

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route, couvrait de traits le corps de bataille. Si les fantassins eux-mêmes étaient en peine de se défendre, les cavaliers couraient un danger plus pressant encore ils ne pouvaient, sous les projectiles, tenir la route en bon ordre, et le terrain ne permettait pas de charger : de côté et d'autre, c'étaient des précipices et des ravins où ils glissaient et périssaient ; point d'espace pour la fuite, aucun moyen de défense : réduits à l'impuissance, les hommes s'abandonnaient aux gémissements, aux lamentations du désespoir ; l'écho leur renvoyait les clameurs des Juifs, des cris de joie et de fureur. Peu s'en fallut que toute l'armée de Cestius ne fût capturée ; seule la nuit survenant permit aux Romains de se réfugier à Béthoron[274] ; les Juifs occupèrent tous les

points environnants et guettèrent la sortie du défilé.

9. Cestius, désespérant de forcer ouvertement le passage, songea à s'enfuir à la dérobée. Il choisit les soldats les plus braves, au nombre d'environ quatre cents, les posta sur les terrasses des maisons et leur ordonna de pousser les cris des sentinelles, quand elles sont de garde dans les camps, pour faire croire aux Juifs que toute l'armée était demeurée en cet endroit ; lui-même, emmenant le reste des troupes, s'avança, sans bruit, l'espace de trente stades. A l'aurore, les Juifs voyant le campement abandonné, se jetèrent sur les quatre cents qui les avaient trompés et les dépêchèrent rapidement à coups de javelots, puis ils se lancèrent à la poursuite de Cestius. Celui-ci avait pris, pendant la nuit, une avance assez considérable ; le jour venu, il accéléra encore sa fuite au point que les soldats, dans leur stupeur et leur crainte, abandonnaient les hélépoles, les catapultes, et la plupart des autres machines ; les Juifs s'en emparèrent pour les tourner plus tard contre ceux qui les avaient laissées. Ils poursuivirent l'armée romaine jusqu'à Antipatris. De là, n'ayant pu l'atteindre, ils revinrent sur leurs pas ; ils emportèrent les

machines, dépouillèrent les morts, réunirent le butin semé sur la route et retournèrent vers la capitale avec des chants de triomphe. Ils avaient eux-mêmes subi des pertes insignifiantes, mais ils avaient tué aux Romains et à leurs alliés cinq mille trois cents fantassins et quatre cent quatre-vingts cavaliers. Ces événements se

 

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passèrent le huitième jour du mois de Dios[275], la douzième année du principat de Néron.

1. Évasions de Jérusalem. Cestius envoie son rapport à Néron. – 2. Massacre des Juifs de Damas. – 3-4. Désignation des généraux par les insurgés. – 5-8. Josèphe organise la défense en Galilée.

  1. Après le désastre de Cestius, beaucoup de Juifs de distinction s'échappèrent de la ville comme d'un navire en train de sombrer. Les frères Costobaros et Saül, accompagnés de Philippe, fils de Jacime, préfet de l'armée du roi Agrippa[276], s'enfuirent de Jérusalem et

se rendirent auprès de Cestius. Nous dirons plus tard[277] comment Antipas, qui avait été assiégé avec

eux dans le palais royal, dédaigna de fuir et fut tué par les révoltés. Cestius envoya Saül et ses compagnons, sur leur demande, en Achaïe auprès de Néron pour exposer au prince l'extrémité où ils étaient réduits et rejeter sur Florus la responsabilité de la guerre ; Cestius espérait ainsi diminuer son propre péril en détournant la colère de Néron sur ce dernier.

  1. Sur ces entrefaites, les gens de Damas, en apprenant la défaite des Romains, s'empressèrent de tuer les Juifs qui habitaient chez eux. Comme ils les avaient déjà depuis longtemps enfermés dans le gymnase, à cause des soupçons qu’ils leur inspiraient ; ils pensèrent que l'entreprise n'offrirait aucune difficulté ; ils craignaient seulement leurs propres femmes, qui toutes, à peu d'exceptions près, étaient gagnées à la religion juive aussi, tout leur souci fut-il de tenir secret leur dessein. Bref, ils se jetèrent sur les Juifs entassés dans un étroit espace et désarmés, et en une heure de temps les égorgèrent tous, impunément, au nombre de dix mille cinq cents.
  2. Quand les rebelles qui avaient poursuivi Cestius furent de retour à Jérusalem, ils gagnèrent à leur cause les derniers partisans des Romains, par la force ou la

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

persuasion puis ils s'assemblèrent au Temple et désignèrent un plus grand nombre de généraux pour la conduite de la guerre. Joseph, fils de Gorion, et le grand-prêtre Anan[278] furent élus dictateurs de la ville, avec

la mission principale d'exhausser les remparts. Quant à Eléazar, fils de Simon, quoiqu'il se fût approprié le butin des Romains, l'argent pris à Cestius et une grande partie du trésor public, ils ne voulurent cependant pas alors lui remettre les affaires, parce qu'ils devinaient son naturel tyrannique et que les zélateurs soumis à ses ordres se conduisaient comme des satellites. Mais il ne se passa pas longtemps avant que la pénurie d'argent et les promesses décevantes d'Eléazar décidassent le peuple à lui abandonner le commandement suprême.

  1. D'autres gouverneurs furent choisis pour l'Idumée, savoir Jésus, fils de Sapphas, un des grands-prêtres, et Eléazar, fils du grand-prêtre Ananias[279]. Celui qui

jusqu'alors avait gouverné l'Idumée, Niger, dit le Péraïte parce qu'il était originaire de la Pérée au delà du Jourdain, reçut l'ordre de se subordonner aux nouveaux gouverneurs. On ne négligea pas non plus le reste du pays ; on envoya comme gouverneurs à Jéricho Joseph, fils de Simon : dans la Pérée Manassès, et dans la toparchie de Thamna[280] Jean l'Essénien : ce dernier se

vit assigner en outre Lydda, Joppé et Emmaüs. Jean, fils d'Ananias, fut désigné comme gouverneur des districts de Gophna et d'Acrabatène ; Josèphe, fils de Matthias[281], eut les deux Galilées auxquelles on

ajouta Gamala, la plus forte ville de ces parages[282].

  1. Chacun de ces généraux s'acquitta de sa mission suivant son zèle et son intelligence. Quant à Josèphe, dès qu'il arriva en Galilée, il rechercha tout d'abord l'affection des habitants du pays, sachant qu'il y trouverait de grands avantages, quelque insuccès qu'il éprouvât par ailleurs. Il comprit qu'il se concilierait les puissants en les faisant participer à sa propre autorité, et le peuple entier, s'il lui commandait de préférence par l'intermédiaire d'hommes du pays, auxquels on était habitué. Il choisit donc dans la nation tout entière soixante-dix anciens des plus sages qu'il institua comme

 

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magistrats de toute la Galilée[283], et désigna dans

chaque ville sept anciens : ceux-ci jugeaient les menus procès ; quant aux affaires importantes et aux causes capitales, il ordonna de les déférer à lui-même et aux Septante.

  1. Ayant ainsi établi les principes destinés à régir les rapports des citoyens entre eux, il s'occupa de leur sécurité extérieure. Prévoyant que la Galilée aurait à subir le premier assaut des Romains, il fortifia les places les mieux situées : Jotapata, Bersabé, Selamim, Kaphareccho, Japha, Ségoph, le mont Itabyrion, Tarichées, Tibériade, puis encore les cavernes de la basse Galilée près dii lac Gennesareth et, dans la haute Galilée, la Roche dite Acchabarôn, Seph, Jamnith et Mérôth. Il fortifia encore dans la Gaulanitide Séleucie, Sogané, Gamala[284] ; seuls, les habitants de Sepphoris

eurent l'autorisation de construire un mur pour leur propre compte, parce qu'il les voyait riches et pleins de zèle pour la guerre, même sans ses ordres[285].

Semblablement Jean, fils de Lévi, fortifia Gischala à ses frais sur l'invitation de Josèphe[286] ; celui-ci présida lui-

même tous les autres travaux de fortification, en payant de sa personne et de ses avis. Il leva aussi en Galilée une armée de plus de cent mille jeunes gens qu'il équipa tous avec de vieilles armes rassemblées de tous côtés

  1. Il comprenait que les Romains devaient leur force invincible surtout à la discipline et à l'exercice ; s'il fallut renoncer à pourvoir ses troupes d'une instruction que l'usage seul fait acquérir, il tâcha du moins d'assurer la discipline qui résulte de cadres nombreux[287], en

divisant son armée à la romaine et en lui donnant beaucoup de chefs. Il établit donc des différences entre les soldats, leur donna pour chefs des décurions, des centurions, puis des tribuns, et au dessus de ceux-ci des légats, avec un commandement plus étendu. Il leur enseigna la transmission des signaux, les appels de trompettes pour la charge ou la retraite, les attaques par les ailes et les manœuvres d'enveloppement, comment la portion victorieuse doit secourir celle qui est ébranlée, comment une troupe vivement pressée doit serrer les

 

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rangs. Il prescrivait tout ce qui contribue à entretenir l'endurance des âmes ou des corps ; mais surtout il exerçait ses hommes à la guerre en leur expliquant dans le détail la bonne ordonnance romaine, en leur répétant qu'ils auraient à lutter contre des hommes qui, par leur vigueur et leur constance, étaient devenus, ou peu s'en faut, les maîtres du monde entier. « J'éprouverai, ajouta-t-il, même avant le combat, votre discipline militaire en constatant si vous vous abstenez de vos iniquités habituelles, du brigandage, du pillage, de la rapine, si vous cessez de tromper vos concitoyens et de regarder comme un profit le dommage subi par vos plus intimes amis. Les armées les plus fortes à la guerre sont celles où tous les combattants ont la conscience pure ceux qui emportent de leurs foyers un cœur pervers auront à combattre non seulement leurs adversaires, mais encore Dieu lui-même ».

8. Tels étaient les conseils qu'il donnait sans cesse. Il avait rassemblé et tenait toute prête au combat une armée de soixante mille fantassins[288] et de trois cent

cinquante[289] cavaliers, en outre quatre mille cinq

cents mercenaires où il mettait principalement sa confiance, et six cents gardes du corps, soldats d'élite groupés autour de sa personne. Les villes nourrissaient facilement ces troupes, sauf les mercenaires : chacune n'envoyait à l'armée que la moitié de la levée, gardant le reste pour leur procurer des subsistances ; de cette façon les uns étaient affectés au service des armes, les autres au labour, et, en échange du blé qu'envoyaient leurs frères, les soldats armés leur assuraient la sécurité.

1-2. Intrigues et déprédations de Jean de Gischala. – 3­5. Affaire de Dabarittha ; émeute de Tarichées. – 6. Guet-apens de Tibériade. – 7. Josèphe disperse l’armée de Jean et se débarrasse des commissaires du Sanhédrin. – 8-10. Révolte, soumission et pillage de Tibériade.

 

1. Tandis que Josèphe gouvernait ainsi la Galilée, il vit

 

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se dresser contre lui un homme de Gischala, nommé Jean, fils de Lévi, le plus artificieux et le plus scélérat de tous ceux que leur perfidie a illustrés. Pauvre à ses débuts, le dénuement avait longtemps entravé sa méchanceté : toujours prêt au mensonge, habile à donner crédit à ses inventions, il se faisait un mérite de la fourberie et en usait contre ses amis les plus intimes. Il affectait l'humanité, mais la cupidité le rendait le plus sanguinaire des hommes. Toujours plein de vastes désirs, son ambition prit racine dans les plus basses coquineries. Ce fut d’abord un brigand opérant isolément ; il trouva ensuite, pour renforcer son audace, quelques complices, dont le nombre grossit avec ses succès. Il eut d'ailleurs soin de ne jamais s’adjoindre d'associés débiles, mais des gaillards vigoureux, de caractère ferme, exercés aux travaux de la guerre. Il finit par former une bande de quatre cents compagnons, la plupart évadés de la campagne de Tyr et des bourgades de ce territoire[290]. Avec eux il rançonnait toute la

Galilée et exploitait un peuple que tenait en suspens l'attente de la guerre prochaine.

2. Il aspirait déjà au commandement et à de plus hautes destinées, mais le manque d'argent l'arrêtait. Comme Josèphe prenait plaisir à son caractère entreprenant, Jean le persuada d'abord de lui confier la reconstruction des murs de sa ville natale, affaire où il réalisa de gros bénéfices aux dépens des riches citoyens[291]. Ensuite il

imagina une comédie raffinée : sous prétexte que tous les Juifs de Syrie répugnaient à faire usage de l'huile qui ne leur était pas fournie par leurs coreligionnaires, il obtint le privilège de leur en livrer à la frontière. Il achetait donc quatre amphores d'huile pour un statère tyrien, qui vaut quatre drachmes attiques, et revendait la demi-amphore pour la même somme. Comme la Galilée produit beaucoup d'huile et que la récolte avait été excellente, Jean, ayant le monopole d'en vendre de grandes quantités à des populations qui en manquaient, fit des profits immenses et il en usa aussitôt contre celui qui les lui avait procurés[292]. Comptant que, s'il

réussissait à écarter Josèphe, il obtiendrait lui-même le gouvernement de la Galilée, il ordonna aux brigands de sa bande de renchérir d'audace dans leurs incursions ; à

 

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la faveur de l'anarchie ainsi produite dans la contrée, il espérait de deux choses l'un : ou le gouverneur accourrait à la rescousse - alors il le tuerait bien dans quelque embuscade ; ou il laisserait faire les brigands - alors il calomnierait Josèphe auprès de ses concitoyens. Enfin, il faisait répandre depuis longtemps le bruit que Josèphe trahissait la cause nationale en faveur des Romains : bref, il multipliait les machinations de tout genre pour le perdre.

3[293]. Sur ces entrefaites, quelques jeunes gens du bourg de Dabarittha[294], qui faisaient partie des postes

établis dans la grande plaine, tendirent une embuscade à Ptolémée[295], intendant d'Agrippa et de Bérénice : ils

lui enlevèrent tout le convoi qu'il menait avec lui et qui comprenait beaucoup de riches vêtements, quantités de coupes d'argent et 600 statères d'or. Comme ils ne pouvaient disposer en secret d'un pareil butin ils portèrent le tout à Josèphe, alors à Tarichées. Celui-ci blâma l'acte de violence commis envers les gens du roi et déposa tous ces objets chez Annéos[296], le citoyen le

plus considérable de Tarichées, dans l'intention de les renvoyer à leurs légitimes propriétaires quand l'occasion se présenterait. Cette conduite lui attira les plus grands dangers. Les pillards, mécontents de n'avoir obtenu aucune part du butin, et devinant la pensée de Josèphe, qui allait livrer aux princes le fruit de leur exploit, parcoururent nuitamment leurs villages et dénoncèrent à tous Josèphe comme traître ; ils remplirent aussi de tumulte les villes voisines, en sorte qu'à l'aurore cent mille hommes en armes s'attroupèrent contre lui. La multitude assemblée dans l'hippodrome de Tarichées poussait des cris de fureur : les uns voulaient lapider, les autres brûler vif le traître ; Jean excitait la populace[297], et avec lui Jésus, fils de Sapphias, alors

premier magistrat de Tibériade. Les amis et les gardes de Josèphe, déconcertés par cet assaut de la multitude, s'enfuirent tous à l'exception de quatre[298] ; Josèphe,

qui était encore couché, fut réveillé au moment où déjà l'on approchait les torches. Ses quatre fidèles le pressaient de fuir[299] ; mais lui, sans se laisser

émouvoir par l'abandon général ni par le nombre des

 

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assaillants, se précipita dehors ; après avoir déchiré ses vêtements et répandu des cendres sur sa tête, il croisa ses mains derrière son dos et se fit attacher son épée à son cou. A cette vue, ses familiers et surtout les habitants de Tarichées furent saisis de pitié, mais les gens de la campagne et ceux du voisinage que gênait sa présence l'invectivaient, le sommaient de leur apporter incontinent l’argent du public et de confesser le prix de sa trahison : car ils jugeaient d'après sa contenance qu'il ne nierait aucun des crimes dont on le soupçonnait et qu'il n'avait organisé tout cet appareil de pitié que pour s'assurer le pardon. Tout au contraire, cette humble attitude n'était de sa part qu'un stratagème : s'ingéniant à diviser ceux qui se déchaînaient contre lui, il demanda la parole comme s'il allait avouer tous les crimes qui les échauffaient tant[300], et, quand il l'eut obtenue : « Ces

trésors, dit-il, ma pensée n'était ni de les envoyer à Agrippa, ni de me les approprier moi-même; loin de moi d'avoir pour ami celui qui est votre adversaire, ou de regarder comme un gain ce qui préjudicie à l'intérêt commun. Mais comme je voyais, citoyens de Tarichées, que votre ville avait grand besoin d'être mise en état de défense et qu'elle manquait d'argent pour la construction de ses remparts, comme d'ailleurs je craignais que le peuple de Tibériade et les autres cités ne cherchassent à mettre la main sur ce butin, j'avais décidé de garder en cachette cet argent pour m'en servir à reconstruire votre muraille. Si vous n'êtes pas de cet avis, je vais faire apporter devant vous les trésors qu'on m'a confiés et les abandonner au pillage de tous ; si, au contraire, vous jugez que mon projet était bon, ne punissez pas votre bienfaiteur[301] ».

4. A ces mots les habitants de Tarichées l'acclamèrent, mais ceux de Tibériade et le reste l'accablèrent d'injures et de menaces. Puis les uns et les autres, laissant Josèphe, se prirent de querelle entre eux. Dès lors, confiant dans ceux qu'il s'était déjà conciliés - le nombre des citoyens de Tarichées allait jusqu'à quarante mille, - il s'adressa plus hardiment à toute la multitude. Il critiqua vivement leur précipitation, promit de fortifier Tarichées avec l'argent disponible, et cependant de mettre aussi en état de défense les autres villes l'argent

 

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ne manquera pas, s'ils combattent, d'accord avec lui, ceux de qui l'on peut en tirer, au lieu de se laisser exciter contre celui qui le procure.

5. Là-dessus, la majeure partie de la foule trompée s'éloigna, quoique grondant encore, mais deux mille[302]

hommes armés se disposèrent à attaquer Josèphe. Il réussit à les prévenir et à se sauver dans son logis, qu'ils entourèrent avec des menaces. Alors Josèphe employa contre eux une nouvelle ruse. Il monta sur le toit, calma de la main leur tumulte et demanda à savoir l'objet de leurs réclamations. La confusion de leurs clameurs, dit-il, l'empêche de les entendre ; il fera tout ce qu'ils voudront s'ils envoient dans la maison une délégation pour s'entretenir tranquillement avec lui. En entendant ces paroles, les notables entrèrent dans la maison avec les magistrats[303]. Là il les entraîna dans la partie la

plus reculée de son logis, ferma la porte d'entrée et les fit tous fouetter de verges jusqu'à mettre à nu leurs entrailles. Pendant ce temps, la foule restait massée autour de l'habitation trouvant que les délégués plaidaient bien longuement leur cause. Tout à coup Josèphe fit ouvrir les battants de la porte, et l'on vit revenir ces hommes tout sanglants, spectacle qui inspira une telle terreur à la foule menaçante qu'elle jeta ses armes et se débanda.

6[304]. Ces événements redoublèrent la haine de Jean,

et il prépara contre Josèphe un nouveau guet-apens. Prétextant une maladie, il écrivit à Josèphe pour le supplier de l'autoriser à prendre les eaux chaudes de Tibériade. Josèphe, ne soupçonnant pas la perfidie, manda à ses lieutenants dans cette ville de donner à Jean l'hospitalité et de pourvoir à ses besoins. Celui-ci, après avoir joui de ces bous traitements pendant deux jours, exécuta son dessein : il corrompit les citoyens par des mensonges ou de l'argent et chercha à les détacher de Josèphe. Silas, que Josèphe avait préposé à la garde de la ville, informé de ces menées, s'empressa d'écrire à son chef tout le détail du complot. Josèphe, dès qu'il eut reçu la lettre[305], se mit en route, et, après une rapide

marche de nuit, arriva dès l'aurore à Tibériade. La masse

 

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des citoyens vint à sa rencontre : quant à Jean, bien que l'arrivée inopinée de Josèphe lui inspirât quelque inquiétude, il lui envoya un de ses familiers, se prétendant malade, alité et empêché ainsi de lui rendre ses devoirs[306]. Puis. pendant que Josèphe assemblait

dans le stade les habitants de Tibériade et commençait à discourir au sujet des nouvelles qu'il avait reçues, Jean envoya secrètement des soldats avec l'ordre de le tuer. Mais le peuple, en les voyant dégainer leurs épées, poussa une clameur ; à ces cris, Josèphe se retourne : il voit le fer menacer déjà sa gorge, saute sur le rivage - car il était monté, pour haranguer le peuple, sur un tertre haut de six coudées - et, s'élançant avec deux de ses gardes[307] sur nue barque mouillée tout proche, il

gagne le milieu du lac.

7. Cependant ses soldats, saisissant rapidement leurs armes, coururent contre les conjurés. Alors Josèphe, craignant de soulever une guerre civile et de perdre la ville par la faute de quelques envieux, envoya dire à ses hommes de se borner à veiller à leur propre sûreté, de ne tuer personne, de ne rechercher aucun coupable[308].

Ils se conformèrent à ses ordres et se tinrent en repos, mais les habitants des alentours, ayant appris le guet-apens et le nom du conspirateur, s'ameutèrent contre Jean, qui se hâta de regagner Gischala, sa patrie. Les Galiléens accoururent se ranger auprès de Josèphe, ville par ville ; de nombreux milliers de soldats, armés de toutes pièces, protestaient qu'ils étaient là pour punir Jean, l'ennemi public ; qu'ils brûleraient avec lui sa ville natale qui lui avait donné asile. Josèphe les remercia de leur sympathie, mais contint leur élan, préférant vaincre ses ennemis par la raison plutôt que de les tuer. Il se contenta donc de faire dresser la liste nominative des Juifs des diverses villes qui avaient suivi Jean dans sa défection - leurs concitoyens mirent le plus grand zèle à les lui dénoncer - puis fit proclamer par le héraut que tous ceux qui dans les cinq jours[309] n'auraient pas

quitté Jean verraient piller leurs biens et brûler leurs maisons avec leurs familles. Par ce moyen il obtint aussitôt la défection de trois mille[310] hommes qui

vinrent jeter leurs armes à ses pieds ; avec le reste,

 

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environ deux mille TyriensF311] fugitifs, Jean,

renonçant aux hostilités ouvertes, revint à des complots plus dissimulésF312].

Il envoya donc secrètementF313] des émissaires à

Jérusalem pour dénoncer Josèphe, alléguant les grandes forces que celui-ci avait réunies, et prétendant qu’il ne tarderait pas à venir s'établir tyran de la capitale, si on ne le prévenant. Le peuple, qui prévoyait ces calomnies, n'y attacha pas d'importance ; il en fut autrement des principaux citoyens et de quelques magistrats : animés par l'envie, ils envoyèrent sous main à Jean les sommes nécessaires pour lever des mercenaires et faire la guerre à Josèphe. Ils décrétèrent aussi entre eux de le révoquer de ses fonctions de gouverneur. Cependant, comme ils ne pensaient pas qu'un décret suffirait, ils envoyèrent deux mille cinq cents hommes armésF314] avec quatre

personnages de marque : JozarF315] fils de Nomicos,

Ananias fils de Sadoc, Simon et Judas, fils de JonathasF316], tous beaux parleurs ; ils étaient chargés

de détourner de Josèphe la faveur du peuple ; si le gouverneur se présentait spontanément, ils avaient ordre de lui laisser rendre ses comptes ; s’il voulait se maintenir de force, de le traiter comme un ennemi public. Les amis de Josèphe lui mandèrent que des troupes marchaient vers la Galilée, mais ils ne purent lui en indiquer les motifs, car ses adversaires avaient délibéré à huis clos. Aussi, comme il n’avait pu se mettre sur ses gardes, quatre villes firent cause commune avec ses ennemis, dés qu’ils apparurent : Sepphoris, Gabara, Gischala et Tibériade. Cependant, même ces villesF317],

il les ramena promptement, sans recourir aux armes ; puis, par ses habiles manœuvres, il mit la main sur les quatre commissaires et sur leurs principaux soldats et les renvoya à Jérusalem. Le peuple s’irrita fortement contre eux, et les aurait massacrés, eux et leurs mandants. s'ils ne s'étaient hâtés de prendre la fuite.

8F318]. Jean, dans sa crainte de Josèphe, se tint

désormais enfermé dans l'enceinte des murs de Gischala. Peu de jours après, Tibériade fit de nouveau défection. Cette fois, ce fut le roi Agrippa que les

 

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habitants appelaient. Il ne se présenta pas à la date convenue, mais ce jour là précisément un petit détachement de cavaliers romains se montra ; sur quoi les bourgeois bannirent Josèphe par la voix du héraut. La nouvelle de cette défection parvint aussitôt à Josèphe dans Tarichées ; comme il venait d'envoyez tous ses soldats pour fourrager[319], il ne voulut ni partir seul

contre les révoltés, ni rester les bras croisés, de peur que les gens du roi, profitant de son retard, n'occupassent la ville ; car même le lendemain il ne pouvait agir, à cause de l’obstacle u sabbat. Il imagina donc de venir à bout des révoltés par la ruse. A cet effet, ayant fait fermez. les portes de Tarichées pour empêcher que son projet ne s'éventât, il rassembla toutes les embarcations qu'on découvrit sur le lac - il s'en trouva deux cent trente[320],

chacune montée par quatre matelots seulement - et fila avec cette escadre vers Tibériade. Restant assez loin de la ville pour que les habitants eussent peine à reconnaître le vide des bâtiments, il laissa ceux-ci flotter au large et, seul avec sept gardes de corps armés, il s’avança à la vue de tous. En l’apercevant du haut des remparts, d'où ils l'insultaient encore, ses adversaires furent saisis d'effroi et s’imaginèrent que toutes les barques étaient remplies de soldats bien armés : ils jetèrent leurs armes et, agitant des rameaux de suppliants, le conjurèrent d'épargner la ville.

9. Josèphe leur lança force menaces et reproches : « pourquoi, ayant d'abord soulevé la guerre contre Rome, consumaient-ils leur énergie en luttes intestines ? n’était-ce pas combler les vœux de leurs ennemis ? quelle folie ensuite de s'acharner à détruire l’agent de leur sécurité ! quelle imprudence de fermer leur cité à celui qui en a élevé les murs ! » Cependant il se déclare prêt à recevoir des députés qui présenteront leur défense et lui garantiront l'obéissance de la ville. Aussitôt, dix

citoyens, les plus qualifiés de Tibériade, descendirent : il les emmena assez loin sur un des bâtiments, puis il invita cinquante autres membres du Conseil, les plus notables, à s'avancer pour lui donner, eux aussi, leur parole. De prétexte en prétexte, il se fit amener tous les notables les uns après les autres, censément pour conclure un accord. Au fur et à mesure que les barques

 

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se remplissaient, il ordonna aux pilotes de voguer à toute vitesse vers Tarichées et d’enfermer ces hommes dans la prison. Il s’empara ainsi de tout le Conseil, qui comprenait six cents membres, et de deux mille autres citoyens, qu’il ramena à Tarichées sur ses barques.

10. Ceux qui restaient sur le rivage désignaient à grands cris un certain Clitos comme le principal auteur de la défection et exhortaient le gouverneur à faire peser sur lui sa colère. Josèphe, bien résolu à ne tuer personne, ordonna à un de ses gardes nommé Lévi de descendre à terre pour couper à Clitos les deux mains. Le soldat, craignant de tomber seul au milieu d’une troupe d'ennemis, refusa de marcher. Alors Clitos, qui voyait Josèphe bouillant de colère sur sa barque et tout prêt à s'élancer lui-même pour le châtier, le supplia du rivage de lui laisser une de ses mains. Le gouverneur accepta, à condition qu'il se coupât l'autre lui-même : Clitos, tirant son glaive de la main droite, se coupa la gauche, tant Josèphe l'avait terrifié. Tel fut le procédé par lequel, avec des barques vides et sept gardes, il enchaîna tout un peuple et ramena Tibériade sous son autorité. Mais peu de jours après, la ville ayant de nouveau fait défection en même temps que Sepphoris[321], il la livra au pillage de

ses soldats. Cependant il réunit en bloc tous les biens des citoyens et les leur restitua. Il procéda de même à Sepphoris : après avoir dompté cette ville, il voulut lui donner, par le pillage, une leçon, puis en lui rendant ses biens, reconquérir son affection[322].

XXII

1. Préparatifs de guerre à Jérusalem. – 2. – Excès de Simon Bargioras en Acrabatène et en Idumée.

1. Ainsi s'apaisèrent les troubles de Galilée : la guerre civile terminée, on s'y occupa de préparer la lutte contre les Romains. A Jérusalem, le grand pontife Anan et tous ceux des puissants qui ne penchaient pas pour Rome mirent en état les murs et beaucoup de machines de guerre. Dans toute la ville on forgeait des traits et les armures complètes ; les jeunes gens se livraient à des

 

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exercices réglés[323] ; tout était plein de tumulte. Une

affreuse consternation avait saisi les modérés, beaucoup se lamentaient, prévoyant les désastres futurs. Il y eut des prodiges de funeste augure pour ceux qui aimaient la paix ; ceux, il est vrai, qui avaient allumé la guerre les tournaient à leur gré. Bref, l'aspect de la ville, avant même l'attaque des Romains, était celui de l'agonie. Cependant Anan songeait à ralentir un peu les préparatifs guerriers et à ramener au bien commun les factieux et l'égarement de ceux qu'on appelait les zélateurs ; mais il succomba à la violence, et nous montrerons dans la suite quelle fut sa fin.

2. Dans la toparchie de l’Acrabatène, Simon, fils de Gioras, rassemblant un grand corps de révolutionnaires, se livra à des déprédations. Non content de piller les maisons des riches, il maltraitait encore leurs personnes et annonçait de longue main qu’il aspirait à la tyrannie. Lorsque Anan et les magistrats se décidèrent à envoyer contre lui une armée, il s'enfuit avec sa bande chez les brigands de Masada ; il resta là jusqu'à la mort d'Anan et de ses autres adversaires, et, en attendant, dévasta tellement l'Idumée que les magistrats de cette province, exaspérés par le grand nombre des meurtres et les pillages incessants, finirent par lever une armée et mettre garnison dans les villages. Tel était alors l'état de l’Idumée.

  1. Chapitre I Ant. jud., XVII, 8, 4 (§ 200) - 9, 3 (§ 218). Les événements racontés dans ce chapitre se placent au mois d'avril 4 av. J.-C. La Paque tomba cette année le 11 avril.
  2. Ces grands banquets funèbres appartiennent au judaïsme post-

biblique : on a voulu cependant en trouver l'origine dans quelques textes prophétiques (Jérémie, XVI, 7 ; Ezéchiel, XXIV, 17; Osée,

 

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IX, 4). Cf. aussi II Sam., 3, 35.

  1. Il s'agissait surtout, comme le montre Ant., 205, des droits perçus pour les ventes et marchés.
  2. Judas et Matthias. Voir livre I, XXXIII, 2.
  3. Joazar, de la famille de Boéthos (Ant.. XVII, 164).
  4. Chapitre II Ant., XVII, 9, 3 (§ 219) - 7 (§ 249).
  5. Plus exactement procurator Cæsaris (Ant., XVII, 221), c'est-à-dire procurateur du fisc impérial dans cette province.
  6. Varus ne se rendit pas directement à Antioche, mais passa d'abord par Jérusalem pour y laisser une légion (infra. Liv. II, III, 1).
  7. Voir Liv. I, XXXII, 7
  8. On pourrait être tenté de prendre le terme ici et quelques lignes plus bas (et dans Nicolas fr. 5) au sens hiérarchique (hauts dignitaires), et non au sens littéral ; mais cf. infra, II, VI, 1, où le sens de parents est clair.
  9. Bien que le texte soit amphibologique, il s’agit probablement,

comme l'ont pensé la plupart des interprètes, non de la mère de Nicolas, mais de la mère d'Antipas, la Samaritaine Malthacé, qui était aussi celle d'Archélaüs (cf. Liv. I, XXVIII, 4).

  1. 30 mai, 4 av. J.-C.
  2. L'emplacement exact de l’hippodrome est inconnu. Schick

(Der Tempel in Jerusalem, p. 199) le place au-dessous de l'angle S-O. du parvis du Temple. Le passage correspondant de Ant., XVII, 255 parait altéré. D'après ce texte, le premier camp juif aurait été établi depuis le mur Nord du Temple jusqu'au mur Sud, sur le flanc Est de l'enceinte sacrée (?).

  1. D'après Ant., XVII, 264, Sabinus trouva 400 talents, non compris les sommes volées par la soldatesque.
  2. On a remarqué (Hœlscber. Quellen des Josephus, p. 31) que la mention des Sébasténiens (c'est-à-dire des colons de Samarie-

 

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Sébasté), qui se trouve ici et ailleurs, manque dans les passages correspondants des Antiquités.

  1. Ces exhortations s'adressaient seulement à ceux des Juifs qui avaient passé au parti des Romains (Ant., XVII, 267).
  2. Chapitre IV Ant., XVII, 10, 4 (§ 269) - 8 (§ 283).
  3. Cf. liv. I, X, 5
  4. Cf. Tacite, Hist., V, 9 : Post mortem Herodis, nihil expectato

Caesare, Simo quidam regium nomen inuaserat (Après la mort d'Hérode, et sans attendre les ordres de César, un certain Simon avait usurpé le nom de roi).

  1. Il s'agit de la localité appelée jadis Beth-haram (Josué. XIII, 27 ; Nombres, XXXII, 36), ensuite Beth-Ramtha (Talmud de Jérusalem, Scheblith, 38d) et qui, reconstruite par Hérode Antipas, prit le nom de Julias ou Livias (Ant., XVIII, 27). Cf. Schürer, II3, p. 167.
  2. On voit bien quel fut le sort de quatre frères, mais il y en avait

cinq (cf. 3 plus haut). On peut se demander si Josèphe ne s'est pas mépris sur le langage de sa source et si, au lieu de quatre frères, Athrongéos n'en avait pas trois seulement ; l'aîné dont il est ici question serait alors le prétendant lui-même.

  1. Chapitre V Ant., XVII, 10,9 (§ 286) - 11,1 (§ 299).
  2. Un régiment (ala) de cavalerie (composé d'auxiliaires) comptait ordinairement 500, plus rarement 1.000 chevaux. Il ne faudrait pas conclure du texte de Josèphe que chaque légion était toujours accompagnée de deux alæ ; il ne faut pas non plus confondre cette cavalerie indépendante avec les escadrons (turmæ) légionnaires proprement dits (liv. III, VI, 2) qui ne comptaient que 120 chevaux.
  3. Emplacement exact inconnu.
  4. Site inconnu
  5. Cf. supra, IV, 3. Il s'agit de la ville nommée plus tard Nicopolis, au S.-E. de Lydda, et non, comme on l'a prétendu, de l'insignifiante bourgade à 61 stades de Jérusalem (Luc, XXIV, 13). Varus a longé la montagne du N. au S. avant de pénétrer au cœur

 

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de la Judée.

  1. Fils du frère d'Hérode tué à Jéricho (cf. liv. I, XVII, 1).
  2. La « guerre de Varus », mentionnée (C. Apion, I, § 35), paraît

avoir laissé un souvenir dans la tradition rabbinique sous le nom de polemos shel Asveros (lire Varos ?) : cette guerre, d'après Seder Olam, in fine, aurait précédé de 80 ans celle de Vespasien.

  1. Chapitre VI Ant., XVII, 11 (§ 299-323). Voir aussi Nicolas fr. 5 (FHG. III,354). Il y a un souvenir de l'ambassade juive contre Archélaüs dans une parabole de l'Évangile de Luc, XIX, 19 suiv.
  2. Josèphe ne mentionne pas l'ambassade des cités grecques,

venues pour réclamer leur liberté (Nicolas, 5, 24). Nicolas donna le conseil à Archélaüs de ne pas combattre leur demande.

  1. Il s'agit du second retour, sous Esdras, que Josèphe, on se le rappelle, place au temps de Xerxès (Ant., XI, 5).
  2. Le reste du territoire de Zénodore forma la principauté d'Abila

dont le tétrarque Lysanias (II) est mentionné dans plusieurs textes (Luc, III, 1; CIG. 4521 etc.). Cf. Schürer, I, 719.

  1. Iamnia fut donnée à Salomé (plus bas) et l'on ne saurait songer à une autre Iamnia dans la Haute-Galilée (Vita, c. 37 ; Bell. II, 573), et c'est probablement le district de Panias que l'évangile de Luc (III, 1) a en vue quand il mentionne l'Iturée parmi les possessions de Philippe. Ailleurs Josèphe ajoute à la liste de ses provinces la Gaulanitide (Ant., XVII, 189).
  2. 600 talents d'après Ant., 320.
  3. Sans doute Roxane et Salomé.
  4. 1.500 talents d'après Ant., 323. Mais le chiffre de Guerre

paraît préférable. Hérode n'avait couché Auguste dans son testament que pour 1,000 talents (liv. I, XXXII, 7), et en avait légué 500 aux enfants et amis de l'empereur.

  1. Ainsi Auguste ratifia dans ses grandes lignes le dernier testament d'Hérode (liv. I, XXXIII, 8 et Ant., XVII, 81) ; le principal changement concernait le titre royal d'Archélaüs.
  2. Chapitre VII. Sections 1 et 2 Ant., XVII, 12 (§ 324-238).

 

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Sections 3 et 4 Ant., XVII, 13 (§ 339-354).

  1. C'est le nom grec de Pouzzoles.
  2. Entendez les gens de Mélos qui avaient accompagné

l'imposteur en Italie. Le texte parallèle des Ant., § 331 précise ce détail.

  1. Voir liv. I, XXIII, 3.
  2. C'était un affranchi d'Auguste (Ant., 332; Suétone, Aug., 67)
  3. Ce récit diffère notablement de celui des Ant., 332 suiv. Là Célados se laisse duper, et c'est Auguste lui-même qui décèle la fourberie et arrache à l'imposteur la dénonciation de son complice. Josèphe avait-il d'abord mal compris Nicolas, ou le texte est-il altéré ?
  4. Il semble que l'ouvrage de Nicolas s'arrête ici. A partir de cette

date jusqu'aux faits immédiatement antérieurs à la révolte de 66, le récit de Josèphe, en ce qui touche les affaires juives, est sec et succinct.

  1. Chez les Allobroges, dit Strabon, XVI, 2, 46. - Plus tard on

montrait pourtant sa tombe près de Bethléem (Jérôme, Onomast., p. 101, éd. Lagarde).

  1. On ne s'étonnera pas trop de voir un prince juif consulter les Chaldéens puisque en plein IVe siècle Raba et Abaï en faisaient autant (Berakot, 56 a).
  2. Dans le récit parallèle des Antiquités (§ 342-348) Archélaüs est déposé la 10e année de son règne (6 après J.-C.) et non la 9e et le nombre des épis est modifié en conséquence. La date des Antiquités est confirmée par Dion Cassius, LV, 27. (La Vita § 5 mentionne aussi l'an 10 d'Archélaüs). Le songe d'Archélaüs, mauvais pastiche de l'histoire de Joseph, paraît être une aggada essénienne, comme il y en a plusieurs dans Josèphe. Il a dû les recueillir pendant son séjour chez Banous.
  3. Voir liv. I, XXIII, 1 ; XXIV, 2 ; XXV, 1 et 5 ; XXVI, 5. Après le supplice d'Alexandre, Hérode avait renvoyé à Archélaüs Glaphyra et sa dot (hiver 7-6 av. J.-C.), mais en gardant les enfants issus du mariage.

 

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  1. Juba II, roi (?) de Numidie en 29 av. J.-C., échangea ce royaume en 25 av. J.-C. pour la Maurétanie. Il avait épousé en premières noces Cléopâtre Séléné, fille d'Antoine et de la grande Cléopâtre. On a prétendu que ce mariage durait encore en 5 ap. J.-C. à cause d'une monnaie de Juba de l'année régnale 31, où Müller (Numism. de l'ancienne Afrique, n° 88) croyait distinguer la tête de Cléopâtre ; mais c'est en réalité le buste du jeune Ptolémée fils de Juba Mommsen (Eph. epig., I, 277 ; Dieudonné, Rev. numism., 1908, p. 361, n° 79).
  2. C'est une erreur. Juba II, comme le prouvent le langage de

Strabon et les dates de ses monnaies (jusqu'à l'an 48), n'est mort qu'en 23 ap. J.-C. (cf. Cagnat, Bull. du Comité des mon. hist. 1889, 388). Glaphyra a donc été probablement répudiée (Müller, FHG. III, 466). On a rattaché son mariage avec Juba et son divorce à l'expédition d'Arabie, préparée par Caius César, à laquelle ce roi aurait pris part (?)

  1. Inconnue d'ailleurs.
  2. Le lévirat ou mariage d'un frère avec la veuve de son frère est

interdit par le Lévitique, XVIII, 16 ; XX, 21. Cette interdiction ne s'appliquait, d'ailleurs, qu’au cas où le défunt avait laissé des fils : or, Glaphyra en avait eu deux d'Alexandre. (Dans le cas contraire, le mariage était au contraire obligatoire d'après Deut., XXV, 5 suiv. Et il était regardé comme tel encore à l'époque de Josèphe : Marc, XII, 19, etc.). Dans Ant., 341, Josèphe insiste sur le fait que Glaphyra avait des enfants. Le mariage avec Juba ne compte pas au point de vue juif.

  1. Section 1 Ant., XVIII. 1, 1 ,§ 2-10). Année 6-7 ap. J.-C.
  2. Il faut entendre par là non les Galiléens - puisque la Galilée faisait partie du territoire d'Antipas - mais les Juifs, seuls soumis à l'impôt par suite de l'annexion de l'ethnarchie d'Archélaüs. - On a voulu parfois identifier notre Judas avec Judas fils d'Ezéchias qui saccagea en 4 av. J.-C. l'arsenal de Sepphoris (supra, IV, 1) ; « sicherlich identisch )) dit Schürer, I, 486. Mais cette identité, contestée par Purves (Hastings, Dict. of the Bible, s. v.), est fort peu vraisemblable. Judas fils d'Ezéchias est un brigand, fils de brigand ; Judas « le Galiléen )) (il était en réalité, d'après Ant., XVIII, § 4, originaire de Gamala en Gaulanitide, district du territoire de Philippe) est plutôt un docteur fanatique, le fondateur de la « secte )) des zélotes ou qannaïm. Il est à remarquer

qu'aucun des fils de Judas le Galiléen ne s'appelait Ezéchias (leurs noms sont donnés Guerre, II, XVII, 8 ; Ant., XX, 102), ce qui eût été le cas s'il s'agissait de Judas fils d'Ezéchias. - L'issue de la révolte de Judas nous est racontée par Luc, Actes des apôtres, 5,

 

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37 : il fut tué et tous ses partisans dispersés.

  1. Appréciation excessive, corrigée Ant., XVIII, § 23 suiv. où l'on voit que la secte fondée par Judas s'accordait sur tous les points de doctrine avec les pharisiens et ne s'en distinguait que par un zèle ardent pour l'indépendance nationale identifiée avec la théocratie.
  2. Sections 2-14 (tableau des sectes) Ant., XVIII, 1, 2-5 (§ 11-22)

où l'auteur renvoie expressément à son développement plus étendu. Les renseignements donnés ici sont de première main (Josèphe avait fait un stage dans les trois « sectes » (Vita c. 2), mais ont été quelque peu arrangés pour être plus intelligibles au public gréco-romain. -L'exposé de Josèphe sur les Esséniens est reproduit textuellement par Eusèbe (Hist. eccl., I, 5 ; Praep. evang., IX, 3), en substance par Porphyre, De abstinentia, IV, 11 suiv.).

  1. On est tenté de croire que Josèphe établit un lien entre la sévère discipline des Esséniens et leur nom. Peut-être le dérivait-il (comme la plupart des modernes) de l'araméen hasaya « les dévots », Cf. Philon, II, 632 Mangey (Schürer croit que Philon dérive le nom des Esséniens du grec ; c'est peu vraisemblable).
  2. Sur la prohibition du mariage par les Esséniens cf. aussi

Philon, Il, 633 Mangey ; Pline l'ancien, V, 17 « gens aeterna, in qua nemo nascitur ».

  1. Philon, II, 458 et 632-3 Mangey, confirme et précise le

communisme des Esséniens. Ils n'avaient pas non plus d'esclaves (Ant., XVIII,21).

  1. On verra plus loin section 5, quel fréquent usage les Esséniens faisaient des ablutions.
  2. Comme les prêtres juifs. Beaucoup de coutumes esséniennes s'expliquent par l'idée d'un sacerdoce général.
  3. Il ne faudrait pas conclure de là que les Esséniens « adoraient » le soleil, mais qu'ils le considéraient comme le représentant, l'émanation de la splendeur divin : c'est cette conception (peu juive) qui explique aussi l'usage rapporté plus loin en VIII, 9.
  4. D'après Ant., XVIII, 22, ce boulanger et ce cuisinier auraient

qualité de prêtres. C'est à tort que saint Jérôme (Adv. Jovinian, II, 14) attribue aux Esséniens l'abstention du vin et de la viande : le

 

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contraire résulte de ce qui est dit en dessous.

  1. Schürer suppose qu'il s'agit de robes de lin (comme les ceintures citées plus haut).
  2. Hérode lui-même s'était incliné devant la répugnance des Esséniens pour le serment ; cf. Ant., XV. 371. Mais cette règle subissait une exception lors de l'entrée dans la confrérie.
  3. On verra plus loin la destination de cette hachette.
  4. Ce pluriel ne permet pas de traduire, comme on le fait d'ordinaire, « la vie en commun ».
  5. Non pas les préposés de la secte, mais les autorités constituées en général. Cf. Ant., XV. 374, où l'Essénien Manahem dit à Hérode : tu règneras, car Dieu t'en a jugé digne.
  6. On ne voit pas bien ce que le brigandage (ou, selon Lucius, les menées révolutionnaires) vient faire ici. Il ne peuL davantage être question du vol des livres sacrés (Kohout).
  7. On peut conjecturer d'après cela que l'angélologie si développée du judaïsme rabbinique est en partie d'origine essénienne.
  8. D'où l'on doit conclure que la préparation des mets décrits plus haut était soumise a des prescriptions rituelles encore plus sévères que celles de la nourriture kascher ordinaire.
  9. Moise.
  10. Même prohibition dans le Talmud de Jérusalem (Berachoth, III, 5), mais seulement pendant la prière. Cette superstition doit avoir une origine lointaine.
  11. Le soleil, est-il dit au contraire dans le Testament des XII Patriarches (Benjamin, c. 8), n'est pas souillé par l'ordure, mais la purifie (Schürer, II4, 667).
  12. Josèphe n'a pas l'air de se douter que tout ce cérémonial (y compris la hachette) n'est que la reproduction des préceptes du Deutéronome, XXXV, 13-15. Seule l'ablution filiale n'a pas de parallèle dans ce texte.

 

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  1. Ces quatre classes seraient, selon Schürer, les enfants, les deux degrés de noviciat et les adeptes proprement dits. Cela est fort douteux.
  2. On a souvent contesté la véracité de ce tableau des croyances esséniennes. Zeller et d'autres, qui l'admettent, reconnaissent dans cette doctrine un reflet du dualisme des Pythagoriciens et peut-être des Perses.
  3. Josèphe lui-même cite trois exemples de prédictions esséniennes réalisées : Judas (Guerre, I, III, 5), Simon (II, VII, 3), Manahem (Ant., XV, 372 suiv.).
  4. Philon ne connaît pas cette variété d’Esséniens.
  5. Entendez : la Providence (Josèphe parle ad usum gentilium).
  6. Manière très inexacte de traduire la doctrine de la résurrection des corps.
  7. Section 1 Ant., XVIII, § 27-28; 31-33; 36.
  8. 4/5 ap. J.-C.
  9. D'après Ant., XVIII, 31, Salomé mourut sous le procurateur Ambivius (10-13 ap. J. C.). Aux localités léguées par elle à Livie ce texte ajoute la ville d'Archélaïs.
  10. On ne comprend pas ce chiffre (qui est également donné Ant., XVIII, 32). En comptant, de la mort de César (15 mars 44 av.) jusqu'à celle d'Auguste (19 août 14 ap. J.-C.), on obtient 57 ans, 5 mois et 4 jours. En comptant de l'ouverture du testament de César (17 mars), comme le propose Gardthausen (Augstus und seine Ziet, II, 856), le nombre des jours devient exact, mais celui des mois reste toujours faux. Peut-être le texte copié par Josèphe donnait-il les nombres en chiffres, et le chiffre E (5) aura été lu F (6).
  11. La Julias de Gaulanitide, l'ancienne Bethsaïda (à l'E. du Jourdain et du lac) a reçu non nom, d'après Ant., XVIII, 28, en l'honneur de Julie, fille d'Auguste (exilée 2 av. J.-C.), Schürer en conclut que sa fondation est antérieure à cette date. La Julias de Perée portait le nom de l'impératrice Livie (Ant., XVIII, 27), devenue Julia par l'adoption testamentaire d'Auguste ; cette ville est plus ordinairement appelée Livias, nom qu'elle a dû recevoir à

 

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sa fondation.

  1. Sections 2 et 3 Ant., XVIII. § 35 ; 55-59. Le gouvernement de Pilate se place de 26 à 36 ap. J.-C.
  2. Expression impropre. Ant., XVIII, 55, dit plus exactement : les bustes de César, plantés sur les enseignes.
  3. Section 4 Ant., XVIII, § 60-62.
  4. Ce passage est avec Matthieu. XXVII, 6, le seul texte où le Trésor du Temple soit désigné sous le nom de Korbónas (du mot korban = tabou, consacré).
  5. 200 stades d'après Ant., § 60 (300 d'après Eusèbe, H. E. II, 6). On a voulu concilier ces données en prétendant que la Guerre a en vue tout l'aqueduc restauré par Pilate (depuis le Ouadi Aroub), tandis que les Ant. ne visent que la partie inférieure, depuis les « étangs de Salomon ». Cf. Schürer. I4, 490.
  6. Section 5 Ant., XVIII, § 161-223, récit très détaillé, mais où il n'est pas question d'une accusation portée par Agrippa contre Antipas. Le voyage et l'incarcération d'Agrippa se placent en 36 ap. J.-C.
  7. Son cocher Eutychos (Ant., 179 suiv.). Le propos, d'après Ant., 168, fut tenu non pas à souper, mais en voiture.
  8. D'après Ant., § 224 : 22 ans, 5 mois et 3 jours (mais la traduction latine donne 6 mois). Les deux indications, provenant évidemment de la même source (ici encore le chiffre F est devenu E), sont d’ailleurs inexactes : Tibère a commencé à régner le 19 août 14 (mort d'Auguste) et est mort le 16 mars 37 (le 26 selon Dion), donc il a régné 22 ans, 6 mois et 22 jours.
  9. Section 6 Ant., XVIII, § 237 ; 240-256.
  10. Agrippa devint roi peu après mars 37. Philippe était mort en 34 ; pendant trois ans ses Etats furent rattachés au territoire provincial.
  11. An 38-9 ap. J.-C.
  12. D'après Ant., § 252, Hérode fut exilé à Lyon en Gaule. On a voulu concilier ces données contradictoires en supposant qu'il

 

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s'agit de Lugdunum Convenarum (Comminges) dans les Pyrénées !

  1. D'après Ant., 247 suiv., Agrippa ne vint pas lui-même, mais envoya son affranchi Fortunatus.
  2. Sections 1 à 5 Ant., XVIII, § 261-309. Il est à remarquer que le récit de Guerre omet toute mention de l'intervention d'Agrippa dans l'affaire des statues, Josèphe n'aura connu ce détail que plus tard.
  3. Deux seulement d'après Ant., 262 (et Philon, Legat. ad Caium, 30).
  4. Automne 40 ap. J.-C. Mais la chronologie exacte est incertaine, Philon place les évènements de Ptolémaïs au moment de la moisson (été 40). Schürer, I3, 506, note, fait durer toute l'affaire 18 mois.
  5. Bélus chez Pline, XXXVI, 190 et Tacite, Hist., V, 7. Aujourd'hui Nahr Naaman. L'emplacement hyalogène aurait d'après Pline 500 pas (de longueur ?). - Toute cette digression sur Ptolémaïs et ses curiosités manque dans les Antiquités.
  6. Un colosse égyptien ?
  7. Josèphe réunit ici en un seul épisode ce qui dans les

Antiquités, fait l'objet de deux scènes, l'une à Ptolémaïs (§ 263 suiv.), l'autre à Tibériade (§ 270 suiv.).

  1. Quarante selon Ant. § 272.
  2. Détail omis dans Antiquités.
  3. Ce délai n'est pas indiqué dans Antiquités - Caligula fut assassiné le 24 janvier 41.
  4. Sections 1 à 5 Ant., XIX, 201-277. A la différence du chapitre précédent, ici c’est le récit de Guerre qui semble exagérer le rôle d'Agrippa dans l'avènement de Claude.
  5. Même chiffre dans Ant., XIX, 201. En réalité 3 ans et 10 mois (18 mars 37 à 24 janvier 41). La traduction latine à 6 mois.
  6. Quatre d'après Ant., XIX. 188. Il s'agit des cohortes

 

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urbaines.

  1. Texte corrompu.
  2. C'est-à-dire l'Abilène et divers cantons du Liban (Ant., XIX, 275).
  3. Cet Hérode reçut en effet le titre de roi et le rang prétorien

(Dion, LX, 8). Bérénice était sa seconde femme ; en premières noces il avait épouse Mariamme, fille de Joseph II (neveu d'Hérode le Grand) et d’Olympias, fille d'Hérode le Grand (Ant., XVIII, 134).

  1. Sur le flanc nord de la ville, qu'elle enveloppait d'un vaste circuit.
  2. Au commencement de l'an 44. - En réalité, si Agrippa n'acheva pas la muraille projetée, c'est qu'il en fut empêché par Marsus, gouverneur de Syrie (Ant., XIX, 327).
  3. Plus exactement il avait possédé 4 ans (37-40) les tétrarchies de Philippe et de Lysanias, un an celle d'Hérode (cf. Ant., XIX. 351).
  4. Fille de Phasaël, neveu d'Hérode le Grand (Ant., XVIII, 131) et de Salampsio, fille d'Hérode et de la première Mariamme.
  5. Il avait 17 ans (Ant. XIX, 354).
  6. Environ 44-45 ap. J. C
  7. Environ 46-48.
  8. En 48 (Ant., XX, 104).
  9. Elle portait le nom de sa mère, une princesse d'Emèse, fille de Sampsigeramos (Ant., XVIII, 135).

[124] Tigrane et Alexandre II. Tigrane fut fait roi d'Arménie par

Auguste en 11 ap. J.-C., mais bientôt déposé. En 60 ap. J.-C., un fils d'Alexandre II, également nommé Tigrane, reçut la même dignité.

  1. Section 1 Ant., XX, 104.

 

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  1. 49 ap. J.-C.
  2. Ventidius Cumanus (Tac., XII, 54), 48-52 ap. J.-C.
  3. Remarquer ce présent qui parait indiquer que Josèphe copie une source antérieure à la ruine du Temple. Eusèbe (Chron., II, 152, Schœne) a suivi le récit de Guerre.
  4. Cf. Horace, Serm. I, 9, 69 : hodie tricesima sabbata: vin’ tu Curtis Iudaeis oppedere? (Note de R. Harmand).
  5. D’après Ant., 110, ils se concentrèrent à la tour Antonia.
  6. 20.000 selon Ant., XX, 112 (l'un et l'autre chiffre semblent excessifs).
  7. Section 2 Ant., XX, 113-117.
  8. Béthoron, à 5 lieues de Jérusalem (cent stades selon Ant., 113), dans un défilé que traverse la route de Joppé.
  9. Ant., 113, en fait des insurgés.
  10. Il semble qu'il manque ici un mot correspondant aux notables des Ant., 114.
  11. Ce dernier trait manque dans le récit des Antiquités.
  12. Sections 3 à 7 Ant., XX, 118-136. Ces. évènements sont aussi racontés par Tacite, Ann., XII, 54, mais de façon assez différente.
  13. Aujourd'hui Djenin ?
  14. « Sur les confins de Samarie et de la Grande plaine » (Ant., 118).
  15. C'est-à-dire un Juif habitant la Galilée. - D'après les Antiquités, il y eut rixe et plusieurs pèlerins furent tués.
  16. Ant., 119, dit formellement qu'il avait été acheté par les Samaritains.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

  1. Ce dernier nom est omis dans Ant., 121.
  2. Au S.-E. de Sichem.
  3. Et 4 cohortes (Ant., 122).
  4. A Samarie, d'après Ant., 129. La leçon de Guerre paraît préférable.
  5. Cinq (dont le chef) d'après Ant., 130.
  6. Ant., 131, l’appelle le « stratège Ananos », c'est-à-dire capitaine du Temple. Ce texte omet Jonathas.
  7. Le récit des Antiquités ne précise pas le nom de la fête. D'après la Guerre, il faudrait donc admettre que ces troubles ont duré une année entière (Pâque 51 à Pâque 52 ?)
  8. Section 8 Ant., XX, 137-138; 148-150.
  9. Antonins Félix (Tacite, Hist., V, 9), 52-60 ap. J.-C. D'après Tacite (Ann., XII, 54), il aurait déjà été procurateur de Samarie à l'époque où Cumanus l'était de Galilée. Cf. Schürer, I4, 570.
  10. On ne sait pas au juste ce qu'il faut entendre par là. Ailleurs (Bell., II, 481 et Vita, c. 11) Josèphe mentionne un certain Varus, ministre d'Agrippa, descendant de Sohémos, tétrarque du Liban. Sohémos avait obtenu en 38 le pays des Ituréens (Dion. LIX, 12) ; à sa mort (49) ce territoire fut incorporé à la province de Syrie (Tac.. XII, 23). On suppose que son fils (?) Varus en garda une partie, qui fut, en 53, donnée à Agrippa. Ce Varus serait identique au ministre d'Agrippa ou le père de ce ministre (Kohout).
  11. Mêmes chiffres dans Ant., 148. Claude a régné du 24 janvier 41 au 13 octobre 54 : le calcul est donc ici tout à fait exact.
  12. Section 2 Ant., XX. 158-161.
  13. Ant., 159, ne nomme pas Abila, qui n'est pas la ville du Liban, ni celle de la Décapole (Tell Abil), mais probablement une petite ville voisine du Jourdain, non loin de Jéricho, au territoire planté de palmiers (Ant., IV, 176 ; Bell., IV, 438). Contra, Schürer, II4, 163. Julias est, bien entendu, la ville de Pérée mentionnée supra, IX, 1 (Livias).

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

  1. Plus exactement : il confirma (supra, XIII, 8).
  2. Eléazar, fils de Dinæos, supra. XII, 4.
  3. Section 3 Ant., XX, 163-166; 186-187. Dans le récit des Antiquités le meurtre de Jonathas est attribué aux machinations de Félix.
  4. Du latin sica, poignard recourbé comme le sabre perse, selon Ant., XX, 186. Mais le mot sicarius signifiait depuis longtemps assassin (cf. la Lex Cornelia de sicariis, sous Sylla). Le mot a souvent dans la Mishna ce sens général.
  5. Section 4 Ant., XX, 167-168.
  6. Il est fait allusion à ces faux prophètes, qui veulent montrer Dieu dans le désert, dans Matthieu, XXIV, 26 (ce qui précise la date de cet évangile).
  7. Section 5 Ant., XX, 169-172.
  8. Ce chiffre manque dans Ant. D'après les Actes des apôtres, XXI, 38, l'Egyptien n'avait que 4,000 sectaires. Comme Paul, à la Pentecôte 58, fut pris pour cet aventurier, l'affaire se place peu avant cette date.
  9. Section 6 Ant., XX, 172 (abrégé).
  10. Section 7 Ant., XX, 173-178.
  11. Ant., 173, donne un argument tout différent : lorsque la ville s'appelait Tour de Straton, elle ne renfermait pas un habitant juif.
  12. Il s'agit, bien entendu, des troupes auxiliaires, qui formaient alors seules la garnison normale de la Judée : ala des Sébasténiens, cohortes de Césaréens et de Sébasténiens, etc. Cf. Schürer, I4, 461.
  13. Les Antiquités ne parlent pas de cette députation ordonnée par Félix. L'affaire se place en 59-60. Cf. Schürer, I4, 578.
  14. Section 1 Ant., XX, 185-188 (Festus) ; 204-207, 215 (Albinus).

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

  1. Porcius Festus (60-62 ?) mourut dans l'exercice de ses fonctions. Son successeur Lucceius Albinus était déjà en Palestine à la tête des Tabernacles de l'an 62. Le jugement porté sur Albinus dans les Antiquités (notamment § 204) est plus favorable que dans la Guerre : il ne délivre que les petits délinquants, et seulement à la nouvelle de son remplacement par Florus.
  2. Section 2 Ant., XX, 252-257. (Ici cesse le récit parallèle des Antiquités).
  3. Il arriva dans l'automne 64 ou le printemps 65.
  4. Pâque 65 (?) ap. J.-C.
  5. Monstrueuse exagération qui annonce les chiffres fantastiques de toute la suite du récit.
  6. Avril-mai 66. Les mois macédoniens employés par Josèphe sont en général les équivalents des mois du calendrier lunaire juif (Xanthicos = Nisan, mars-avril ; Artemisios = Iyyar, avril-mai, etc.). Toutefois cette question est vivement controversée : on a prétendu que dans bien des cas le mois macédonien n'est qu'une traduction du mois romain (calendrier solaire). (Cf. Schürer, I. p. 756 suiv., qui est disposé à admettre des exceptions, suivant la source utilisée par notre historien). La décision de Néron sur l'affaire de Césarée est d'ailleurs bien antérieure à la date indiquée (cf. Ant., XX. 183 Suiv.) : elle doit avoir été rendue en 62, puisque Pallas, qui prit part à la délibération, est mort cette année. Ce qui est vrai, c'est que depuis la nouvelle de cette décision l'animosité des Juifs de Césarée contre les Syriens ne fit que croître et s'exaspérer (Ant., 184).
  7. La victime, même pure, immolée par un païen, souille un lieu consacré comme le ferait une charogne (Mishna, Houllin, I, 1).
  8. Peut-être parce que les Juifs étaient en retard du paiement de l'impôt (infra, XVI, 5).
  9. Expression exagérée. Il semble bien qu'il n'y eût que 5 cohortes à Césarée (Ant., XIX, 365) et Florus n'a certainement pas emmené toute la garnison (2 cohortes rejoignirent quelques jours après).
  10. Sans doute les pelotons de cavalerie (à raison de deux par cohorte) attachés aux cohortes auxiliaires.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

  1. Le marché de la ville haute, c'est-à-dire du quartier S.-O. C'est le même qui est mentionné dans le liv. I, XII, 2.
  2. Plusieurs manuscrits ont 630, chiffre invraisemblable.
  3. Tibère Alexandre, qui avait été précédemment procurateur de Judée et dont le frère Marc avait été fiancé à Bérénice.
  4. Le palais d'Hérode, et non celui de Bérénice (infra. XVII, 6).
  5. Il s'agit d'un vœu de naziréat, comme celui de la reine Hélène et de saint Paul, mais réduit à la durée minima de 30 jours qui, semble-t-il, était de règle pour les naziréats accomplis ou achevés en Terre sainte (Mishna, Nazir, III, 6).
  6. D'après Niese : le 3 juin 66.
  7. Le croquis ci-contre rend compte de la manœuvre de Florus
  8. L’expression du texte est équivoque : elle donnerait à croire qu’Antonia était aux mains des Juifs, ce qui n’est pas le cas.
  9. Entendez qu'ils démolirent les toits du portique à l’angle N.-O., par où la garnison d'Antonia pouvait descendre sur la colonnade et en occuper tout le pourtour.
  10. Il s'agit des troupes placées directement sous le commandement de Florus et qu'il avait amenées l'avant-veille : on voit par ce passage qu'elles ne se composaient que d'une seule cohorte. Florus donna une des deux cohortes arrivées de Césarée en dernier lieu.
  11. Quelques manuscrits ont Politianus, mais Vita, § 121, donne également en grec la qualité de tribun d'une aile de cavalerie.
  12. Jamnée n'est pas sur la route directe de Césarée à Jérusalem; on a supposé un détour intentionnel.
  13. C'est-à-dire jusqu'à la fontaine (au S. de la ville) dérivée de la source de ce nom.
  14. C'est-à-dire sans dépasser la grille qui séparait le parvis extérieur du péribole intérieur, interdit aux païens sous peine de mort.

 

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  1. La ville haute (au S.-O.) était séparée par un ravin de la

colline du Temple. Sur le « glacis » de la ville haute, bordé par l'ancien mur de David (Guerre, V, 144), se trouvait le Xyste (terrasse au sol dallé ou aplani), relié à la colline d'en face par un pont qui aboutissait vers le milieu du portique O. (Guerre, VI, 325). Le palais des Asmonéens s'élevait sur une éminence à côté (à l'O.) du Xyste, et Agrippa s'y était construit un appartement d'où la vue plongeait sur le Temple (Ant., XX, § 189 suiv.). Les mots du texte grec sont d'ailleurs loin d'être clairs, et plusieurs commentateurs placent le Xyste sur la colline même du Temple.

  1. Sur la source et l'exactitude des renseignements statistiques

donnés par Josèphe dans ce discours cf. Friedlaender, De fonte quo Josephus B. J. II, 16, 4, usus sit (Kœnigsberg, Lectionsverzeicbniss 1873); Domaszewski, Die Dislokation des rümischen Heeres im J. 66 n. Chr. (Rh. Museum, 1892, p. 207­218).

  1. Allusion au canal de l'Athos et au pont sur l'Hellespont.
  2. L'Achaïe formait depuis 27 av. J.-C. une province

sénatoriale, gouvernée par un proconsul de rang prétorien. Josèphe ne tient naturellement pas compte de la « liberté » des Grecs proclamée en 67 par Néron.

  1. Chiffre probablement exagéré (Ptolémée n'en compte que 140), mais qui concorde avec celui de Philostrate, Vie des sophistes, II, 1, 4 Didot.
  2. Renseignements inédits. Les 3,000 hommes sont ou des

cohortes auxiliaires, ou des détachements d'une légion de Mœsie. C'est à tort que Villefosse (art. Classis du Dict. des antiq., p.

1234b) y voit les équipages de la flotte de l'Euxin (classis Pontica). L'occupation militaire de ces contrées parait dater de l'an 63 ap. J.-C. (déposition de Polémon II).

  1. Détachés de l'armée de la Mœsie, dont relevait la Thrace.
  2. Il s'agit de l'armée de Mœsie, qui comprenait deux légions :

VIII Augusta et VII Claudia (cette dernière fut, en 70, transférée en Germanie). Josèphe ne parle pas de la légion de Pannonie, XIII Gemina.

  1. La légion XI Claudia (la VIIe, jadis aussi en Dalmatie, ayant été ramenée en Mœsie sous Néron).

 

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  1. 400 selon Appien, Celt., I, 2 (p. 24 Didot), 300 selon Plutarque, César, 15. Ce sont les pagi, subdivisions des civitates.
  2. Depuis la constitution de la province Narbonnaise (121 av. J.-C. ?) jusqu'à la fin des campagnes de César il s'est écoule environ 70 ans.
  3. Il s'agit des deux cohortes urbanae (XVII et XVIII) stationnées à Lyon, cf. Tacite, Hist. I, 64 ; Mommsen, Hermes, XVI, 645; Dessau, Inscr. latinae selectae, I, n° 2130. Domaszewski ne tient compte que de la XVIIIe.
  4. « Plus de 800 villes » selon Appien. loc. cit.
  5. La VI Victrix. Quant à la X Gemina, qu'on trouve en Espagne sous Néron et de nouveau sous Galba (Tac. Hist. V, 16), il y a lieu de croire qu’entre 66 et 68 elle a été détachée en Germanie.
  6. En comptant la X Gemina, détachée de l’armée d'Espagne.
  7. Exagération colossale, mais qui a des analogies ailleurs (cf. Pline, IV, c. 30).
  8. II Augusta, IX Hispana, XIV Gemina Mania Victrix (rappelée en 68), XX Valeria Victrix.
  9. Par exemple la fille de Tiridate, en 63 ap. J.-C. (Tac., XV, 30). Cf. aussi Dion, LXII, 23.
  10. La III Augusta, stationnée dans la province sénatoriale d'Afrique. On voit que c'est à tort que Domaszewski signale l'oubli de cette légion par Josèphe.
  11. Sept millions selon Diodore, I, 31. Il faut ajouter 300,000 âmes pour Alexandrie.
  12. 7 ou 8 seulement d'après Strabon, XVII, 1, 8.
  13. Ainsi l'Égypte fournissait alors le tiers, l'Afrique les deux tiers du blé nécessaire à l'alimentation de Rome. Le total était de 60 millions de boisseaux (cf. Aurel Victor, Epit. 1, qui donne 20 millions pour la part de l'Égypte).
  14. III Cyrenaica et XXII Deiotariana.

 

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  1. Plus exactement : dont la dynastie (Hélène et ses fils) s'était convertie au judaïsme (cf. Ant., XX, 1,2). L'Adiabène était vassale des Parthes et, à ce titre, avait combattu avec eux en Arménie contre les Romains sous Néron.
  2. Cf. Ant., XIV, § 63 suiv.
  3. Ce sont presque les mêmes expressions que chez Strabon, XIV, 7, 2 (Textes relatifs au judaïsme, n° 51) et Sénèque (ibid., n° 145).
  4. Ce long discours est certainement le plus remarquable dans toute l’œuvre de Josèphe, à la fois par l'habile rhétorique et par l'abondance et la précision des renseignements concernant l'empire romain et en particulier son organisation militaire. On ne saurait, quoi qu'on en ait dit, y voir un document authentique, le discours même prononcé à cette occasion par Agrippa : ces détails minutieux n'auraient d'ailleurs nullement intéressé son auditoire. Mais il n'est pas facile de déterminer à quel auteur, évidemment contemporain, Josèphe a pu emprunter ce morceau. Peut-être devons-nous tout simplement voir ici la main d'un de ces grammairiens grecs très instruits, probablement alexandrins, que Josèphe a eus pour collaborateurs dans son premier ouvrage.
  5. Les tributs recueillis, dans le début de la section 1, sont ceux du district de Jérusalem : maintenant il s'agit de faire rentrer ceux des autres districts (toparchies). Il semble d'après cela que le sanhédrin de Jérusalem servit d'intermédiaire fiscal entre le trésor impérial et toute la contrée pour la perception des impôts directs (Schürer, IIb, 236).
  6. En Idumée, au S.-O. et tout prés de la mer Morte, aujourd'hui Sebbeh.
  7. Ce capitaine ou segan avait la surveillance supérieure de l'ordre matériel dans le Temple ; dans la hiérarchie, il venait immédiatement après le grand pontife. Cf. Schürer, II4, 320. Eléazar était bien fils du grand prêtre Ananias (Ant., XX, 208).
  8. Ce sacrifice quotidien, institué par Auguste (Philon, Leg. ad Caium, c. 23), consistait en deux agneaux et un taureau ; les frais en étaient supportés par le fisc impérial selon Philon, par le « peuple juif » selon Josèphe (C. Ap., II, 6), probablement au moyen d'un prélèvement sur le tribut de la Judée (E. Meyer).

 

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  1. La porte incrustée de bronze, située à l'Est du parvis des femmes (porte de Nicanor ?)
  2. Saül et Costobaros étaient frères (infra, XX, 1) ; ils s'étaient rendus coupables d'exactions (Ant., XX, 214). Antipas est inconnu.
  3. 2.000 d'après les mss. PAL, 3.000 d'après d'autres.
  4. Philippe est qualifié ailleurs (Vita, c. 11) de lieutenant du roi. Jacime avait été « tétrarque » du roi Agrippa (Ier ou II ?) (Guerre, IV, 81) ; il était fils de Zamaris, qui, sous Hérode, mena une colonie en Batanée (Ant., XVII, § 29). Waddington a cru retrouver le nom de Darius dans l'inscription de Deir esch Schair (Le Bas III, 2135), mais cf. Dittenberger, Oriens graecus, n° 422.
  5. Cf. Lévitique, 6, 12. D'après la Mishna (Taanith, 4, 5) la corvée du bois était repartie sur 9 jours, par familles, mais le jour principal était le 15 Ab, où contribuaient les prêtres, les lévites, et tous ceux de descendance inconnue.
  6. Malgré cette expression, il ne semble pas qu'il s'agisse d'un

édifice distinct, mais des parties nouvelles ajoutées par Agrippa à l'ancien palais des Asmonéens, sur le Xystos (Ant., XX, 189). Les Archives étaient voisines de l'Akra et du palais du Conseil (Guerre, VI, 354), mais l'emplacement exact est inconnu.

  1. Évidemment le Palais d'Hérode, au N.-O. de la ville haute.
  2. Le 15 Loos = Ab (juillet-août). Mais si la Mishna place avec raison la fête de la Xylophorie le 15, il s'agirait plutôt du 16.
  3. Sur Judas le Galiléen voir supra, VII, 1.
  4. Sur le mur d’enceinte du palais (haut de 30 coudées) et les tours qui le garnissaient, cf. Guerre, V, 177.

[234] Ces tours étaient situées au N. de l'enceinte du palais.

  1. Gorpiéos (Eloul = août-septembre) La conduite de Philippe, général d'Agrippa, parut suspecte, et il fut envoyé à Rome pour se justifier (Vita, c. 74).
  2. La pente Sud de la colline du Temple.

 

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  1. Interprétation peu vraisemblable. L'apologiste fait ici tort à l'historien.
  2. Le commandant d'une cohorte auxiliaire est en principe un

préfet (Tacite, Hist., II, 59; Digeste, III, 2, 2, pr.). - La capitulation de la garnison romaine paraît avoir eut lieu le 17 Eloul (Gorpiéos) : c'est à ce jour que la Megillath Taanith (§ 14) place « l'évacuation » de Juda par les Romains.

  1. Nicodème, de la traduction latine, est peut-être préférable.
  2. C'est-à-dire probablement le 17 Gorpiéos 66 (voir la note du chapitre précédent)
  3. L'énumération qui suit décrit un cercle autour de Sébaste. Les expéditions partirent les unes de la Pérée, les autres de la Galilée et de la Judée.
  4. Kedesch, au N.-O. du lac Mérom. Cf. Guerre, IV, 105.
  5. Ou plutôt les villages de leur banlieue. De toutes les villes énumérées, il semble que les Juifs n'aient réellement pris que Gaza et Anthédon.
  6. Voir aussi, sur cet épisode de Scythopolis. Vita, c. 6, § 26.
  7. Le même personnage que dans le chapitre XIII, 8, de ce même livre.
  8. Evidemment le roi Sohémos d'Emèse, que nous retrouverons plus loin. Le roi d'Emèse était de la même famille qu’un ancien tétrarque ou « roi » d'Iturée qui régna de 38 à 49 (Dion, 59, 12 Tac., XII. 23). Varus n'était certainement pas le fils (comme le veut Schürer), mais plutôt le petit-fils de ce tétrarque.
  9. Entendez : des Juifs de Batanée (cf. Vita, § 56).
  10. D'après le récit détaillé de la Vita (§ 49 suiv.), Varus aurait médité de supplanter Agrippa. Dans cette pensée il intercepta les messagers entre Philippe, général du roi, et Agrippa, et, pour se gagner un parti, persécuta les Juifs. L'ambassade de soixante-dix notables de Batanée (c'étaient des Juifs d'origine babylonienne, établis à Ecbatane) avait été provoquée par lui ; après les avoir massacrés sur leur chemin vers Césarée (Neronias), il attaqua les Juifs de Batanée qui s'enfermèrent dans Gamala avec Philippe,

 

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puis voulut exterminer les Juifs de Césarée. C'est alors qu'Agrippa

le destitua et le remplaça par Æquus Modius (§ 61)

  1. Cf. Guerre, liv. I, XXI, 4.
  2. D'après le C. Apion, II, 4, § 35, ce quartier leur aurait déjà été assigné par Alexandre.
  3. Et non, comme dit Josèphe, (( le gouverneur de la ville ». Tibère Alexandre était préfet (vice-roi) d'Égypte.
  4. Plusieurs mss. ont cinq mille.
  5. Les quartiers d'Alexandrie étaient désignés d'après les premières lettres de l'alphabet grec (Philon, In Flaccum, 8).
  6. Il y avait quatre légions en Syrie (Tacite, Ann., IV, 5) : Cestius avait donc tiré des trois autres légions 2,000 x 3 = 6,000 hommes et non 2,000, comme l'écrit Schürer, I3, 604.
  7. Antiochus IV Epiphane, roi de Comagène depuis 38 ap. J.-C.
  8. Roi d'Emèse depuis l'an 54.
  9. Suivent, en grec, les mots (suspects) (( surnommée la ville des hommes ». L'emplacement de cette ville est aujourd'hui occupé par le village de Kaboul.
  10. Probablement le Djebel Daidaba, au Nord de la plaine d'Asochis
  11. La Bible mentionne plusieurs places fortes de ce nom (qui signifie forteresse). L'identification la plus probable est avec l'Aphek des Philistins, I Rois 4, 1, ou celui des Cananéens, Jos., 12, 18.
  12. 15-22 Tisri, octobre 66.
  13. Au N.-O. après la sortie du défilé de Bethoron. C'est l'ancienne Gibéon de l'Ecriture, aujourd'hui El Djeb. Dans Ant., VII, 11, 7 (§283), la distance indiquée n'est que de 40 stades.
  14. Ce roi, converti au judaïsme comme toute sa famille, avait succédé à son frère Izatès en 62.

 

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  1. C'est-à-dire un Juif de Babylonie, établi en Batanée.
  2. Texte fort douteux.
  3. Probablement la colline de Schafat, à1,500 m. au N.-O. de la ville. Le nom Scopos est grec et signifie l'Observatoire. Cf. Guerre, V, 67. Tel était aussi, selon Josèphe (Ant., XI, 8, 5), le sous du nom en hébreu.
  4. Des doutes ont été exprimés par H. Weil (Rev. des et. Grecques, 1896, p. 28) sur l'authenticité de ce dernier texte, parce que Guerre V, 246, paraît distinguer Bézétha de la Ville neuve et que le mot grec ne signifie pas Ville neuve, mais, semble-t-il, « lieu des oliviers ». - Les Juifs avaient évacué le 3e mur (mur d'Agrippa), trop faible pour être efficacement défendu. Cestius se heurta contre le 2e mur (mur Nord), qui ceignait la Ville haute.
  5. Le praefectus castrorum était une sorte de quartier-maître général, chargé en même temps du commandement supérieur du génie.
  6. Insinuation probablement gratuite.
  7. Jonathas est sans doute le grand-prêtre dont la mort a été racontée plus haut (XII, 3 de ce livre).
  8. Entendez, comme toujours, les modérés.
  9. Apparemment différent du praefectus castrorum Turranius Priscus nommé plus haut.
  10. Déjà nommé (XIV, 5 de ce livre).
  11. La descente de Béthoron-dessus (Betour el foka) sur

Béthoron-dessous (Betour et takhta), distants d'un kilomètre, avec une différence d'altitude de 150 mètres. Ce passage a été le théâtre de nombreuses déroutes (Josué, 10, 10 ; I Rois, 13, 18 ; I Macc., 3, 24.

  1. Béthoron-dessous, au seuil de la plaine d'Emmaüs.
  2. Dios = Marchesvan, octobre-novembre 66. L'avènement de Néron datant du 13 octobre 54, il est probable que Josèphe se trompe et que la bataille de Béthoron eut déjà lieu dans la 13e

 

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année de Néron. On a voulu tirer de ce lapsus des conclusions à perte de vue sur le système chronologique de notre historien (Niese, Hermes, 1893, 208 ; Unger, Ac. Munich, 1896, 383) qui sont avec raison rejetées par Schürer, I3, 605.

  1. D'après Vita, § 46 suiv., Philippe se serait sauvé plus tôt, cinq jours après la capitulation du palais royal (6 Gorpiéos).
  2. Cf. infra., IV, § 140.
  3. Anan, fils d'Anan, avait été créé souverain pontife par

Agrippa II sous Albinus (Ant., XX, 197) ; il appartenait au parti sadducéen et inaugura son pontificat par le supplice de Jacques, frère de Jésus.

  1. Eléazar est le capitaine du Temple si souvent mentionné plus haut.

[280] Au N.-O. de Gophna, dans la « montagne d'Ephraïm ».

  1. C'est notre historien. Voir Vita, c, 7, le caractère prétendu pacifique qu'il assigne à sa mission.
  2. Gamala était située dans la Gaulanitide, fort à l'Est du Jourdain.
  3. Cf. Vita, § 79.
  4. Voir l'énumération des places fortifiées dans Vita, § 187-188, qui présente quelques différences avec celle-ci. Les cavernes près du lac sont, comme l'indique ce texte, les cavernes d'Arbéles, déjà mentionnées au temps d'Hérode (voir liv. I, XVI, 2).
  5. Affirmation d'autant plus suspecte que Sepphoris venait de

recevoir Césennius Gallus à bras ouverts (supra, XVIII, 11). Dans la Vita, § 30 suiv., Josèphe raconte qu'il eut quelque peine à empêcher les Galiléens de saccager Sepphoris à cause des engagements de cette ville envers Cestius. Cf. aussi Vita, § 104 suiv. Sepphoris resta toujours de cœur avec les Romains et les rappela dès qu'elle le put.

  1. En réalité Jean était dés le début un ennemi déclaré de Josèphe et fortifia Gischala sans le consulter (Vita, § 45 et 189).
  2. Formule au moins singulière et qui semble indiquer que

 

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Josèphe n'avait guère pénétré le secret de l'organisation militaire.

  1. Il y en avait donc 40.000 en réserve puisque le nombre total était de « plus de 100.000 » (cf. supra., XX, 6).
  2. 250 suivant plusieurs manuscrits.
  3. D'après Vita, § 372 (c. 66), Jean avait dans sa bande des

mercenaires de Tyr même. Le portrait tracé dans la Guerre est d'ailleurs plus chargé que celui de la Vie : d'après cet opuscule (voir c. 10), Jean est un citoyen influent et considéré de sa ville natale (Gischala, aujourd'hui el-Djisch, dans la Galilée du N., sur le parallèle du bord Sud du lac Mérom, et tout près du territoire tyrien) ; il s'efforce même d'abord de retenir ses concitoyens dans l'obéissance de Rome et ne forme sa « bande » que lorsque les peuples voisins ont incendié et pillé sa ville natale.

  1. D'après Vita, c. 13, Jean obtint de Josèphe (ou plutôt des commissaires adjoints à celui-ci) la permission de vendre le blé impérial, épars dans les villages de haute Galilée, pour subvenir à cette reconstruction.
  2. Ici encore le récit de Vita (c. 13) diffère un peu. Il ne s'agit plus de tous les Juifs de Syrie, mais seulement de ceux qui sont enfermés dans Césarée de Philippe. D'après Vita, § 75, le 1/96 de métrète d'huile valait à Césarée une 1/2 drachme, à Gischala 1/20 de drachme, soit la proportion 10 à 1. D'après notre texte Jean vend une demi-amphore le prix que lui ont coûté 4 amphores : la proportion est donc de 8 à 1 seulement. (Le statère tyrien, de poids phénicien, vaut d'ailleurs sensiblement moins que 4 drachmes attiques : 4 drachmes attiques de bon poids pèsent 17 gr., le statère n'en pèse guère que 14. Josèphe assimile probablement la drachme au denier romain, qui, au temps de Néron, pesait gr. 3,40).
  3. Sections 3-5 Vita, c. 26-30 (§ 126-148).
  4. Village au pied N.-O. du Tabor.
  5. A la femme de Ptolémée, d'après Vita, § 126.
  6. Annéos n'est pas nommé dans Vita, § 131, qui, en revanche

parle de deux amis d'Agrippa Jannée et Dassion, à qui Josèphe aurait confié la prise pour la resituer à leur maître. Quelques éditeurs identifient Jannée et l'Annéos de Guerre.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

  1. Dans le récit détaillé de la Vita, Jean ne figure pas.
  2. D’un seul (Simon) selon Vita, § 137.
  3. D'après Vita, § 137, Simon aurait au contraire conseillé à Josèphe de se tuer !
  4. Nous croyons avec Destinon que le texte présente une lacune.
  5. Nous traduisons le texte amendé par Hudson et Gobet
  6. Six cents seulement d'après Vita, § 145.
  7. Vita, § 147, ne parle que d'un seul délégué. En revanche le traitement qu'il subit aurait été plus atroce : on lui trancha une main et on la lui suspendit au cou !
  8. Sections 6-7, jusqu'au § 626 = Vita, c. 16-21 (§ 81-103). Mais la Vita place tout cet épisode de Tibériade avant l'affaire de Tarichées (sections 3-5). Il est d'autant plus difficile de décider entre les deux versions qu'elles ne s'accordent pas sur le point de savoir si Jean joua un rôle dans cette dernière affaire (cf. la note sur § 599). Si vraiment il y prit part, on ne conçoit pas bien qu'il ait eu l'impudence de demander ensuite (§ 614) une faveur à Josèphe.
  9. Il était alors au village de Cana (Vita, § 86).
  10. D'après Vita, § 91, Jean vint en personne à la rencontre de Josèphe.
  11. Le garde Jacob et un citoyen de Tibériade, Hérode (Vita, § 96).
  12. Rien de ceci dans Vita. En revanche il y est dit que les Galiléens veulent détruire Tibériade.
  13. Vingt jours d'après Vita, § 370.
  14. Ou 4.000 (Vita, 371).
  15. 1.500 d'après Vita, 372. C'est d'après ce texte que je corrige Guerre.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 2

  1. Tout cet épisode final est placé par Vita (c. 66) beaucoup plus tard, après le conflit de Josèphe avec les envoyés du Sanhédrin de Jérusalem, avec raison, ce semble, car il n'est pas probable que Jean eût auparavant des forces aussi considérables.
  2. Fin de la section 7 : Vita, c. 38-64 (§ 189-335), récit beaucoup plus circonstancié.
  3. Neuf cents seulement d'après Vita, § 200.
  4. Nomicos est un nom bien suspect.
  5. Au lieu de Judas, la Vita, 197, etc., nomme Jonathas.
  6. Excepté Gischala.
  7. Sections 8-10 Vita, c. 32-35. La Vita place cette révolte de Tibériade entre le guet-apens de Tibériade et la mission du Sanhédrin.
  8. D'après Vita, § 159, il les avait renvoyés chez eux pour y célébrer le sabbat (qui tombait le lendemain).
  9. Trois cent trente d'après les manuscrits PA.
  10. Cette ville n'a jamais été conquise par Josèphe.
  11. La prise et le pillage de Tibériade auxquels il est fait ici allusion se placent d'après la Vita (c. 64) auparavant, à savoir immédiatement après le renvoi des commissaires du San-hédrin. C'est vers le même moment que Josèphe prend et « sauve » Sepphoris (c. 67). - Ces divergences chronologiques entre la Vita et la Guerre sont troublantes. La Guerre, rédigée plus près des évènements, semble en général mériter la préférence ; mais on ne comprend pas que Josèphe, ayant sous les yeux son premier ouvrage, ne s'y soit pas conformé dans la Vita ou n'ait pas signalé les « corrections » qu'il y apportait.
  12. Ce mot grec pourrait cependant avoir le sens insolite de « démesurés, excessifs ».

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

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JOSEPHE

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texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

GUERRE DES JUIFS Flavius Josèphe

LIVRE III

Depuis la prise du commandement par Vespasien jusqu’à la soumission de la Galilée (67 ap. J.-C.)

Avertissement : Ce livre raconte l'histoire de la guerre depuis la désignation de Vespasien comme général de l'armée romaine jusqu’à la prise de Tarichées (8 Gorpiéus = septembre 67), c'est-à-dire, en somme, la campagne de Galilée.

I

1. Inquiétude de Néron à la nouvelle des évènements de Judée. – 2-3. Il désigne Vespasien pour prendre le

commandement.

  1. Quand Néron apprit les revers survenus en Judée, il fut saisi, comme de juste, d'un secret sentiment de stupeur et d'alarme, mais au dehors il ne fit voir qu'arrogance et colère. « Ces malheurs, disait-il, étaient dus à la négligence des généraux plutôt qu'à la valeur des ennemis ». La majesté de l'empire lui faisait un devoir d'affecter le dédain pour les épreuves les plus fâcheuses et de paraître élever au-dessus de tous les accidents une âme dont ses préoccupations trahissaient cependant le désordre.
  2. Il se demandait, en effet, à quelles mains il confierait

 

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l'Orient soulevé, le soin de châtier la révolte des Juifs et de prémunir les nations voisines déjà atteintes par la contagion du mal. Il ne trouva que le seul Vespasien qui fût à hauteur de la situation et capable de supporter le poids d'une Si lourde guerre. C'était un capitaine qui avait bataillé dés sa jeunesse et vieilli sous le harnais ; longtemps auparavant il avait pacifié et ramené sous l'obéissance de Rome l'Occident ébranlé par les Germains ; ensuite il avait par son talent militaire ajouté à l'empire la Bretagne jusque-là presque inconnue et fourni ainsi à Claude, père de Néron, les honneurs d'un triomphe qui ne lui avait guère coûté de sueur.

  1. Tirant de ce passé un heureux présage, voyant d'ailleurs en Vespasien un homme d'un âge rassis[1],

fortifié par l'expérience, avec des fils qui serviraient d'otage à sa fidélité et dont la jeunesse épanouie serait comme le bras du cerveau paternel, poussé peut-être aussi par Dieu, qui dès lors préparait le destin de l'empire, il envoie ce général prendre le commandement en chef des armées de Syrie, sans omettre de lui prodiguer toutes les cajoleries, les marques d'affection, les encouragements à bien faire que réclamait. la nécessité présente. D'Achaïe, où il se trouvait auprès de Néron, Vespasien dépêcha son fils Titus à Alexandrie pour en ramener la quinzième légion[2] ; lui-même,

après avoir passé l'Hellespont, se rendit par terre en Syrie. où il concentra les forces romaines et de nombreux contingents auxiliaires, fournis par les rois du voisinage.

II

1-3. Tentatives infructueuses des Juifs contre Ascalon. –

  1. Vespasien à Ptolémaïs ; soumission des Sepphorites.

1. Cependant les Juifs. après la défaite de Cestius, enflés par ce succès inattendu, ne pouvaient contenir leur élan, et, comme emportés par le tourbillon de la Fortune. ne pensaient qu'à pousser la guerre plus loin. Leurs meilleurs combattants se rassemblèrent en toute hâte et coururent contre Ascalon. C'est une ancienne ville,

 

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éloignée de cinq cent vingt stades de Jérusalem[3], qui

avait toujours été odieuse aux Juifs. Aussi en firent-ils l'objet de leurs premières attaques. Trois hommes, remarquables par la vigueur physique et la capacité, dirigeaient l'expédition : Niger, de la Pérée, Silas de Babylone et Jean l'Essénien. Ascalon avait de solides murailles, mais presque point de défenseurs ; toute la garnison consistait en une cohorte d'infanterie et une aile de cavalerie commandée par Antonins.

2. L'ardeur des Juifs leur fit faire tant de diligence qu'ils tombèrent sur la ville comme si elle eût été à portée de main. Cependant Antonius ne se laissa pas surprendre. Informé de leur approche, il fit sortir sa cavalerie de la place, et, sans s'émouvoir ni du nombre ni de l'audace des ennemis, soutint avec fermeté leurs premières attaques et repoussa ceux qui se ruaient contre les remparts. On voyait aux prises des guerriers novices avec des soldats exercés, des fantassins avec des cavaliers, l'indiscipline avec la cohésion, un armement de fortune avec un équipement régulier et complet ; d'une part, des mouvements dirigés par la colère plutôt que par la réflexion, de l'autre une troupe docile, manœuvrant avec ensemble au moindre signal. Aussi les assaillants furent-ils aisément défaits ; une fois leurs premiers rangs rompus par la cavalerie, ils prirent la fuite. Les fuyards tombent sur ceux qui, plus en arrière, prenaient encore leur élan contre les murailles ; ils s'embarrassèrent les uns les autres, jusqu'à ce qu'enfin tous, brisés par les charges répétées de la cavalerie, se dispersèrent dans la plaine. Celle-ci était vaste et tout entière propre aux chevauchées, circonstance qui fournit un puissant avantage aux Romains et favorisa le carnage des Juifs. Car les cavaliers, devançant les fuyards, faisaient ensuite volte-face, fondaient sur les pelotons épais qu'agglomérait la panique, et les sabraient en masse ; d'autres petits détachements, se retirant çà et là en désordre, se laissèrent cerner : les cavaliers galopaient autour d'eux en les abattant sans peine à coups de javelots. Les Juifs, malgré leur multitude, se sentaient isolés dans leur détresse ; les Romains, au contraire, malgré leur faible effectif, s'imaginaient, dans l'entraînement du succès, l'emporter sur l'ennemi même

 

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en nombre. Cependant, les uns s’acharnaient contre leur défaite, dans la honte de la débandade et l'espoir d'un retour de fortune ; les autres, sans se lasser, voulaient pousser à bout leur victoire ; ainsi le combat dura jusqu'au soir, et dix mille cadavres juifs, dont ceux de deux généraux, Jean et Silas, jonchèrent le champ de bataille. Les autres, la plupart blessés, se réfugièrent avec Niger, le seul survivant des généraux, dans une bourgade d'Idumée nommée Challis[4]. Du côté des

Romains, il n'y eut que quelques blessés.

3. Cependant, loin qu'un si grand échec abattit la fierté des Juifs, la douleur ne fit que redoubler leur audace. Négligeant les cadavres étendus à leurs pieds, le souvenir de leurs premiers succès les entraîna dans un nouveau désastre. Sans donner seulement aux blessés le temps de guérir, ils rassemblèrent toutes leurs forces, et, plus nombreux, avec plus de fureur, revinrent à l'assaut contre Ascalon. Mais la même inexpérience, les mêmes désavantages militaires leur valurent la même infortune. Antonius avait dressé des embuscades sur le chemin ; ils y tombèrent inconsidérément ; environnés par les cavaliers avant d'avoir pu se ranger en bataille, ils perdirent de nouveau plus de huit mille hommes ; tout le reste s’enfuit avec Niger, qui se signala dans la retraite par de nombreux actes de courage. Pressés par les ennemis, ils s'engouffrèrent dans la forte tour d'un bourg nommé Belzédek[5]. Les soldats d'Antonius, ne voulant

ni user leurs forces devant une citadelle presque inexpugnable, ni laisser échapper vif celui qui était à la

fois le chef et           le plus brave des ennemis, mirent le
feu à la muraille. En voyant la tour en flammes, les Romains se retirèrent tout joyeux, persuadés que Niger avait péri ; mais celui-ci, sautant en bas de la tour, s'était sauvé dans le souterrain le plus reculé de la forteresse. Trois jours après, des gens qui, en gémissant, cherchaient son cadavre pour l'ensevelir, entendirent soudain sa voix et le virent paraître à leurs yeux. Ce fut pour tous les Juifs une joie inespérée : ils pensèrent que la Providence divine leur avait conservé leur chef, en vue des luttes à venir.

 

4. Cependant Vespasien avait rassemblé ses forces à

 

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Antioche, capitale de la Syrie, ville qui, par sa grandeur et sa richesse, est la troisième du monde soumis aux Romains[6]. Il y trouva le roi Agrippa qui l'y attendait

avec ses propres troupes. Le général en chef se dirigea vers Ptolémaïs. Près de cette ville, il vit venir à sa rencontre les gens de Sepphoris en Galilée, qui, seuls de cette contrée, montrèrent des sentiments pacifiques ; préoccupés de leur sûreté et connaissant la puissance romaine, ils n'avaient pas attendu l'arrivée de Vespasien pour donner des gages à Cæsennius Gallus[7] et reçu

ses assurances ainsi qu'une garnison romaine. Maintenant ils firent un accueil chaleureux au général en chef et lui offrirent un concours empressé contre leurs compatriotes. Sur leurs instances, Vespasien leur donna d'abord pour leur sûreté autant de cavaliers et de fantassins qu'il jugea nécessaire pour résister aux Juifs, s'ils les attaquaient ; il estimait, en effet, que la prise de Sepphoris aurait pour la suite des opérations une importance décisive, car c'était la plus grande ville de Galilée, forte par son assiette et par ses remparts, qui en faisaient comme la citadelle de la province tout entière.

III

1-2. Description de la Galilée. – 3. La Pérée. – 4-5. Samarie et Judée. Royaume d’Agrippa.

1. La Galilée, qui se divise en Galilée supérieure et Galilée inférieure, est enveloppée par la Phénicie et la Syrie ; au couchant, elle a pour bornes le territoire de Ptolémaïs et le Carmel, montagne jadis galiléenne, maintenant tyrienne ; au Carmel confine Gaba, la « ville des cavaliers », ainsi appelée des cavaliers qui, licenciés par le roi Hérode, y établirent leur résidence[8]. Au midi,

la Galilée a pour limites la Samarie et le territoire de Scythopolis jusqu'au cours du Jourdain ; à l'orient, les territoires d'Hippos, de Gadara et la Gaulanitide ; de ce côté aussi elle touche au royaume d'Agrippa ; au nord, Tyr et le pays des Tyriens la bornent. La Galilée inférieure s'étend en longueur de Tibériade à Chaboulon, qu'avoisine Ptolémaïs sur le littoral ; en largeur, depuis le bourg de Xaloth, situé dans la grande plaine, jusqu'à

 

Zone de Texte: 4. La province de Samarie est située entre la Galilée et laFlavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

Bersabé. La haute Galilée part du même point pour s'étendre en largeur jusqu'au bourg de Baca, frontière du territoire des Tyriens ; sa longueur va depuis le bourg de Thella, voisin du Jourdain, jusqu'à Méroth[9].

  1. Avec cette extension médiocre, et quoique cernées par des nations étrangères, les deux Galilées ont toujours su tenir tète aux invasions, car les habitants furent de tout temps nombreux et belliqueux dès l'enfance; l'homme n'y a jamais manqué de courage, ni la terre d'hommes. Comme elle est, dans toute son étendue, grasse, riche en pâturages, plantée d'arbres variés, sa fécondité encourage même les pins paresseux à l'agriculture. Aussi le sol a-t-il été mis en valeur tout entier par les habitants : aucune parcelle n'est restée en friche. Il y a beaucoup de villes, et les bourgades mêmes sont si abondamment peuplées, grâce à la fertilité du sol, que la moindre d'entre elles compte encore quinze mille habitants[10].
  2. En somme, si la Galilée, pour la superficie, peut être mise au-dessous de la Pérée[11], on lui donnera la

préférence pour l'abondance de ses ressources ; car elle est tout entière cultivée et donne des récoltes d'un bout à l'autre, tandis que la Pérée, beaucoup plus vaste, est en grande partie déserte et rocailleuse, avec un sol trop rude pour faire mûrir des fruits domestiques. Néanmoins, là aussi le terrain, partout où il s'amollit, est productif. Les plaines sont plantées d'arbres de toute espèce : on y voit surtout l'olivier, les vignes et les palmiers ; car le pays est arrosé par les torrents descendus des montagnes et par des sources qui ne tarissent jamais, alors même que l'ardeur de l'été dessèche les torrents. La Pérée s'étend en longueur de Machérous à Pella[12], en largeur de Philadelphie

jusqu'au Jourdain. Sa frontière nord est le territoire de Pella, dont nous venons de parler, sa frontière ouest le Jourdain ; au sud, elle confine au pays de Moab ; vers l'est, à l'Arabie, à l'Hesbonitide[13], aux territoires de

Philadelphie et de Gerasa.

 

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Judée ; elle commence, en effet, au bourg de Généa[14],

situé dans la (grande) plaine, et se termine à la toparchie de l'Acrabatène. Son caractère ne diffère pas de celui de la Judée. L'une et l'autre région présentent une alternance de montagnes et de plaines, offrent à la culture des terres faciles et fertiles, sont couvertes d'arbres, foisonnent en fruits francs et sauvages ; nulle part la sécheresse du déserte partout des pluies abondantes. Toutes les eaux courantes ont une saveur singulièrement douce ; une herbe excellente et touffue donne aux bestiaux un lait plus abondant qu'ailleurs. Mais rien ne prouve mieux la bonté et la fertilité des deux territoires que la multitude de leur population.

5. Sur la frontière des deux pays se trouve le village d'Anouath, appelé encore Borcéos, limite nord de la Judée ; la limite méridionale, si on mesure le pays dans sa longueur, est marquée par un village limitrophe de l'Arabie, que les Juifs nomment Jardan[15]. En largeur,

la Judée se développe du fleuve Jourdain à Joppé. La ville de Jérusalem est située presque exactement au centre[16], ce qui l'a fait appeler quelquefois, non sans

raison, l’« ombilic » du pays. La Judée n'est d'ailleurs pas dépourvue des avantages d'une situation maritime, puisqu'elle étend ses rivages jusqu'à Ptolémaïs. Elle se divise en onze districts, dont le premier est celui de la capitale, Jérusalem, qui domine tout le reste comme la tête le corps humain ; les districts suivants forment autant de toparchies. Gophna est la seconde, puis viennent Acrabata, Thamna, Lydda, Emmaüs, Pella[17]

(?), l'Idumée, Engaddé, Hérodion et Jéricho. Il faut y ajouter Jamnia et Joppé, qui ont juridiction sur leurs banlieues, puis la Gamalitique, la Gaulanitide, la Batanée, la Trachonitide, qui font déjà partie du royaume d'Agrippa. Ce royaume, qui commence au mont Liban et aux sources du Jourdain, s'étend en largeur jusqu'au lac de Tibériade, en longueur du bourg d'Arphas[18] jusqu'à Julias. La population se compose

de Juifs et de Syriens mêlés. Tel est le tableau, aussi succinct que possible, que j'ai cru devoir tracer du pays des Juifs et de leurs voisins.

 

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IV

1. La garnison de Sepphoris dévaste la Galilée. – 2. Titus et Vespasien opèrent leur jonction à Ptolémaïs. Dénombrement de l’armée romaine.

  1. Le corps de secours envoyé par Vespasien aux habitants de Sepphoris, et qui comptait mille cavaliers et dix mille fantassins sous le commandement du tribun Placidus, campa d'abord dans la grande plaine, puis se divisa en deux : l'infanterie se logea dans la ville pour la garder, la cavalerie resta dans le camp. Les uns et les autres faisaient de fréquentes sorties, et couraient le pays en incommodant fort Josèphe et les siens : quand ceux-ci restaient blottis dans leurs villes, les Romains en ravageaient les alentours ; quand ils s'enhardissaient à en sortir, ils les taillaient en pièces. A la vérité, Josèphe tenta un coup de main contre la ville, dans l'espoir de s'en emparer, mais il l'avait si bien fortifiée lui-même, avant qu'elle trahît la cause des Galiléens, que les Romains même auraient eu peine à la prendre ; aussi fut-il déçu dans son espoir et dut-il s'avouer trop faible soit pour prendre Sepphoris de vive force, soit pour la ramener par la persuasion[19]. Son entreprise ne fit

même que déchaîner la guerre plus violemment sur le pays ; dans leur colère, les Romains ne cessèrent ni de jour ni de nuit de dévaster les champs et de piller les propriétés des ruraux, massacrant ceux qui leur résistaient et réduisant les faibles en esclavage. La Galilée entière fut mise à feu et à sang ; aucun malheur, aucune souffrance ne lui furent épargnés ; les habitants pourchassés ne trouvaient de refuge que dans les villes fortifiées par Josèphe.

  1. Cependant Titus, ayant passé d'Achaïe à Alexandrie plus promptement que ne semblait le comporter la saison d'hiver, prit le commandement des troupes qu'on lui avait assignées et par une marche forcée gagna rapidement Ptolémaïs. Il y trouva son père avec ses deux légions, la cinquième et la dixième, renommées entre toutes, et le renforça de la quinzième, qu'il lui amenait. Ces légions étaient accompagnées de dix-huit cohortes ; cinq autres vinrent les rejoindre de Césarée avec une aile

 

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de cavalerie romaine et cinq ailes de cavalerie Syrienne. Sur les vingt-trois cohortes, dix comptaient chacune mille fantassins, les treize autres étaient à l'effectif de six cents fantassins et de cent vingt cavaliers. Il vint aussi de nombreuses troupes auxiliaires envoyées par les rois Antiochus, Agrippa et Sohémos[20], fournissant chacun

deux mille archers à pied et mille cavaliers ; l'Arabe Malchos envoya mille cavaliers et cinq mille fantassins, archers pour la plupart ; en sorte que le total des forces, infanterie et cavalerie, y compris les contingents des rois, s'élevait à soixante mille hommes[21], sans compter

les valets, qui suivaient en très grand nombre, et qu'on peut ranger parmi les combattants, tant ils étaient exercés au métier des armes : car, prenant part en temps de paix aux manœuvres de leur maîtres et en temps de guerre à leurs dangers, ils ne le cédaient qu'à ceux-ci en courage et en adresse.

V

1. Digression sur l’armée romaine. Les exercices en temps de paix. – 2-3. Le camp, le service journalier. – 4­5. Marches, sonneries et armements. – 6-7. Tactique et discipline. – 8. Conclusion[22].

1. On ne manquera pas d'admirer la prudence dont les Romains font preuve sur ce point, instruisant leurs esclaves à les servir, non seulement dans le train de la vie ordinaire, mais encore à la guerre. Si, s'élevant plus haut, on considère dans son ensemble l'organisation de leur armée, on reconnaîtra que ce vaste empire qu'ils possèdent a bien été une conquête de leur valeur et non un cadeau de la Fortune.

En effet, tout d'abord, ils n'attendent pas pour apprendre à faire usage de leurs armes que la guerre les y oblige : on ne les voit point se croiser les bras durant la paix pour ne les remuer qu'à l'heure du danger. Bien au contraire, comme s'ils étaient nés les armes à la main, ils ne cessent point de s'y exercer sans attendre l'occasion de s'en servir. On prendrait leurs manœuvres du temps de paix pour de véritables combats, tant ils s'y appliquent avec ardeur. Chaque soldat s'exerce tous les

 

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jours de toutes ses forces, comme s'il était en présence de l'ennemi. De là ce parfait sang-froid qu'ils montrent dans la mêlée : jamais la confusion ne rompt leur ordre réglementaire, jamais ils ne se laissent paralyser par la crainte, ni vaincre par la fatigue ; aussi, ne rencontrant jamais d'adversaires aussi bien entraînés, sont-ils toujours victorieux. On pourrait dire de leurs exercices que ce sont des combats sans effusion de sang, et de leurs combats que ce sont des exercices sanglants. Jamais on ne déconcerte les Romains par une brusque attaque. En quelque lieu qu'ils portent la guerre, ils n'engagent pas de combat avant d'avoir fortifié leur camp. L'établissement de ce camp n'est pas livré au hasard et l'emplacement n'en doit point être accidenté. Ils n'y travaillent pas tous ensemble ni confusément. Si le sol est inégal, on commence par l'aplanir ; le tout est enfermé dans un espace carré. A cet effet, l'armée se fait suivre d'un grand nombre d'ouvriers et d’outils nécessaires aux travaux de terrassement.

  1. L'intérieur du camp, divisé par quartiers, est planté de tentes. La face extérieure offre l'aspect d'une muraille, garnie de tours à des intervalles réguliers. Sur les courtines on place balistes, catapultes, pierriers, bref tous les engins d'artillerie et toutes les machines de trait. Dans l'enceinte s'ouvrent, aux quatre points cardinaux, autant de portes larges à souhait pour que les bêtes de somme puissent entrer facilement et les hommes exécuter des sorties s’il y a lieu. Le camp est parcouru par des rues symétriquement disposées. Au milieu sont les tentes des officiers ; précisément au centre s'élève le prétoire fait en façon d'un petit temple. On dirait une ville improvisée qui sort de terre, avec son marché, ses boutiques d'ouvriers, ses sièges de juges, du haut desquels capitaines et colonels[23] tranchent les

différends qui peuvent survenir[24]. La fortification,

l'installation intérieure, tout est prêt plus vite que la pensée, tant les travailleurs sont nombreux et adroits. En cas de besoin, on ajoute au retranchement un fossé extérieur, profond de quatre coudées et large d'autant.

  1. Une fois à l'abri, les soldats se logent dans leurs tentes par escouades, avec calme et en bon ordre. Tout

 

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le service journalier s'accomplit avec la même discipline et la même sûreté : la corvée du bois, la corvée des vivres, celle de l'eau, le tout suivant les besoins et toujours par escouades. La soupe du matin et celle du soir ne sont pas laissées au gré de chacun : tous les soldats mangent en commun. Les heures de sommeil, de garde, de réveil sont réglées au son de la trompette : tout s'exécute au commandement. Dès l'aube tous les soldats vont saluer leurs centurions respectifs, ceux-ci les tribuns, puis tous les officiers ensemble se rendent auprès du commandant en chef, et celui-ci leur donne le mot et les ordres qu'ils doivent communiquer à leurs inférieurs. Dans la bataille, tout n'est pas moins bien réglé. Les évolutions s'opèrent aussi vite qu'il est nécessaire qu'il s'agisse d'attaque ou de retraite, toujours la troupe manœuvre par unités constituées, au signe de ses chefs.

  1. S'il faut lever le camp, la trompette donne un premier signal. Alors nul ne demeure oisif : sitôt l'ordre entendu, on plie les tentes, on prépare tout pour le départ. Une deuxième sonnerie ordonne de s'équiper : les hommes chargent les bagages sur les mulets et les autres bêtes de somme, eux-mêmes s'alignent, prêts à s'ébranler, comme des coureurs frémissant derrière la corde. Ils mettent le feu au retranchement, parce qu'il leur sera facile d'en refaire un autre et pour empêcher que l'ennemi ne puisse faire usage de celui qu'ils abandonnent. Enfin, une troisième sonnerie donne le signal du départ et rappelle ceux qui, pour quelque motif que ce soit, seraient en retard : car il faut que nul ne manque à son rang[25]. Alors un héraut qui se tient à

droite du général leur demande par trois fois, dans la langue nationale, s'ils sont prêts à combattre. Trois fois ils répondent à haute et joyeuse voix : « Nous le

sommes ! » Parfois même ils devancent l'appel du héraut : leurs clameurs, leurs bras droits levés en l'air disent le souffle guerrier qui les anime.

  1. Ils s'avancent ensuite, marchant avec calme, en bon ordre, sans jamais rompre leurs rangs, bref, comme s'ils étaient en face de l'ennemi.

Les fantassins portent la cuirasse, le casque, et un glaive

 

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de chaque côté, celui de gauche beaucoup plus long que l'autre, lequel ne dépasse pas la longueur d'un empan[26]. Les soldats d'élite, qui forment la garde du

général, sont armés de la lance et du bouclier rond, les autres du javelot et du bouclier long[27]. L'équipement

comporte, en outre, une scie, une hotte, un pic, une hachette, puis encore une courroie, une serpe, une chaîne et des vivres pour trois jours : le fantassin, on le voit, est presque aussi chargé qu'un mulet de bât. Quant aux cavaliers, ils portent une grande épée au côté droit, une longue pique à la main, un bouclier long posé en écharpe contre le flanc du cheval, et, dans un carquois, trois dards ou davantage, à large pointe et aussi longs que des javelots. Leurs casques et leurs cuirasses sont les mêmes que ceux des gens de pied. Les cavaliers d'élite qui forment l'escorte du général sont armés comme leurs camarades de la ligne.

On tire au sort la légion qui doit marcher en tête de la colonne[28].

  1. Telle est la manière de marcher et de camper des armées romaines, telles sont leurs différentes armes. Dans le combat rien n'est livré au hasard ni à l’improvisation : toujours la réflexion précède l'acte et celui-ci se conforme à la délibération. Aussi les Romains se trompent-ils rarement, et, quand il leur arrive de commettre une faute, ils la réparent aisément. Ils estiment d'ailleurs qu'un dessein bien concerté, même non suivi de réussite, est préférable à un heureux coup de fortune ; le succès dû au hasard porte à l'imprévoyance, tandis que les échecs survenus à la suite d'un plan médité apprennent à en éviter le retour. Et puis, celui qui profite d'une chance heureuse n’en tire aucun honneur, au lieu que les malheurs qui arrivent contre toute prévision nous laissent au moins la consolation d'avoir fait tout ce que commandait la prudence.
  2. Par leurs exercices continuels, les Romains, non contents d'aguerrir les corps de leurs soldats, fortifient encore leurs âmes : la crainte vient compléter cette éducation. Ils ont des lois qui punissent de mort, non seulement l'abandon du rang, mais la moindre

 

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négligence dans le service : et la sévérité des chefs est encore plus à redouter que celle des lois. Toutefois, tels sont les honneurs dont ils récompensent les braves que ceux qu'ils châtient n'osent pas se plaindre.

Cette parfaite discipline fait que l'armée, en temps de paix, offre un spectacle admirable, et qu'en temps de guerre, elle ne semble former tout entière qu'un seul corps, tant les rangs des soldats sont fermes, leurs mouvements aisés, leurs oreilles attentives aux ordres, leurs yeux ouverts aux signaux, leurs bras prépares à l'exécution. Prompts à l'action, durs à la fatigue, jamais en bataille rangée on ne les a vus défaits ni par le nombre, ni par la ruse, ni par les difficultés du terrain, ni même par la fortune : car leur habitude de vaincre leur est plus sûre que la fortune elle-même[29]. Si la

sagesse dirige ainsi leurs opérations, si la volonté des chefs a pour outil une armée aussi manœuvrière, comment s'étonner que leur empire ait étendu ses limites à l'Orient jusqu'à l'Euphrate, à l'Occident jusqu'à l'Océan, au Midi jusqu'aux régions les plus fertiles de la Libye, au Nord jusqu’à l'Ister et au Rhin ! On peut dire sans flatterie que, si grand que soit cet empire, le cœur de ce peuple l'est encore davantage.

8. Si j'ai placé ici ces réflexions, c’est moins dans le dessein de louer les Romains que pour consoler ceux qu'ils ont vaincus et faire perdre à d'autres l'envie de se soulever contre eux. Peut-être aussi quelques curieux trouveront-ils leur profit à connaître cette organisation de l'armée romaine qu'ils ignoraient. Je reprends maintenant le fil de mon récit où je l'ai quitté.

VI

  1. Tentative infructueuse de Placidus contre Jotapata. –
  2. Vespasien part de Ptolémaïs : ordre de marche de son armée. – Débandade de l’armée de Josèphe à Garis.

1. Pendant que Vespasien, demeuré jusqu'alors à Ptolémaïs avec son fils Titus, y organisait ses forces. Placidus, parcourant la Galilée, commençait par tuer nombre de gens qui tombaient entre ses mains : c'étaient

 

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les individus les plus débiles et les plus démoralisés de la contrée ; voyant ensuite que les meilleurs combattants se réfugiaient constamment dans les places fortifiées par Josèphe, il s'attaqua à la plus forte d'entre elles, Jotapata. Il comptait l'enlever sans peine par un coup de main, s'acquérir ainsi auprès des chefs une grande réputation et leur assurer un avantage considérable pour la suite de la campagne, car, la plus forte place une fois tombée, la terreur soumettrait les autres. Cependant son espérance fut bien trompée. Les habitants de Jotapata, prévenus de son approche, l'attendirent en avant de la ville. Ils s'élancèrent inopinément contre les Romains. Nombreux, bien préparés au combat, enflammés par la pensée du danger que couraient la patrie, leurs femmes et leurs enfants, ils mirent promptement en fuite leurs adversaires, et en blessèrent un grand nombre. Toutefois ils ne leur tuèrent que sept hommes, car les Romains, se replièrent en bon ordre et, protégés sur tout le corps ne reçurent que des blessures superficielles, d'autant que les Juifs, légèrement armés et opposés à des hoplites, ne tiraient que de loin et n'osaient pas engager le corps à corps. De leur côté les Juifs eurent trois morts et quelques blessés. Placidus, se voyant trop faible pour emporter la ville, battit en retraite.

2. Vespasien, impatient d'envahir lui-même la Galilée, s'ébranla de Ptolémaïs, après avoir réglé, suivant l'habitude romaine, l'ordre de marche de son armée. Il plaça en tête les vélites et les archers auxiliaires, avec la mission de repousser les incursions soudaines des ennemis et de fouiller les bois suspects, propres à dissimuler des embuscades. Venait ensuite un corps[30]

de soldats romains pesamment armés, fantassins et cavaliers. Ils étaient suivis d'un détachement composé de dix hommes par centurie qui portaient leurs propres bagages et les instruments d'arpentage nécessaires pour le tracé du camp. Après eux venaient les pionniers chargés de rectifier les détours de la route, d'aplanir les passages difficiles et d'abattre les broussailles gênantes, de manière à épargner à l'armée les fatigues d'une marche pénible. Derrière ceux-ci, Vespasien fit marcher son propre équipage, et celui de ses lieutenants avec un

 

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gros de cavaliers pour les garder. Il chevauchait ensuite lui-même avec l'élite de l'infanterie et de la cavalerie, et les lanciers de sa garde. Puis venait la cavalerie proprement légionnaire, car à chaque légion sont attachés cent vingt chevaux ; ensuite les mulets, portant les hélépoles[31] et les autres machines. Puis les légats,

les préfets des cohortes et les tribuns, escortés de soldats d'élite. Derrière venaient les enseignes, entourant l'aigle qui, chez les Romains, conduit chaque légion, parce qu'il est le roi et le plus brave de tous les oiseaux : c’est pour eux le symbole de leur suprématie, et, quel que soit l'adversaire, le présage de la victoire. A la suite de ces images sacrées marchaient les trompettes et, derrière eux, le gros de la phalange, sur six hommes de front. Un centurion (par légion[32]) les accompagnait

suivant la coutume pour surveiller le bon ordre de la marche. Derrière l'infanterie venaient tous les valets de chaque légion, menant les bagages des combattants à dos de mulet et sur d'autres bêtes de somme. En queue de la colonne, cheminait la cohue des mercenaires[33]

et, enfin, polir faire le service de sûreté, une arrière-garde composée de fantassins et d'un bon nombre de cavaliers.

3. Ainsi procédant avec son armée, Vespasien arrive aux confins de la Galilée. Là, il établit son camp et retient l'ardeur de ses soldats, qui brûlaient de combattre, se contentant de donner aux ennemis le spectacle de son armée pour les épouvanter et leur permettre de se raviser, s'ils voulaient, avant l'engagement, revenir à de meilleurs sentiments. En même temps, il complétait ses préparatifs en prévision du siège des places fortes. La vue du général en chef inspira à beaucoup d'insurgés le regret de leur défection, à tous la terreur. Les troupes qui, sous les ordres de Josèphe, campaient non loin de Sepphoris[34], près d'une ville nommée Garis, sentant la

guerre à leurs portes et les Romains tout près il les attaquer, se dispersent, non seulement avant tout combat, mais avant même d'apercevoir l'ennemi. Josèphe resta seul avec un petit nombre de

compagnons ; il reconnut qu'il n'était pas en force pour attendre l'ennemi de pied ferme, que l'ardeur des Juifs était tombée et que, si on voulait accepter leur parole, la

 

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plupart étaient prêts à capituler. Il conçut dès lors des craintes pour l'issue de toute la guerre, et décida pour le moment d'éviter autant que possible le danger d'une rencontre. Ramassant donc le reste de ses troupes, il se réfugia derrière les murs de Tibériade.

VII

1. Prise et destruction de Gabara. – 2. Message de Josèphe au gouvernement de Jérusalem. – 3-4. Vespasien investit Jotapata. – 8-10. Travaux de siège des Romains. – 11-14. Le siège transformé en blocus. – 15­16. Tentative d’évasion de Josèphe. – 17-18. Sorties des Juifs. – 19-23. Ravages du bélier, Vespasien blessé. – 24­30. Grand assaut repoussé. – 31. Massacre des Samaritains sur le Garizim. – 33-36. Prise de Jotapata.

  1. Vespasien attaqua la ville de Gabara[35] et l'emporta

au premier assaut, dépourvue qu'elle était de gens capables de la défendre. Entrés dans la ville, les Romains tuèrent tous ceux qui étaient en âge, n'épargnant ni les jeunes ni les vieux, tant la haine de notre nation et le souvenir des affronts faits à Cestius les exaspéraient. Vespasien ne se contenta pas de faire brûler la ville, il fit aussi mettre le feu dans les villages et les bourgades d'alentour. Il trouva les uns complètement abandonnés par leurs habitants, dans les autres il réduisit la population en esclavage.

  1. La présence de Josèphe remplissait de crainte la ville qu'il avait choisie pour sa sûreté, parce que ceux de Tibériade pensaient qu'il n'aurait jamais pris la fuite s'il n'avait désespéré du succès de la guerre. En cela ils ne se trompaient pas : il voyait clairement vers quel dénouement marchaient les affaires des Juifs et qu'il n'y avait d'autre espérance de salut pour eux que de faire amende honorable. Quant à lui, bien qu'il eût lieu d'espérer être pardonné des Romains, il aurait préféré souffrir mille morts plutôt que de trahir sa patrie et d'abandonner honteusement la mission qui lui avait été confiée, pour chercher la tranquillité parmi ceux qu’on l'avait chargé de combattre. Il prit donc le parti d'écrire

 

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au gouvernement de Jérusalem pour l'informer au vrai de l'état des choses, évitant à la fois de représenter les forces des ennemis plus grandes qu'elles n'étaient - ce qui eût fait croire de nouveau qu'il avait peur - comme aussi de les représenter moindres, de crainte de fortifier dans leur audace des gens qui peut-être déjà commençaient à se repentir. Il priait les magistrats, s'ils avaient l'intention de traiter, de l'en informer sans délai, ou, s'ils étaient résolus de continuer la guerre, de lui envoyer des forces capables de résister aux Romains. Ayant rédigé la lettre en ce sens, il expédia des messagers chargés de la porter en toute diligence à Jérusalem.

  1. Vespasien, brûlant de ruiner Jotapata, où le plus grand nombre des ennemis s'étaient retirés et qu'il savait être leur plus fort boulevard, envoya un corps de fantassins et de cavaliers pour aplanir la route qui y conduisait, chemin rude et pierreux, difficile pour l'infanterie, inaccessible aux gens de cheval[36]. En

quatre jours ce travail fut terminé et une large chaussée ouverte à l'armée. Le cinquième jour, qui était le 21 du mois d’Artémisios[37], Josèphe se dépêcha de passer de

Tibériade à Jotapata et releva par sa présence le courage abattu des Juifs. Un transfuge en donna avis à Vespasien comme d'une bonne nouvelle, et l'exhorta de se hâter d'attaquer la place, parce que, s'il pouvait, en la prenant, s'emparer de Josèphe, ce serait comme prendre toute la Judée. Le général eut grande joie de ce message et attribua à une volonté particulière de Dieu que le plus avisé de ses ennemis se fût ainsi volontairement pris au piège : il commanda sur-le-champ à Placidus et au décurion Æbutius[38], homme d'action et de sens,

d'aller avec mille cavaliers investir la ville de tous côtés afin que Josèphe ne pût s'échapper. Il les suivit le lendemain avec toute son armée, et, ayant marché jusqu'au soir, arriva devant Jotapata.

  1. Il rassembla ses forces du côté nord de la ville et les y fit camper sur une colline à sept stades de la place, bien en vue des assiégés afin de mieux étonner ceux-ci. En effet, ce spectacle donna tant d'effroi aux Juifs que nul d'entre eux n’osa sortir des remparts. Les Romains,

 

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fatigués d’avoir marché toute la journée, n’entreprirent rien pour l'instant, mais ils entourèrent la ville d’un double cordon de troupes, et postèrent à quelque distance la cavalerie, formant une troisième ligne d'investissement, de manière à enfermer les Juifs de toutes parts. Ainsi privés de tout espoir de salut, les Juifs sentirent redoubler leur audace, n'y ayant rien à la guerre qui enhardisse comme la nécessité.

  1. Le lendemain on commença à battre la ville. Au début, ceux des Juifs qui étaient restés dans la plaine, campés devant les murs, tinrent seuls tête aux Romains[39],

mais quand Vespasien eut commandé à tous ses archers, à ses frondeurs et aux autres gens de trait de les accabler de leurs projectiles, tandis que lui-même avec son infanterie escaladait la colline vers, le point où la muraille offrait un accès facile, Josèphe, inquiet pour ce sort de la place, fit une sortie, entraînant avec lui toute la multitude des Juifs. Ils tombent en masse sur les Romains, les chassent de la muraille, multiplient les traits de vigueur et d'audace. Toutefois la perte était égale de part et d’autre, car si le désespoir animait les Juifs, la honte n’irritait pas moins les Romains. La science de la guerre jointe à la force combattait d'un côté, et de l'autre l'audace armée de la fureur. La bataille dura tout le jour, la nuit seule sépara les combattants. Beaucoup de Romains furent blessés et treize tués. De leur côté les Juifs eurent six cents blessés et dix-sept morts.

  1. Le jour suivant, comme les Romains revenaient à l'attaque, les Juifs firent une nouvelle sortie et combattirent avec plus de vigueur encore, par la confiance que leur donnait leur résistance inespérée de la veille. De leur côté, les Romains, enflammés de honte jusqu'à la colère, redoublèrent d'acharnement, se considérant comme vaincus dès que la victoire se faisait attendre. Jusqu'au cinquième jour on combattit de la sorte, les Romains renouvelant sans cesse leurs assauts, la garnison de Jotapata ses sorties et sa défense vigoureuse du rempart. Ni la force des Romains ne décourageait les Juifs, ni la résistance opiniâtre de la ville ne rebutait les Romains.

 

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  1. La ville de Jotapata[40] est presque entièrement bâtie

sur un roc escarpé et environné de trois côtés de vallées si profondes que le regard ne peut sans s'éblouir plonger jusqu'en bas. Seul le côté qui regarde le nord, où la ville s'étend obliquement sur le flanc de la montagne qui s'abaisse, est abordable. Mais Josèphe, lorsqu'il avait fortifié la ville, avait compris cette montagne[41] dans le

rempart pour rendre imprenable aux ennemis la hauteur qui commandait la place. Tout à l'entour, d'autres montagnes ceignent la ville et en dérobent la vue, de sorte qu'on ne pouvait l'apercevoir avant d'être au pied des murs. Telle était la force de Jotapata.

  1. Vespasien se piquant d'honneur contre la nature des lieux et l'opiniâtreté des Juifs, résolut de presser plus vigoureusement le siège. Il convoqua ses principaux officiers pour délibérer avec eux sur la suite à donner à l'attaque. On décida d'élever une terrasse du côté où le rempart était abordable[42]. En conséquence, il employa

toute son armée à rassembler les matériaux nécessaires. On coupa toutes les forêts qui garnissaient les montagnes voisines de la ville, et au bois s'ajoutèrent d'énormes amas de pierres. Ensuite les soldats se divisent : les uns étendent des claies sur des palissades pour se couvrir des traits lancés de la ville, fit ainsi protégés amoncellent la terre en ne souffrant que de faibles dommages ; les autres éventrent les collines voisines et apportent sans interruption de la terre à leurs camarades. On avait formé trois équipes de travailleurs, de sorte que nul ne demeurait oisif. Les Juifs, pour empêcher cet ouvrage, lançaient du haut des murs sur les abris ennemis de grosses pierres et toutes sortes de projectiles. Même quand leurs traits ne parvenaient pas à traverser les claies, le fracas énorme et les décharges continuelles effrayaient et retardaient les travailleurs.

  1. Cependant Vespasien fit dresser autour de la place ses machines de jet, au nombre de 160[43] en tout, et

ordonna de battre les défenseurs des remparts. On vit alors tout à la fois les catapultes lancer des javelots, les

 

Zone de Texte: 11. Vespasien ne fut pas moins irrité par l'habileté de ceFlavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

pierriers vomir des blocs du poids d'un talent, des brandons enflammés, une grêle de dards, de manière non seulement à chasser les Juifs de la muraille, mais à rendre intenable, en dedans du rempart, tout l'espace compris dans leur rayon d'action. Au tir de l'artillerie s'ajoutait celui d'une nuée d'archers arabes, de gens de trait et de frondeurs. Ainsi empêchés de se défendre du haut des remparts, les Juifs ne restaient pas pour cela dans l'inaction. Ils faisaient des sorties par petits détachements à la manière des brigands, frappant les soldats ennemis après avoir arraché les abris qui les protégeaient : sitôt que les travailleurs quittaient la place, ils démolissaient les terrassements et mettaient le feu aux palissades et aux claies. Vespasien, ayant reconnu l'inconvénient qui résultait de l’éloignement de ses divers chantiers - car les Juifs profitaient des intervalles pour se glisser à l'attaque - relia tous ses abris ensemble et les protégea si bien d'un cordon continu de troupes, que toutes les incursions des Juifs furent repoussées.

10. Cependant les terrassements s'élevaient et atteignaient presque la hauteur du parapet ; Josèphe jugea honteux de ne pas s'ingénier à découvrir quelque moyen de salut pour la ville. Il rassembla donc des ouvriers et leur commanda de surélever le rempart. Comme ces hommes déclaraient ne pouvoir pas travailler sous une pareille grêle de projectiles, il imagina pour eux la protection suivante : on planta dans la muraille de gros pieux recouverts de peaux de bœufs fraîchement écorchés dont les plis arrêtaient les boulets lancés par les pierriers, tandis que les autres projectiles glissaient sur leurs surfaces et que leur humidité éteignait la flamme des brandons[44]. A l'abri de ce masque, les

ouvriers, travaillant en sûreté jour et nuit, surélevèrent la muraille jusqu'à une hauteur de vingt coudées et la fortifièrent de tours nombreuses ainsi que d'un robuste parapet. Les Romains, qui se croyaient déjà maîtres de la place, éprouvèrent à cette vue un grand découragement. L'invention de Josèphe et la constance des habitants les frappèrent de stupeur.

 

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stratagème et l'audace des gens de Jotapata, car ceux-ci, enhardis par leur nouvelle fortification, recommençaient leurs sorties contre les Romains. Tous les jours de petits détachements venaient attaquer les assiégeants, mettant en oeuvre toutes les ruses des brigands, pillant ce qu'ils trouvaient sur leur chemin et mettant le feu aux autres[45] ouvrages. Tant et si bien que Vespasien,

arrêtant le combat, rappela ses troupes et résolut d'établir le blocus et de prendre la ville par la famine. Il pensait que de deux choses l'une : ou les défenseurs, poussés à bout par leurs privations, demanderaient grâce, ou bien, préservant dans leur arrogance, ils périraient de faim. D'ailleurs, s'il fallait en revenir aux mains, on triompherait d’eux bien plus facilement lorsque, après quelque intervalle, on tomberait sur des adversaires exténués. Il ordonna donc de garder soigneusement toutes les issues de la place.

12. Les assiégés avaient abondance de blé et de toutes les autres choses nécessaires, le sel excepté, mais ils manquaient d'eau parce que, n'y ayant point de source dans la ville, les habitants s’étaient réduits à l'eau de pluie : or, dans cette région, il pleut rarement pendant l'été, qui est précisément le temps ou ils se trouvaient assiégés. A la pensée de la soif menaçante, un cruel découragement les prenait et déjà ils s'indignaient comme si l'eau fût venue complètement à manquer. En effet, Josèphe, voyant l'abondance des autres subsistances et le bon esprit des gens de guerre, désireux d'ailleurs de prolonger le siège beaucoup plus que les Romains ne s'y attendaient, avait dès le début ordonné de distribuer l'eau par mesure. Ce rationnement paraissait aux habitants plus dur que la disette même. Plus on contraignait leur liberté, plus ils avaient envie de boire, et ils se démoralisaient comme s'ils en étaient venus déjà aux dernières angoisses de la soif. Les Romains ne purent ignorer cet état d'esprit : de la colline où ils étaient campés, ils voyaient par delà le rempart les Juifs s'assembler en un même lieu où on leur donnait ('e l'eau par mesure. Ils dirigèrent même sur cet endroit le tir de leurs catapultes et tuèrent bon nombre d'ennemis.

 

13. Vespasien comptait bien qu'avant peu l'eau des

 

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citernes serait épuisée et la ville réduite à capituler. Mais Josèphe, pour lui ôter cette espérance, fit suspendre aux créneaux une quantité d'habits tout dégouttants d'eau, de manière que la muraille entière se mit à ruisseler. Ce spectacle surprit et consterna les Romains. Ainsi ces hommes qu'ils croyaient manquer d'eau, même pour soutenir leur vie, ils les voyaient en faire une telle profusion pour une simple bravade[46] ! Le général lui-

même, n'osant plus se flatter de prendre la place par la famine, revint à l'emploi du fer et de la force. C'était là ce que souhaitaient les Juifs, car, voyant leur perte et celle de la ville assurées, ils aimaient mieux mourir les armes à la main que par la faim et la soif.

  1. Après ce stratagème, Josèphe en conçut un autre pour se procurer des vivres en abondance. Il y avait du côté de l'ouest un sentier en ravin d'accès difficile et, pour cette raison, négligé par les postes ennemis, qui permettait de franchir le vallon d'enceinte. En empruntant ce passage, Josèphe réussit à faire parvenir des messages à certains Juifs en dehors de la ville et à en recevoir des nouvelles. Par ce moyen aussi il se réapprovisionna en abondance de toutes les choses nécessaires qui commençaient à manquer. Les messagers qui exécutaient ces sorties[47] avaient ordre

de marcher à quatre pattes en longeant les sentinelles et de s'envelopper de peaux de manière que, si on les apercevait de nuit, on les prît pour des chiens. Toutefois, les gardes ennemis finirent par dècouvrir la ruse et barrèrent le ravin.

  1. Alors Josèphe, reconnaissant que les jours de la ville étaient comptés et que, s'il s'obstinait à y demeurer, lui-même ne pourrait plus se sauver, tint conseil avec les principaux citoyens sur les moyens de s'enfuir. Le peuple découvrit le complot et s'ameuta autour de lui, le conjurant de ne les point abandonner puisqu'ils mettaient en lui toute leur confiance. « Qu'il reste, il est l'espoir dit salut pour la ville, parce que, tant qu'ils l'auront à leur tête, ils combattront avec ardeur. Si même ils ont à périr il sera leur consolation suprême. D'ailleurs serait-ce une action digne de lui de fuir devant ses ennemis, d'abandonner ses amis, de sortir durant la

 

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tempête du vaisseau où il s'est embarqué pendant la bonace ? Il déterminerait, par ce moyen le naufrage de la ville : personne n'oserait plus la défendre lorsqu'ils auraient perdu celui dont la présence maintenait leur courage ».

  1. Josèphe, sans faire allusion à sa propre sûreté, leur affirma que c’était dans leur intérêt seul qu'il avait médité ce départ, car sa présence ne leur serait guère utile s'ils devaient être sauvés, et, s'ils succombaient, à quoi servirait qu'il périt avec eux ? Au contraire, s'il réussissait à s'échapper de la place investie, il pourrait leur rendre un grand service, car il rassemblerait en toute diligence les Galiléens de la campagne et par cette puissante diversion détournerait les Romains de leur ville. En fait, son séjour parmi eux ne peut désormais avoir d'autre effet que de faire redoubler aux Romains leurs efforts pour s'emparer de la place, puisque ceux-ci mettent à si haut prix l'espoir de se rendre maître de sa personne ; lorsqu'ils apprendront qu'il n'y est plus, ils se relâcheront beaucoup de l'ardeur de leurs attaques. Cependant ces discours ne parvinrent point à toucher la multitude. Elle ne se pressa qu'avec plus d'ardeur autour de Josèphe : enfants, vieillards, femmes portant leurs nourrissons, tombent à ses pieds en se lamentant ils s'accrochent à ses genoux, le conjurent parmi les sanglots de rester avec eux pour partager leur fortune. Et s'ils le suppliaient ainsi, je ne saurais croire que ce fut parce qu’ils lui enviaient l'avantage de son salut, mais bien plutôt parce qu’ils pensaient au leur : lui présent, en effet, ils se persuadaient qu'aucun désastre ne saurait les atteindre.
  2. Josèphe reconnut que cette insistance se bornerait à une supplication s'il se laissait fléchir, mais se tournerait en une étroite surveillance s'il s’y opposait. D'ailleurs son désir de partir était fort ébranlé par la pitié que lui inspiraient leurs plaintes. Il résolut donc de demeurer et se fit une armure du commun désespoir de la ville. « C'est maintenant, dit-il, qu'il est temps de combattre, puisqu'il n'y a plus d'espoir de salut. Il est beau de préférer l’honneur à la vie, et, par quelque exploit glorieux, de s’assurer en succombant le souvenir

 

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de la prospérité ». Aussitôt les actes suivirent les

paroles : il fit une sortie avec les plus braves de ses gens, dispersa les gardes et pénétra jusqu’au camp de Romains ; là, il arracha les toitures de cuir sous lesquelles, le surlendemain et pendant toute une série de jours et de nuits sans se relâcher de son ardeur au combat.

  1. Ces sorties faisaient beaucoup de mal aux Romains, car ils avaient honte de fuir devant les ennemis et, lorsque ceux-ci lâchaient pied, le poids de leurs propres armes les gênaient pour les poursuivre : au contraire, les Juifs, avant de subir des pertes, causaient toujours quelque dommage et se réfugiaient ensuite dans la ville. Voyant cela, Vespasien ordonne à ses légionnaires de se dérober aux attaques des Juifs et de ne pas s’engager avec des hommes qui ne cherchent que la mort. Il pensait, en effet, que rien n'est plus redoutable que le désespoir et que leur impétuosité, privée d'objet, ne tarderait pas à s'alanguir comme le feu auquel on enlève son aliment. D'ailleurs il convenait à la dignité des Romains de vaincre tout en songeant à leur sûreté, puisqu'ils faisaient la guerre non par nécessité, mais pour accroître leur empire. Il se borna donc désormais à écarter les assaillants à l'aide de ses archers arabes et ses Syriens qui maniaient la fronde ou lançaient des pierres ; il employa aussi à cet effet la multitude de ses machines de jet. Les Juifs, fort maltraités, pliaient, mais s'ils réussissaient à franchir la zone de tir de leurs adversaires, ils se précipitaient sur les Romains avec violence, et les deux partis, se relayant incessamment, ne ménageaient ni leur vie ni leurs corps dans un combat acharné.
  2. La longueur de ce siège, les sorties continuelles des défenseurs faisaient de l'assiégeant lui-même une sorte d'assiégé. Aussi, dès que les terrassements approchèrent des murailles, Vespasien décida d'amener le bélier. On appelle ainsi une poutre d'une longueur énorme, semblable à un mât de navire, garnie à son extrémité d’une grosse masse de fer, qui est façonnée en tête de bélier et d'où la machine a tiré son nom. Cette poutre est suspendue en son milieu par de gros câbles, comme le

 

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fléau d’une balance, à une autre poutre que soutiennent à ses deux bouts de forts poteaux plantés en terre. Une troupe nombreuse d'hommes ramène d'abord le bélier en arrière, puis agissant tous ensemble de tout leur poids, ils le lancent en avant de manière que le fer qui forme saillie vienne heurter les murailles. Il n'y a pas de tour si forte, pas de rempart si large qui, si même ils peuvent supporter le premier choc, ne finissent par céder aux assauts répétés de cet engin. Tel est le moyen auquel recourut alors le général romain, impatient de prendre de force la ville, en raison des dommages que lui causaient la prolongation du siège et l'activité des Juifs. Les Romains firent donc rapprocher les catapultes et les autres machines de trait pour chasser des remparts ceux qui tenteraient de s’y défendre. En même temps s'étaient avancés les archers et les frondeurs. Tandis que ces décharges ne permettent à personne de monter sur le mur, d'autres soldats amènent le bélier, protégés par une armure continue de boucliers d'osier, au-dessus desquels est tendue une toiture de cuir, pour la plus grande sûreté de la machine et de ceux qui la manœuvrent. Dés le premier choc, la muraille fut ébranlée, et une grande clameur s'éleva de l'intérieur de la place comme si déjà elle était prise.

20. Josèphe, voyant que sous les coups redoublés, portés toujours au même endroit, le mur était prêt a

s'écrouler, imagina un moyen de                                                      paralyser
pendant quelque temps l'effet de la machine. Il fit remplir de paille[48] des sacs et les suspendit par des

câbles à l'endroit où l'on voyait toujours le bélier frapper. De la sorte, le choc serait détourné et la violence du coup diminuée par la matière molle qui le recevait. Cette ruse retarda beaucoup les Romains, car, de quelque côté qu'ils tournassent leur bélier, aussitôt ceux d'en haut lui opposaient leurs sacs, qui faisaient plastron, et le mur,

n'éprouvant aucune répercussion,                                                                 n'était pas
endommagé. Cependant les Romains imaginèrent, de leur côté, d'amener de longues perches, munies à leur extrémité de faux avec lesquelles ils coupaient les cordes qui retenaient les sacs. Grâce à cet artifice, l'hélépole[49]

recouvra toute son efficacité et le mur, fraîchement cimenté, commença à céder. Alors Josèphe et ses gens

 

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eurent recours au feu comme dernier remède. Après avoir allumé tout ce qu'ils purent trouver de bois sec, ils s'élancent de la ville, divisés en trois corps, et mettent le feu aux machines, aux abris d'osier et aux boisages des retranchements ennemis. Les Romains s'y opposent à grand'peine, stupéfaits par l'audace de leurs ennemis et devancés par la flamme, qui déjoue leurs efforts, car, jaillissant du bois sec, additionné de bitume, de poix et de soufre, le feu court plus vite que la pensée, et tous les travaux élevés a si grand prix par les Romains sont consumés en une heure de temps.

  1. A cette occasion se fit remarquer un Juif digne d'attention et de souvenir. nommé Eléazar, fils de Saméas, natif de Gaba[50] en Galilée. Soulevant dans

ses bras une pierre énorme, il la lança du haut du mur contre le bélier avec tant de force qu'elle en brisa la tête ; puis, sautant en bas, il enlève cette tête du milieu des ennemis et la rapporte avec le plus grand sang-froid jusqu'au pied du rempart. Devenu une cible pour tous ses adversaires, son corps, qu'aucune armure ne protégeait, recevait leurs coups et fut percé de cinq traits. Mais, sans faire attention à aucune de ses blessures, il gravit le rempart et s'y tint debout à la vue de tous les combattants, qui s'étonnaient de son audace. Enfin, la douleur de ses plaies le saisit de convulsions, et il tomba comme une masse, tenant toujours dans ses mains la tête du bélier. Après lui ceux qui se distinguèrent le plus par leur courage furent deux frères, Nétiras et Philippe, natifs du bourg de Rouma[51], eux

aussi Galiléens : s'élançant contre les soldats de la dixième légion, ils chargèrent les Romains avec tant d'impétuosité et de violence, qu'ils rompirent leurs rangs et mirent en fuite tout ce qui se rencontra devant eux.

  1. Derrière ces hommes, Josèphe et le reste du peuple, quantité de brandons enflammés à la main, vinrent de nouveau incendier les machines, les abris et les terrassements de la cinquième légion et de la dixième[52]

qui avait pris la fuite. Les autres corps de troupes s’empressèrent de couvrir de terre leurs machines et tout leur matériel. Vers le soir les Romains dressèrent

 

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derechef le bélier et l'amenèrent à l'endroit où ses premiers coups avaient ébranlé la muraille. A ce moment, un des défenseurs du rempart atteignit Vespasien d'une javeline à la plante du pied. La blessure était légère, la distance ayant amorti la force du projectile ; le trouble n'en fut pas moins grand parmi les Romains, car l'entourage immédiat de Vespasien s'étant ému à la vue du sang, la nouvelle se répandit aussitôt dans toute l'armée : la plupart des soldats, laissant là les travaux du siège, accouraient vers leur général, pleins de consternation et de terreur. Le premier de tous sur les lieux fut Titus, qui craignait pour la vie de son père, et toute l'armée se sentit bouleversée à la fois par son affection pour le chef et par le spectacle de l'angoisse de son fils. Cependant Vespasien trouva vite le moyen d'apaiser et l'inquiétude de son fils et le tumulte de son armée : maîtrisant sa douleur, il alla se faire voir à tous ceux qui tremblaient pour ses jours et redoubla ainsi l'ardeur de leur élan contre les Juifs. Chacun voulait être le premier au péril pour venger son général, et, s'encourageant mutuellement avec de grands cris, ils s'élancent de nouveau contre le rempart.

23. Les gens de Josèphe, quoique tombant les uns sur les autres sous la mitraille des catapultes et des pierriers, ne désertèrent cependant pas la muraille, mais faisaient pleuvoir le feu, le fer et les pierres contre les soldats qui poussaient le bélier à l'abri de la toiture d'osier. Cependant leur tir n'obtenait que peu ou point de succès, et ils tom-baient incessamment, parce que l'ennemi les voyait sans qu'ils pussent le voir : en effet, la flamme même dont ils faisaient usage, les éclairant de ses lueurs, faisait d'eux une cible aussi apparente qu'en plein jour, et, d'autre part, ils avaient peine à éviter les décharges des machines qu'ils n'apercevaient pas dans le lointain. Aussi les balistes et les catapultes abattaient des files entières, et les pierres lancées par l'onagre[53]

venaient avec un sifflement terrible arracher les parapets et briser les angles des tours. Il n'y a pas en effet de troupe si compacte que la masse et la force vive de ces pierres ne puisse renverser jusqu'au dernier rang. Quelques incidents de cette nuit donneront une idée de la puissance de cette machine : un des hommes postés

 

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sur la muraille à côté de Josèphe eut la tète emportée par une pierre, et son crâne, lancé comme une balle de fronde, vint tomber à trois stades de distance ; une femme enceinte fut frappée au ventre comme elle sortait de sa maison au lever du jour : l'enfant qu'elle portait dans son sein fut projeté à un demi-stade de là[54]. On

peut juger par là de la force de ces pierriers. Terrible aussi était le sifflement des machines et le fracas de leur ravage. On entendait le bruit sourd des cadavres qui tombaient en bas de la muraille. Aux cris lamentables des femmes, qui s'élevaient de l'intérieur de la ville, répondaient au dehors les gémissements des mourants. Tout le glacis placé en avant du lieu du combat ruisselait de sang, et les morts amoncelés formaient un chemin

jusqu'au sommet           du rempart. L'écho des
montagnes avoisinantes grossissait encore ces horribles clameurs ; bref, rien de ce qui peut terrifier les yeux ou les oreilles ne manqua à cette nuit d'épouvante. Beaucoup des défenseurs de Jotapata périrent en combattant vaillamment ; beaucoup furent couverts de blessures. Enfin, vers l'heure où l'on relève la garde du matin, le mur, battu sans interruption par les machines, finit par s'écrouler ; mais les assiégés, couvrant leurs corps de leurs armes, réussirent à combler la brèche avant que les Romains eussent le temps d'y appliquer leurs ponts volants pour l'escalade.

24. Vespasien, après avoir accordé à ses troupes quelque repos des fatigues de la nuit, dispose dès l'aurore son armée pour l'assaut. Pour chasser de la brèche les défenseurs, il fait mettre pied à terre aux plus braves de ses cavaliers et les forme en trois colonnes près des parties écroulées du mur ; couverts de leurs armures de pied en cap, la lance en arrêt, ils ont ordre, dès que les ponts volants seront jetés, d'entrer les premiers dans la place ; derrière eux, il place l'élite de l'infanterie. Le reste de la cavalerie fait face aux remparts, rangé tout le long de la montagne, afin que nul fuyard, la ville une fois prise, ne puisse s'échapper inaperçu. Plus en arrière[55]

il dispose les archers, avec la consigne de tenir leurs flèches prêtes au tir ; pareillement, les frondeurs et les servants des batteries. D'autres détachements ont mission d'appliquer les échelles aux endroits où le mur

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

est encore intact, afin qu'une fraction des assiégés, occupée à les contenir, soit défournée de la défense de la brèche et que le reste, accablé sous une grêle de projectiles, soit contraint de livrer l'entrée de la place.

  1. Josèphe, qui avait pénétré le dessein de l'ennemi, confia la garde de la partie intacte du mur aux hommes fatigués et aux vieillards, jugeant qu'il n'y avait rien de sérieux à redouter de ce côté. Au contraire, il plaça à la brèche, les hommes les plus vigoureux, et, à la tête de chaque groupe, six chefs de file tirés au sort[56],

auxquels il se joignit lui-même pour être au fort du danger. Il recommanda à ses hommes de se boucher les oreilles afin de n'être pas épouvantés par le cri de guerre des légions. Pour se préserver de la nuée des projectiles, il les instruisit à se mettre à genoux en se couvrant le haut du corps avec leur bouclier, et à reculer peu à peu jusqu'à ce que les archers eussent vidé leurs carquois ; mais, sitôt qu'on jetterait les ponts volants, ils devaient y sauter eux-mêmes et affronter l'ennemi par ses propres chemins. Chacun d'eux luttera, non dans l'espoir de sauver la patrie, mais pour venger la patrie perdue ; il se représentera le sang des vieillards qu'on va égorger, les enfants et les femmes que l'ennemi va ravir. A la pensée de ces désastres prochains, que leur fureur s'exaspère et se déchaîne contre les auteurs de leurs futures misères !

  1. Telles furent les dispositions qu'il prit de côté et d'autre. Mais quand la multitude désarmée des femmes et des enfants vit, de l'intérieur, la ville cernée d'un triple cordon de troupes - car les Romains n'avaient détourné pour le combat aucun des postes qu'ils avaient placés dès la première heure[57], - quand ils virent, au pied des

murs ébranlés, les ennemis l'épée nue à la main, plus haut, la montagne tout étincelante d'armes, et les valets arabes présentant leurs flèches aux archers, un hurlement suprême s'échappa de leurs poitrines pour pleurer la chute de la ville, comme si la catastrophe n'était plus imminente, mais déjà arrivée. Josèphe, craignant que ces gémissements des femmes n'amollissent le courage des combattants, leur commanda de s'enfermer chez elles, avec de grandes menaces si elles ne se taisaient. Lui-même se posta en

 

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avant de la brèche, à l'endroit que le sort lui avait assigné, sans se préoccuper des échelles qu'on appliquait sur d'autres points, et attendant avec impatience la première salve de traits.

  1. Alors, toutes les trompettes des légions sonnent à la fois la charge, l'armée pousse une formidable clameur, et, au signal donné, une nuée de traits lancés de toutes parts vient obscurcir le ciel. Fidèles aux instructions de Josèphe, ses hommes défendent leurs oreilles contre les cris et leur corps contre les projectiles ; et dès qu'ils voient les ponts volants jetés, ils s'y précipitent avant que ceux qui les ont appliqués aient pu y monter eux-mêmes. Dans le corps à corps qui s'engage avec les assaillants, leurs bras, leurs âmes multiplient toutes sortes de prouesses. Dans l'extrémité de leur misère, ils s'efforcent de ne point paraître inférieurs à ceux qui, sans être stimulés par leur propre salut, déploient tant de courage. Nul ne lâche prise qu'il n'ait tué ou péri. Cependant les Juifs s'épuisent dans ce combat incessant, sans avoir de quoi remplacer ceux qui luttent au premier rang ; au lieu que, du côté des Romains, les hommes fatigués ou refoulés sont immédiatement relevés par des troupes fraîches, que les assaillants s'encouragent les uns les autres, et, flanc contre flanc, le haut du corps abrité par leur bouclier[58], forment une

colonne inébranlable dont la masse, comme un seul corps, pousse devint elle les Juifs et couronne déjà la crête du rempart.

  1. Dans cette situation critique, Josèphe s'inspire de la nécessité, bonne conseillère quand le désespoir l'irrite. Il ordonne de verser sur ce toit de boucliers en marche des flots d'huile bouillante. Les Juifs la tenaient toute préparée ; aussitôt, de toutes parts, ils en répandent sur les Romains d'énormes quantités et, après l'huile, ils jettent sur eux les vaisseaux eux-mêmes qui la contenaient, encore tout fumants. Ce déluge embrasé brise enfin les rangs de la colonne d'assaut : se tordant dans d'atroces douleurs, les Romains roulent au bas de la muraille. Car, sous l'armure de chaque homme, l'huile coulait instantanément de la nuque aux pieds, se répandant sur toute la surface du corps et dévorant les

 

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chairs comme une flamme, ce liquide étant, de sa nature, prompt à s'échauffer et, en sa qualité de corps gras, lent à se refroidir. Empêtrées dans leurs casques et leurs cuirasses, les victimes ne pouvaient se soustraire à cette action corrosive : on les voyait, sous la souffrance, bondir, se tortiller, tomber à bas des ponts-levis. Ceux qui tentaient de s'enfuir se voyaient arrêtés par la poussée de leurs camarades montant à l'assaut et restaient exposés sans défense aux coups des Juifs, qui tiraient sur eux par derrière.

  1. Cependant, au milieu de ces épreuves, ni le courage ne trahissait les Romains ni l'esprit d'invention les Juifs. Les premiers, bien qu'ils vissent leurs camarades torturés par cette pluie brûlante, ne s'en ruaient pas moins contre ceux qui la leur lançaient : dans leur ardeur, chacun invectivait l'homme placé devant lui, lui reprochant de gêner son élan. Quant aux Juifs, ils imaginèrent un second stratagème pour faire échec à l'escalade romaine : sur le plancher des ponts volants ils jetèrent du fenugrec bouilli, qui le rendait glissant[59] et

faisait trébucher les assaillants. Soit qu'ils voulussent fuir, soit qu'ils voulussent avancer, les Romains ne pouvaient plus garder l'équilibre : les uns, s'effondrant sur le plancher même du pont volant, s'y laissaient fouler aux pieds ; d'autres retombaient sur le terrassement, où les Juifs les perçaient de traits, car, devant cette débandade des assaillants, les défenseurs, débarrassés du corps à corps, avaient tout loisir de tirer à distance. Après que cet assaut eut causé de fortes pertes, le général, vers le soir, fit sonner la retraite. Les Romains comptaient plusieurs morts et beaucoup de blessés. Quant aux défenseurs de Jotapata, ils ne perdirent que six tués, mais plus de trois cents blessés furent ramenés dans la ville. Ce combat fut livré le 20 du mois Daisios[60].

  1. Vespasien chercha d'abord à consoler l'armée de son échec. Mais quand il trouva les soldats pleins de colère et réclamant, non des encouragements, mais de l'ouvrage, il leur commanda de surélever les terrassements et d'y dresser trois tours hautes de cinquante pieds, entièrement blindées de fer, pour les

 

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affermir par leur pesanteur et les rendre à l'épreuve du feu ; il y fit monter, avec les machines de jet les plus légères, des soldats armés de javelots, des archers et les frondeurs les plus robustes. Ces gens de trait, dérobés à la vue de l'ennemi par la hauteur même des tours et leurs épaulements, découvraient, au contraire, fort bien les défenseurs de la muraille : ils ouvrirent le tir contre eux, et ceux-ci ne trouvaient moyen ni d'éviter des traits dirigés vers leurs têtes, ni de riposter à des adversaires invisibles. Voyant ces hautes tours inaccessibles aux projectiles lancés avec la main, voyant le fer qui les protège contre la flamme, ils descendent du rempart et font des sorties contre ceux qui veulent tenter l'escalade. Ainsi Jotapata continuait sa résistance ; quantité de ses défenseurs périssaient chaque jour ; incapables de rendre aux ennemis mal pour mal, ils n'avaient d'autre ressource que de les contenir, au péril de leurs vies.

31. Une ville voisine de Jotapata, nommée Japha[61],

avait fait défection, encouragée par la résistance imprévue des assiégés. Au cours de ces mêmes journées, Vespasien détacha contre elle Trajan, légat de la dixième légion[62], avec mille cavaliers et deux mille fantassins.

Il trouva une place très forte, non seulement par son assiette naturelle, mais par la double enceinte qui la protégeait. Les habitants osèrent s’avancer à sa rencontre, faisant mine de combattre ; il les charge, les disperse après une courte résistance et se lance à leur poursuite. Comme ils se réfugiaient dans la première enceinte, les Romains, s'attachant à leurs pas, y pénètrent avec eux. Les fuyards veulent alors gagner l'enceinte ultérieure de la ville, mais leurs propres concitoyens les en repoussent, de peur que l'ennemi ne s'y jette en même temps. Dieu lui-même accordait aux Romains la perte des Galiléens : c'était par sa volonté que la population entière d'une ville était, par la propre main de ses concitoyens, repoussée et livrée au fer destructeur, pour être exterminée jusqu'au dernier. En vain la cohue des fuyards, se ruant contre les portes, implore, en les appelant par leurs noms, ceux qui les gardent : pendant même que les supplications s'échappent de leurs lèvres, ils tombent égorgés. L'ennemi leur ferme la première muraille, leurs

 

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concitoyens la seconde : ainsi acculés et entassés entre les deux enceintes, les uns s'entre-tuent ou se tuent eux-mêmes, les autres, en nombre prodigieux, périssent sous les coups des Romains sans avoir même l'énergie de se défendre ; car, à la stupeur où les a jetés l'ennemi, s'ajoute la perfidie de leurs frères qui achève de briser leur courage. Maudissant, dans leur agonie, non les Romains, mais leur propre nation, ils finirent par succomber tous, au nombre de douze mille. Trajan jugea dès lors que la ville était veuve de défenseurs ou que, s'il en restait quelques-uns, la peur devait les paralyser. Comme il estimait devoir réserver à son chef l'honneur de prendre la place, il dépêcha à Vespasien pour le prier d'envoyer son fils Titus achever la victoire. Le général supposa sur cet avis qu'il restait encore quelque besogne à faire : il donna donc à son fils un corps de cinq cents cavaliers et de mille fantassins. Titus les amène à marches forcées ; sitôt arrivé, il range son armée en bataille, place Trajan à l'aile gauche, prend lui même le commandement de l'aile droite et ordonne l'assaut. Comme sur tous les points les soldats dressaient les échelles contre la muraille, les Galiléens, après une courte défense, l'évacuent ; les troupes de Titus escaladent alors le rempart et se rendent aussitôt maîtresses de la ville. Toutefois, à l'intérieur, où les Juifs s'étaient massés contre les assaillants, une lutte désespérée s'engagea : les hommes valides chargeaient les Romains dans des ruelles étroites ; du haut des maisons, les femmes jetaient sur eux tout ce qui leur tombait sous la main. La résistance dura six heures mais quand les combattants les plus robustes eurent été exterminés, le reste de la population, jeunes et vieux, se laissa égorger en plein air ou dans les maisons. Aucun habitant du sexe masculin ne fut épargné, hormis les enfants, qu'on vendit comme esclaves avec les femmes. Au total, soit dans la ville, soit dans la première rencontre, il périt quinze mille personnes ; le nombre des captifs s'éleva à deux mille cent trente. Ce désastre frappa les Galiléens le vingt-cinquième jour du mois Daisios[63]

32. Les Samaritains également eurent leur part de calamité. Assemblés sur le Garizim, qui est leur

 

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montagne sainte, ils n'en bougeaient point, mais leur réunion et leur attitude provocante contenaient une menace de guerre. Les malheurs de leurs voisins ne suffirent pas à les rendre sages : à chaque succès des Romains leur déraison ne faisait qu'enfler leur faiblesse[64] et ils semblaient à deux doigts de se

révolter. Vespasien résolut donc de prévenir le mouvement et de briser leur élan ; car, bien que[65] le

pays de Samarie fût occupé par de nombreuses garnisons, l'importance du rassemblement et le fait même de la conspiration ne laissaient pas de l'inquiéter. Il envoya contre eux Cérialis, légat de la cinquième légion, avec six cents chevaux et trois mille hommes de pied[66]. Le légat trouva scabreux d'escalader la

montagne et d'engager la bataille, en voyant un si grand nombre d'ennemis réunis au sommet, il se borna donc à cerner avec sa troupe toute la base du mont Garizim et fit bonne garde pendant toute la journée. Or il arriva que les Samaritains manquaient d'eau : comme on était au fort de l'été, il régnait une chaleur intense, et la multitude n'avait fait aucunes provisions. Plusieurs moururent de soif ce jour-là même ; beaucoup d'autres, préférant à une pareille mort l'esclavage, s'enfuirent chez les Romains. Cérialis, jugeant par là dans quelle extrémité se trouvait le reste, gravit alors la montagne et, ayant disposé sa troupe en cercle autour des ennemis, les invita tout d'abord à traiter et à songer à leur salut : il leur promettait la vie sauve s'ils rendaient leurs armes. Comme il ne put les convaincre, il les chargea et les passa tous au fil de l'épée, au nombre de 11.600, le vingt-septième jour du mois Daisios[67].

33. Pendant que cette catastrophe fondait sur les Samaritains, les défenseurs de Jotapata s'opiniâtraient et, contre toute attente, supportaient encore les rigueurs du siège. Cependant, le quarante-septième jour, les terrassements des Romains dépassèrent la hauteur du mur ; ce jour-là même, un transfuge vint trouver Vespasien et lui raconta combien le nombre des défenseurs était réduit et quel était leur état de

faiblesse : les veilles, les combats incessants, disait-il, les avaient épuisés au point qu'ils seraient incapables de soutenir un nouvel assaut ; si l'on osait même, on

 

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pourrait en finir par un coup de main. En effet, vers le moment de la dernière veille, quand ils pensaient trouver quelque relâche à leur misère, à cette heure où le sommeil du matin envahit facilement l'homme surmené, il assurait que les gardes avaient coutume de

s'endormir : c'est l'instant qu'il recommandait pour tenter l'attaque. Le transfuge inspirait peu de confiance à Vespasien, qui connaissait l'extrême fidélité des Juifs les uns envers les autres et leur indifférence aux supplices : précédemment un homme de Jotapata, tombé aux mains des Romains, avait subi sans broncher tous les tourments, même l'épreuve du feu, plutôt que de se laisser arracher par l'ennemi quelque renseignement sur l'état de la ville, et quand enfin on l'eut mis en croix, il avait accueilli la mort avec un sourire. Pourtant la vraisemblance du récit donnait quelque créance au traître : peut-être, après tout, cet homme disait-il la vérité même s'il s'agissait d'un piège, on ne courait pas grand risque à s'y exposer. En conséquence, Vespasien ordonna de garder l'homme à vue et disposa son armée pour surprendre la ville.

34. A l'heure indiquée, les troupes s'acheminèrent en silence vers le rempart ; le premier, Titus y monte, avec un des tribuns nommé Domitius Sabinus et quelques soldats de la quinzième légion : ils égorgent les gardes et entrent dans la ville sans faire de bruit. Derrière eux, le tribun Sextus Calvanus et Placidus amènent les troupes qu'ils commandent. Déjà la citadelle était occupée et l'ennemi répandu au cœur de la ville, déjà il faisait grand jour, et les vaincus ne se rendaient pas encore compte de leur malheur : la plupart, en effet, étaient engourdis de fatigue et de sommeil et, si quelques-uns se levaient, un épais brouillard, qui par hasard vint à envelopper la ville, leur dérobait la vue de l'ennemi. Enfin, quand toute l'armée romaine fut entrée, ils se dressèrent, mais seulement pour constater leur désastre, et c'est le couteau sur la gorge qu~ils s'aperçurent que Jotapata était prise. Les Romains, au souvenir des maux qu'ils avaient endurés pendant ce siège, ne voulurent connaître ni quartier ni pitié pour personne : refoulant le peuple du haut de la citadelle le long des pentes de la colline, ils égorgeaient dans le tas. Ceux-là même qui

 

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avaient encore la force de combattre se voyaient paralysés par les difficultés du terrain ; écrasés dans les ruelles étroites, glissant sur des descentes raides, ils se laissaient engloutir par le fleuve de carnage qui dévalait du haut de la citadelle. Aussi, beaucoup des guerriers d'élite, groupés autour de Josèphe, résolurent-ils de se donner la mort : impuissants à tuer aucun des Romains, ils aimèrent mieux tomber sous leurs propres coups que sous ceux du vainqueur. Ils se retirèrent donc à l'extrémité de la ville, et là se jetèrent sur leurs épées.

  1. Quelques hommes de garde, sitôt qu'ils s'aperçurent de la prise de la ville, s'étaient hâtés de prendre la fuite : ils se réfugièrent dans une des tours situées au nord[68]

et s'y défendirent pendant quelque temps. Mais, cernés par un grand nombre d'ennemis, ils finirent par se rendre et tendirent avec sérénité la gorge à leurs bourreaux. Les Romains auraient pu se vanter que cette dernière journée du siège ne leur avait causé aucune perte, si l'un d'eux, le centurion Antonius, ne s'était laissé tuer en trahison : comme beaucoup de Juifs avaient cherché un refuge dans les cavernes, un des fugitifs supplia Antonius de lui tendre la main en gage de pardon et pour l'aider à sortir ; le centurion s'y prête sans défiance ; alors l'ennemi le frappe au défaut de l'aine d'un coup de javelot, qui l'étend mort sur le champ.

  1. Ce jour-là les Romains massacrèrent tout ce qui s'offrit à leurs regards. Les jours suivants ils fouillèrent les cachettes, à la recherche de ceux qui s'étaient réfugiés dans les souterrains et les cavernes. Tous les âges furent exterminés, à l'exception des petits enfants et des femmes. On ramassa douze cents captifs ; quant au nombre des morts, tant dans l'assaut final que dans les combats précédents, il ne s'éleva pas à moins de quarante mille. Vespasien ordonna de raser la ville de fond en comble et d'en brûler toutes les fortifications. Ainsi fut prise Jotapata, dans la treizième année dit principat de Néron, le premier jour du mois

Panémos[69].

 

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VIII

1-3. Josèphe, réfugié dans une caverne avec quarante compagnons, est découvert par les Romains, qui l’invitent à se rendre. – 4-6. Les compagnons de Josèphe s’opposent à son dessein ; longue controverse sur le suicide. – 7. Ils s’entretuent et Josèphe se livre aux Romains. – 8-9. Josèphe devant Vespasien. Il lui prédit l’empire et en reçoit un bon traitement.

  1. Les Romains mettaient beaucoup d'ardeur à rechercher Josèphe, pour satisfaire à la fois leur propre rancune et le vif désir de leur général, qui pensait qu'une grande partie de cette guerre dépendait de cette capture. Ils fouillaient donc les cadavres et les recoins les plus cachés de la ville[70]. Cependant Josèphe, au moment

même de la prise de Jotapata, aidé sans doute de quelque secours divin, avait réussi à se dérober au travers des ennemis et s'était jeté dans une citerne profonde où s'embranchait par le côté une caverne spacieuse qu’on ne pouvait apercevoir d'en haut. Là, il rencontra quarante des plus nobles Juifs qui s'y étaient cachés avec des provisions suffisantes pour plusieurs jours. Pendant la journée, Josèphe resta dans sa cachette, par crainte des ennemis qui parcouraient toute la ville. La nuit, il sortait pour chercher quelque moyen de fuir et reconnaître les postes. Mais, comme les Romains se gardaient exactement de toutes parts, précisément à cause de lui, il ne trouvait aucun espoir de fuite et s'en retournait dans sa caverne. Deux jours se passèrent sans qu'on le découvrit ; le troisième jour, une femme de leur compagnie, qui avait été prise par les Romains, dénonça la cachette. Aussitôt Vespasien s'empressa d'y envoyer deux tribuns, Paulinus[71] et

Gallicanus, avec ordre d'engager sa foi envers Josèphe et de l'inviter à sortir.

  1. Dès qu'ils furent sur les lieux, ils se mirent à l'exhorter et à lui promettre la vie sauve, sans réussir a le persuader. Ses soupçons ne venaient pas du caractère des envoyés, qu'il savait humains, mais de la conscience du mal qu'il avait fait et qui devait lui mériter d'être

 

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châtié à proportion. Il craignait donc qu'on ne cherchât simplement à s'emparer de lui pour le mener au supplice. Enfin, Vespasien lui envoya un troisième messager, le tribun Nicanor[72], depuis longtemps lié

avec Josèphe, et son ami. Celui-ci, s'avançant vers la caverne, représenta à Josèphe quelle était la clémence naturelle des Romains à l'égard des vaincus : il ajouta que son courage lui avait valu, non la haine des généraux, mais leur admiration ; si Vespasien désirait si vivement l'extraire de sa retraite, ce n'était pas pour le châtier – ce qu’il pouvait faire sans que Josèphe se rendit – mais, au contraire, parce qu'il voulait conserver un homme aussi vaillant ; enfin, Si Vespasien avait voulu lui tendre un piège, il ne lui aurait pas envoyé un de ses amis, couvrant ainsi de la plus belle des vertus, l'amitié, le plus hideux des crimes, la perfidie, et lui-même d'ailleurs, s'il avait cru qu'on voulût l'employer à tromper un ami, ne se serait pas prêté à une pareille mission.

3. Comme Josèphe balançait encore, même devant les assurances de Nicanor, la soldatesque, furieuse, essaya de mettre le feu à la caverne ; mais leur chef, qui tenait à prendre l'homme vivant, sut les en empêcher. Or, pendant que Nicanor redoublait ses instances et que Josèphe apprenait les menaces de la troupe, soudain il se ressouvint des songes que Dieu lui avait envoyés pendant la nuit pour lui annoncer les futures calamités des Juifs et les destinées des empereurs romains. Il faut dire qu'il était versé dans l'interprétation des songes et habile à deviner la vérité à travers les voiles dont il plait à Dieu de la couvrir ; car, prêtre lui-même et descendant de prêtres, il n'ignorait pas les prophéties des livres sacrés. Saisi donc à ce moment de l'esprit divin qui en émane, évoquant de nouveau les terrifiantes visions de ces songes récents, il adresse à Dieu une prière muette : « O Créateur du peuple juif, puisqu'il t'a paru bon de briser ton propre ouvrage, puisque la fortune a passé toute du côté des Romains, puisque tu as choisi mon âme pour annoncer l'avenir, je me livre aux Romains de mon plein gré, je consens à vivre, mais je te prends à témoin que je pars, non comme un traître, mais en qualité de ton serviteur ».

 

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  1. Sa prière achevée, Josèphe déclara à Nicanor qu'il se rendait. Mais, quand les Juifs qui partageaient sa retraite apprirent qu'il cédait aux invitations de l'ennemi, ils l'entourèrent de tous côtés en criant : « O combien doivent gémir les lois de nos ancêtres, combien Dieu lui-même doit se voiler la face, Dieu, qui fit aux Juifs des âmes pleines de mépris pour la mort ! Quoi, Josèphe ! tu chéris donc à ce point la vie ! tu supportes de voir le jour de la servitude ! Comme tu t'es vite oublié ! Combien d'entre nous as-tu persuadé de mourir pour la liberté ! C'est donc à tort qu'on t'a fait une réputation de courage et une réputation de sagesse : est-ce sagesse d'espérer obtenir la grâce de ceux que tu as tant combattus, et, à supposer qu'ils te l'accordent, est-ce courage de l'accepter de leurs mains ? Mais si la fortune des Romains t'a versé l'oubli de toi-même, c'est à nous de veiller sur la gloire de nos ancêtres. Voici un bras, voici une épée. Si tu acceptes de plein gré la mort, meurs en capitaine des Juifs ; s'il faut t'y contraindre, meurs comme un traître. » Ce disant, ils tirent leurs épées et menacent de l'en percer s'il consent à se livrer aux Romains.
  2. Josèphe, redoutant leur violence et pensant que ce serait trahir les commandements de Dieu que de mourir sans les révéler, commença, dans cette extrémité, à leur parler philosophie. « D'où vient donc, dit-il, mes chers compagnons, cette soif de notre propre sang ? Pourquoi vouloir séparer ces deux éléments que la nature a si étroitement unis, le corps et l'âme ? On dit que je ne suis plus le même : les Romains savent bien le contraire. On dit qu'il est beau de mourir dans la guerre : oui, mais suivant la loi de la guerre, c'est-à-dire, par le bras du vainqueur. Si donc je me dérobe au glaive des Romains, je mérite assurément de périr par le mien et par mon bras ; mais si c'est eux qui se décident à épargner un ennemi, à combien plus forte raison dois-je m'épargner moi-même ? n'est-ce pas folie de nous infliger à nous-mêmes le traitement que nous cherchons à éviter en les combattant ? On dit encore : il est beau de mourir pour la liberté j'en tombe d'accord, mais à condition de mourir en luttant, par les armes de ceux qui veulent nous la

 

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ravir : or, à cette heure, ils ne viennent ni pour nous combattre ni pour nous ôter la vie. Il y a pareille lâcheté à ne pas vouloir mourir quand il le faut et à vouloir mourir quand il ne le faut pas. Quelle crainte peut nous empêcher de nous rendre aux Romains ? Celle de la mort ? eh ! quelle folie de nous infliger une mort certaine pour nous préserver d'une qui ne l'est pas ! Celle de l'esclavage ? mais l'état où nous sommes, est-ce donc la liberté ? On insiste : il y a de la bravoure à se donner la mort. Je réponds : non point, mais de la lâcheté ; c'est un peureux que le pilote qui, par crainte de la tempête, coule lui-même son navire avant que l'orage n'éclate. Le suicide répugne à la commune nature de tous les êtres vivants, il est une impiété envers Dieu, qui nous a créés. Voit-on parmi les animaux un seul qui recherche volontairement la mort ou se la donne ? Une loi inviolable gravée dans tous les cœurs leur commande de vivre : aussi considérons-nous comme ennemis ceux qui ouvertement veulent nous ravir ce bien et nous châtions comme assassins ceux qui cherchent à le faire par ruse. Et ne croyez-vous pas que Dieu s'indigne quand un homme méprise le présent qu'il en a reçu ? car c'est lui qui nous a donné l'être, et c'est à lui que nous devons laisser le pouvoir de nous en priver. Il est vrai que le corps chez tous les êtres est mortel et formé d'une matière périssable, mais toujours l'âme est immortelle : c'est une parcelle de la divinité qui séjourne dans les corps ; et, de même que celui qui supprime ou détériore un dépôt qu'un homme lui a confié passe pour scélérat ou parjure, ainsi, quand je chasse de mon propre corps le dépôt qu'y a fait la divinité, puis-je espérer échapper à la colère de celui que j'outrage ? On croit juste de punir un esclave fugitif, même quand il s'évade de chez un méchant maître, et nous fuirions le maître souverainement bon, Dieu lui-même, sans passer pour impies ! Ne le savez-vous pas ? ceux qui quittent la vie suivant la loi naturelle et remboursent à Dieu le prêt qu'ils en ont reçu, à l'heure où le créancier le réclame, obtiennent une gloire immortelle, des maisons et des familles bénies ; leurs âmes, restées pures et obéissantes, reçoivent pour séjour le lieu le plus saint du ciel, d'où, après les siècles révolus, ils reviennent habiter des corps exempts de souillures. Ceux au contraire dont

 

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les mains insensées se sont tournées contre eux-mêmes, le plus sombre enfer reçoit leurs âmes, et Dieu, le père commun, venge sur leurs enfants l'offense des parents[73]. Voilà pourquoi ce forfait, détesté de Dieu,

est aussi réprimé par le plus sage législateur : nos lois ordonnent que le corps du suicidé reste sans sépulture jusqu'après le coucher du soleil, alors qu'elles permettent d'ensevelir même les ennemis tués à la guerre[74]. Chez d'autres nations, la loi prescrit de

trancher aux suicidés la main droite qu'ils ont dirigée contre eux-mêmes, estimant que la main doit être séparée du corps puisque le corps s'est séparé de l'âme[75]. Nous ferons donc bien, mes compagnons,

d'écouter la raison et de ne pas ajouter à nos calamités humaines le crime d'impiété envers notre Créateur. Si c'est le salut qui nous est offert, acceptons-le : il n'a rien de déshonorant de la part de ceux qui ont éprouvé tant de témoignages de notre vaillance ; si c'est la mort, il est beau de la subir de la main de nos vainqueurs. Pour moi, je ne passerai pas dans les rangs de mes ennemis, je ne veux pas devenir traître à moi-même : or je serais mille fois plus sot que les déserteurs qui changent de camp pour obtenir la vie alors que moi je le ferais pour me la ravir. Et pourtant je souhaite que les Romains me manquent de foi : si, après m'avoir engagé leur parole, ils me font périr je mourrai avec joie, car j'emporterai avec moi cette consolation plus précieuse qu'une victoire : la certitude que l'ennemi a souillé son triomphe par le parjure ».

6. Par ces raisonnements et beaucoup d'autres Josèphe cherchait à détourner ses compagnons de l'idée du suicide. Mais le désespoir fermait leurs oreilles, comme celles d'hommes qui depuis longtemps s'étaient voués à la mort : ils s'exaspéraient donc contre lui, couraient çà et là l'épée à la main en lui reprochant sa lâcheté, et chacun semblait sur le point de le frapper. Cependant Josèphe appelle l'un par son nom, regarde l'autre d'un air de commandement, prend la main de celui-ci, trouble celui-là par ses prières ; bref, livré dans cette nécessité aux émotions les plus diverses, il réussit cependant à détourner de sa gorge tous ces fers qui le menacent, comme une bête traquée de toutes parts qui fait face

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

successivement à chacun de ses persécuteurs. Ces hommes qui, même dans l’extrémité du malheur, révèrent encore en lui leur chef, laissent mollir leurs bras et glisser leurs épées ; plusieurs, qui déjà levaient contre lui leurs sabres de combat, les jetèrent spontanément.

  1. Josèphe, qui dans cet embarras ne perdit pas sa présence d'esprit, met alors sa confiance dans la protection de Dieu : « Puisque, dit-il, nous sommes résolus à mourir, remettons-nous en au sort pour décider l'ordre ou nous devons nous entretuer : le premier que le hasard désignera tombera sous le coup du suivant et ainsi le sort marquera successivement les victimes et les meurtriers, nous dispensant d'attenter à notre vie de nos propres mains. Car il serait injuste qu'après que les autres se seraient tués il y en eût quelqu'un qui pût changer de sentiment et vouloir survivre[76] ». Ces paroles inspirent confiance, et après

avoir décidé ses compagnons, il tire au sort avec eux. Chaque homme désigné présente sans hésitation la gorge à son voisin dans la pensée que le tour du chef viendra bientôt aussi, car ils préféraient à la vie l'idée de partager avec lui la mort. A la fin, soit que le hasard, soit que la Providence divine l'ait ainsi voulu, Josèphe resta seul avec un autre : alors, également peu soucieux de soumettre sa vie au verdict du sort et, s'il restait le dernier, de souiller sa main du sang d'un compatriote, il sut persuader à cet homme d'accepter lui aussi la vie sauve sous la foi du serment[77].

  1. Ayant ainsi échappé aux coups des Romains et à ceux de ses propres concitoyens, Josèphe fut conduit par Nicanor auprès de Vespasien. De toutes parts les Romains accouraient pour le contempler et, autour du prétoire, il y eut une presse énorme et un tumulte en sens divers : les uns se félicitaient de la capture du chef, d'autres proféraient des menaces, quelques-uns se poussaient simplement pour le voir de plus près. Les spectateurs les plus éloignés criaient qu'il fallait châtier cet ennemi de Rome, mais ceux qui étaient à côté se rappelaient ses belles actions et ne laissaient pas d'être émus par un si grand changement. Parmi les généraux il

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

n'y en eut pas un qui, si fort qu'il eût d'abord été irrité contre lui, ne se sentit quelque pitié à sa vue : Titus fut touché par la constance que Josèphe montrait dans l'adversité et saisi de compassion en voyant sa jeunesse[78]. En se rappelant avec quelle ardeur il les

avait combattus naguère et en le considérant tombé maintenant entre les mains de ses ennemis, il évoquait toute la puissance de la fortune, les rapides vicissitudes de la guerre, l'instabilité générale des choses humaines. Aussi amena-t-il dès lors beaucoup de Romains à partager sa pitié pour Josèphe et fut-il auprès de son père le principal avocat du salut de son captif. Cependant Vespasien commanda de garder celui-ci avec la plus grande exactitude, se proposant de l'envoyer le plus tôt possible à Néron[79].

9. Quand Josèphe entendit cette décision, il exprima le désir de s'entretenir avec Vespasien seul à seul pendant quelques instants. Le général en chef fit sortir tout le monde excepté son fils Titus et deux de ses amis. Alors Josèphe : « Tu te figures, Vespasien, en prenant Josèphe, n'avoir en ton pouvoir qu'un simple captif, mais je viens vers toi en messager des plus grands événements : si je ne me savais pas envoyé par Dieu, je me serais souvenu de la loi juive et comment un chef doit mourir. Tu veux m'expédier à Néron : t'imagines-tu donc que (Néron lui-même et) ses successeurs vont attendre jusqu'à toi[80] ? Tu seras César, ô Vespasien tu

seras empereur, toi et ton fils que voici : charge-moi donc plutôt de chaînes plus sûres encore et garde-moi pour toi-même. Tu n'es pas seulement mon maître, ô César, tu es celui de la terre, de la mer et de toute l'humanité. Quant à moi, je demande pour châtiment une prison plus rigoureuse si j'ai prononcé à la légère le nom de Dieu ». En entendant ces paroles, le premier mouvement de Vespasien fut l'incrédulité : il pensa que Josèphe avait inventé ce stratagème pour sauver sa vie. Peu à peu cependant la confiance le gagna, car déjà Dieu le poussait vers l'Empire et par d'autres signes encore lui présageait le diadème. D'ailleurs, il constata sur d'autres points la véracité de Josèphe. Un des deux amis

présents à l'entretien secret avait dit : « Si ces paroles ne sont pas autre chose que le vain babil d'un homme qui

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

cherche à détourner l'orage de sa tête, je m'étonne que Josèphe n'ait point prédit aux habitants de Jotapata la prise de leur ville ni à lui-même sa propre captivité ». Là-dessus Josèphe affirma qu'il avait en effet annoncé aux défenseurs de Jotapata que leur ville serait prise après quarante-sept jours de siège et que lui-même deviendrait captif des Romains. Vespasien se renseigna en particulier auprès des captifs pour vérifier ce dire et, comme ils confirmèrent le récit de Josèphe[81], il

commença à croire à la prédiction qui concernait sa propre destinée. S’il ne délivra pas son prisonnier de sa garde et de ses chaînes, il lui donna un vêtement de prix et d'autres présents et continua à lui témoigner sa bienveillance et sa sollicitude, à quoi Titus ne manqua pas de l'encourager[82].

IX

1. Vespasien cantonne ses troupes à Césarée et à Scythopolis. – 2-4. Destruction des pirates de Joppé. – 5­6. Agitation de Jérusalem à la nouvelle de la prise de Jotapata ; sentiments envers Josèphe. – 7-8. Vespasien dans le royaume d’Agrippa. Soumission de Tibériade.

1. Le quatrième jour du mois Panémos[83] f, Vespasien

ramena ses troupes à Ptolémaïs et de là à Césarée-sur-mer, la plus grande ville de la Judée et peuplée en majorité de Grecs. Les habitants accueillirent l'armée et son chef avec toutes les expressions de bénédiction et d'enthousiasme, écoutant sans doute leur attachement pour les Romains, mais surtout leur haine envers ceux que les Romains avaient vaincus. Aussi la foule réclamait-elle à grands cris le supplice de Josèphe. Mais Vespasien écarta tranquillement cette supplique émanant d'une multitude incompétente. De ses trois légions, il en laissa deux à Césarée en quartiers d’hiver, trouvant la ville fort appropriée à cet objet. Quant à la quinzième légion, il la cantonna à Scythopolis, afin de ne pas accabler Césarée du poids de toute l'armée. Cette ville[84] jouit, elle aussi, en hiver d'un climat aussi

agréable que l'été y est d'une chaleur suffocante, en raison de sa situation dans une plaine et au bord du

 

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fleuve (?).

  1. Sur ces entrefaites, des Juifs, que la sédition avait chassés des villes ou qui avaient dû fuir leurs patries détruites, s'assemblèrent en une bande assez considérable et vinrent relever les murs de Joppé, naguère dévastée par Cestius et qu'ils choisirent comme place d’armes. N'y ayant rien à tirer de la campagne désolée par la guerre, ils résolurent de prendre la mer : à cet effet, ils bâtirent toute une flottille de brigantins et commencèrent à rançonner tous les parages de la Syrie, de Phénicie et de l'Égypte, de manière à rendre la navigation sur ces mers tout à fait impossible. Quand Vespasien eut connaissance de ce repaire de brigands, il envoya contre Joppé un corps de fantassins et de cavaliers ; ils entrèrent la nuit dans la ville qu'ils ne trouvèrent point gardée : les habitants avaient bien prévu l'attaque, mais, n'osant pas s'engager avec les Romains, ils s'étaient enfuis sur leurs navires, où ils passèrent la nuit hors de la portée des traits.
  2. La nature n'a pas donné de port à Joppé. Elle s'élève sur un rivage à pic qui court droit sur presque toute son étendue, mais dont les deux extrémités se recourbent un peu en forme de croissant : ces cornes sont une suite d'abruptes falaises et d'écueils qui s'avancent loin au milieu des flots : on y montre encore l'empreinte des chaînes d'Andromède pour faire ajouter foi à l'ancienneté de cette légende[85]. La bise, qui fouette de face le rivage,

soulève contre les rochers qui la reçoivent des vagues énormes et rend ce mouillage plus dangereux pour des navires qu'une côte déserte[86]. C'est là que les gens de

Joppé avaient jeté l'ancre, lorsque, vers le point du jour, une violente tempête vint fondre sur eux : c'était le vent que les marins qui naviguent dans ces parages appellent le « borée noir ». Une partie des bâtiments furent brisés sur place en s'entrechoquant ; d'autres vinrent se perdre contre les rochers. La plupart, craignant cette côte escarpée et l'ennemi qui l'occupait, essayèrent de gagner le large en cinglant droit contre le vent ; mais le flot, se dressant en montagne, ne tarda pas à les engloutir. Il n'y avait donc ni moyen de fuir, ni espoir de salut si l'on restait en place : la fureur de la tempête les repoussait

 

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de la mer et celle des Romains, de la ville. Un gémissement immense s'élève des embarcations quand elles s'entre-heurtent, un énorme fracas quand elles se brisent. Parmi cette multitude, les uns périssent submergés par les flots, les autres écrasés par les épaves ; plusieurs, trouvant le fer plus doux que l'abîme, se tuent de leurs propres mains. Le plus grand nombre, poussé par les vagues, fut jeté sur les rochers et mis en pièces. La mer rougissait de sang sur une grande étendue ; le rivage foisonnait de cadavres, car les Romains, postés sur la côte, massacraient ceux qui y étaient rejetés. Le nombre des cadavres charriés par les vagues s'éleva à quatre mille deux cents. Les Romains, après s'être emparés de la ville sans combat, la détruisirent de fond en comble.

  1. Ainsi, à peu de mois d'intervalle, Joppé fut deux fois prise par les Romains. Vespasien, pour empêcher les pirates de s'y nicher à nouveau, établit un camp fortifié sur l'acropole et y laissa la cavalerie avec un petit détachement de fantassins. Ces derniers devaient rester sur place et garder le camp, les cavaliers fourrager dans la région et détruire les villages et les bourgades des environs. Les cavaliers, fidèles à cette consigne, parcouraient tous les jours la campagne, la ravageaient et en firent un véritable désert.
  2. Quand la nouvelle de la catastrophe de Jotapata parvint à Jérusalem, la plupart d'abord ne voulurent pas y ajouter foi, tant le désastre était grand et parce qu’aucun témoin oculaire ne venait confirmer ce bruit. Nul, en effet, ne s'était sauvé pour en être le messager ; seule la renommée, qui, de sa nature, propage volontiers les tristes nouvelles, avait spontanément transmis celle-ci. Peu à peu cependant la vérité chemina de proche en proche et bientôt ne laissa plus de doute chez personne ; l'imagination ajoutait même à la réalité : c'est ainsi qu'on annonçait que Josèphe avait été tué, lui aussi, lors de la prise de la ville. Cette annonce remplit Jérusalem d'une affliction profonde ; tandis que les autres morts étaient regrettés par les maisons, par les familles où chacun d'eux était apparenté, la mort du général fut un deuil public. Alors que les uns pleuraient un hôte, les autres

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

un proche, ceux-ci un ami, ceux-là un frère, tous s'unissaient pour pleurer Josèphe ; de sorte que pendant trente jours[87] les lamentations ne cessèrent pas dans

la ville et qu'on se disputait les joueurs de flûte[88] pour accompagner les cantiques funèbres.

  1. Mais quand le temps dévoila la vérité entière, quand on sut comment les choses s'étaient passées à Jotapata, que la mort de Josèphe n'était qu'une fiction, qu'il était vivant entre les mains des Romains et recevait de leurs généraux plus d'égards qu'il ne convenait à un prisonnier, la colère contre Josèphe en vie s'éleva avec autant de force que naguère la sympathie pour Josèphe cru parmi les morts. Les uns le traitaient de lâche, les autres de traître, et ce n'était à travers la ville qu'indignation et injures à son adresse. En outre, les revers ne faisaient qu'irriter les Juifs et le malheur les enflammer davantage. L'adversité, qui apprend aux sages à mieux veiller à leur sécurité et à se garder de disgrâces pareilles, ne leur servait que d'aiguillon pour s'exciter à de nouveaux désastres, et toujours la fin d'un mal devenait le commencement d'un autre. Ils s'animaient avec d'autant plus de fureur contre les Romains qu'en se vengeant d'eux, ils espéraient se venger également de Josèphe. Voilà dans quel état d'agitation se trouvait la population de Jérusalem.
  2. Cependant Vespasien était allé visiter le royaume d'Agrippa, où le roi l'invitait dans le double dessein de recevoir le général et son armée[89] avec un éclat digne

de sa propre opulence et d'apaiser, grâce à leur aide, les désordres dont souffraient ses Etats. Parti de Césarée-sur-mer, Vespasien se dirigea vers Césarée-de-Philippe. Là, il donna vingt jours de repos à l’armée pendant que lui-même célébrait des festins et rendait grâce à Dieu pour les succès qu'il avait obtenus. Mais quand il apprit que la sédition agitait Tibériade et que Tarichées s’était révoltée - les deux villes faisaient partie du royaume d'Agrippa -, il jugea à propos de marcher contre ces rebelles, d'abord pour se conformer à sa règle d'écraser les Juifs partout où ils bougeaient, ensuite pour obliger Agrippa et reconnaître son hospitalité en ramenant ces villes dans le devoir. Il envoya donc son fils Titus a

 

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Césarée (sur mer) pour chercher les troupes qui s'y trouvaient et les ramener à Scythopolis, la cité la plus importante de la Décapote et voisine de Tibériade ; il s'y rendit lui-même pour recevoir son fils, puis, s'avançant avec trois légions, il vint camper à trente stades de Tibériade, dans un lieu d'étapes, bien en vue des rebelles, qu'on nommait Sennabris[90]. De là, il envoya

le décurion Valerianus avec cinquante cavaliers pour faire des offres de paix à ceux de la ville et les engager à traiter ; car il avait appris que le gros du peuple désirait la paix et n'était terrorisé que par quelques séditieux qui lui imposaient la guerre. Valerianus s'avança à cheval jusqu'au pied de la muraille : là il mit pied à terre et en fit faire autant à ses cavaliers pour qu'on ne s'imaginât pas qu'il venait escarmoucher. Mais avant qu'il eût entamé les pourparlers, voici que les principaux séditieux s'élancent en armes à sa rencontre, ayant à leur tête un certain Jésus, fils de Sapphias[91], qui était

comme le chef de cette troupe de bandits. Valerianus ne voulait pas s'exposer à combattre au mépris des ordres de son général, la victoire fût-elle certaine ; d'autre part il croyait dangereux pour une petite troupe de s'engager avec une grande, de lutter sans préparation contre des adversaires préparés. Bref, étonné par la hardiesse imprévue des Juifs, il s'enfuit à pied, suivi de ses cinquante compagnons[92], qui abandonnèrent

également leurs moutures. Les gens de Jésus ramenèrent en triomphe ces chevaux dans la ville, aussi fiers que s'ils les avaient pris dans le combat et non dans un guet-apens.

8. Inquiets des suites de cet incident, les anciens du peuple et les plus considérés s'enfuirent au camp des Romains et, après s'être assuré l'assistance du roi, vinrent tomber en suppliants aux genoux de Vespasien, le conjurant de ne les point regarder avec mépris et de ne pas imputer à la cité entière la démence de quelques-uns ; qu'il épargne un peuple qui s'est toujours montré dévoué aux Romains et se contente de châtier les auteurs de la révolte, qui les tiennent eux-mêmes prisonniers jusqu'à ce jour, alors que depuis si longtemps ils ont envie de traiter. Le général se laissa

 

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fléchir par ces supplications, quoique l'enlèvement des chevaux l'eût irrité contre la ville entière mais l'inquiétude où il vit Agrippa au sujet de Tibériade le toucha. Les délégués capitulèrent donc au nom de la bourgeoisie : sur quoi Jésus et ses gens estimant qu'ils n'étaient plus en sûreté à Tibériade, s'enfuirent à Tarichées. Le lendemain, Vespasien envoya Trajan avec des cavaliers sur la hauteur voisine de la ville pour s’assurer si, dans le peuple, tout le monde avait des sentiments pacifiques. Ayant constaté que la multitude faisait cause commune avec les délégués, Vespasien rassemble son armée et marche vers la ville. La population lui en ouvrit les portes et s'avança à sa rencontre avec des acclamations. l'appelant sauveur et bienfaiteur. Comme l'armée était gênée par l'étroitesse des avenues, Vespasien fit abattre une partie de la muraille située au midi et ouvrit ainsi à ses soldats un large passage. Toutefois, par égard pour le roi, il défendit tout pillage et toute violence et, pour la même raison, laissa subsister les murailles de la ville, après qu'Agrippa se fût, pour l'avenir, porté garant de la fidélité des habitants. C'est ainsi qu'il recouvra cette ville, non sans qu'elle eût fort souffert par l'effet de la sédition.

X

1-6. Défaite des Juifs devant Tarichées ; prise de cette ville par Vespasien et Titus. – 7-8 Le lac de Tibériade et le Jourdain. – 9. Combat naval sur le lac ; destruction de la flottille juive. – 10. Les captifs vendus à l’encan.

1. Vespasien continuant sa marche, s'arrêta entre Tibériade et Tarichées[93] et y dressa son camp[94], qu'il

fortifia plus qu'à l'ordinaire, en prévision d'hostilités prolongées. En effet, tout ce qu'il y avait de factieux s'était jeté dans Tarichées, confiant dans la force de la place et dans le voisinage du lac que les indigènes appellent Gennésar. La ville, bâtie comme Tibériade au pied de la montagne, avait été pourvue par Josèphe, sur tout le pourtour que ne baignait pas le lac, de remparts solides, moins forts cependant que ceux de Tibériade ; car il avait fortifié cette dernière ville au début de la révolte, dans la plénitude de ses ressources et de son

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

autorité, tandis que Tarichées            n'obtint que les

reliefs de ses largesses[95]. Les habitants tenaient prêtes

sur le lac un grand nombre de barques, pour s'y réfugier s'ils étaient battus sur terre ; ils les avaient équipées de manière à livrer au besoin un combat naval. Pendant que les Romains fortifiaient l'enceinte de leur camp, Jésus et ses compagnons, sans se laisser intimider par la multitude et le bel ordre des ennemis, firent une

sortie ; ils dispersèrent au premier choc les travailleurs et arrachèrent une partie du retranchement. Cependant, dès qu'ils virent les légionnaires former leurs rangs, ils se dépêchèrent de se retirer auprès des leurs, avant de s'exposer à quelque dommage ; les Romains, s'élançant à leurs trousses, les pourchassèrent jusqu'à leurs barques ; les Juifs y montent et s'éloignent jusqu'à l'extrême portée des traits. Ils jettent alors l'ancre et, serrant leurs vaisseaux les uns contre les autres à la manière d'une phalange, engagent contre l'ennemi resté à terre une sorte de combat naval. Cependant Vespasien, apprenant que la grande masse des Juifs était rassemblée dans la plaine située aux portes de la ville, envoie contre eux son fils avec six cents cavaliers de choix.

2. Titus, trouvant l'ennemi en force prodigieuse, dépêcha

à son père pour demander des troupes plus

importantes ; lui-même cependant, voyant que la plupart de ses cavaliers brûlaient de combattre sans attendre l'arrivée des renforts, mais que pourtant quelques-uns trahissaient une émotion secrète à la vue du grand nombre des Juifs, monta sur un lieu d'où tous pouvaient l'entendre et leur dit : « Romains, il est bon de vous rappeler en commençant le nom de votre race, pour que vous sachiez qui nous sommes et contre qui nous avons à combattre. Jusqu'à, cette heure, aucune nation de l'univers n'a pu se soustraire à la force de nos bras ; quant aux Juifs, soit dit à leur éloge, ils ne se lassent jamais d'être vaincus. Eh bien, puisque dans l'adversité ils restent debout, eux, ne serait-il pas honteux de nous décourager, nous, en plein succès ? Je me réjouis de lire sur vos visages une louable ardeur ; je crains pourtant que la multitude des ennemis n'inspire à quelques-uns un secret effroi : qu'ils réfléchissent donc de nouveau qui

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

vous êtes et contre quels adversaires vous allez livrer bataille. Ce sont des Juifs, c'est-à-dire des hommes qui ne sont certes dépourvus ni d'audace ni de mépris pour la mort, mais à qui manquent la discipline et la pratique de la guerre et qui méritent plutôt le nom de cohue que celui d’armée. Au contraire, ai-je besoin de rappeler quelle est notre expérience et notre discipline ? Si, seul de tous les peuples, nous nous exerçons aux armes durant la paix c'est pour ne pas avoir pendant la guerre à nous compter devant l'ennemi. A quoi servirait cette préparation continuelle si nous n’osions aborder qu'à nombre égal les adversaires qui en sont dénués ? Considérez encore que vous allez lutter, armés de toutes pièces contre des gens presque sans armes, cavaliers contre fantassins, que vous avez des chefs et qu'ils n'en ont pas : ces avantages multiplient infiniment votre effectif, comme ces infériorités réduisent infiniment le leur. Ce qui décide le succès dans la guerre, ce n'est pas le nombre, fût-il illimité, c'est le courage, même d'une petite troupe : peu nombreux, de bons soldats sont lestes à la manœuvre et prompts à l'entr'aide ; les armées trop considérables se font plus de dommage a elles-mêmes qu'elles n’en éprouvent de la part de l'ennemi. Ce qui conduit les Juifs, c'est l'audace, la témérité et le désespoir : sentiments qui s'enflamment dans le succès et qui s'éteignent au moindre échec. Nous, c'est la valeur, la discipline et la fermeté, qui sans doute brillent du plus bel éclat dans la bonne fortune, mais qui, dans l'adversité, tiennent bon jusqu'au dernier moment. J'ajoute que vous lutterez pour de plus grands intérêts que les Juifs : car s'ils affrontent la guerre pour la patrie et la liberté, qu'y a- t-il de plus important pour nous que la gloire et le souci, après avoir dompté tout l'univers, de ne pas laisser mettre en balance avec notre pouvoir celui du peuple juif ? Aussi bien nous n’avons rien d’irrémédiable à redouter. Des renforts considérables sont là, à portée de main : mais il dépend de nous de brusquer la victoire et de devancer le secours que doit nous envoyer mon père. Le succès sera plus glorieux s’il n'est pas partagé. J'estime qu'en ce moment, c'est mon père, c'est moi, c'est vous-mêmes qu'on va juger ; on saura s'il est vraiment digne de ses succès passés. Si je suis digne d'être son fils et vous d'être mes

 

Zone de Texte: 4. Mais là une nouvelle et terrible discorde les attendait.Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

soldats. La victoire est pour lui une habitude : de quel front oserais-je donc me présenter à lui, abandonné par vous ? Et vous-mêmes, pourriez-vous souffrir la honte de reculer quand votre chef est le premier au péril ? car je le serai, soyez-en sûr, et à votre tête je m’élancerai contre les ennemis. Ne m'abandonnez donc pas, ayez la ferme confiance qu'un Dieu m'assiste et de son bras soutient mon élan, et tenez aussi pour certain que notre triomphe ne se bornera pas à disperser les ennemis qui sont devant ces murs ».

3. A ces paroles de Titus une sorte de fureur divine s'empare de ses hommes et lorsque, avant même que le combat s’engage, Trajan vient les rejoindre avec quatre cents cavaliers, ils s'en irritent comme si ce secours venait diminuer le mérite de leur victoire. En même temps Vespasien envoie Antonius Silo avec deux mille archers pour occuper la montagne qui fait face à la ville et battre les remparts : ces archers exécutent leur consigne et leur tir tient en échec ceux qui, du haut des murs, voudraient intervenir dans la lutte. Quant à Titus. il dirige le premier son cheval contre l'ennemi : derrière lui, ses escadrons branlent en poussant des cris et se déploient à travers la plaine dans toute l'étendue qu'occupaient les Juifs, de manière à faire illusion sur leur petit nombre. Les Juifs, quoique frappés par l'impétuosité et le bon ordre de cette attaque, soutiennent leurs charges pendant quelque temps. Mais de toutes parts les pointes des lances les transpercent, la trombe des cavaliers les renverse et les foule aux pieds. Quand la plaine fut partout couverte de cadavres, ils se dispersèrent et chacun, à toute vitesse, s'enfuit comme il put vers la ville. Titus les poursuit : il sabre par derrière les traînards ou massacre ceux qui s'agglomèrent ; parfois il devance les fuyards, se retourne et les charge de face ; là où il voit des grappes humaines s’entasser les unes sur les autres, il fonce sur elles et les taille en pièces. A tous, enfin, il cherche à couper la retraite vers les murailles et à les rejeter vers la plaine, jusqu'à ce qu'enfin leur masse réussisse à se frayer un passage et à s’engouffrer dans la ville[96].

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

La population indigène, préoccupée de ses biens et de la conservation de la ville, avait dès l'origine désapprouvé la guerre ; maintenant la défaite l'en dégoûtait encore davantage. Mais la tourbe venue du dehors, qui était fort nombreuse, n'en était que plus enragée à l'y contraindre. Les deux partis s'exaspèrent l'un contre l'autre ; des cris, un tumulte éclatent : peu s'en faut qu'on en vienne aux mains. De sa position peu éloignée des murailles, Titus entend ce vacarme : « Voici le moment, s'écrie-t-il : pourquoi tarder, camarades, quand Dieu lui-même livre les Juifs entre nos mains ? Accueillez la victoire qui s'offre. N'entendez-vous pas ces clameurs ? Echappés à notre vengeance, voici les Juifs aux prises entre eux : la ville est à nous si nous faisons diligence, mais à la promptitude il faut joindre l'effort et la volonté ; sans risques il n'y a pas de grand succès. N'attendons pas que l'accord se rétablisse entre nos ennemis : la nécessité ne les réconciliera que trop vite. N'attendons pas même le secours des nôtres : après avoir défait avec si peu de monde une si grande multitude, nous aurons encore l'honneur d'être seuls à enlever la place ».

5. Tout en parlant ainsi, il saute à cheval, conduit ses troupes vers le lac, s'y engage lui-même[97] et pénètre le

premier dans la ville, suivi du reste de ses soldats. A la vue de son audace, l'effroi s'empare des défenseurs de la muraille : personne n'ose combattre ni résister ; tous quittent leur poste et s'enfuient, les gens de Jésus à travers la campagne, les autres courant vers le lac. Mais ceux-ci donnent dans l'ennemi qui marchait à leur rencontre ; plusieurs sont tués au moment de monter sur les barques, d'autres le sont, tandis qu'ils cherchent à rejoindre, à la nage leurs compagnons, qui avaient précédemment pris le large[98]. Dans la ville même, on

fit un grand carnage, non sans quelque résistance de la part de ceux des étrangers qui n'avaient pu fuir ; quant aux naturels, ils se laissèrent égorger sans combat, l'espoir du pardon et la conscience de n'avoir pas voulu la guerre leur ayant fait jeter les armes. Enfin Titus, après que les plus coupables eurent péri, prit en pitié la population indigène et arrêta le massacre. Quant à ceux qui s'étaient sauvés sur le lac, voyant la ville prise, ils gagnèrent le large et s'éloignèrent des ennemis le plus

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

loin qu'ils purent.

  1. Titus envoya un cavalier annoncer à son père l'heureuse issue du combat. Vespasien, charmé, comme on le pense, de la valeur de son fils et d'un succès qui semblait terminer une grande partie de la guerre, se rendit lui-même sur les lieux et donna l'ordre de faire bonne garde alentour de la ville, de n'en laisser échapper personne et de tuer (quiconque tenterait de s'évader)[99].

Le lendemain il descendit au bord du lac et ordonna de construire des radeaux pour relancer les fugitifs. Comme il y avait abondance de bois et d'ouvriers, les embarcations fuient bientôt prêtes.

  1. Le lac de Gennésar doit son nom[100] au territoire qui

l'avoisine. Il mesure quarante stades de large sur cent de long. Ses eaux sont néanmoins d'une saveur douce et très bonnes à boire : plus légères que l'eau des marais, elles sont, en outre, d'une parfaite pureté, le lac étant partout bordé de rivages fermes ou de sable. Cette eau, au moment où on la puise, offre une température agréable, plus tiède que l'eau de rivière ou de source, et cependant plus fraîche que la grande étendue du lac ne le ferait supposer. Elle devient aussi froide que la neige quand on la tient exposée à l'air, comme les habitants ont coutume de le faire en été pendant la nuit[101]. On

rencontre dans ce lac plusieurs sortes de poissons qui diffèrent, par le goût et par la forme, de ceux qu'on trouve ailleurs. Le Jourdain le traverse par son milieu. Ce fleuve prend en apparence sa source au Panion en réalité il sort de la fontaine de Phialé, d'où il rejoint le Panion en coulant sous terre. Phialé - la coupe - se trouve en montant vers la Trachonitide, à cent vingt stades de Césarée (de Philippe), à droite et à peu de distance de la route[102] : c'est un étang ainsi nommé à

cause de sa forme circulaire ; l'eau le remplit toujours jusqu'au bord sans jamais ni baisser ni déborder. Longtemps on ignora que le Jourdain y prenait sa source, mais la preuve en fut faite par le tétrarque Philippe : il fit jeter dans la Phialé des pailles qu'on trouva transportées dans le Panion, où les anciens plaçaient l'origine du fleuve. Panion[103] est une grotte

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

dont la beauté naturelle à encore été rehaussée par la magnificence royale, Agrippa l'ayant ornée à grands frais. Au sortir de cette grotte, le Jourdain, dont le cours est devenu visible, traverse les marais et les vases du lac Séméchonitis[104], puis parcourt encore cent vingt

stades[105] et, au-dessous de la ville de Julias, coule à

travers le lac de Gennésar, d'où, après avoir bordé encore un long territoire désert, il vient tomber dans le lac Aspilaltite.

  1. Le long du lac (de Tibériade) s'étend une contrée aussi nommée Gennésar[106], d'une nature et d'une beauté

admirables. Il n'y a point de plante que son sol fertile refuse de porter et, en effet, les cultivateurs y élèvent toutes les espèces. L'air y est si bien tempéré qu'il convient aux végétaux les plus divers : le noyer, arbre qui se plaît dans les climats les plus froids, y croit en abondance, à côté des palmiers, que nourrit la chaleur, des figuiers et des oliviers, qui aiment un climat modéré. On dirait que la nature met son amour-propre à rassembler au même endroit les choses les plus contraires et que, par une salutaire émulation, chacune des saisons veut réclamer ce pays pour elle. Non seulement, en effet, contre toute apparence, il produit les fruits les plus divers, mais il les conserve : pendant dix mois, sans interruption, on y mange les rois des fruits, le raisin et la figue ; les autres mûrissent sur les arbres pendant toute l'année[107]. A l'excellence de l'air s’ajoute

une source très abondante qui arrose la contrée : les habitants lui donnent le nom de Capharnaüm[108] ;

quelques-uns prétendent que c’est une branche du Nil, car on y trouve un poisson analogue au coracin du lac d'Alexandrie[109]. Ce canton s'étend au bord du lac sur

une longueur de trente stades et sur une profondeur de vingt. Telle est l'image qu'offre cette contrée bénie.

  1. Vespasien, dès que ses radeaux furent prêts, les chargea d'autant de troupes qu'il croyait nécessaires pour venir à bout des Juifs réfugiés sur le lac, et gagna le large avec cette flottille. Les ennemis ainsi pourchassés ne pouvaient ni s'enfuir à terre, où la guerre avait tout ravagé, ni soutenir un combat naval à

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

armes égales. Leurs esquifs, petits et propres à pirater, étaient trop faibles pour se mesurer avec les radeaux ; chacun d'eux, d'ailleurs, n'était monté que par une poignée d'hommes qui redoutaient d'affronter les équipages romains bien fournis. Pourtant ils voltigeaient autour des radeaux, parfois même s'en rapprochaient, tantôt lançant de loin des pierres contre les Romains, tantôt frôlant le bord de leurs embarcations et les frappant à bout portant. Mais l'une et l'autre manœuvres tournaient à leur confusion : leurs pierres ne produisaient qu'un fracas inutile en venant se choquer contre des soldats bien protégés par leurs armures, tandis qu'eux mêmes offraient aux traits des Romains une cible sans défense ; d'autre part, quand ils osaient approcher, avant d'avoir pu rien faire ils se voyaient abattus et submergés avec leurs propres esquifs. Essayaient-ils de se frayer un passage, les Romains les transperçaient à coups de lances ou, sautant dans leurs barques, les passaient au fil de l'épée. Quelquefois les radeaux, en se rejoignant, les enfermaient entre eux et écrasaient hommes et bateaux. Quand les naufragés cherchaient à se sauver à la nage, un trait avait vite fait de les atteindre ou un radeau de les saisir. Si, dans leur désespoir, ils montaient à l'abordage, les Romains leur coupaient la tête ou les mains. Ainsi ces misérables périssaient par milliers en mille manières ; tant que les survivants, fuyant vers le rivage, y virent refouler et entourer leurs barques. Alors, cernés de tous côtés, beaucoup se jettent dans le lac, et y périssent sous les javelots ; d'autres sautent à terre, où les Romains les égorgent. On put voir tout le lac rouge de sang et regorgeant de cadavres, car pas un homme n'échappa. Pendant les jours suivants, tout le pays offrit une odeur et un spectacle également affreux. Sur les rives s'entassaient les débris et les cadavres enflés : ces corps, putréfiés par la chaleur ou par l’humidité, empestaient l'atmosphère, et l'horrible catastrophe qui plongeait dans le deuil les Juifs inspirait du dégoût même aux Romains. Telle fut l'issue de ce combat naval. On compta six mille cinq cents mortsF110], y compris ceux qui étaient tombés

dans la défense de la ville.

 

10. Après le combat, Vespasien vint siéger sur son

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

tribunal à Tarichées, pour y faire le triage des indigènes et de la tourbe venue du dehors, car c'étaient ceux-là qui visiblement avaient donné le signal de la guerre. Puis il se demanda, de concert avec ses lieutenants, s'il fallait aussi l'aire grâce à ces derniers. Tous furent unanimes à dire que la mise en liberté de ces hommes sans patrie serait funeste une fois graciés, ils ne se tiendraient pas tranquilles ; ils étaient même capables de forcer à la révolte ceux chez qui ils chercheraient un refuge. Vespasien ne pouvait que reconnaître qu'ils ne méritaient pas le pardon et qu'ils ne feraient qu'abuser de leur liberté contre leurs libérateurs[111] ; mais il se

demandait par quel moyen il pourrait s'en défaire : s'il les tuait sur place, il risquait d'exaspérer la colère des indigènes, qui ne supporteraient pas de voir massacrer un si grand nombre de suppliants auxquels ils avaient donné asile ; d'autre part, il lui répugnait de les laisser partir sous la foi de sa parole et de tomber ensuite sur eux. Toutefois ses amis finirent par faire prévaloir leur avis, que, vis-à-vis des Juifs, il n'y avait point d'impiété, et qu'il fallait préférer l'utile à l'honnête quand on ne pouvait les faire marcher ensemble. Vespasien accorda donc la liberté à ces émigrés en termes équivoques et leur permit de sortir de la ville par une seule route, celle de Tibériade. Prompts à croire ce qu'ils souhaitaient, les malheureux s'éloignent en toute confiance dans la direction prescrite, emportant ostensiblement leurs biens. Cependant les Romains avaient occupé toute la route jusqu'à Tibériade, afin que nul ne s'en écartât. Arrivés dans cette ville, ils les y enfermèrent. Vespasien, survenant à son tour, les fit tous transporter dans le stade et donna l'ordre de tuer les vieillards et les infirmes au nombre de douze cents : parmi les jeunes gens, il en choisit six mille des plus vigoureux et les expédia à Néron. qui séjournait alors dans l'isthme de Corinthe[112], Le reste de la multitude, au nombre de

trente mille quatre cents têtes, fut vendu à l'encan, hors ceux dont Vespasien fit présent à Agrippa, à savoir les Juifs originaires de son royaume : le général lui permit d'agir avec eux à discrétion et le roi les vendit à son tour. Le gros de cette foule se composait de gens de la Trachonitide, de la Gaulanitide, d'Hippos et de Gadara pour la plupart : tourbe de séditieux et de bannis, qui,

 

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méprisés pendant la paix, avaient trouvé dans leur infamie de quoi les exciter à la guerre. Leur capture eut lieu le huit du mois Gorpiéos[113].

  1. Vespasien, né an 9 ap. J.-C., avait alors 57 ans.
  2. Les mss. ont « la 5e et la 10e légions ». Mais ces deux légions faisaient partie de l'armée de Syrie et c'est bien la 15e seule que Titus amena d'Alexandrie (infra, V, 1). La correction est due à Cardwell et à Léon Renier. Il s'agit bien d'Alexandrie d'Égypte et non, comme l'ont cru Mommsen et Pick, d'Alexandrie près d'Issus. Cf. Schürer, I3, 610.
  3. Environ 92 kilomètres. A vol d'oiseau la distance n'est que de 70 kilomètres.
  4. Localité inconnue (d'après Riess : Djalis ou Djoulis, village à 11 kil. à l'Est d'Ascalon). S'agirait-il de Lachis (II Rois, 14, 19, etc.), qui était située dans le voisinage ?
  5. Site Inconnu. Des mss. ont Beldezel.
  6. Après Rome et Alexandrie.
  7. C'est le commandant de la 12e légion, précédemment nommé (liv. II, XVIII, 11). Plusieurs mss. ont à tort Cestius ; c'est aussi la leçon de Vita, § 394, où il est question de l'introduction de la garnison romaine.
  8. Cf. Antiquités, XV, 294. C'est la Geba de Pline, V, 19, 75. Voir Schürer, II4, 199.
  9. La Galilée inférieure est au Sud, la Galilée supérieure au Nord. Josèphe entend par longueur la dimension Est-Ouest, par largeur la dimension Sud-Nord. Mais la plupart des bourgades mentionnées ici et dont plusieurs reparaissent ailleurs (Chaboulon, Bersabé, Méroth) ne peuvent être exactement localisées. Xaloth a été identifié à l'ancienne Kisloth-Tabor (Josué,

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

19, 12), à 8 milles à l'Est de Sepphoris.

  1. Évidente exagération puisque, la Galilée ayant 204 villes et

bourgades (Vita, 235), cela donnerait une population de plus de 3 millions d'âmes.

  1. Cela paraît inexact si l'on prend la Pérée dans le sens restreint où Josèphe va la définir.

[12] Machérous compris, Pella non compris.

  1. Il s'agit sûrement du territoire d'Hesbon, ailleurs (Ant., XII, 233; XV, 294) appelé Sebonotis en latin. Voir liv. II, XVIII, 1.

[14] C'est le lieu appelé plus haut Ghéma (liv. II, XII, 3).

  1. On place Anouath ou Anoua à 10 milles au Sud de Sichem (Naplouse), Jardan à Tell Arad, à 20 milles au S.-E. d'Hébron.
  2. Ce n'est pas exact : Jérusalem est à l'Est de la ligne médiane de la Judée.
  3. La toparchie de Pella n'est pas mentionnée ailleurs ; c'est

sans doute une faute de texte pour Bethleptephé (Guerre, IV, 445), la Betholethephene de Pline, V, 14, 70. Pline, dans son énumération, omet l'Idumée et Engaddé, et compte en revanche Joppé comme une toparchie. Mais Joppé (II, VI, 3), comme Jamnia (II, IX, 1), avait une administration spéciale.

  1. Emplacement inconnu.
  2. Cette attaque ne doit pas être confondue, malgré la

ressemblance des circonstances, avec celle qui est racontée Vita, c. 71, § 395 suiv., et qui se place avant l'arrivée de Vespasien. - Dans le récit de la Vita (§ 411 et suiv.) il semble y avoir ici une lacune. - Toutefois il se pourrait que Josèphe eût commis dans la Vita un anachronisme.

  1. Antiochus IV, roi de Commagène ; Sohémos, roi d'Emèse. Cf. II, XVIII, 9.
  2. Ce chiffre n'est guère exagéré. En effet on a :

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

Zone de Texte: 18,3603 légions à

6,120 hommes

Zone de Texte: 10,00010

cohortes à

1,000

Zone de Texte: 9,36013

cohortes à 720

Zone de Texte: 3,0006 alae à

500 (?)

Zone de Texte: 9,000Auxiliaires des rois syriens (3 x 3,000)

Zone de Texte: 6,000Auxiliaires arabes

 

Total                                                                 55,720

Si les alae sont à 1,000 hommes, le total est de 58,720, qui se rapproche singulièrement du nombre rond de 60,000.

  1. Ce chapitre remarquable paraît imité de la fameuse digression de Polybe sur la milice romaine (VI, 19-42). C'est une de nos meilleures sources pour la connaissance de l'armée impériale du premier siècle.
  2. Probablement les centurions et les tribuns.
  3. Il est probable qu'il s'agit surtout d'une juridiction pénale.
  4. Pour cette description des sonneries, cf. Polybe, VI, 40.
  5. Une demi-coudée ou trois quarts de pied. Sur les monuments,

au contraire, le pugio (poignard) est d'ordinaire à gauche et le glaive (gladius) à droite.

  1. Hasta et parma dans la garde, pilum et scutum dans la ligne.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

  1. D'après Polybe, VI, 40, 3, c'est un roulement journalier qui règle l'ordre de marche.
  2. Comprenne qui pourra. Le dernier mot de la phrase en grec est peut-être altéré et le sens de la phrase celui-ci : « car ils ont coutume de vaincre la fortune elle-même ».
  3. Probablement une cohorte mixte (cohors equitata).
  4. Par hélépoles Josèphe entend peut-être les béliers comme plus loin, VII, 21. Cependant dans le récit du siège de Jotapata il ne figurera qu'un seul bélier.
  5. Il parait peu croyable qu'un seul centurion fût chargé de la surveillance de tout le gros de la phalange.
  6. Soit le reste des cohortes auxiliaires (plus haut, on n'en a mentionné qu'une fraction), soit des corps spéciaux d'archers et de cavaliers barbares.
  7. A vingt stades suivant Vita, § 395. Garis y est qualifié de

bourgade. - Kohout place, sans raison suffisante, la déroute de Garis avant la tentative de Placidus sur Jotapata.

  1. Gadara, ville de la Décapole, était restée fidèle aux Romains ; au contraire, Gabara, ville importante de Galilée, à hauteur de Ptolémaïs, avait suivi le parti de Jean de Gischala (Vita, § 285). La correction est due à Gfrœrer.
  2. Il s'agit sans doute de la route de Gabara à Jotapata, longue de 40 stades (Vita., § 234).
  3. Le 8 juin 67 ap. J.-C. (Niese). Mais cette indication est en contradiction avec celle du VII, 36, où nous apprenons que la ville fut prise le 1er Panémos (20 juillet), après quarante-sept jours de siège (VII, 33). La date 21 Artémisios est donc erronée et il faut probablement lire 11 (l'archétype de Josèphe donnait les indications de ce genre en chiffres. Cf. en sens divers Niese, Hermes, XXVIII 1893), 202 ; Unger, Ac. Munich. 1833, II, 437 ; Schürer, I, 612.
  4. Le décurion Æbutius était au service d'Agrippa ; au début de la guerre, il avait été chargé de la surveillance de la Grande Plaine et livra un combat contre Josèphe (Vita, § 116). Il y avait trois décurions ou lieutenants par turma (escadron). On s'étonne de

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

voir le commandement de mille cavaliers confié à un décurion.

  1. Il s'agirait du camp des Romains. Il n'est pas question ailleurs

de ce camp juif extra muros ; sans doute à mesure que

l'investissement se resserrait, les Juifs ramenèrent toutes leurs forces à l'intérieur de l'enceinte ; mais il n'en était pas de même au début.

  1. Schultz, en 1887, a identifié Jotapata avec Khirbet Djefat, à l'issue N. de la plaine d’Asochis. Dans les textes talmudiques on trouve la forme Yodaphat Mishna Arachin, IX, 6.
  2. Est-ce le quartier nord de la ville, ou le sommet qui le domine ? Dans le premier cas la précaution était insuffisante ; dans le second la fin de la phrase n'est pas d'accord avec le commencement.
  3. Nous traduisons le texte de la plupart des mss. : Vespasien

aurait dirigé ses terrassements, non vers le flanc nord, seul accessible, mais vers un des flancs qui ne l'étaient pas ; rien de moins vraisemblable. Kohout estime (à cause des « trois équipes » du VII, 8, des trois corps du VII, 20, des trois colonnes d'assaut du VII, 22 et des trois tours du VII, 30) que les Romains construisirent trois terrasses, une par légion, chacune munie d'un bélier. Toute la suite du récit prouve cependant qu'il n'y eut qu'un bélier mis en action.

  1. Végèce, 11,25, compte de son temps 55 catapultes par légion, ce qui ferait 165 pour une armée de trois légions comme celle de Vespasien.
  2. Ce procédé de défense était connu des ingénieurs romains (Végèce, IV, 15).
  3. Les ouvrages autres que les terrassements, lesquels étaient devenus inattaquables par l'effet des mesures décrites plus haut (VII, 9).
  4. Kohout rappelle l'anecdote de Manlius, assiégé dans le Capitole, qui jette des pains aux Gaulois (Florus, 1, 7, 15).
  5. Devant l’hésitation des mss., Herwerden propose : ceux qui sortaient ou qui rentraient.
  6. Les Romains préféraient les sacs de chiffons, centones (Végèce, IV, 23).

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

  1. Josèphe emploie, ici et plus bas, inexactement le terme grec

hélépole, qui désigne la machine de siège inventée par Démetrius Poliorcète. Ce n’était pas un bélier, mais une batterie mobile avec plusieurs étages de pièces (Diodore, XX, 7, etc.).

  1. Les mss. ont des noms inconnus ; Niese a proposé Gaba, ville connue de la Galilée.
  2. Bourgade inconnue, peut-être Rouméh, au Nord de Sepphoris.
  3. Texte altéré. On a vu plus haut que la 10e légion avait pris la fuite ; mais il n'a pas été question de la 5e. Il est possible que plus haut (21) le texte ait porté la 15e légion, au lieu de la 10e, et qu'il faille rétablir les mêmes mots ici.
  4. Ce terme vague, en grec, ne peut désigner que le pierrier, que les Romains nommaient « onagre ».
  5. Il est permis d'avoir quelques doutes sur l'exactitude des distances de Josèphe.
  6. La position des archers a paru bien éloignée ; Destinon propose donc d'intervertir l'ordre du texte : les archers auraient été placés soit derrière les cavaliers démontés, soit derrière les fantassins d'élite. Mais, en réalité, le texte - Le reste de la cavalerie... s’échapper inaperçu. - est une sorte de parenthèse, et Plus en arrière..., dans l'ordre de bataille, fait suite à ...l’élite de l’infanterie.
  7. Texte et sens douteux. Kohout suppose ingénieusement qu'il y avait trois groupes de défenseurs, opposés aux trois colonnes d'assaut romaines.
  8. C'est le cordon d'investissement décrit plus haut, VII, 4.
  9. C'est la manœuvre de la tortue (testudo).
  10. A l'époque du siège (juin-juillet) le fenugrec (trigonello fœnum

grœcum) était précisément en fleur. C'est une plante fourragère de la famille des papilionacées.

  1. 8 juillet 67 (Niese).

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

  1. Aujourd’hui Yafa, à 3 kilomètres au Sud-Ouest de Nazareth, déjà mentionnée dans Josué, XIX, 12. Cf. Vita, § 188 et 270.
  2. C'est le père du futur empereur ; il fut plus tard gouverneur de Syrie.
  3. 13 juillet 67 (Niese).
  4. Texte incompréhensible ; nous traduisons au jugé.
  5. Nous traduisons le texte du Mediceus.
  6. S. Cerealis Vettulenus, plus tard gouverneur de la Moesie inférieure.
  7. 15 juillet 67 (Niese).
  8. C'est le côté par lequel l'ennemi était entré ; voir supra, VII, 7.
  9. 20 juillet 67 (Niese).
  10. Traduction en suivant le texte des mss. MVRG. Les trois derniers mots manquent dans les autres mss., il faudrait alors traduire « et recherchaient ceux qui s'étaient cachés ».
  11. Paulinus est sans doute un parent de Valerius Paulinus, ami de Vespasien (Tacite, Hist., III, 43) et, à cette époque, gouverneur de la Narbonnaise.
  12. Nicanor, que nous retrouverons plus loin parmi les amis de Titus (liv. V, § 261), avait peut-être servi Agrippa, ce qui expliquerait sa liaison avec Josèphe (Kohout).
  13. Nous traduisons au jugé. Le texte des mss. n'est pas intelligible.
  14. Le Pentateuque ne renferme aucune disposition concernant le suicide. Josèphe a-t-il en vue quelque halakha qui avait, par analogie, étendu au suicide la prohibition du meurtre et certaines marques d'infamie comme celles des blasphémateurs (Ant. IV, 202 et la note) ?
  15. Telle était en effet la disposition de la loi ou de la coutume athénienne Cf. Eschine, C. Ctésiphon, 244. Il est surprenant de

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

trouver chez Josèphe une érudition aussi précise, et l’on se demande si tout le développement n’est pas emprunté à quelque rhéteur fortement imprégné de platonisme. Platon, en effet, prescrit (Lois, IX, 873 D) d’ensevelir le suicidé sans honneur.

  1. Destinon supprime cette phrase comme interpolée. D'ailleurs,

même avec le procédé suggéré par Josèphe, il y aura toujours un dernier survivant qui devra forcément se tuer lui-même.

  1. Il est permis d'avoir des doutes sur l'authenticité de cette historiette qui a fourni aux mathématiciens, depuis la Renaissance, un piquant sujet de problème.
  2. Josèphe avait alors trente ans (Vita, c. 1).
  3. La décision définitive sur le sort d'un personnage de cette

importance appartenait à l'empereur, qui n'était pas lié par la promesse de Vespasien. Kohout rapproche avec raison Vita, c. 74, où Vespasien veut envoyer à Néron Philippe, fils de Jacime, qui s'est rendu sous capitulation.

  1. Le texte paraît altéré ou mutilé.
  2. Il est singulier que dans le long récit du siège de Jotapata Josèphe n'ait fait précédemment aucune allusion à cette prédiction. D'autre part, on a vu que les seuls captifs faits par les Romains, à part quelques transfuges, étaient des femmes et des enfants - auxquels il faut ajouter le « compère » à qui Josèphe a persuadé de partager son sort, et dont le témoignage pouvait être un peu suspect.
  3. On a contesté la véracité de tout ce récit et cherché à expliquer de différentes manières le traitement favorable dont Josèphe fut l'objet. Cependant le fait de la prédiction adressée à Vespasien est confirmé (d'après Pline ?) par Suétone (Vesp.,5) : unus ex nobilibus captiuis Iosephus, cum coiceretur in uincula, constantissime asseuerauit fore ut ab eodem breui solueretur, uerum iam imperatore., et par Dion Cassius (Xiphilin, DXVI, 1) qui précise même davantage, prétendant que Josèphe aurait annoncé l'élévation de Vespasien et sa mise en liberté. D'après Zonaras, XI, 16, Appien au livre XXII de son Histoire romaine, mentionnait également cette prédiction. Après la mort de Néron d'autres oracles firent à Vespasien des prédictions analogues (Tac., Hist., I, 10 ; II, 1, 4, 78 ; Suet., Tit., 5). Il est curieux que la tradition rabbinique attribue à Yohanan ben Zaccaï la prophétie de Josèphe. Ayant réussi à sortir de Jérusalem assiégée, le pieux docteur se présent devant Vespasien et le salue des mots (en latin)

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

: Vive domine imperator ! Surprise indignée de Vespasien ; alors le rabbin : « Si tu ne règnes pas encore, tu régneras un jour, car ceci (le Temple) ne sera détruit que par la main d'un roi » (Midrasch Rabba sur Echa cité par Derenbourg, Essai, p. 282). Cf. en dernier lieu Vincenzo Ussani, Questioni Flaviane III, dans Rivista di Filologia; XXXIX (1911). p. 403.

  1. 23 juillet 67 (Niese).
  2. C'est-à-dire Scythopolis ; mais alors, à la fin de la phrase (en

grec), on ne peut conserver le mot grec (maritime), Scythopolis étant située fort loin de la mer, dans la plaine du Jourdain. Suivant la proposition de Naber, nous avons traduit en ce sens, non sans réserve.

  1. Cf. Pline, H. N., V, § 69 lope - insidet collem, praeiacente saxo,

in quo vinculorum Andromedae vestigia ostendunt. Strabon, I, 2, 35, et XVI, 2, 28, dit aussi que quelques-uns localisaient à Joppé la fable d'Andromède. Du temps de saint Jérôme (in Jon., 1), on montrait encore les trous où avaient été passés les anneaux des chaînes. Pausanias (IV, 35, 9) mentionne une source, à l'eau rouge, où Persée s'était lavé du sang du monstre. La localisation est peut-être due à l'influence du mythe phénicien de Derceto. La source commune de Pline et de Josèphe est peut être Mucien. Contra, Ussani, loc. cit., p. 399.

[86] Le mot grec signifie « le désert ». Texte douteux.

  1. C'est la durée du deuil qui fut célébré pour Aaron (Nombres, XX, 30) et pour Moïse (Deut., XXXIV, 8).

[88] Jérémie, XLVIII, 36, fait déjà allusion à l'emploi de la flûte

dans les lamentations funèbres. Cf. aussi Évangile selon Saint Mathieu, IX, 23.

  1. Ou plutôt une faible partie de son armée ; le reste ne viendra que plus tard.

[90] On identifie ce lieu avec un coteau Sin en Nabra, près de la

rive O. du lac, où l'on aperçoit des traces de fortification (Saulcy, Voyage en Syrie, II, 482 ; Kasteren, Zeitsch. des deutchen Palast. Vereins, XI, 241). Sennabris est probablement identique à Ginnabris cité au liv. IV, VIII, 2.

  1. Il s'agit du Jésus, fils de Sapphias, qui a déjà été mentionné (liv., II, XXI, 3) comme « archonte » de Tibériade. Cf. Vita, 66 et

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

134.

  1. Tous, en effet, avaient mis pied à terre, voir plus haut.
  2. Il semble bien résulter de ce texte et de la direction S. N. de

l'itinéraire de Vespasien que Tarichées était située au N. de Tibériade à 30 stades, soit moins de 6 kilomètres, suivant Josèphe (Vita, § 157), sur la rive O. du lac, à ou vers Medjdel (Magdala) et non, comme l'affirme Pline. (H N., V, 71), sur la rive sud (a meridie Tarichea), où l'on cherche l’emplacement à Kerak, qui est au moins à 8 kilomètres de Tibériade. Rien ne prouve, comme le prétend Schürer (I. 615), que l'emplacement du camp de Vespasien soit identique au Hammam actuel. De plus, Kerak n'est pas au pied d'une montagne comme l'était Tarichées (cf. plus bas). Voir l'excellente discussion dans Kohout, p. 637.

  1. Au lieu dit les Thermes (liv. IV, I, 3)
  2. Ceci est en contradiction avec la Vita, où il est dit en propres

termes (§ 156) que les gens de Tibériade insistèrent pour la réparation de leurs murailles lorsqu'ils apprirent que les fortifications de Tarichées étaient achevées.

  1. C’est probablement au cours de ce combat de cavalerie qu'eut

lieu l'épisode noté par Suétone. Titus, c. 4 : legioni praepositus, Taricheas et Gamalam (erreur, cf. liv. IV I, 1 et la suite) urbes Iudaeae ualidissimas in potestate redegit, equo quadam acie sub feminibus amisso alteroque inscenso, cuius rector circa se dimicans occubuerat - traduction - placé à la tête d'une légion, il se rendit maître de Tarichées et de Gamala, les plus fortes places de Judée. Il eut un cheval tué sous lui dans un combat, et monta celui d'un ennemi qu'il venait de renverser.

  1. Ce n'est pas simplement le long du lac, mais en empruntant la grève et le lit même du lac que Titus accomplit cet exploit. Cf. Saulcy, Voyages, II, 474. On n'oublie pas que du côté du lac la ville n'avait pas de murailles (plus haut, X, 1) ; les défenseurs du rempart qui regardaient vers la plaine se virent tournés et pris à dos par les cavaliers romains.
  2. Il s'agit du détachement déjà embarqué dont il a été question en X, 1.
  3. Le texte présente une lacune. La variante du ms. Lugd. par rapport aux autres mss. ne donne aucun sens.

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

  1. Ce nom apparaît pour la première fois dans I Macc., II, 67. Les dimensions données par Josèphe (7 km sur 18) sont un peu faibles (en réalité 9 sur 21)
  2. Sans doute dans des alcarazas, comme ils le fond encore aujourd'hui.
  3. Probablement le Birket Râm, ancien cratère volcanique ; de nos jours l'eau ne le remplit que très incomplètement. Les géographes modernes assurent que la nature des terrains exclut l'idée d'une communication entre le Birket et le Panion.
  4. Le Panion ou Paneion, c'est-à-dire la grotte de Pan, est mentionné dans le début du IIème siècle av. J.-C. (Polybe, XVI, 18) ; la grotte est reproduite dans l'Atlas du Voyage d'exploration du duc de Luynes, pl. 62-63. Dans son voisinage immédiat s'éleva une ville, qui est aujourd’hui Banyâs, rebâtie par le tétrarque Philippe. Cf. Schürer, II, 204.
  5. Aujourd’hui Houleh.
  6. Ce chiffre correspond à la distance réelle entre les deux lacs (environ 22 kilomètres)
  7. C’est la plaine el Ghuweïr, au N. O. du lac, entre Magdala (Tarichées ?) et Capernaüm. Les rabbins la vantent également comme un paradis, et les voyageurs modernes signalent sa fertilité, quoique la culture y soit presque abandonnée.
  8. Texte douteux.
  9. L'emplacement de Capharnaüm est discuté : on se partage entre Tell Houm, célèbre par les ruines de sa belle synagogue, et Han Minye, plus au sud. Une source très abondante, Ain et Tabigha, jaillit au-dessus de cette dernière localité et communique par un canal avec la plaine.
  10. Le lac Marèolis. Le coracin ou poisson-corbeau (clarias macracanthas, clarias anguillaris du Nil) est un poisson d'un brun foncé, sans écailles, semblable à une anguille. Cf. Athenée, III. p. 121 B.
  11. 6700 d'après les mss. PA. - C'est peut-être en souvenir de ce « combat naval » que furent frappés plus tard les bronzes de Vespasien et de ses fils avec la légende VICTORIA NAVALIS (Cohen-Feuardent, Vespasien, n°s 632-9 ; Titus, 386-,390 ; Domitien, 636-

 

Flavius Josephe, GUERRE DES JUIFS, livre 3.

8). Quant à la pièce de la collection Leys avec IVDAEA NAVALIS (Madden, Coins of the Jews, p. 222). elle semble bien n'être qu'une surfrappe d'une pièce au type connu de la Iudœa capta. Au triomphe de Vespasien et de Titus figurèrent « de nombreux navires » (liv. VII, V, 2).

  1. Texte altéré.
  2. Évidemment pour être employés au percement du canal de

Corinthe, dont Néron venait d'inaugurer les travaux (Suétone, Néron, 19 ; Dion LXIII, 16).

  1. 26 septembre 67 (Niese).

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

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JOSEPHE

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE VI - LIVRE VII

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER LIVRE 4 (01) (suite du livre 4)

Depuis la soumission de presque toute la Galilée jusqu'au séjour de Vespasien à Alexandrie.

I. Siège de Gamala

1. Soumission de presque toute la Galilée. - 2-5. Siège de Gamala ; revers des Romains. - 6. Vespasien relève le moral de ses troupes. - 7-8. Découragement des gens de Gamala ; siège du mont Itabyrios. - 9. Les Romains

prennent Gamala.

1. Tous les Galiléens qui, après la prise d'Iotapata,

avaient fait défection des Romains, se soumirent quand

Tariéhées succomba : les Romains occupèrent alors toutes les citadelles et les villes excepté Gischala et le mont Itabyrios, tenu par des révoltés. De concert avec ces derniers se souleva la ville de Gamala, située de l'autre côté du lac, en face de Tarichéès (02). Elle

appartenait d'ailleurs au domaine d'Agrippa, comme Sogané et Séleucie (03), qui dépendaient également

toutes deux de la Gaulanitide : mais Sogané faisait partie de la Gaulanitide supérieure ou Gaulanà, Gamala de la Gaulanitide inférieure. Quant à Séleucie, elle est située sur le lac Séméchonitis (04), large de trente

stades, long de soixante : ses marais s'étendent jusqu'au pays de Daphné (05) que d'autres avantages rendent

délicieux, et dont les sources alimentent le petit

Jourdain, avant de l'envoyer dans le grand fleuve, au pied du temple de la vache d'or (06). Agrippa s'était

concilié par un traité, dès le début de la révolte, les citoyens de Sogané et de Séleucie ; mais Gamala ne se

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

soumit pas, plus confiante encore qu'Iotapata dans les difficultés du terrain. Car une crête escarpée, prolongement d'une montagne élevée, dresse une hauteur centrale qui s'allonge et s'incline en avant et en arrière, offrant ainsi une figure semblable à celle d'un chameau : c'est de là que la ville a pris son nom, les habitants du pays ayant altéré l'initiale de ce mot (07).

Sur les côtés et de face, le sol est sillonné de vallons infranchissables : mais, en arrière, il se dégage un peu de ces obstacles, vers l'endroit où il se rattache à la montagne : les habitants l'avaient d'ailleurs coupé par un fossé transversal et rendu cette région difficile d'accès, Sur le flanc de l’escarpement où elles étaient construites, les maisons se pressaient étroitement les unes contre les autres ; la ville semblait ainsi suspendue en l'air et s'effondrer sur elle-même du point culminant des rochers. Tournée vers le midi, elle avait de ce côté pour acropole une montagne très élevée ; au-dessous (08) un précipice, qu'on n'avait point enclos d'une

muraille, plongeait en une vallée d'une extrême profondeur : il y avait une source à l'intérieur du

rempart et c'était là que se terminait la ville.

  1. Cette ville, que sa nature même rendait ainsi d'un accès très malaisé, Josèphe l'entoura de murailles et la fortifia encore par des mines et des fossés. Sa situation donnait à ses habitants plus d'assurance que n'en avaient ceux d'Iotapata ; les hommes en état de porter les armes y étaient moins nombreux, mais ils mettaient leur confiance dans les avantages du terrain, au point de n'en pas accueillir d'autres pour grossir leur nombre ; car la ville était remplie de fugitifs, grâce à sa forte position ; c'est pour cela qu'elle avait résisté durant sept mois aux troupes qu'Agrippa envoya pour l'assiéger.
  2. Cependant Vespasien partit d'Ammathus (09), où il

avait dressé son camp en face de Tibériade. Le sens de ce nom, si l'on voulait l'interpréter, serait les Eaux Chaudes, car la ville possède une source chaude ayant des propriétés curatives. Arrivé à Gamala, comme il ne pouvait cerner de troupes toute la ville, à cause de sa situation, il plaça des postes aux endroits où cela était possible et occupa la montagne qui la dominait. Les légions, suivant leur habitude, établirent sur ce sommet un camp fortifié ; Vespasien fit commencer les

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

terrassements à l'arrière. La partie tournée vers l'Orient, où se trouvait une tour, dressée dans le lieu le plus élevé de la ville, fut comblée par la quinzième légion : la cinquième dirigea ses travaux vers le centre de la ville : la dixième remplit de terre les fossés et les ravins. Sur ces entrefaites, comme le roi Agrippa s'était approché des remparts et s'efforçait de conseiller la capitulation à leurs défenseurs, un des frondeurs le blessa d'une pierre au coude droit ; les gens de sa suite l'entourèrent aussitôt. Quant aux Romains, ils furent d'autant plus animés à poursuivre le siège, irrités qu’ils étaient de ce qui était arrivé au Roi et craignant pour eux-mêmes, car il fallait s'attendre à un excès de férocité à l'égard d'étrangers et d'ennemis de la part de gens qui exerçaient ainsi leur fureur contre un compatriote, un conseiller dévoué à leurs intérêts.

4. Les terrassements s'achevèrent avec rapidité, grâce au grand nombre de bras et à l'habitude qu'avaient les Romains de ces travaux. On mit en place les machines. Alors Charès et Joseph, qui étaient les citoyens les plus considérables de la ville, rangèrent leurs soldats ; ceux-ci étaient effrayés, car ils doutaient de pouvoir résister longtemps au siège, médiocrement approvisionnés qu'ils étaient d'eau et des autres subsistances. Cependant leurs chefs, en les exhortant, les conduisirent sur le rempart, où ils repoussèrent quelque temps ceux qui amenaient les machines ; mais, frappés par les projectiles des catapultes et des onagres, ils retournèrent à la ville. Les Romains mirent en position en trois endroits les béliers et ébranlèrent le mur : puis, se précipitant par la brèche avec un grand bruit de trompettes, un grand cliquetis d'armes et des cris de guerre, ils se jetèrent contre les défenseurs de la ville. Ceux-ci, postés à l'entrée des passages, les empêchèrent quelque temps de pousser plus loin et résistèrent avec courage aux Romains : mais forcés de tous côtés par le nombre, ils battent en retraite vers les quartiers élevés de la ville, et, comme les ennemis les suivent de près, ils se retournent, les repoussent sur la pente et les égorgent, entassés dans des passages étroits et difficiles, Ceux-ci, ne pouvant refouler les Juifs qui occupaient la crête, ni se frayer un chemin à travers leurs propres compagnons qui s'efforçaient de monter, cherchèrent un

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

refuge sur les maisons des ennemis, peu élevées au-dessus du sol. Mais bientôt, couvertes de soldats et ne pouvant supporter leur poids, elles s'écroulèrent. En tombant, il suffisait que l'une d'elles renversât celles qui étaient placées au-dessous pour qu'à leur tour celles-ci entraînassent les autres placées plus bas. Cet accident causa la mort d'un grand nombre de Romains, car, dans leur détresse, ils sautaient sur les toits, bien qu'ils les vissent s'affaisser. Beaucoup furent ainsi ensevelis sous les débris ; beaucoup fuyaient, estropiés, atteints sur quelque partie du corps ; un très grand nombre périssaient, étouffés par la poussière. Les habitants de Gamala virent dans cette catastrophe une intervention divine : oubliant les pertes qu’ils subissaient eux-mêmes, ils redoublaient leurs attaques, repoussaient les ennemis vers les toits des maisons. Les Romains glissaient dans les passages escarpés : chaque fois qu'ils tombaient, les Juifs placés au-dessus d'eux les massacraient. Les débris de leurs demeures leur fournissaient des pierres en abondance, et les corps des ennemis tués leur procuraient du fer ; ils arrachaient, en effet, leurs glaives à ceux qui étaient tombés et s'en servaient contre les mourants. Enfin, beaucoup de Romains, voyant les maisons sur le point de s'écrouler, s'en précipitaient eux-mêmes et se donnaient la mort. Pour ceux mêmes qui lâchaient pied, la fuite n'était pas facile : car, dans leur ignorance des chemins, au milieu des nuages de poussière, ils ne se reconnaissaient pas entre eux, s'embarrassaient et se renversaient les uns les autres.

5. Ainsi, trouvant à grand peine des issues, une partie des Romains sortirent de la ville. Vespasien ne cessa de rester auprès des troupes qui soutenaient cette lutte pénible : pénétré de douleur à la vue de cette ville qui s'écroulait sur son armée, il oubliait sa propre sécurité, s'avançant peu à peu à son insu même, jusqu'aux points les plus élevés où il se trouva abandonné, au cœur du danger, avec un très petit nombre d'hommes. Il n'avait pas alors auprès de lui son fils Titus, qu'il venait de dépêcher en Syrie, auprès de Mucianus (10). Cependant

il ne jugea ni sûr ni honorable de fuir : il se souvint des périlleux travaux qu'il avait accomplis depuis sa jeunesse et de sa propre vertu. Cédant à une sorte

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

d'inspiration divine, il fit serrer ses compagnons les uns contre les autres, protégés par leurs armures et soutint sur la hauteur ce flot de la guerre qui le submergeait. Il résista ainsi sans reculer devant la multitude des hommes et des traits, jusqu'au moment où les ennemis, frappés par cette intrépidité divine, attaquèrent avec moins de vigueur. Comme ils le poursuivaient plus mollement, Vespasien recula pied à pied, sans tourner le dos jusqu'à ce qu'il fût hors du rempart. Cette bataille coûta la vie à un grand nombre de Romains : parmi eux fut le décurion Ebutius, homme qui non seulement dans le combat où il périt, mais auparavant, dans toutes les rencontres, montra la plus noble bravoure et fit beaucoup de mal aux Juifs. Un centurion, du nom de Gallus, enveloppé avec dix soldats au milieu du tumulte, se glissa dans la maison d'un citoyen et, comme il entendit les habitants de cette demeure s'entretenir pendant le souper des plans que le peuple avait arrêtés contre les Romains et de leurs moyens de défense (Gallus était Syrien, comme aussi ses compagnons), il s'élança contre eux pendant la nuit, les égorgea tous et, sain et sauf, rejoignit avec ses soldats les lignes romaines.

6. Cependant Vespasien voyait l'armée découragée. Ignorant la défaite, n'ayant nulle part jusqu'à ce jour subi un tel désastre (11) elle avait aussi honte d'avoir

laissé seul son général au milieu des dangers. Il rassurait les soldats, évitant toute allusion à lui-même. Pour ôter à son discours la moindre apparence de blâme, il leur dit qu'ils devaient supporter courageusement des maux communs à tous, en considérant ce qu'était la guerre : la victoire n'est jamais acquise sans effusion de sang : la fortune est, de sa nature, inconstante (12) ;

après avoir tué tant de milliers de Juifs, ils ont eux-mêmes payé à la divinité une légère redevance.

Comme il y a sottise à trop s'enorgueillir du succès, il y a lâcheté à se laisser abattre dans la défaite ; car dans l'une et dans l'autre occurrence, le changement est prompt, et celui-là est le plus courageux qui garde la modération dans le succès pour rester ferme et de bonne humeur dans les revers. "Certes, ces fâcheux événements qui nous arrivent maintenant ne viennent ni d'un affaiblissement de notre valeur (13), ni du courage

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

des Juifs ; leur avantage et notre insuccès ont pour cause la seule difficulté des lieux. Ce qu'on pourrait blâmer, c'est l'excès de votre ardeur ; car lorsque les ennemis avaient fui vers les hauteurs, il fallait vous contenir, ne pas rechercher les périls du terrain élevé, mais vous emparer de la ville basse et attirer peu à peu les fuyards à un combat sûr et bien assis, C'est en vous élançant tumultueusement à la victoire que vous avez négligé votre propre sécurité. Le manque de circonspection dans la guerre, la folle ardeur de l'attaque ne nous conviennent pas à nous, Romains, qui dirigeons toutes choses avec méthode et avec ordre, mais aux Barbares, et c'est là ce qui fait la valeur des Juifs. Il nous faut donc retourner à notre propre forme de courage et éprouver de la colère plutôt que du découragement devant cet échec immérité. Demandez donc, chacun de votre coté, à votre bras la meilleure consolation : ainsi vous vengerez les morts et punirez les meurtriers. Pour moi, je tâcherai, dans tous les combats, comme je l'ai fait naguère, d'être à votre tête en marchant à l'ennemi et de revenir le dernier.

  1. Par ces paroles, Vespasien releva le courage de l’armée. Quant aux habitants de Gamala, ils furent quelque temps pleins de confiance par suite du succès inattendu et considérable qu'ils avaient obtenu ; mais ils réfléchirent ensuite que l'espérance même d'un accommodement leur était ravie et, d'autre part, qu'ils ne pouvaient se sauver, car ils manquaient déjà de vivres, ils tombèrent alors dans un terrible découragement et restèrent comme abattus. Cependant, ils ne négligeaient pas de travailler à leur salut dans la mesure de leurs moyens : ainsi les plus braves gardaient la brèche, les autres ce qui restait intact des défenses. Mais comme les Romains renforçaient les terrassements et tentaient un nouvel assaut, la plupart des Juifs s'enfuirent de la ville par les ravins escarpés, où ne se trouvaient pas de postes ennemis, et par les galeries de mines. Tous ceux qui restèrent, craignant d'être pris, mouraient de faim, car les vivres avaient été requis de toutes parts pour nourrir les hommes capables de combattre.
  2. Tandis que ceux-ci continuaient à résister dans ces épreuves, Vespasien joignit aux travaux du siège

 

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l'investissement des Juifs qui avaient occupé le mont Itabyrios, situé entre la grande plaine (14) et Soythopolis

; sa hauteur s'élève à trente stades et il est à peine accessible sur le versant septentrional. Le sommet forme un plateau de vingt-six stades, tout entier enclos de murailles (15). C'est cette enceinte considérable que

Josèphe éleva en quarante jours (16) : il tirait de la

plaine tout le bois et l'eau nécessaires, car les habitants de la montagne ne disposaient que des eaux pluviales. Comme une nombreuse multitude s'y était rassemblée, Vespasien y envoya Placidus avec six cents cavaliers (17). L'escalade était impossible : Placidus exhorta donc

à la paix la foule de ces Juifs en leur donnant l'espérance d'un traité et d'un pardon. Ceux-ci descendirent, en effet, mais avec des desseins perfides : Placidus, de son coté, leur parlait avec douceur, cherchant à les surprendre dans la plaine ; mais eux feignant d'être depuis longtemps gagnés, descendaient pour l'attaquer et mettre à profit son manque de précaution. Cependant la ruse de Placidus réussit ; car lorsque les Juifs commencent le combat, il simule la fuite, les attire après lui sur une grande étendue de la plaine, fait tourner contre eux ses cavaliers, les met en déroute, et en tue un très grand nombre : le reste de la multitude fut coupé et se vit intercepter le chemin du retour. Ceux qui avaient ainsi quitté le mont Itabyrios s'enfuirent à Jérusalem : les habitants du pays, qui manquaient d'eau, acceptèrent les promesses de Placidus et lui livrèrent, avec la montagne, leurs propres personnes.

9. A Gamala, les plus aventureux fuyaient en secret tandis que les faibles mouraient de faim (18). Mais les

combattants sou tinrent le siège jusqu'au vingt-deux du mois d'Hyperberetaios (19) : alors trois soldats de la

quinzième légion atteignirent en rampant, vers l'heure de la première veille, à l'aurore, la tour qui faisait saillie de leur côté et la sapèrent en silence. Les gardes qui étaient placés au sommet ne s'aperçurent ni de l'arrivée (car il faisait nuit), ni de la présence des ennemis, Quant aux soldats romains, ils dégagèrent, tout en évitant le bruit, cinq des plus grosses pierres ; puis ils s'élancèrent au dehors. Soudain la tour s'écroula avec un fracas

 

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effroyable, entraînant les gardes. Frappés de terreur, les hommes des autres postes s'enfuirent ; les Romains en firent périr beaucoup, qui essayaient audacieusement de se faire jour, et parmi eux Joseph (20), qu'un soldat

atteignit d'un trait et tua au moment où il franchissait en courant la partie de la muraille qui avait été détruite. Mais ceux qui étaient à l'intérieur de la ville, épouvantés par le bruit, couraient de toutes parts, en proie à une extrême agitation, comme si tous les ennemis s'étaient précipités sur eux. Alors Charès, alité et malade, rendit le dernier soupir, par l'effet de la terreur intense qui vint s'ajouter à sa maladie et causa sa mort. Mais les Romains, se souvenant de leur précédent échec, ne tirent pas irruption dans la ville avant le vingt-trois de ce même mois.

10. Ce jour-là Titus qui venait d'arriver, indigné de l'échec que les Romains avaient essuyé en son absence, choisit deux cents cavaliers, accompagnés de fantassins, et fit tranquillement son entrée dans la ville. S'apercevant de son arrivée, les gardes coururent aux armes et appelèrent à l'aide. Bientôt après, quand ceux de l'intérieur furent assurés de cette invasion, les uns saisirent en hâte leurs enfants et leurs femmes et s'enfuirent vers la forteresse. avec des gémissements et des cris: les autres, résistant à Titus, furent tués les uns après les autres: tous ceux que l'on empêchait de s'échapper vers le sommet tombaient égarés au milieu des postes romains. Partout retentissaient les lamentations ininterrompues des victimes: la ville entière était inondée du sang qui coulait sur les pentes. Cependant Vespasien amenait contre les fuyards

réfugiés dans la citadelle le renfort de toute son armée. Mais le sommet était de toutes parts rocailleux et l'accès difficile, s'élevant à une immense hauteur, entouré de précipices (21). Les Juifs maltraitèrent les assaillants en

les accablant de projectiles variés, en particulier de quartiers de roches qu'ils faisaient rouler sur eux, étant eux-mêmes, grâce à la hauteur, difficiles à atteindre. Mais il survint, pour le malheur des Juifs, un orage miraculeux qui, portant de leur côté les traits ennemis, détournait et dispersait obliquement les leurs. La violence du vent les empêchait de se tenir sur les escarpements, de conserver une assiette ferme et même

 

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de voir les assaillants. Alors les Romains gravissent les pentes et se hâtent d'encercler les Juifs, dont les uns se défendent et les autres tendent des mains suppliantes. Mais ce qui redoublait la colère des Romains, c'était le souvenir des soldats tombés dans le premier assaut. La plupart des Juifs, désespérant de leur salut et entourés de toutes parts, embrassèrent leurs enfants et leurs femmes et se précipitèrent avec eux dans la vallée profonde qui avait encore été approfondie au pied de l'acropole. Ainsi la fureur des Romains parut moins meurtrière que le désespoir qui anima contre eux-mêmes les défenseurs, car les Romains n'en tuèrent que quatre mille, tandis qu'on en trouva cinq mille qui s'étaient précipités dans l'abîme. Nul n'échappa. sauf deux femmes, filles d'une sœur de Philippe et Philippe lui-même, fils d'un certain Iakimos (Joachim), personnage considérable qui avait été tétrarque du roi Agrippa. Ils survécurent parce qu'ils s'étaient cachés lors de la prise de la ville, car à ce moment les Romains étaient tellement irrités qu'ils n'épargnaient pas même les enfants; des soldats, à maintes reprises, en saisirent un grand nombre pour les lancer, comme des balles de fronde, du haut de l'acropole. C'est ainsi que Gamala fut pris le 23 du mois d'Hyperberetaios ; la défection de cette ville remontait au 21 du mois de Gorpiaios (22).

II Jean à Gischala ; sa fuite à Jérusalem

1-2. Jean provoque la rébellion à Gischala, qu'assiège Titus. 3-4. Jean trompe Titus, il s'enfuit à Jérusalem. 5. Titus entre à Gischala.

1. Seule la petite ville de Gischala (23) en Galilée restait

insoumise. Les habitants y étaient animés de sentiments pacifiques, car la plupart étaient cultivateurs et leur esprit était entièrement occupé par les espérances de la prochaine récolte. Mais, pour leur malheur, ils avaient laissé s'introduire parmi eux une troupe assez considérable de brigands, dont quelques-uns même des citoyens partageaient les sentiments. Ceux-ci avaient été entraînés et organisés par Jean fils d'un certain Lévi, imposteur à l'esprit très souple, enclin à de vastes

 

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desseins et apte à les réaliser, laissant d'ailleurs voir à tous qu'il aimait la guerre afin de se saisir du pouvoir. A son incitation, se forma à Gischala un parti de factieux, à cause duquel le peuple, qui peut-être eût envoyé des députés pour négocier sa soumission prit une attitude hostile en attendant l'attaque des Romains. Vespasien envoie contre eux Titus avec mille cavaliers, et appelle à Scythopolis la dixième légion. Lui-même, avec les deux qui restaient, retourna à Césarée, où il leur accorda du repos après leurs continuelles fatigues, pensant que l'abondance de la vie urbaine fortifierait le corps et l'ardeur des soldats pour les luttes à venir ; car il voyait que Jérusalem lui réservait encore d'assez fortes épreuves. C’était, en effet, une ville royale, la capitale de la nation entière, et tous les fuyards de la guerre y accouraient. Outre la force naturelle de sa position, cette ville, protégée par des remparts, lui inspirait une sérieuse inquiétude ; il considérait que, même sans les murailles, le courage et l'audace des hommes étaient difficiles à abattre. Aussi exerçait-il ses soldats comme des athlètes, en vue de la lutte attendue.

2. Titus s'était avancé jusqu'à Gischala à la tête de sa cavalerie. Il lui était facile de s'emparer de cette place par une brusque attaque, mais il savait que, si elle était prise ainsi, les soldats massacreraient sans mesure la multitude ; or, il était déjà rassasié de carnage et éprouvait de la pitié pour la foule inoffensive, égorgée sans discernement avec les coupables. Il préférait donc soumettre la ville par un accord, Aussi comme le rempart était couvert de défenseurs qui, pour la plupart, faisaient partie de la troupe des brigands, il s'adressa à eux-mêmes pour exprimer sa surprise : "D'où leur vient donc leur confiance, quand seuls, après la prise de toutes les autres villes, ils résistent aux armes romaines ? Ils ont vu des places beaucoup plus fortes succomber dès la première attaque ; tous ceux, au contraire, qui se sont liés aux promesses des Romains jouissent en sûreté de leurs biens. Cette main, il la leur tend encore sans leur garder rancune de leur insolence ; car l'espérance de la liberté est licite, mais non la persévérance dans une entreprise impossible. S'ils ne se laissent pas persuader par l'indulgence de ses propositions et le gage qu'il leur donne de sa foi, ils éprouveront l'impitoyable

 

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rigueur de ses armes et verront bientôt que les murs ne sont qu'un jeu pour les machines romaines, alors que, seuls des Galiléens, comme d'insolents prisonniers, ils y mettent leur confiance."

  1. Les citoyens ne purent répondre à ce discours, car on ne leur permit pas même de monter sur le rempart que les brigands avaient déjà occupé tout entier. Des gardes étaient aussi placés aux portes pour que nul Juif ne les franchit avec des propositions de paix, que nul cavalier romain ne pût passer au t'avers. En réponse à Titus, Jean déclara agréer ses propositions, et promit de persuader ou de contraindre ceux qui résisteraient ; mais il ajouta qu'il fallait pourtant accorder ce jour, qui était le sabbat, à la loi des Juifs, car elle leur interdisait, ce jour-là, non seulement de prendre les armes, mais encore de conclure un traité de paix. "Les Romains, dit-il, n'ignoraient pas que le cercle de la semaine ramenait la cessation complète de tout travail, et que violer le sabbat était une égale impiété pour ceux qui y étaient contraints et pour celui qui les y contraignait. Ce délai n'apporterait d'ailleurs aucun dommage à Titus Quelle autre résolution que la fuite peut-on prendre dans la nuit ? Il lui est loisible de prévenir cette entreprise en établissant son camp autour de la ville. Mais pour eux, c'est un important avantage que de ne transgresser aucune des lois de leurs ancêtres. Il convient assurément à celui qui accorde ainsi une paix inattendue d'observer les lois de ceux qu'il sauve." Ces discours de Jean trompèrent Titus ; ce Juif avait moins en vue le sabbat que son propre salut, car, craignant d'être appréhendé aussitôt après la prise de la ville, il mettait son espoir dans la nuit et la fuite. Assurément, ce fut l’œuvre de Dieu qui sauvait Jean pour la perte de Jérusalem, si Titus non seulement se laissa persuader par le prétexte dont Jean colorait ce retard, mais encore dressa son camp assez loin de la ville, près de Cydasa (24). C'est un bourg fortifié, situé au milieu du territoire

des Tyriens, toujours dans un état de haine et d'hostilité envers les Galiléens : sa forte population et sa position solide l'encouragent dans ses différends continuels avec les Juifs.

  1. La nuit venue, comme Jean ne voyait autour de la ville aucun poste romain, il saisit l'occasion et, prenant avec

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

lui non seulement ses fantassins mais encore un grand nombre de citoyens non armés avec leurs familles, il s'enfuit vers Jérusalem. Sur une étendue de vingt stades, cet homme, que pressaient la crainte d'être capturé et le désir anxieux de vivre, put entraîner à sa suite la foule des femmes et des enfants ; mais quand il s'avança davantage, ceux-ci furent laissés en arrière. Les abandonnés poussaient d'affreux gémissements, car plus ils se trouvaient éloignés de leurs parents, plus ils se croyaient près des ennemis. Glacés d'effroi, ils se figuraient que ceux qui devaient les prendre étaient déjà là : au bruit que leurs compagnons faisaient en courant, ils se retournaient, comme s'ils voyaient déjà survenir ceux qu'ils fuyaient : la plupart s'égaraient dans des chemins impraticables et, dans leur effort commun pour arriver les premiers à la route, s'écrasaient en très grand nombre. Les femmes se lamentaient, les enfants périssaient. Quelques femmes s'enhardirent jusqu'à invoquer avec des clameurs leurs maris et leurs parents, en les suppliant de rester : mais les exhortations de Jean étaient les plus fortes : il leur crie de se sauver eux-mêmes et de se réfugier là où ils pourront se venger sur les Romains de ceux qu'ils abandonnent si l'ennemi les fait prisonniers. C'est ainsi que la foule des fugitifs se dispersa suivant l'endurance et l'agilité de chacun.

5. Quand Titus, le lendemain, se rendit au pied des remparts pour conclure le traité, le peuple lui ouvrit les portes, et les citoyens, s'avançant avec leurs familles, saluèrent en lui leur bienfaiteur, celui qui avait délivré la cité de sa garnison. Ils dénoncèrent en même temps la fuite de Jean et supplièrent Titus de les épargner et d'entrer dans la ville pour punir ceux des factieux qui l'étaient encore. Mais lui, négligeant les prières du peuple, envoya à la poursuite de Jean une section de cavalerie qui ne put le capturer, car il avait pris les devants et s'était réfugié à Jérusalem : mais cette troupe tua environ six mille fugitifs, cerna et ramena près de trois mille femmes et enfants. Titus fut mécontent de n'avoir pas sur-le-champ puni Jean de sa ruse, mais il trouva une consolation suffisante à son échec dans le grand nombre des prisonniers et des morts. Il entra dans la ville au milieu des acclamations et donna aux soldats l'ordre de détruire la muraille sur une faible longueur,

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

pour en marquer la capture. Il apaisa par des menaces plutôt que par des châtiments des perturbateurs de la cité : car il savait que beaucoup, cédant à des haines privées et à des inimitiés personnelles, dénonceraient des innocents, s'il recherchait lui-même les coupables. Il valait donc mieux laisser les coupables tenus en suspens par la crainte, que de perdre avec eux quelqu'un de ceux qui ne méritaient point de punition : peut-être celui-là deviendrait-il plus sage par la crainte du châtiment et par un sentiment de respect pour le pardon accordé aux fautes passées : mais il n'y a point de remède à l la peine de mort que l'on inflige par erreur. Il s'assura donc de la ville en y mettant une garnison, destinée à réprimer les factieux et à relever le courage des partisans de la paix qu'il y laissait. C'est ainsi que la Galilée fut soumise tout entière : les grands efforts qu'y déployèrent les Romains furent pour eux une préparation à la lutte contre Jérusalem.

(suite du livre 4)

  1. La nouvelle édition grec et anglais des livres IV-VII de la Guerre par feu Thackeray Loeb Library. Londres. 1928, où il est tenu compte des corrections de Niese, Herwerden, Destinon, etc., permet de réduire ici le commentaire critique. La traduction a été conférée avec le dernier texte. - S. R.
  2. Tarichées, au sud de Tibériade, près de Kerak (Schürer. II, p. 614) ; Gischala. dans le nord de la Galilée, est El Djish (ibid., p. 617). Le Mont Itabyrios est le Mont Thabor (ibid., p. 616). Gamala est probablement Djamle (ibid., p. 615).
  3. Sogané (Gaulanitide) est distincte d'une bourgade homonyme en Galilée ; on n'en connaît pas l'emplacement. Séleucie : Selukiyeh) est au nord-est de Bethsaida. Ces places avaient été fortifiées par Josèphe.
  4. petit lac dit Bahiret le Huel, au nord du lac de Gennesaret.
  5. Reland dit Danès (Antiq. T. VIII, p.226) : probablement Khurbet Dufna, au sud de Laish.
  6. Il s'agit d'un des veaux d'or de Jéroboam (Rois, XII, 29).
  7. Observation singulière, car Kamala serait une forme grecque ; le nom sémitique du chameau commence par un G (Thackeray).
  8. [õ] dØ êp' aét°w krhmnñw, leçon de Niese (mss. êp¡r)
  9. Ammaus ou Amathus, .Auj. Hammam, entre Tibériade et Tarichées.
  10. Légat de Syrie, un des plus fermes soutiens de Vespasien.
  11. ŽgnoÛ& ptaism‹tvn (Destinon). On a proposé ŽnoÛ& et ¤nnoÛ&

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

  1. palÛmpouw , mot poétique peut-être emprunté ici à une épigramme de Méléagre, Anth. Pal., V., 163 (Thackeray)
  2. 2mÇn est préférable à êmÇn
  3. Plutôt la plaine d'Asochis (Vita, 207) que celle d'Esdraelon (Thackeray),
  4. Les chiffres du texte sont inexacts : Josèphe les a donnés de mémoire.
  5. Josèphe, Vita, 188.
  6. Sur le tribun. voir Vita. 213 : Bell.. III. 59, 110 et IV, 419.
  7. Cf. plus haut. § 52.
  8. 9 novembre 67.
  9. Aussi nomme Josès.
  10. Le texte est altéré.
  11. 19 novembre et 12 octobre 67.
  12. Hébreu Gousch-Halab. auj. Ed Djidj.
  13. Alleurs Kedasa ou Kadasa (II, 459); peut-être Kedesch-Naphtali. Voir les Corrigenda de Thackeray, t III.

(suite du livre 4)

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

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JOSEPHE

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texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER FLAVIUS JOSÈPHE

Guerre des juifs.

LIVRE 5

Depuis l’avance de Titus contre Jérusalem jusqu’aux premiers ravages de la famine.

I

Les factions à Jérusalem ; l’avance de Titus.

1-2. Ancienne et nouvelle faction à Jérusalem. - 3. Rôle de Simon fils de Gioras. - 4-5. Menace de famine et misère du peuple. - 6. Avance de Titus.

1. Cependant Titus, après avoir traversé, comme nous l'avons dit, le désert qui s'étend de l'Égypte à la Syrie, parvint à Césarée où il avait décidé de rassembler

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

d'abord ses forces. Or, tandis qu'il affermissait à Alexandrie, de concert avec son père, l'empire que Dieu venait de leur assigner, l'insurrection de Jérusalem, reprenant des forces, se trouva divisé en trois factions ; l'un des partis se tourna contre lui-même. On petit dire que ce fut un bien dans le mal et que ce fut justice. Car cette usurpation des zélateurs sur le peuple, qui amena la ruine de la ville, nous en avons montré avec exactitude l’origine, et l'extrémité des maux qu'elle causa. On ne se trompera donc pas en disant que ce fut une sédition née d'une sédition, comme lorsque une bête féroce, prise de rage, commence, faute d'une proie étrangère, par se jeter sur ses propres chairs.

2. Eléazar, fils de Simon, après avoir tout d'abord séparé du peuple et entraîné dans le Temple les zélateurs - feignant, il est vrai, un sentiment d'irritation contre les forfaits quotidiens de Jean, qui n'interrompait point ses meurtres, alors qu'en réalité il ne pouvait supporter d'être soumis à un tyran plus jeune que lui -. Eléazar fut poussé à la sécession par l'ambition du pouvoir et le désir de dominer tout lui-même. Il entraîna Judas fils de Chélica[1], Simon fils d'Esron, tous deux notables, et

avec eux Ezéchias, fils de Chobaris, qui n'était pas sans réputation. Chacun d'eux était accompagné d'un assez grand nombre de zélateurs ; ils se rendirent maîtres de l'enceinte intérieure du Temple et posèrent leurs armes au-dessus des portes sacrées sur les métopes du Saint des Saints. Pourvus de copieuses ressources, ils prenaient confiance ; car les offrandes sacrées s'offraient à eux en abondance, surtout pour des gens aux yeux desquels il n'y avait rien d'impie ; mais leur petit nombre leur inspirait des craintes : ils restaient donc le plus souvent inactifs là où ils étaient. Quant à Jean, s'il avait la supériorité des effectifs, il occupait une position désavantageuse ; les ennemis, qu'il avait devant lui, garnissaient la hauteur ; ses attaques n'étaient pas sans danger, alors que sa rage lui interdisait l'inaction. Il subissait plus de pertes qu'il n'en infligeait à Eléazar et à sa troupe, et cependant il ne renonçait pas à son dessein. Il y avait donc des combats continuels : sans cesse on lançait des traits ; partout le sanctuaire était souillé de carnage.

 

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3. Cependant Simon, fils de Gioras, que le peuple, dans une situation désespérée, avait appelé à lui et accepté pour tyran, parce qu'il comptait sur son appui, tenait la ville haute et une grande partie de la ville basse ; il commençait à attaquer avec plus de violence le parti de Jean, qui était lui-même assailli d'en haut car, dans les assauts, il était sous la main de ses adversaires, comme ceux-ci sous celle du parti qui occupait le sommet. Jean, pressé ainsi des deux côtés, subissait et infligeait des pertes avec une égale facilité, et de même qu'il était inférieur aux troupes d'Eléazar, ayant les siennes placées plus bas, la possession d'un terrain élevé lui donnait l'avantage sur Simon. Aussi repoussait-il d'un bras vigoureux les attaques venues d'en bas, tandis que ses machines contenaient l'effort de ceux qui, sur la crête, lançaient leurs javelots du haut du Temple ; il avait, en effet, en assez grand nombre, des oxybèles, des catapultes et des onagres, dont les projectiles non seulement repoussaient les ennemis, mais tuaient beaucoup de gens occupés aux sacrifices. Les Juifs, bien qu'incités par la rage à tous les sacrilèges, n'en laissaient pas moins entrer ceux qui voulaient sacrifier - leurs concitoyens, avec défiance et en les observant, les étrangers, en les fouillant. Ceux-ci, même après avoir apaisé la cruauté des factieux pour obtenir l'entrée, devenaient souvent les victimes accidentelles de la sédition. En effet, les traits des machines, lancés avec toute leur force jusqu'à l'autel et au Temple, atteignaient les prêtres et ceux qui offraient des sacrifices. Beaucoup de ceux qui, venus des extrémités de la terre, s'empressaient autour de ce lieu sacré, si révéré de tous les hommes, tombaient eux-mêmes devant les victimes et arrosaient de leur sang l'autel vénéré de tous les Grecs et des Barbares. Les corps des habitants du pays et des étrangers, des prêtres et des laïcs gisaient confondus ; le sang de ces divers cadavres formaient des mares dans les enceintes sacrées. Quel traitement aussi affreux, ô la plus infortunée des villes, as-tu subi de la part des Romains qui entrèrent pour purifier par le feu les souillures de la nation ? Car tu n'étais plus, et tu ne pou-vais rester le séjour de Dieu, puisque tu étais devenue la sépulture des cadavres de tes citoyens et que

 

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tu avais fait du Temple le charnier d'une guerre civile. Mais tu pourras redevenir meilleure, si tu apaises jamais le Dieu qui t'a dévastée ! Cependant le devoir de l'historien doit réprimer sa douleur, car ce n'est pas le moment des lamentations personnelles, mais du récit des faits. J'expose donc la suite des événements de la sédition.

  1. Tandis que les ennemis de la cité se divisaient ainsi en trois partis, celui d'Eléazar, gardant les prémices sacrées, dirigeait sa fureur ivre contre Jean ; les compagnons de celui-ci pillaient les citoyens et étaient furieux contre Simon : ce dernier usait des subsistances de la ville contre les autres factieux. Quand il était attaqué des deux côtés, Jean se défendait sur l'un et l'autre front : il repoussait ceux qui montaient de la ville en les accablant de traits du haut des portiques, tandis qu'il maltraitait avec ses machines ceux qui lançaient leurs javelots du haut du Temple. Etait-il délivré des adversaires qui le pressaient d'en haut, quand la fatigue et l'ivresse mettaient fin à leur action - et le cas était fréquent - il s'élançait avec plus de sécurité, entraînant un plus grand nombre d'hommes contre les partisans de Simon. Chaque fois qu'il les chassait d'un quartier de la ville, il brûlait les maisons remplies de blé et d'approvisionnements divers. Dés qu'il se retirait, Simon l'attaquait à son tour et faisait de même : on eût dit que ces chefs détruisaient à dessein, dans l'intérêt des Romains, les ressources que la cité avait préparées en vue d'un siège et coupaient les nerfs de leur propre force. Ainsi tous les environs du Temple furent incendiés, et cette dévastation fit de la ville comme un champ de bataille pour la guerre civile[2]. Presque tout le blé fut la

proie des flammes ; il eût suffit à un siège de plusieurs années. Ce fut donc la famine qui perdit les Juifs : il n'aurait pu en être ainsi s'ils n'avaient préparé eux-mêmes ce malheur.

  1. Tandis que les factieux et la populace à leur suite attaquaient de tous cotés la ville, les citoyens, entre ces partis, étaient déchirés comme un grand corps. Les vieillards et les femmes, poussés au désespoir, faisaient des vœux pour les Romains et attendaient avec

 

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impatience la guerre étrangère qui les délivrerait de leurs maux domestiques. Les honnêtes gens étaient frappés de terreur, assaillis par la crainte, car ils ne voyaient pas la possibilité de s’entendre pour changer le cours des affaires, ni aucune espérance de paix ou de fuite pour ceux qui la désiraient. Tous les passages, en effet, étaient gardés, et les chefs des brigands, d'ailleurs divisés, considérant comme des ennemis communs ceux qui songeaient à obtenir la paix des Romains ou qu'ils soupçonnaient de défection, les mettaient à mort. Ils n'étaient d'accord que pour égorger ceux des citoyens qui étaient dignes d'être sauvés. Jour et nuit les combattants poussaient des cris ininterrompus ; plus affreux encore étaient les gémissements que l'effroi arrachait à ceux qui pleuraient. Les malheurs apportaient de continuels motifs de plaintes, mais la crainte réprimait les lamentations, et les habitants, faisant taire leur douleur, étaient torturés par les sanglots qu'ils étouffaient. Les vivants n'obtenaient plus aucuns égards de leur proches : on ne se souciait plus de donner la sépulture aux morts. La cause de cette double apathie était le désespoir de chacun ceux qui n'appartenaient pas aux factions avaient perdu tout ressort, dans la pensée qu'ils allaient mourir bientôt d'une manière ou de l'autre. Cependant les factieux entassaient les cadavres et les foulaient aux pieds, et ces corps écrasés, répandant une odeur infecte, avivaient leur fureur. lIs inventaient sans cesse quelque nouveau moyen de destruction, et, comme ils réalisaient sans pitié tout ce qu'ils concevaient, ils recouraient à toutes les formes de l'outrage et de la cruauté. Jean alla jusqu'à employer, pour la construction de machines de guerre, du bois réservé au culte. Car comme le peuple et les grands-prêtres avaient décidé naguère d'étayer le Temple pour l'exhausser de vingt coudées, le roi Agrippa fit transporter du Liban, à grands frais et au prix de grands efforts, le bois nécessaire : ces poutres méritaient d'être vues pour leur rectitude et leur volume. La guerre interrompit ce travail : Jean fit équarrir ces poutres et les employa à élever des tours, ayant observé que leur longueur était suffisante pour atteindre ses adversaires au sommet du Temple. Il transféra et établit ces tours derrière l'enceinte, en face de la galerie de l'Occident ;

 

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c'était le seul endroit convenable, car des degrés interceptaient à distance l'accès des autres côtés.

6. Jean avait espéré que ces machines, construites au prix de l'impiété, lui donneraient l'avantage sur ses ennemis, mais Dieu rendit ses efforts inutiles en amenant les Romains avant qu'il eût placé des soldats sur les tours. En effet, dès que Titus eut rassemblé auprès de lui une partie de ses troupes et mandé au reste de l'armée de les rejoindre à Jérusalem, il sortit de Césarée. C'étaient les trois légions[3] qui avaient

auparavant ravagé la Judée sous les ordres de son père, et la douzième qui, jadis, sous Cestius, avait essuyé un échec[4] ; réputée d'ailleurs par sa bravoure, le souvenir

des maux qu'elle avait endurés la faisait marcher avec plus d'ardeur à la vengeance. Deux de ces légions, la cinquième et la dixième, reçurent l'ordre, l'une de le rejoindre par Emmaüs, l'autre de monter par Jéricho quant à lui, il partit avec le reste des légions, auxquelles s' unirent les contingents renforcés des rois alliés et un grand nombre d'auxiliaires de Syrie. On avait complété l'effectif des quatre légions, où Vespasien avait pris les soldats envoyés avec Mucianus en Italie, au moyen d'un nombre égal de recrues dont Titus s'était fait suivre. Il avait sous ses ordres deux mille soldats d'élite de l'armée d'Alexandrie et trois mille des garnisons de l'Euphrate. Le plus estimé de ses amis pour sa loyauté et son intelligence, Tibère Alexandre[5], accompagnait Titus.

D'abord administrateur de l'Egypte pour Vespasien et son fils, il commandait maintenant leurs armées, jugé digne de cet honneur pour la manière dont il avait, le premier et dès le début, accueilli la dynastie nouvelle et s'était joint avec une magnifique fidélité à la fortune encore incertaine du prince ; il était de bon conseil dans les affaires de la guerre et supérieur par l'âge et l'expérience.

II

Dangers que court Titus.

1-2. Danger que court Titus. - 3. Disposition de ses

 

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forces. - 4. Revers de la Xe légion. - 5. Titus rétablit la situation.

  1. Dans cette invasion du territoire ennemi, Titus faisait marcher en tête les contingents des rois et toutes les troupes alliées, après eux des pionniers et des arpenteurs pour dresser le camp, ensuite les bagages des chefs, avec les soldats d'infanterie préposés à leur garde. Il suivait en personne, entouré de soldats d'élite et de gardes armés de lances : derrière lui, la cavalerie de la légion ; celle-ci précédait les machines qu’accompagnaient les tribuns avec leurs soldats d'élite et les commandants de cohortes. Ensuite marchaient les enseignes, entourant l'aigle, précédées des trompettes, que suivait l'armée rangée par files de six hommes. Les serviteurs de chaque légion venaient par derrière, précédés des bagages des légions ; en dernier lieu les artisans et une arrière-garde pour les surveiller. C'est ainsi que Titus menait en bon ordre son armée, suivant l'usage romain ; il pousse à travers la Samaritide jusqu'à Gophna que son père avait prise auparavant et qui était alors occupée par une garnison. Il y campe toute une nuit, puis part vers l'aurore ; après une journée de marche, il dresse son camp dans le lieu appelé par les Juifs dans leur langue « Val des Épines », près du bourg nommé Gabath Saül, ce qui veut dire « colline de Saül »[6], à trente stades environ de Jérusalem[7]. Là il prit

avec lui environ six cents cavaliers d'élite pour reconnaître la ville, l'état de ses défenses et les sentiments des Juifs : il voulait savoir si, frappés de crainte à sa vue, ils ne se rendraient pas avant tout combat. Car Titus était informé - et le renseignement était exact - que le peuple, épouvanté par les factieux et les brigands, désirait la paix, mais qu’il demeurait inerte, trop faible pour se soulever.

  1. Tant que Titus s'avança à cheval sur la route qui montait en ligne droite vers les remparts, personne ne parut hors des portes ; mais quand il se détourna de la route pour se rapprocher de la tour Psephinos[8] par une

marche oblique, à la tète de ses cavaliers, soudain, prés

des tours appelées « tours des femmes », une innombrable multitude s'élança par la porte située en

 

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face du monument d'Hélène[9] et se fraya un chemin au

milieu de la cavalerie. Les assaillants, tenant tète à ceux des cavaliers qui galopaient encore sur la route, les empêchaient de rallier ceux qui avaient achevé le changement de direction, isolant ainsi Titus avec un petit nombre de cavaliers. Il lui était impossible de continuer sa marche en avant, car tout le terrain, à partir du rempart, était sillonné de fossés destinés à l'irrigation des jardins, coupé de murs transversaux et de nombreuses clôtures. Titus voyait d'autre part que la multitude des ennemis qui le séparaient de sa troupe l'empêchaient de la rejoindre à la course ; d'ailleurs, les cavaliers sur la route avaient tourné bride ; presque tous ignoraient le péril du prince et fuyaient, croyant qu'il se retirait aussi avec eux. Alors Titus, comprenant que son salut dépendait de sa propre force, fait faire demi-tour à son cheval, crie à ses compagnons de le suivre, et se jette au milieu des ennemis, à travers lesquels il s'efforce de se frayer un passage vers les siens. C'est là surtout qu'on put voir que Dieu contrôle les événements décisifs des guerres et les dangers des princes ; car parmi le grand nombre de traits lancés contre Titus, qui n'avait ni casque ni cuirasse - s'étant avancé, comme je l'ai dit, non pour un combat, mais pour une reconnaissance -, il n'y en eut pas un qui atteignit son corps : tous ces projectiles sifflaient autour de lui et restaient sans effet, comme s'ils eussent été à dessein mal dirigés. Et lui, il écartait de son épée les ennemis qui le pressaient de flanc et renversait en route ceux qui lui faisaient face, poussant son cheval par-dessus leurs corps abattus. Les Juifs criaient, témoins de l’intrépidité de César[10], et

s'encourageaient à s'élancer contre lui ; mais partout où il se portait, ses ennemis se dispersaient et prenaient la fuite. Cependant ses compagnons de péril s'attachaient à ses pas, frappés par derrière et de côté : tous mettaient leur unique espérance de salut à joindre leurs efforts à ceux de Titus et à prévenir leurs adversaires en rompant le cercle qui se formait. Deux soldats seulement, parmi ceux qui étaient les plus éloignés de Titus,

succombèrent l'un fut entouré et tué à coups de javelots avec son cheval ; l'autre, projeté à terre, y fut égorgé, et son cheval emmené, tandis que Titus, avec le reste de sa garde, parvenait sain et sauf jusqu'à son camp.

 

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Remportant ainsi un avantage dès leur première attaque, les Juifs conçurent des espérances irréfléchies, et cette chance passagère leur inspira une grande confiance en l'avenir.

  1. La légion d'Emmaüs ayant rejoint César pendant la nuit, il leva son camp dans la journée et s'avança jusqu'au lieu appelé Scopos (l'observatoire), d'où apparaissaient d'abord aux regards la ville et les vastes bâtiments du Temple baignés d'une lumière éclatante ; ce nom de Scopos est justement donné à la plaine située du côté nord de la ville. Il était alors à sept stades de Jérusalem. Il ordonna à deux de ses légions d'y établir ensemble leur camp, à la cinquième de camper à trois stades derrière elles ; car cette dernière, épuisée par la marche de nuit, lui paraissait avoir besoin d'un abri, pour procéder avec plus de sécurité à la construction des retranchements. Les soldats venaient de commencer le travail quand survint la dixième légion, arrivant de Jéricho, où était établie une section d'infanterie régulière pour garder le passage dont Vespasien s'était emparé. Cette légion reçut l'ordre de camper à six stades de Jérusalem sur la montagne des Oliviers, qui fait face à la ville du côté de l'Orient et en est séparée par la profonde vallée du Cédron.
  2. La rivalité mutuelle des factions, déchaînées sans fin dans la ville, commença dès lors à s'apaiser, devant cette guerre étrangère qui éclatait avec une soudaine violence. Les factieux voyaient avec effroi les Romains établir leurs camps sur trois points ; ils commencèrent tristement à se réconcilier, se demandèrent les uns aux autres ce qu'ils attendaient et pourquoi ils laissaient trois retranchements peser sur leur poitrine. Alors que l'invasion se fortifie comme une ville, en toute sécurité, ils restent inactifs comme s'ils contemplaient des oeuvres belles et utiles, enfermés dans leurs murailles, oubliant qu'ils ont des bras vigoureux et des armes. « Nous sommes donc, s'écriaient-ils, courageux seulement contre nous : les Romains gagneront à nos querelles de prendre la ville sans effusion de sang ! » Rassemblés en foule, ils s'exhortaient les uns les autres par ces paroles ; bientôt, ils saisissent leurs armes et

 

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font une sortie soudaine contre la dixième légion. S'élançant à travers le vallon, ils tombent avec d'immenses clameurs sur les ennemis qui construisaient un mur. Ceux-ci, occupés au travail, étaient dispersés : ils avaient, la plupart, pour cette tâche, déposé leurs armes, car ils pensaient que les Juifs n'auraient pas la hardiesse de faire une sortie, et que, en eussent-ils l’intention, la discorde briserait bientôt leur élan. Aussi les Romains, surpris, furent-ils mis en désordre. Quelques-uns, abandonnant leurs travaux, prirent la fuite ; beaucoup coururent à leurs armes, mais, avant de pouvoir se retourner contre les ennemis, ils furent frappés et tués. Les Juifs voyaient leur nombre sans cesse accru par de nouveaux arrivants qu'encourageait le succès des premiers ; favorisés de la Fortune, ils semblaient, à leurs propres yeux et à ceux des ennemis, plus nombreux qu'ils n'étaient réellement. Ceux même qui avaient l'habitude des combats bien ordonnés et qui savaient faire la guerre avec méthode, en obéissant aux commandements, furent plus que les autres troublés par cette irruption soudaine qui les avait surpris. Ainsi, sur l'heure, les Romains décontenancés cédèrent à l'attaque. Mais à mesure que se retiraient leurs troupes, elles arrêtaient les Juifs dans leur course et les blessaient, tandis que ceux-ci, entraînés par leur élan, se gardaient avec moins de précaution. Pourtant, comme la colonne de charge grossissait toujours, les Romains, de plus en plus troublés, se trouvèrent enfin loin du camp. Toute la légion, semble-t-il eût été en péril, Si Titus averti ne lui eût rapidement porté secours. Les reproches qu'il n'épargne pas à leur lâcheté ramènent les fuyards ; lui-même, tombant de flanc sur les Juifs avec les soldats d'élite qui l'accompagnaient, tue un grand nombre d'ennemis, en blesse plus encore, les met tous en fuite et les repousse dans le vallon. Mais eux, après avoir éprouvé des pertes considérables sur la pente, gravissent la pente opposée, se retournent, font face, et combattent les Romains dont le ravin les sépare. Le combat dura ainsi jusqu'au milieu du jour mais un peu après midi, Titus mît en ligne, pour briser les attaques, sa troupe de renfort et d'autres soldats tirés des cohortes ; puis il renvoya le reste de la légion poursuivre le travail du retranchement sur la hauteur.

 

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5. Les Juifs prirent ce mouvement pour une fuite, et comme le gardien qui veillait sur leurs remparts avait agité son vêtement, une foule encore intacte s'élança avec une telle impétuosité que l'on eût dit une course des bêtes les plus sauvages. A vrai dire, aucun des soldats dont les rangs leur étaient opposés ne soutint le choc, mais, comme sous les coups d'une machine de guerre, ils sortirent des rangs et, tournant le dos, s'enfuirent vers la montagne, laissant au milieu de l'escarpement Titus avec un petit nombre d'hommes. Ses amis qui, par respect pour le prince, méprisaient le péril et tenaient ferme, l'exhortèrent tous vivement à reculer devant les Juifs qui cherchaient la mort, à ne pas s'exposer pour des hommes qui auraient dû résister et le défendre, à considérer sa propre fortune et à ne pas faire le métier d'un simple soldat quand il était le maître de la guerre et du monde, à ne pas courir des risques si graves alors que tout dépendait de lui. Titus ne parut pas même entendre ces discours ; il fit face aux ennemis qui montaient en courant contre lui et, les frappant au visage, tua ceux qui l'attaquaient ; chargeant sur la pente leurs rangs serrés, il dissipa cette multitude. Mais les Juifs, quoique étonnés de ce sang-froid et de cette vigueur, ne s'enfuirent pas, même alors, vers la ville : s'écartant de lui dans les deux sens, ils pressaient ceux qui fuyaient vers la hauteur. Alors Titus, les prenant de flanc, arrêta leur élan. Sur ces entrefaites, les soldats qui, sur la hauteur, fortifiaient le camp, dès qu'ils virent au-dessous d'eux les fuyards, furent de nouveau en proie au trouble et à la peur : toute la légion se dispersa, jugeant irrésistible l'attaque des Juifs et voyant Titus lui-même en fuite ; car ils pensaient que, si le prince résistait, les autres ne fuiraient pas. Comme saisis d'une terreur panique, ils se répandirent de côté et d'autre, jusqu'au moment où quelques-uns, apercevant leur général en plein dans la mêlée et alarmés de son sort, annoncèrent à grands cris à la légion entière le péril où il se trouvait. Le sentiment de l'honneur les ramena : ils se reprochèrent les uns aux autres un crime pire que la fuite, celui d'avoir abandonné César, firent appel à toute leur énergie contre les Juifs, et, les ayant une fois repoussés de la pente, les refoulèrent dans la vallée.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

Ceux-ci reculaient pied à pied[11] en combattant mais

les Romains, qui avaient l'avantage d'une position élevée, les rejetaient dans le ravin. Titus, continuant à presser ceux qui l'entouraient, renvoya la légion construire le retranchement ; pour lui, aidé de ceux avec qui d'abord il avait résisté, il tint à distance les ennemis. Ainsi, s'il faut dire la vérité, sans rien ajouter par flatterie ni rien supprimer par envie, ce fut César lui-même qui, à deux reprises, sauva toute la légion en péril, et lui permit de fortifier le camp en sûreté.

III

Jean pénètre dans le Temple ; revers des Romains.

1. Jean pénètre dans le Temple. - 2. Titus fait aplanir le terrain. - 3-4. Revers des Romains. - 5. Titus regroupe ses forces.

1. Tandis que la guerre étrangère se calmait un peu, les factions ranimaient la guerre civile. Aux approches du jour des azymes, le quatorze du mois de Xanthicos, à cette date où les Juifs passent pour avoir commencé à secouer le joug des Égyptiens, les partisans d'Eléazar ouvrirent en partie les portes du Temple et y reçurent ceux des citoyens qui voulaient y entrer pour adorer Dieu. Jean, profitant de la fête pour dissimuler sa ruse, munit d'armes, qu'il leur fit cacher, ses compagnons les moins connus, non purifiés pour la plupart, et se hâta de les envoyer au Temple pour s'en emparer par surprise. A peine dans l'enceinte, ils se débarrassèrent de leurs vêtements et parurent soudain complètement armés. Aussitôt s’éleva dans le Temple un grand trouble, un grand tumulte : les gens du peuple, sans lien avec la sédition, crurent que l'attaque était dirigée contre tous indistinctement, tandis que les zélateurs se croyaient seuls menacés. Ceux-ci, abandonnant désormais la garde des postes, s'élancèrent du haut des créneaux avant qu'on en vînt aux mains et cherchèrent un refuge dans les souterrains du Temple. Quant aux citoyens, tremblant près de l'autel et se pressant confusément dans l'enceinte, ils étaient foulés aux pieds, frappés sans

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

relâche à coups de bâton et d'épée. Beaucoup de Juifs paisibles, victimes d'inimitiés et de haines privées, furent tués par leurs ennemis, comme s'ils étaient de la faction contraire ; tous ceux qui avaient autrefois offensé quelqu'un des conjurés et qu'on reconnaissait à ce moment, se voyaient entraîner comme zélateurs au supplice. Mais tandis qu'on infligeait tant de cruels traitements aux innocents, on accorda une trêve aux coupables et on laissa partir ceux qui sortirent des souterrains. Maîtres de la partie intérieure du Temple et de tout l'appareil sacré, les conjurés commencèrent à s'enhardir contre Simon. Ainsi les factions, de trois qu'elles étaient auparavant, furent réduites à deux.

  1. Cependant Titus décidait de quitter Scopos et d'établir son camp plus près de la ville. Il posta donc, pour arrêter les sorties, le nombre de cavaliers et de fantassins d'élite qu'il jugea nécessaire, et commanda à toutes ses troupes d'aplanir l'espace qui s’étendait jusqu'au rempart. On jeta à bas tous les murs et toutes les clôtures dont les habitants avaient protégé leurs jardins et leurs arbres ; le bois planté de main d'homme qui se trouvait entre les Romains et la ville fut tout entier rasé ; on combla les dépressions et les ravins, on nivela au fer les saillies des rocs. C'est ainsi que les Romains aplanirent toute la région, de Scopos aux monuments d'HérodeF12], qui touche, à la piscine dite

des serpentsF13].

  1. En ces jours-là, les Juifs ourdirent contre les Romains la ruse que voici. Les plus audacieux des révoltés s'avancèrent hors des tours appelées « tours des femmes »F14] ; comme si les partisans de la paix les avaient

chassés et qu'ils craignissent une attaque des Romains, ils se répandaient de divers côtés, se dissimulant les uns près des autres. Un groupe distinct se tenait sur le rempart et, feignant de représenter le peuple, demandait la paix à grands cris, implorait un accord et appelait les Romains, en leur promettant d'ouvrir les portes. En même temps qu'ils poussaient ces clameurs, ils lançaient des pierres sur leurs concitoyens, comme pour les écarter des portes. Ceux-ci se donnaient l'air de vouloir en forcer l'entrée et de supplier les Juifs postés

 

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derrière les murs ; souvent ils s'élançaient vers les Romains, comme des gens qui auraient perdu le sens. Leur ruse trouva quelque créance auprès des soldats qui croyaient déjà avoir en mains des victimes toutes prêtes à subir leur vengeance, espérant d'ailleurs que les autres leur ouvriraient la ville ; ils étaient sur le point de se mettre en mouvement. Mais l'invraisemblance de cet appel éveilla les soupçons de Titus : la veille, il les avait invités, par l'entremise de Josèphe, à un accord, et n'avait trouvé chez eux aucun sentiment de modération. Aussi, à ce moment, ordonna-t-il aux soldats de rester à leur poste. Quelques-uns pourtant de ceux qui avaient été affectés aux travaux saisirent leurs armes et s'élancèrent vers les portes. Les Juifs qui feignaient d'être chassés reculèrent d'abord devant eux ; puis, quand les Romains furent arrivés entre les tours de la porte, ils coururent contre cette troupe, l'entourèrent et la pressèrent par derrière ; de leur côté, les Juifs du rempart faisaient tomber sur elle une grêle de pierres et de traits qui tua beaucoup de soldats et en blessa un très grand nombre. Ce n'était pas chose facile d'échapper aux projectiles du rempart, quand on était attaqué par derrière ; d'ailleurs, la honte de leur faute et la crainte de leurs officiers excitaient les soldats à persévérer dans leur erreur. Aussi, après avoir longtemps combattu à coups de javelots et reçu des Juifs de nombreux coups qu'ils rendaient, il est vrai, également, ils réussirent enfin à forcer le cercle qui les entourait ; dans leur retraite, les Juifs les poursuivirent en les frappant jusqu'au tombeau d'Hélène.

4. Alors les Juifs, dans l'insolence grossière de leur succès, raillèrent les Romains qui s'étaient laissé prendre à leur stratagème ; ils bondissaient en agitant leurs boucliers et poussaient des cris de joie. Quant aux soldats, ils furent accueillis par les menaces de leurs centurions et la colore de César. « Les Juifs, disait-il, n'ayant d'autre chef que le désespoir, agissent toujours avec préméditation, avec réflexion ; ils préparent des ruses et des embuscades ; la Fortune favorise leurs stratagèmes, grâce à leur docilité, à leur esprit de corps et à leur confiance mutuelle ; mais les Romains, dont la discipline et l'obéissance à leurs chefs ont toujours fait

 

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une esclave de la Fortune, commettent des fautes par des motifs contraires. C'est leur impatience d'agir qui les perd, et, suprême faute, ils combattent sans chef, sous les yeux mêmes de César. Certes les règlements militaires s'en ressentent péniblement ; vif aussi sera le chagrin de mon père, à la nouvelle de ce revers, car ce prince, vieilli dans les guerres, n'a jamais eu pareille mésaventure. Les lois, qui ont toujours puni de mort le moindre manquement à la discipline, ont contemplé à cette heure une armée entière qui abandonnait son poste. Je connaîtrai bientôt ces présomptueux, car, chez les Romains, même une victoire remportée sans ordre est blâmée ». Quand Titus eut soutenu, en présence des officiers, cette opinion, il parut évident qu'il appliquerait la loi contre tous les coupables. Ceux-ci étaient désespérés à la pensée de la mort juste qu'ils allaient subir : mais les légions, pressées autour de Titus, le suppliaient en faveur de leurs compagnons d'armes et le conjuraient de pardonner à la témérité d'un petit nombre, en considération de l'obéissance de tous leur courage futur l'aiderait à réparer la faute du moment.

5. César céda à ces prières et à son propre intérêt, car s'il pensait que le châtiment d'un seul homme devait aller jusqu'à l'exécution, celui d'une multitude devait se borner aux paroles. Il se réconcilia donc avec les soldats, les avertissant longuement d'être désormais plus sages ; puis il songea lui-même aux moyens de se défendre contre les ruses des Juifs. Quatre jours furent employés à aplanir le terrain jusqu'aux remparts, car il voulait faire passer en toute sécurité ses bagages et le reste des troupes. Il dirigea ses plus fortes unités contre la muraille, face au nord et au couchant, et les disposa sur sept rangs de profondeur ; l'infanterie formait les trois premières lignes, la cavalerie en formait également trois par derrière ; dans l'intervalle se tenaient les archers, qui constituaient la septième ligne. Cette masse était assez forte pour arrêter les sorties des Juifs. Alors il fit passer en sûreté les équipages des trois légions et leur nombreuse escorte. Titus en personne campa presque à deux stades du rempart, à un de ses angles, en face de la tour appelée « Psephina », où l'enceinte abandonne la

direction du nord et s'infléchit à l'ouest.                                                                     Quant à

 

Zone de Texte: 2. Des trois enceintes, la plus ancienne était très difficileFLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

l'autre corps d'armée, il se fortifia vis-à-vis la tour dite « Hippicos », à une distance de deux stades aussi de la ville. Cependant la dixième légion restait à la même place, sur le mont des Oliviers.

IV

Description de Jérusalem.

1-5. Description de Jérusalem ; ses défenses ; le palais d'Hérode.

1. Trois murs fortifiaient la ville du côté où elle n'était pas entourée de ravins infranchissables ; sur ces derniers points, il n'y avait qu'un retranchement. Elle était elle-même bâtie sur deux crêtes qui se faisaient face et que séparait un vallon creusé entre elles, où se terminait la ligne des maisons, pressées les unes contre les autres. Des deux éminences, l'une, où se trouvait la ville haute, était de beaucoup la plus élevée et la plus escarpée elle avait, à cause de la force de sa position, reçu du roi David le nom de « Forteresse » (ce roi était le père de Salomon qui construisit le premier Temple) aujourd'hui nous l'appelons le « haut marché ». Quant à l'autre colline, c'est celle qui se nomme Acra et porte la ville basse comme sur un double croissant. En face de cette dernière hauteur, il y en avait une troisième qui était, de sa nature, inférieure en altitude à Acra, dont une autre large vallée la séparait à l'origine. Plus tard, au temps de la dynastie des Asmonéens, les rois comblèrent le vallon, dans le dessein de réunir la ville au Temple ; ils aplanirent Acra et en abaissèrent le sommet, pour que la vue du Temple dominât aussi cette colline. La vallée nommée « des fromagers » (Tyropéon), qui, nous l'avons dit, sépare la colline de la ville haute et la colline inférieure, s'étend jusqu'à Siloé ; tel est le nom de cette source d'eau douce et abondante. Vers la campagne, les deux collines de la ville étaient entourées de profondes vallées ; de part et d'autres, les précipices en rendaient l'abord impraticable.

 

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à prendre, grâce aux vallons et à la montagne qui les dominait et sur laquelle le mur était bâti. Outre l'avantage du lieu, la construction en était solide, car David et Salomon et les rois qui suivirent rivalisèrent dans cette oeuvre. Le mur commençait au nord à la tour Hippicos[15] et se dirigeait vers la galerie orientale du

temple (Xystos) ; il touchait ensuite à la salle du conseil, et aboutissait au portique occidental du Temple. Du côté de l'ouest, il partait du même point, se prolongeait par le lieu appelé Bethso jusqu'à la porte des Esséniens ; il tournait ensuite vers le sud, au delà de la source de Siloé, revenait alors vers l'orient, dans la direction de la piscine de Salomon, et continuait jusqu'à l'endroit nommé Ophlas[16], où il rejoignait le portique oriental

du Temple.

Le second mur s'amorçait à la porte de Gennath, qui faisait partie de la première enceinte ; il n'entourait que la partie septentrionale de la ville et montait jusqu'à la tour Antonia.

Le troisième mur avait pour origine la tour Hippicos ; de là il continuait vers le nord jusqu'à la tour Psephina, descendait en face de la sépulture d'Hélène, reine des Adiabéniens et mère[17] du roi Izatas, se développait le

long des caveaux royaux, s'infléchissait à la tour d'angle près du Tombeau du Foulon, enfin, se rattachant à l'ancien retranchement, aboutissait dans la vallée du Cédron. Ce fut Agrippa qui entoura de ce mur les nouveaux quartiers de la ville, jusque-là tout entiers sans défense ; car la cité, vu l'excès de la population, débordait peu à peu les remparts. On réunit donc à la ville la région située au nord du Temple, voisine de la hauteur, et, poussant assez loin, on habita une quatrième colline, nommée Bezetha : située en face de la tour Antonia, elle en est séparée par une excavation profonde ; c'est à dessein que ce fossé fut creusé, pour empêcher que les fondations de la tour, reliées à la hauteur, n'offrissent un accès facile et une élévation insuffisante. Ainsi donc la profondeur du fossé donna aux tours la plus grande hauteur possible. Ce quartier tout récent prit le nom indigène de Bezetha, qui, traduit en grec, se dirait Caenopolis (Villeneuve)[18]. Comme ses

habitants avaient besoin d'être défendus, le père du roi actuel, nommé aussi Agrippa, commença la construction

 

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de la muraille dont nous venons de parler : mais, craignant que Claudius César ne soupçonnât que la grandeur de ce travail annonçait une révolution et des menées séditieuses, il l'interrompit, n'ayant fait que jeter les fondements. De fait, la ville eût été imprenable s'il avait continué la construction de la muraille comme il l'avait commencée : car elle était formée de pierres qui avaient vingt coudées de longueur sur dix d'épaisseur[19] et ne pouvait pas être facilement

entamée avec le fer ni ébranlée par des machines. Le mur eut dès l'abord une épaisseur de dix coudées, et la hauteur en eût vraisemblablement été considérable, si la magnificence de celui qui commença cette oeuvre n'avait été entravée. Plus tard, cependant les Juifs, travaillant avec ardeur, élevèrent le mur jusqu'à une hauteur de vingt coudées : ses créneaux mesuraient deux coudées, ses abris trois, en sorte que sa hauteur totale montait jusqu'à vingt-cinq coudées.

3. Les remparts étaient dominés par des tours qui avaient vingt coudées de largeur et vingt de hauteur : elles étaient carrées et solides comme le mur même ; par leur ajustement et leur beauté, les pierres ne différaient pas de celles du Temple. Au-dessus de la masse imposante des tours, s'élevant jusqu'à vingt coudées, étaient de magnifiques salles, et au-dessus encore des étages, des réservoirs destinés à recueillir les eaux de pluie. Chaque tour était desservie par de larges escaliers tournants. Le troisième rempart avait quatre-vingt-dix de ces tours et le développement des courtines entre elles était de deux cents coudées. Le rempart intermédiaire comptait quatorze tours, l'ancien mur en comprenait soixante. Tout le périmètre de la ville était de trente-trois stades. Plus étonnante encore que le troisième rempart tout entier, s'élevait à l'angle nord-ouest la tour Psephinos, près de laquelle campa Titus. Haute de soixante-dix coudées, elle laissait apercevoir, au lever du soleil, l'Arabie et les dernières limites des terres des Hébreux jusqu'à la mer. Elle était de forme octogonale. En face de cette tour, se dressait l'Hippicos. Dans le voisinage de cette dernière tour, le roi Hérode en avait construit sur l'ancien rempart deux autres, remarquables pour leur grandeur, leur beauté, leur

 

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solidité, entre tous les édifices du monde. Car outre que ce roi était naturellement magnifique et plein d'amour-propre pour sa capitale, il fit hommage de la grandeur de ces ouvrages à ses affections privées, et consacra la mémoire des trois êtres qui lui étaient les plus chers, un frère, un ami, sa femme[20], dont ces tours prirent leur

nom. L'une de ces personnes, il l'avait, comme nous l'avons dit précédemment[21], tuée par amour ; il avait

perdu les deux autres dans une guerre où ils avaient vaillamment combattu.

L'Hippicos, appelée ainsi du nom de son ami, était carrée : elle mesurait également vingt-cinq coudées de longueur et de profondeur, trente de hauteur ; il n'y avait pas de vide à l'intérieur. Au-dessus du massif de maçonnerie et de l'appareillage se trouvait un réservoir de vingt coudées de profondeur pour recevoir la pluie ; au-dessus encore une demeure à deux étages, haute de vingt-cinq coudées, divisée en salles diversement ornées, encerclée de tourelles de deux coudées de haut en plus des abris de trois coudées la hauteur totale montait ainsi à quatre-vingts coudées.

La deuxième tour, qu'il appela Phasaël, du nom de son frère, avait des dimensions égales en longueur et en profondeur, quarante coudées de part et d'autre ; la partie massive atteignait aussi la même hauteur. Au-dessus courait un portique, haut de dix coudées, protégé par des mantelets et des bastions. Au centre de ce portique s'élevait une autre tour, comprenant de riches appartements et des bains, en sorte qu'il ne manquait à cette forteresse rien de ce qui pouvait lui donner un aspect royal. Le sommet était plus orné d'abris et de tourelles que celui de la forteresse précédente[22]. La

hauteur totale de cette tour mesurait environ quatre-vingt-dix coudées. Elle rappelait par sa forme celle de Pharos, dont le feu éclaire les navigateurs cinglant vers Alexandrie ; mais son périmètre était beaucoup plus vaste elle était devenue à cette époque le siège de la tyrannie de Simon.

La troisième tour, celle qui prit ce nom de Mariamme porté par la reine, se dressait massive à vingt coudées de hauteur, sur une longueur et une profondeur de vingt coudées ; ses logements supérieurs étaient beaucoup plus riches et plus ornés que ceux des autres tours, car

 

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le roi avait jugé convenable que la forteresse à laquelle il avait donné le nom d'une femme offrit plus de parure que celles qui portaient des noms d'hommes. En revanche, il y avait plus de force dans celles-là que dans celle-ci. La hauteur totale de la tour de Mariamme était de cinquante-cinq coudées.

4. Ces trois magnifiques tours paraissaient encore plus grandes par le fait de leur situation. Car l'ancien rempart qu'elles dominaient était lui-même édifié sur une colline élevée dont il formait comme la crête plus élevée encore, à une hauteur de trente pieds ; placées sur cette crête, les tours prenaient encore beaucoup d'élévation. Les dimensions des pierres étaient également merveilleuses ; car ce n'est pas de vulgaires moellons que se composaient ces tours ni de pierres facilement transportables à bras d'hommes ; on avait taillé, dans du marbre blanc, des blocs mesurant chacun vingt coudées de longueur, dix de profondeur et cinq de hauteur. Ils étaient ajustés si parfaitement les uns aux autres que chaque tour paraissait n'être qu'une seule pierre naturelle, dégrossie et polie aux angles par les mains des artisans, tant il était difficile d'apercevoir les joints de l'appareillage ! Ces tours regardaient le nord, et le palais du roi était contigu à leur face intérieure, défiant toute description : car il n'y manquait rien de ce qui pouvait rehausser la magnificence et la perfection de l'édifice. Il était tout entier ceint de murs dressés à une hauteur de trente coudées ; à la même distance s'élevaient des tours, de vastes corps de logis, pouvant recevoir même des appartements de cent lits, destinés aux hôtes. Il y avait là une indescriptible variété de pierres, et l'on trouvait rassemblées à profusion celles qui, partout, étaient rares. Il y avait des toits admirables pour la longueur de leurs poutres et l'éclat de leurs ornements ; une extrême abondance de chambres, dont les dispositions, offraient une infinie variété ; des ameublements complets, la plupart d'or et d'argent, les garnissaient toutes. De nombreux péristyles se succédaient en cercle, ayant chacun des colonnes d'espèce différente les uns, entièrement découverts, étaient verdoyants ; là des bois d'essence variée, de longues allées, entremêlées de profonds canaux et de

 

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réservoirs où se trouvaient partout en foule des statues de bronze qui répandaient les eaux : autour des ondes, de nombreuses tours, asile des colombes apprivoisées. Mais il est impossible de décrire dignement ce palais : d’ailleurs, le souvenir en est pénible quand on se rappelle les désastres causés par le feu qu'y allumèrent les brigands. Ce ne sont pas, en effet, les Romains qui ont brûlé ces merveilles, mais les conjurés de la ville, au début du soulèvement, comme nous l'avons déjà raconté : l'incendie commença à la tour Antonia, puis gagna le palais, et consuma les toits des trois tours.

V

Description du Temple.

1-6. Description du Temple. – 7. Les prêtres. – 8. La tour Antonia.

1. Le Temple était, comme je l'ai dit, bâti sur une forte éminence, et c'est à peine si, à l’origine, le plateau qui la terminait suffit à contenir le sanctuaire et l'autel[23]. Les

pentes, tout alentour, étaient escarpées. Mais quand le roi Salomon, qui d'ailleurs construisit le Temple, entoura d'un mur le côté oriental de l'édifice, il établit un portique sur le terrassement : de tous les autres côtés, le Temple restait sans défense. Dans les âges qui suivirent, comme le peuple ajoutait sans cesse de nouveaux remblais, la colline ainsi aplanie se trouva plus large. On abattit ensuite le rempart septentrional, et cela fournit l'espace qui fut plus tard occupé par toute l'enceinte du Temple. On entoura la colline, depuis ses fondements, d'un triple rempart circulaire. L'exécution de ce grand travail dépassa toute prévision : on y employa de longs siècles et tous les trésors sacrés que fournissaient les tributs envoyés à Dieu des diverses régions de l'univers. On construisit ainsi les enceintes supérieures et le temple inférieur. La partie la plus basse de ce dernier édifice fut, sur des terrassements, relevée de trois cents coudées, ou plus encore en certains endroits. Cependant la profondeur des fondations n'apparaissait pas tout entière car les Juifs avaient fortement comblé les

 

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vallons, dans le dessein d'égaliser le sol des rues de la ville. Des pierres de quarante coudées de longueur servirent à ces substructions. L'abondance des ressources et la générosité du peuple imprimaient aux projets une grandeur extraordinaire ; la patience et le temps aidaient à la réalisation d'une espérance dont on n'osait pas même concevoir le terme.

2. Les édifices élevés au-dessus de ces fondations énormes en étaient dignes. Tous les portiques avaient une double rangée de colonnes, d'une hauteur de vingt-cinq coudées, taillées d'une seule pièce dans des blocs d'un marbre très blanc. Les lambris qui couvraient ces portiques étaient de cèdre. La richesse naturelle des lambris, l'art dont ils étaient polis et ajustés offraient un merveilleux spectacle, mais aucun travail de peinture ou de sculpture n'y ajoutait un ornement extérieur. La largeur des portiques était de trente coudées, et leur périmètre total, en y comprenant la tour Antonia, mesurait six stades ; toute la partie qui était à découvert était pavée de pierres différentes, aux couleurs variées. En traversant cet espace dans la direction de la seconde tour du Temple. on trouvait autour de soi une balustrade de pierre, haute de trois coudées et très élégamment ouvragée. Des colonnettes s'y dressaient à intervalles égaux, prescrivant les unes en caractères grecs, les autres en caractères latins, la loi de pureté et interdisant à tout étranger de pénétrer dans le « lieu saint » ; car la seconde enceinte était appelée de ce nom[24]. On y montait de la première par quatorze

degrés. De forme carrée, elle était entourée d'un mur particulier, dont la hauteur extérieure, atteignant quarante coudées, était masquée par l'escalier. La hauteur intérieure mesurait vingt-cinq coudées, car, l'escalier étant construit contre un terrain plus élevé, elle n'apparaissait pas complètement de l'intérieur et se trouvait dissimulée en partie par la colline[25]. Après les

quatorze degrés, on avait le mur à une distance de dix coudées, sur un terrain entièrement aplani. Ensuite, un nouvel escalier de cinq marches conduisait aux portes qui étaient au nombre de huit du côté du nord et du midi, quatre de part et d'autre : il y en avait nécessairement deux à l'Orient, car de ce côté se trouvait

 

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la place, séparée par un mur, qui était réservée aux femmes pour le culte, et il avait fallu y pratiquer une seconde porte distincte en face de la première. Dans les autres directions, deux portes, l'une au midi, l'autre au nord, conduisaient à la cour des femmes ; en effet, elles ne pouvaient entrer par les autres, et il leur était même interdit, en passant par celle qu'on leur avait réservée, de franchir le mur le séparation. L'endroit était d'ailleurs ouvert également pour le culte aux femmes de la région et à leurs coreligionnaires venues du dehors. La partie occidentale n'avait pas de porte de ce côté, le mur était continu. Les portiques situés entre les portes, au dedans du mur faisant face aux salles du Trésor, étaient soutenus sur des colonnes très belles et très hautes : bien que simples et non doubles, ces portiques ne le cédaient en rien, sauf pour les dimensions, aux portiques inférieurs.

3. Des dix portes, neuf étaient entièrement recouvertes d'or et d'argent, comme aussi les montants et les linteaux : l'une d'elles, hors du Temple, devait à la gloire de l'airain de Corinthe sa grande supériorité sur celles qui étaient lamées d'argent et d'or. Chaque portail comprenait deux battants dont chacun avait trente coudées de hauteur et quinze de largeur. Après l'entrée, ces portails, s'élargissant à l'intérieur, embrassaient à droite et à gauche des vestibules longs et larges de trente coudées ; semblables à des tours, leur hauteur dépassait quarante coudées ; chacun était soutenu par deux colonnes, dont la circonférence mesurait douze coudées. Les dimensions des autres portes étaient les mêmes. Mais celle qui s'ouvrait au delà du portail corinthien, vers l'Orient, du côté de la salle des femmes, et en face de la porte du Temple, était plus vaste ; elle avait cinquante coudées d'élévation ; ses portes atteignaient quarante coudées, et son ornementation était plus magnifique, en raison de l'épaisseur de l'argent et de l'or qui y étaient prodigués. C'est Alexandre père de Tibère[26] qui en avait garni les neuf autres portes.

Quinze degrés conduisaient du mur des femmes au grand portail ; ils étaient moins élevés que les cinq degrés qui menaient aux autres portails.

 

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  1. Le Temple, cet édifice sacré, était placé au centre : on y accédait par douze marches. La hauteur et la largeur de sa façade mesuraient également cent coudées ; il se rétrécissait en arrière et n'avait plus là que soixante coudées, car, sur le devant, il y avait de côté et d'autre comme des épaules d'une longueur de vingt coudées. Son premier portail avait soixante-dix coudées de hauteur, vingt-cinq de largeur et n'était pas pourvu de battants car il figurait le ciel, immense et sans limites. Les métopes étaient toutes dorées : par ces ouvertures, la première partie de la nef apparaissait complètement du dehors dans sa majesté, et les côtés de la porte intérieure se montraient tout étincelants d'or aux veux des spectateurs. Comme le Temple portait un double toit[27], la première partie de la nef, seule, s'ouvrait à

une grande hauteur, mesurant quatre-vingt-dix coudées d'élévation, cinquante de longueur et vingt de largeur. Le portail de cette nef était tout entier, comme je l'ai déjà dit, lamé d'or ; il en était de même de toute la paroi avoisinante : les pampres qui revêtaient la surface de la porte étaient d'or également, et des grappes de la taille d'un homme y pendaient[28]. Comme le Temple avait un

double toit[29], la perspective intérieure était plus basse

que l'extérieure ; là les portes d'or avaient cinquante-cinq coudées de hauteur et seize de largeur. Devant elles se trouvait un voile de longueur égale, un peplos babylonien, brodé de laine violette, de lin, d'écarlate et de pourpre ; ce travail admirable offrait, dans sa matière, un mélange savant et comme une image de l'univers ; car il paraissait symboliser par l'écarlate le feu, par le lin la terre, par le violet l'air, par la pourpre la mer[30]. Pour

deux de ces matières, c'était la couleur qui faisait la ressemblance ; pour le lin et la pourpre, c'était leur origine, puisque l'un est fourni par la terre, l'autre par la mer. Sur le peplos était brodé tout le spectacle des cieux, les signes du zodiaque exceptés.

  1. Quand on pénétrait à l'intérieur, c’était la partie basse du Temple qui recevait le visiteur. Elle avait soixante coudées de hauteur, une longueur égale et vingt coudées de largeur. A leur tour, ces soixante coudées étaient divisées : la première section offrait, sur une étendue de quarante coudées, trois oeuvres admirables et célèbres

 

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dans le monde entier, le chandelier, la table, l'encensoir. Les sept lampes du chandelier représentaient les planètes, car c'était bien le nombre des branches du candélabre[31] ; les douze pains sur l'autel figuraient le

cercle du zodiaque et l'année[32]. L'encensoir, avec les

treize parfums dont il était rempli, et qui provenaient de la mer et des régions habitées ou inhabitées de la terre, indiquait que tout appartient à Dieu et existe pour Dieu[33].

La partie la plus reculée de l'enceinte mesurait vingt coudées ; un voile la séparait aussi de l'extérieur. Aucun objet ne se trouvait là ; elle était pour tous inaccessible, intangible, invisible ; on l'appelait le « Saint des Saints ». Sur les côtés du Temple inférieur étaient de nombreuses habitations sur triple étage, communiquant entre elles ; de part et d'autre des entrées spéciales y conduisaient depuis le portail. Le Temple haut, plus étroit, n'avait pas d’habitations ; il élevait à quarante coudées son propre faîtage, d'un style plus simple que le Temple inférieur. Si l'on ajoute ce nombre aux soixante coudées du Temple bas, on obtient une hauteur totale de cent coudées.

6. A la façade extérieure il ne manquait rien de ce qui pouvait frapper l'esprit ou les yeux. Partout revêtu de plaques d'or massif, le Temple brillait, aux premiers rayons du jour, d'un éclat si vif que les spectateurs devaient en détourner leurs regards comme des rayons du soleil. Pour les étrangers qui arrivaient à Jérusalem il ressemblait de loin à une montagne couverte de neige, car là où il n'était pas doré, il apparaissait de la plus pure blancheur. Sur son toit se dressaient des broches d'or, finement aiguisées, pour écarter les souillures des oiseaux qui seraient venus s'y poser. Quelques-unes des pierres de l'édifice avaient quarante-cinq coudées de longueur, cinq de hauteur et six de profondeur[34].

Devant le Temple se trouvait l'autel qui mesurait quinze coudées de hauteur, et se développait également sur une longueur et une largeur d'environ cinquante coudées ; de forme carrée, il était pourvu aux angles d'appendices en forme de cornet. On y accédait du midi par une rampe en pente douce. Le fer n'avait pas été employé pour construire cet autel, et jamais le fer ne l'avait touché[35].

 

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Le Temple et l'autel étaient entourés d'une balustrade de pierres, belles et délicatement ouvragées, qui avait environ une coudée de hauteur ; elle maintenait le peuple à distance et le séparait des prêtres.

Si la ville entière était interdite aux hommes atteints de gonorrhée et de lèpre, le Temple l'était aussi aux femmes, dans le temps de la menstruation ; il ne leur était même pas permis, quand elles étaient pures, de franchir les limites que nous avons indiquées[36]. Ceux

des hommes qui n'étaient pas complètement purifiés se voyaient interdire la cour intérieure ; il en était de même des prêtres quand ils subissaient une purification.

7. Ceux qui, étant de famille sacerdotale, ne pouvaient exercer leurs fonctions à cause de quelque infirmité, se tenaient avec leurs confrères valides à l'intérieur de la balustrade ; ils recevaient les parts du sacrifice dues à leur naissance, mais portaient des vêtements

ordinaires ; seul l'officiant revêtait le costume sacré. Les prêtres exempts de toute tare montaient à l'autel et au Temple en habits de lin : ils s'abstenaient rigoureusement de vin pur, par un scrupule religieux, pour ne transgresser aucune prescription du service divin.

Le grand-prêtre montait avec eux ; il ne le faisait pas toujours, mais seulement au sabbat, à la nouvelle lune, à la célébration d'une fête nationale ou d'une solennité publique annuelle. Quand il officiait, il s'enveloppait les cuisses d'un linge jusqu'au bas-ventre : il portait en dessous un vêtement de lin, et, par-dessus, une tunique de laine violette descendant jusqu'aux pieds, vêtement étroit et muni de franges, auxquelles étaient suspendues des clochettes d’or et une guirlande de grenades, symbolisant, celles-là le tonnerre, celles-ci l'éclair[37]. La

bandelette qui fixait le vêtement à la poitrine était formée de cinq pièces brodées de fleurs les couleurs étaient d'or, de pourpre, d'écarlate, de lin et de violette, dont nous avons déjà dit qu'étaient également tissées les

tapisseries du Temple[38]. L'éphode qu’il portait[39] était

diversifié des mêmes couleurs, mais il y entrait une plus grande quantité d'or ; cet ornement avait l'aspect d'une cuirasse que l'on met sur l'habit, et s'y agrafait par deux fibules d'or en forme de petits boucliers ; de belles et

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

grandes sardoines y étaient serties, portant inscrits à la surface les noms des éponymes des tribus qui composaient la nation. Sur le devant étaient fixées douze autres pierres, trois par trois sur quatre rangées : sardoine, topaze, émeraude, escarboucle, jaspe, saphir, agate, améthyste, rubellite, onyx, béryl, chrysolithe ; sur chacune d'elles aussi était gravé le nom d'un éponyme. La tête du grand-prêtre était couverte d'une tiare de lin, ornée d'une bande de la couleur de l'hyacinthe autour d'elle était une couronne d'or, où étaient inscrites en relief les lettres sacrées qui sont quatre voyellesF40]. En

temps ordinaire, le grand-prêtre ne revêtait pas ce costume, mais en prenait un plus simple, réservant le premier pour les occasions où il entrait dans le Saint des Saints ; il y pénétrait seul une fois par an, le jour où tout le peuple a coutume de jeûner en l'honneur de Dieu. Nous parlerons ailleurs avec plus de précision de la ville, du Temple, des mœurs et des lois qui s'y rapportent ; car il reste encore beaucoup à dire sur ces sujets.

8. La tour Antonia était située à l'angle de deux portiques du premier Temple, le portique de l'ouest et celui du nord : on l'avait construite sur un rocher élevé de cinquante coudées et escarpé de toutes parts. C'était l’œuvre du roi Hérode qui y montra au plus haut degré la magnificence de son caractère.

Le rocher, depuis ses fondements, était recouvert de plaques de pierres lisses, servant d'ornements et en même temps de défense, car tout homme qui eût essayé d'y monter ou d'en descendre aurait glissé. De plus, il y avait, devant l'édifice même de la tour, un mur de trois coudées, à l'intérieur duquel s'élevait jusqu'à une hauteur de quarante coudées toute la superstructure de l'Antonia. Au-dedans elle offrait l'étendue et l'aménagement d'un palais. Elle comprenait divers appartements de toute forme et de toute destination, des portiques, des bains et de vastes cours où pouvaient camper les troupes. Par toutes les dispositions utiles qu'elle offrait, c'était une ville ; par sa richesse, c'était un palais. Présentant dans l'ensemble l'aspect d'une tour, elle s'appuyait aux quatre angles d'entre elles avaient cinquante coudées de hauteur ; celle qui était placée à l'angle sud-est en mesurait soixante-dix, de sorte que de

 

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son sommet on apercevait le Temple tout entier. A l'endroit où elle se joignait aux portiques du Temple, elle avait deux escaliers qui y conduisaient ; c'est par là que descendaient les gardes, car il y avait toujours dans l'Antonia une cohorte romaine, dont les soldats, se répandant en armes parmi les portiques aux jours de fêtes, surveillaient le peuple et prévenaient tout désordre. Si le Temple dominait la ville comme une forteresse, l'Antonia dominait à son tour le Temple ; ceux qui gardaient ce poste gardaient aussi la ville et le Temple ; quant à la ville haute, elle avait pour défense particulière le palais d'Hérode. La colline de Bezetha était, comme je l'ai dit[41], séparée de la forteresse

Antonia ; la plus haute de toutes, elle était contiguë à la partie de la ville, et seule, du côté du nord, cachait le Temple. Cette description de la ville et des murs, que je projette de reprendre plus tard en détail avec plus de précision[42], doit suffire pour le moment.

VI

Travaux de siège des Romains.

1. Forces des Juifs. - 2. Travaux de siège des Romains. - 3. Attaques des Juifs. - 4. L'artillerie romaine entre en action. - 5. Succès et revers des assiégés.

1. Dans la ville, la multitude avide de combats et séditieuse, groupée autour de Simon, était au nombre de dix mille hommes, sans compter les Iduméens ; elle avait cinquante chefs, subordonnés à Simon qui exerçait le pouvoir. Les Iduméens, qui opéraient de concert avec lui, au nombre de cinq mille, avaient dix commandants, lesquels semblaient obéir à Jacob fils de Sosas et à Simon fils de Cathlas[43]. Quant à Jean, qui s'était

emparé du Temple, il avait six mille soldats d'infanterie régulière conduits par vingt officiers. Son armée s'était accrue des zélateurs, qui avaient renoncé à leurs discordes, au nombre de deux mille quatre cents, sous les ordres de leur ancien chef Eléazar et de Simon, fils d'Arinos. Tandis que les factions étaient aux prises, comme nous l'avons rapporté[44], le peuple était le prix

 

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de l'un et de l'autre ; ceux qui ne s’associaient pas à leurs violences étaient pillés par les deux. Simon occupait la ville haute, le grand mur jusqu'au Cédron et une partie de l'ancien rempart, depuis la piscine de Siloé, où il s'infléchissait vers l'orient, jusqu'au palais de Monobaze vers lequel il descendait ; ce Monobaze fut un roi des Adiabéniens qui vivent au delà de l'Euphrate. Il tenait encore la source et certains points d'Acra, la ville basse jusqu'au palais d'Hélène, mère de Monobaze. De son côté Jean occupait le Temple et les lieux environnants sur un espace assez considérable, Ophlan et la vallée du Cédron. Les deux adversaires avaient brûlé tout l'espace intermédiaire comme pour donner libre cours à la guerre qu'ils se livraient. Car même le campement de l'armée romaine sous les remparts n'apaisa pas la querelle ; si la première attaque ramena un instant les Juifs à la raison[45], ils furent bientôt

repris de leur folie et, redevenus ennemis, se remirent à combattre entre eux, répondant par leur conduite aux vœux des assiégeants. Assurément, les Romains ne leur firent pas subir de maux plus cruels que ceux qu'ils s'infligèrent à eux-mêmes : après eux, la ville n'éprouva pas de nouvelles souffrances ; si, avant de tomber, elle subit des malheurs plus affreux, ceux qui s'en emparèrent lui rendirent par là quelque service. Oui, je le déclare, la sédition prit la ville et les Romains prirent la sédition, beaucoup plus forte que les murs. C'est avec raison qu'on attribuera à la population elle-même ce que les événements offrirent de calamiteux, aux Romains ce qu'il y eut en eux d'équitable. A chacun de juger d'après les faits.

2. Telle était donc la situation à l'intérieur des murs quand Titus fit au dehors une reconnaissance avec l'élite de sa cavalerie, cherchant sur quel point il attaquerait les remparts. Partout il trouvait des motifs de s'abstenir, car, du côté des ravins, la muraille n'était pas praticable et, de l'autre, le premier mur paraissait assez fort pour défier les machines. Il résolut donc de conduire l'attaque dans le voisinage du tombeau du grand-prêtre Jean ; là, en effet, le premier rempart était plus bas, et le second ne s'y rattachait pas, parce qu'on avait négligé de fortifier ce point, la nouvelle ville n'étant pas encore très

 

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peuplée. Il y avait d'ailleurs un accès facile au troisième rempart ; celui-ci une fois occupé, il songeait à s'emparer de la ville haute et du Temple par la forteresse Antonia. Pendant cette reconnaissance de Titus, un de ses amis, nommé Nicanor, fut blessé d'une flèche à l'épaule gauche ; il s'était avancé trop près des murs avec Josèphe, et, comme il n'était pas un inconnu pour les défenseurs du rempart, il s'était efforcé de causer de la paix avec eux. Jugeant de leur violence par ce fait qu'ils n'épargnaient pas même des hommes dont la démarche avait pour objet leur salut, César poussa avec plus d'ardeur les préparatifs du siège. Il autorisa les légions à ravager les faubourgs et leur ordonna de réunir les matériaux propres à la construction des terrassements. En vue de ces travaux, il divisa ses forces en trois corps : au milieu, des soldats armés de javelots et des archers ; devant eux, les scorpions, catapultes et onagres, pour repousser les incursions des ennemis contre les ouvrages, et les tentatives que feraient les défenseurs du rempart pour y mettre obstacle. On coupa les arbres des faubourgs qui furent rapidement déboisés : le bois fut transporté jusqu'aux terrassements et toute l'armée s'empressa à cet ouvrage. Cependant, les Juifs ne restaient pas inactifs. Le peuple, au milieu des pillages et des meurtres, reprenait alors courage : il pensait qu'il allait pouvoir respirer, tandis que les autres s'occuperaient des ennemis du dehors ; il espérait aussi obtenir le châtiment des coupables au cas où les Romains seraient vainqueurs.

3. Mais Jean, tandis que ses compagnons voulaient s'élancer en hâte contre les ennemis du dehors, restait inactif, par crainte de Simon. Celui-ci ne se tenait pas en repos ; plus rapproché des assiégeants, il disposa sur le rempart toute son artillerie, tant les machines autrefois enlevées à Cestius que celles dont s'empara cette faction, quand elle prit la garnison de la tour Antonia. Mais c'était là pour la plupart des défenseurs une acquisition inutilisable, à cause de leur inexpérience ; un petit nombre, instruits par les transfuges, se servaient assez mal de ces machines. Ils lançaient du haut du rempart des pierres et des javelots sur les Romains qui travaillaient aux terrassements, ou, sortant par groupes,

 

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engageaient le combat avec eux. Les travailleurs romains employaient, comme abris contre les traits, des claies tendues devant les retranchements, et leurs machines s'opposaient aux sorties des assiégés. Toutes les légions étaient admirablement pourvues de ces machines, en particulier la dixième, dont les oxybtèles et les onagres étaient plus forts, plus grands ; avec leurs projectiles, ils renversaient non seulement les assaillants, mais atteignaient les défenseurs du rempart. Les pierres ainsi lancées pesaient un talent et portaient à deux stades et davantage : la force du coup était irrésistible non seulement pour les premiers qui le recevaient, mais encore pour ceux qui étaient loin derrière. D'abord, il est vrai, les Juifs se gardaient contre la chute des pierres, car, étant blanches, elles ne se signalaient pas seulement par leur sifflement, mais encore par leur éclat, visible de loin. Des vigies, placées sur les tours, leur signalaient le projectile, chaque fois que la machine se détendait et projetait la pierre, criant dans leur langue maternelle : « Le fils part ! »[46] Alors ceux que la pierre

menaçait se dispersaient et se couchaient ; grâce à ces précautions, il arrivait que le projectile passât sans faire de mal. Les Romains eurent à leur tour l'idée de le noircir : désormais on ne l'aperçut plus d'avance aussi nettement, et les Romains atteignaient le but en tuant souvent d'un seul coup beaucoup de Juifs. Mais quelque maltraités qu'ils fussent, ceux-ci ne laissaient pas les Romains élever en sûreté leurs terrassements : recourant à toutes sortes d'inventions et d'audacieuses tentatives, ils les tenaient en haleine nuit et jour.

4. Quand les travaux d'approche furent achevés, les ingénieurs mesurèrent la distance jusqu'au rempart au moyen d'une masse de plomb attachée à un fil qu'on lançait du haut des terrasses ; en effet, recevant d'en haut des projectiles, il ne leur était pas possible d'opérer autrement. Ils trouvèrent que les hélépoles pouvaient y atteindre et les poussèrent en avant. Titus fit approcher sur divers points son artillerie, pour empêcher les Juifs d'écarter de la muraille les béliers, puis il donna l'ordre de battre le rempart. Quand de trois côtés à la fois ce bruit terrible retentit dans la ville, les assiégés poussèrent ensemble un cri perçant et les factieux furent

 

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saisis d'une égale terreur. Les uns et les autres, en présence du péril commun, décidèrent d'y opposer désormais une défense commune. Les adversaires criaient les uns aux autres que toute leur conduite favorisait les ennemis, et qu'il fallait, même si Dieu ne leur accordait pas une concorde durable, oublier du moins pour le moment leurs querelles et s'unir contre les Romains. La-dessus Simon fit savoir par un héraut à ceux qui occupaient le Temple qu'ils pouvaient se rendre sur les remparts, et Jean obéit, malgré quelque méfiance. Alors, oubliant leurs haines et leurs inimitiés personnelles, ils forment comme un seul corps ; ils s'alignent sur les remparts et de là, jetant en abondance des tisons enflammés contre les machines, ils frappent sans relâche ceux qui poussent les hélépoles ; les plus audacieux, s'élançant par troupes, détruisent les mantelets des machines et, tombant sur ceux qui les manœuvrent, prennent l'avantage non par la science, mais par le courage. Titus en personne portait continuellement secours à ses soldats, si éprouvés. Il groupa autour des machines les cavaliers et les archers, repoussa les ennemis qui apportaient des torches, arrêta l'effort des défenseurs qui lançaient des projectiles du haut des remparts et fit donner activement les hélépoles. Cependant le mur ne cédait pas aux coups, mais le bélier de la quinzième légion ébranla l'angle d'une tour ; la muraille même demeura intacte, car elle ne partageait pas immédiatement les risques de la tour qui faisait une forte saillie et dont la chute ne pouvait guère entamer le mur d'enceinte.

5. Alors les Juifs, cessant pour quelques moments leurs attaques, après avoir observé que les Romains s'étaient dispersés autour de leurs travaux et dans leurs camps, crurent que l'ennemi s'était retiré par fatigue et par crainte ; ils s'élancent tous, près de la tour Hippicos, par une poterne dissimulée ; ils portent le feu contre les ouvrages, impatients de s'avancer jusqu'aux retranchements des Romains. Entendant leurs cris, les soldats les plus voisins s'assemblent ; les plus éloignés accourent à la hâte. Mais l'audace des Juifs eut le dessus sur la discipline romaine ; ils mirent en fuite ceux qu'ils rencontrèrent d'abord et s'attaquèrent aux

 

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groupes déjà formés. Un combat terrible s'engagea autour des machines, les uns s'efforçant de les

incendier, les autres d'y mettre obstacle. Des deux côtés s'élevait une clameur confuse, et beaucoup de ceux qui combattaient en avant furent tués. Les Juifs devaient leur supériorité au désespoir. Déjà le feu prenait aux travaux, qui risquaient d'être incendiés tout entiers avec les machines, sans la résistance d'une nombreuse élite de soldats d'Alexandrie. Ceux-ci firent des prodiges de va­leur dépassant leur propre réputation : car, dans ce combat, ils l'emportèrent sur des corps plus renommés que le leur. Enfin César, prenant avec lui les plus vigoureux cavaliers, se jette sur les ennemis : il tue de sa main douze combattants du premier rang ; à l'aspect de ce massacre, le reste de la multitude recule. Titus les poursuit, les rejette dans la ville et sauve ainsi les retranchements de l'incendie. Dans cette bataille, un Juif fut capturé vivant ; Titus le fit mettre en croix devant les remparts, espérant que ce spectacle épouvanterait les autres et ferait fléchir leur courage. Après cette retraite, Jean, chef des Iduméens, s'entretenait devant les murs avec un soldat qu'il connaissait ; la flèche d'un Arabe l'atteignit en pleine poitrine et le tua sur le coup. Comme il était

remarquable tant par la force que par l'intelligence, sa mort affligea beaucoup les Iduméens, et aussi les factieux.

VII

Revers des Romains.

1-2. Panique des Romains ; retraite des Juifs. - 3. Titus

déplace son camp. - 4. Ruse du Juif Castor.

1. La nuit suivante, il se produisit parmi les Romains un étrange désordre. Titus avait ordonné de construire trois tours de cinquante pieds de haut, pour les dresser sur chaque retranchement, afin que l'on pût, de leur

sommet, mettre en fuite les défenseurs des remparts. Or, il arriva qu'au milieu de la nuit l'une de ces tours s'abattit par accident. Au fracas immense qui s'éleva, la terreur s’empare de l'armée se croyant attaqués par les

 

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ennemis, tous les soldats couraient aux armes. Les légions furent en proie au trouble et au tumulte nul ne pouvant dire ce qui était arrivé, tous, dans l'incertitude, se portaient de divers côtés. Comme aucun ennemi ne paraissait, ils s'effrayaient les uns les autres, et chacun s'empressait de demander le mot d'ordre à son voisin, comme si les Juifs avaient attaqué les camps. Ils ressemblaient à des hommes en proie à une terreur panique, jusqu'au moment où Titus, apprenant ce qui s'était passé, en fit publier la nouvelle dans toute l'armée ; mais il fallut du temps pour que le trouble se calmât.

2. Les Juifs, qui résistaient avec vigueur à toutes les autres attaques, eurent à souffrir du fait des tours, du haut desquelles les machines les plus légères, les soldats armés du javelot, les archers et les frondeurs lançaient contre eux leurs projectiles. La hauteur des tours empêchait les Juifs d'atteindre leurs adversaires ; il leur était d'ailleurs impossible de prendre ces tours ; ils ne pouvaient guère non plus les renverser, à cause de leur poids, ni les incendier, à cause des plaques de fer dont elles étaient revêtues. D'autre part, s'ils reculaient hors de la portée des traits, ils ne pouvaient plus s'opposer aux assauts des béliers, qui battaient sans relâche la muraille et la détruisaient peu à peu. Déjà elle cédait aux coups du « vainqueur », - c'est le nom donné par les Juifs eux-mêmes à la plus grande des hélépoles romaines, qui brisait tout. Alors les défenseurs, depuis longtemps fatigués par les combats et les gardes de nuit faites loin de la ville, cédant, d'ailleurs à la mollesse et à la constante fausseté de leur jugement, estimèrent inutile la possession de ce rempart, puisqu'il en restait deux autres derrière lui. La plupart, devenus nonchalants, se retirèrent. Alors les Romains envahirent le rempart à l'endroit de la brèche ouverte par le

« vainqueur », et tous les Juifs, abandonnant leurs postes de garde, s'enfuirent derrière le second mur. Ceux qui avaient escaladé le rempart ouvrirent les portes et introduisirent à leur suite toute l'armée. C'est ainsi que les Romains s'emparèrent de la première enceinte, le quinzième jour du siège, le sept du mois d'ArtémisionF47]. Ils l'abattirent sur une grande étendue,

 

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comme aussi le quartier nord de la ville, que Cestius avait déjà détruit une première fois[48].

3. Titus transféra alors son camp à l'intérieur de l'enceinte, à l'endroit appelé le « campement des Assyriens »[49] ; il occupa tout l'espace intermédiaire

jusqu'au Cédron, mais de manière à être hors de portée des flèches lancées du second mur. Il commença aussitôt ses attaques. Mais les Juifs se partagèrent et défendirent avec vigueur le rempart ; Jean et ses compagnons combattaient de la tour Antonia, du portique septentrional du Temple et devant le tombeau même du roi Alexandre[50] ; quant aux troupes de

Simon, elles s'établirent dans la région voisine du monument du grand-prêtre Jean[51], et se fortifièrent

jusqu'à la porte par laquelle l'eau était amenée à la tour Hippicos. Ces Juifs faisaient de fréquentes sorties hors des portes et livraient des combats corps à corps ; bien que repoussés sur les murailles et ayant le dessous dans ces rencontres, parce qu'il leur manquait la science tactique des Romains, en revanche, dans les combats qu'ils livraient du haut des murs, ils obtenaient l'avantage. Des deux adversaires, l'un était fortifié par l'expérience, doublée de la force, l'autre par l'audace que nourrissait la crainte et une endurance naturelle dans les revers. Il s'y mêlait encore une espérance de salut pour les Juifs, de prompte victoire pour les Romains. Ni les uns ni les autres n'étaient accessibles à la fatigue ; ce n'était, tout le long du jour, qu'assauts, combats sur le rempart, fréquentes sorties par détachements ; la lutte prenait tous les aspects de la guerre. La nuit interrompait à peine les combattants qui recommençaient dès l'aurore ; pour les uns et les autres, la nuit était sans sommeil et plus terrible que le jour, les uns craignant à tous moments la perte du rempart, les autres que les Juifs ne fissent irruption dans les camps. Ainsi, des deux côtés, on passait la nuit en armes ; prêts au combat dès les premiers rayons du jour.

Chez les Juifs, il y avait émulation à qui s'exposerait au premier rang pour faire plaisir aux chefs. Simon, surtout, inspirait le respect et la crainte ; chacun de ses subordonnés obéissait à ses ordres si exactement qu'il eût été prêt au suicide, si le général l'eût ordonné. Du

 

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côté des Romains, ce qui excitait les courages était l'habitude de la victoire, l'ignorance de la défaite, de continuelles campagnes, des exercices quotidiens, la grandeur de l'Empire et, plus que le reste Titus, sans cesse présent partout. Laisser mollir son courage, quand Titus était là et prenait sa part du combat, paraissait un crime ; il était d'ailleurs, pour celui qui luttait vaillamment, un témoin et un juge tout ensemble c'était déjà un gain que de voir sa valeur connue de César. Aussi beaucoup, par l'effet de leur zèle, se montrèrent supérieurs à leur propre force. Ainsi, pendant ces journées où les Juifs formaient devant la muraille une force redoutable et où les corps de troupes, placés à quelque distance, combattaient de part et d'autre à coups de javelots, un cavalier de l'armée romaine, nommé Longinus, bondit au milieu des rangs juifs[52] ;

tandis que ce choc les disperse, il tue deux des plus braves ; il frappe au visage l'un d'eux qui marche contre lui, puis, arrachant son javelot de la plaie, perce le flanc du second qui fuyait alors, sans blessure, du milieu des ennemis, il court rejoindre les siens. Ce soldat fut célébré pour son courage, et beaucoup devinrent les émules de sa valeur. Quant aux Juifs, indifférents à leurs propres souffrances, ils n'avaient d'autre objet que de frapper : la mort leur paraissait plus légère si elle survenait avec celle d'un ennemi. Cependant Titus songeait au salut de ses soldats non moins qu'à la victoire : il appelait « désespoir » l'ardeur irréfléchie, et véritable courage celui-là seul qui était accompagné de prudence, sans dommage pour le combattant. Aussi exhortait-il ses soldats à être braves sans mettre leur vie en péril.

4. Lui-même il fait diriger l'hélépole contre la tour du milieu, sur le rempart du nord. Un Juif fourbe, du nom de Castor, l'occupait avec dix compagnons semblables à lui ; les autres défenseurs avaient fui devant les flèches des archers. Ces Juifs effrayés se tinrent cois derrière les mantelets ; puis, quand la tour s'ébranla, ils se relevèrent. Castor, tendant les mains dans un geste de supplication, invoquait César d'une voix lamentable, l'implorant d'avoir pitié de lui et de ses compagnons. La droiture naturelle de Titus lui inspira confiance.

 

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Espérant que déjà les Juifs commençaient à se repentir, il arrêta les coups du bélier et défendit de lancer des flèches à ces suppliants. Il fit demander aussi à Castor de dire ce qu'il voulait. Celui-ci déclara qu'il désirait venir à composition ; Titus lui répondit qu'il se réjouissait avec lui de ce sage dessein et que sa joie serait des plus vives si tous les Juifs, dès ce moment, avaient la même intention ; dans ce cas, il était prêt à engager sa parole envers la ville. Parmi les dix défenseurs, cinq feignirent de joindre leurs supplications à celles de Castor ; les autres crièrent qu’ils ne seraient jamais les esclaves des Romains quand il leur était permis de mourir libres. Pendant cette longue discussion, l'attaque était différée : Castor envoya donc un message à Simon, lui disant de délibérer à loisir sur les affaires pressantes, car il emploierait lui-même quelque temps à se jouer de l'Empire romain. Au moment même où il adressait ce message, il semblait exhorter ses compagnons indociles à accepter le principe des pourparlers. Ceux-ci, feignant la colère, brandirent leurs épées nues au-dessus des mantelets et, frappant leurs cuirasses, tombèrent comme s'ils s'étaient entretués. Titus et son entourage furent saisis d'étonnement à la vue du courage de ces hommes, et comme ils ne pouvaient, d'en bas, distinguer exactement ce qui se passait ils admirèrent leur noblesse d'âme, et plaignirent leur malheur. Mais, à ce moment, un archer atteignit Castor au nez ; aussitôt celui-ci, arrachant le trait, le montra à Titus et se plaignit de l'indignité d'un pareil traitement. Titus s'irrita contre le soldat qui avait lancé la flèche et chargea Josèphe, qui se tenait auprès de lui, de porter à Castor l'assurance de sa foi. Mais Josèphe refusa de faire cette démarche lui-même, car il n'attribuait pas aux suppliants des intentions pures, et arrêta ceux des amis du prince qui voulaient s'en charger. Cependant un transfuge du nom d'Énée déclara qu'il irait. Et comme Castor appelait pour qu'on reçût aussi l'argent qu'il portait sûr lui, Enée accourut, déployant un pan de sa robe. Alors Castor, soulevant une pierre, la lui jeta ; elle manqua Enée, qui s'était mis à couvert, mais blessa un autre soldat qui s'avançait. Comprenant alors le stratagème, Titus reconnut qu'en guerre la pitié est nuisible et que la sévérité est moins

 

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exposée aux fourberies. Irrité d'ailleurs de cette

moquerie, il fit redoubler avec plus de vigueur les coups de l'hélépole. Quand la tour céda, Castor et ses compagnons l'incendièrent et, du milieu des flammes, sautèrent dans le souterrain situé au-dessous. Les Romains, en voyant qu'ils venaient de se jeter dans le feu, conçurent de nouveau une haute opinion de leur valeur.

VIII

Les Romains prennent le second mur.

1-2. Les Romains prennent le second mur, en sont chassés, puis le reprennent.

1. César s'empara de cette muraille cinq jours après la prise de la première[53]. Comme les Juifs avaient fui, il

entra dans l'enceinte avec mille soldats d'infanterie régulière et les troupes d'élite de sa garde ; c'était le quartier de la Ville Neuve où se trouvaient le marché aux laines, le marché de la ferraille et celui des vêtements ; des ruelles transversales descendaient vers le rempart. S'il en avait renversé aussitôt une plus grande étendue ou si, en vertu du droit de la guerre, il eût dévasté le quartier conquis, je crois que sa victoire n'eût été payée d'aucune perte. Mais il espérait que les Juifs auraient honte [et se montreraient plus accommodants] quand ils verraient que, pouvant leur faire du mal, il ne le voulait pas. Il n'élargit donc pas la brèche pour faciliter éventuellement une retraite, ne pensant pas que ceux à qui il faisait du bien dussent rien entreprendre contre lui. Après son entrée, il défendit de tuer les prisonniers et d'incendier les maisons ; il s'engagea à autoriser la libre sortie des factieux s'ils voulaient lutter entre eux sans causer de dommage à la population, et promit au peuple de lui restituer ses biens. Son plus vif souci était, en effet, de conserver la ville pour lui-même et le Temple pour la ville. La foule était déjà disposée depuis longtemps à suivre ses conseils ; mais la partie combattante de la population vit de la faiblesse dans cette douceur, et crut que Titus faisait ces propositions,

 

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dans l'impuissance où il était de prendre le reste de la ville[54]. Les Juifs menacent de mort les citoyens qui

parleraient jamais de capitulation et massacrent ceux qui font la moindre allusion à la paix. Puis ils s'élancent contre ceux des Romains qui étaient déjà entrés les uns en suivant les ruelles, les autres en descendant de leurs maisons, d'autres enfin du rempart par les portes supérieures. Troublées par ce choc, les troupes de garde bondissent en bas des tours et rentrent aux camps. Des cris s’élevaient, poussés par les soldats restés dans les murs que les ennemis entouraient de tous cotés, et aussi par ceux qui, au dehors, craignaient pour leurs camarades abandonnés. Le nombre des Juifs

augmentait d'instant en instant ; la connaissance qu'ils avaient des ruelles leur assurait un grand avantage ils blessaient beaucoup de Romains et, se ruant sur eux, les repoussaient. La résistance des Romains croissait avec la nécessité de se défendre, car il ne leur était pas possible de s'échapper en rangs pressés à travers

l'étroite brèche du rempart. Il semble bien que tous ceux qui venaient de la franchir auraient été taillés en pièces, sans le secours apporté par Titus. Il dissémina les archers à l'extrémité des ruelles, se posta lui-même dans la plus encombrée et contint à coups de traits les ennemis : il avait auprès de lui Domitius Sabinus[55],

qui, dans ce combat, se distingua aussi par sa valeur. César continua à faire tirer de l'arc sans interruption et à empêcher les Juifs d'avancer, jusqu'au moment où tous les soldats se furent retirés.

2. C'est ainsi que les Romains, après s'être emparés du deuxième mur, en furent chassés. Dans la ville, l'orgueil des combattants s'exalta : fiers de leur succès, ils croyaient que les Romains n'oseraient plus entrer dans la ville et que, s'ils le faisaient, les Juifs se montreraient invincibles. C'est qu'en effet Dieu, à cause de leurs iniquités, aveuglait leurs esprits ; ils ne considéraient ni les forces des Romains, tant de fois supérieures à celles qu'ils avaient repoussées, ni la famine qui les menaçait. Il leur était encore loisible de se repaître des malheurs publics et de boire le sang des citoyens ; mais depuis longtemps les gens de bien étaient en proie à la disette, et, manquant des vivres nécessaires, beaucoup

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

mouraient. Cependant les factieux considéraient la destruction du peuple comme un allègement de leurs propres maux ; car ils estimaient que ceux-là seuls devaient subsister qui ne cherchaient pas la paix, qui désiraient vivre par haine des Romains ; quant à la multitude hostile, ils se réjouissaient de la voir dépérir comme un fardeau. Tels étaient leurs sentiments à l'égard de ceux qui se trouvaient dans la ville. Ils arrêtèrent encore une nouvelle tentative des Romains, en garnissant le rempart et en bouchant la brèche avec des cadavres : ils résistèrent trois jours et se battirent énergiquement ; mais, le quatrième jour, ils ne purent supporter la valeureuse attaque de Titus. Forcés dans leurs lignes, ils s'enfuirent vers l'endroit d'où ils étaient partis. Titus, s'étant donc une seconde fois emparé du rempart, le fit aussitôt abattre dans toute sa longueur du côté du nord au sud, il plaça des postes sur les tours et médita d'attaquer le troisième rempart.

IX

Discours de Josèphe aux Juifs.

1-2. Le siége est suspendu, puis repris. – 3-4. Efforts de Josèphe pour persuader aux Juifs de se rendre ; ses discours.

1. Titus crut alors opportun d'interrompre quelque temps le siège et de laisser aux factieux le loisir de délibérer ; car peut être céderaient-ils devant la ruine du deuxième mur ou la crainte naissante de la famine ; en effet, leurs pillages ne pouvaient plus leur suffire longtemps. Il utilisa opportunément cette trêve. Car, comme on était arrivé au jour où la distribution de la solde et des vivres devait être faite aux soldats, il ordonna aux chefs de ranger l'armée dans un lieu où les ennemis la pussent voir, et d'y compter l'argent à chacun. Les soldats, suivant leur habitude, avaient tiré leurs armes des coffres qui les contenaient et s'avançaient revêtus de leurs cuirasses : les cavaliers conduisaient leurs chevaux brillamment harnachés. Les faubourgs, sur une grande étendue, brillaient d'argent et d'or ; aucun spectacle ne pouvait mieux plaire aux

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

Romains ni effrayer davantage les ennemis. Toute l'ancienne muraille était remplie de spectateurs, comme aussi le mur septentrional du Temple ; on apercevait les maisons pleines de gens qui se penchaient en avant pour voir ; il n'y avait pas un endroit de la ville qui ne fût recouvert par la multitude. Même les plus audacieux étaient frappés d'épouvante à l'aspect de toute cette armée rassemblée, de la beauté des armes, de la belle ordonnance des troupes ; je crois même que ce spectacle aurait ramené les factieux à d'autres sentiments, si l'excès des crimes qu'ils avaient commis contre le peuple ne leur avait enlevé l'espoir d'obtenir le pardon des Romains. A la mort qui leur serait infligée comme châtiment s'ils cessaient d'agir, ils préféraient de beaucoup la mort dans le combat. C'était d'ailleurs une fatalité que les innocents dussent périr avec les coupables, et la ville avec la sédition.

2. Pendant quatre jours les Romains achevèrent de distribuer les vivres à chaque légion le cinquième jour, comme aucune proposition de paix ne venait des Juifs. Titus répartit les légions en deux corps et commença les terrassements contre la tour Antonia et le tombeau de Jean. Il forma le dessein de prendre la ville haute par ce dernier point et le Temple du côté d'Antonia ; tant que le Temple ne serait pas occupé, la conquête même de la ville n'était pas sans péril. Sur ces deux points deux terrassements s'élevèrent, un pour chaque légion. Les soldats qui travaillaient près du monument furent arrêtés par les sorties des Iduméens et de l'infanterie lourde de Simon ; à ceux qui étaient devant la tour Antonia s'opposaient les compagnons de Jean et la multitude des zélateurs. Les Juifs avaient l'avantage, non seulement à cause des projectiles à la main qu'ils lançaient d'une position plus élevée, mais par la science, qu'ils avaient commencé à acquérir, de la manœuvre des machines. L'habitude quotidienne les avait peu à peu rendus fort adroits. Ils possédaient trois cents oxybèles et quarante onagres, qui rendaient le travail de terrassement pénible pour les Romains. Titus, conscient que le salut ou la destruction de la ville dépendait de lui, pressait tout ensemble le siège et ne négligeait pas l'occasion d'inspirer aux Juifs un changement

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

d'humeur ; aux travaux de la guerre il joignit les exhortations. Comme il savait que la parole est souvent plus efficace que les armes, il les engageait lui-même à assurer leur salut en livrant leur ville, qu'ils pouvaient considérer comme déjà prise ; de plus, il députa vers eux Josèphe pour les haranguer dans leur langue

maternelle, car il pensait que les Juifs céderaient peut-

être aux conseils d'un homme de leur nation.

3. Celui-ci faisait le tour du rempart, cherchant à se tenir hors de la portée des traits dans un endroit d'où il pût se faire entendre : il les supplia maintes fois de s'épargner eux-mêmes, d'épargner le peuple, la patrie, le Temple, et de ne pas se montrer moins sensibles à ces biens que des étrangers. Les Romains, disait-il, sans participer au culte, respectent ce qui est sacré pour leurs ennemis ; jusqu'à ce jour ils se sont abstenus d'y porter les mains ; mais ceux qui ont été nourris parmi ces choses, qui en jouiraient seuls si elles étaient épargnées, semblent pleins d'ardeur pour les détruire ! Les Juifs voient que leurs murailles les plus fortes sont abattues ils savent que le rempart qui subsiste est plus faible que ceux qui ont été pris. Ils savent que la puissance romaine est irrésistible et qu'ils ont déjà fait l'expérience d'obéir aux Romains. Assurément, il est beau de combattre pour la liberté, et c'est ce qu'il fallait faire d'abord : mais quand une fois on a succombé, quand on a été soumis un long temps, essayer de secouer ensuite le joug est le fait d'hommes qui cherchent une mort affreuse, non de vrais amis de la liberté[56]. On doit certes dédaigner des maîtres trop

faibles, mais non ceux à qui le monde entier est soumis. Quelle région, en effet, a échappé aux Romains, sinon celles que la chaleur ou la glace rendent inutilisables ? Partout, la Fortune s'est prononcée pour eux, et Dieu qui fait passer avec lui l'empire de nation en nation,

séjourne maintenant en Italie. C'est d'ailleurs une loi essentielle, aussi bien chez les hommes que chez les animaux, de céder aux plus puissants et de reconnaître la supériorité de ceux qui l'emportent par la force des armes. Aussi les ancêtres de ces Juifs, qui leur étaient supérieurs par les qualités de l'esprit et du corps ainsi que par d'autres avantages, ont-ils cédé aux Romains ;

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

ce à quoi ils ne se seraient pas résignés s'ils n'avaient su que Dieu était avec les Romains. En quoi mettent-ils donc leur confiance, pour résister de la sorte, quand la plus grande partie de la ville est prise et quand ses défenseurs, leurs remparts fussent-ils encore intacts, seraient exposés à un sort pire que celui qui accompagne la prise d'une cité ? Les Romains n'ignorent pas la famine qui règne à Jérusalem : elle dévore aujourd'hui le peuple, demain ce seront les combattants. Car si même les Romains levaient le siège et n'attaquaient pas la ville le glaive en main, les Juifs n'en seraient pas moins la proie, dans la ville même, d'un ennemi invincible, que chaque heure renforce, à moins qu'ils ne pussent tourner leurs armes contre la famine, et, seuls de tous, vaincre les souffrances de la faim. Il ajoutait qu'il était bien de changer de sentiment devant un irrémédiable malheur, et, tant que cela est encore possible, de tendre vers le salut. Les Romains ne leur garderont pas rancune de leur conduite passée, à moins qu'ils ne restent insolents jusqu'à la fin, les Romains sont naturellement doux dans la victoire, et ils mettront leur intérêt au-dessus de leur ressentiment ; car ils n'ont pas d’intérêt à conquérir une ville dépeuplée et un désert. Aussi, maintenant encore, César est-il prêt à leur tendre la main ; mais, s'il prend la ville par la force, il n'épargnera personne, d'autant plus impitoyable que les Juifs n'auront pas, même dans l'extrémité de l'infortune, écouté ses propositions. Que le troisième mur sera bientôt pris, cela ressort clairement de ceux qui viennent de l'être ; même si cette fortification reste inébranlable, la famine combattra contre eux et pour les Romains.

4. Tandis que Josèphe exhortait ainsi les Juifs, beaucoup, du haut des remparts, se moquaient de lui et l'insultaient quelques-uns même lui jetaient des projectiles. Renonçant donc à les persuader par des conseils d'une vérité évidente, il se mit à leur rappeler l'histoire même du peuple.

« Oh ! malheureux, s'écriait-il, oublieux de ce qui fut votre vrai soutien ! Croyez-vous lutter contre les Romains par la force de vos armes et de vos bras ? Quel autre ennemi avons-nous vaincu ainsi ? Quand Dieu, notre créateur, n'a-t-il pas été le vengeur des Juifs

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

outragés ? Retournez-vous donc et voyez d'où vous vous élancez pour combattre, et quel grand allié vous avez souillé ! Ne vous rappellerez-vous pas les exploits surhumains de vos pères et combien d'ennemis a jadis défaits ce lieu saint ? Pour moi, je frémis de parler des oeuvres de Dieu à des oreilles indignes ; écoutez cependant, pour apprendre que vous faites la guerre non seulement aux Romains, mais à Dieu.

« Le roi d'Égypte Néchao, appelé aussi Pharaon,

descendu avec une innombrable armée, enleva la reine Sara, mère de notre race[57]. Que fit alors son époux

Abraham, notre ancêtre ? Se vengea-t-il par les armes de l'insolent ravisseur, lui qui cependant avait trois cent dix-huit lieutenants, dont chacun commandait lui-même à des forces innombrables ? Ne considéra-t-il pas tous ces hommes comme n'étant rien, sans l'assistance de Dieu ? Tendant ses mains pures vers le lieu que vous venez de souiller, il gagna à sa cause l'Allié invincible. Et le lendemain soir, la reine fut renvoyée sans tache à son époux. L'Egyptien, adorant le lieu ensanglanté par le meurtre de vos concitoyens et tremblant devant les fantômes de la nuit, prit la fuite ; il fit des présents d'argent et d'or à ces hébreux aimés de Dieu.

« Raconterai-je l'émigration de nos pères en Egypte ? Opprimés par des tyrans, soumis à des princes

étrangers, ne se sont-ils pas, durant quatre cents ans, confiés à Dieu, alors qu'ils pouvaient se venger par les armes et la force de leurs bras ? Qui donc ne se rappelle l'Egypte envahie par toutes sortes d'animaux, ravagée par toutes les maladies, la terre rendue stérile, le Nil desséché, la succession des dix plaies, et à travers tous ces maux vos pères renvoyés sous escorte, sans qu'ils fussent souillés de sang ni qu'ils courussent de

dangers ? Car Dieu les conduisait comme les gardiens de son sanctuaire[58].

« Quand notre arche sainte fut ravie par les Syriens[59],

n'est-il pas vrai que la Palestine et l'idole de Dagon eurent à s'en repentir, comme tout le peuple des ravisseurs ? Ulcérés dans leurs parties secrètes, rendant leurs entrailles avec leur nourriture, ils souffrirent jusqu'à ce que, de ces mêmes mains qui avaient opéré la rapine, ils eussent rapporté l'arche au son des cymbales et des tambourins, purifiant le sanctuaire par toutes

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

sortes d'expiations. C'est que Dieu dirigeait alors en chef tous ces événements dans l'intérêt de nos pères, qui, renonçant à la force de leurs bras et à leurs armes, lui laissaient le soin de la victoire.

« Lorsque le roi d'Assyrie, Sennachérim, qui ravageait l'Asie entière, campa devant cette ville, tomba-t-il sous

les mains des           hommes[60] ? Ces mains, que ne

chargeait pas le poids des armes, n'étaient-elles pas étendues en un geste de prière, tandis qu'un ange de Dieu, en une nuit, détruisait cette innombrable armée ? Le lendemain, en se levant, l'Assyrien trouva cent quatre-vingt-cinq mille morts, et, avec les soldats qui lui restaient, il s'enfuit loin des Hébreux désarmés qui ne le poursuivirent pas.

« Vous vous rappelez encore votre servitude à Babylone, où le peuple reste soixante-dix ans exilé et ne se souleva jamais pour la liberté jusqu'à ce que Cyrus la lui accordât pour remercier Dieu. Il les renvoya donc, et ils servirent de nouveau Celui qui avait été leur Allié. En un mot, on ne voit pas que nos pères aient remporté aucun succès par les armes, ni que, sans les prendre en main, ils aient jamais éprouvé de revers, tant qu'ils se confièrent à Dieu. Restaient-ils en repos, ils étaient vainqueurs par la volonté de leur Juge ; combattaient-ils, ils eurent toujours le dessous.

« Ainsi, quand le roi de Babylone assiégeait cette ville[61], notre roi Sédécias, agissant contre les

prophéties de Jérémie, livra bataille et fut pris ; il vit la ville renversée de fond en comble avec le Temple ; et cependant, combien ce prince était-il plus modéré que vos chefs, et le peuple, soumis à son pouvoir, plus modéré que vous-mêmes. Quand Jérémie proclamait que le peuple et le prince encouraient la colère de Dieu à cause des péchés commis contre lui, et qu'ils seraient réduits en captivité s'ils ne livraient la ville, ni le peuple ni le roi ne le mirent à mort. Mais vous - sans parler de vos désordres intérieurs, car je ne saurais relater dignement vos extravagances - vous m'insultez, moi qui essaie de vous persuader de vous sauver, vous me frappez, irrités qu'on vous rappelle vos crimes, et ne supportant même pas le récit des actes que vous accomplissez pourtant chaque jour.

« Encore, quand Antiochus, surnommé Epiphane, campa

 

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devant la ville, après avoir multiplié ses insolences contre Dieu, vos ancêtres sortirent à sa rencontre en armes ; ils furent massacrés dans le combat, les ennemis pillèrent la ville, et les lieux saints restèrent déserts pendant trois ans et six mois.

« Pourquoi énumérer d'autres exemples ? Qu'est-ce donc qui a conduit l'armée des Romains contre notre nation ? N'est-ce pas l'impiété des habitants ? Quelle fut l'origine de notre servitude ? N'est-ce pas la sédition de nos pères, au temps où la folie d'Aristobule et d'Hyrcan et leur rivalité amenèrent Pompée contre la ville, quand Dieu soumit aux Romains ceux qui n'étaient pas dignes de la liberté ? Assiégés pendant trois mois, nos ancêtres livrèrent la ville, sans avoir commis, contre les choses saintes ni les lois, des crimes comparables aux vôtres et possédant, pour soutenir la guerre, beaucoup plus de ressources que vous.

« Ne connaissons-nous pas la fin d'Antigone, fils d'Aristobule, sous le règne duquel Dieu punit de nouveau le peuple par la servitude à cause de ses péchés ? Hérode, fils d'Antipater, amena Sossius, Sossius amena l'armée romaine ; les Juifs furent encerclés, assiégés pendant six mois, jusqu'à ce qu'enfin ils furent pris en punition de leurs crimes et la ville mise au pillage par les ennemis.

« C'est ainsi que jamais l'usage des armes n'a réussi à notre nation et que ses entreprises guerrières ont toujours abouti à la captivité. Car ceux qui ont en leur possession un lieu sacré doivent laisser à Dieu le jugement sur toutes choses et mépriser le secours des bras, quand ils savent persuader le Juge d'en haut. Mais qu'avez-vous fait de ce qu'a prescrit notre législateur ? Avez-vous omis un seul des forfaits qu'il a condamnés ? Combien vous êtes plus impies que ceux qui ont été vaincus plus promptement ! Vous n'avez pas négligé les crimes secrets, c'est-à-dire les larcins, les ruses, les débauches ; vous rivalisez entre vous de pillages et de meurtre ; vous frayez même au vice des voies nouvelles : le Temple est devenu le réceptacle de tous les forfaits, et les mains de notre peuple ont souillé cette enceinte divine que même les Romains révèrent à distance, eux qui, par déférence pour votre loi, transgressent beaucoup de leurs propres coutumes. Après cela

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

attendez-vous le secours de Celui que vous avez

profané ? Êtes-vous donc des suppliants dignes d'être entendus ? Est-ce avec des mains pures que vous invoquez votre défenseur ? Fut-ce avec de telles mains que notre roi le supplia contre l'Assyrien, quand Dieu, en une seule nuit, dispersa toute cette grande armée ? Et les actions des Romains ressemblent-elles à celles du roi d'Assyrie au point de vous laisser espérer pareil

secours ? Mais l'un, après avoir reçu de notre roi une somme d'argent contre la promesse de ne pas ravager la ville, a violé ses serments et incendié le Temple les Romains, au contraire, réclament seulement le tribut habituel, que nos pères ont payé aux leurs. S'ils l'obtiennent, on ne les verra ni ravager la ville, ni toucher aux saints lieux : ils vous accorderont le reste, la liberté pour vos familles, la possession tranquille de vos biens et le maintien de vos lois sacrées. C'est folie assurément d'espérer que Dieu traitera la justice comme l'injustice. Il sait d'ailleurs punir soudain, quand cela est nécessaire ainsi, dès la première nuit, il a brisé les Assyriens dans leur camp : si donc il avait jugé notre génération digne de la liberté ou les Romains dignes de châtiment, il eût promptement accablé ces derniers, comme il avait fait pour les Assyriens, soit lorsque Pompée attaqua notre nation, soit quand Sossius s'éleva après lui, soit au temps où Vespasien ravagea la Galilée, soit enfin quand Titus s'approchait de la ville. Cependant le grand Pompée et Sossius non seulement ne souffrirent aucun dommage, mais prirent de force la ville ; Vespasien, de la guerre qu'il nous fit, monta au pouvoir suprême, et quant à Titus, les sources elles-mêmes, desséchées naguère pour vous, coulent pour lui avec plus d'abondance. Vous savez, en effet, qu'avant son arrivée, la piscine du Siloé était tarie, comme toutes celles qui sont situées devant la ville, en sorte que l'on achetait l’eau par amphores ; maintenant, les sources ont un débit si considérable pour l'usage de vos ennemis qu'elles suffisent non seulement à leur entretien et à celui des bêtes de somme, mais à celui des jardins. Ce prodige a déjà été observé précédemment au temps de la prise de la ville[62], quand le Babylonien, dont j'ai déjà

parié, établit son camp près des murs après s'être emparé de la cité, il la brûla avec le Temple, et les Juifs

 

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de cette époque n'avaient pas, me semble-t-il, commis des impiétés aussi affreuses que les vôtres. Je crois donc que Dieu a fui le sanctuaire et réside chez ceux auxquels vous faites maintenant la guerre.

« Un homme de bien fuira loin d'une demeure impure et prendra en horreur ceux qui s'y trouvent, et vous vous imaginez que Dieu reste encore au milieu de vos crimes domestiques, lui qui voit toutes ces choses cachées et entend même ce qu'enveloppe le silence ! Or, chez vous, qu’est-ce qui est tu ou caché ? Quel crime ne s'étale pas, même aux yeux des ennemis ? Car vous faites étalage de vos violations des lois, et chaque jour vous rivalisez à qui sera le pire, exhibant l'injustice comme si c'était la vertu. « Il vous reste cependant une voie de salut, si vous le voulez ; car Dieu se laisse volontiers fléchir par ceux qui avouent et se repentent. O hommes durs comme le fer, jetez vos armes, commencez à prendre pitié de votre patrie qui va à sa ruine, tournez votre esprit et vos regards vers la beauté que vous trahissez, cette ville, ce temple, ces offrandes de tant de nations ! Contre ces nobles choses, qui veut porter la flamme ? Qui désire leur anéantissement ? En est-il qui soient plus dignes d'être salivées, ô cœurs inflexibles et plus inébranlables que les pierres ? Si enfin vous ne jetez pas sur ces objets des regards attendris, ayez du moins pitié de vos familles, ayez tous sous vos yeux vos enfants, votre femme, vos parents, qui bientôt périront par la faim ou par la guerre. Les mêmes dangers menacent, je le sais, ma mère, ma femme, une famille honorée, une maison depuis longtemps illustre ; peut-être croit-on que c'est la raison pour laquelle je vous donne ces conseils. Eh bien ! tuez-les, ou prenez mon sang pour prix de leur salut Moi aussi, je suis prêt à mourir, si ma mort doit avoir pour effet de vous rendre sages ! »

X

Désertions, misère et famine de Jérusalem.

1. Désertion de Juifs. - 2-3. La famine. – 4-5. Traitements infligés aux riches ; misère générale.

1. Pendant que Josèphe criait ainsi en versant des

 

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larmes, les factieux ne fléchissaient pas, estimant qu'il était dangereux de changer d'avis : mais le peuple était poussé à la désertion. Les uns vendaient à très bas prix leurs biens ou ce qu'ils avaient de plus précieux ; les autres avalaient dans de la boisson les pièces d'or, pour les soustraire au pillage des brigands, puis ils fuyaient vers les Romains et alors, quand ils évacuaient, ils avaient les ressources suffisantes pour se procurer le nécessaire. Car Titus en dispersa le plus grand nombre sur les divers points du pays qu'ils choisissaient ; ce traitement même encourageait à la désertion ceux qui voulaient échapper aux misères intérieures sans devenir les esclaves des Romains. Mais les compagnons de Jean et de Simon surveillèrent plus étroitement leurs sorties que les attaques des Romains : toute personne qui éveillait la moindre ombre de soupçon était aussitôt égorgée.

2. D'ailleurs les riches qui restaient couraient les mêmes risques de mort : car, sous prétexte de désertion, leurs richesses les perdaient. Le désespoir des factieux croissait avec la famine : de jour en jour, ces deux terribles fléaux s'exaspéraient. On ne voyait de blé nulle part : les factieux envahissaient les maisons pour y faire des perquisitions ; puis, s'ils trouvaient de la nourriture, ils maltraitaient les propriétaires en prétextant leur refus de la livrer ; s'ils n'en trouvaient pas, ils mettaient ces gens à la torture, pour avoir caché leurs provisions avec trop de soin. Une preuve que ces malheureux possédaient ou non de la nourriture se tirait de l'état de leurs corps ; ceux qui semblaient encore solides passaient pour avoir assez à manger, mais on épargnait ceux qui étaient déjà épuisés, estimant absurde de tuer des gens qui allaient bientôt mourir de faim. Beaucoup échangeaient en secret leurs biens, pour une mesure soit de blé, s’ils étaient assez riches, soit d'orge, s'ils étaient pauvres. Ils s'enfermaient ensuite dans le réduit le plus caché de leurs maisons, où quelques-uns même, poussés par un extrême besoin, prenaient cette nourriture sans l'avoir préparée ; d'autres la cuisaient selon que la nécessité et la crainte le leur permettaient. Nulle part on ne dressait de table, mais on arrachait du feu et l'on déchirait les aliments encore crus.

 

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3. La chère était d'ailleurs à faire pitié et c'était un spectacle bien digne de larmes de voir les plus forts mieux pourvus, les faibles gémissants. La famine triomphe de tous les sentiments et il n'y en a pas qu'elle supprime aussi facilement que le scrupule. Des femmes, des enfants, et, chose triste entre toutes, des mères arrachèrent les aliments de la bouche d'un époux, d'un père, d'un enfant et, quand les êtres les plus chers s'éteignaient dans leurs bras, les ravisseurs n'avaient pas honte de leur enlever jusqu'aux gouttes qui soutenaient leur vie. Mais ils ne purent dissimuler des repas de ce genre : partout les factieux surveillaient même leurs rapines. Chaque fois qu'ils voyaient une maison fermée, ils soupçonnaient que les habitants mangeaient quelque chose aussitôt ils enfonçaient les portes et se précipitaient, arrachant presque des gosiers les reliefs de nourriture. Ils frappaient les vieillards qui s'accrochaient à leurs aliments ; ils traînaient par les cheveux les femmes qui, dans leurs mains serrées, dissimulaient des morceaux. Nulle pitié de la vieillesse ni de l'âge le plus tendre ; ils élevaient dans leurs bras les enfants suspendus à leurs bouchées et les jetaient sur le sol. Ils étaient plus cruels encore contre ceux qui devançaient leur attaque et engloutissaient la nourriture qu'on voulait leur ravir : c'était comme une injustice qu'ils punissaient. Ils inventèrent de terribles méthodes de torture pour arriver à découvrir des aliments, introduisant des graines de vesce dans les parties secrètes des malheureux, leur perçant le fondement avec des baguettes aiguës. Ils imposaient des souffrances, dont le récit seul fait frémir, pour arracher l'aveu de l'endroit où l'on cachait un morceau de pain, une poignée de farine. Mais les bourreaux n'étaient nullement affamés, car leur conduite eût paru moins cruelle s'ils y avaient été poussés par la nécessité ; ils exerçaient leur fureur en amassant des provisions pour les jours à venir et pour leur usage. Quant à ceux qui, pendant la nuit, rampaient jusqu'aux postes des Romains pour cueillir des légumes sauvages et des herbes, les factieux allaient à leur rencontre et, lorsque ceux-ci croyaient déjà avoir échappé aux ennemis, ils leur arrachaient tout ce qu'ils rapportaient ; souvent, ils

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

imploraient, ils invoquaient le redoutable nom de Dieu, suppliant qu'on leur abandonnât quelque parcelle de ce qu'ils avaient pris au péril de leur vie ; mais on ne leur accordait rien et c'était déjà beaucoup pour eux que de ne pas être tués, après avoir été spoliés.

  1. Les gens d'humble condition étaient ainsi maltraités par les gardes ; mais les personnages élevés en dignité et en richesse furent conduits devant les tyrans et mis à mort, les uns sous des accusations mensongères, les autres comme coupables de vouloir livrer la ville aux Romains. Par un expédient très fréquent, il y avait un dénonciateur suborné pour déclarer qu'ils avaient formé le dessein de passer à l'ennemi. Quand un homme était dépouillé par Simon, on l'envoyait à Jean ; pillé par Jean, il passait ensuite aux mains de Simon ; ils buvaient tour à tour le sang de leurs concitoyens et se partageaient les cadavres de ces malheureux. Ces deux hommes se disputaient le pouvoir, mais étaient d'accord dans l'impiété. En effet, celui qui ne faisait pas participer son complice au profit de ces meurtres passait pour un coquin, et celui qui ne recevait rien, comme si on lui ravissait quelque chose, se plaignait du vol qui lésait sa cruauté.
  2. Il est impossible de raconter en détail les forfaits de ces gens, mais, pour le dire brièvement, il n'y a pas de ville qui ait enduré tant de misères, ni de génération qui, dans la suite des temps, ait produit tant de scélératesse. Ils finirent par affecter le mépris pour la race des Hébreux, afin de paraître moins impies contre des étrangers ; ils avouèrent être ce qu'ils étaient en effet, des esclaves, la lie de la populace, l'écume ignoble de la nation. Ce sont eux qui ont ruiné la cité, qui obligèrent les Romains à s'arroger malgré eux l'honneur d'une funeste victoire, et qui ont, pour ainsi dire, attiré sur le Temple l'incendie trop lent. Il est bien vrai que, apercevant de la ville haute l'édifice en flammes, ils n'ont pas montré de douleur, n'ont pas versé de larmes, et ce fut chez les Romains que l'on rencontra ces sentiments. Mais nous parlerons de cela plus tard, à l'endroit convenable, en poursuivant le récit des événements.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

XI

Cruauté des Romains ; revers et succès de Titus.

1-2. Crucifixion de prisonniers Juifs ; Titus fait couper les mains de quelques-uns. - 3. Antiochus Epiphane et les Macédoniens. – 4-5. Jean détruit une partie des travaux romains ; Simon les attaque. - 6. Succès de Titus.

1. Titus poussait les terrassements, bien que les soldats fussent très maltraités par les projectiles lancés du rempart. Il envoya lui-même une section de cavalerie, avec l'ordre de tendre une embuscade aux Juifs qui sortaient par les ravins pour rapporter des vivres. Quelques-uns de ceux-ci étaient des soldats, qui ne se contentaient plus de leurs rapines : mais le plus grand nombre étaient de pauvres gens, que la crainte pour leurs familles empêchaient de faire défection : car ils n’espéraient pas échapper aux factieux, s'ils fuyaient avec leurs femmes et leurs enfants, et ne pouvaient non plus supporter la pensée de les laisser massacrer à leur place par les brigands. La faim les encourageait à tenter des sorties : mais le sort qui les attendait, s'ils réussissaient à se dissimuler, était de tomber aux mains des ennemis. Surpris, la nécessité les poussait à se défendre ; mais, après avoir combattu, ils jugeaient inutile de prier pour leur vie. Fouettés et soumis, avant le supplice, aux traitements les plus cruels, ils étaient crucifiés par les Romains en face du rempart. Aux yeux de Titus, il est vrai, ces souffrances infligées, chaque jour, à cinq cents prisonniers et quelquefois plus encore, paraissaient dignes de pitié ; mais il trouvait peu sûr de renvoyer des gens qui avaient été pris par la force, et il estimait que la garde d'un si grand nombre d'hommes réduirait les surveillants à une véritable captivité. Il ne mit donc le plus souvent aucun empêchement au supplice de la croix, espérant peut-être que les Juifs, à ce spectacle, feraient leur soumission par crainte de subir un traitement pareil, s'ils ne capitulaient pas. Les soldats, qu'excitaient la fureur et la haine, crucifiaient les captifs, en manière de raillerie, de façons différentes, et la multitude des victimes était si grande que l'espace

 

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manquait aux croix, et les croix aux corps.

  1. Mais les factieux, à la vue d'un pareil malheur, furent si éloignés de changer de sentiment qu'au contraire ils en tirèrent argument pour tromper la multitude. En effet, attirant sur le rempart les amis des transfuges et ceux des citoyens qui inclinaient vers la paix, ils leurs montrèrent les supplices que souffraient ceux qui cherchaient un refuge auprès des Romains : ils disaient que les Juifs dont ils s'étaient emparés étaient des suppliants, non des prisonniers de guerre. Ce spectacle retint beaucoup de ceux qui désiraient passer à

l'ennemi, jusqu'au moment où la vérité fut connue ; il y en eut même qui s'enfuirent aussitôt comme vers un châtiment assuré, trouvant un soulagement dans cette mort reçue de la main des ennemis, préférable à celle où conduit la faim. Cependant Titus fit couper les mains à beaucoup de prisonniers, pour qu'ils ne parussent plus être des transfuges, et que la vue de leur malheur leur donnât créance ; puis il les envoya à Simon et à Jean, les engageant à cesser dès ce moment la lutte et à ne pas le contraindre à détruire la ville ; leur repentir tardif assurerait leur propre salut, celui d'une si grande patrie et d'un Temple qui n'était qu’à eux. Entre temps, il faisait le tour des terrassements et excitait l'ardeur des travailleurs, comme si les actes ne devaient pas tarder à suivre les paroles. A cette vue, les Juifs du rempart insultaient César et son père : ils lui criaient qu'ils méprisaient la mort, qu'ils la préféraient noblement à la servitude, qu'ils feraient, aussi longtemps qu'ils respireraient, le plus de mal possible aux Romains ; qu'ils ne se soucient pas de la perte de leur patrie, puisque, comme il dit, ils doivent bientôt périr et que l'univers est pour Dieu un meilleur temple que celui-ci. Ce sanctuaire, d'ailleurs, sera sauvé par Celui qui y réside ; ils l'ont pour allié et se raillent de toutes les menaces que les actes n'accompagnent pas, car l'issue des événements appartient à Dieu. Telles étaient les paroles qu'ils criaient en y mêlant des injures.

  1. Sur ces entrefaites parut Antiochus Epiphane[63],

conduisant une nombreuse infanterie, et autour de lui la troupe dite des Macédoniens : c'étaient des soldats tous

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

du même âge, de haute taille, à peine sortis de l'adolescence, armés et exercés à la mode

macédonienne ; c'est de là que la plupart tiraient leur nom, bien qu'ils n'appartinssent pas de naissance à cette nation. De tous les rois soumis aux Romains, celui de Commagène était assurément le plus prospère, avant d'avoir connu le retour de la Fortune. Lui aussi montra dans sa vieillesse qu'on ne doit appeler aucun homme heureux avant sa mort[64]. C'est alors, durant sa

prospérité, que son fils, qui assistait au siège, exprima son étonnement de voir les Romains hésiter à courir contre le rempart ; car il était lui-même d'un caractère guerrier, naturellement hardi et si vigoureux que ses coups d'audace étaient presque toujours couronnés de succès. A ses propos Titus sourit : « L'effort, dit-il, appartient à tous ». Alors Antiochus s'élança, sans autre préparation, contre le mur, avec ses Macédoniens. Il évita, grâce à sa vigueur et à son adresse, les projectiles des Juifs, en leur répondant à coup de flèches, mais les jeunes gens qui l'accompagnaient furent, à la réserve d'un petit nombre, complètement accablés ; car ils rivalisaient d'ardeur au combat et se piquaient d'honneur, à cause de l'engagement qu'ils avaient pris. Enfin ils reculèrent ; un grand nombre étaient blessés, et ils comprirent à la réflexion que même les vrais Macédoniens, pour être vainqueurs, ont encore besoin de la fortune d'Alexandre.

4. Les Romains, qui avaient commencé les terrassements le douze du mois d'Artémision[65], les achevèrent à

grand peine le vingt-neuf[66], y ayant employé dix-sept

jours d'un travail continu. Car ces quatre terrassements étaient très considérables ; l'un, dirigé contre la tour Antonia, fut élevé par la cinquième légion contre le milieu de la piscine dite du Moineau (Strouthios) ; un autre, à une distance de vingt coudées environ, par la douzième légion. La dixième, assez éloignée des deux autres, était occupée au nord, vers la piscine dite de l'Amandier (Amygdalos). A trente coudées de cette légion, la quinzième élevait sa terrasse près du tombeau du grand-prêtre. Comme on faisait déjà avancer les machines, Jean mina le sol depuis la forteresse Antonia jusqu'aux terrassements, garnit les souterrains d'étais

 

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qui laissaient les travaux romains en l'air, y fit porter du bois enduit de bitume et de poix, et enfin y mit le feu. Quand les étais furent consumés, la mine céda sur un grand nombre de points et les terrassements s'y effondrèrent avec un bruit effroyable. Tout d'abord une épaisse fumée, mêlée de poussière, s'éleva, car l'éboulement avait éteint l'incendie ; mais quand le bois qui l'étouffait fut consumé, la flamme jaillit avec un éclat nouveau. Cette catastrophe soudaine frappa de terreur les Romains ; le découragement s'empara d'eux, à la vue de cette invention, et l'accident survenu quand ils se croyaient déjà victorieux glaça leurs espérances, même pour un avenir lointain. Il leur parut d'ailleurs inutile de lutter contre le feu, car, fût-il éteint, les terrassements n'en étaient pas moins détruits.

5. Deux jours après, Simon et ses compagnons

attaquent aussi les autres terrassements ; car les Romains ayant déjà avancé de ce côté les hélépoles, ébranlaient le rempart. Un certain Jephthaios, du bourg de Garis en Galilée, et Magassar, un des officiers royaux de Mariamme[67], et avec eux un Adiabénien, fils de

Naboth, qui devait encore à une infirmité le surnom de Ceagiras[68], lequel signifie « boiteux », saisirent des

torches et s'élancèrent contre les machines. On ne vit pas dans cette guerre d'hommes plus audacieux et plus terribles que ceux-là sortir de la ville, car, comme s'ils couraient vers des amis, et non contre une troupe d'ennemis, ils n'hésitèrent ni n'obliquèrent, mais bondissant au milieu des ennemis, mirent le feu aux machines. Frappés de traits et de coups d'épée venant de tous côtés, ils ne cherchèrent pas un abri contre les périls avant que les machines ne fussent en feu. Quand les flammes s'élevaient, les Romains accouraient de leurs camps pour porter secours, mais du rempart les Juifs les repoussaient ; ils engageaient une lutte corps à corps contre ceux qui essayaient d'éteindre l'incendie, sans aucun souci de leur propre vie. Les Romains essayaient de tirer des flammes les hélépoles, dont les mantelets supérieurs flambaient ; les Juifs les retenaient au milieu des flammes, attachés au fer brûlant des béliers qu'ils ne lâchaient point. Le feu passa de ceux-ci aux terrassements et devança les efforts des troupes de

 

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secours. A ce moment, les Romains, entourés par l'incendie et désespérant de sauver leurs travaux, se retirèrent dans leurs camps ; les Juifs les pressèrent, et leur nombre s'accroissait sans cesse des renforts venus de la ville. Enhardis par leur victoire, ils se laissaient aller à une fureur désordonnée, et, s'avançant jusqu'aux retranchements des camps, engageaient déjà le combat contre les gardes. Il y a devant un camp romain un poste qui se relève sans cesse, et une loi romaine terrible condamne à mort tout soldat coupable d'avoir abandonné son poste, pour quel que cause que ce soit. Ces soldats, préférant à une punition capitale une mort valeureuse, tinrent tête ; beaucoup de fuyards, à la vue de l'extrémité où leurs compagnons étaient réduits, furent pris de honte et retournèrent au combat. Ils mirent les oxybèles en batterie le long du rempart, pour repousser la multitude qui sortait de la ville, sans aucun souci de sa sécurité ni de sa vie. Car les Juifs luttaient corps à corps contre ceux qu'ils rencontraient, et se précipitant sans précaution sur les javelots, ils frappaient les ennemis avec leurs corps mêmes. Ce qui faisait la supériorité des Juifs, c'était moins leurs actes que leur audace et si les Romains reculaient, c'était plutôt devant cette audace qu'en raison de leurs pertes.

6. Là-dessus Titus arriva ; il venait de la forteresse Antonia, où il s'était rendu pour reconnaître une position propre à d'autres terrassements. Il reprocha énergiquement aux soldats, alors qu'ils étaient déjà maîtres des remparts ennemis, d'être réduits à défendre les leurs : ils subissaient donc eux-mêmes le sort de troupes assiégées, comme s'ils avaient tiré d'une prison et précipité les Juifs contre eux ! Avec l'élite de ses troupes, il attaqua les ennemis sur leurs flancs. Ceux-ci reçurent les coups en face, et, se retournant contre lui continuèrent à combattre. Les rangs se mêlèrent la poussière aveuglait les yeux ; la clameur assourdissait les oreilles, et ni les uns ni les autres ne pouvaient discerner entre amis et ennemis. Ce qui animait la résistance des Juifs, c'était moins désormais leur force que le désespoir où ils étaient de leur salut ; ce qui redoublait la vigueur des Romains, c'était le respect de leur gloire et de leurs armes, joint à la pensée du danger

 

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que courait César au premier rang. Je crois donc qu'ils auraient, dans l'excès de leur fureur, anéanti la multitude des Juifs, si ceux-ci n'avaient devancé l'action décisive en retraitant vers la ville. En voyant les terrassements détruits, les Romains étaient découragés d'avoir perdu en une heure le fruit d'un si long travail ; beaucoup même désespéraient de prendre la ville avec les engins dont ils disposaient.

XII

Conseil de guerre de Titus.

1-2. Conseil de guerre de Titus ; un mur sera construit autour de la ville. - 3-4 Mortalité parmi les assiégés.

1. Titus tint alors conseil avec ses officiers. Les plus ardents étaient d'avis de faire avancer toutes les troupes et de tenter contre le rempart un assaut de vive force jusque-là on n'avait combattu les Juifs que par des actions successives, mais ils ne supporteraient pas l'attaque d'une masse serrée marchant contre eux, et seraient accablés par les projectiles. Les plus prudents conseillaient, les uns de reconstruire les terrassements, les autres de recourir au blocus, même sans le secours de ces fortifications, en se bornant à observer les sorties de la garnison et les convois de vivres : il valait mieux abandonner la ville à la famine et éviter même tout engagement avec les ennemis ; car il est difficile de lutter contre le désespoir de gens qui souhaitent de tomber sous le fer, se voyant réservés, faute de cela, à des souffrances plus atroces. Quant à Titus, il lui paraissait peu honorable de rester complètement inactif avec une si grande armée ; d'autre part, il jugeait superflu de combattre des adversaires qui allaient se détruire les uns les autres. Il insistait aussi sur la difficulté de construire des terrassements, quand on manquait de bois, et la difficulté plus grande encore de se garder des sorties ; car il n'était pas commode de disposer l'armée en cercle autour de la ville, tant à cause de son étendue que des accidents du terrain et cette disposition était d'ailleurs peu propice à repousser les attaques : car si les chemins connus étaient gardés, les Juifs pouvaient

 

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en trouver de dissimulés, que la nécessité et la connaissance des lieux leur enseigneraient ; si des vivres étaient secrètement jetés dans la ville, le siège en subirait un plus grand retard. Il craignait encore que l'éclat de sa victoire ne fût amoindri par la longueur du siège ; le temps, en effet, vient à bout de toute

entreprise, mais c'est la rapidité du succès qui fait la gloire. Il doit donc, s'il veut trouver la sécurité dans la promptitude, entourer d'un mur la ville entière, car c'est le seul moyen d'empêcher toutes les sorties ; les Juifs, désespérant complètement de leur salut, livreront la ville, ou bien, en proie à la famine, ils seront facilement réduits. Lui-même ne restera pas inactif : il donnera ses soins à la reconstruction des terrassements, sous les yeux d'un ennemi affaibli. S'il en est qui estiment ce travail énorme et d'une exécution difficile, ils doivent considérer qu'il ne convient pas aux Romains d'accomplir des oeuvres médiocres et qu'il n'est donné à personne d'obtenir sans effort quelque grand succès.

2. Ce discours persuada les généraux : Titus leur commanda alors de distribuer le travail entre les troupes. Une ardeur extraordinaire s'empara des

soldats ; il n'y eut pas seulement rivalité entre les légions qui s'étaient réparti la construction de l'enceinte, mais entre les diverses sections qui les composaient. Le soldat s'appliquait à satisfaire le décurion, le décurion son centurion, celui-ci son tribun ; la rivalité des tribuns s'étendait aux généraux, et César présidait à cette lutte de bonnes volontés, car, chaque jour, il allait en personne inspecter l'ouvrage. Ce mur, qui commençait au « camp des Assyriens », où Titus lui-même campait, se dirigeait vers la partie basse de la ville neuve, et de là, franchissait le Cédron, vers le Mont des Oliviers ; ensuite, il s'infléchissait au sud, entourant la montagne jusqu'à la roche dite « du Colombier », et à la colline qui s'élève après cette roche, dominant le vallon du Siloé ; puis, s'inclinant vers l'ouest, il descendait vers la vallée de la Fontaine[69]. Ensuite il remontait par le tombeau

du grand-prêtre Ananos[70], entourait la montagne où

Pompée avait dressé son camp, tournait au nord, atteignait un bourg nommé « la maison aux pois chiches », enveloppait le monument d'Hérode et se

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

rattachait, vers l'orient, au camp même du prince, où était son point de départ. Le mur était long de trente-neuf stades ; treize fortins le flanquaient au dehors, et leur circuit total comptait dix stades. La construction fut complètement achevée en trois jours ; ainsi cet ouvrage, qui aurait pu coûter des mois de labeur, s'éleva avec une rapidité incroyable. Titus, après avoir encerclé la ville dans cette muraille et réparti des troupes dans les forts, faisait chaque nuit la ronde et surveillait la première veille ; il confia la seconde à Alexandre[71] ; les

commandants des légions se partagèrent la troisième. Les gardes dormaient à tour de rôle, suivant que le sort les désignait, et parcouraient pendant toute la nuit les secteurs entre les forts.

3. Coupés ainsi du dehors, les Juifs perdaient en même temps toute espérance de salut, tandis que la famine, étendant ses ravages, dévorait dans le peuple maisons et familles. Les terrasses étaient encombrées de femmes et de petits enfants exténués, les ruelles de vieillards

morts ; des garçons et des jeunes gens erraient comme des fantômes, le corps tuméfié. Sur les places, ils tombaient là où le fléau les accablait. Les malades n'avaient pas la force d'ensevelir les cadavres de leurs proches ; ceux qui étaient encore vigoureux différaient ce soin, effrayés par la multitude des cadavres et l'incertitude de leur propre sort ; beaucoup tombaient morts sur ceux qu'ils ensevelissaient ; beaucoup, avant que fût venu pour eux le moment fatal, succombaient dans ce labeur. Parmi tous ces malheurs, il n'y avait ni plaintes, ni gémissements, car la faim étouffait les émotions ; c'est avec des yeux secs et la bouche contractée que les victimes d'une mort lente observaient ceux qui, avant eux, arrivaient au repos. Un silence profond, une nuit où dominait la mort, régnaient sur la ville, et, chose plus affreuse encore, les brigands y exerçaient leurs sévices. Fouillant les maisons, devenues des tombeaux, ils dépouillaient les morts, arrachaient les vêtements qui recouvraient les cadavres ; ils sortaient avec des éclats de rire ; ils éprouvaient la pointe de leurs glaives sur les cadavres, et transperçaient quelques-uns de ces malheureux étendus à terre, mais encore vivants, pour essayer leur fer ; mais si quelqu'un les suppliait de

 

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leur prêter leur main et leur épée, ils l'abandonnaient dédaigneusement à la faim. Tous ces hommes rendaient le dernier souffle en fixant des regards obstinés vers le Temple et en les détournant des factieux qu'ils laissaient en vie. Ceux-ci firent d'abord ensevelir les morts aux frais du trésor public, ne pouvant supporter cette infection ; ensuite, comme ils ne suffisaient plus à cette tâche, ils les jetèrent du haut des remparts dans les ravins.

4. Quand Titus, faisant sa ronde, vit les ravins remplis de cadavres et aperçut l'épaisse sanie qui coulait de ces chairs corrompues, il gémit et, levant les mains, prit à témoin Dieu que ce n'était pas son oeuvre. Telle était la situation de la ville. Quant aux Romains, comme aucun des factieux, déjà envahis par la faim et le découragement, ne les attaquait plus, ils étaient de bonne humeur et recevaient en abondance de Syrie et des autres provinces voisines du blé et des vivres. Plusieurs s'approchaient des remparts et, étalant une quantité de comestibles aux yeux des assiégés, enflammaient par le spectacle de leur abondance la faim des ennemis. Mais comme ces souffrances ne faisaient pas impression sur les factieux, Titus, saisi de pitié pour les restes de la population et désireux d'arracher à la mort les survivants, recommença la construction de terrassements, bien qu'il fût difficile de se procurer du bois, car celui qui avoisinait la ville ayant été complètement coupé pour les travaux précédents, les soldats devaient en apporter d'autre d'une distance de quatre-vingt-dix stades. Ce fut seulement vers la tour Antonia qu'on éleva sur quatre points des terrassements beaucoup plus hauts que les premiers. César parcourait l'emplacement des légions, pressait le travail et montrait ainsi aux brigands qu'ils étaient entre ses mains. Chez ceux-là seuls le repentir de leurs forfaits était mort ils tenaient leur âme séparée, pour ainsi dire, de leur corps, usant de l'un et de l'autre comme d'éléments étrangers[72]. Car la souffrance ne subjuguait pas leur

âme, la douleur ne touchait pas leur corps ; comme des chiens, ils déchiraient le cadavre du peuple et remplissaient de malades les prisons.

 

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XIII

Simon tue Matthias ; Jean pille le Temple ; affreuse famine.

1. Simon tue Matthias. – 2. Il découvre un complot livrer la ville. – 3. Josèphe est blessé. – 4. Sort horrible de déserteurs juifs. – 5. Titus réprimande les troupes alliées. – 6. Jean pille le Temple. – 7. La population indigente meurt en masse.

1. Ce qui est sûr, c'est que Simon ne fit pas mourir Matthias, auquel il avait dû la possession de la ville, sans lui infliger des tourments. Ce Matthias était fils de Boethos, d'une famille de grands-prêtres : il était de ceux en qui le peuple avait le plus de confiance et qu'il estimait le plus. Lorsque la multitude fut maltraitée par les zélateurs auxquels Jean s'était déjà joint. Matthias avait persuadé au peuple d'introduire dans la ville Simon pour la protéger ; il n'exigea de celui-ci aucune convention, ne s'attendant à rien de mal de sa part. Mais quand Simon fut entré et devenu le maître de la ville, il vit en Matthias un ennemi comme les autres et attribua le conseil qu'il avait donné en sa faveur à la simplicité de son esprit. Il le fit alors arrêter, accuser de sympathie pour les Romains, condamner à mort, avec trois de ses fils, sans lui laisser le droit de se défendre. Le quatrième fils, qui devança les poursuites, s'enfuit auprès de Titus. Comme Matthias suppliait qu'on le fit mourir avant ses enfants et sollicitait cette faveur pour prix de ce qu'il lui avait ouvert les portes de la ville, Simon ordonna de le tuer le dernier. Matthias fut donc égorgé après avoir vu massacrer ses fils ; on l'avait conduit en vue des Romains, suivant les instructions que Simon donna à Ananos, fils de Bagadata[73], le plus féroce de ses

gardes ; il disait en plaisantant que peut-être Matthias recevrait ainsi des secours de ceux auprès desquels il avait le dessein de se rendre. Il défendit en outre d'ensevelir les cadavres. Après ces citoyens, on mit à mort le grand-prêtre Ananias, fils de Masbal, un des notables, Aristée, scribe du Conseil[74], natif d'Emmaüs,

et en même temps quinze autres citoyens de distinction.

 

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On enferma et l'on garda en observation le père de Josèphe. Une proclamation défendit toute conversation, tout rassemblement, par peur de trahison ; ceux qui se lamentaient ensemble étaient mis à mort sans procès.

  1. A la vue de ces exécutions, un certain Judas, fils de Judas, qui était un des lieutenants de Simon et avait été chargé par lui de garder une tour, cédant peut-être à un sentiment de pitié pour ces hommes si cruellement massacrés, mais pensant surtout à sa propre sûreté, réunit les plus fidèles de ses subordonnés, au nombre de dix : « Jusqu'à quand, dit-il, lutterons-nous contre ces maux ? Quelle espérance de salut nous reste, si nous sommes fidèles à un scélérat ? N'avons-nous pas déjà contre nous la faim ? Les Romains ne sont-ils pas, ou peu s'en faut, dans nos murs ? Simon est déjà infidèle même à ses bienfaiteurs : n'avons-nous pas à craindre d'être maltraités par lui, alors que la foi des Romains est chose sûre ? Eh bien, en livrant le rempart, nous nous sauverons, nous et la ville. Simon ne souffrira pas trop durement si, désespérant de lui-même, il porte un peu plus tôt la peine qui lui est due ». Ces dix hommes furent gagnés par le discours de Judas, qui, à l'aurore, envoya le reste de ses compagnons de divers côtés, pour ne rien laisser découvrir de ses desseins ; lui-même, à la troisième heure, du haut de sa tour, appela les Romains. Quelques-uns de ceux-ci répondaient par le dédain, d'autres par la méfiance, et presque tous restaient inactifs, persuadés qu'ils allaient, dans peu de temps, prendre sans danger la ville. Sur ces entrefaites, comme Titus s'avançait vers la muraille avec de l'infanterie, Simon, prévenu à temps, le devance, se saisît rapidement de la tour, arrête et tue les hommes, sous les yeux des Romains et, après les avoir mutilés, jette les cadavres au pied de la muraille.
  2. Cependant Josèphe, qui faisait le tour de la ville sans interrompre ses exhortations, fut frappé d'une pierre à la tête ; étourdi, il tomba sans connaissance. Aussitôt les Juifs s'élancent vers son corps, et il eût été promptement traîné dans la ville, si César n'avait vite envoyé des soldats à son secours. Pendant le combat on enleva Josèphe, à peine conscient de ce qui se passait, et les

 

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factieux, croyant avoir tué celui qu'ils souhaitaient le plus de mettre à mort, poussèrent des cris de joie. La nouvelle se répandit dans la ville, et la partie encore épargnée de la multitude fut saisie de découragement, car elle croyait véritablement mort l'homme grâce à qui elle espérait pouvoir passer au parti romain. La mère de Josèphe apprit dans la prison la mort de son fils et dit à ses gardes : « Depuis Iotapata[75], j'en était certaine ; il

ne m'a pas donné de joie de son vivant[76] ». Mais,

gémissant en secret, elle disait à ses servantes qu'elle avait recueilli ce triste fruit de sa fécondité, de ne pas pouvoir ensevelir ce fils dont elle avait espéré recevoir ce dernier office. Cette fausse nouvelle ne tourmenta pas longtemps la mère et ne réjouit pas longtemps les brigands, car Josèphe revint bientôt de ce coup. S'avançant pour crier aux factieux qu'ils ne tarderaient pas à être punis de l'avoir blessé, il encouragea de nouveau le peuple à mettre sa confiance en lui. A sa vue, la multitude sentit du réconfort, tandis que les factieux étaient décontenancés.

4. Cependant, parmi les transfuges, les uns, que pressait la nécessité, s'élançaient bien vite du haut de la

muraille ; les autres, feignant d'aller combattre, tenant des pierres dans les mains, fuyaient aussitôt vers les Romains. Mais un sort, plus terrible que les souffrances endurées dans leurs murs, les attendait au camp ; car l'abondance qu'ils trouvaient chez les Romains causait leur mort plus efficacement que la famine chez eux. Ils arrivaient, par suite de l'inanition, le corps enflé, semblables à des hydropiques ; ensuite, comme ils surchargeaient d'une nourriture, gloutonnement absorbée, leur estomac vide, ils en crevaient, à l'exception de ceux à qui l'expérience avait appris à régler leur appétit, et qui introduisaient peu à peu les aliments dans un corps déshabitué de ses fonctions. Une autre infortune attendait ceux qui étaient ainsi sauvés : un de ces transfuges, réfugié chez les Syriens, fut surpris tandis qu'il recueillait des pièces d'or parmi ses déjections. Ces hommes, en effet, avalaient des pièces d'or dans leur boisson, comme nous l'avons dit[77],

parce que les factieux perquisitionnaient partout et que la ville contenait tant d'or que l'on achetait au prix de

 

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douze drachmes attiques les statères qui en valaient auparavant vingt-cinq. Aussi, quand cet expédient eut été découvert chez un seul de ces fugitifs, le bruit se répandit dans les camps que tous étaient pleins d'or ; sur quoi la foule des Arabes et des Syriens se mirent à ouvrir, pour le fouiller, le ventre des suppliants. Je ne crois pas que les Juifs aient subi de malheurs plus cruels : en une seule nuit, plus de deux mille furent ainsi éventrés.

5. Quand Titus apprit cette horrible chose, peu s'en fallut qu'il ne fit cerner par la cavalerie et tuer à coups de javelots les coupables : mais il fut retenu par le grand nombre de ceux qu'il devait punir, et qui surpassait de beaucoup le nombre des morts. Il appela donc les chefs des troupes alliées et ceux des légions, car on accusait même du crime quelques légionnaires : il déclara qu'il était irrité contre les uns et les autres, voyant quelques-uns de ceux qui servaient sous lui commettre de pareils forfaits pour un profit incertain, sans respecter leurs propres armes, ornées d'argent et d'or. Il est indigné que les Arabes et les Syriens donnent ainsi libre cours à leurs basses convoitises dans une guerre étrangère, indigné aussi qu'ils fassent imputer aux Romains la cruauté dans le meurtre et la haine des Juifs ; car maintenant quelques-uns de ses soldats partagent avec lui-même cette triste réputation. Il les menaça donc de mort, s'il s'en trouvait encore pour oser un tel crime, et il ordonna aux officiers des légions de faire une enquête pour lui envoyer ceux qui seraient soupçonnés. Mais la cupidité, semble-t-il, ne s'effraye d'aucun châtiment, le terrible appétit du gain est inné à l'homme ; aucune passion n'égale en audace la soif d'acquérir. A la vérité, cette passion a par ailleurs des degrés et reste soumise à la crainte ; mais cette fois Dieu avait condamné tout le peuple et faisait tourner à la destruction des Juifs tout moyen de salut. Aussi le forfait que César avait défendu avec menaces était perpétré secrètement contre les transfuges ; avant même qu'ils eussent été vus de tous, les fugitifs étaient égorgés par les barbares qui couraient à leur rencontre : ceux-ci, prenant garde d'être aperçus de quelque Romain, leur fendaient le ventre et tiraient de leurs entrailles cet abominable gain. Ils ne le trouvaient

 

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que chez un petit nombre, et l'espérance seule faisait sacrifier la plupart en pure perte. Cette calamité ramena dans la ville beaucoup de transfuges.

  1. Dès que les dépouilles du peuple manquèrent à Jean, il recourut au pillage sacrilège des objets sacrés, fit fondre un grand nombre d'offrandes du Temple et d'ustensiles nécessaires au culte, vases, plats, tables ; il n'épargna pas même les cratères envoyés par Auguste et son épouse. Car les souverains de Rome avaient les uns après les autres honoré et orné le Temple mais, à ce moment, c'était un Juif qui détruisait les offrandes des étrangers. Jean disait aussi à ses compagnons qu'on pouvait sans scrupule tirer parti des choses divines dans l'intérêt de Dieu, et que ceux qui défendaient le Temple pouvaient s'en nourrir. C'est ainsi qu'il épuisa le vin sacré et l'huile que les prêtres gardaient en réserve, dans le Temple intérieur, pour les holocaustes ; il les distribuait à la multitude qui le suivait, et ceux-ci se frottaient d'huile et buvaient le vin sans la moindre peur. Je veux dire tout de suite ce que la douleur m'inspire : je crois que, si les Romains avaient tardé à punir ces misérables, la ville eût été engloutie dans un abîme ou détruite par une inondation, ou qu'elle eût attiré sur elle la foudre de Sodome ; car elle a produit une race beaucoup plus impie que celle qui a subi ces châtiments, des hommes dont la fureur a entraîné avec elle la ruine de tout un peuple.
  2. Mais à quoi bon raconter en détail ces malheurs ? En ces jours-là, Mannée, fils de Lazare, s'enfuit auprès de Titus et lui dit qu'on avait fait passer par une seule porte, dont la garde lui était confiée, 115.880 cadavres, et cela, depuis le jour où Titus avait établi son camp devant Jérusalem, c'est-à-dire depuis le quatorzième jour du mois de Xanthicos jusqu'au premier du mois de Panemos[78]. Tous les morts appartenaient à la classe

des gens sans ressources ; lui-même n'était pas affecté à cette surveillance, mais comme il distribuait, au nom de l'État, des secours d'argent, il devait nécessairement faire le compte des disparus. Les autres morts étaient ensevelis par leurs parents : la cérémonie consistait à transporter les cadavres hors de la ville et à les

 

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abandonner. Après Mannée arrivèrent beaucoup de transfuges : c'étaient des personnages de condition, d'après lesquels la totalité des cadavres de pauvres, jetés hors des portes, s'élevait à 600.000 ; le nombre des autres ne pouvait être déterminé. Ils ajoutèrent que, comme on n'avait plus la force d'enlever les cadavres des pauvres, on les entassait dans les maisons les plus vastes, qui étaient ensuite fermées. On vendait, dirent-ils encore, la mesure de blé un talent ; quand il ne fut plus possible de cueillir de l'herbe, la ville étant entourée d'une enceinte fortifiée, plusieurs, pressés par le besoin, en vinrent à fouiller les ruisseaux et les excréments déjà anciens des bœufs, pour s'alimenter de ces déchets ; ce que leurs yeux n'eussent pu supporter autrefois devenait leur nourriture. Les Romains, en apprenant ces horreurs, furent saisis de pitié, mais les factieux, qui les avaient sous les yeux, n'éprouvaient aucun regret ; ils acceptaient même pour eux de pareilles calamités, aveuglés par le Destin qui déjà s'appesantissait sur eux et sur la ville.

  1. Ou Chelcias ; la version latine porte Chelicae.
  2. Texte incertain.
  3. Légions V, X et XV ; voir liv. III, IV, 2
  4. Voir liv. II, XXVIII, 9.
  5. Voir liv. IV, X, 6.
  6. Peut-être Gibâth Saul (I Sam. XI, 4 , XV, 34).
  7. On croit retrouver cette localité au nord de Jérusalem, à Tell-el-Ful.
  8. A l'angle N.-O. du troisième mur ; voir plus loin, IV, 9.
  9. Reine d'Adiabène convertie au judaïsme (Antiq., XX, 17).
  10. C'est la première fois que Titus est appelé ainsi (Niese).
  11. Texte traduit selon la lecture d’Herwerden.
  12. On ne sait ce que c’est.
  13. Peut-être Birket Mamilla, à l’O. de la ville.
  14. Voir plus haut en II, 2.
  15. C’est encore à cette tour que s'appuie l'enceinte actuelle de Jérusalem à partir de la porte de Jaffa ou Bab-el-Khalib (F. de Saulcy, Voyage en Terre-Sainte, I. p. 51).
  16. Ophel, Jérémie, III, 2.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

  1. Le texte porte par erreur « fille » ; il a été corrigé par Hudson (R. H.).
  2. Voir liv. II, XIX, 4.
  3. Les chiffres donné par Josèphe sont généralement exagérés ; il n'a rien mesuré et parle de mémoire.
  4. Phasaël, Hippikos et Mariamme.
  5. Voir liv. I, XXII, 5.
  6. Texte incertain, avec deux mots vides de sens.
  7. Tout ce qui suit peut être contrôlé par des ouvrages spéciaux, notamment celui du marquis de Vogué. Voir aussi Perrot et Chipiez, Histoire de l'art, tome IV. Le chap. 3 du livre VIII des Antiquités traite du même sujet ; on renvoie ici à la traduction et aux notes de ce chapitre.
  8. Une de ces pierres a été découverte en 1871 par Ch. Clermont-Ganneau.
  9. Tout cela n’est pas clair. Outre la description de Josèphe nous avons celle d’un traité dit Middot (Mesures) dans la

Mischna ; elles ne sont guère d’accord. Voir la note de Thackeray, t. III, p. 254.

  1. Frère du philosophe Philon, alabarque d'Alexandrie et père de Tiberius Alexander.
  2. Texte et sens incertains.
  3. Vitis aurea templo reperta, (une vigne d’or fut trouvée dans le temple) Tacite, Hist., V, 5.
  4. Déjà dit ; il y a peut-être interpolation.
  5. Voir Antiquités, liv. III, VII, 7.
  6. Ibid., VI, 7.
  7. Ibid., VI, 6.
  8. Ibid., VII, 7.
  9. Cf. Antiquités, liv. XV, XI, 1 et les notes. Les chiffres donnés ici paraissent excessifs.
  10. Cf. Deutéronome, XXVII, 5.
  11. Voir plus haut, V, 2.
  12. Voir Antiquités, liv. III, VII, 1 et suiv., et les notes.
  13. Voir plus haut, V, 4.
  14. Voir Antiquités, liv. III, VII, 5.
  15. Josèphe fait évidemment allusion au tétragramme ou nom sacré du dieu des Juifs (Cf. Ant., liv. III, VII, 6) ; s'il qualifie les lettres de voyelles, c'est peut-être au point de vue de ses lecteurs païens (IAVE).
  16. Voir plus haut, IV, 2.
  17. L'ouvrage ainsi promis par Josèphe ne nous est pas parvenu à moins qu'il n'ait annoncé ainsi les Antiquités Judaïques, postérieures à la Guerre.
  18. Voir liv. IV, IV, 2, qui n’est pas d’accord avec liv. IV, VI, 1.
  19. Plus haut., I, 5.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

  1. Plus haut, II, 4
  2. Ha-eben, la pierre, par calembour Habben, le fils (Reland). La correction en « le trait part » proposée par Hudson, est inutile. Thackeray rappelle à propos les noms de Black Maria et John Johnson donnés par les Anglais, en 1914, aux projectiles allemands. Les Français n'ont pas oublié la Grosse Valérie du Mont Valérien en 1870, ni la Bertha qui tirait sur Paris en 1918.
  3. 27 mai 70.
  4. Voir liv. II, XIX, 4.
  5. Lieu où avait campé, disait-on, Sennachérib (II Rois, 18, 17).
  6. Alexandre Jannée. 104-78 av. J.-C. On ignore l'emplacement de ce tombeau.
  7. Jean Hyrcan, 135-105 av. J.-C.
  8. Ce récit d'une prouesse de soldat est suivi de beaucoup d'autres dont Josèphe ne peut avoir été témoin.
  9. 30 mai 70.
  10. Josèphe néglige systématiquement l'exaltation produite alors dans les esprits par les prédictions messianiques dont même les auteurs païens ont eu connaissance ; voir W. Weber, Josephus und Vespasian, Berlin, 1921.
  11. Voir liv. III, VII, 34.
  12. Voir la fin du discours d’Agrippa : liv. II, XVI, 4.
  13. Josèphe, d'après quelque aggada perdue, prend ici de singulières libertés avec le texte biblique.
  14. Genèse, XIV, 14.
  15. Il s'agit des Philistins (I Samuel, v. 1 et suiv.)
  16. II Rois, IV, 19.
  17. II Rois, IV, 25 et Jérémie, XXXIX.
  18. Il n'y a pas d'autre mention de ce prodige.
  19. Fils du Roi de Commagène, Antiochus IV.
  20. Parole de Solon dans Hérodote, I, 32.
  21. 30 mai 70.
  22. 16 juin 70.
  23. Fille d'Agrippa I, sœur d'Agrippa II.
  24. Arménien haggera, boiteux.
  25. Probablement Siloam.
  26. Annanus fils de Sethi : Antiquités XVIII, 26.
  27. Tiberius Alexander, souvent nommé.
  28. Le sens de cette phrase est douteux.
  29. Voir sur ce personnage : liv. VI, IV, 2.
  30. Il s’agit du Sanhédrin.
  31. Voir liv. III, IX, 5. La mort de Josèphe avait couru lors de la prise de cette ville.
  32. Le sens de ce passage est incertain.
  33. Plus haut, X, 1.
  34. 20 juillet 70.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre V (traduction)

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

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texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER FLAVIUS JOSÈPHE

Guerre des juifs.

GUERRE DES JUIFS

Flavius Josèphe

Traduction de René Harmand

Agrégé de l’Université, professeur au lycée de Nancy

Révisée et annotée par Théodore Reinach Membre de l’Institut

1911

Ernest Leroux, éditeur - Paris

LIVRE VI

Depuis l'achèvement des travaux romains jusqu'à la prise de la ville.

I

Chute de la tour Antonia ; violents combats.

1-2. Les Romains achèvent leurs travaux. - 3. Attaque manquée des Juifs. - 4. Chute d'Antonia. - 5. Allocution de Titus. - 6. Sabinus escalade le rempart. - 7. Combat de nuit. - 8. Le centurion Julianus.

1. Ainsi les maux de Jérusalem empiraient de jour en jour, car les échecs redoublaient l'ardeur des factieux et la faim commençait à les consumer eux-mêmes, comme le peuple et après lui. Le nombre des cadavres

amoncelés dans la ville était effroyable ; ils répandaient

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

des exhalaisons pestilentielles, qui faisaient obstacle aux sorties des combattants : car ceux-ci devaient, comme s'ils s'avançaient sur un champ de bataille couvert de carnage[1], fouler aux pieds des corps. Pourtant, ceux

qui marchaient sur les cadavres n'éprouvaient ni terreur ni pitié ; ils ne considéraient pas comme un présage sinistre pour eux-mêmes cet outrage fait aux morts ; ils couraient, les mains souillées du meurtre de leurs concitoyens, lutter contre les étrangers, reprochant à Dieu, à ce qu'il semble, la lenteur du châtiment qu'ils méritaient ; car ce n'était plus l'espérance de la victoire, mais le désespoir de leur salut qui les excitait à lutter encore. Quant aux Romains, malgré les nombreuses difficultés qui s'opposaient au transport du bois de construction, ils achevèrent leurs terrassements en vingt et un jours, après avoir rasé, comme nous l'avons dit[2],

la région entière qui entourait la ville jusqu'à une distance de quatre-vingt-dix stades. Le spectacle de cette terre inspirait la pitié ; les endroits jadis ornés d'arbres et de jardins étaient dévastés sur toute leur étendue et déboisés ; aucun étranger ayant vu autrefois la Judée et les superbes environs de la ville ne pouvait contempler cette dévastation récente sans gémir, sans pleurer sur ce complet changement. La guerre avait détruit toutes les traces de la beauté passée ; celui qui eût été soudain mis en présence de cette contrée, après l'avoir vue autrefois, ne l'aurait pas reconnue ; tout proche de la ville, il l'eût cherchée.

2. L'achèvement des terrasses inspira d'abord aux Romains et aux Juifs des craintes égales, car ceux-ci s'attendaient à la ruine de la ville, au cas où ils ne les incendieraient pas encore une fois, et ceux-là désespéraient de prendre désormais Jérusalem, si ces nouveaux retranchements étaient détruits. En effet, le bois manquait ; le corps des soldats n'était plus en état de supporter leurs fatigues, ni leur âme leurs échecs successifs. Même la détresse de la ville causait plus de découragement aux Romains qu'aux citoyens qui l'habitaient. Les Romains ne trouvaient pas plus de mollesse chez des hommes qui combattaient au milieu de si grandes souffrances : ils savaient à tout moment leurs espérances se briser, voyant leurs terrassements

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

céder aux ruses de l'ennemi, les efforts de leurs machines à la solidité des murs, leurs engagements corps à corps à l'audace de leurs adversaires dans la mêlée. Surtout, ils observaient que les Juifs gardaient leur fermeté d'âme au milieu des factions, de la disette, de la guerre et de si grandes calamités. Ils pensaient que l'ardeur de pareils hommes était invincible, que leur assurance dans le malheur était indomptable. Quels efforts ne soutiendraient-ils pas, s'ils étaient favorisés de la Fortune, eux à qui les misères mêmes ajoutaient des forces ? C'est pour cela que les Romains fortifiaient encore plus les postes de gardes, établis sur les terrassements.

3. Cependant Jean et ses compagnons, du côté de la forteresse Antonia, veillaient à l'avenir et prenaient leurs sûretés contre la destruction du mur. Ils attaquèrent les travaux avant que les béliers fussent mis en batterie. Pourtant ils ne vinrent pas à bout de leur entreprise, car, s'étant élancés avec des torches, ils durent battre en retraite, sans avoir pu approcher des terrassements, leurs espérances refroidies. D'abord, leur plan ne semblait pas bien concerté ; ils s'élançaient par petits groupes, successivement, avec une hésitation née de la crainte, en un mot, pas à la manière des Juifs. Il leur manquait à la fois les traits propres de la nation : à savoir l'audace, l'ardeur, l'élan, la cohésion, l'habitude de ne point reculer même en cas d'insuccès. Ils s'avancèrent donc, moins ardents que de coutume, et trouvèrent dans les rangs des Romains plus de force qu'à l'ordinaire. Leurs corps et leurs armures formaient devant les terrassements une barricade si solide qu'ils ne laissaient nulle part un intervalle pour y introduire les brandons ; ils s'étaient d'ailleurs tous fortifiés dans la résolution de mourir plutôt que de lâcher leur poste. En effet, outre que toutes leurs espérances seraient détruites, si leurs travaux étaient de nouveau incendiés, les soldats éprouvaient un cruel sentiment de honte à la pensée d'une victoire complète remportée par la ruse sur le courage, par le désespoir sur la force des armes, par une multitude sur des soldats aguerris, par des Juifs sur des Romains. En même temps, leurs machines de traits entraient en jeu, atteignant ceux des Juifs qui

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

bondissaient en avant ; l'homme qui tombait devenait un obstacle pour le suivant, et le péril de poursuivre leur course faisait faiblir les autres. De ceux qui parvinrent en courant à l'intérieur de la ligne des projectiles, les uns étaient effrayés, avant d'en venir aux mains, par le bel ordre et les rangs serrés des ennemis, les autres étaient piqués par le fer des lances[3]. Tous faisaient

prompte retraite, s'accusant mutuellement de couardise, sans avoir obtenu de résultats. Cette tentative eut lieu le premier jour du mois de Panemos[4]. Quand les Juifs se

furent ainsi retirés, les Romains firent avancer les hélépoles ; du haut de la tour Antonia, les Juifs lançaient sur eux des pierres, du feu, du fer et tous les projectiles que le besoin leur faisait employer. Car, malgré la grande con-fiance qu'ils avaient dans le rempart et leur mépris des machines, ils empêchaient par tous les moyens les Romains de les mettre en batterie. Ceux-ci, de leur côté, croyaient que l'effort des Juifs pour repousser les coups loin de la tour Antonia n'avait d'autre cause que la faiblesse du rempart ils avaient l'espoir d'en trouver les fondations à demi ruinées, et redoublaient d'ardeur. Cependant les battements du bélier ne cessaient pas malgré la grêle incessante de traits, les Romains ne reculaient devant aucun des dangers qui les menaçaient du sommet de la tour, mais assuraient l'action des hélépoles. Quand ils virent qu'ils avaient pourtant le dessous et que les pierres les écrasaient, un groupe d'autres soldats, élevant leurs boucliers au-dessus de leurs corps, creusèrent les fondations de la tour avec leurs mains et à l'aide de leviers ; ils descellèrent ainsi, au prix de grands efforts, quatre blocs de pierre. La nuit interrompit les hostilités : mais pendant la nuit le mur, battu par les béliers, s'écroula soudain à l'endroit où Jean avait pratiqué une mine, dans l'adroite tentative qu'il avait dirigée contre les premiers terrassements : la mine avait cédé.

4. Cet accident produisit dans les deux partis des sentiments singuliers, car les Juifs, chez qui le découragement eût été naturel, prirent confiance parce qu'Antonia restait debout, parce que la chute du mur n'avait pas été inattendue pour eux, parce qu'ils s'étaient

 

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prémunis contre cet événement en revanche, la joie des Romains devant cet écroulement fut bientôt atténuée, à la vue d'un second mur que les compagnons de Jean avaient élevé à l'intérieur, derrière le premier. Il est vrai qu'une nouvelle attaque contre ce mur paraissait plus aisée que la précédente, car l'escalade serait facilitée par les décombres, et l'on croyait ce mur moins solide que celui de la forteresse. Construction provisoire, il devait bientôt céder ; cependant nul n'osait y monter, car la mort était inévitable pour ceux qui s'y risqueraient les premiers.

5. Titus, pensant que l’espérance et les discours excitent le mieux l'ardeur des combattants, que les exhortations et les promesses font souvent oublier les dangers, parfois même font mépriser la mort, réunit les soldats les plus vaillants et fit ainsi l'épreuve de leur courage : « Camarades, dit-il, exhorter à une action qui ne comporte pas de danger immédiat, est chose sans gloire pour ceux qu'on exhorte et peu honorable pour celui qui prend la parole. Seules les entreprises hasardeuses réclament une exhortation, car, pour les autres, il convient qu'on les accomplisse spontanément. Aussi vous avouerai-je d'abord que l'escalade du mur est difficile, mais qu'il appartient surtout à des hommes épris de vertu de combattre des difficultés ; qu'une mort glorieuse est belle, et que la noblesse de l'action ne doit pas rester sans récompense pour ceux qui s'y risquent les premiers ; voilà ce que je veux vous assurer. Ce qui doit être pour vous un stimulant, et ce qui peut-être en découragerait d'autres, c’est la patience éprouvée des Juifs et leur constance au milieu des revers ; car il serait honteux que des Romains, que mes soldats, qui, en paix, ont été instruits de l'art de la guerre et se sont fait, en guerre, une habitude de la victoire, fussent inférieurs aux Juifs pour la force des bras ou de l'âme, et cela quand la victoire s'achève, quand ils ont la Divinité avec eux. Car nos échecs sont dus seulement au désespoir des Juifs, et leurs malheurs s'accroissent par vos vertus et l'assistance divine. La sédition, la famine, le siège, ces murs qui tombent sans l'aide des machines, de quoi cela peut-il témoigner sinon de la colère divine contre les Juifs et de la protection que Dieu nous donne ? Ainsi,

 

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nous laisser vaincre par ceux qui ne nous valent pas, et surtout trahir l'alliance divine, voilà ce qui serait indigne de nous. Pour les Juifs, la défaite n'est pas une honte, car ils ont déjà connu la servitude ; et cependant, pour s'y soustraire, ils méprisent la mort, ils s'élancent contre nous, non qu'ils espèrent vaincre, mais pour faire

montre de leur courage. Quelle disgrâce ce serait pour nous, maîtres de presque toute la terre et de la mer, pour vous à qui c'est déjà un opprobre de ne pas

vaincre, si vous ne risquiez pas une seule attaque contre les ennemis, si vous restiez oisifs, avec des armes si puissantes, attendant l’œuvre de la famine et de la Fortune pour les abattre, alors qu'un coup d'audace, sans trop de péril, peut vous assurer un plein succès ! Si donc nous faisons l'escalade de la forteresse Antonia, la ville sera à nous ; car même à supposer, ce que je ne crois pas, qu'il faille encore livrer, à l'intérieur un combat contre les Juifs, l'occupation des hauteurs et le poids dont nous pèserons sur les poitrines ennemies nous promettent une complète et rapide victoire.

« Pour moi, je m'abstiens maintenant de célébrer la mort au champ d'honneur et l'immortalité de ceux qui succombent en proie à la fureur de la guerre ; je

souhaite seulement à ceux qui pensent autrement de mourir de maladie pendant la paix, eux dont l'âme est condamnée à la tombe en même temps que le corps. Car quel homme brave ignore le sort des âmes que le fer sépare de la chair sur le champ de bataille ? L'éther, le plus pur des éléments, leur donne l'hospitalité, et une place parmi les astres ; elles se révèlent à leur postérité comme de bons génies et des héros bienveillants ; mais les âmes qui se sont consumées dans des corps malades et en même temps que ceux-ci, fussent-elles le plus exemptes possible de taches et de souillures, sont anéanties dans la nuit souterraine, plongées dans un profond oubli ; leur vie, leur corps et leur souvenir trouvent une fin commune. Si d'ailleurs la mort est inéluctable pour tous les hommes, le fer en est un ministre moins cruel que la maladie. Quelle lâcheté n'est-ce donc pas de refuser au bien public ce que nous devrons à la nécessité !

« Je viens de vous parler comme si les auteurs de cette tentative devaient inévitablement périr ; mais les

 

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hommes valeureux peuvent se tirer même des circonstances les plus critiques. Car, d'abord, la brèche se prête à l'escalade ; puis, toute la partie récemment construite est facile à détruire. Vous êtes plus nombreux ; agissez donc avec audace, vous prêtant les uns aux autres confiance et soutien, et bientôt votre fermeté brisera le courage des ennemis. Peut-être même obtiendrez-vous le succès sans répandre votre sang, dès les premières tentatives ; il est vraisemblable qu’en vous voyant monter, les Juifs s'efforceront de vous arrêter ; mais si vous échappez à leur surveillance[5] et si vous

vous frayez une fois un chemin, il se peut que leur résistance s'effondre, quand même vous n'auriez été que peu à l'éluder. Quant à celui qui montera le premier, j'aurais honte de ne pas faire de lui un homme enviable, chargé d'honneurs ; le survivant commandera désormais à ceux qui sont maintenant ses égaux, et ceux qui tomberont seront suivis dans la tombe du prix réservé à la valeur[6] ».

6. Telles étaient les paroles de Titus. Tandis que la multitude hésitait devant la grandeur du péril, un certain Sabinus, soldat des cohortes, Syrien de naissance, montra l'excellence de son courage et de son bras. A le voir, à le juger d'après l'apparence, on ne l'eût pas même pris pour un soldat moyen. Il était noir de peau, maigre, émacié ; mais une âme héroïque habitait ce petit corps, d'une gracilité disproportionnée à sa vigueur. Il se leva donc le premier : « C'est avec empressement, César, dit-il, que je me donne à toi. Je serai le premier à gravir la muraille. Et je prie que ta fortune accompagne ma force et ma volonté ; si une Némésis me refuse le succès, sache que je n'en serai pas surpris, mais que j'ai choisi délibérément de mourir à ton service ». Ayant ainsi parlé, il étendit de sa main gauche son bouclier au-dessus de sa tête, tira son glaive de la droite et marcha vers le mur, exactement à la sixième heure du jour, suivi de onze autres, les seuls qui voulussent rivaliser avec son courage. Il les guidait tous, comme animé d'une ardeur surhumaine. Cependant les gardes du mur lançaient contre eux des javelots, les accablaient de toutes parts d'innombrables traits, faisaient rouler d'énormes blocs de pierre qui

 

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entraînèrent quelques-uns des onze ; mais Sabinus, faisant face aux projectiles, et couvert de traits, n'arrêta pas son élan avant d'avoir atteint le sommet du mur et mis en fuite les ennemis. Les Juifs, frappés d'effroi devant sa vigueur et son intrépidité, croyant aussi que plusieurs autres étaient montés avec lui, prirent la fuite. C'est ici que l'on pourra blâmer la Fortune comme envieuse des vertus et toujours prête à arrêter le succès des entreprises extraordinaires. Au moment même où cet homme avait réalisé son dessein, il glissa, heurta une grosse pierre et, avec un grand fracas, tomba la tête en avant sur elle alors les Juifs se retournèrent, et le voyant seul, étendu sur le sol, ils le frappèrent de toutes parts. Il s'était redressé sur un genou, et, s'abritant sous son bouclier, se défendit d'abord et blessa beaucoup de ses adversaires qui l'approchaient mais bientôt, accablé lui-même de blessures, il laissa tomber son bras et enfin, avant de rendre l'âme, fut enseveli sous une nuée de traits. La bravoure de ce soldat le rendait assurément digne d'un meilleur sort ; mais sa fin fut bien en rapport avec l'audace héroïque de son entreprise. Quant à ses compagnons, trois, qui approchaient déjà du sommet, furent écrasés et tués à coup de pierres ; huit furent rejetés en bas et blessés ; on les rapporta au camp. Ces événements se passèrent le 3 du mois du Panemos[7].

7. Deux jours après, vingt gardes, en sentinelle sur les terrassements, se réunirent, s'adjoignirent le porte-enseigne de la cinquième légion, deux cavaliers des cohortes et un trompette. A la neuvième heure de la nuit, ils s'avancent doucement à travers les ruines de la brèche vers la tour Antonia, massacrent les premiers gardes qu'ils trouvent endormis, occupent la muraille et ordonnent au trompette de sonner. A ce bruit, les autres gardes s'éveillent soudain et s'enfuient, avant que nul d'entre eux eût pu distinguer le nombre des assaillants : car leur effroi et le son de la trompette leur firent supposer qu'une multitude d'ennemis avait escaladé le mur. César, entendant le signal, fait prendre rapidement les armes à ses troupes, et monte le premier avec ses officiers, entouré de ses soldats d'élite. Les Juifs s'étaient enfuis dans le Temple ; les Romains tentaient aussi d'y pénétrer par la mine que Jean avait fait creuser contre

 

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les premiers terrassements. Les factieux des deux troupes de Jean et de Simon, séparés en deux corps, s'efforcèrent de repousser les Romains, avec une force et une ardeur qui ne laissaient rien à désirer : car ils estimaient que l'entrée des Romains dans le sanctuaire marquerait la prise complète de la ville, tandis que les Romains y voyaient le prélude de la victoire. Un violent combat se déchaîna donc autour des portes, les uns s'efforçant de conquérir le sanctuaire même, les autres les refoulant du côté de la tour Antonia. Ni les uns ni les autres ne pouvaient se servir de traits ou de javelots ; tirant leurs épées, Romains et Juifs luttaient corps à corps. La mêlée fut telle qu'on ne pouvait absolument discerner dans quel parti chacun combattait : les hommes se heurtaient confusément, intervertissaient leurs rangs dans un étroit espace et la clameur immense qui s'élevait était indistincte par sa violence même. Des deux parts, le massacre fut grand : les corps de ceux qui tombaient et leurs armures étaient foulés, écrasés aux pieds des combattants. Continuellement, de quelque côté que le flot de la guerre se tournât, on entendait les cris de triomphe des vainqueurs, exhortant leurs camarades, et les gémissements des vaincus. On n'avait de place ni pour la fuite ni pour la poursuite : des flux et des reflux égaux passaient dans les lignes confuses de la mêlée. Ceux qui étaient en avant se trouvaient dans la nécessité de tuer ou d'être tués : il n'y avait pas moyen d'échapper, car les autres des deux partis, par derrière, poussaient devant eux leurs compagnons, ne leur laissant pas même l'espace nécessaire pour frapper. Cependant la fureur des Juifs l'emporta sur l'expérience des Romains, dont les lignes commençaient déjà à fléchir sur tous les points. Le combat avait duré depuis la neuvième heure de la nuit jusqu'à la septième du jour. Les Juifs, en masses épaisses, puisaient dans le péril de la ville un surcroît de courage ; les Romains ne disposaient que d'une partie de leurs forces, parce que les légions, espérance des combattants romains, n'avaient pas encore franchi l'enceinte. Il parut prudent, à ce moment, de s'en tenir à l'occupation d'Antonia.

8. tu certain Julien, centurion bithynien, homme assez distingué de naissance, le plus remarquable de tous

 

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ceux que j’aie connus, au cours de cette guerre, pour son expérience des armes, sa vigueur et son ferme courage, s’aperçut que les Romains commençaient à reculer et à se défendre mollement ; il se tenait alors près de Titus sur l'Antonia. Il s'élance et à lui seul repousse les Juifs déjà vainqueurs jusqu'à l'angle du Temple intérieur. La multitude fuyait en rangs pressés, croyant que tant de force et d'audace étaient surhumaines. Et lui, bondissant ça et là au milieu des ennemis qu'il dispersait, égorgeait ceux qu'il pouvait atteindre ; aucun spectacle ne parut plus étonnant à César, plus terrible aux autres. Mais Julien, lui aussi, fut poursuivi par la fatalité, à laquelle nul mortel n'échappe. Portant, comme tous les autres soldats, des sandales munies de nombreux clous pointus, il glissa en courant sur la mosaïque et tomba à la renverse en faisant résonner bruyamment ses armes. Les fuyards se retournèrent : les Romains de la tour Antonia, effrayés pour le centurion, poussèrent un cri d'angoisse, tandis que les Juifs, l'entourant en nombre, le frappaient de toutes parts à coups de piques et d'épées. Julien reçut souvent sur son bouclier les atteintes du fer ennemi : à plusieurs reprises, il essaya de se relever, mais fut rejeté par la foule des assaillants. Etendu comme il était, il n'en blessa pas moins un grand nombre de la pointe de son épée ; car il ne fut pas tué promptement, étant protégé par son casque et sa cuirasse qui abritaient les parties les plus vulnérables et rentrant le cou dans l'armure. Enfin, quand tous les membres furent hachés, comme personne n’osait lui porter secours, il s'effondra. César éprouva une cruelle douleur en voyant mourir un homme si distingué, sous les yeux d'un si grand nombre de soldats. La disposition des lieux empêchait l'empereur de venir à son aide, malgré son désir ; ceux qui le pouvaient furent retenus par la crainte. C'est ainsi que Julien, subissant une mort très lente, fut égorgé à grand'peine ; il laissait d'ailleurs peu d'adversaires qui ne fussent blessés. Il laissait aussi un souvenir très honorable, non seulement aux Romains et à César, mais à leurs ennemis. Les Juifs enlevèrent son corps, repoussèrent de nouveau les Romains et les enfermèrent dans l'Antonia. Du côté des Juifs, ceux qui se distinguèrent surtout dans ce combat furent Alexas et

 

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Gypthéos, qui appartenaient à l'armée de Jean ; parmi les compagnons de Simon, Malachie, Judas, fils de Merton, Jacob fils de Josas, chef des Iduméens ; parmi les zélateurs, deux frères, fils d'An, Simon et Judas.

II

Malgré Josèphe et Titus, le parti de résistance l’emporte ; incendie des protes du Temple.

1-2. Discours de Josèphe aux Juifs ; nombreuses désertions. – 3. Le parti de la résistance l'emporte. - 4. Titus adresse un appel aux Juifs. - 5-6. Attaque nocturne des Romains. - 7. Nouveaux travaux romains. - 8. Offensive des Juifs. - 9. Incendie des portiques du Temple. - 10. Combat singulier d'un Juif et d'un Romain.

1. Titus ordonna aux troupes qu'il avait avec lui de saper les fondements de l'Antonia, et de préparer ainsi pour toute l'armée une escalade facile. Lui-même fit venir Josèphe, car il savait que ce jour-là, qui était le dix-septième de Panemos[8], le sacrifice appelé « perpétuel »

n'avait pu, faute d'hommes, être offert à Dieu et que le peuple en était vivement contristé. Titus lui ordonna donc de redire à Jean ce qu'il lui avait déjà lait savoir : « S'il avait encore quelque mauvais désir de combattre, il pouvait s'avancer pour livrer bataille avec autant de soldats qu'il voudrait, sans perdre, en même temps que lui, la ville et le Temple. Surtout, qu'il cesse de souiller le sanctuaire et d'offenser Dieu ! César lui permet de célébrer les sacrifices qui restent en suspens, avec ceux des Juifs qu'il voudra choisir ». - Alors Josèphe, pour se faire entendre, non seulement de Jean, mais du plus grand nombre, proclama en hébreu le message de

César ; il supplia longuement les Juifs d'épargner leur patrie, d'écarter le feu qui déjà menaçait le Temple, et d'offrir à Dieu les sacrifices d'expiation. Le peuple l'entendait dans l'abattement et le silence, mais le tyran [Jean] chargea Josèphe d'injures et de malédictions, et ajouta enfin qu'il ne redouterait jamais la prise de la ville, puisqu'elle appartenait à Dieu.

Josèphe s'écria alors : « Tu l'as donc gardée à Dieu toute

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

pure, et le sanctuaire reste sans souillure ! Tu n'as commis aucune impiété contre Celui dont tu espères le secours, et qui reçoit les sacrifices accoutumés ! Si quelqu'un, ô le plus scélérat des hommes, t'enlève ta nourriture quotidienne, tu le considères comme un ennemi : et ce Dieu même que tu as privé de son culte perpétuel, tu espères qu'il t'assistera dans la lutte ! attribues-tu donc tes crimes aux Romains, qui, maintenant encore, ont le souci de nos lois, et s'efforcent de faire rendre à Dieu les sacrifices dont tu as interrompu le cours ? Qui ne gémirait, qui ne plaindrait la ville d'une si extraordinaire inversion des rôles, quand des étrangers, des ennemis corrigent ton impiété, alors que toi, un Juif nourri dans nos lois, tu te montres plus hostile à elles que ceux-là ?

« Et pourtant, Jean, il n'est pas honteux de se repentir de ses crimes, même dans l'extrême péril. Si tu veux sauver la patrie, tu as sous les yeux le bel exemple du roi des Juifs, Jéchonias, qui jadis, ayant attiré sur lui l'envahisseur babylonien, sortit de la ville de son plein gré, avant qu'elle fût prise, et souffrit, avec sa famille, une captivité volontaire, pour ne pas livrer aux ennemis ces objets sacrés ni voir incendier la maison de Dieu[9].

Aussi est-il célébré par les récits sacrés de tous tes Juifs ; la renommée, passant d'âge en âge et toujours fraîche, transmet à la postérité son souvenir immortel. Noble exemple, Jean, même s'il y a danger à le suivre ; pour moi, je me porte garant du pardon des Romains. Souviens-toi que je t'adresse ces exhortations en compatriote, que je fais cette promesse, étant Juif ; car il est juste de se demander qui donne le conseil et d'où il vient. Puissé-je ne jamais vivre captif au point de désavouer mon origine et d'oublier les intérêts de ma patrie !

« Voici que de nouveau tu t'irrites, tu me cries des insultes ; j'en mérite sans doute de plus graves encore, moi qui t'exhorte en dépit du Destin et m'efforce de sauver des hommes condamnés par Dieu. Qui ne connaît les écrits des anciens prophètes, l'oracle qui menace cette malheureuse ville, et dont l'effet est déjà imminent[10] ? On a prédit alors la prise de cette cité

pour le jour où quelqu'un commencerait à répandre le sang de ses concitoyens. La ville, le Temple entier ne

 

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sont-ils pas pleins de tes victimes ? C'est donc Dieu, Dieu lui-même qui apporte, avec les Romains, le feu pour purifier le Temple et exterminer une ville si profondément souillée ».

  1. Josèphe parlait ainsi avec des gémissements et des larmes bientôt des sanglots étouffèrent sa voix. Les Romains plaignirent sa douleur, et admirèrent sa constance ; mais les compagnons de Jean n'en furent que plus irrités contre les Romains et désiraient s'emparer de sa personne. Cette harangue toucha un grand nombre de Juifs de qualité ; quelques-uns, par crainte des postes que les factieux avaient établis, restèrent où ils étaient, bien que prévoyant leur propre perte et celle de la ville ; plusieurs pourtant, épiant le moment où ils pourraient s'enfuir sans danger, cherchèrent un refuge auprès des Romains. Parmi ceux-ci étaient les grands-prêtres Joseph et Jésus, et des fils de grands-prêtres, trois de cet Ismaël qui fut décapité à Cyrène, quatre de Matthias, un fils d'un autre Matthias, qui s'enfuit après la mort de son père, tué, comme nous l'avons dit, par Simon, fils de Gioras, avec trois de ses enfants[11]. Beaucoup d’autres Juifs bien nés passèrent

ainsi aux Romains avec les grands-prêtres. César les reçut avec bienveillance, mais, sachant qu'ils mèneraient une existence peu agréable parmi des étrangers de mœurs différentes, il les envoya à Gophna[12], et les

engagea à y rester en attendant qu'il restituât à chacun ses biens quand il en aurait le loisir, après la guerre. Ils se rendirent donc volontiers et en pleine sécurité dans cette bourgade qui leur était assignée. Comme ils ne reparaissaient plus, les factieux répandirent de nouveau le bruit que les transfuges étaient égorgés par les Romains : c'était pour effrayer les autres et les détourner de fuir. Cet artifice réussit pour un temps aux séditieux comme auparavant[13] ; la crainte arrêta la désertion.

  1. Un peu plus tard, quand Titus rappela ces Juifs de Gophna et leur prescrivit de faire avec Josèphe le tour des murailles et de se montrer au peuple, un très grand nombre d'habitants s'enfuirent auprès des Romains. Réunis en un groupe devant les lignes romaines, ils suppliaient les factieux, avec des gémissements et des

 

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larmes, d'abord de recevoir les Romains dans toute la ville et de sauver ainsi la patrie ; sinon, d'évacuer du moins complètement le Temple afin de le conserver intact pour eux-mêmes, car les Romains n’oseraient pas, à moins d'une extrême nécessité, incendier les lieux saints. Mais les révoltés n'en furent que plus exaltés contre ces gens ; ils proférèrent un torrent d'injures contre les transfuges et établirent au-dessus des portes sacrées leurs oxybèles, leurs catapultes et leurs onagres, en sorte que tout le pourtour du Temple, sous l'amoncellement des cadavres, ressemblait à un cimetière et le Temple même à une citadelle. Ils s'élançaient tout armés dans l’enceinte sacrée et inaccessible aux profanes, les mains encore chaudes du meurtre de leurs compatriotes ; ils poussèrent à un tel point la scélératesse que l'indignation qui eût dû être justement ressentie par les Juifs, si les Romains avaient exercé contre eux de pareilles violences, était alors inspirée aux Romains par les Juifs, coupables de sacrilèges contre leur propre culte. Il n'y avait pas un soldat qui n'élevât ses regards vers le Temple avec un sentiment de crainte et de révérence, pas un qui ne suppliât les brigands de se repentir avant l'irréparable calamité.

4. Titus, profondément affligé, invectiva à son tour les compagnons de Jean : « N'est-ce pas vous, ô les plus scélérats des hommes, qui avez établi cette balustrade devant les saints lieux ? N'est-ce pas vous qui avez dressé là des stèles, portant des inscriptions gravées en lettres grecques et dans notre langue, qui défendent à tout homme de franchir cette barrière[14] ? Ne vous

avons-nous pas nous-même autorisés à punir de mort ceux qui la franchiraient, fussent-ils Romains ? Pourquoi donc, sacrilèges, est-ce dans cette enceinte que vous foulez aux pieds des cadavres ? Pourquoi souillez-vous le Temple du sang d’étrangers et de vos concitoyens ? J'atteste les dieux de mes père et le Dieu qui jadis a pu protéger cette contrée, car maintenant je ne pense pas qu'il en soit ainsi : je prends aussi à témoin mon armée et les Juifs qui se trouvent auprès de moi et vous-même, que ce n'est pas moi qui vous contrains à commettre de telles profanations. Si vous choisissez un autre champ

 

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de bataille, nul Romain n'envahira ni n'outragera les saints lieux, et je vous conserverai votre Temple même malgré vous ».

  1. Tandis que Josèphe traduisait cette allocution d'après les paroles mêmes de César, les brigands et le tyran reçurent avec hauteur ces exhortations, qu'ils attribuaient non à la bienveillance, mais à la peur. Titus comprit donc que ces gens n'avaient ni pitié d'eux-mêmes ni souci d'épargner le Temple et revînt malgré lui à la politique d'action guerrière. Comme il lui était impossible, vu l'insuffisance du terrain, de conduire contre les rebelles toute son armée, il choisit dans chaque centurie les trente meilleurs soldats, en donna à chaque tribun mille, qu'il plaça sous le commandement de Céréalis : puis il ordonna l'attaque contre les corps de garde vers la neuvième heure de la nuit. Lui-même était en armes, tout prêt à marcher avec ses troupes, mais il fut retenu par ses amis qu'alarmait la grandeur du péril, et par les conseils de ses officiers : son action, disaient-ils, serait plus efficace s'il restait sur la tour Antonia pour diriger les opérations des soldats que s'il descendait et, prenant leur tête, partageait leurs dangers ; tous, sous les yeux de César, se montreraient

de braves                 combattants. César se laissa persuader,
il dit aux soldats qu'il restait à l'écart dans le seul dessein de juger leurs prouesses et de ne laisser sans récompense aucun brave, sans punition aucun homme dont la conduite serait différente ; il serait témoin oculaire, arbitre de toutes leurs actions, lui, le maître absolu de punir et de récompenser. Il les envoya donc exécuter leur entreprise à l'heure que nous avons indiquée : lui-même se dirigea vers le poste d'observation de la tour Antonia et attendit les événements.

  1. Cependant le détachement ne trouva pas, comme il l'espérait, les gardes endormis : ceux-ci s'élancèrent en poussant des cris et la lutte commença aussitôt ; aux clameurs des soldats de garde, les autres accoururent de l'intérieur en rangs serrés. Les Romains reçurent de pied ferme les attaques des premiers ; ceux qui vinrent ensuite se heurtèrent contre leur propre troupe, et beaucoup prirent leurs camarades pour des ennemis.

 

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Car les cris que poussaient confusément les deux partis empêchaient de se reconnaître à la voix, comme la nuit ne permettait pas de se reconnaître à l'aspect. L'ardeur des uns, l'effroi des autres ajoutaient à l'aveuglement ; chacun frappait indistinctement celui qu'il trouvait devant soi. Les Romains, qui serraient leurs boucliers les uns contre les autres et s'élançaient par pelotons, étaient moins éprouvés par ce genre de méprise et tous se souvenaient de leur mot d'ordre. Mais les Juifs, toujours dispersés, attaquant et se retirant à l'aventure, prenaient souvent les uns pour les autres l'apparence d'ennemis ; trompés par l'obscurité, ils croyaient subir l'attaque d'un Romain quand un de leurs camarades reculait vers eux. Plus de Juifs furent ainsi blessés par les leurs que par les Romains. Enfin le jour parut et la vue permit de reconnaître l'état du combat ; les deux adversaires, reprenant leur distance, lançaient leurs traits et se défendaient en bon ordre. De part et d'autre on ne reculait pas et l'on ne montrait aucune lassitude. Les Romains, sachant que César les voyait, rivalisaient entre eux, individuellement ou par sections ; chacun considérait ce jour comme le commencement de sa fortune, s'il se comportait avec bravoure. L'audace des Juifs était soutenue par la crainte qu'ils concevaient pour eux-mêmes et pour le Temple, et aussi par la surveillance du tyran qui encourageait les uns, fouettait les autres ou les excitait à l'action par ses menaces. Longtemps le combat fut indécis : en peu d'instants et soudainement, les chances tournaient, car tous manquaient de champ pour fuir et poursuivre. Aux péripéties de la lutte répondaient, du haut de la tour Antonia, des rumeurs diverses : à leurs camarades vainqueurs, les Romains criaient de s'enhardir ; s'ils reculaient, de tenir bon. C'était comme une guerre sur le théâtre, où aucune circonstance du combat n'échappait ni à Titus ni à son entourage. Enfin, les deux partis qui avaient commencé à combattre à la neuvième heure de la nuit, se séparèrent après la cinquième heure du jour suivant et quittèrent le lieu où ils avaient engagé la mêlée ; aucun n'avait fait effectivement plier l'adversaire, et la victoire restait indécise. Beaucoup de Romains se signalèrent dans cette action ; du côté des Juifs se distinguèrent, dans la troupe de Simon, Judas fils de

 

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Mareoth, Simon fils d'Osée ; parmi les Iduméens, Jacob et Simon, ce dernier, fils d'Acatelas, celui-là de Sosas ; avec Jean, Gephthaeos et Alexas ; parmi les zélateurs, Simon, fils d'Ari.

  1. Entre temps, le reste de l'armée romaine détruisait en sept jours les fondations de la tour Antonia et frayait une large montée vers le Temple. Alors les légions, s'approchant de la première enceinte, commencèrent à élever des terrassements, l'un en face de l'angle nord-ouest du Temple intérieur, l'autre vers l'exèdre septentrional, entre les deux portes ; deux autres terrasses s'élevèrent encore, l'une vis-à-vis le portique occidental du Temple extérieur, l'autre vis-à-vis le portique du nord. Ces travaux coûtèrent aux Romains beaucoup de fatigue et de peine, car il fallait apporter le bois d'une distance de cent stades. Plus d'une fois ils eurent à souffrir d'embuscades, car la supériorité de leurs forces leur donnait trop d'assurance, tandis qu'ils trouvaient chez les Juifs une audace croissante, fruit du désespoir où ils étaient de se sauver. Quelques cavaliers, quand ils allaient couper du bois ou faire du fourrage, laissaient paître ; pendant qu'ils s’occupaient de cette tâche, leurs chevaux débridés ; les Juifs sortaient alors en masse et enlevaient les chevaux. Comme cet incident se produisait fréquemment, César attribua avec raison ces captures à la négligence de ses soldats plutôt qu'à l'intrépidité des Juifs, et résolut de les contraindre désormais, par une sévérité plus grande, à exercer une surveillance attentive sur leurs chevaux. Il ordonna donc de mener au supplice un de ces soldats qui avaient perdu leurs montures. La crainte d'un pareil châtiment sauva celles des autres cavaliers : ils ne laissèrent plus pâturer leurs chevaux, et, comme si la nature eût étroitement uni l'homme et l'animal, ils les conduisirent là où ils avaient affaire. Cependant les Romains continuaient à préparer l'attaque du Temple et à élever des terrasses à cet effet.
  2. Le lendemain du jour où les terrassements furent achevés un grand nombre de factieux, n'ayant plus rien à piller et durement pressés par la faim, attaquèrent en corps, vers la onzième heure du jour, les postes romains

 

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de la montagne des Oliviers ; ils croyaient les surprendre et même les trouver prenant quelque repos, ce qui leur permettrait de se frayer facilement un passage. Mais les Romains prévoyaient l'attaque ; ils accoururent rapidement des postes voisins et les empêchèrent, malgré leurs efforts, de franchir et de forcer le retranchement. Le combat fut acharné, et les deux partis firent de nombreuses prouesses ; les Romains montraient leur expérience de la guerre jointe à la force, les Juifs un élan sans réserve et un courage incapable de se modérer. Les uns étaient stimulés par le sentiment de l'honneur, les autres par la nécessité. Les Romains voyaient une honte extrême à laisser passer les Juifs, déjà pris, pour ainsi dire dans des filets ; ceux-ci n'avaient qu'un espoir de salut : forcer le mur par la violence de leur attaque. Un des cavaliers légionnaires, nommé Pedanius, au moment où les Juifs battaient enfin en retraite et étaient repoussés dans le vallon, poussa vivement de côté son cheval et saisit au passage un des ennemis qui fuyait ; il enleva par sa cheville ce jeune homme robuste, revêtu d'une armure complète : la manière dont il s'inclina, du haut de son cheval au galop, montra la vigueur de sa main, du reste de son corps, et aussi sa parfaite expérience de cavalier. Après avoir ainsi fait prisonnier le jeune homme, il le porta à César comme un don précieux : mais Titus, après avoir admiré la force de celui qui avait opéré cette capture, fit exécuter le prisonnier pour sa tentative contre le mur. Lui-même donnait toute son attention aux préliminaires de l'attaque du Temple et pressait la construction des terrasses.

9. Cependant les Juifs, continuellement éprouvés par les combats et voyant la guerre avancer peu à peu vers la décision en montant vers le Temple, tranchèrent, comme dans un corps corrompu, les parties envahies par le mal, pour en prévenir les progrès ultérieurs. Ils incendièrent donc le portique du côté nord-ouest, là où il se rattachait à la tour Antonia, puis en abattirent environ vingt coudées, commençant ainsi de leurs propres mains l'incendie des saints lieux. Deux jours après, le 24 du mois indiqué plus haut, les Romains mirent le feu au portique voisin ; quand la flamme eut gagné une étendue

 

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de quinze coudées, les Juifs en abattirent aussi le toit, et, sans interrompre un seul instant cette oeuvre de destruction, coupèrent ainsi leurs communications avec la forteresse Antonia. Donc, alors qu'ils eussent pu s'opposer aux incendies, ils ne firent rien devant l'envahissement de la flamme et se contentèrent d'en mesurer les progrès et l'utilité qu'ils en pouvaient retirer. D'ailleurs, les combats ne cessaient point autour du Temple, et l'on voyait sans cesse aux prises de petits groupes qui s'entrechoquaient.

10. Il y avait alors un homme de petite taille, d'aspect méprisable, que ne recommandaient ni sa naissance ni d'autres qualités : il s'appelait Jonathas. S'avançant vers le tombeau du grand-prêtre Jean, il cria force injures aux Romains, et provoqua à un combat singulier le plus brave d'entre eux. Parmi les soldats opposés en cet endroit, la plupart dédaignèrent sa bravade : quelques-uns eurent vraisemblablement peur ; plusieurs estimèrent non sans justesse qu’il ne fallait pas engager le combat contre un homme qui cherchait la mort, car les désespérés sont la proie d’une ardeur excessive et ne respectent rien ; se mesurer contre ceux qui vous laissent une victoire de peu de prix ou vous infligent une délaite honteuse et dangereuse, est une marque non de bravoure, mais de témérité. Longtemps personne ne s’avança et le Juif ne cessa d'accuser les Romains de lâcheté, car il était naturellement fanfaron et plein de mépris pour ses adversaires. Enfin, un certain Pudens, cavalier d'une des ailes, irrité de ses paroles et de sa forfanterie, sans doute aussi imprudemment encouragé à son acte par la petite taille de l’ennemi, se lança en avant. Le combat tourna d’abord en sa faveur, mais la Fortune le trahit : il tomba ; Jonathas courut sur lui et l’égorgea. Puis, mettant le pied sur le cadavre, il brandit son épée souillée de sang de la main droite, son bouclier de la main gauche, et se mit à crier son triomphe à l’armée, insultant le mort, raillant les Romains qui le regardaient. Finalement, comme Jonathas ne cessait de danser et d'extravaguer, le centurion Priscus banda son arc et le perça d'une flèche : Juifs et Romains poussèrent des cris discordants. Jonathas, étourdi par la souffrance, tomba sur le corps de son adversaire,

 

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montrant qu’à la guerre une prompte Némésis poursuit

ceux qui se glorifient d'un succès immérité.

III

Les Juifs d’Antioche sont accusés d’être des incendiaires.

1. Revers romain. - 2. Exploits individuels. - 3. La famine s'aggrave. - 4. Une mère dévore son enfant. – 5.

Indignation de Titus, qui n’a pas voulu cela.

1. Les factieux du Temple, qui ne cessaient de repousser ouvertement tous les jours les Romains vers leurs terrasses, imaginèrent le vingt-septième jour de ce mois de Panemos[15] la ruse que voici. Ils remplissent, dans le

portique oriental, l'intervalle des poutres et du faîtage avec du bois sec, du bitume et de la poix ; puis ils se retirent, affectant d'être épuisés. Là-dessus beaucoup de Romains téméraires, emportés par leur ardeur, pressèrent les ennemis dans leur retraite et s'élancèrent jusqu'au portique, après y avoir appliqué des échelles : les plus prudents restèrent, ne s'expliquant pas la fuite des Juifs. Le portique était donc rempli des soldats qui l'avaient escaladé, lorsque les Juifs y mirent le feu partout. La flamme éclata soudain de toutes parts ; les Romains, demeurés hors de péril, furent saisis d'une cruelle angoisse ; ceux que surprenait la flamme, d'un égal désespoir. Entourés par l'incendie, les uns se précipitaient de la hauteur dans la ville, les autres se laissaient tomber au milieu des ennemis : beaucoup qui, dans l'espérance de se sauver, s'élançaient du côté de leurs camarades, se brisaient les membres. Mais la plupart, dans leurs tentatives d'échapper, furent prévenus par les flammes et quelques-uns, pour ne pas être brûlés vifs, se percèrent de leur épée. Le feu, se répandant sur une vaste étendue, entoura bientôt ceux que menaçaient d'autres genres de mort. César, quoique irrité contre ceux qui périssaient pour être montés sur le portique sans ordre, éprouva pourtant une vive compassion pour ces hommes : nul ne pouvait leur porter secours, mais c'était une consolation pour ces soldats qui mouraient de voir la douleur de celui au

 

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service duquel ils rendaient l'âme. On le voyait en effet nettement s'agiter en poussant des cris, exhortant ceux qui l'entouraient à tout tenter pour sauver ses soldats. Chacun expirait sans plainte, emportant ces cris et cette sollicitude de César comme de brillantes funérailles. Quelques-uns parvinrent au toit du portique, qui était large, échappant ainsi au feu : entourés par les Juifs et percés de coups ils résistèrent longtemps, mais enfin tous tombèrent. Le dernier fut un jeune homme nommé Longus, qui répandit comme un lustre sur ce désastre et, parmi ces nombreux morts dignes de mémoire, parut le plus brave. Les Juifs qui admiraient sa vaillance et se trouvaient d'ailleurs dans l'impossibilité de le tuer, l'invitèrent, avec des promesses, à descendre vers eux ; d'un autre côté, son frère Cornelius l'exhortait à ne pas souiller leur gloire et celle de l'armée romaine. Longus suivit ce conseil et, levant son épée à la vue des deux troupes, il se tua de sa propre main. Un de ceux que les flammes entouraient, Artorius, dut son salut à une ruse : il appelait à haute voix un des soldats, Lucius, son camarade de tente : « Je te fais héritier de mes biens, dit-il. Si tu viens pour me recevoir dans ma chute ». Le soldat accourut avec empressement, et Artorius, se laissant tomber sur lui, survécut ; mais celui qui le reçut fut écrasé par ce poids contre le pavé de mosaïque et succomba aussitôt.

2. Cet échec produisit sur le moment quelque découragement parmi les Romains : il eut pourtant cet avantage pour l'avenir qu'il les rendit plus circonspects à l'égard des ruses des Juifs ; leur ignorance des lieux et le caractère même de leurs ennemis faisaient que ces stratagèmes étaient le plus souvent désastreux pour les Romains. Le portique fut donc brûlé jusqu’à la tour de Jean, que celui-ci, pendant sa lutte avec Simon, avait élevé au-dessus des portes conduisant au-dessus du Xyste ; le reste fut abattu par les Juifs, après la mort des Romains qui y montèrent. Le lendemain, les Romains incendièrent, à leur tour, le portique du nord tout entier, jusqu'à celui de l'est : l'angle qui les unissait l'un à l'autre s'élevait au-dessus de la vallée du Cédron, dont la profondeur sur ce point était effrayante. Telles étaient à ce moment les opérations au voisinage du Temple.

 

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  1. Cependant la population de la ville était consumée par la faim : innombrables étaient ceux qui tombaient ; les maux qu'ils souffraient ne peuvent se raconter, car, dans chaque maison, s'il apparaissait quelque ombre de nourriture, il y avait lutte ; les êtres les plus étroitement unis en venaient aux mains, s’arrachant ces pauvres soutiens de leur vie. Les mourants même étaient suspects d'être dans l'abondance et les brigands fouillaient ceux qui rendaient l'âme, craignant que l'un de ces malheureux ne feignit de mourir en cachant de la nourriture dans son sein. Et les affamés aux aguets, semblables à des chiens enragés, marchaient en chancelant : ils passaient, s'abattant contre les portes comme des ivrognes, et, poussés par le désespoir, se précipitaient deux ou trois fois par heure dans les mêmes maisons. La nécessité leur faisait mettre sous la dent toutes sortes de choses : ils ramassaient et se résignaient à manger ce qui n'eût pas même convenu aux plus immondes des animaux privés de raison ; en dernier lieu, ils usèrent du cuir de leurs ceintures et de leurs sandales ; ils grattèrent, pour la mâcher, la peau de leurs boucliers. D'autres se nourrirent de brindilles de vieux foin ; plusieurs en ramassèrent des fibres et en vendirent au prix de quatre Attiques un très léger poids. Mais pourquoi faut-il parler de cette faim sans scrupules qui se prend à des objets inanimés, quand je vais relater un fait sans exemple ni chez les Grecs, ni chez les BarbaresF16], fait horrible à dire, et qui trouve

difficilement créance. Moi-même, pour ne pas paraître aux yeux de la postérité comme un inventeur de récits merveilleux, j'aurais volontiers omis ce drame si je n'en avais eu des témoins nombreux parmi mes contemporains. Ce serait d'ailleurs un faible titre à la reconnaissance de ma patrie que de reculer devant le récit des maux qu’elle a réellement soufferts.

  1. Une femme, appartenant aux tribus d'au-delà du Jourdain, nommée Marie, fille d'Eléazar, du bourg de Bethezyba (ce mot signifie « maison aux hysopes »), distinguée par sa naissance et ses richesses, vint avec le reste de la multitude se réfugier à Jérusalem et y subit le siége. Les tyrans lui prirent la plupart des biens qu'elle

 

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avait apportés de la Pérée et introduits dans la ville : le reste de ses objets précieux, et le peu de nourriture qu'elle avait pu réunir lui furent ravis dans les

incursions quotidiennes des sicaires. Profondément indignée, cette pauvre femme se répandait en injures et malédictions, irritant encore davantage les ravisseurs. Mais comme personne ne consentait à la tuer dans un mouvement de fureur ou de piété, qu’elle était lasse de chercher la moindre nourriture pour le profit des autres, que d'ailleurs il était déjà impossible d'en trouver nulle part, que la faim courait par ses entrailles et ses nerfs, alors, enflammée par la colère plus encore que par la faim, écoutant autant sa rage que son besoin, elle fit affront à la nature et saisissant le fils qu'elle avait à la mamelle : « Malheureux enfant, dit-elle, pour qui dois-je te conserver, au milieu de la guerre. De la famine, de la sédition ? Chez les Romains, à supposer que nous vivions jusque-là, l'esclavage nous attend : mais la faim prévient l'esclavage, et les factieux sont plus cruels que l'un et l'autre maux. Va donc et deviens ma nourriture : sois en même temps la furie vengeresse attachée aux factieux et, aux yeux de l'humanité entière, le héros de la seule aventure qui manquât encore aux malheurs des Juifs ». En parlant ainsi, elle tua son fils, puis le fit rôtir et mangea la moitié de ce corps, dont elle cacha et mit en réserve le reste[17]. Bientôt arrivèrent les factieux,

qui, aspirant l'odeur de cette graisse abominable, menacèrent la femme de l'égorger sur-le-champ si elle ne leur montrait le mets qu’elle avait préparé. Elle répondit qu'elle leur en avait réservé une belle part et découvrit à leurs yeux les restes de son fils. Aussitôt, saisis

d'horreur et de stupeur, ces hommes s'arrêtèrent épouvantés. « Voilà, dit-elle, mon propre fils, et voici mon oeuvre. Mangez-en, j'en ai mangé moi-même. Ne soyez pas plus faibles qu'une femme, ni plus compatissants qu'une mère. Mais si vous êtes pieux et que vous vous détourniez de ma victime, j’en ai goûté pour vous, laissez-m'en le reste ! » A ces mots, les factieux sortirent en tremblant, lâches dans cette seule circonstance, abandonnant non sans regret même cette nourriture à la mère. La connaissance de ce crime se répandit dans la ville entière, et chacun, se représentant ce forfait par la pensée, frissonnait comme s'il l'eût commis lui-même. Il

 

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y eut alors, chez les gens qui souffraient de la faim, l'impatience de la mort : ils jugeaient heureux ceux qui étaient partis les premiers, avant d'avoir appris ou contemplé de pareilles horreurs.

  1. Ce malheur arriva bientôt aux oreilles des Romains. Les uns refusaient d'y croire, d'autres le déploraient, la plupart n'en haïssaient que plus notre nation. César s'en justifiait devant Dieu, disant qu'il offrait aux Juifs la paix, l'indépendance, une amnistie générale de leurs insolences passées, mais qu'ils préféraient à la concorde la sédition, à la paix la guerre, à l'abondance et à la prospérité la famine. C'est de leurs propres mains qu'ils ont commencé à brûler leur sanctuaire, que voulaient conserver les Romains : ils méritent bien une telle nourriture ! Pour lui ; certes, il couvrira des ruines mêmes de leur patrie ce crime sacrilège qui se repaît de la chair d'un enfant. Il ne laissera pas le soleil contempler sur terre une ville où les mères se repaissent ainsi. Une pareille nourriture convient cependant moins aux mères qu'aux pères, à ces gens, qui, après des malheurs si affreux, restent en armes. Tout en parlant ainsi, il réfléchissait au désespoir des Juifs ; il n'y avait plus de raison à attendre de ceux qui avaient déjà enduré tous les maux dont la crainte seule eût dû les amener à d'autres sentiments.

IV

Nouveau Conseil de guerre sur le sort du Temple ; incendie du Temple malgré les efforts de Titus.

1. Attaque romaine manquée. - 2. Progrès de l’incendie. -

  1. Conseil de guerre de Titus relatif au sort du Temple. -
  2. Attaque juive manquée. – 5-8 Incendie du Temple, malgré les efforts de Titus.

1. Déjà deux légions avaient achevé les terrassements. Le 8 du mois de Loos[18], Titus fit approcher les béliers

du portique ouest du Temple extérieur. Avant leur arrivée, pendant six jours, la plus forte de toutes les hélépoles avait continuellement battu le mur, mais sans

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

résultat : car la grandeur et l'exact appareillage des pierres triomphaient de toutes les machines. D'autres soldats sapaient les fondements de la porte du nord ; après bien des efforts, ils descellèrent les pierres extérieures : celles du dedans résistèrent, et la porte resta debout. Alors, renonçant à faire ces tentatives avec les machines et les leviers, ils appliquèrent des échelles contre les portiques. Les Juifs ne se pressèrent pas de les en empêcher : mais les soldats une fois montés, ils les assaillirent et engagèrent la lutte. Refoulés, quelques Romains tombaient la tête la première ; d'autres furent tués par ceux qui marchaient à leur rencontre. Les Juifs frappaient de leurs épées beaucoup de soldats qui descendaient des échelles, avant qu'ils pussent se couvrir de leur bouclier placés en haut, ils inclinaient et renversaient les échelles remplies de fantassins. Eux-mêmes, d'ailleurs, éprouvèrent des pertes sensibles. Une lutte très vive s'engagea autour des enseignes, car les Romains jugeaient désastreux et honteux de se les laisser ravir. A la fin, les Juifs s'emparèrent des enseignes et tuèrent ceux qui étaient montés ; les autres, frappés d'effroi devant le malheur de leurs camarades morts, se retirèrent. Il est vrai qu'aucun des Romains ne pérît sans s'être signalé par quelque prouesse ; quant aux factieux, ceux qui s'étaient distingués par leur vaillance dans les précédents combats en firent preuve encore, et parmi eux Eléazar, neveu du tyran Simon. Titus, dès qu'il vit que son désir d'épargner le monument d'un culte étranger aboutissait à des échecs et causait la mort de ses soldats, donna l'ordre de mettre le feu aux portes.

2. A ce moment il reçut dans son camp Ananos d'Emmaüs, le plus sanguinaire des gardes de Simon, et Archélaos, fils de Magaddate ; ils espéraient obtenir leur grâce, puisque les Juifs étaient vainqueurs au moment où ils les avaient quittés. Mais Titus blâma la conduite de ces hommes, qu’il soupçonnait de ruse, et du reste, informé de leurs cruautés à l’égard de leurs propres concitoyens, il eut d'abord l'intention de les mettre tous deux à mort. « C'est, disait-il, la nécessité qui les pousse et non leur inclination qui les amène en ma présence ; ils ne sont pas dignes d'avoir la vie sauve, ces Juifs

 

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échappés de leur patrie où leurs crimes ont déjà allumé la flamme ». Cependant la parole donnée l'emporta sur le ressentiment : il les relâcha donc, mais sans les traiter avec les mêmes égards que les autres.

Déjà les soldats mettaient le feu aux portes : l’argent, en fondant, livra bientôt passage à la flamme qui attaqua les boiseries, d'où elle s'élança avec violence pour gagner les portiques. Quand les Juifs virent le feu autour d'eux, leurs âmes et leurs corps s'affaissèrent : dans cet abattement, nul ne songea à se défendre ou à éteindre l'incendie ; ils restaient stupides et contemplaient ce spectacle. Découragés par leurs pertes, ils ne songeaient pourtant pas à sauver le reste, mais, comme si déjà le Temple était en feu, ils exaltaient leur fureur contre les Romains. La flamme se répandit ce jour-là et la nuit suivante ; car ce ne fut que par sections, et non d'un seul coup, que les portiques en devinrent la proie.

3. Le lendemain[19], Titus donna l'ordre à une partie de

ses troupes d’éteindre le feu et de rendre praticables les abords des portes, pour faciliter la montée des légions. Lui-même réunit les chefs, qui s'assemblèrent au nombre de six : Tibère Alexandre, commandant de toutes les troupes[20], Sextus Céréalis, Larcius Lepidus, Titus

Frugi, chefs des cinquième, dixième et quinzième légions, et, d'autre part, Haterius Fronton, commandant des deux légions, d’Alexandrie, et Marcus Antonius Julianus[21], procurateur de Judée[22]. Après eux se

groupèrent des procurateurs et des tribuns. Titus tint conseil au sujet du Temple. Les uns étaient d'avis d'appliquer la loi de la guerre : jamais les Juifs ne cesseront de se révolter, tant que le Temple où ils se rassemblent de tous les endroits du monde subsistera. Quelques-uns conseillèrent de l'épargner, si les Juifs l'évacuaient et que personne n'y plaçât des armes, mais de l'incendier, s'ils y montaient pour combattre car ce ne serait plus alors un temple, mais une citadelle, et d'ailleurs le sacrilège serait imputable non à eux, Romains, mais à ceux qui les y contraignaient. Titus déclara que, même si les Juifs montaient sur le Temple pour combattre, lui-même ne se vengerait pas sur des objets inanimés de fautes commises par des hommes, et qu'il ne brûlerait jamais un si bel ouvrage. Ce serait une

 

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perte pour les Romains, comme du reste la conservation

de ce monument ajouterait à la gloire de son principat[23]. Alors, Fronton, Alexandre et Céréalis

s'enhardirent et se rangèrent à l'opinion de Titus. Celui-ci congédia donc le conseil, donna l'ordre aux chefs de faire reposer les autres troupes, afin de les fortifier pour le combat, et manda à sa garde, composée de l'élite des cohortes, de frayer une route à travers les ruines et d'éteindre le feu.

  1. Pendant ce jour-là, la fatigue et l'abattement des Juifs arrêtèrent leurs offensives ; mais le lendemain, ils rassemblèrent leurs forces, reprirent courage et, vers la deuxième heure, sortirent par la porte de l'est et coururent jusqu'aux postes qui gardaient le Temple extérieur. Les soldats des postes reçurent avec fermeté leur attaque, opposèrent de front la ligne de leurs boucliers et, semblables à une muraille, serrèrent leurs rangs. Il était pourtant évident qu'ils ne pouvaient pas résister longtemps à la multitude et à la furie des assaillants. Alors César, qui observait le combat de la tour Antonia, prévint l'instant de la déroute et se porta à leur secours avec l'élite de ses cavaliers. Les Juifs ne purent soutenir le choc et la plupart, voyant tomber ceux du premier rang, tournèrent le dos ; mais chaque fois que les Romains se retiraient, ils faisaient volte-face et les attaquaient de nouveau, pour fuir de nouveau devant leur retour offensif. Enfin, vers la cinquième heure du jour, les Juifs eurent le dessous et s'enfermèrent dans le Temple intérieur.
  2. Titus retourna à la tour Antonia ; il avait résolu de donner l'assaut avec toutes ses troupes le lendemain vers l'aurore et de cerner le Temple que Dieu, depuis longtemps, avait condamné au feu. La succession des temps amenait le jour fatal, qui fut le dixième du mois de Loos[24]. A cette même date le Temple avait autrefois

été brûlé par le roi de Babylone[25]. Mais l'origine et la

cause de l'incendie doivent être attribuées aux Juifs eux-mêmes. Car, dès que Titus se fut retiré, les factieux, après quelques instants de repos, tirent une nouvelle attaque contre les Romains ; les postes qui gardaient le

 

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Temple engagèrent le combat avec ceux qui cherchaient à éteindre le feu du sanctuaire intérieur et qui, repoussant les Juifs, les poursuivaient jusqu'au Temple. C'est alors qu'un des soldats, sans attendre d'ordre, sans scrupule devant une telle entreprise, mais poussé par une sorte d'impulsion surhumaine, saisit un tison enflammé, et, soutenu par un de ses camarades, lança le feu à travers une fenêtre dorée, située du côté du nord et donnant accès aux habitations construites autour du Temple. Quand la flamme jaillit, les Juifs poussèrent un cri qui répondait à leur douleur : ils coururent en foule pour l'éteindre, sans souci de leur vie, sans ménager leurs forces, en voyant se consumer le monument qui avait été jusque-là l'objet de toute leur vigilance.

6. Un coureur vint annoncer la nouvelle à Titus, qui se reposait alors sous sa tente des fatigues du combat : il s'élança tel qu'il était et courut vers le Temple pour arrêter l'incendie. Derrière lui vinrent tous ses lieutenants, que suivaient les légions frappées de stupeur : dans une troupe si nombreuse, subitement mise en branle, il y avait de la confusion et des cris. César, de la voix et de la main, ordonnait aux soldats d’éteindre le feu ; mais on n'entendait pas sa voix parmi les clameurs plus fortes encore qui assourdissaient les oreilles ; on ne prenait pas garde non plus aux signes que faisait sa main, car les uns étaient distraits par le combat ; les autres par leur propre fureur. Ni l'exhortation, ni la menace ne retenaient l'élan des légions qui avançaient ; tous se laissaient conduire par leur seule colère. Beaucoup, pressés autour des portes, se foulèrent aux pieds les uns les autres ; beaucoup, qui tombaient parmi les débris encore brûlants et fumants des portiques, éprouvèrent le malheureux sort des vaincus. Quant ces soldats furent arrivés près du Temple, ils feignirent de ne pas même entendre les ordres de César et crièrent à ceux qui les précédaient de jeter les tisons. Cependant les factieux étaient dès lors impuissants à porter secours ; le massacre et la déroute régnaient partout. On égorgeait un très grand nombre de gens faibles et sans armes, partout où on les

rencontrait ; autour de l'autel une multitude de cadavres s'amoncelaient ; sur les degrés du Temple le sang coulait

 

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à flots, et les corps de ceux que l'on venait de massacrer roulaient d'une marche à l'autre.

  1. Comme il n'était pas capable de contenir l'impétuosité des soldats en délire, et que le feu gagnait, César, entouré de ses lieutenants, se rendit à l'intérieur du Temple et contempla le sanctuaire avec son contenu, trésor bien supérieur à ce que la renommée avait publié à l'étranger et non inférieur à sa glorieuse réputation parmi les gens du pays. Comme l'incendie n'avait pas encore pénétré à l'intérieur de la nef et dévorait les habitations élevées autour du Temple, il pensa, non sans raison, que l'édifice pouvait encore être sauvé ; il s'élança donc et essaya de persuader lui-même aux soldats qu'il fallait éteindre le feu. Il ordonne même à Liberalius, centurion de ses porte-lances, de frapper à coups de bâton ceux qui désobéiraient. Mais leur respect pour César et leur crainte de l'officier chargé de les retenir cédèrent à leur rage, à leur haine des Juifs, à un élan guerrier plus violent encore. La plupart étaient aussi stimulés par l'espoir du butin : ils croyaient que tout l'intérieur du Temple regorgeait de richesses, en voyant les dehors de l'édifice revêtus d'or. Un des soldats qui étaient entrés au moment où César s'élançait lui-même pour arrêter les incendiaires mit le feu, dans l'obscurité[26], aux gonds de la porte. Aussitôt la flamme

jaillit à l'intérieur ; les lieutenants de César se retirèrent avec lui, et personne n'empêcha plus les troupes, placées hors du Temple, d'activer l'incendie. C'est ainsi que le Temple frit brûlé malgré César.

  1. On déplorera profondément la perte de cet édifice, le plus admirable de tous ceux qu'on ait vus ou entendu vanter, tant pour sa construction, sa grandeur, la perfection de ses détails, que pour la célébrité de son sanctuaire ; mais on tirera une très haute consolation en songeant au Destin, dont la puissance s'étend également sur les oeuvres d'art, les lieux consacrés et les êtres vivants. On admirera, dans cette fatalité, le rapport exact des temps révolus ; elle a observé, comme je l'ai dit[27],

le même mois et le même jour où le Temple avait été, auparavant, incendié par les Babyloniens. Depuis sa première construction, que le roi Salomon avait

 

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commencée, jusqu'à la date récente de sa destruction, qui arriva la deuxième année du principat de Vespasien, s'étend une durée de mille cent trente ans, sept mois et quinze jours ; depuis sa reconstruction, entreprise par Aggée, la seconde année du règne de Cyrus, jusqu'à sa ruine par Vespasien, il s'écoula six cent trente neuf ans et quarante-cinq jours[28].

V

Ravages de l’incendie ; prédictions et oracles.

1-2. Ravages de l'incendie. - 3-4. Présages et oracles.

1. Tandis que le Temple brûlait, les soldats ravirent tout le butin qu'ils trouvèrent et massacrèrent en foule ceux qui furent surpris, sans pitié pour l'âge, sans respect pour ce qui en était digne : enfants et vieillards, laïques et prêtres, étaient également mis à mort ; la guerre enveloppait tout le monde, les suppliants avec les combattants. Le crépitement des flammes déchaînées se mêlait aux gémissements de ceux qui tombaient ; la hauteur de la colline et la grandeur de l'ouvrage incendié donnaient l'impression que la ville entière brûlait. A cela s'ajoutait un bruit terrible qu'on ne peut imaginer, fait de la clameur victorieuse des légions romaines s'élançant en masse, des hurlements des factieux pris dans un cercle de fer et de feu, de la fuite éperdue du peuple, surpris sur la hauteur, tombant avec stupeur sur les ennemis et poussant des lamentations dans sa détresse. Aux cris des Juifs de la colline se mêlaient ceux de la multitude répandue dans la ville. Beaucoup, déjà épuisés par la faim, devenus silencieux en voyant le Temple en flammes, retrouvèrent des forces pour gémir et pour crier. L'écho de la Pérée et des montagnes des alentours redoublait l'intensité du bruit. Mais les souffrances étaient plus affreuses encore que le

tumulte ; il semblait que la colline du Temple, parmi ces flammes qui l'enveloppaient de toutes parts, bouillonnât jusque dans ses fondements, que le sang se répandît plus abondamment que le feu, que le nombre des morts dépassât celui des meurtriers. Nulle part, la terre

 

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n'apparaissait sous les cadavres ; les soldats marchaient sur des monceaux de corps pour courir sus aux fuyards. La foule des brigands, repoussant les Romains, se fraya à grand'peine un passage jusqu'à la cour extérieure du Temple et de là dans la ville ; ce qui restait de la population se réfugia dans le portique extérieur. Parmi les prêtres, quelques-uns commencèrent par arracher du Temple les piques avec leurs douilles de plomb et les lancèrent contre les Romains ; mais ensuite, comme ils n'obtenaient aucun résultat et que le feu les menaçait, ils se réfugièrent sur le mur, large de huit coudées, et y restèrent. Deux d'entre eux, fort distingués, qui pouvaient se sauver en passant aux Romains, ou attendre avec patience l'instant de partager le sort de leurs compagnons, se jetèrent dans le feu et furent consumés avec le Temple[29] : ils se nommaient Meiros,

fils de Belgas, et Joseph, fils de Dalée.

2. Les Romains, jugeant inutile d'épargner les constructions voisines du Temple, quand celui-ci flambait, incendièrent tout le reste et particulièrement les ruines des portiques et les portes, à l'exception de deux, l'une au levant, l'autre au midi : plus tard, ils les détruisirent aussi. Ils brûlèrent également les chambres des trésors, où étaient entassés des richesses immenses, d'innombrables vêtements et toutes sortes d'ornements, en un mot toute l'opulence de la nation juive, car les riches y avaient transporté les objets précieux de leurs maisons. Les soldats se rendirent ensuite au portique du Temple extérieur qui restait encore debout : là avait cherché refuge une partie de la population, des femmes, des enfants, une foule confuse de six mille personnes. Avant que César eût pris une décision à leur sujet ou donné des ordres aux officiers, les soldats, emportés par leur fureur, mirent le feu au portique par dessous : ceux des Juifs qui se précipitèrent en bas furent la proie des flammes ; d'autres furent tués sur place ; de ce grand nombre, aucun n'échappa. L'auteur de leur perte fut un faux prophète qui avait crié ce jour-là aux habitants de la ville que Dieu leur ordonnait de monter au Temple pour y recevoir les signes de leur salut. Du reste, il y avait alors des prophètes subornés par les tyrans, qui les envoyaient vers le peuple pour lui mander d'attendre le

 

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secours de Dieu : le but était de diminuer les défections et de nourrir l'espoir de ceux qui étaient peu accessibles à la peur[30]. L'homme se laisse aisément persuader

dans l'infortune : lorsque l'imposteur promet à un malheureux la fin de ses maux, celui-ci s’abandonne tout entier à l'espoir.

3. Ces trompeurs, ces gens qui se prétendaient envoyés de Dieu abusaient ainsi le misérable peuple, qui n'accordait ni attention ni créance aux clairs présages annonçant la désolation déjà menaçante : comme si la foudre fût tombée sur eux, comme s'ils n'avaient ni des yeux ni une âme, ces gens ne surent pas entendre les avertissements de Dieu[31]. Ce fut d'abord quand

apparut au-dessus de la ville un astre semblable à une épée, une comète qui persista pendant une année. Avant la révolte et la prise d'armes, le peuple s'était rassemblé pour la fête des azymes, le 8e jour du mois de Xanthicos[32], Quand, à la neuvième heure de la nuit,

une lumière éclaira l'autel et le Temple, assez brillante pour faire croire que c'était le jour, et ce phénomène dura une demi-heure. Les ignorants y virent un bon signe, mais les interprètes des choses saintes jugèrent qu'il annonçait les événements survenus bientôt après. Dans la même fête, une vache amenée par quelqu'un pour le sacrifice mit bas un agneau dans la cour du Temple, et l'on vit la porte du Temple intérieur, tournée vers l'Orient, - bien qu'elle fût en airain et si massive que vingt hommes ne la fermaient pas sans effort au crépuscule, qu'elle fût fixée par des verrous munis de chaînes de fer et par des barres qui s'enfonçaient très profondément dans le seuil formé d'une seule pierre -, s'ouvrir d'elle-même à la sixième heure de la nuit. Les gardiens du Temple coururent annoncer cette nouvelle au capitaine[33], qui monta au Temple et fit fermer la

porte à grand'peine. Ce présage aussi parut encore très favorable aux ignorants : ils disaient que Dieu leur avait ouvert la porte du bonheur mais les gens instruits pensaient que la sécurité du Temple s'abolissait d'elle-même, que la porte s'ouvrait et s'offrait aux ennemis. Ils estimaient entre eux que c'était le signe visible de la ruine. Peu de jours après la fête, le vingt-et-un du mois

 

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d'Artemisios[34], on vit une apparition surhumaine,

dépassant toute créance. Ce que je vais raconter paraîtrait même une fable, si des témoins ne m’en avaient informé : du reste, les malheurs qui survinrent ensuite n'ont que trop répondu à ces présages. On vit donc dans tout le pays, avant le coucher du soleil, des chars et des bataillons armés répandus dans les airs, s'élançant à travers les nuages et entourant les villes. En outre, à la fête dite de la Pentecôte, les prêtres qui, suivant leur coutume, étaient entrés la nuit dans le Temple intérieur pour le service du culte, dirent qu'ils avaient perçu une secousse et du bruit, et entendu ensuite ces mots comme proférés par plusieurs voix : « Nous partons d'ici.[35] »

Mais voici de tous ces présages le plus terrible : un certain Jésus, lus d'Ananias, de condition humble et habitant la campagne, se rendit, quatre ans avant la guerre, quand la ville jouissait d'une paix et d'une prospérité très grandes, à la fête où il est d'usage que tous dressent des tentes en l'honneur de Dieu[36], et se

mit soudain à crier dans le Temple : « Voix de l'Orient, voix de l'Occident, voix des quatre vents, voix contre Jérusalem et contre le Temple, voix contre les nouveaux époux et les nouvelles épouses, voix contre tout le peuple ! » Et il marchait, criant jour et nuit ces paroles, dans toutes les rues. Quelques citoyens notables, irrités de ces dires de mauvais augure, saisirent l'homme, le maltraitèrent et le rouèrent de coups. Mais lui, sans un mot de défense, sans une prière adressée à ceux qui le frappaient, continuait à jeter les mêmes cris qu'auparavant. Les magistrats, croyant avec raison, que l'agitation de cet homme avait quelque chose de surnaturel, le menèrent devant le gouverneur romain. Là, déchiré à coups de fouet jusqu'aux os, il ne supplia pas, il ne pleura pas mais il répondait à chaque coup, en donnant à sa voix l'inflexion la plus lamentable qu'il pouvait : « Malheur à Jérusalem ! » Le gouverneur Albinus[37] lui demanda qui il était, d'où il venait,

pourquoi il prononçait ces paroles ; l'homme ne fit absolument aucune réponse, mais il ne cessa pas de réitérer cette lamentation sur la ville, tant qu'enfin Albinus, le jugeant fou, le mit en liberté. Jusqu'au début de la guerre, il n'entretint de rapport avec aucun de ses

 

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concitoyens ; on ne le vit jamais parler à aucun d'eux, mais tous les jours, comme une prière apprise, il répétait sa plainte : « Malheur à Jérusalem ! » Il ne maudissait pas ceux qui le frappaient quotidiennement, il ne remerciait pas ceux qui lui donnaient quelque nourriture. Sa seule réponse à tous était ce présage funeste. C'était surtout lors des fêtes qu'il criait ainsi. Durant sept ans et cinq mois, il persévéra dans son dire, et sa voix n’éprouvait ni faiblesse ni fatigue ; enfin, pendant le siège, voyant se vérifier son présage, il se tut. Car tandis que, faisant le tour du rempart, il criait d'une voix aiguë : « Malheur encore à la ville, au peuple et au Temple », il ajouta à la fin : « Malheur à moi-même », et aussitôt une pierre lancée par un onagre le frappa à mort. Il rendit l'âme en répétant les mêmes mots.

4. Si l'on considère ces faits, on conclura que Dieu s'intéresse aux hommes et qu'il présage de diverses manières à leur espèce les moyens de salut, alors que ceux-ci vont à leur perte par leur folie et leurs crimes volontaires. C'est ainsi que les Juifs, après la destruction de la forteresse Antonia, réduisirent le Temple à la forme d'un carré, alors qu'ils pouvaient voir écrit dans leurs livres que la ville et le Temple seraient pris dès que l'enceinte sacrée aurait la forme d'un carré[38]. Mais ce

qui les avait surtout excités à la guerre, c'était une prophétie ambiguë trouvée pareillement dans les Saintes Écritures, et annonçant qu'en ce temps-là un homme de leur pays deviendrait le maître de l'univers[39]. Les Juifs

prirent cette prédiction pour eux, et beaucoup de leurs sages se trompèrent dans leur interprétation ; car l'oracle annonçait en réalité l'empire de Vespasien, proclamé pendant son séjour en Judée[40]. Au reste, il

n'est pas possible aux hommes, même quand ils le prévoient, d'échapper à leur destin. Mais les Juifs interprétèrent à leur fantaisie ou méprisèrent les présages, jusqu'au jour où la ruine de leur patrie et leur propre ruine les eurent convaincus de leur folie.

VI

Discours de Titus à Simon et à Jean ; il décide de

 

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détruire la ville.

1. Titus salué imperator ; massacre des prêtres. - 2. Discours de Titus à Simon et à Jean. – 3. Titus décide de détruire la ville. - 4. La famille d’Izates.

  1. Quand les factieux se furent enfuis dans la ville, tandis que l'incendie consumait le Temple même avec toutes les constructions voisines, les Romains apportèrent leurs enseignes dans l'enceinte sacrée et les dressèrent en face de la porte de l'Orient ; sur la place même ils offrirent des sacrifices en leur honneur et, parmi d'immenses acclamations saluèrent Titus du nom d'imperator. Tous les soldats avaient fait un si grand butin que la livre d'or se vendait en Syrie la moitié de son ancienne valeur. Cependant les prêtres continuaient à rester sur le mur du Temple : un jeune garçon, tourmenté par la soif, supplia les soldats des postes Romains d'échanger leur parole avec lui, alléguant son besoin de boire. Ceux-ci, par pitié de son âge et de la nécessité où il était réduit, conclurent l'accord. L'enfant descend, boit et, après avoir rempli d'eau un vase qu'il avait apporté, remonte en courant vers les siens. Nul des gardes ne put le saisir, et ils maudirent son manque de foi. Mais lui déclara qu'il n'avait transgressé aucune convention il avait reçu leur parole non pour rester auprès d'eux, mais seulement pour descendre et prendre de l'eau ; il avait accompli ces deux actes et croyait avoir été fidèle à ses engagements. Ce stratagème excita, surtout à cause de l'âge de l'enfant, l'admiration de ceux qu'il avait dupés. Mais le cinquième jour, les prêtres, mourant de faim, descendent du mur, conduits à Titus par les gardes, et le conjurent de leur accorder la vie. Il répondit que le temps du pardon était passé, que le seul objet qui aurait pu justement le déterminer à les sauver, avait péri : il convenait aux prêtres, ajouta-t-il, de disparaître avec le Temple. Il ordonna donc de les mettre à mort.
  2. Les tyrans et leur suite, se voyant de toutes parts vaincus et ne trouvant aucun moyen de fuir à cause du mur qui les entourait[41], proposèrent à Titus de

négocier. Celui-ci, à qui la douceur même de son naturel

 

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inspirait le désir de sauver la ville, pressé d'ailleurs par ses amis, persuadés que les brigands commençaient à entendre raison, vint se placer vers le côté ouest du Temple extérieur : sur ce point, au-dessus du Xyste, se trouvaient les portes et le pont joignant au Temple la ville haute ; ce dernier séparait les tyrans et César. De part et d'autre, la foule se tenait en rangs serrés ; les Juifs qui entouraient Simon et Jean étaient excités par l'espérance du pardon, les Romains par la curiosité de savoir comment Titus les accueillerait. Titus, après avoir ordonné aux soldats de rester immobiles et maîtres de leur ressentiment comme de leurs traits, fit venir près de lui un interprète, et, comme cela convenait au vainqueur, prit le premier la parole. « Etes-vous enfin rassasiés des malheurs de votre patrie, vous qui, sans tenir compte ni de notre puissance ni de votre faiblesse, avez, par une fureur inconsidérée et un coup de folie, perdu le peuple, la ville et le Temple, et vous perdrez justement vous-mêmes ? D'abord, depuis le temps où Pompée vous a réduits par la force, vous n'avez pas cessé de vous révolter et avez enfin déclaré aux Romains une guerre ouverte. Est-ce le nombre qui vous donnait confiance ? Mais il a suffi d'une petite partie de l'armée romaine pour vous résister. Est-ce donc la foi que vous aviez dans vos alliés ? Mais quelle nation étrangère à notre Empire préférait les Juifs aux Romains ? C'est peut-être la vigueur du corps ? Vous savez pourtant que les Germains nous sont asservis. Est-ce la solidité de vos remparts ? Mais quel rempart est plus puissant que l'Océan ? Or, il entoure les Bretons, qui s'inclinent devant les armes romaines. Est-ce la force de l'âme, l'habileté de vos généraux ? Mais vous saviez que les Carthaginois mêmes furent assujettis. Donc, ce qui vous excitait contre les Romains, c'était l'humanité des Romains. Tout d'abord nous vous avons permis d'habiter librement ce pays, nous y avons établi des rois de votre nation ; puis, nous avons maintenu les lois de vos pères et nous vous avons permis de vivre comme vous le vouliez, non seulement entre vous, mais avec les autres ; par un privilège considérable entre tous, nous vous avons autorisés à lever des contributions et à recueillir des offrandes pour le service de Dieu ; nous n'avons ni blâmé ni empêché ceux qui vous apportaient ces

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

présents ; c’était apparemment pour que vous pussiez vous enrichir et préparer vos entreprises contre nous, avec notre argent ! Jouissant de tant de biens, vous avez tourné votre abondance contre ceux qui vous l'avaient procurée, et, pareils aux serpents malfaisants, vous avez lancé votre venin contre ceux qui vous caressaient. « Eh bien, soit ! vous avez méprisé la mollesse de Néron ; comme c'est le cas dans les fractures et les spasmes, qui épargnent quelque temps le malade, mais le menacent toujours, vous avez montré dans cette crise plus grave les dispositions mauvaises que vous cachiez jusque-là, et tendu vers des espérances impudentes des désirs immodérés[42]. Mon père vint dans ce pays, non pour

vous punir de votre attentat contre Cestius[43], mais

pour vous donner un avertissement. S'il était venu pour détruire votre nation, il en aurait visé les racines mêmes et eût tout de suite saccagé votre ville ; mais il commença par dévaster la Galilée et les régions voisines, vous laissant du temps pour vous repentir. Cette clémence parut à vos yeux de la faiblesse, et notre humanité nourrit votre audace. Néron mort, vous avez agi comme les plus scélérats des hommes. Enhardis par nos troubles intérieurs, vous avez mis à profit mon départ et celui de mon père pour l'Égypte, consacrant ce temps aux préparatifs de guerre ; vous n'avez pas rougi d'inquiéter, alors qu'ils étaient devenus les maîtres, ceux qui, généraux pleins de douceur, vous avaient donné des marques de leur clémence. Quand l'Empire se réfugia dans nos mains, tous les peuples qui le composaient demeurèrent en repos, les nations étrangères envoyèrent des ambassades pour s'associer à la joie commune ; mais l'hostilité des Juifs éclata de nouveau. Vos appels adressés à ceux d'au-delà de l'Euphrate, pour concerter la révolte, vos constructions de nouvelles enceintes de murs, vos séditions, les rivalités de vos tyrans, la guerre civile, tels sont les actes qui convenaient seulement à des hommes aussi méchants que vous. Je suis venu vers votre ville, avec des ordres sévères, que mon père m'avait donnés à regret. Je me réjouis en apprenant que le peuple avait des dispositions pacifiques. Je vous exhortai, avant la guerre, à renoncer à vos desseins ; longtemps après que vous l'aviez commencée je vous épargnai ; j'offris ma main aux déserteurs et tins parole

 

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à tous ceux qui se réfugiaient auprès de moi ; j'eus pitié de nombreux prisonniers, défendant qu'on les torturât ; à mon cœur défendant, je fis dresser les machines contre vos murailles ; alors que mes soldats étaient avides de votre sang, je les ai toujours retenus, et après chaque victoire, comme si c'eût été une défaite, je vous ai exhortés à la paix. Arrivé près du sanctuaire, j'oubliai encore volontairement les lois de la guerre : je vous ai priés d'épargner les objets de votre culte, de vous conserver le Temple, en vous offrant la permission de sortir et l'assurance du salut, et même, si vous le vouliez, la faculté de combattre ailleurs[44]. Vous avez

dédaigné toutes ces propositions et de vos propres mains vous avez incendié le Temple[45].

« Après cela, misérables scélérats, vous m'invitez à causer avec vous ! Que voulez-vous donc sauver, qui soit comparable à ce qui a péri ? De quel salut vous jugez-vous dignes, après la ruine du Temple ? Mais quoi ! maintenant encore, vous êtes en armes et, même dans cette extrémité, vous ne vous présentez pas dans l'habit de suppliants. Malheureux, en quoi mettez-vous votre confiance ? Votre peuple est mort, votre Temple détruit la ville n'est-elle pas en mon pouvoir ? N'ai-je pas vos vies entre mes mains ? Croyez-vous donc que la recherche d'une mort malheureuse glorifie le courage ? Mais je ne veux pas imiter votre intransigeance. Si vous jetez vos armes, si vous livrez vos personnes, je vous fais grâce de la vie, comme un maître de maison clément qui punît les esclaves incorrigibles et conserve les autres pour le servir[46] ».

3. A ce discours les factieux répondirent qu'ils ne pouvaient pas prendre la main de Titus, ayant juré de ne jamais le faire, mais qu'ils demandaient de sortir du mur d'enceinte avec leurs femmes et leurs enfants, s'engageant à se retirer au désert et à lui abandonner la ville. Alors Titus, irrité que des gens dans la condition de captifs lui fissent des propositions comme s'ils étaient vainqueurs, ordonna de leur interdire, par la voix du héraut, soit de déserter, soit d'espérer un accommodement, car il n'épargnera personne. Qu'ils luttent de toutes leurs forces et se sauvent s'ils le peuvent, sa propre conduite se réglera désormais sur la

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

loi de la guerre. Puis il autorisa ses troupes à incendier et à piller la ville. Les soldats se tinrent en repos ce jour-là, mais le lendemain ils mirent le feu aux archives, à l'Akra, à la salle du Conseil, au quartier d'Ophlas ; les flammes s'étendirent jusqu'au palais d'Hélène, qui se trouvait au milieu de l'Akra. Ruelles et maisons, pleines de cadavres de ceux qui étaient morts de faim, furent la proie de l'incendie.

4. Ce jour-là, les fils et les frères du roi Izatès, auxquels s'étaient joints un grand nombre de citoyens distingués, supplièrent César d'accepter leur soumission. Le prince, malgré son irritation contre tous les survivants, obéit à ses sentiments naturels et accueillit ces hommes. Il les fit tous mettre sous bonne garde ; plus tard, il fit aussi enchaîner les fils et les parents du roi et les conduisit à Rome pour servir d'otages.

VII

Sort du Palais royal ; les Juifs tentent d’échapper par les mines.

1. Sort du Palais royal. - 2. Incendie de la ville basse. - 3.

Les Juifs tentent d'échapper par les mines.

1. Les factieux se précipitèrent vers le palais royal où beaucoup, confiants dans sa force défensive, avaient déposé leurs biens ; ils en chassent les Romains, massacrent tout le peuple qui s'y était réfugié, au nombre de huit mille quatre cents hommes, et pillent l'argent de leurs victimes. Ayant aussi fait prisonniers deux Romains, un cavalier et un fantassin, ils égorgèrent sur-le-champ le fantassin et traînèrent le cadavre autour de la ville, comme si, par ce seul corps immolé, ils tiraient vengeance de tous les Romains. Le cavalier, qui prétendait pouvoir leur communiquer un avis utile à leur salut, fut amené devant Simon ; mais comme il ne pouvait rien lui dire, il fut livré à Ardalas, un des chefs, pour être mis à mort. Ardalas lui lia les mains derrière le dos, lui banda les yeux et le conduisit en vue des Romains pour lui couper la tête. Mais le prisonnier

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

devança l'exécuteur et s'enfuit du côté des Romains, au moment où le Juif tirait son épée. Titus ne put se résoudre à faire tuer un homme qui s'était échappé du milieu des ennemis ; mais le jugeant indigne d'être soldat romain, puisqu'il avait été pris vivant, il lui enleva ses armes et l'expulsa de la légion, châtiment pire que la mort pour un homme d'honneur.

2. Le lendemain, les Romains chassèrent les brigands de la ville basse et brûlèrent tout jusqu'à la fontaine de Siloé ; ils se réjouissaient de voir consumer la ville, mais étaient trompés dans leur espoir de butin, car les factieux se retiraient vers la ville haute devant eux, en faisant le vide partout. Ces gens n'avaient aucun remords de leurs crimes et s'en vantaient comme de belles actions ; ils regardaient donc brûler la ville d'un air joyeux, se déclarant heureux de trouver la mort, puisqu'après le massacre du peuple, l'incendie du Temple, l'embrasement de la ville, ils ne laissaient rien aux ennemis. Josèphe, cependant, ne se lassait pas, à cette heure suprême, d'appeler leur pitié sur les débris de la ville ; il leur reprochait leur cruauté, leur impiété, il multipliait les conseils relatifs à leur salut, mais sans obtenir d'autre effet que des railleries. Ceux-ci rejetaient, à cause de leur serment, toute idée de se rendre. Ils étaient d'ailleurs incapables de lutter, à avantages égaux, contre les Romains, qui les enveloppaient comme d'une enceinte, alors que leur habitude des massacres animait encore leurs bras. Ils se dispersèrent donc en avant de la ville et là, cachés dans les ruines, ils se tenaient en embuscade pour fondre sur ceux qui voulaient passer à l'ennemi. Ils en prirent beaucoup qu'ils égorgèrent tous, car ces malheureux, usés par les privations, n'avaient plus la force de s'enfuir, et jetèrent leurs cadavres aux chiens. Au reste, tout genre de mort paraissait plus supportable que la faim ; même quand on désespérait de la pitié des Romains, on n'en fuyait pas moins vers eux ; on tombait sans regret sur les factieux, sur les meurtriers. Il n'y avait pas dans la ville un seul lieu qui apparût à découvert ; partout des cadavres, victimes de la faim ou de la sédition.

 

3. Les tyrans et les brigands qui les accompagnaient

 

Zone de Texte: 2. En ces jours-là, les chefs des IduméensFLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

étaient soutenus d'un suprême espoir : ils songeaient à se réfugier dans les souterrains où ils pensaient ne pas être recherchés et d'où ils étaient décidés à sortir et à prendre la fuite, après l'occupation complète de la ville par les Romains et leur départ. Ce n'était là qu'un rêve, car ils ne devaient échapper ni à Dieu ni aux Romains. Mais pour l'instant, pleins de confiance dans les souterrains, ils allumèrent plus d'incendies que les Romains, tuèrent en foule ceux qui s'enfuyaient des lieux embrasés dans ces tranchées, dépouillèrent les morts, ravirent la nourriture qu'ils trouvaient sur quelques victimes et qu'ils avalaient, souillée de sang. Déjà ils luttaient entre eux pour le butin, et je crois que, dans l'excès de leur cruauté, s'ils n'eussent été prévenus par la prise de la ville, ils seraient allés jusqu'à goûter à la chair des morts.

VIII

Livraisons des trésors du Temple ; les Romains prennent la ville haute.

1. Préparatifs romains contre la ville haute. - 2. Pourparlers avec les Iduméens. - 3. Livraison des trésors du Temple. - 4. Attaque de la ville haute. - 5. Victoire décisive des Romains.

1. Cependant César, voyant l'impossibilité de détruire, sans le secours des terrasses, la ville haute, qui était très escarpée, distribua la tâche à son armée le 20 du mois de Loos[47]. Le transport du bois était difficile,

comme je l'ai dit[48], parce que tout le pays, à cent

stades autour de la ville, avait été dénudé pour la construction des précédentes terrasses. Les nouveaux ouvrages des quatre légions s'élevaient à l'ouest de la ville, en face du Palais royal ; les auxiliaires et le reste des troupes travaillaient aux retranchements du côté du Xyste, du pont et de la tour de Simon, que celui-ci avait construite pour lui servir de citadelle, dans sa lutte contre Jean.

 

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s'assemblèrent en secret et délibérèrent s'ils devaient se livrer ; ils envoyèrent cinq messagers à Titus, pour le supplier de leur engager sa foi. Comme il espérait qu'après la défection des Iduméens, dont l'action avait été considérable dans la guerre, les tyrans, eux aussi, se livreraient, il leur accorda, non sans difficulté, la vie sauve et leur renvoya les messagers. Cependant Simon apprit que les Iduméens se préparaient à passer à l'ennemi ; il mit aussitôt à mort les cinq qui étaient allés trouver Titus, arrêta et emprisonna les chefs, dont le plus illustre était Jacob, fils de Sosas. Il ne laissa pas sans surveillance la foule des Iduméens, réduite à l'impuissance après la perte de ses chefs, et envoya sur les remparts des gardes plus vigilants. Mais ces gardes ne purent pas s'opposer aux défections ; si le nombre des tués fut considérable, celui des fugitifs le fut beaucoup plus. Les Romains les accueillirent tous, Titus, par clémence et au mépris de ses ordres antérieurs[49], les soldats eux-mêmes par lassitude du

meurtre et espérance de profit. Ils ne gardaient que les citoyens, mais vendaient le reste avec les femmes et les enfants, chacun, d'ailleurs, à très bas prix, vu la masse des individus à vendre et la rareté des acheteurs. Bien qu'il eût défendu aux transfuges, par la voix du héraut, de se présenter seuls, afin de leur faire amener aussi leurs familles, Titus les accueillit cependant sans cette condition : mais il nomma des commissaires pour distinguer parmi eux ceux qui étaient dignes de châtiment. Le nombre de ceux qu'on vendit fut immense quant aux citoyens, plus de quarante mille s'échappèrent ; César leur permit de s'établir où ils voudraient.

3. Pendant ces mêmes journées, un des prêtres, nommé Jésus, fils de Thebouthi, ayant reçu sous serment de César l'assurance de la vie sauve, à condition de livrer quelques objets des trésors sacrés, sortit et fit passer au-dessus du mur du Temple deux candélabres semblables à ceux du sanctuaire, des tables, des cratères, des coupes, tous objets d'or solide et très massifs ; il livra aussi les voiles, les vêtements des grands-prêtres garnis de pierres précieuses et beaucoup d'autres objets destinés au culte. Phinéas, le garde du trésor du Temple,

 

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fut pris aussi ; il étala les tuniques et les ceintures des grands-prêtres, une grande quantité de pourpre et d'écarlate tenue en réserve pour réparer le voile du Temple, et en outre beaucoup de cinnamome, de cannelle et d'autres aromates qu'on mélangeait et brûlait tous les jours en l’honneur de Dieu. Il donna encore aux Romains beaucoup d'autres objets précieux et des ornements sacrés en grand nombre. Cela lui fit accorder, bien qu'il eût été pris de force, le pardon réservé aux transfuges.

4. Les terrasses furent achevées en dix-huit jours. Le 7 du mois de Gorpiée[50], les Romains amenèrent leurs

machines. Alors, parmi les factieux, les uns, désespérant désormais du salut de la ville, évacuèrent le rempart pour se retirer dans Acra ; les autres se cachèrent dans les souterrains ; beaucoup, prenant leur place de combat contre le mur, cherchaient à repousser ceux qui amenaient les hélépoles. Les Romains avaient sur eux l'avantage de la force et du nombre ; surtout, ils luttaient avec allégresse contre des adversaires découragés et affaiblis. Quand une partie de la muraille fut détruite et que plusieurs tours, battues par les hélépoles, eurent été entamées par les béliers, les défenseurs s'enfuirent aussitôt et les tyrans eux-mêmes furent envahis par une crainte que justifiait la gravité de la situation[51]. En

effet, avant l'escalade de la brèche, ils étaient plongés dans la torpeur et ne se décidaient qu’à fuir ; on pouvait les voir abattus et tremblants, eux qui naguère étaient si féroces et fiers de leurs sacrilèges ; ce changement, même chez de pareils scélérats, excitait la pitié. Ils songèrent bien à s'élancer à la course vers le mur de circonvallation des Romains, à en chasser les postes, à se frayer un chemin et sortir ; mais ils n'apercevaient nulle part ceux qui, auparavant, leur étaient fidèles et qui venaient de prendre la fuite dans diverses directions. Des gens arrivaient, en courant, annoncer soit que tout le mur de l'ouest avait cédé, soit que les Romains l'avaient déjà franchi et les recherchaient ; d'autres, les yeux égarés par la peur, déclaraient qu'ils apercevaient les ennemis au sommet des tours. Alors ils tombèrent la face contre terre, se lamentant sur leur folie et, comme si leurs nerfs avaient été coupés, étaient incapables de fuir.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

C'est en cela surtout qu'on pouvait reconnaître et le pouvoir de Dieu sur les impies et la fortune des

Romains ; car les tyrans avaient eux-mêmes renoncé à leur sécurité, en descendant volontairement des tours, où la violence n'eût jamais pu avoir raison d'eux, où la faim seule les eût réduits. De leur côté, les Romains, qui avaient rencontré tant de difficultés autour des murailles plus faibles, prirent, par un don de la Fortune, celles qui pouvaient défier leurs machines ; car les trois tours dont nous avons parlé plus haut[52] étaient plus fortes que

tout engin de siège.

5. Après les avoir quittées, ou plutôt après que Dieu les en eut chassés, ces Juifs s'enfuirent aussitôt dans la vallée que domine la fontaine de Siloé ; puis, s'étant remis un peu de leur frayeur, ils s'élancèrent contre le mur d'enceinte en cet endroit. Mais leur audace n'était pas à la hauteur des circonstances, car leurs forces avaient été éprouvées par la crainte et le malheur ; les postes romains les repoussèrent et, dispersés ça et là, ils s'enfoncèrent dans les souterrains.

Maîtres des murailles, les Romains dressèrent leurs enseignes sur les tours et célébrèrent cette victoire avec de bruyants cris d'allégresse. La fin de cette guerre avait été pour eux bien moins difficile que le début ; ils avaient donc peine à croire qu'ils eussent escaladé le dernier rempart sans effusion de sang, vraiment étonnés de ne voir aucun ennemi devant eux. Ils se répandirent, l'épée en main, dans les ruelles, massacrant en foule ceux qu'ils pouvaient rejoindre, brûlant les maisons avec tous ceux qui s'y étaient réfugiés. Plus d'une fois, en pénétrant dans les demeures pour les piller, ils y trouvaient des familles entières étendues mortes et des chambres remplies de cadavres que la faim avait entassés là. A cette vue, frappés d'horreur, ils sortaient les mains vides. Cependant, s'ils avaient pitié de ceux qui étaient morts ainsi, ils n'avaient pas les mêmes sentiments à l'égard des vivants. Perçant de leurs glaives ceux qu'ils rencontraient, ils obstruaient les ruelles de cadavres, inondaient de sang toute la ville, au point que ces torrents éteignirent plus d'un incendie. Les massacreurs s'arrêtèrent vers le soir ; dans la nuit, le feu redoubla d'intensité et le huitième jour du mois de

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

Gorpiée[53] éclaira Jérusalem toute en flammes. Cette

ville avait, pendant le siège, souffert tant de calamités que si, depuis sa fondation, elle avait connu autant de prospérité, elle eût été assurément très enviable ; or, elle n'avait mérité de si grandes infortunes que pour avoir produit la génération d'hommes qui fut l'instrument de sa ruine.

IX

Entrée de Titus à Jérusalem ; sort des captifs.

1. Entrée de Titus à Jérusalem. - 2. Sort des captifs. - 3. Nombre des prisonniers et des morts.

  1. Titus, entrant dans la ville, en admira surtout les fortifications et les tours que les tyrans, dans leur folie, avaient abandonnées. Il contempla l'altitude où s'élevait leur masse compacte, la grandeur de chaque bloc, la régularité de l'appareillage, leur largeur et leur hauteur. « C'est bien avec Dieu, dit-il, que nous avons combattu ; c'est Dieu qui chassa les Juifs de ces forteresses, car que peuvent contre ces tours les mains des hommes ou les machines ? » C'est dans cet esprit qu'il s'entretint longtemps avec ses amis ; il rendit à la liberté les prisonniers des tyrans, qui furent trouvés dans les forts. Il fit plus tard raser le reste de la ville et saper les remparts, mais conserva ces tours[54] pour être un

monument de sa fortune ; c'est elle qui, s'associant à ses armes, le rendit maître de ce qui était imprenable.

  1. Quand les soldats furent las de massacrer, une multitude encore considérable de survivants reparurent. César donna l'ordre de tuer seulement ceux qui portaient des armes et qui résistaient le reste devait être pris vivant. Mais les soldats, dépassant leurs instructions, continuèrent à tuer les vieillards et les faibles : ceux qui étaient vigoureux et en état de servir furent poussés dans le Temple et enfermés dans l'enceinte réservée aux femmes. César préposa à leur surveillance un de ses affranchis ; il chargea aussi un de ses amis, Fronton, de décider du sort que méritait

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

chacun des captifs. Fronton fit tuer tous les factieux et les brigands, qui s'accusaient les uns les autres ; il choisit et réserva pour le triomphe ceux des jeunes gens qui avaient la plus haute taille et qui étaient bien faits dans le reste de cette foule, ceux qui avaient plus de dix-sept ans furent chargés de chaînes et envoyés en Égypte aux travaux publics ; Titus en distribua un grand nombre dans les provinces pour y succomber, dans les amphithéâtres, au fer ou aux bêtes féroces. Ceux qui avaient moins de dix-sept ans furent vendus. Dans le temps où Fronton prononçait ainsi sur leur sort, onze mille d'entre eux moururent de faim, les uns à cause de la haine qu'ils inspiraient à leurs gardiens, dont ils n'obtenaient pas de nourriture, les autres parce qu'ils n'acceptaient pas celle qu'on leur donnait ; d'ailleurs, on manquait même de blé pour un si grand nombre de captifs.

3. Le nombre total des prisonniers faits pendant toute la guerre s'éleva à quatre-vingt-dix-sept mille ; celui des morts, pendant tout le siège, à onze cent mille. La plupart étaient des Juifs, mais non tous de la ville même ; beaucoup étaient venus de tout le pays à la fête des Azymes quand la guerre les enveloppa soudain ; ainsi, l'espace étroit où ils étaient confinés produisit d'abord une maladie pestilentielle et aggrava, peu de temps après, la famine. La preuve certaine que la ville contenait une population si considérable, nous la trouvons dans le recensement de Cestius, qui voulait montrer à Néron, plein de mépris pour cette nation, la prospérité de sa capitale. Il pria les grands-prêtres de deviser quelque moyen pour recenser la population. Or, la fête, appelée Pâque, approchait ; on y sacrifie de la neuvième heure à la onzième et, pour chaque sacrifice, il y a une confrérie d'au moins dix hommes, car il n'est pas permis de prendre ce repas seul, et souvent on s'assemble au nombre de vingt. Les prêtres comptèrent donc deux cent-cinquante-cinq mille six cents victimes. Si l'on suppose dix personnes pour se partager chacune, on obtient le chiffre de deux millions sept cent mille hommes[55] tous purs et saints ; car ni les lépreux, ni

ceux qui souffrent de gonorrhée, ni les femmes, pendant la menstruation, ni les autres personnes souillées d'une

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

manière ou d'une autre, ne peuvent participer au sacrifice, non plus que les hommes de race étrangère venus à Jérusalem par dévotion.

4. Or, la multitude de ces gens venus du dehors est considérable. A ce moment, c'est dans une sorte de prison que la Destinée enferma tout le peuple ; la guerre enveloppa une ville qui regorgeait d'hommes. Le nombre des morts excéda donc cette fois toutes les calamités d'origine humaine ou divine. Quand les Romains eurent tué ou fait prisonniers tous ceux des ennemis qui se montrèrent, ils recherchèrent encore ceux qui étaient réfugiés dans les souterrains et, fouillant le sol, tuèrent tous les Juifs qu'ils purent rencontrer ; on trouva là plus de deux mille hommes qui s'étaient tués de leurs propres mains, ou entretués, ou qui, en plus grand nombre, avaient succombé à la faim. Une affreuse odeur de cadavre frappa ceux qui entraient ; beaucoup se retirèrent aussitôt ; beaucoup pénétrèrent à l'intérieur, poussés par la cupidité, foulant aux pieds les corps amoncelés. On trouva de nombreux objets de prix dans les tranchées ; l'amour du gain légitimait tous les moyens de le satisfaire. On ramena à la lumière beaucoup de prisonniers que les tyrans en avaient privés ; car même dans l'extrême péril, ils n'avaient pas renoncé à leur cruauté. Les deux chefs reçurent de Dieu le châtiment qu'ils méritaient : Jean, qui mourait de faim avec ses frères dans les souterrains, implora des Romains la paix qu'il avait souvent refusée avec

hauteur ; et Simon, après avoir longtemps lutté contre la nécessité, comme nous le montrerons dans la suite[56],

se livra lui-même. Il fut réservé pour le triomphe, à la fin duquel il devait être immolé ; Jean fut condamné à la prison perpétuelle. Les Romains brûlèrent les quartiers extérieurs de la ville et abattirent les murailles.

X

Coup d’œil sur le passé de Jérusalem.

1. C'est ainsi que fut prise Jérusalem, la deuxième année du principat de Vespasien, le huit du mois de

 

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Gorpiée[57]. Prise cinq fois auparavant, elle était pour la

seconde fois dévastée. Car le roi d'Egypte Azochée, après lui Antiochos[58], ensuite Pompée[59], enfin Sossius

avec Hérode[60] s'emparèrent de la ville et la laissèrent

intacte. Le roi de Babylone qui les précéda, dès qu'il fut maître de Jérusalem, la dévasta, quatorze cent-soixante-huit ans et six mois après sa fondation[61]. Son premier

fondateur fut un chef de Chananéens qui, dans notre langue maternelle, porte le nom de « roi juste » ; tel il fut en effet[62]. Aussi fut-il le premier qui sacrifia à Dieu, en

qualité de prêtre, le premier aussi qui construisit le sanctuaire et appela Jérusalem la cité nommée jusque-là Solyme[63]. David, roi des Juifs, en chassa le peuple des

Chananéens pour y établir le sien ; quatre cent-soixante-dix-sept ans et six mois après lui, les Babyloniens détruisirent la ville. Depuis le roi David qui, le premier des Juifs, régna sur elle, jusqu'à sa destruction par Titus, Il s'écoula onze cent-soixante-dix-neuf ans ; depuis sa fondation jusqu'à sa dernière catastrophe, deux mille cent-soixante-dix-sept ans. On voit que ni son antiquité, ni sa grande richesse, ni la diffusion de son peuple dans le monde entier, ni la réputation partout acceptée de son culte ne la préservèrent de la ruine. Telle fut donc l'issue du siège de Jérusalem.

  1. Texte et sens incertains.
  2. Voir liv. V, XII, 4
  3. Il s'agit du pilum romain.
  4. 20 juillet 70.
  5. Pour Herwerden : « Si vous passez... »
  6. Ce discours est tout stoïcien, imbu de la doctrine de l'immortalité conditionnelle (R. H.).

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

  1. 22 juillet 70.
  2. Août 70.
  3. II Rois., XXIV, 12, un peu développé : cf. Antiq., X, 100.
  4. On a pensé qu'il s'agissait d'un oracle sibyllin, à peu près contemporain de l’œuvre de Josèphe (Thackeray). Voir aussi Daniel, chap. IX.
  5. Liv. V, XIII, 1.
  6. Jufna, au nord de Jérusalem.
  7. Liv. V, XI, 2.
  8. Sur cette balustrade, voir liv. V, V, 6, où il n’est pas question des stèles.

[15] 15 août 70.

  1. On a remarqué avec raison que Josèphe oublie ici ce qui est raconté dans la Bible à propos du siège de Samarie, II Rois, VI, 28.

[17] Ne humanis quidem corporibus pepercerunt (Sulp. Sev. Chron.

II, 30, 3). Cet auteur a lu la partie des Histoires de Tacite qui nous manque (R. H.)

  1. 27 août 70.
  2. 28 août 70.
  3. Praefectus catrorum.
  4. Antonius Julianus avait écrit un ouvrage sur les Juifs. On a

parfois pensé que ce livre, dont il ne reste qu'une mention, avait été une des sources de Josèphe et de Pline, qui avait participé à la campagne et sans doute connu l'auteur. Voir W. Werer, Josephus und Vespasian, p. 4, 89.

  1. Voir le célèbre mémoire de Léon Renier, Sur les officiers qui

assistèrent au Conseil de guerre tenu par Titus (Mém. de l’Acad. des Inscr., t. XXVI, 1867, p. 269-321). Quelques rectifications et

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

détails nouveaux dans Schürer, I4, p. 624.

  1. Le récit de Josèphe est contredit par d'autres témoignages,

sans qu'il soit facile de décider entre eux. Voir une longue note où la question est complètement exposée dans Schürer, I4, p. 631.

  1. 29 août 70.
  2. Ce fut le 10 Ab, suivant Jérémie, 111,12 ; le 7 Ab, suivant II Rois, XXV, 8 ; la tradition juive place ces deux catastrophes au 9 Ab.
  3. Ces deux mots sont douteux.
  4. Voir plus haut, IV, 5.
  5. Ces chiffres ne concordent pas avec les datations des

Antiquités. Les 470 ans de durée du Temple de Salomon (Ant., X, 147), plus les 70 ans d’exil, plus les 639 ans indiqués ici, font 1179 ans et non 1130. 1179 est, d’ailleurs, le chiffre indiqué plus loin (X, 1) pour le temps écoulé de David à la destruction du Temple. Voir, sur la chronologie de Josèphe, Isidore Lévy, Les soixante-dix semaines de Daniel dans le chronologie juive, in Revue des études juives, 51, 1906, p. 161 suiv. – J. W.

  1. Lors de la destruction du Temple, des troupes de jeunes prêtres, porteurs des clefs du sanctuaire, les lancèrent en l'air, puis se précipitèrent dans la fournaise (Taanit, 29 a ; Abot de R. Nathan, IV, qui ajoute: « Ils s'écrièrent : Maître de l'Univers, voilà les clefs que Tu nous avais confiées, dont nous n'avons pas été les bons gardiens ». [I. L.]

[30] Le texte est incertain.

  1. Il est question de ces signes dans Tacite (Hist., V, 13) qui ne dépend pas d’ailleurs de Josèphe.
  2. 25 avril 70 (?).
  3. Cf. Actes, IV, 1, 24.
  4. 8 juin 70.
  5. Tacite, Hist., V, 13 : « ... une voix plus forte que la voix

 

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humaine annonça que les dieux en sortaient... ))

  1. Soukkoth, la fête des Tabernacles.
  2. Voir sur ce personnage, Guerre, liv. II, XIV, 1.
  3. On ne connaît pas d’ailleurs cette prédiction.
  4. Même prophétie dans Tacite, Hist., V, 13 et dans Suétone, Vesp., 4.
  5. Voir encore les textes allégués dans la note précédente ; ils soulèvent des problèmes qui n'ont pas reçu encore de solution.
  6. Voir liv. V, XII, 2
  7. Il s’agit des troubles de l’Empire après la mort de Néron.
  8. Voir liv. II, XVIII, 9.
  9. Liv. V, IX, 2 et plus haut II, 4.
  10. Plus haut II, 9.
  11. Sens douteux.
  12. 8 septembre 70.
  13. Plus haut, II, 7.
  14. Plus haut, VI, 3.
  15. 25 septembre 70.
  16. Le texte porte : « Une crainte plus grande que la nécessite )) (a needlessy serious alarm, Thackeray).
  17. Liv. V, IV, 3.
  18. 26 septembre 70.
  19. L'une d'elles, Phasaël, subsiste encore, sous le nom erroné de

 

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Tour de David.

  1. En réalité, 2.556.000. Le texte est probablement altéré. Ces chiffres paraissent d'ailleurs beaucoup trop forts.
  2. Liv. VII, II, 2.
  3. 26 septembre 70.
  4. Le Shishak de l'Écriture, vers 969 av. J.-C. ; Antiochos Epiphane, vers 170 av. J.-C.
  5. 83 av. J.-C.
  6. 37 av. J.-C.
  7. Nabuchodonosor, en 587 av. J.-C.
  8. Il s'agit de Malchi-zédek, roi de Salem (Genèse, XIV, 18).
  9. Josèphe a tout l'air d'admettre l'étymologie populaire : Sainte Solyme, qui est reconnue erronée. Cf. Ant., I, 180.

 

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texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER FLAVIUS JOSÈPHE

Guerre des juifs.

LIVRE 7 (01)

I

Jérusalem est rasée ; Titus récompense les vainqueurs

1. Jérusalem est rasée. - 2-3. Titus remercie et récompense ses troupes.

  1. Quand l'armée n'eut plus rien à tuer ni à piller, faute d'objets où assouvir sa fureur - car si elle avait eu de quoi l'exercer, elle ne se serait abstenue par modération d'aucune violence - César lui donna aussitôt l'ordre de détruire toute la ville et le Temple, en conservant cependant les tours les plus élevées, celles de Phasaël, d'Hippicos, de Mariamme, et aussi toute la partie du rempart qui entourait la ville du cité de l'ouest. Ce rempart devait servir de campement à la garnison laissée à Jérusalem ; les tours devaient témoigner de l'importance et de la force de la ville dont la valeur romaine avait triomphé. Tout le reste de l'enceinte fut si bien rasé par la sape que les voyageurs, en arrivant là, pouvaient douter que ce lieu eût jamais été habité. Telle fut la fin de Jérusalem, cité illustre, célèbre parmi tous les hommes, victime de la folie des factieux.
  2. César résolut d'y laisser pour garnison la dixième légion, avec quelques escadrons de cavalerie et quelques cohortes

d'infanterie. Après avoir pris les mesures qui marquaient la fin de la guerre, il désirait féliciter toute l'armée de ses succès, et donner à ceux qui s'étaient distingués les récompenses qu'ils méritaient. A cet effet, on éleva pour lui, au milieu de l'ancien camp, une vaste tribune ; il s'y tint debout, entouré de ses officiers, de manière à être entendu de toute l'armée. Titus déclara aux soldats qu'il leur devait une vive reconnaissance

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

pour l'affection qu'ils lui avaient témoignée et continuaient à lui garder. Il les loua de leur obéissance pendant toute la guerre ; ils la lui avaient montrée en même temps que leur courage, parmi de nombreux et graves périls. Par leurs propres efforts, ils avaient accru ainsi la puissance de la patrie et rendu évident aux yeux de tous les hommes que ni la multitude des ennemis, ni les fortifications, ni la grandeur des cités, ni l'audace irraisonnée, non plus que la sauvage cruauté de leurs adversaires, ne pourraient jamais se soustraire aux effets de la vertu des Romains, même si quelques-uns de leurs ennemis jouissaient parfois des faveurs de la Fortune. C'était vraiment une gloire pour eux, dit-il, d'avoir mis fin à une guerre si longue, dont ils n'auraient jamais pu souhaiter, quand ils l'entreprirent, une plus heureuse issue. Leur meilleur et plus éclatant succès était de voir accueillir par tous avec joie l'élection qu'ils avaient faite eux-mêmes des chefs et des administrateurs de l'Empire romain, qu'ils avaient envoyés au sein de la patrie : tout le monde approuve leurs décisions et témoigne sa reconnaissance aux auteurs de ce choix. Il leur exprime à tous son admiration, son affection, sachant que chacun a fait preuve de tout le zèle qui était en son pouvoir. A ceux, cependant, qui se sont particulièrement distingués par leur énergie, qui ne se sont pas seulement honorés par de nobles exploits, mais ont illustré sa campagne par leurs hauts faits, il donnera sur le champ les récompenses et les honneurs mérités; nul de ceux qui ont voulu faire plus que les autres ne sera privé du juste prix de sa peine. Il y apportera tous ses soins, car il aime mieux honorer les vertus de ses compagnons d'armes que de châtier leurs manquements.

3. Aussitôt il ordonna à ceux qu'il avait préposés à cette tâche (02) de nommer tous les soldats qui s'étaient distingués par des actions d'éclat dans cette guerre. Il les appelait successivement lui-même par leurs noms, et, quand il les voyait s'avancer, les louait comme si c'étaient ses propres exploits dont il était fier. Il mettait sur leur tête des couronnes d'or, leur donnait des colliers d'or, de petit javelots d'or, des enseignes d'argent ; chacun d'eux était élevé à un rang supérieur. Il leur distribuait aussi en abondance de l'argent, de l'or, des vêtements et d'autres objets, puisés dans la masse du butin. Quand il les eut tous honorés suivant le mérite qu'il attribuait à chacun, il fit des prières pour le bonheur de toute l'armée et descendit du tribunal au milieu de vives acclamations. Puis il présida aux sacrifices pour remercier le ciel de la victoire ; un grand nombre de boeufs furent amenés devant les autels; après l'immolation, il les donna tous aux soldats pour leur banquet. Lui-même partagea pendant trois jours les réjouissances de ses officiers ;

 

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puis il dispersa les autres parties de l'armée là où il jugea

opportun de les envoyer et confia à la dixième légion la garde de Jérusalem, sans vouloir l'expédier sur l'Euphrate où elle stationnait auparavant. Se souvenant d'ailleurs que la douzième légion avait, sous les ordres de Cestius, plié devant les Juifs (03), il la retira complètement de la Syrie, où elle se trouvait autrefois en garnison à Raphanée (04), pour l'envoyer au pays de Mélitène, près de l'Euphrate, sur les confins de l'Arménie et de la Cappadoce. Il décida de conserver auprès de lui deux légions, la cinquième et la quinzième, jusqu'à son arrivée en Égypte. Puis il descendit avec l'armée jusqu'à Césarée, ville du littoral, où il laissa une grande partie de son butin et fit garder les captifs ; car l'hiver s'opposait à son passage immédiat en Italie.

 

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II

Simon est fait prisonnier

1. Titus à Césarée. - 2. Sinion est fait prisonnier.

  1. A l'époque où Titus César s'établissait devant Jérusalem pour l'assiéger, Vespasien, embarqué sur un vaisseau marchand, avait passé d'Alexandrie à Rhodes. De là, voyageant sur des trirèmes et visitant les villes placées sur le trajet, qui le recevaient avec joie, il parvint d'Ionie en Grèce, ensuite de Corcyre à l'extrémité de l'Iapygie : de là il acheva par terre son voyage.

Cependant Titus quitta Césarée, ville du littoral, pour se rendre à Césarée de Philippe, où il séjourna longtemps et donna des spectacles divers. Beaucoup de prisonniers périrent alors, les uns jetés aux bêtes féroces, les autres forcés à lutter par nombreuses troupes, comme des ennemis, les uns contre les autres. C'est là aussi que Titus apprit la capture de Simon, fils de Gioras, qui fut opérée comme je vais dire.

  1. Ce Simon, pendant le siège de Jérusalem, se tenait sur la ville haute ; quand l'armée romaine pénétra à l'intérieur des murs et se mit à ravager toute la ville, il groupa autour de lui ses plus fidèles amis, et aussi des scieurs de pierre, munis des outils de fer nécessaires à leur travail. Il réunit les provisions qui pouvaient suffire à leur nourriture pour un grand nombre de jours et descendit avec sa troupe dans un des souterrains dont l'entrée échappait aux regards. Tant qu'ils trouvèrent devant eux l'ancienne galerie, ils s'y avancèrent ; quand une masse de terre

 

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s'opposait à leur progrès, ils la minaient, espérant pouvoir, en continuant leur marche, émerger dans un endroit sûr et se sauver. Mais l'expérience ne réalisa pas leur espoir, car les mineurs avaient à grand peine fait un peu de chemin que déjà la nourriture, bien que ménagée avec soin, était presque épuisée. Alors Simon crut pouvoir tromper les Romains en les effrayant. Revêtu d'une tunique blanche, à laquelle était agrafé un manteau de pourpre, il sortit de terre à l'endroit où se trouvait autrefois le Temple. Tout d'abord, ceux qui le virent furent saisis d'effroi et restèrent immobiles ; puis ils s'approchèrent et lui demandèrent qui il était. Simon refusa de le dire, mais ordonna aux soldats d'appeler leur chef. Ceux-ci coururent aussitôt le chercher et Terentius Rufus, à qui le commandement avait été remis, arriva. Il apprit de Simon toute la vérité, le fit enchaîner et garder et prévint César des circonstances de sa capture. Par une juste punition de sa cruauté envers ses concitoyens, qu'il avait si affreusement tyrannisés, Dieu livra Simon à ses ennemis les plus haineux ; ce n'est pas la violence qui le fit tomber entre leurs mains ; il se livra de lui-même au châtiment, lui qui avait tué cruellement un grand nombre de Juifs sous la fausse accusation de vouloir passer aux Romains.

C'est qu'en effet la méchanceté n'échappe pas à la colère de Dieu ; la justice n'est pas faible ; avec le temps, elle poursuit ceux qui ont transgressé ses lois et inflige aux scélérats un châtiment d'autant plus dur qu'ils croyaient échapper à ses coups, parce qu'ils n'avaient pas été punis sur-le-champ. Simon le reconnut bien quand il fut tombé au fort de la colère des Romains. Sa sortie de terre eut pour effet de faire découvrir aussi en ces jours-là un grand nombre d'autres factieux dans les passages souterrains. Quand César fut de retour à Césarée du littoral, on lui envoya Simon enchaîné ; le prince ordonna de le réserver aussi pour le triomphe qu'il se préparait à célébrer à Rome.

III

Les Juifs d'Antioche sont accusés d'être des incendiaires

1-4. Les Juifs d'Antioche accusés par Antiochos d'étre des incendiaires.

1. Pendant son séjour dans cette ville, il fêta avec éclat l'anniversaire de la naissance de son frère (05) et, pour lui faire honneur, fit périr dans cette fête une foule de Juifs. Le nombre de ceux qui moururent dans des luttes contre les bêtes féroces, dans les flammes ou dans des combats singuliers, dépassa deux

 

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mille cinq cents. Cependant les Romains, en les détruisant ainsi de tant de manières, trouvaient encore trop léger leur châtiment. César se rendit ensuite à Berythe, colonie romaine de Phénicie ; il y fit un plus long séjour, célébrant avec plus d'éclat encore l'anniversaire de la naissance de son père, tant par la magnificence des spectacles que pour les autres occasions de largesses qu'il put imaginer. Une multitude de prisonniers y périt de la même manière que précédemment (06).

  1. A ce moment, ceux des Juifs qui étaient restés à Antioche subirent des accusations et se trouvèrent en péril de mort ; la ville d'Antioche se souleva contre eux, tant à cause de calomniés récentes dont on les chargeait que d'événements qui s'étaient produits peu de temps auparavant. Il est nécessaire que je parle d'abord brièvement de ces derniers, pour rendre plus intelligible le récit des faits subséquents.
  2. La race des Juifs s'est répandue en grand nombre parmi les populations indigènes de toute la terre ; elle s'est particulièrement mêlée en très grand nombre à celle de Syrie, par l'effet de la proximité de cette contrée. Ils étaient surtout nombreux à Antioche, à cause de la grandeur de cette ville et, plus encore, à cause de la sécurité que leur accordèrent les successeurs d'Antiochos (07).

Car si Antiochos, surnommé Epiphanes (08), ravagea Jérusalem et pilla le Temple (09), ceux qui lui succédèrent sur le trône restituèrent aux Juifs d'Antioche tous les objets votifs de bronze et en firent hommage à leur synagogue : de plus, ils les autorisèrent à jouir du droit de cité au même titre que les Grecs. Les rois suivants tinrent à leur égard la même conduite : aussi leur nombre s'accrut et ils ornèrent le Temple d'offrandes aussi remarquables par leur aspect que par leur richesse (10). Bien plus, ils attirèrent successivement à leur culte un grand nombre de Grecs, qui firent dès lors, en quelque faon, partie de leur communauté (11). A l'époque où la guerre fut déclarée, au lendemain du débarquement de Vespasien en Syrie. quand la haine des Juifs était partout à son comble, un d'entre eux, nommé Antiochos, particulièrement honoré à cause de son père qui était archonte des Juifs d'Antioche, se présenta au peuple assemblé au théâtre, dénonçant son père et d'autres Juifs comme coupables d'avoir décidé de brûler en une nuit toute la ville : il dénonça aussi quelques Juifs étrangers comme avant participé à ce complot. A ce discours. le peuple ne put maîtriser sa colère et fit tout de suite apporter du feu pour le supplice de ceux qui avaient été livrés : ceux-ci furent aussitôt brûlés en plein théâtre. Puis le peuple s'élança contre la foule des Juifs,

 

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pensant que leur châtiment immédiat était nécessaire au salut de la patrie. Antiochos nourrissait cette fureur ; pour donner une preuve de son propre changement, et de sa haine contre les coutumes des Juifs, il sacrifiait à la manière habituelle des Grecs ; il ordonnait de contraindre les autres à en faire autant, car le refus d'obéir mettrait en évidence les conjurés. Les habitants d'Antioche agirent en conséquence ; cette épreuve instituée, un petit nombre des Juifs consentirent ; ceux qui refusèrent furent mis à mort. Antiochos, ayant obtenu des soldats du gouverneur romain, traita avec cruauté ses concitoyens, les empêchant de rester oisifs le jour du sabbat et les contraignant à y poursuivre toutes leurs occupations des autres jours. Il appliqua ces prescriptions avec tant de rigueur que l'observance du sabbat, comme jour de repos, ne fut pas seulement violée à Antioche, mais aussi dans d'autres villes, où cette négligence, qui avait commencé là, trouva quelque temps des imitateurs.

4. A ces maux qui frappèrent alors les Juifs d'Antioche se joignit encore une nouvelle calamité ; il nous a fallu, pour la faire connaître, retracer les événements antérieurs. Un incendie consuma le marché carré, les archives, le greffe et les basiliques ; on eut grand peine à arrêter le feu, qui se répandait sur toute la ville avec une extrême violence. Antiochos accusa les Juifs de ce désastre. Même si les habitants d'Antioche n'avaient pas été déjà mal disposés à leur égard, Antiochos, dans l'émotion produite par cet événement, les aurait trouvés prêts à accepter ses calomnies ; mais maintenant, après ce qui s'était passé, peu s'en fallait qu'ils n'eussent vu les Juifs allumer le feu ! Aussi, devenus comme furieux, s'élancèrent-ils tous, avec une rage insensée, contre ceux que l'on accusait. Le légat Gnaeus Collega (12) parvint avec peine à calmer cette fureur ; il demanda la permission de faire un rapport à César sur les événements; car Caesennius Paetus, que Vespasien avait envoyé comme gouverneur de Syrie, n'était pas encore arrivé. Collega, procédant à une enquête attentive, découvrit la vérité ; aucun des Juifs accusés par Antiochos n'avait participé au crime, oeuvre de scélérats, chargés de dettes, qui pensaient qu'en brûlant le marché et les registres publics ils se débarrasseraient de leurs créanciers. Mais les Juifs, sous le poids d'accusations suspendues sur eux et inquiets de l'avenir, vivaient dans l'appréhension et la terreur.

IV

Réception de Vespasien à Rome: révolte des Gaulois et

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

incursions des Sarmates

1. Réception de Vespasien à Rome - 2. Révoltes en Gaule, écrasées par Céréalis et Domitien. - 3. Invasion des Sarmates en Maesie, réprimée par Rubrius Callus.

1. Titus César reçut alors des nouvelles de son père : il apprit que celui-ci était entré dans un grand nombre de villes d'Italie, appelé par leur faveur, et que Rome surtout l'avait reçu avec beaucoup d'enthousiasme et d'éclat. Le prince frit très heureux de ces nouvelles qui le délivraient le mieux du monde de ses sou cis. Alors que Vespasien était encore très éloigné, il jouissait, comme s'il était déjà présent, des sentiments affectueux de tous les Italiens ; dans leur vif désir de le voir, ils ressentaient l'attente de sa visite comme son arrivée même, et l'attachement qu'ils lui témoignaient était libre de toute contrainte. En effet, le Sénat, qui se rappelait les catastrophes causées par les changements rapides des princes (13), était heureux d'en accepter un que distinguaient la gravité de la vieillesse et le succès d'entreprises guerrières, assuré que son élévation au pouvoir ne tendrait qu'au salut de ses sujets. Le peuple, de son côté. épuisé par les calamités civiles, était encore plus impatient de voir venir Vespasien, espérant d'être complètement délivré de ses infortunes et persuadé que sa sécurité et son bien-être iraient de pair. Mais c'était surtout l'armée qui avait les yeux sur lui ; les soldats connaissaient le mieux la grandeur des guerres qu'il avait conduites avec succès ; comme ils avaient éprouvé l'ignorance et la lâcheté des autres princes, ils souhaitaient de se purifier de toutes ces hontes ,et formaient des voeux pour recevoir celui qui seul pouvait les sauver et leur faire honneur. Dans ce courant d'universelle sympathie, les plus éminents en dignité n'eurent pas la patience d'attendre, mais se hâtèrent de se rendre très loin de Rome au-devant du nouveau prince. Les autres étaient si impatients de tout retard, dans leur désir de le rejoindre, qu'ils se répandaient en foule au dehors ; chacun trouvait plus commode et plus facile de partir que de rester. C'est alors que, pour la première fois, la ville ressentit avec satisfaction l'impression d'être dépeuplée, car ceux qui restèrent étaient inférieurs en nombre à ceux qui sortirent. Quand on annonça que Vespasien approchait, quand ceux qui revenaient parlèrent de l'aménité de son accueil pour tous, aussitôt tout le reste de la multitude, avec les femmes et les enfants, l'attendit aux bords des voies. Dans celles où il passait, on poussait des exclamations de toute sorte inspirées par la joie de le voir et l'affabilité de son aspect ; on l'appelait bienfaiteur, sauveur, seul prince de Rome digne de ce titre. La cité entière ressemblait à un temple ; elle était remplie de guirlandes et d'encens. C'est à

 

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grand peine qu'il put, au milieu de la foule qui l'environnait, se rendre au palais ; là il offrit aux dieux domestiques les sacrifices d'actions de grâces pour son arrivée. La multitude commença alors à célébrer une fête ; divisés en tribus, en familles, en associations de voisins, les citoyens s'attablent à des banquets, répandent des libations et prient Dieu de maintenir le plus longtemps possible Vespasien à la tête de l'Empire, de conserver le pouvoir indiscuté à ses enfants et à ceux qui successivement naîtront d'eux. C'est ainsi que la ville de Rome reçut cordialement Vespasien et atteignit rapidement un haut degré de prospérité (14).

2. Avant ce temps-là, quand Vespasien était à Alexandrie et que Titus s'occupait du siège de Jérusalem, un grand nombre de Germains fut excité à la révolte ; les Gaulois du voisinage conspirèrent avec eux et se promirent, par suite de cette alliance, de se soustraire à la domination des Romains.

Ce qui poussa les Germains à ce soulèvement et à la guerre, ce fut d'abord leur caractère, sourd aux bons conseils et prompt à braver les dangers même sur une légère espérance ; ce fut ensuite leur haine contre leurs maîtres, car ils savaient que les Romains seuls ont réduit leur race à la servitude. Mais ce fut surtout l'occasion qui enflamma leur audace, car ils voyaient l'Empire romain troublé dans son sein par les continuels changements de maîtres ; ayant d'ailleurs appris que toutes les parties de l'univers soumises à leur domination étaient hésitantes et agitées, ils jugèrent que les malheurs et les discordes des Romains leur fournissaient une excellente occasion. Ceux qui encouragèrent ce dessein et enivrèrent les peuples de ces espérances furent Classicus et Civilis (15) deux de leurs chefs : ils avaient depuis longtemps et ostensiblement médité cette révolte. Maintenant, enhardis par l'occasion, ils déclarèrent leur projet, désireux de mettre à l'épreuve les multitudes avides d'action. Comme déjà une grande partie des Germains s'étaient mis d'accord pour la révolte et que les autres ne s'y opposaient pas, Vespasien, par une sorte de prévision surhumaine, adressa une lettre à Pétilius Céréalis, qui avait été auparavant légat en Germanie (16), lui conférant la dignité consulaire avec l'ordre de partir pour prendre le gouvernement de la Bretagne. Il s'avançait vers le terme assigné à son voyage quand il fut informé de la révolte des Germains ; aussitôt il s'élança contre leurs troupes déjà réunies, leur livra bataille, en tua un grand nombre dans le combat et les contraignit à renoncer à leur folie et à rentrer dans le devoir. Si d'ailleurs Céréalis n'était pas arrivé si rapidement dans ces régions, les Germains n'auraient pas attendu longtemps leur châtiment. Car

 

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à peine la nouvelle de leur révolte parvint-elle à Rome que Domitien César, l'apprenant, loin d'appréhender, comme un autre l'eût fait à cet âge, le poids d'une expédition si importante - car il était encore dans la première jeunesse - se sentit un courage naturel qu'il tenait de son père, une expérience supérieure à son âge, et partit aussitôt contre les Barbares. Ceux-ci, frappés de terreur à la nouvelle de son approche, se rendirent à sa merci, trouvant avantage, dans leur effroi, à retomber sans calamités sous le même joug. Domitien, après avoir rétabli l'ordre qui convenait parmi les Gaulois de manière qu'un nouveau soulèvement fût désormais difficile, retourna à Rome, illustre et admiré de tous pour des succès supérieurs à son âge, mais dignes de la gloire de son père (17).

3. En même temps que la révolte des Germains dont nous venons de parler, les Scythes firent une audacieuse tentative contre les Romains. Celle de leurs tribus qui porte le nom de Sarmates, nation très nombreuse, franchit à l'improviste l'Ister et envahit l'autre rive ; ils se précipitèrent sur les Romains avec, une extrême violence, redoutables par la soudaineté tout-à-fait imprévue de leur attaque. Beaucoup de gardes romains des forts furent massacrés, et parmi eux le légat consulaire Fonteius Agrippa (18), qui s'était porté à leur rencontre et combattit valeureusement. Inondant la contrée ouverte devant eux, les Sarmates dévastèrent tout ce qu'ils rencontraient. Vespasien, apprenant ces événements et le pillage de la Moesie, envoya Rubrius Gallus (19) châtier les Sarmates. Beaucoup tombèrent sous ses coups dans des combats ; ceux qui échappèrent s'enfuirent terrifiés dans leur pays. Le général, après avoir ainsi terminé la guerre, assura pour l'avenir la sécurité en répartissant dans la région un plus grand nombre de postes plus solides, en sorte que le passage du fleuve fut complètement interdit aux Barbares. La guerre de Moesie fut donc ainsi rapidement terminée.

V

Triomphe de Vespasien et de Titus: fondation du temple de la Paix

1-3. Titus protège les Juifs d'Antioche et revient à Jérusalem. - 3. Titus à Alexandrie et à Rome. - 4-5. Triomphe de Vespasien et de Titus. - 6. Exécution de Simon. - 7. Fondation du Temple de la Paix.

1. Titus César, comme nous l'avons dit (20), passa quelque

 

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temps à Bérytus. Puis il repartit et donna dans toutes les villes de Syrie par où il passait de superbes spectacles : il employait les prisonniers juifs à s'entre-détruire sous les regards du public. Sur sa route, il observa un fleuve dont les particularités naturelles méritent d'être signalées. Il coule entre Arcée (21),

possession d'Agrippa, et Raphanée et il offre une singularité merveilleuse, car, bien qu'il ait, quand il coule, un débit considérable et un courant assez rapide, il perd ensuite, sur toute son étendue, l'afflux de ses sources et, après six jours. laisse voir son lit desséché : puis, comme s'il n'était survenu aucun changement, il reprend son cours accoutumé le septième jour. On a observé qu'il gardait toujours exactement cet ordre : de là vient ce nom de Sabbatique qu'on lui a donné, d'après le septième jour de la semaine qui est sacré chez les Juifs (22).

2. Quand le peuple d'Antioche apprit que Titus était tout près, la joie ne lui permit pas de rester à l'intérieur des murs, et tous se précipitèrent à la rencontre du prince. Ils s'avancèrent à plus de trente stades : et ce n'étaient pas seulement les hommes qui s'étaient ainsi répandus hors de la ville, mais la foule des femmes avec les enfants. Quand ils virent venir Titus. ils bordèrent les deux côtés de la route, étendant les mains vers lui et l'acclamant ; puis ils retournèrent derrière lui à la ville, avec toute sorte de bénédictions. A toutes ces louanges se mêlait continuellement une prière: celle de bannir les Juifs de la cité. Titus, insensible à cette pétition, écouta tranquillement ce qu'on lui disait : les Juifs, incertains de ce que pensait et ferait le prince, étaient saisis d'une terrible crainte. Titus ne resta pas à Antioche, mais se dirigea aussitôt vers Zeugma. sur l'Euphrate (23), où des envoyés du roi des Parthes Vologèse vinrent lui apporter une couronne d'or en l'honneur de sa victoire sur les Juifs. Il la reçut, offrit un festin aux ambassadeurs et de là retourna à Antioche.

Comme le Sénat et le peuple d' Antioche le priaient instamment de se rendre au théâtre où toute la population s'était rassemblée pour le recevoir, il accepta avec affabilité. Entre temps. les citoyens redoublaient leurs instances et réclamaient continuellement l'expulsion des Juif. Titus leur fit une réponse ingénieuse : " La patrie des Juifs, où l'on aurait dû les reléguer, dit-il, est détruite, et aucun lieu ne saurait plus les recevoir." Alors les citoyens d'Antioche, renonçant à leur première demande, lui en adressèrent une autre : ils le priaient de détruire les tables de bronze où étaient inscrits les droits des Juifs. Titus n'acquiesça pas davantage et, sans rien changer au statut des Juifs d' Antioche, il partit pour l'Égypte. Sur la route, il visita Jérusalem ; il compara la triste solitude qu'il avait sous

 

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les veux à l'ancienne splendeur de la cité ; il se rappela la grandeur des édifices détruits et leur ancienne magnificence et déplora la ruine de cette ville. Ses sentiments n'étaient pas ceux d'un homme qui est fier d'avoir pris de force une cité si grande et si puissante, car il maudit fréquemment les criminels auteurs de la révolte qui avaient attiré ce châtiment sur elle. Il montrait ainsi qu'il n'eût pas voulu tirer, du malheur des coupables punis, la glorification de sa valeur. On retrouvait alors dans les ruines de la ville des restes assez considérables de ses grandes richesses ; les Romains en exhumèrent beaucoup ; mais les indications des prisonniers leur en firent enlever plus encore : c'étaient de l'or, de l'argent et d'autres objets d'ameublement très précieux, que leurs possesseurs avaient enfouis en terre comme des trésors, à l'abri des vicissitudes incertaines de la guerre.

  1. Titus, poursuivant vers l'Égypte la route qu'il s'était tracée, franchit le plus rapidement possible le désert et arriva à Alexandrie. Là, comme il avait décidé de s'embarquer pour l'Italie, il renvoya les deux légions qui l'accompagnaient dans les pays d'où elles étaient venues, la cinquième en Moesie, la quinzième en Pannonie. Il choisit parmi, les prisonniers leurs chefs, Simon et Jean, et dans le reste (24) sept cents hommes remarquables par leur taille et leur beauté qu'il ordonna de faire transporter aussitôt en Italie, car il voulait les mener à sa suite dans son triomphe. La traversée s'acheva comme il le désirait. Rome lui fit une réception et lui marqua son empressement comme à l'arrivée de son père ; mais ce qui fut plus glorieux pour Titus, c'est que son père vint à sa rencontre et le reçut lui-même. La foule (les citoyens témoigna d'une joie débordante en voyant les trois princes réunis (25). Peu de jours après, Vespasien et Titus résolurent de ne célébrer qu'un seul triomphe commun à tous deux, quoique le Sénat en eût voté un pour chacun. Quand partit le jour où devait se déployer la pompe de la victoire, aucun des citoyens composant l'immense population de la ville ne resta chez lui ; tous se mirent en mouvement pour occuper tous les endroits où l'on pouvait du moins se tenir debout, ne laissant que l'espace tout juste suffisant pour le passage du cortège qu'ils devaient voir.
  2. I1 faisait encore nuit quand toute l'armée, groupée en compagnies et en divisions, se mit en route sous la conduite de ses chefs et se porta non autour des portes du palais, placé sur la hauteur, mais dans le voisinage du temple d' Isis (26) où les empereurs s'étaient reposés cette nuit-là. Dès le lever de l'aurore, Vespasien et Titus s'avancent, couronnés de lauriers,

 

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revêtus des robes de pourpre des ancêtres et gagnent les portiques d'Octavie (27) où le Sénat, les magistrats en charge et les citoyens de l'ordre équestre les attendaient. On avait construit devant les portiques une tribune où des sièges d'ivoire étaient placés pour les princes ; ils s'avancèrent pour s'y

asseoir, et aussitôt toute l'armée poussa des acclamations à la gloire de leur vertu. Les empereurs étaient sans armes, vêtus d'étoffes de soie et couronnés de lauriers.

Vespasien, après avoir fait bon accueil aux acclamations que les soldats auraient voulu prolonger, fit un signe pour commander le silence qui s'établit aussitôt ; alors il se leva, couvrit d'un pan de son manteau sa tête presque entière et prononça les prières accoutumées ; Titus fit de même. Après cette cérémonie, Vespasien s'adressa brièvement à toute l'assistance et envoya les soldats au repas que les empereurs ont coutume de leur faire préparer. Lui-même se dirigea vers la porte qui a tiré son nom des triomphes, parce que le cortège y passe toujours (28). Là, ils prirent quelque nourriture et revêtus du costume des triomphateurs, sacrifièrent aux Dieux dont les images sont placées sur cette porte ; puis ils conduisirent le triomphe par les divers théâtres, pour que la foule pût le voir plus aisément.

5. Il est impossible de décrire dignement la variété et la magnificence de ces spectacles, sous tous les aspects que l'on peut imaginer, avec ce cortège d'oeuvres d'art, de richesses de tout genre, de rares produits de la nature. Presque tous les objets qu'ont jamais possédés les hommes les plus opulents pour les avoir acquis un à un, les oeuvres admirables et précieuses de divers peuples, se trouvaient réunis en masse ce jour-là comme un témoignage de la grandeur de l'Empire romain. On pouvait voir des quantités d'argent, d'or, d'ivoire, façonnées suivant les formes les plus différentes, non pas portées comme dans un cortège, mais, si l'on peut dire, répandues à flots comme un fleuve : on portait des tissus de la pourpre la plus rare, des tapisseries où l'art babylonien avait brodé des figures avec une vivante exactitude : il y avait des pierreries translucides, les unes serties dans des couronnes d'or, les autres en diverses combinaisons et si nombreuses que nous pouvions craindre de nous abuser en les prenant pour les raretés qu'elles étaient. On portait aussi des statues de leurs dieux (29), de dimensions étonnantes et parfaitement travaillées, chacune faite d'une riche matière. On conduisait aussi des animaux d'espèces nombreuses, tous revêtus d'ornements appropriés. La foule des hommes qui les tenaient en laisse étaient parés de vêtements de pourpre et d'or : ceux qui avaient été désignés pour le cortège offraient, dans leur costume, une

 

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recherche, une somptuosité merveilleuses. Les captifs eux-mêmes, en très grand nombre, étaient richement parés, et l'éclat varié de leurs beaux costumes dissimulait aux yeux leur tristesse, effet des souffrances subies par leur corps. Ce qui excitait au plus haut degré l'admiration fut l'aménagement des échafaudages que l'on portait : leur grandeur même éveillait des craintes et de la méfiance au sujet de leur stabilité. Beaucoup de ces machines étaient hautes, en effet, de trois et quatre étages et la richesse de leur construction donnait une impression de plaisir mêlé d'étonnement. Plusieurs étaient drapées d'étoffes d'or, et toutes encadrées d'or et d'ivoire bien travaillé. La guerre y était figurée en de nombreux épisodes, formant autant de sections qui en offraient la représentation la plus fidèle ; on pouvait voir une contrée prospère ravagée, des bataillons entiers d'ennemis taillés en pièces, les uns fuyant, les autres emmenés en captivité : des remparts d'une hauteur surprenante renversés par des machines ; de solides forteresses conquises ; l'enceinte de villes pleines d'habitants renversée de fond en comble : une armée se répandant à l'intérieur des murs ; tout un terrain ruisselant de carnage ; les supplications de ceux qui sont incapables de soutenir la lutte ; le feu mis aux édifices sacrés ; la destruction des maisons s'abattant sur leurs possesseurs : enfin, après toute cette dévastation, toute cette tristesse, des rivières qui, loin de couler entre les rives d'une terre cultivée, loin de désaltérer les hommes et les bêtes, passent à travers une région complètement dévastée par le feu. Car voilà ce que les Juifs devaient souffrir en s'engageant dans la guerre. L'art et les grandes dimensions de ces images mettaient les événements sous les yeux de ceux qui ne les avaient pas vus et en faisaient comme des témoins. Sur chacun des échafaudages on avait aussi figuré le chef de la ville prise d'assaut, dans l'attitude où on l'avait fait prisonnier. De nombreux navires venaient ensuite (30).Les dépouilles étaient portées sans ordre, mais on distinguait dans tout le butin les objets enlevés au Temple de Jérusalem : une table d'or, du poids de plusieurs talents (31), et un chandelier d'or du même travail, mais d'un modèle différent de celui qui est communément en usage, car la colonne s'élevait du milieu du pied où elle était fixée et il s'en détachait des tiges délicates dont l'agencement rappelait l'aspect d'un trident. Chacune était, à son extrémité, ciselée en forme de flambeau ; il y avait sept de ces flambeaux, marquant le respect des Juifs pour l'hebdomade. On portait ensuite, comme dernière pièce du butin, une copie de la loi des juifs. Enfin marchaient un grand nombre de gens tenant élevées des statues de la Victoire toutes d'ivoire et d'or Vespasien fermait la marche, suivi de Titus, en compagnie de Domitien à cheval, magnifiquement vêtu ; le coursier qu'il présentait au

 

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public attirait tous les regards.

  1. Le cortège triomphal se terminait au temple de Jupiter Capitolin ; arrivé là, on fit halte, car c'était un usage ancien et traditionnel d'attendre qu'on annonçât la mort du général ennemi. C'était Simon, fils de Gioras ; il avait figuré parmi les prisonniers ; on l'entraîna, la corde au cou, vers le lieu qui domine le Forum (32), parmi les sévices de ceux qui le

conduisaient ; car c'est une coutume, chez les Romains, de tuer à cet endroit ceux qui sont condamnés à mort pour leurs crimes. Quand on eut annoncé sa mort, tous poussèrent des acclamations de joie ; les princes commencèrent alors les sacrifices et après les avoir célébrés avec les prières accoutumées, ils se retirèrent vers le palais. Quelques assistants furent admis par eux à leur table ; tous les autres trouvèrent chez eux un beau repas tout préparé. Ainsi la ville de Rome fêtait à la fois en ce jour la victoire remportée dans cette campagne contre les ennemis, la fin des malheurs civils et ses espérances naissantes pour un avenir de félicité.

  1. Après ce triomphe et le solide affermissement de l'Empire romain, Vespasien résolut de bâtir le temple de la Paix (33) ; il fut achevé en très peu de temps et avec une splendeur qui passait toute imagination. Le prince sut, en effet, faire emploi de ses prodigieuses richesses et il l'embellit encore par d'anciens chefs d'oeuvre de peinture et de sculpture. Il transporta et exposa dans ce temple toutes les merveilles que les hommes avant lui devaient aller chercher dans divers pays, au prix de longs voyages. Il y consacra les vases d'or provenant du Temple des Juifs, butin dont il était particulièrement lier. Quant à la loi des Juifs et aux voiles de pourpre du sanctuaire, ils furent, par son ordre, déposés et gardés dans le palais.

VI

Siège et prise de Machaeron

 

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1-3. Lucilius Bassus marche sur Machaeron (34) ; description de cette ville. - 4. Siège et prise de Machaeron. - 5. Combat de Jardes. - 5. Redevances imposées aux Juifs.

  1. Entretemps, Lucilius Bassus avait été envoyé en Judée comme légat ; il reçut l'armée des mains de Vétilianus Céréalis (35), et fit capituler la forteresse d'Hérodion (36) avec sa garnison. Puis, concentrant toutes les troupes qui étaient divisées en nombreux détachements, et avec elles la dixième légion, il résolut de marcher contre Machaeron (37), jugeant indispensable de détruire cette forteresse, de crainte que sa solidité n'engageât beaucoup de Juifs à la révolte. La nature des lieux était très propre à inspirer toute confiance aux occupants, comme de l'hésitation et de la crainte aux assaillants. La partie entourée de murs est une crête rocheuse, s'élevant à une hauteur considérable et par cela même d'un accès difficile. A cet obstacle s'ajoutaient ceux qu'avait multipliés la nature, car la colline est de toutes parts entourée de ravins, véritable abîmes insondables à l'oeil, difficiles à traverser et qu'il est impossible de combler sur aucun point. La vallée latérale, face à l'ouest, s'étend sur une longueur de soixante stades et a pour limite le lac Asphaltite ; c'est dans cette direction que Machaeron même dresse son sommet dominant. Les vallées du nord et du midi, bien que le cédant en profondeur à la précédente, sont également défendues contre toute attaque. On constate que celle de l'Orient ne s'enfonce pas à moins de cent coudées, elle est bornée par une montagne qui s'élève en face de Machaeron.
  2. Frappé de la forte assiette de ce lieu. Alexandre, roi des Juifs (38) y v construisit le premier une forteresse ; plus tard, Gabinius s'en empara dans la guerre contre Aristobule (39). Mais quand Hérode fut roi, il jugea que cette place méritait plus qu'aucune autre ses soins et la construction de solides ouvrage, surtout à cause de la proximité des Arabes, car elle est très

 

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avantageusement tournée vers leur territoire. Il entoura donc de remparts et de tours un vaste espace et y bâtit une ville avec un chemin montant vers le sommet de la crête. Sur la hauteur, autour de la cime même, il construisit une muraille, défendue aux angles par des tours s'élevant chacune à soixante coudées. Art milieu de l'enceinte, il bâtit un palais magnifique par sa grandeur et la beauté de ses appartements : il y aménagea, pour recevoir l'eau de pluie et la fournir en abondance, de nombreux réservoirs aux endroits les plus appropriés ; il sembla de la sorte rivaliser avec la nature, s'efforçant de surpasser, par des fortifications élevées de la main des homme, la force inexpugnable dont elle avait doté cette position. Il y déposa aussi une grande quantité de traits et de machines, et n'oublia aucun préparatif qui pût permettre aux habitants de soutenir le siège le plus long.

3. Une plante nommée rue, d'une grandeur étonnante, avait poussé dans le palais ; elle ne le cédait à aucun figuier, ni pour la hauteur ni pour l'épaisseur. On racontait qu'elle y existait dès le temps d' Hérode, et elle aurait peut-être duré très longtemps encore si elle n'avait été coupée par les Juifs qui occupèrent ce lieu. Dans la vallée qui entoure la ville du côté du nord, il y a un endroit nommé Baaras (40), qui produit une racine du même

nom. Cette plante est d'une couleur qui ressemble à celle du feu. Vers le soir, les rayons qu'elle émet sur ceux qui s'avancent pour la saisir en rendent la cueillaison difficile ; elle se dérobe d'ailleurs aux prises et ne s'arrête de remuer que si l'on répand sur elle de l'urine de femme ou du sang menstruel (41). Même alors, celui qui la touche risque la mort immédiate, à moins qu'il ne porte suspendu à sa main un morceau de cette racine. On la prend encore sans danger par un autre procédé que voici. On creuse le sol tout autour de la plante, en sorte qu'une très faible portion reste encore enfouie ; puis on y attache un chien, et tandis que celui-ci s'élance pour suivre l'homme qui l'a attaché, cette partie de la racine est facilement extraite ; mais le chien meurt aussitôt, comme s'il donnait sa vie à la place de celui qui devait enlever la plante. En effet, quand on la saisit. après cette opération, on n'a rien à craindre. Malgré tant de périls, on la recherche pour une propriété qui la rend précieuse : les êtres appelés démons - esprits des méchants hommes qui entrent dans le corps des vivants et peuvent les tuer quand ceux-ci manquent de secours - sont rapidement expulsés par cette racine, même si on se contente de l'approcher des malades. Dans ce lieu coulent aussi des sources d'eaux chaudes très différentes par le goût, car quelques-unes sont amères, les autres parfaitement douces. Il y a encore de nombreuses

 

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sources froides, alignées parallèlement dans le terrain le plus bas, mais - chose plus étonnante - on voit dans le voisinage une caverne, de profondeur moyenne et recouverte d'un rocher qui surplombe ; à la partie supérieure de ce rocher font saillie comme deux mamelles, peu écartées l'une de l'autre, dont l'une répand une eau très froide, l'autre une eau très chaude ; le mélange de ces deux sources forme un bain très agréable et efficace contre les maladies, particulièrement celles des nerfs. Cette région possède en outre des mines de soufre et d'alun.

4. Bassus, après avoir examiné le site de tous côtés, résolut de s'en frayer les approches en comblant la vallée du côté de l'est ; il poursuivit ce travail avec zèle, faisant effort pour élever rapidement la terrasse qui devait faciliter le siège. Cependant les Juifs, bloqués dans la place, renvoyèrent les étrangers et les forcèrent, comme une foule inutile, de rester dans la ville basse, où ils devaient être exposés aux premiers dangers ; eux-mêmes occupèrent et gardèrent la citadelle sur la hauteur, tant à cause de ses fortes défenses que par prudence ; songeant d'avance à leur salut, ils pensaient pouvoir obtenir libre sortie en livrant la place aux Romains. Mais ils voulaient d'abord soumettre à l'expérience l'espoir qu'ils pouvaient entretenir de faire lever le siège. Ils faisaient donc tous les jours de vives sorties; dans leurs combats avec ceux qui travaillaient aux retranchements, ils perdaient beaucoup de monde, mais ils tuaient aussi beaucoup de Romains. Le plus souvent, c'était l'occasion qui donnait la victoire aux uns ou aux autres - aux Juifs quant ils tombaient sur un ennemi qui se gardait insuffisamment, aux Romains des terrasses quand ils en surveillaient les abords et se trouvaient bien protégés pour recevoir le choc des Juifs. Ce ne furent pas ces opérations qui devaient amener la fin du siège : un événement inattendu, produit d'une rencontre de circonstances, contraignit les Juifs à livrer la citadelle. II y avait parmi les assiégés un jeune homme du nom d'Éléazar, plein d'audace et d'activité ; il se distinguait dans les sorties, encourageant les autres à sortir et à arrêter les travaux des terrassements, infligeant aux Romains, dans ces combats, de nombreux et cruels échecs, facilitant l'attaque à ceux qui étaient assez courageux pour s'élancer à sa suite, et couvrant leur retraite en se retirant le dernier. Un jour donc, comme la lutte était achevée et que les deux partis se retiraient à la fois. Éléazar, dans la pensée dédaigneuse que nul ennemi ne recommencerait la lutte, resta hors des portes, causant avec ceux du rempart et leur prêtant toute son attention. Un soldat romain, Égyptien de naissance, nommé Rufus, voit cette occasion ; quand nul n'aurait pu s'y attendre, il s'élance soudain sur Éléazar, l'emporte avec ses armes, et, tandis que

 

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l'étonnement glace ceux qui du haut des murs assistent à cette scène, il se hâte de transporter son prisonnier auprès de l'armée romaine. Le général ordonna de le mettre à nu, de l'amener dans un endroit où il était le mieux vu des spectateurs de la ville et de le déchirer à coups de fouet. Les Juifs furent alors saisis d'une vive compassion pour ce jeune homme et là ville entière éclata en gémissements - plainte excessive, semble-t-il, pour le malheur d'un seul homme. A cette vue, Bassus ourdit un stratagème contre les Juifs ; il se proposa de redoubler leur émotion et de les contraindre à lui livrer la forteresse en échange de la vie de cet homme; son espérance ne fut pas déçue. Il ordonna donc de dresser une croix, comme s'il allait aussitôt attacher Éleazar ; les défenseurs de la citadelle, à ce spectacle, s'abandonnèrent à une affliction plus vive encore et, avec des cris perçants, hurlèrent qu'on leur infligeait une douleur insupportable. Alors Éléazar les supplia de ne pas le laisser subir la plus cruelle des morts, mais de veiller à leur propre salut en cédant à la force et à la fortune des Romains, maintenant que tous les autres s’étaient soumis. Les Juifs. ébranlés par ses paroles et par les vives prières qu'on leur adressait pour lui d'au dedans la ville, - car Éléazar était d'une grande famille très nombreuse - se laissèrent aller, malgré leur caractère, à la pitié ; ils envoyèrent bien vite quelques messagers, promettant de livrer la citadelle, demandant l'autorisation de s'éloigner en toute sûreté et d'emmener Éléazar. Les Romains et leur général accordèrent ces conditions ; mais la multitude de la ville basse, apprenant la convention particulière conclue par les Juifs, résolut elle-même de fuir secrètement pendant la nuit. Sitôt qu'elle eut ouvert les portes, Bassus en fut averti par ceux qui avaient traité avec lui, soit qu'ils fussent jaloux du salut de cette foule, soit qu'ils craignissent d'être déclarés responsables de sa fuite. Seuls les plus braves des fugitifs purent prendre les devants, faire une trouée et. s'enfuir ; de ceux qui restèrent à l'intérieur, mille sept cents hommes furent tués ; les femmes et les enfants furent vendus comme esclaves. Cependant Bassus crut qu'il fallait maintenir les conditions arrêtées avec ceux qui avaient livré la forteresse ; il les laissa donc partir et leur rendit Éléazar.

5. Après avoir réglé cette affaire, il se hâta de conduire son armée contre la forêt appelée Jarde (42) ; il avait appris, en effet,

que beaucoup de Juifs s'y étaient rassemblés, après s'être échappés de Jérusalem et de Machaeron, pendant le siège de ces deux villes. Arrivé là, il reconnut que la nouvelle n'était pas fausse ; il fit donc cerner d'abord par sa cavalerie tout le terrain, afin de rendre ainsi la fuite impossible à ceux des Juifs qui oseraient tenter de percer ; quant aux fantassins, il leur

 

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ordonna de couper les arbres de la forêt où s'étaient abrités les fugitifs. Les Juifs furent donc réduits à la nécessité de tenter quelque grande action d'éclat, de risquer une lutte aventureuse pour arriver peut-être à s'échapper ; s'élançant en rangs serrés et avec des cris, ils tombèrent sur les troupes qui les cernaient. Celles-ci leur opposèrent une forte résistance, et comme ils déployaient au plus haut degré, les uns l'énergie du désespoir, les autres l'ardeur de vaincre, le combat se prolongea assez longtemps : mais le terme n'en fut pas le même pour les deux partis opposés. Du côté des Romains, il n'y eut en tout que douze tués et quelques blessés ; mais aucun des Juifs ne sortit sain et sauf de l'engagement. Ils moururent tous au nombre d'environ trois mille, avec leur chef Judas, fils d'Ari, dont nous avons dit précédemment (43) que, commandant un corps de troupe pendant le siège de Jérusalem, il était descendu dans un des souterrains et avait réussi à s'enfuir sans être vu.

6. Vers ce temps-là César manda à Bassus et à Laberius

Maximus, qui était procurateur, d'affermer toutes les terres des Juifs. Il ne voulait pas bâtir là de ville, mais se les réserver comme domaine particulier : il donna seulement à huit cents soldats licenciés de l'armée romaine un territoire pour s'établir à l'endroit appelé Emmaüs, éloigné de trente stades de Jérusalem (44).

A tous les Juifs, en quelque lieu qu'ils habitassent, il imposa un tribut annuel de deux drachmes qui devait être versé au Capitole à la place de l'offrande qu'ils faisaient auparavant au Temple de Jérusalem (45). Tel était alors l'état des affaires des Juifs.

VII

Malheurs de la Commagène; invasions des Alains

1-2. -Paetus envahit la Commagène ; fuite d'Antiochos. - 3. Antiochos fait la paix avec Vespasien. - 4. Les Alains envahissent la Médie.

1. Dans la quatrième année du règne de Vespasien, il arriva qu'Antiochos, roi de Commagène, tomba avec toute sa famille dans de grands malheurs pour les raisons que voici. Caesennius Paetus (46), alors nommé gouverneur de Syrie, écrivit à César, soit qu'il fût sincère, soit par haine d'Antiochus (ce point n'a pas été bien élucidé) ; il y disait qu'Antiochos et son fils Epiphanes avaient résolu de se révolter contre les Romains et conclu une alliance avec le roi des Parthes. Il convenait donc à César de

 

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s'assurer d'eux, de crainte que, prenant les devants, ils n'entreprissent des opérations et ne troublassent tout l'Empire romain par la guerre. César ne pouvait négliger une telle dénonciation qui le surprit ; car le voisinage des deux rois rendait l'affaire très digne d'attention. Samosate, qui est la ville la plus importante de la Commagène, est, en effet, située sur l'Euphrate, en sorte que les Parthes, s'ils avaient conçu un tel dessein, eussent trouvé un passage facile et une réception assurée. Paetus, dont le témoignage avait trouvé crédit, eut l'autorisation de faire ce qu'il jugerait opportun. Aussitôt sans qu'Antiochos et ses amis s'y attendissent, il envahit la Commagène, à la tête de la sixième légion, accrue de cohortes auxiliaires et de quelques escadrons de cavalerie. Il avait en outre pour alliés deux rois : celui de Chalcis (47), Aristobule, et celui de la principauté dite d'Emèse, Scemus.

Leur invasion ne se heurta à aucune résistance : car nul des habitants du pays ne voulut lever les mains contre eux. Antiochos, à qui cette nouvelle parvint à l'improviste, n'accepta pas même l'idée d'une guerre contre les Romains ; il se décida à laisser toute la résidence royale dans l'état où elle était et à se retirer dans un char avec sa femme et ses enfants, pensant qu'il se justifierait ainsi aux yeux des Romains de l'accusation lancée contre lui.

Il s'avança donc à cent vingt stades de la ville dans la plaine, où il établit son camp.

2. Paetus envoya un détachement prendre possession de Samosate, et tint ainsi la ville en son pouvoir. Lui-même, avec le reste de ses troupes, se lança à la poursuite d'Antiochos. Le roi ne se laissa pas contraindre, même par la nécessité, à commettre quelque acte d'hostilité contre les Romains ; déplorant son sort, il se résigna à souffrir ce qu'il fallait supporter. Mais ses fils, jeunes, ayant l'expérience de la guerre, et remarquables parleur vigueur physique, ne devaient pas facilement accepter leur malheur sans résistance. Epiphanes (48) et Callinicos recoururent donc à la force. Il s'ensuivit une bataille acharnée qui dura tout le jour ; les princes montrèrent un brillant courage et se retirèrent, le soir venu, avec leurs troupes, qui n'avaient pas été entamées. Cependant Antiochos ne put se résoudre à rester en place, après une bataille dont l'issue avait été indécise ; il prit sa femme et ses filles et s'enfuit avec elles en Cilicie. Cette conduite ébranla le moral de ses troupes qui, le considérant comme ayant condamné lui-même sa royauté, firent défection et, désespérés, passèrent aux Romains. Craignant donc d'être complètement abandonnés par leurs compagnons de lutte, Epiphanes et son entourage durent nécessairement chercher leur salut dans la fuite ; il n'y eut en

 

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tout que dix cavaliers pour passer l'Euphrate avec ceux. De là ils se rendirent sans péril auprès du roi des Parthes, Vologèse, qui, loin de les mépriser comme des fugitifs leur accorda tous les honneurs comme s'ils jouissaient encore de leur ancienne félicité.

  1. Quand Antiochos fut arrivé à Tarse, ville de Cilicie, Paetus envoya pour l'arrêter un centurion et le fit conduire enchaîné à Rome. Vespasien ne put souffrir que ce roi fût amené devant lui en cet état ; il aima mieux prendre en considération leur ancienne amitié que de lui témoigner, sous prétexte de guerre, une colère inexorable. Il ordonna donc, pendant qu'Antiochos était encore en route, de lui enlever ses liens et, le dispensant du voyage à Rome, de le laisser vivre pour le moment à Lacédémone. Il lui accorda, en outre, une pension considérable, qui lui permit de mener une existence, non seulement aisée, mais digne d'un roi. Quand Epiphanes et ses compagnons apprirent cela, après avoir conçu de fortes craintes au sujet d'Antiochos, ils furent délivrés de leurs graves et pénibles inquiétudes. Ils espérèrent même se réconcilier avec César, car Vologèse lui avait écrit à leur sujet ; ils ne pouvaient, en effet, malgré les agréments de leur existence, se résigner à vivre hors de l'Empire romain. Aussi, quand César les y autorisa avec bienveillance, ils se rendirent à Rome ; le père y vint bientôt lui-même de Lacédémone. Ils y demeurèrent désormais, traités avec toutes les marques de considération.
  2. Nous avons précédemment exposé quelque part (49) que les Alains sont une tribu de Scythes, habitant aux bords du Tanaïs et du marais de la Méotide (50). A cette époque, ils formèrent le dessein d'envahir, pour les piller, la Médie et les régions au delà. Ils traitèrent avec le roi d'Hyrcanie (51), maître du passage que le roi Alexandre a fermé avec des portes de fer (52). Quand ce prince leur en eut ouvert l'accès, ils se précipitèrent en masse, sans que les Mèdes en eussent rien pressenti, dans une contrée fort peuplée, remplie de troupeaux de diverses espèces, qu'ils ravagèrent : personne n'osa s'opposer à leur marche, car le roi de ce pays, Pacoros (53), s'était enfui épouvanté dans des lieux inaccessibles, abandonnant tout le reste ; et c'est à peine s'il put racheter aux Alains sa femme et ses concubines prisonnières, au prix de cent talents. Pillant sans danger et sans résistance, les Alains s'avancèrent, en ravageant tout , sur leur passage, jusqu'en Arménie. Tiridate (54), roi de ce pays, marcha à leur

rencontre. Dans le combat qu'il livra, il s'en fallut de peu qu'il ne fût pris vivant ; l'un des Alains lui avait jeté de loin une corde qui l'enserra et allait la tirer à lui quand le prince la coupa

 

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rapidement avec son épée et prit la fuite. Cependant les Barbares, que ce combat avait encore rendus plus sauvages, dévastèrent tout le territoire, emmenèrent des deux royaumes un grand nombre de prisonniers et beaucoup d'autre butin, puis retournèrent dans leur pays (55).

VIII

Les Romains assiègent Masada

1. Les Romains attaquent Masada. -2-7. Siège de cette ville.

1. En Judée, Bassus était mort, et Flavius Silva lui succéda comme gouverneur (56). Voyant tout le territoire asservi par la guerre à l'exception d'une seule forteresse qui restait encore insurgée, il dirigea une expédition contre elle, après avoir rassemblé toutes les forces qu'il avait dans la région. Cette place se nomme Masada (57). Les sicaires qui l'avaient occupée étaient commandés par un homme de qualité, Éléazar, descendant de ce Judas qui persuada, comme nous l'avons rapporté (58), un assez grand nombre de Juifs à ne pas se faire inscrire, au temps où Quirinius fut envoyé en Judée pour présider au recensement. A ce moment, les sicaires se concertèrent contre ceux qui voulaient se soumettre aux Romains ; ils les poursuivaient de toutes manières comme des ennemis, pillant leurs biens, volant leurs troupeaux, mettant le feu à leurs habitations. Ils déclaraient ne voir aucune différence entre des étrangers et ceux qui avaient si lâchement trahi la liberté des Juifs, digne d'être défendue par les armes, ceux qui avaient déclaré leurs préférences pour la servitude sous le joug romain. Mais ce langage n'était qu'un prétexte pour voiler leur cruauté et leur avidité, ce que leurs actes montrèrent clairement. Car ces gens que les sicaires attaquaient prirent

 

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part avec eux à la sédition et apportèrent leur concours, dans la guerre contre les Romains, à ces mêmes hommes qui leur firent souffrir dans la suite des atrocités plus cruelles encore. Convaincus depuis longtemps d'avoir allégué des prétextes mensongers, ils redoublaient leurs rigueurs contre ceux qui, par de justes raisons, leur reprochaient leur méchanceté. Car ce temps fut bien fertile parmi les Juifs en cruautés variées ; on ne laissait sans la perpétrer aucune oeuvre scélérate ; même l'imagination, appliquée à cette recherche, n'aurait pu découvrir de forfait nouveau. C'était. comme une maladie contagieuse, sévissant dans le particulier et en public ; il y avait émulation à qui surpasserait les autres en impiétés envers Dieu, en injustices contre le prochain. Les puissants opprimaient la foule, la multitude cherchait à perdre les puissants ; car les uns avaient la passion de la tyrannie, les autres celle d'exercer des violences et de piller les biens des riches.

Les sicaires f tirent les premiers à donner le signal des crimes et des cruautés contre leurs compatriotes ; ils ne laissèrent aucun mot outrageant sans le prononcer, aucun dessein destiné à perdre leurs victimes sans le faire suivre d'effet. Mais Jean les fit passer pour modérés, en comparaison de lui. Car non seulement il tua tous ceux qui conseillaient des mesures justes et utiles, traitant les citoyens comme ses plus grands ennemis, mais il déchaîna sur sa patrie une infinité de malheurs publics, tels qu'on pouvait les attendre d'un homme assez perdu d'audace pour se montrer impie envers Dieu. Il mettait sur sa table des mets défendus, négligeant les règles de pureté consacrées par l'usage et par l'exemple de ses pères ; on ne s'étonnait plus dès lors qu'un homme coupable de si folles impiétés envers Dieu manquât, à l'égard de ses concitoyens, de toute humanité, de tout sentiment du devoir. Et quel crime n'a pas commis Simon fils de Gioras ? Quel outrage a-t-il épargné aux hommes libres qui avaient fait de lui leur tyran ? Quels liens d'amitié ou de parenté n'ont pas redoublé l’audace de ces hommes dans leurs meurtres quotidiens ? C'était, à leurs yeux, une sordide méchanceté de maltraiter des étrangers, mais un noble étalage de courage de sévir sur ceux qui les touchaient de plus près. Mais la rage des Iduméens se montra plus féroce encore. Ces abominables scélérats égorgèrent les grands-prêtres, pour ne garder aucune parcelle du respect dû à Dieu, supprimèrent tout ce qui restait encore des formes de gouvernement, introduisirent partout l'anarchie la plus complète. En cela excella la tourbe des hommes, appelés zélateurs, dont les actes confirmèrent le nom, car ils cherchèrent à imiter toute oeuvre scélérate et à répéter tous les forfaits dont l'histoire avait gardé le souvenir. Cependant ils s'attribuèrent ce nom du mot qui désigne le zèle tourné vers le bien, soit par une raillerie brutale de ceux qu'ils

 

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persécutaient, soit qu'ils considérassent les plus grands crimes comme des vertus. Assurément ils trouvèrent tous la fin qui leur convenait, car Dieu leur infligea à tous un juste châtiment ; toutes les souffrances que peut subir la nature humaine fondirent sur eux jusqu'au dernier terme de leur vie, qu'ils achevèrent au milieu de tourments de tout genre. Pourtant, on peut dire que leurs souffrances n'ont pas égalé leurs crimes, car il était impossible de les traiter suivant leurs mérites. Quant à ceux qui ont été victimes de leurs cruautés, ce n'est pas le moment de déplorer leur sort comme il le faudrait. Je reviens donc à mon récit que j'avais interrompu.

  1. Le général romain marcha avec ses troupes contre Éléazar et les sicaires qui occupaient avec lui Masada (59) ; il s'empara

rapidement de tout le territoire, dont il garnit de troupes les positions les plus avantageuses. Puis il éleva un mur tout autour de la place, pour rendre la fuite difficile aux assiégés, et y posta des gardes. Lui-même choisit, pour l'assiette de son camp, le lieu le plus propre aux opérations de siège, là où les rochers de la forteresse se rapprochaient de la montagne voisine

; l'approvisionnement y offrait d'ailleurs des difficultés. Non seulement les vivres y étaient convoyés de loin, au prix de grandes fatigues pour les Juifs chargés de cette tâche, mais encore l'eau devait être apportée dans le camp, en l'absence de toute source, voisine. Après avoir veillé à ces préparatifs, Silva entreprit le siège, qui exigea beaucoup d'habileté et d'efforts, à cause de la force de cette citadelle, qui est naturellement disposée comme je vais le dire.

  1. Un rocher d'un assez vaste pourtour et d'une grande hauteur est de toutes parts isolé par de profonds ravins, dont on ne voit pas le fond. Ils sont escarpés et inaccessibles aux pieds de tout être vivant, sauf en deux endroits où la roche se prête à une ascension pénible. De ces deux chemins, l'un part du lac Asphaltite dans la direction de l'est ; l'autre est à l'ouest et offre plus de facilité à la marche. On appelle le premier « serpent », à cause de son étroitesse et de ses nombreux détours : car il est coupé là où les escarpements font saillie, revient souvent sur lui-même, puis. s'allongeant peu à peu, poursuit à grand peine sa progression. Tout homme qui suit ce chemin doit s'appuyer alternativement sur chaque pied, car la mort le guette ; de chaque côté s'ouvrent des abîmes qui peuvent glacer d'effroi le plus brave. Quand on a suivi le chemin l'espace de trente stades, on n'a plus devant soi qu'un sommet sans pointe terminale, qui forme sur la crête une surface plane. C'est sur ce plateau que le grand-prêtre Jonathas (60) construisit d'abord

 

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une forteresse, qu'il appela Masada ; dans la suite, le roi Hérode s'occupa avec grand zèle de mettre cette place en état. Il éleva tout autour du sommet, sur une longueur de sept stades, une muraille de pierres blanches, haute de douze coudées, épaisse de huit ; au-dessus d'elle se dressaient trente-sept tours, hautes de cinquante coudées, d'où l'on pouvait passer dans des habitations construites sur toute la face intérieure du mur. Le roi avait réservé à la culture le sommet, qui est fertile et d'une terre plus meuble que toutes les plaines ; de cette façon, s'il y avait disette de provisions du dehors, la famine épargnerait ceux qui auraient confié leur salut à la forteresse. Il y bâtit aussi un palais sur la pente ouest, sous les remparts de la citadelle et tourné vers le nord. Le mur de ce palais était haut et solide ; il était flanqué aux angles de quatre tours de soixante coudées de haut. A l'intérieur, la disposition des appartements, des portiques et des bains offrait beaucoup de variété et de luxe ; partout s'élevaient des colonnes monolithes : les murs et le pavé des appartements étaient revêtus de mosaïques aux couleurs variées. Près de chacun des endroits habités, tant sur la hauteur qu'autour du palais et devant le rempart, il avait fait creuser beaucoup de grandes citernes dans le roc, pour fournir de l'eau en même abondance que s'il y avait eu des sources. Une route creuse, invisible du dehors, conduisait du palais au sommet de la colline. Du reste, il était difficile aux ennemis de faire usage même des routes que l'on voyait, car celle de l'orient est, comme nous l'avons dit, naturellement inaccessible, et Hérode avait fortifié celle de l'occident, dans sa partie la plus étroite, par une forte tour, qu'une distance d'au moins mille coudées séparait du sommet, et qu'il n'était, ni possible de tourner ni facile de prendre. Même pour des voyageurs n'ayant rien à craindre, la sortie en était malaisée. Ainsi la nature et la main des hommes avaient fortifié cette place contre les attaques des ennemis.

4. On admirait encore davantage la richesse et le bon état des approvisionnements accumulés ; en effet, on tenait en réserve du blé, en quantité suffisante pour un long temps, plus beaucoup de vin et d'huile, de légumes secs d'espèces variées, des monceaux de dattes. Éléazar, quand il s'empara par ruse de cette place forte, avec les sicaires (61), trouva toutes ces provisions bien conservées, nullement inférieures à celles qui avaient été déposées à une date récente : et cependant, depuis cet aménagement jusqu'à la prise de Masada par les Romains, il s'était écoulé près de cent ans. Néanmoins les Romains trouvèrent sans trace de corruption ce qui restait des fruits. Cette conservation doit être attribuée à l'air, que l'altitude de la citadelle préserve de tout mélange de terre ou de bourbe. On

 

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trouva aussi une multitude d'armes de toute espèce que le roi avait mises en réserve comme un trésor et qui eussent pu suffire aux besoins de dix mille hommes ; du fer, du bronze, et même du plomb non travaillés ; tous ces approvisionnements avaient été faits pour des motifs sérieux. On dit même qu'Hérode préparait cette forteresse pour lui servir de refuge, en prévision d'un double danger : d'une part la multitude des Juifs, qui pouvaient le renverser et ramener au pouvoir les rois de la dynastie antérieure ; de l'autre, péril plus grand et plus terrible, la menace de Cléopâtre, reine d'Égypte. Car celle-ci ne cacha jamais son dessein, mais pressa Antoine, dans ses fréquents entretiens, de tuer Hérode et de lui donner à elle le royaume des Juifs (62). On est étonné qu'Antoine. misérablement asservi par l'amour de cette femme, ait négligé d'accéder à sa requête qu'on ne pouvait guère s'attendre à le voir rejeter. Voilà donc les craintes qui déterminèrent Hérode à fortifier Masada : il devait ainsi laisser aux Romains cette tâche suprême pour achever la guerre contre les Juifs.

5. Lorsque le général romain eut comme nous l'avons dit (63), entouré extérieurement d'une muraille tout le terrain et prévenu, par la plus stricte surveillance, la fuite vies défenseurs, il entreprit le siège, n'avant trouvé qu'un endroit capable de recevoir des terrasses. Il y avait, en effet, derrière la tour qui protégeait la route de l'ouest vers le palais et le faite de la colline, un éperon rocheux d'une largeur considérable et formant saillie, mais de trois cents pieds au-dessous du sommet de Masada : on l'appelait Leuké, la « Roche blanche ». Silva y monta donc, !'occupa et ordonna à l'armée d'apporter des charges de terre. Grâce au zèle que les soldats déployèrent dans ce travail et à leur grand nombre, la terrasse s'éleva, solide, à la hauteur de deux cents pieds. Cependant une plate-forme de ces dimensions ne parut pas assez solide et résistante pour porter les machines destinées à l'assaut : aussi éleva-t-on au-dessus un "cavalier", de fortes pierres bien ajustées, large et haut de cinquante coudées. La construction des engins fut analogue à celle que Vespasien d'abord, et ensuite Titus avaient imaginée pour le siège des places ; de plus, on éleva une tour de cent coudées entièrement blindée de fer, du haut de laquelle les Romains, grâce au grand nombre de leurs oxybèles et onagres, lançaient des projectiles contre les défenseurs du rempart, dont ils les chassaient en les obligeant à se dérober. En même temps Silva mit en place un puissant bélier, avec ordre de battre continuellement la muraille, qui fut entamée, non sans peine, sur une certaine étendue et renversée. Les sicaires s'empressèrent de bâtir à l'intérieur un autre mur, auquel les machines ne devaient pas faire subir le même sort qu'au

 

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premier, car pour le rendre flexible et capable d'amortir la violence du choc, ils le construisirent de la façon suivante. Ils unirent les unes aux autre, à leurs extrémités, de grandes poutres disposées dans le sens de leur longueur. Il y en avait ainsi deux rangées parallèles, séparées l'une de l'autre par un intervalle égal à l'épaisseur du mur, et l'entre-deux était formé d'un amoncellement de terre. En outre, dans la crainte que la terre ne se répandit quand on battrait cette terrasse (64), ils relièrent encore par des poutres transversales celles qui étaient disposées en longueur. L'ouvrage était donc, aux yeux des ennemis, semblable à un édifice maçonné. Les coups des machines, portés contre cette matière qui leur cédait, s'amortissaient, et même, comme ce martèlement la comprimait, elle n'en devenait que plus solide. A cette vue, Silva jugea qu'il détruirait plutôt ce mur par le feu; il ordonna donc aux soldats de lancer en grand nombre des torches enflammées. Le mur, formé surtout de pièces de bois, prit feu rapidement ; embrasé dans sa profondeur, il développa un grand incendie. Dès le début de cet incendie, le vent du nord qui soufflait dans leurs visages inspira des craintes aux Romains ; comme il se rabattait sur eux d'en haut, il poussait les flammes contre eux, et peu s'en fallut même qu'ils ne désespérassent de leurs machines, prêtes à s'embraser aussi. Mais ensuite le vent, comme par une intervention surhumaine, changea subitement, et celui du sud, soufflant avec violence en sens contraire, ramena et rejeta l'incendie contre la muraille, qui bientôt flamba tout entière du haut en bas. Les Romains, ainsi assistés du secours de Dieu, se retirèrent joyeux dans leur camp, résolus à attaquer les ennemis le lendemain ; pendant cette nuit, leurs postes de garde veillèrent avec plus de soin que jamais, afin de ne laisser échapper aucun fuyard.

6. Cependant Éléazar ne conçut pas la pensée de fuir et n'autorisa personne à le faire. Quand il vit que le mur était consumé par le feu, il n'imagina aucun moyen de salut ni de défense et, réfléchissant sur le traitement que les Romains, une fois maîtres de la place, feraient subir aux défenseurs, à leurs femmes et à leurs enfants, il décida que tous devaient mourir après avoir pris cette résolution, la meilleure dans les circonstances présentes, il réunit les plus courageux lie ses compagnons et les exhorta en ces termes à agir ainsi :

"Il y a longtemps, mes braves, que nous avons résolu de n'être asservis ni aux Romains, ni à personne, sauf à Dieu, qui est le seul vrai, le seul juste maître des hommes; et voici venu l'instant qui commande de confirmer cette résolution par des actes. En ce moment donc, ne nous déshonorons pas, nous qui n'avons pas auparavant enduré une servitude exempte de péril et qui

 

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sommes maintenant exposés à des châtiments inexorables accompagnant la servitude, si les Romains nous tiennent vivants entre leurs mains ; car nous fûmes les premiers à nous révolter, et nous sommes les derniers à leur faire la guerre. Je crois d'ailleurs que nous avons reçu de Dieu cette grâce de pouvoir mourir noblement, en hommes libres, tandis que d'autres, vaincus contre leur attente, n'ont pas eu cette faveur. Nous avons sous les yeux, pour demain, la prise de la place, mais aussi la liberté de choisir une noble mort que nous partagerons avec nos amis les plus chers. Car les ennemis, qui souhaitent ardemment de nous prendre vivants, peuvent aussi peu s'opposer à notre décision que nous-mêmes leur arracher la victoire dans un combat. Peut-être eût-il fallu dès l'origine, quand nous voyions, malgré notre désir de revendiquer notre liberté, tous les maux cruels que nous nous infligions à nous-mêmes, et les maux pires encore dont nous accablaient les ennemis - reconnaître le dessein de Dieu, et la condamnation dont il avait frappé la race des Juifs, jadis chère à son coeur ; car s'il nous était resté propice, ou si du moins sa colère eût été modérée, il n'aurait pas laissé se consommer la perte d'un si grand nombre d'hommes ; il n'aurait pas abandonné la plus sainte de ses villes à l'incendie et à la sape des ennemis. Avons-nous donc espéré, seuls de tous les Juifs, d'échapper à notre perte en sauvant la liberté ? Comme si nous n'étions pas coupables envers Dieu, comme si nous n'avions participé à aucune iniquité (65) après avoir enseigné l'iniquité aux autres ? Mais voyez comment Dieu confond notre vaine attente, en faisant fondre sur nous des malheurs qui passent nos espérances. Car nous n'avons pas même trouvé notre salut dans la force naturelle de cette place imprenable, et, bien que possédant des vivres en abondance, une multitude d'armes et tous les autres approvisionnements en quantité, c'est manifestement Dieu lui-même qui nous a ravi tout espoir de nous sauver. Ce n'est pas, en effet, de son propre mouvement que le feu porté contre les ennemis s'est retourné contre le mur bâti par nous, mais c'est là l'effet d'une colère soulevée par nos crimes si nombreux, que nous avons, dans notre fureur, osé commettre sur nos compatriotes. Payons donc de nous-mêmes la peine de ces forfaits, non pas aux Romains, nos ennemis pleins de haine, mais à Dieu sont les châtiments sont plus modérés que les leurs. Que nos femmes meurent, sans subir d'outrages ; que nos enfants meurent sans connaître la servitude ! Après les avoir tués nous nous rendrons les uns aux autres un généreux office, en conservant la liberté qui sera notre noble linceul. Mais d'abord détruisons par le feu nos richesses et la forteresse ! Les Romains, je le sais bien, seront affligés de n'être pas les maîtres de nos personnes et d'être frustrés de tout

 

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gain. Laissons seulement les vivres ; ceux-ci témoigneront pour les morts que ce n'est pas la disette qui nous a vaincus, mais que, fidèles à notre résolution première, nous avons préféré la mort à la servitude. "

7. Telles furent les paroles d'Éléazar. Elles ne produisirent pas la même impression sur tous les assistants. Les uns avaient hâte d'obéir, et ils étaient presque joyeux à la pensée d'une mort aussi belle : mais il y en avait d'autres, d'un coeur moins ferme, qui étaient touchés de compassion pour leurs femmes et leurs familles, et sans doute aussi pour eux-mêmes, voyant la mort de si près. Ils se regardaient les uns les autres, et leurs larmes disaient assez leur refus. Éléazar, les voyant céder à la crainte et leurs âmes fléchir devant la grandeur de son dessein, craignit que ceux même qui avaient entendu avec fermeté son discours ne fussent amollis par les supplications et les larmes des autres. Il ne renonça donc pas à les exhorter et, s'enflammant lui-même s'animant d'une brûlante ferveur, il commença une harangue plus brillante encore sur l'immortalité de l'âme, en proie à une vive indignation et regardant fixement ceux qui pleuraient : "Certes, dit-il, je me suis bien trompé, en croyant avoir pour compagnons, dans ces luttes pour la liberté, des hommes courageux, résolus à bien vivre ou à mourir. Mais vous ne différiez nullement des premiers venus, ni pour la vertu ni pour l'audace, car vous craignez la mort, qui peut vous délivrer des plus grands maux, quand il ne fallait ni en retarder l'instant, ni attendre un conseiller. Depuis longtemps, et dès que s'ouvrit notre intelligence, les préceptes divins, transmis par la tradition et dont le témoignage était confirmé par les actions et les sentiments de nos pères, nous ont constamment enseigné que la vie, non la mort, est un malheur pour les hommes. La mort, en effet, libérant nos âmes, leur permet de s'échapper vers le pur séjour qui leur est propre pour y être exemptes de toute

calamité ; mais tant qu'elles sont unies au corps mortel et sensibles à ses maux, alors, à dire toute la vérité, elles sont mortes; car le divin ne doit pas être associé à ce qui est mortel. Assurément l'âme, même enchaînée au corps, possède une grande puissance ; elle fait de lui son propre instrument de perception ; invisible, elle le meut et le pousse à des actions qui dépassent sa nature mortelle ; mais quand l'âme, délivrée de ce poids qui l'entraîne vers la terre et s'attache à elle, occupé le séjour qui est proprement le sien, elle jouit alors d'une énergie bienheureuse et d'une puissance entièrement indépendante, restant, comme Dieu lui-même, invisible aux regards mortels. Car même quand elle est dans le corps, on ne l'aperçoit point ; elle s'en approche invisible et le quitte encore sans être vue ; elle n'a qu'une nature, l'incorruptibilité, mais elle est la cause des

 

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changements qu'éprouve le corps. En effet, toute partie de ce corps que touche l'âme vit et fleurit ; toute partie dont elle se retire meurt et se flétrit. Tant il y a en elle surabondance d'immortalité !

Le sommeil peut fournir la preuve la plus claire de ce que j'avance; dans cet état, l'âme, que le corps ne sollicite pas, jouit en parfaite liberté du repos le plus agréable : elle s'unit à Dieu par la communauté de sa substance, erre de tous cités et prédit beaucoup de choses à venir. Pourquoi donc craindre la mort, quand on aime le repos du sommeil Quelle folie n'y a-t-il pas à rechercher la liberté dans la vie, en se refusant l'immortelle liberté.

Nous devrions, après avoir été instruits dans nos familles, donner aux autres hommes l'exemple d'être prêts à la mort. Pourtant, si nous avons encore besoin que les étrangers nous garantissent cette croyance, regardons ces Indiens qui font profession de pratiquer la sagesse. Bien que braves, ils supportent avec impatience le temps de la vie, comme une redevance nécessaire due à la nature, mais ils se hâtent de séparer leur âme de leur corps et, sans y être engagés ni poussés par aucun mal, cédant au désir de la vie immortelle, ils annoncent d'avance aux autres leur intention de quitter ce monde. Il n'y a personne pour les en empêcher : tous, au contraire, les jugent heureux, et leur donnent des lettres pour leurs proches, tant ils considèrent comme assurées et parfaitement vraies les relations qui unissent les âmes entre elles. Puis, quand ces sages ont entendu les messages qui leur sont confiés, ils livrent leur corps au feu, afin de séparer du corps, l'âme rendue à la pureté la plus parfaite, et ils meurent parmi les hymnes de louanges. Leurs amis les plus chers les accompagnent à la mort, plus volontiers que les autres hommes n'accompagnent leurs concitoyens partant pour un très long voyage ; ils pleurent sur eux-mêmes, mais vantent le bonheur de ces sages, qui déjà reçoivent leur place dans l'immortel séjour. N'avons-nous donc pas honte d'être inférieurs en sagesse aux Indiens et d'outrager honteusement, par notre timidité, ces lois de nos pères qui sont un objet d'envie pour tous les hommes ? Mais, quand même nous aurions été instruits tout d'abord dans des préceptes tout contraires, dans la pensée que pour les hommes la vie est un bien et la mort un mal, l'événement nous invite cependant à supporter la mort avec courage, car nous périssons par la volonté de Dieu et la force de la nécessité. Depuis longtemps, à ce qu'il semble, Dieu avait porté ce décret contre la race entière des Juifs, qu'il fallait renoncer à une vie dont nous ne savions pas user avec justice. Gardez-vous de vous accuser vous-mêmes, ni d'en faire honneur aux Romains, si la guerre que nous soutenons contre eux a entraîné notre

 

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ruine totale : ce n'est pas leur puissance qui a produit cet effet, mais une cause bien supérieure qui leur a donné l'apparence de la victoire.

Est-ce sous les armes des Romains qu'ont péri les Juifs de Césarée ? (66) Ils n'avaient pas même l'intention de se révolter

contre Rome : ils s'occupaient de célébrer le sabbat, quand la foule des habitants de Césarée s'élança contre eux. et, sans même qu'ils levassent les bras, les égorgea avec leurs femmes et leurs enfants. Cette foule n'avait aucune crainte des Romains qui, certes, considéraient seulement comme ennemis les révoltés de notre nation.

Mais, dira-t-on, les habitants de Césarée furent toujours hostiles à ceux qui séjournaient parmi eux ; profitant de l'occasion, ils ont assouvi leur ancienne haine. Que dire alors des Scythopolitains ? Ils ont osé, dans l'intérêt des Grecs, nous faire la guerre, mais non se venger des Romains avec notre aide, alors que nous étions parents. La bienveillance et la fidélité que les Juifs avaient témoignées aux habitants leur a été vraiment d'un grand secours ; ils ont été cruellement égorgés en masse, eux et leurs familles, et c'est là le prix qu'ils ont reçu de leur alliance. Le mal dont nous les avions défendus, ils l'ont fait subir à nos concitoyens, comme si ceux-ci avaient eu l'intention de l'infliger (67). II serait long maintenant de mentionner en

détail tous ces événements ; vous savez qu'il n'y a pas une ville de Syrie qui n'ait tué les Juifs, habitant dans ses murs, avec plus de haine pour nous que pour les Romains.

C'est dans ce pays que le peuple de Damas, incapable même de forger un prétexte spécieux, a rempli la ville du carnage le plus abominable, égorgeant dix-huit mille Juifs avec leurs femmes et leurs enfants. Quant à la multitude des Juifs d'Égypte, torturés et tués, elle dépasse peut-être, on nous l'a dit, le nombre de soixante-mille.

Si ces Juifs ont péri de la sorte, c'est apparemment parce que, sur une terre étrangère, ils n'ont trouvé aucun secours qu'ils pussent opposer à leurs ennemis. Mais à ceux qui, sur leur propre territoire, ont tous ensemble engagé la guerre contre les Romains, qu'a-t-il donc manqué de ce qui pouvait leur inspirer l'espoir d'un solide succès : des armes, des remparts, des forteresses imprenables, un coeur inaccessible aux périls affrontés pour la cause de la liberté, tout les a encouragés à la révolte. Mais ces forces, suffisantes pour quelque temps et qui excitaient nos espoirs, parurent bientôt la source des plus grands malheurs; tout fut pris, tout tomba aux mains des ennemis, comme si ces préparatifs eussent été faits pour rehausser leur triomphe, non pour le salut de ceux qui en étaient les auteurs. Ceux qui sont tombés dans les combats, il faut les estimer heureux, car ils sont morts en défendant la

 

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liberté, non en la trahissant. Mais qui n'aura pitié de la multitude tombée au pouvoir des Romains ? Qui ne voudra mourir plutôt que de subir le même sort ? Les uns ont péri sur la roue, torturés par le feu ou le fouet ; d'autres, à demi dévorés par les bêtes fauves, ont été conservés, vivants encore, pour leur servir une seconde fois de pâture, après avoir offert aux ennemis matière à rire et à s'amuser. Mais il faut considérer comme les plus infortunés de ces Juifs ceux qui vivent encore, et qui, implorant souvent la mort, sont dans l'impossibilité de la trouver.

Où est cette grande cité, la métropole de toute la nation juive, qui devait sa force à tant d'enceintes de murailles, qui opposait aux ennemis un si grand nombre de forts et de hautes tours, qui avait peine à contenir les approvisionnements de la guerre et renfermait, pour sa défense, tant de myriades de combattants ? Où est celle qui passait pour une création de Dieu ? Elle a été arrachée de ses fondements, renversée de fond en comble, et il ne reste d'elle, sur ses ruines, d'autre monument que le camp de ceux qui l'ont détruite (68). De malheureux vieillards y demeurent encore près des cendres du Temple, avec quelques femmes que les ennemis out réservées aux outrages les plus vils.

Lequel de nous, songeant à un pareil spectacle, souffrira de voir la lumière du soleil, pût-il même vivre à l'abri du péril ? Qui donc est assez ennemi de sa patrie, assez lâche, assez attaché à la vie pour ne pas regretter d'avoir vécu jusqu'à ce jour ? Ah ! plût à Dieu que nous fussions tous morts avant d'avoir vu cette sainte cité sapée par les mains des ennemis, ce Temple saint renversé par un tel sacrilège ! Mais puisque le noble espoir qui nous a soutenus, de réussir peut être à nous venger de ce crime sur les ennemis, s'est maintenant dissipé, et nous laisse seuls en présence de la nécessité, hâtons-nous de mourir avec honneur ! Prenons-nous en pitié, nous, nos enfants et nos femmes, tandis qu'il nous est encore permis d'avoir pitié de nous-mêmes. Car c'est pour la mort que nous sommes nés et que nous avons engendré nos enfants ; même les heureux ne peuvent pas y échapper dais les outrages, l'esclavage, la vue de nos femmes ravies avec nos enfants pour le déshonneur, ce ne sont pas là des maux d'une nécessité naturelle pour les hommes ; de telles épreuves, ils les supportent par lâcheté, parce qu'ils ne veulent pas, en ayant le pouvoir, les prévenir par la mort. Or, c'est enorgueillis de notre courage que nous nous sommes révoltés contre les Romains, et même tout dernièrement, quand ils nous offraient la vie sauve, nous n'avons pas cédé. Qui ne prévoit les effets de leur rage, si nous tombons vivants en leur pouvoir ? Infortunés seront les jeunes gens dont la vigueur pourra souffrir tant de tourments ; infortunés les hommes sur le

 

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retour de l'âge, incapables de les supporter. L'un verra sa femme entraînée pour subir la violence ; un captif, les mains liées, entendra la voix de son fils, implorant le secours paternel. Mais tant que ces mains sont libres et tiennent le glaive, qu'elles s'acquittent de leur noble ministère ! Mourons sans être esclaves de nos ennemis ; sortons ensemble, libres, de la vie, avec nos enfants et nos femmes ! C'est là ce que nos lois ordonnent (69),

ce qu'implorent de nous nos femmes et nos enfants. C'est une nécessité que Dieu nous impose ; toute contraire est la volonté des Romains, qui craignent que l'un de nous ne meure avant la prise de la ville. Hâtons-nous donc de leur laisser, au lieu de cette joie qu'ils espèrent goûter en nous prenant, un sentiment de stupeur devant notre mort et d'admiration pour notre courage !"

IX

Prise de Masada ; suicide de la population 1-2. Prise de Masada

1. Il voulait continuer ses exhortations quand tous l'interrompirent et, pleins d'une irrésistible ardeur, s'empressèrent pour accomplir l'acte qu'il leur conseillait. Agités comme d'un transport divin, ils s'éloignaient, impatients de se devancer les uns les autres, jugeant que c'était une preuve éclatante de courage et de sagesse de ne pas se laisser voir parmi les derniers. Tant était fort l'amour de leurs femmes, de leurs enfants et de leur propre mort qui les inspirait ! Quand ils arrivèrent à l'acte suprême, ils n'eurent pas. comme on l'eût cru, de défaillances ; ils gardèrent leur résolution aussi fermement tendue qu'à l'instant où ils entendirent le discours d'Éléazar ; chez tous subsistaient des sentiments émus et affectueux, mais la raison l'emportait, parce qu'elle leur paraissait avoir pris le parti le plus sage pour les êtres qui leur étaient les plus chers. Ensemble, ils embrassèrent, étreignirent leurs femmes, serrèrent dans leurs bras leurs enfants, s'attachant avec des larmes à ces derniers baisers ; ensemble, comme si des bras étrangers les eussent assistés dans cette oeuvre, ils exécutèrent leurs résolution, et la pensée des maux que ces malheureux devaient souffrir, s'ils tombaient aux mains des ennemis, était pour les meurtriers, dans cette nécessité de donner la mort, une consolation. Enfin, nul ne se trouva inférieur à un si grand dessein; tous percèrent les êtres les plus chéris. Malheureuses victimes du sort, pour qui le meurtre de leurs femmes et de leurs enfants, exécuté de leur main, paraissait le plus léger de

 

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leurs maux !

Aussi, ne pouvant plus supporter l'angoisse dont ces actes une fois accomplis les accablait, et croyant que ce serait faire injure aux victimes de leur survivre même un court instant ils en tassèrent promptement au même endroit tous leurs biens et y mirent le feu ; puis ils tirèrent au sort dix d'entre eux pour être les meurtriers de tous ; chacun s'étendit auprès de sa femme et de ses enfants qui gisaient à terre, les entourant de ses bras, et tous offrirent leur gorge toute prête à ceux qui accomplissaient ce sinistre office. Quand ceux-ci eurent tué sans faiblesse tous les autres, ils s'appliquèrent les uns aux autres la même loi du sort : l'un d'eux, ainsi désigné, devait tuer ses neuf compagnons et se tuer lui-même après tous ; de cette manière, ils étaient assurés qu'il y aurait égalité pour tous dans la façon de porter le coup et de le recevoir. Enfin, les neuf Juifs souffrirent la mort et le dernier survivant, après avoir contemplé autour de lui la multitude des cadavres étendus, craignant qu'au milieu de ce vaste carnage il ne restât quelqu'un pour réclamer le secours de sa main et ayant reconnu que tous avaient péri, mit le feu au palais, s'enfonça d'un bras vigoureux son épée tout entière dans le corps, et tomba près de ceux de sa famille. Ils étaient morts dans la pensée de n'avoir laissé aucun être vivant au pouvoir des Romains ; cependant une vieille femme et une parente d'Éléazar, remarquable entre toutes par son intelligence et son savoir, avaient échappé aux regards et s'étaient cachées avec cinq enfants dans les souterrains qui, à travers le sol, apportaient l'eau à la ville, pendant que les autres habitants étaient absorbés par le massacre.

Le nombre des morts s'élevait à neuf cent-soixante, en comptant les femmes et les enfants. Ce désastre arriva le 15 du mois de Xanthicos (70).

2. Cependant les Romains, qui s'attendaient encore à combattre, équipés dès l'aurore, rejoignirent par des ponts volants les terrassements aux abords de la place et commencèrent l'assaut. Comme ils n'apercevaient aucun ennemi et voyaient de toutes parts une affreuse solitude, et à l'intérieur, dans un profond silence, l'incendie. ils se demandaient avec inquiétude ce qui s'était passé. Enfin, quand ils furent arrivés à portée de trait, ils poussèrent de grands cris pour attirer quelqu'un des défenseurs. Les pauvres femmes entendirent cette clameur ; elles sortirent des souterrains et racontèrent aux Romains ce qui était arrivé ; l'une d'elles rapporta exactement le discours d'Éléazar et les circonstances de la tuerie.

Les Romains ne crurent pas d'abord à ce récit, car la grandeur d'un pareil acte les laissait incrédules ; ils entreprirent d'éteindre le feu et bientôt, se frayant une route dans l'incendie,

 

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ils arrivèrent à l'intérieur du palais. Alors, voyant cette multitude de cadavres, ils ne se réjouirent pas comme en présence d'ennemis morts, mais admirèrent la noblesse de cette résolution et ce mépris de la vie, attesté par tant d'hommes qui avaient agi avec constance jusqu'au bout.

X

Les sicaires en Égypte ; destruction du temple d'Onias

1. Les sicaire, en Egypte. 2-4. Destruction du temple d'Onias.

1. Après la prise de Masada, effectuée dans ces conditions, le général laissa dans la place une garnison, puis se rendit à Césarée avec ses troupes. Car il ne restait plus un ennemi dans le pays, déjà soumis tout entier par une longue guerre qui avait répandu dans beaucoup de colonies juives, même très éloignées, des rumeurs et des dangers de troubles. C'est ainsi qu'après les événements, de nombreux Juifs trouvèrent encore la mort à Alexandrie d'Égypte. Car ceux des sicaires qui purent échapper à la répression de la révolte et s'y réfugièrent, non contents de s'être sauvés, commencèrent de nouvelles menées révolutionnaires et persuadèrent à une grande partie des hôtes qui les avait accueillis de revendiquer leur indépendance, de nier que les Romains fussent supérieurs et de considérer Dieu comme leur seul maître. Quand ils virent quelques Juifs de condition élevée se dresser contre eux, ils les égorgèrent et s'attachèrent aux autres en les exhortant à se révolter. Alors les chefs du conseil (71), en présence de ces égarements des sicaires, jugèrent qu'il serait dangereux pour eux de négliger ces tentatives ; ils réunirent donc tous les Juifs en assemblée et condamnèrent la fureur désespérée des sicaires en les dénonçant comme les auteurs de tous ces troubles ; ils déclarèrent que ces hommes, n'ayant pas, même dans la fuite, l'espérance d'un salut assuré, - car reconnus par les Romains, ils seraient bientôt mis à mort - faisaient maintenant retomber tout le malheur mérité par eux sur ceux qui n'avaient participé à aucun de leurs crimes.

Ils supplièrent donc la multitude de se garder de la ruine dont ces sicaires la menaçaient, et de se justifier elle-même auprès des Romains en les leur livrant. Comprenant la grandeur du péril, les Juifs se laissèrent persuader par cet avis, et, s'élançant avec fureur contre les sicaires, ils les firent prisonniers. On en captura aussitôt six cents, et tous ceux qui s'enfuirent en Egypte et dans la ville égyptienne de Thèbes furent en peu de temps arrêtés et ramenés. Il n'y avait personne lui ne fût frappé

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

de leur constance et de leur fureur, que l'on doit peut-être appeler force d'âme. On imagina contre eux toutes sortes de tourments et de supplices dont on accablait leur corps. à seule fin de leur faire reconnaître César pour leur maître : mais aucun ne céda ni ne parut sur le point de prononcer ces mots : tous gardèrent leur opinion élevée au-dessus de la contrainte, comme s'ils recevaient la torture et le feu sur un corps insensible. sur une âme presque joyeuse. Ce fut surtout la conduite des enfants qui étonna les spectateurs : on ne put contraindre aucun d'eux à nommer César son maître. Tant la force de l'intrépidité dominait en eux la faiblesse du corps !

  1. Lupus (72), qui était. alors gouverneur d'Alexandrie, manda aussitôt à César ce mouvement des Juifs. Celui-ci, qui se méfiait des Juifs à cause de leur continuel penchant à la révolte, craignant qu'ils ne se réunissent en corps et n'attirassent à eux quelques alliés, ordonna à Lupus de détruire dans la région dite d'Onias le temple des Juifs (73). Celui-ci s'élève en Égypte dans une région qui a été colonisée et a reçu son nom dans les circonstances que voici. Onias, fils de Simon, un des grands-prêtres de Jérusalem, fuyant Antiochos, roi de Syrie (74), qui

était alors en guerre avec les Juifs, vint à Alexandrie, où Ptolémée le reçut avec bienveillance à cause de la haine de ce roi contre Antiochos. Onias lui promit de lui procurer l'alliance du peuple juif, s'il se laissait persuader par ses paroles. Comme le roi lui promettait de faire ce qu'il pourrait, Onias lui demanda l'autorisation de construire un temple en quelque point de l'Égypte, et de servir Dieu suivant les coutumes des ancêtres ; il ajouta qu'ainsi les Juifs seraient encore plus hostiles à Antiochos, qui avait ruiné le Temple de Jérusalem, qu'ils témoigneraient au roi d'Égypte encore plus de bienveillance, et que la tolérance de leur culte en attirerait un plus grand nombre auprès de lui.

  1. Gagné par ces paroles, Ptolémée lui assigna un territoire situé à cent quatre vingts stades de Memphis, dans le nome dit d'Héliopolis. C'est là qu'Onias bâtit une citadelle, puis éleva un temple, non point pareil à celui de Jérusalem, et ressemblant plutôt à une tour faite de grandes pierres qui s'élevait à soixante coudées. Mais l'autel fut construit à l'image de celui de la métropole et le temple orné d'objets semblables, sauf le chandelier : à la place de celui-ci, Onias fit fabriquer une lampe d'or, répandant une lumière éclatante, qu'il suspendit à une chaîne d'or. Toute l'enceinte était fermée d'un mur de briques cuites, muni de portes de pierre. Le roi fit don à ce temple de grandes terres pour lui constituer des revenus, assurant ainsi

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

aux prêtres une vie facile et à Dieu tout ce qu'exigeait la piété. Dans tout cela Onias n'obéissait pas à des sentiments louables ; il y avait en lui l'intention de rivaliser avec les Juifs de Jérusalem, car il leur en voulait de son exil - et il espérait crue par la construction de ce temple il y attirerait la multitude loin de la métropole. Il y avait d'ailleurs une prophétie qui remontait à six cent ans en arrière (75) et dont l'auteur, sous le nom

d'Isaïe, annonçait la fondation de ce temple eu Egypte, par la main d'un Juif. C'est donc ainsi que ce temple fut construit.

4. Quand Lupus, le gouverneur d'Alexandrie, eut reçu la lettre de César, il se rendit à ce sanctuaire, se fit livrer quelques-unes des offrandes et ferma le temple. Lupus mourut peu après ; Paulinus, qui lui succéda dans ce gouvernement, ne laissa en place aucun des objets du culte et menaça les prêtres de peines graves s'ils ne les lui apportaient pas tous. Il ne permit pas à ceux qui voulaient honorer Dieu d'entrer dans le temple, en ferma les portes et le rendit complètement inaccessible, de manière à ne laisser dans ce lieu aucune trace du culte divin. Depuis la fondation du temple jusqu'à sa fermeture, il s'était écoulé trois cent quarante trois ans (76).

X

1. Les sicaire, en Egypte. 2-4 : Destruction du temple d'Onias.

1. Après la prise de Masada, effectuée dans ces conditions, le général laissa dans la place une garnison, puis se rendit à Césarée avec ses troupes. Car il ne restait plus un ennemi dans le pays, déjà soumis tout entier par une longue guerre qui avait répandu dans beaucoup de colonies juives, même très éloignées, des rumeurs et des dangers de troubles. C'est ainsi qu'après les événements, de nombreux Juifs trouvèrent encore la mort à Alexandrie d'Égypte. Car ceux des sicaires qui purent échapper à la répression de la révolte et s'y réfugièrent, non contents de s'être sauvés, commencèrent de nouvelles menées révolutionnaires et persuadèrent à une grande partie des hôtes qui les avait accueillis de revendiquer leur indépendance, de nier que les Romains fussent supérieurs et de considérer Dieu comme leur seul maître. Quand ils virent quelques Juifs de condition élevée se dresser contre eux, ils les égorgèrent et s'attachèrent aux autres en les exhortant à se révolter. Alors les chefs du conseil (71), en présence de ces égarements des sicaires, jugèrent qu'il serait dangereux pour eux de négliger ces tentatives ; ils réunirent donc tous les Juifs en assemblée et condamnèrent la fureur désespérée des sicaires en les

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

dénonçant comme les auteurs de tous ces troubles ; ils déclarèrent que ces hommes, n'ayant pas, même dans la fuite, l'espérance d'un salut assuré, - car reconnus par les Romains, ils seraient bientôt mis à mort - faisaient maintenant retomber tout le malheur mérité par eux sur ceux qui n'avaient participé à aucun de leurs crimes.

Ils supplièrent donc la multitude de se garder de la ruine dont ces sicaires la menaçaient, et de se justifier elle-même auprès des Romains en les leur livrant. Comprenant la grandeur du péril, les Juifs se laissèrent persuader par cet avis, et, s'élançant avec fureur contre les sicaires, ils les firent prisonniers. On en captura aussitôt six cents, et tous ceux qui s'enfuirent en

Egypte et dans la ville égyptienne de Thèbes furent en peu de temps arrêtés et ramenés. Il n'y avait personne lui ne fût frappé de leur constance et de leur fureur, que l'on doit peut-être appeler force d'âme. On imagina contre eux toutes sortes de tourments et de supplices dont on accablait leur corps. à seule fin de leur faire reconnaître César pour leur maître : mais aucun ne céda ni ne parut sur le point de prononcer ces mots : tous gardèrent leur opinion élevée au-dessus de la contrainte, comme s'ils recevaient la torture et le feu sur un corps insensible. sur une âme presque joyeuse. Ce fut surtout la conduite des enfants qui étonna les spectateurs : on ne put contraindre aucun d'eux à nommer César son maître. Tant la force de l'intrépidité dominait en eux la faiblesse du corps !

2. Lupus (72), qui était. alors gouverneur d'Alexandrie, manda aussitôt à César ce mouvement des Juifs. Celui-ci, qui se méfiait des Juifs à cause de leur continuel penchant à la révolte, craignant qu'ils ne se réunissent en corps et n'attirassent à eux quelques alliés, ordonna à Lupus de détruire dans la région dite d'Onias le temple des Juifs (73). Celui-ci s'élève en Égypte dans une région qui a été colonisée et a reçu son nom dans les circonstances que voici. Onias, fils de Simon, un des grands-prêtres de Jérusalem, fuyant Antiochos, roi de Syrie (74), qui était alors en guerre avec les Juifs, vint à Alexandrie, où Ptolémée le reçut avec bienveillance à cause de la haine de ce roi contre Antiochos. Onias lui promit de lui procurer l'alliance du peuple juif, s'il se laissait persuader par ses paroles. Comme le roi lui promettait de faire ce qu'il pourrait, Onias lui demanda l'autorisation de construire un temple en quelque point de l'Égypte, et de servir Dieu suivant les coutumes des ancêtres ; il ajouta qu'ainsi les Juifs seraient encore plus hostiles à Antiochos, qui avait ruiné le Temple de Jérusalem, qu'ils témoigneraient au roi d'Égypte encore plus de bienveillance, et que la tolérance de leur culte en attirerait un plus grand nombre

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

auprès de lui.

  1. Gagné par ces paroles, Ptolémée lui assigna un territoire situé à cent quatre vingts stades de Memphis, dans le nome dit d'Héliopolis. C'est là qu'Onias bâtit une citadelle, puis éleva un temple, non point pareil à celui de Jérusalem, et ressemblant plutôt à une tour faite de grandes pierres qui s'élevait à soixante coudées. Mais l'autel fut construit à l'image de celui de la métropole et le temple orné d'objets semblables, sauf le chandelier : à la place de celui-ci, Onias fit fabriquer une lampe d'or, répandant une lumière éclatante, qu'il suspendit à une chaîne d'or. Toute l'enceinte était fermée d'un mur de briques cuites, muni de portes de pierre. Le roi fit don à ce temple de grandes terres pour lui constituer des revenus, assurant ainsi aux prêtres une vie facile et à Dieu tout ce qu'exigeait la piété. Dans tout cela Onias n'obéissait pas à des sentiments louables ; il y avait en lui l'intention de rivaliser avec les Juifs de Jérusalem, car il leur en voulait de son exil - et il espérait crue par la construction de ce temple il y attirerait la multitude loin de la métropole. Il y avait d'ailleurs une prophétie qui remontait à six cent ans en arrière (75) et dont l'auteur, sous le nom d'Isaïe, annonçait la fondation de ce temple eu Egypte, par la main d'un Juif. C'est donc ainsi que ce temple fut construit.
  2. Quand Lupus, le gouverneur d'Alexandrie, eut reçu la lettre de César, il se rendit à ce sanctuaire, se fit livrer quelques-unes des offrandes et ferma le temple. Lupus mourut peu après ; Paulinus, qui lui succéda dans ce gouvernement, ne laissa en place aucun des objets du culte et menaça les prêtres de peines graves s'ils ne les lui apportaient pas tous. Il ne permit pas à ceux qui voulaient honorer Dieu d'entrer dans le temple, en ferma les portes et le rendit complètement inaccessible, de manière à ne laisser dans ce lieu aucune trace du culte divin. Depuis la fondation du temple jusqu'à sa fermeture, il s'était écoulé trois cent quarante trois ans (76).

XI

Les sicaires à Cyrène; accusation portée contre Josèphe. Épilogue

1. Sédition des sicaires à Cyrène. - 2. Conduite infâme de Catullus. - 3. Accusation contre Josèphe. - 4. Fin misérable de Catullus. - 5. Epilogue de l'histoire de la guerre des Juifs.

1. La fureur des sicaires s'attaqua aussi comme une épidémie

 

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aux villes de la Cyrénaïque, Jonathan, le plus scélérat des hommes, tisserand de son métier, se réfugia à Cyrène ; il persuada un assez grand nombre de pauvres gens de le suivre et les emmena au désert, leur promettant de leur montrer dis signes divins et des apparitions. Son entreprise et ses fourberies restèrent généralement ignorées ; cependant les Juifs les plus distingués de Cyrène dénoncèrent à Catullus, gouverneur de la Libye pentapolitaine, l'exode et les menées de Jonathas. Le gouverneur envoya des cavaliers et des fantassins et s'empara facilement de cette troupe désarmée. La plupart furent tués, d'autres pris vivants et amenés à Catullus. Quant a l'instigateur, Jonathan, il se sauva sur l'heure, mais fut pris après des recherches actives faites dans tout le pays. Conduit devant le gouverneur, il imagina un moyen d'échapper lui-même au supplice et de fournir ainsi à Catullus l'occasion de sévir injustement, car il prétendit faussement que les Juifs les plus riches lui avaient suggéré son dessein.

  1. Catullus accueillit avec empressement ces calomnies et enfla considérablement l'affaire, en prenant un ton tragique pour se donner l'apparence d'avoir, lui aussi, triomphé d'une guerre juive. Qui pis est, non content d'ajouter foi aux mensonges des sicaires, il en fut encore l'inspirateur; c'est ainsi qu'il donna l'ordre à Jonathas de dénoncer un certain Juif, du nom d'Alexandre dont il était depuis longtemps l'ennemi et auquel il portait une haine ouverte ; il enveloppa dans ses accusations Bérénice, la femme d'Alexandre, les mit à mort tous deux et fit égorger après eux tous les Juifs connus par leur richesse, c'est-à-dire environ un millier d'hommes. Il croyait commettre ces crimes avec sécurité, parce qu'il confisquait leurs patrimoines au profit du fisc impérial.
  2. Pour empêcher même que des Juifs d'autres pays pussent dénoncer son injustice, il poussa plus loin le mensonge et persuada Jonathas et quelques-uns de ceux qui avaient été pris avec lui d'étendre l'accusation de révolte aux Juifs les plus considérés d'Alexandrie et de Rome. Un de ceux qui furent ainsi accusés frauduleusement était Josèphe, l'auteur de cette histoire (77).

Cependant cette machination ne réussit pas au gré des espérances de Catullus. Il vint à Rome, amenant enchaînés Jonathas et ses compagnons, pensant que l'enquête se bornerait aux fausses accusations formulées auprès de lui et par son ordre. Mais Vespasien conçut des soupçons sur l'affaire, il rechercha la vérité, reconnut l'injustice de l'accusation portée contre ces Juifs, les remit en liberté sur les instances de Titus et infligea à Jonathas la peine qu'il méritait ; il fut, en effet,

 

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torturé, puis brûlé vif.

  1. Catullus, grâce à l'humanité des empereurs, fut seulement réprimandé ; mais il devint, peu de temps après, la proie d'une maladie compliquée et incurable qui le fit mourir douloureusement. Ce n'est pas seulement dans son corps qu'il était puni, car . la maladie dont souffrait son âme était encore plus atroce. En proie à des terreurs, il s'écriait souvent qu'il voyait les spectres de ceux qu'il avait tués se dresser devant lui ; incapable de réprimer ses transports, il s'élançait de sa couche comme s'il était soumis à des tortures et au supplice du feu. Le mal faisait de jour en jour des progrès ; ses entrailles rongées sortaient de son corps ; c'est ainsi qu'il mourut, donnant la preuve la plus manifeste que la Providence divine punit les méchants.
  2. Ici se termine cette histoire, que nous avons promis d'écrire avec une grande exactitude pour l'instruction de ceux qui veulent connaître les circonstances de cette guerre des Romains contre les Juifs. Pour le style (78), je laisse à mes lecteurs le soin de l'apprécier. Mais quant à la vérité des faits, je ne crains pas de dire avec assurance que ce fut, dans tout le cours de mon récit, le seul but où j'aie visé.
  1. Sur les faits relatés dans le livre, comparez Tacite, Hist., III-V, et Dion Cassius, livre LXVI.
  2. C'est-à-dire à des hérauts (R. H.).
  3. Plus haut, II, 500 et suiv.
  4. Aujourd'hui Homs en Syrie.
  5. Domitien, né le 14 octobre 52.
  6. L'indifférence avec laquelle le Juif Josèphe raconte ces horreurs suffit à juger ce triste personnage.
  7. Probablement Antiochos 1 Soter (280-261).
  8. Antiochos IV Epiphanes (175-164).
  9. Vers 170 (cf. plus haut, I, 31).
  10. S'agit-il du Temple de Jérusalem ou de la synagogue nommée plus haut ?
  11. Témoignage intéressant sur la diffusion du judaïsme par des conversions (R. H.).
  12. Consul en 93.
  13. Néron, Galba, Othon, Vitellius (68-69 après J.-C.).
  14. Comparez les récits de ces événements dans Tacite, Hist., IV, 54 et suiv.
  15. Les mss., par une évidente erreur, portent OéÛtillow.
  16. Q. Pétilius Céréalis, parent de Vespasien, qui fit la guerre en Bretagne

 

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(61, 71) et prépara les succès d'Agricola.

  1. Le témoignage de Tacite (Hist. IV, 86) est beaucoup moins favorable à Domitien ; Josèphe écrit en courtisan.
  2. Gouverneur de Maesie depuis 70.
  3. Tacite, Hist., II, 51, 99. Mais Tacite ne fait qu'une allusion vague à la guerre sarmatique (IV, 54 ).
  4. Plus haut, VI, 39.
  5. Arka, au nord-est de Tripoli : voir Antiq., I, 138.
  6. Pline, Hist. Nat., XXXI, 11 : In Judea rivus sabbatis omnibus siccatur. L'identification est incertaine. Cette rivière joue un rôle dans le folklore juif ; voir Rev. des Étude. juives, XXII. p. 285 (I. L.).
  7. Sur la rive droite de l'Euphrate, non loin de Samosate.
  8. Lire, avec Destinon, tÇn t' •llvn).
  9. Vespasien, Titus, Domitien.
  10. C'est-à-dire au champ de Mars, non au Palatin.
  11. A l'ouest du Capitole.
  12. Porta triomphalis, entre le Capitole et le Tibre.
  13. C'est-à-dire des dieux romain; Joseph écrit pour des Juifs.
  14. En souvenir du combat sur le lac de Tibériade plus haut, III, 322.
  15. Table des pains de proposition. Ces objets sont figurés sur l'arc de Titus (S. Reinach, Rép. des reliefs, I, p. 273-4, avec bibliographie).
  16. La prison Mamertine.
  17. Au sud-est du Forum.
  18. Maxairoèw génitif oèntow, ne doit pas se transcrire Machaerus.
  19. Sextus Vettulenus Cerialis : voir plus haut, 111, 310. Les mss. portent Oçetilanoè
  20. Forteresse et tombeau d'Hérode au nord de Jérusalem.
  21. Extrémité nord de la Mer Morte.
  22. Alexandre Jannée, 103 - 76 av. J.-C. Voir le livre XIV des Antiquités, § 83.
  23. Voir plus haut, I, 140, 160.
  24. Baaru, sources thermales.
  25. Voir plus haut, IV, 480.
  26. Non identifiée.
  27. Voir plus haut, VI, 92. Mais la fuite de Judas n'y est pas mentionnée, preuve nouvelle qu'il y a des lacunes dans le texte ou que la rédaction en a été hâtive.
  28. On croit que c'est le lieu dit Kulonieh (colonia), au nord-ouest de Jérusalem, l'Emmaüs de Luc (XXIV, 53).
  29. Le demi schekel ; voir Antiq., XVIII, 313.
  30. Voir plus haut, VI, 59.
  31. XalkÛdow et non Xalkidik°w. Cette région du Liban n'est pas identifiée.
  32. Voir plus haut, V. 460.
  33. Encore une référence à un passage qui manque à notre texte.
  34. Le fleuve Don et la mer d'Azof.
  35. Au sud de la mer Caspienne.
  36. Les Portes Caspiennes, défilé du Taurus.
  37. Il était le frère du roi Vologèse mentionné ci-dessus (VI, 237).

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

  1. Autre frère de Vologèse.
  2. Ces renseignements que Josèphe donne avec tant de précision sur les attaques des Scythes offrent beaucoup d'intérêt. On comprend mieux pourquoi Valerius Flaccus, contemporain de Vespasien, a donné une' si grande place, dans son poème des Argonautiques, à la description des moeurs des Scythes. Il les montre luttant contre Jason et certains détails semblent pris sur le vif. Cf. R. Harmand, de Valerio Flacco Apollinii Rhodii imitatore, 1898, et du même, Revue de philologie, janvier 1899 (Valerius Flaccus et les Barbares) (R. H.)
  3. L. Flavius Silva Nonius Bassus, consul en 81.
  4. Sebbeh, au-dessus de la rive ouest de la Mer Morte, où des traces des travaux des Romains sont encore visibles.
  5. Plus haut. II. 118.
  6. Sur Masada (Sebbeh) et ses ruines, voir l'article G. Williams dans le Dict. of Georg. de Smith, II, p. 287.
  7. Frère de Judas Macchabée ; voir plus haut, I, 48.
  8. Plus haut, II, 408, 433.
  9. Voir plus haut, I, 359.
  10. Voir plus haut, VII, 275.
  11. Tuptom¡nou (Destinon) et non êcoum¡nou.
  12. La vieille traduction latine porte culpae : un ms. grec a paranomÛaw mot qu'omettent les autres.
  13. Voir plus haut, II, 206.
  14. Texte incertain.
  15. Texte incertain ; nous suivons la version qualifiée de perhaps right par Thackeray (p. 611, note b).
  16. Aucun texte biblique ne confirme cette assertion ; l'esprit de ce discours est d'ailleurs bien plus stoïcien que juif. On peut comparer au discours d'Éléazar celui de Vulteius dans la Pharsale, IV, 476 et suiv.
  17. 2 mai 72 ou 73.
  18. La Gérousia.
  19. Personnage inconnu.

(73 ) Léontopolis (Tell el Yehudiyeh), au nord-est de Memphis, où l'on a retrouvé les fondations du temple juif.

  1. Antiochos Épiphane.
  2. Isaïe, XIX, 18 ; voir Antiq., XIII, 68. On a souvent considéré ce verset d'Isaïe comme interpolé.
  3. Le nombre 343, historiquement inexact, est égal à 7 x 7 x 7 : un pareil calcul, fondé sur des raisons mystiques, a pu motiver l'erreur de chronologie (R. Eisler).
  4. Il en parle dans sa Vie. 424.
  5. Josèphe avait d'abord écrit son histoire en araméen (plus haut, I, 3) ; des collaborateurs (servi litterari) l'aidèrent à produire l'édition grecque. Thackeray a cru distinguer deux secrétaires. dont l'un imitait Thucydide, l'autre les Tragiques grecs. Voir son livre intitulé : Josephus. the Man and the Historian. New York, 1929.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

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AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE VI - LIVRE VII

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

LIVRE 4 (suite du livre 4)

III. Les zélateurs et Ananos

1. Réception de Jean à Jérusalem. - 2. Mouvements en Judée. - 3. Les zélateurs font irruption à Jérusalem. - 4-6. Excès des

zélateurs. - 7-8. Insurrection d'Ananos ; les zélateurs occupent le Temple. - 9-10. Indignation populaire ; discours d' Ananos.- 11-

  1. Combat contre les zélateurs, qui sont bloqués dans le Temple. -
  2. Trahison de Jean de Gischala. - 14. Jean conseille aux zélateurs de solliciter une aide étrangère.

1. A l'entrée de Jean dans celte ville, tout le peuple se répandit au-devant de lui, et la multitude, groupée autour de chaque fugitif, le questionnait sur les

malheurs survenus au dehors. La respiration brûlante et encore haletante de ces hommes témoignait de leur détresse ; mais ils montraient de la jactance dans l'infortune, déclarant qu'ils n'avaient pas fui devant les Romains, mais qu'ils venaient pour les combattre sur un terrain sûr. "Il eût été, disaient-ils, déraisonnable et inutile d'exposer témérairement nos vies pour Gischala et d'aussi faibles bourgades, alors qu'il faut réserver et employer nos armes et nos forces pour la défense de la métropole." Ils racontèrent ensuite la prise de Gischala, et la plupart des auditeurs comprirent que c'était bien une fuite qu'ils décoraient pompeusement du nom de retraite. Mais quand il apprit les nouvelles relatives aux prisonniers, le peuple fut extrêmement consterné et vit là une annonce du sort qui l'attendait si la ville était prise. Jean, sans rougir d'avoir abandonné ces

malheureux, s'empressait auprès des groupes des citoyens et les exhortait à la guerre en exaltant leurs

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

espérances. Les Romains, disait-il, étaient faibles ; ils disposaient eux-mêmes de grandes forces ; raillant l'ignorance du vulgaire, il prétendait que les Romains, eussent-ils des ailes, ne pourraient jamais franchir les murs de Jérusalem, après avoir éprouvé tant d'échecs autour des villages de Galilée et perdu tant de machines devant leurs remparts.

  1. Ces propos séduisirent la plupart des jeunes gens et les décidèrent à la guerre ; quant aux sages et aux vieillards, il n'y en avait pas un qui ne prévit les événements à venir et ne fût dans le deuil, comme si déjà la ville était perdue. Le peuple était donc en pleine confusion ; mais la multitude des campagnes avait précédé Jérusalem dans la voie de la sédition. Titus, passant de Gischala à Césarée et Vespasien de Césarée à Jamnia et Azot, soumirent ces villes et s'en retournèrent après y avoir établi des garnisons, emmenant avec eux un grand nombre de citoyens qui avaient engagé leur foi. Dans chaque cité s'élevaient des troubles et des luttes intestines : à peine les Juifs respiraient-ils, à l'abri de l'hostilité des Romains, qu'ils tournaient contre eux-mêmes leurs propres bras. Entre les partisans de la guerre et ceux qui souhaitaient la paix, la discorde était acharnée. D'abord ce fut dans les maisons que la querelle sépara des hommes longtemps unis : ensuite on vit des gens, liés d'une étroite amitié, s'élever les uns contre les autres, et, chacun s'attachant à ceux de son parti, ils se divisèrent en camps opposés. La sédition était partout : l'élément révolutionnaire et belliqueux triomphait par sa jeunesse et son audace des vieillards et des hommes prudents. Les deux partis commencèrent par piller leurs voisins : puis on vit paraître des bandes de brigands qui dévastaient la contrée. Par leurs cruautés et leurs vexations, ces Juifs, aux yeux de leurs victimes, ne se distinguaient en rien des Romains ; même les populations ravagées trouvaient moins dur le sort de ceux qui étaient captifs des étrangers.
  2. Cependant les garnisons des villes, soit par crainte d'un échec, soit par haine de la nation juive, n'apportaient que peu ou point de secours à ceux qui étaient ainsi molestés. Enfin, rassasiés du pillage de la campagne, les chefs des bandes de brigands répandues partout se réunirent, et, formant une armée du mal,

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

s'introduisirent) pour sa ruine, dans la ville de Jérusalem. Celle-ci n'avait pas de chef militaire et, suivant la coutume des ancêtres, accueillait tous les gens de même nation, en ce moment surtout où l'on croyait que tous les arrivants étaient animés de sentiments bienveillants et venaient en alliés. Ce fut là ce qui devait plus tard précipiter la ville dans l'abîme, en dehors même de la sédition ; car cette multitude inutile et oisive consomma les subsistances qui auraient suffi à l'entretien des combattants ; outre la guerre, les habitants attirèrent sur eux mêmes la discorde et la famine.

  1. D'autres brigands vinrent aussi de la campagne à la ville et, se joignant aux brigands encore pires qu'ils y trouvèrent, ne s'abstinrent plus d'aucun forfait. Ne se bornant pas à des pillages et à des vols de vêtements, leur audace s'emporta jusqu'à des assassinats, qu'ils ne se contentaient pas de commettre la nuit, ou en secret, ou sur le premier venu, mais ouvertement, en plein jour, en commençant par les plus illustres citoyens. D'abord ils saisirent et emprisonnèrent Antipas, homme de race royale, et l'un des plus importants citoyens, à qui même avait été confié le trésor public (01) ; après lui ce furent

un certain Levias, un des notables, et Syphas, fils d'Arégétès, tous deux également de sang royal (02), et

d'autres encore qui paraissaient occuper dans le pays un rang élevé. Alors une panique se déchaîna dans le peuple et, comme si la ville avait été prise d'un coup de force, chacun ne songea plus qu'à pourvoir à son salut.

  1. Cependant, il ne suffisait pas aux brigands de mettre en prison ceux qu'ils avaient saisis ; ils ne trouvaient pas prudent de garder ainsi des personnages si puissants, car leurs familles où les hommes ne manquaient pas, étaient capables de les venger ; ils craignaient aussi que le peuple ne se soulevât contre de pareilles illégalités. Ils résolurent donc de les tuer, et chargèrent de cette mission le plus sanguinaire d'entre eux, un certain Jean, qui dans le langage du pays s'appelait «fils de Dorcas » (03) ; dix compagnons se rendirent avec lui dans la

prison, armés de glaives, et ils tuèrent les prisonniers. Ils colorèrent d'un grand mensonge cet affreux forfait, prétextant que ces citoyens étaient entrés en pourparlers avec les Romains pour leur livrer Jérusalem et qu'ils

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

avaient été mis à mort comme traîtres à la cause commune de la liberté ; en un mot, ils se vantèrent de leurs crimes comme s'ils étaient les bienfaiteurs et les sauveurs de la cité.

  1. Enfin, le peuple se trouva réduit à un tel degré d'impuissance et de terreur, et les factieux s'emportèrent à un tel degré de folie qu'ils prirent en mains l'élection des grands prêtres. Sans tenir aucun compte des familles parmi lesquelles les grands prêtres étaient choisis alternativement (04), ils élevèrent à cette charge

des hommes inconnus et de basse origine, pour trouver en eux des complices de leurs impiétés ; car ceux qui obtenaient, sans en être dignes, les plus grands honneurs, devaient être nécessairement soumis à ceux qui les leur avaient procurés. Quant aux prêtres qui étaient en charge, les factieux les mettaient aux prises par des machinations et des mensonges, cherchant leur propre avantage dans les querelles de ceux qui pouvaient leur faire obstacle : jusqu'au moment où, rassasiés de crimes commis envers les hommes, ils élevèrent leur insolence contre Dieu et portèrent leurs pieds souillés dans le sanctuaire.

  1. La multitude commençait d'ailleurs à se soulever contre eux, à la voix du plus âgé des grands prêtres, Ananos, homme d'une parfaite modération et qui peut-être eût sauvé la ville, s'il avait échappé aux mains des conjurés. Mais ceux-ci firent du Temple de Dieu leur citadelle et leur refuge contre les troubles civils ; le Saint des Saints devint l'asile de leur tyrannie. A tout cela s'ajouta de la bouffonnerie, plus pénible encore que les forfaits ; car pour éprouver l'abattement du peuple et mesurer leur propre puissance, ils entreprirent de tirer au sort les grands prêtres, alors qu'ils se succédaient, comme nous l'avons dit, au sein des mêmes familles. Ils donnaient pour prétexte de cette innovation un ancien usage, prétendant que le tirage au sort avait aussi, dans l'antiquité la fonction sacerdotale : mais en fait, il y avait là une violation d'une loi solidement établie, et un moyen pour eux d'acquérir de l'autorité en s'attribuant à eux-mêmes le droit de conférer de hautes fonctions.
  2. En conséquence, ils mandèrent une des tribus pontificales, la tribu Eniachim (05) et procédèrent au

choix par le sort d'un grand prêtre : le hasard désigna

 

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un homme dont la personne témoignait trop bien de leur infamie. C'était un nommé Phanni, fils de Samuel, du bourg d'Aphthia (06). Non seulement il n'appartenait pas

à une famille de grands prêtres, mais il était ignorant au point de ne pas savoir ce qu'étaient les fonctions sacerdotales. Ils l'arrachèrent donc malgré lui à la campagne et, comme un acteur en scène, le parèrent d'un masque étranger ; ils lui firent revêtir les vêtements sacrés et l'instruisirent de ce qu'il avait à faire. Pour ces gens, une si grande impiété n'était qu'un sujet de moquerie et de badinage ; mais les autres prêtres, contemplant de loin cette dérision de la loi, ne pouvaient retenir leurs larmes et pleuraient sur cette dégradation des honneurs sacrés.

  1. Ce dernier trait d'audace parut insupportable au peuple qui se souleva en masse comme pour abolir la tyrannie. Ceux qui passaient pour les chefs du peuple, Gorion, fils de Joseph (07), et Siméon, fils de Gamaliel

(08), encouragèrent dans les assemblées un grand

nombre de Juifs, qu'ils visitaient d'ailleurs chacun en particulier, à punir sans tarder les violateurs de la liberté, à purifier le sanctuaire de ces meurtriers. Quant aux grands prêtres, les plus illustres d'entre eux, Jésus, fils de Gamalas (09) et Ananos, fils d'Ananos,

reprochaient au peuple, dans des réunions, son indolence, et l'excitaient contre les zélateurs ; car ils s'étaient donné ce nom à eux-mêmes, comme si des actions vertueuses, et non les entreprises les plus criminelles, étaient l'objet véritable de leurs efforts (10).

  1. La multitude se réunit donc en assemblée. Tous étaient irrités de l'usurpation des lieux saints, des pillages et des meurtres. Mais on n'essayait pas encore d'opposer de la résistance, par peur des difficultés, assurément réelles, qu'on voyait à se délivrer des zélateurs. Ananos, debout au milieu de cette foule, après avoir plusieurs fois jeté sur le Temple ses yeux remplis de pleurs, s'exprima ainsi : " Certes, il eût été beau pour moi de mourir avant de voir la maison de Dieu pleine de si affreux sacrilèges, et les lieux sacrés devenus inaccessibles, pouvant à peine offrir assez de place aux meurtriers qui s'y pressent. Mais revêtu du vêtement de grand prêtre, et portant le plus honorable des noms qui inspirent le respect, je vis, j'aime cette lumière du jour,

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

sans que ma vieillesse même me réserve une mort glorieuse : mais je suis seul, et c'est dans la solitude, pour ainsi dire, que je donnerai ma vie seule pour la cause de Dieu (11). Car pourquoi vivre au milieu d'un

peuple insensible à ses malheurs, qui a perdu la faculté de réagir contre les misères qui pèsent sur lui ? Aux pillages vous opposez la résignation, aux coups le silence : vous ne gémissez même pas ouvertement sur les victimes ! O l'amère tyrannie ! Mais pourquoi blâmer les tyrans ? n'ont-ils pas été encouragés par vous et votre résignation ? N'est-ce pas vous qui, dédaignant les premiers auteurs de troubles, encore peu nombreux, avez grossi leurs rangs par votre silence, qui êtes demeurés inactifs tandis qu'ils s'armaient ? N'avez-vous pas tourné ces armes contre vous-mêmes quand il fallait briser leurs premières attaques, au moment où leurs outrages s'adressaient à vos compatriotes ? Par votre négligence, vous avez excité au pillage ces scélérats ; vous ne teniez aucun compte des maisons saccagées ; aussi s'en prirent-ils bientôt à leurs possesseurs, et quand ceux-ci étaient entraînés à travers la ville, nul ne les défendait. Ils ont chargé de honteuses chaînes ceux que vous avez trahis. Je n'ai pas besoin de dire leur nombre et leur condition ; mais ces prisonniers, qui n'avaient été ni accusés ni jugés, nul ne leur porta secours. Le résultat fut que vous les vîtes encore massacrer. Ce spectacle, nous l'avons contemplé, avec la même indifférence que celui d'un troupeau de bêtes dénuées de raison, où l'on choisit successivement, pour les traîner à la mort, les plus belles victimes ; nul n'a haussé la voix, bien loin de lever la main. Supportez donc, supportez la vue des lieux saints foulés aux pieds de ces hommes, et, quand vous aurez vous-mêmes dressé sous les pas de ces sacrilèges tous les échelons de l'audace, ne vous montrez point impatients qu'ils soient au sommet ! Car ils auraient risqué quelque entreprise plus monstrueuse encore : s’'ils en connaissaient une plus abominable que la destruction des lieux saints.

Le point le mieux fortifié de la ville est entre leurs mains ; il faut maintenant appeler le Temple une acropole, une forteresse ; mais quand vous êtes soumis à une tyrannie si bien fortitfiée, quand vous apercevez vos ennemis au-

 

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dessus de vos têtes, quels desseins formez-vous, contre qui votre colère s'échauffe-t-elle ? Attendrez-vous donc que les Romains portent secours à nos lieux sacrés ? La ville en est-elle venue à ce point d'infortune, en sommes-nous à cette extrémité de misère que vos ennemis mêmes doivent avoir pitié de nous ? Ne vous soulèverez-vous pas, ô les plus malheureux des hommes ! et n'allez-vous pas, en vous rebiffant contre les coups, comme le font même les bêtes sauvages, résister à ceux qui vous frappent ? Ne vous souviendrez-vous pas, chacun de vous, de vos propres malheurs et, vous rappelant ce que vous avez souffert, ne vous exciterez-vous pas contre eux à la vengeance ? Avez-vous donc laissé périr en vous le sentiment le plus honorable et le plus instinctif, l'amour de la liberté ? Sommes-nous devenus amis de l'esclavage, de la tyrannie, comme si nos ancêtres nous avaient légué l'esprit de soumission ? Mais ils avaient, eux, soutenu pour leur indépendance de nombreuses et grandes guerres : ils n'ont cédé ni à la domination des Égyptiens, ni à celle des Mèdes, parce qu'ils étaient décidés à ne pas accepter d'ordres. Mais pourquoi faut-il parler des actions de nos ancêtres ? Cette guerre actuelle contre les Romains (avantageuse, opportune ou non, je ne veux pas l'examiner), quelle autre cause a-t-elle que la liberté ? Et alors, quand nous ne supportons pas les maîtres du monde, endurerons-nous la tyrannie de compatriotes ?

Assurément, la soumission à des étrangers peut être expliquée par une défaveur temporaire de la fortune ; mais l'obéissance à des concitoyens scélérats n'est qu'ignominie et servilité. Et puisque je viens une fois de parler des Romains, je ne vous dissimulerai pas l'idée qui, tombant au milieu de mon discours, a donné un nouveau cours à ma pensée : c'est que, fussions-nous en leur pouvoir (puisse la réalité démentir ces paroles !), nous n'aurons pas à souffrir de traitement plus cruel que celui qui nous est infligé par ces misérables. N'est-ce pas un spectacle digne de larmes que de voir, dans le Temple même, les offrandes des Romains (12), et, d'autre

part, le produit des vols de nos compatriotes, qui ont violé et souillé la gloire de la capitale, mettant à mort des hommes sur lesquels nos ennemis mêmes, vainqueurs, n'auraient pas porté les mains ? Les Romains n'ont

 

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jamais franchi les limites accessibles aux profanes, ni transgressé aucun de nos saints usages ; ils ont contemplé de loin et avec respect l'enceinte des lieux consacrés, et il nous faut voir des hommes, nés dans ce pays, nourris dans nos traditions et appelés Juifs, qui vont et qui viennent au milieu du sanctuaire, les mains encore chaudes du sang de leurs frères !

Après cela, craindra-t-on encore la guerre étrangère et des gens qui, comparés à nos concitoyens, sont beaucoup moins cruels ? Car, si l'on doit adapter aux choses des appellations exactes, on trouvera peut-être que les Romains sont les soutiens de nos lois, alors que ceux qui habitent dans ces murs sont leurs ennemis. Mais en ce qui touche ces criminels conspirateurs contre la liberté et l'impossibilité de trouver un châtiment à leur mesure, je pense que vous étiez convaincus chez vous avant mon discours et exaspérés contre ceux dont vous avez souffert les méfaits. Peut-être cependant la plupart d'entre vous sont-ils effrayés de leur nombre et de leur audace, et aussi de l'avantage des lieux qu'ils occupent. Mais c'est votre négligence qui a produit cette situation, et vos délais l'aggraveraient encore : car leur multitude se grossit chaque jour de tous les mauvais citoyens qui passent dans les rangs de leurs semblables. L'absence de tout obstacle, jusqu'à présent, excite leur audace, et ils profiteront sans doute de la supériorité du terrain pour préparer leurs actes, si nous leur en laissons le temps, Croyez que si nous marchons contre eux, leur conscience troublée sera pour eux une cause de faiblesse ; leurs réflexions détruiront l'avantage qu'ils doivent à l'élévation du terrain. Peut être Dieu, qu'ils ont outragé, va-t-il rejeter contre eux leurs projectiles et détruire ces impies par leurs propres traits. Montrons-nous seulement à eux et les voilà en déroute. Il est beau, d'ailleurs, s'il y a danger, de mourir près des portiques sacrés et de se sacrifier, sinon pour les enfants ou les femmes, du moins pour Dieu et son culte. Moi-même, je vous seconderai de la pensée et de la main : je n'épargnerai aucun moyen d'assurer votre salut et vous ne me verrez point ménager mon corps."

11. Telles sont les paroles par lesquelles Ananos excitait la multitude contre les zélateurs. Il n'ignorait pas que leur nombre, leur jeunesse, leur ferme courage et

 

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surtout la conscience de leurs forfaits les rendaient difficiles à renverser ; ils ne se livreraient pas, dans l'espoir d'avoir la vie sauve après ce qu'ils avaient perpétré.

Cependant il aimait mieux endurer toutes les

souffrances que de négliger les intérêts publics dans une pareille crise. Le peuple lui-même demandait à grands cris qu'il le menât contre ceux qu'il dénonçait ; chacun était parfaitement prêt à affronter les premiers périls. 12. Mais tandis qu'Ananos recrutait et organisait ceux qui pouvaient combattre, les zélateurs, informés par ceux qui leur apprenaient tous les événements de la cité, s'irritent, s'élancent impétueusement hors du Temple, en masse ou par petites troupes, sans épargner aucun de ceux qu'ils rencontrent. De son côté, Ananos réunit en hâte les citoyens, supérieurs en nombre, mais inférieurs par l'armement et l'habitude de combattre. Au reste, dans les deux partis, l'ardeur suppléait à ce qui manquait, car les citoyens étaient animés d'une fureur plus puissante que les armes et la garnison du Temple d'une audace plus efficace que le nombre. Les uns jugeaient qu'ils ne pourraient plus habiter cette ville s'ils n'en exterminaient les brigands ; les zélateurs comprenaient que, à moins d'une victoire, ils auraient à subir tous les supplices. Ainsi poussés par leurs passions, ils s'entrechoquèrent. Ce fut d'abord, dans la ville et dans le voisinage du Temple une lutte à distance, à coup de pierres et de javelots ; puis, quand une troupe lâchait pied, l'autre l'attaquait à l'épée. Il y eut grand massacre des uns et des autres, et une multitude de blessés. Ces derniers étaient transportés dans leurs maisons par leurs parents, tandis qu'un zélateur blessé rentrait dans le Temple ensanglantant le sol sacré ; on a même pu dire que seul le sang des zélateurs souilla le sanctuaire.

Les brigands obtenaient l'avantage dans les engagements, à chacune de leurs sorties, tandis que les citoyens, exaspérés, dont le nombre s'accroissait à chaque instant, injuriaient ceux qui reculaient, ou placés aux derniers rangs et se portant en avant, coupaient la retraite aux fuyards. Enfin, toute la puissance dont ils disposaient fut tournée contre les ennemis. Les zélateurs, ne pouvant plus résister à la

 

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violence de l'attaque, se retirèrent pas à pas dans le Temple, poursuivis par Ananos et ses gens qui les pressaient. Repoussés de la première enceinte, la terreur les saisit : ils fuient, rapidement à l'intérieur et ferment les portes. Mais Ananos ne crut pas devoir attaquer les portiques sacrés, surtout sous la grêle de traits que lançaient de haut les défenseurs ; il jugea aussi qu'il y avait sacrilège, fût-il vainqueur, à y introduire une foule sans l'avoir préalablement purifiée. Il fit désigner par le sort, dans toute cette multitude, environ six mille hommes bien armés auxquels il confia la garde des portiques ; d'autres devaient relever les premiers : à tous fut imposée la tâche d'exercer à tour de rôle cette fonction. Mais beaucoup de Juifs d'un rang élevé, affectés à ce service par ceux que l'on reconnaissait pour chefs, soudoyèrent des citoyens pauvres et les envoyèrent prendre la garde à leur place.

13. Celui qui causa la perte de tous ces hommes fut Jean, le fuyard de Gischala, dont nous avons parlé : c'était un homme plein de ruse, nourrissant dans son cœur un violent amour de la tyrannie : depuis longtemps, il conspirait contre l'État. A ce moment, feignant d'être du parti du peuple, il accompagnait Ananos dans ses délibérations quotidiennes avec les principaux citoyens et dans ses visites nocturnes aux postes : puis il rapportait les secrets aux zélateurs, de sorte que les ennemis connurent par lui tous les projets du peuple, avant même que celui-ci les eût bien examinés. S'ingéniant d'ailleurs à ne pas éveiller de soupçons, il témoignait à Ananos et aux chefs du peuple un empressement immodéré. Mais ce zèle tourna contre lui, car ses extravagantes flatteries le rendirent suspect : sa présence en tous lieux, sans qu'on l'appelât, le fit soupçonner de révéler ce qu'on tenait caché.

On remarquait, en effet que les ennemis étaient informés du détail de toutes les résolutions, et nul, plus que Jean, ne justifiait le soupçon de transmettre ces nouvelles. Il n'était cependant pas facile de se débarrasser d'un homme dont la perversité faisait la force ; ce n'était pas d'ailleurs un homme obscur et il ne manquait pas de partisans dans les réunions. Aussi résolut-on de lui faire attester par serment sa loyauté. Jean s'empressa de jurer qu'il serait toujours dévoué au peuple, ne

 

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l'apporterait à ses adversaires ni un projet ni un acte, que, par son bras comme par son conseil, il s'emploierait à briser les attaques des ennemis. Dès lors, Ananos et ses compagnons, confiants dans les serments de Jean, écartèrent tout soupçon : ils l'admirent dans leurs conseils et l'envoyèrent même auprès des zélateurs pour négocier une réconciliation ; car ils se préoccupaient de ne pas souiller le Temple, du moins par leur faute et d'éviter que nul de leurs compagnons ne pérît dans cette enceinte.

14. Jean, comme s'il avait juré aux zélateurs de leur être dévoué, et non prêté serment contre eux, entra dans le Temple et admis au sein de l'assemblée, s'exprima ainsi: " Souvent, dans votre intérêt, je me suis exposé à des périls, pour ne pas vous laisser dans l'ignorance des secrets desseins qu'Ananos et ses amis avaient formés contre votre parti; maintenant, je cours avec vous tous le plus grand danger, à moins qu'une aide divine n’intervienne pour vous sauver. Car Ananos, impatient de tout délai, a persuadé au peuple d'envoyer à Vespasien des députés, pour que celui-ci accoure en diligence et s'empare de la ville. Bien plus, il a prescrit des purifications pour le lendemain: il veut que ses gens s'introduisent dans le Temple en prétextant le service divin, ou y pénètrent de force, pour ensuite tomber sur vous. Je ne vois pas jusqu'à quand vous pourrez supporter le siège actuel ou soutenir le choc d'un si grand nombre d'hommes". Il ajouta qu'un dessein providentiel l'avait fait choisir comme député pour négocier la paix; car Ananos ne prétexte des négociations que pour attaquer des ennemis sans méfiance. Ils doivent donc, s'ils ont souci de leur vie, ou bien supplier les assiégeants, de se procurer quelque secours du dehors; ceux qui entretiennent l'espoir du pardon, en cas de défaite, oublient leurs propres violences, à moins qu'ils ne pensent qu'à la faveur de leur repentir une réconciliation doive promptement rapprocher les criminels et les victimes. Mais le repentir même des hommes injustes est souvent un objet de haine, et les ressentiments de ceux qui ont subi l'injustice deviennent plus cruels quand ils sont les maîtres. Les zélateurs sont surveillés par les amis et les parents des morts, et par le grand nombre des citoyens qu'exaspère la destruction

 

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des lois et des tribunaux. Si même une partie du peuple est accessible à la pitié, ce sentiment serait étouffé par la colère de la majorité.

IV. Intervention des Iduméens

1-2. Les zélateurs demandent secours aux Iduméems qui marchent sur Jérusalem. - 3-4. Discours du grand-prêtre aux Iduméens et réponse de Simon. - 5-6. Les Iduméens campent sous les murs de la ville. - 7. Les zélateurs ouvrent les portes aux Uduméens.

1. Par ces propos habilement variés il répandait la crainte dans tous les esprits. Et s'il n'osait pas désigner ouvertement l'alliance étrangère dont il parlait, il laissait entendre qu'il s'agissait des Iduméens. Pour toucher en particulier les chefs des zélateurs, il accusait Ananos de cruauté, assurant que celui-ci les menaçait plus que tous les autres. Ces chefs étaient Eléazar, fils de Gion (13) et un certain Zacharie, fils d'Amphicallès (14). Tous deux de famille sacerdotale, qui, dans ce parti, semblaient avoir le plus de crédit lorsqu'il s'agissait de proposer d'utiles mesures ou de les exécuter. Quand ils eurent appris, outre les dangers qui menaçaient toute la faction, ceux qui les visaient personnellement, quand ils surent que le parti d'Ananos, se réservant de garder le pouvoir, appelait les Romains (c'était là un nouveau mensonge de Jean), ils restèrent longtemps indécis, se demandant ce qu'ils devaient faire dans la situation si pressante où ils étaient réduits ; le peuple était prêt à les attaquer avant peu, et la soudaineté de ce dessein interdisait l'espoir des secours qu'ils pourraient demander au dehors ; ils subiraient tous les malheurs bien avant que la nouvelle en fût parvenue à aucun de leurs alliés. Cependant ils décidèrent d'appeler les Iduméens, à qui ils adressèrent une courte lettre, annonçant qu'Ananos avait trompé le peuple et livrait la métropole aux Romains, qu'eux-mêmes avaient fait sécession dans l'intérêt de la liberté, qu'ils étaient assiégés dans le Temple. Leur salut dépend de courts instants, et si les Iduméens ne leur portent secours en toute hâte, ils seront bientôt eux-mêmes aux mains d’Ananos et de leurs ennemis, et la ville sera au pouvoir

 

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des Romains. Ils confièrent aussi aux messagers un grand nombre de renseignements que ceux-ci devaient transmettre oralement aux chefs des Iduméens. Pour cette mission il choisirent deux des hommes les plus actifs, habiles à exposer une affaire et à persuader, et, qualité plus utile encore, d'une agilité remarquable à la course. Ils ne doutaient pas que les Iduméens seraient aussitôt persuadés : c'est une nation turbulente et indisciplinée, portée aux séditions, éprise de changements : à la moindre flatterie de ceux qui l'implorent, elle prend les armes et s'élance au combat comme à une fête. La célérité était essentielle à cette mission ; ceux qui en étaient chargés ne manquaient pas de zèle. Tous deux (ils se nommaient l'un et l'autre Ananias) furent bientôt en présence des chefs Iduméens.

  1. Ceux-ci, frappés de stupeur en lisant la lettre et en entendant les paroles des messagers, coururent comme des furieux, à travers le peuple et firent proclamer l'expédition guerrière par un héraut. La multitude, par sa rapidité à s'émouvoir, devança l'appel, et tous ramassèrent leurs armes, comme pour défendre la liberté de la capitale. Réunis au nombre de vingt mille, ils marchent sur Jérusalem, sous la conduite de quatre chefs : Jean, Jacob, fils de Sosas, Simon fils de Thacéas et Phinéas, fils de Clouzoth (15).
  2. Ananos, pas plus que les sentinelles, ne s'aperçut de la sortie des messagers ; mais il n'en fut pas de même lors de l'approche des Iduméens. Dès qu'il en fut avisé, Ananos fit fermer les portes devant eux et garnit les murailles de défenseurs. Toutefois, il ne voulut pas d'abord leur opposer la violence, préférant essayer de les persuader par des discours avant de recourir aux armes. Alors se dressa sur la tour, située en face des Iduméens, Jésus, le plus âgé des grands prêtres après Ananos, et il s'exprima ainsi : "Au milieu des désordres nombreux et divers auxquels la ville est en proie, la Fortune n'a rien fait de plus étonnant à mes yeux que de fournir une aide inopinée aux méchants. Vous arrivez donc au secours des hommes les plus scélérats pour lutter contre nous, avec un zèle que l'on attendrait à peine alors même que la métropole invoquerait votre aide contre des Barbares. Si je voyais votre troupe composée d'hommes semblables à ceux qui vous ont appelés, je ne trouverais rien de

 

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déraisonnable dans votre ardeur, car il n'est pas de lien plus solide que la ressemblance des mœurs pour nouer des sympathies : mais, en réalité, si l'on passait en revue un à un les hommes de ce parti, on les trouverait tous dignes de mille morts. Écume et souillure du pays tout entier, ces misérables, après avoir dissipé dans la débauche leurs propres patrimoines, après avoir exercé leurs rapines dans les bourgades et les villes du voisinage, ont, à l'insu de tous, envahi la Ville sainte ; dans l'excès de leur impiété, ces brigands outragent même l'inviolable parvis ; on peut les voir s'enivrer sans scrupule dans l'enceinte sacrée, et consumer, pour la satisfaction de leurs insatiables appétits, le fruit qu'ils tirent des dépouilles de leurs victimes. Mais vous, à la fois nombreux et brillants de l'éclat de vos armes, vous êtes tels qu'on le souhaiterait si la capitale vous appelait, par une décision commune, pour la secourir contre l'assaut d'étrangers. N'est-ce pas là vraiment un méchant caprice de la Fortune, qu'une nation entière armée pour porter aide à une association de misérables ?

Je me demande depuis longtemps quel motif vous a si promptement soulevés, car ce n'est pas sans une cause grave que vous avez pu vous armer de pied en cap en faveur de brigands et contre un peuple de votre race. Mais je viens d'entendre parler de Romains et de trahison ; c'est ce que murmuraient à l'instant quelques-uns d'entre vous, disant qu'ils venaient pour la libération de la capitale. Eh bien ! ce qui m'étonne le plus chez ces scélérats plus encore que leurs autres actes, c'est l'invention d'un pareil mensonge ! Car des hommes, naturellement amis de la liberté et disposés précisément, pour ce motif, à lutter contre un ennemi du dehors, ne pouvaient être exaspérés contre nous que par ce bruit, faussement répandu, qu'une liberté aimée de tous était trahie. Mais vous devez vous-mêmes considérer qui sont les calomniateurs et ceux qu'ils calomnient et démêler la vérité non dans des récits pleins de mensonges, mais dans la connaissance des affaires publiques. Pourquoi, en effet, négocierions-nous maintenant avec les Romains, quand nous pouvions ou bien ne pas nous soulever, ou bien, après nous être soulevés, revenir à leur alliance, au moment où les

 

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contrées voisines n'étaient pas encore dévastées ? Maintenant, au contraire, même si nous le voulions, une réconciliation serait difficile, en un temps où la soumission de la Galilée a exalté l'orgueil des Romains, où nous nous couvririons d'une honte plus insupportable que la mort en les flattant, quand ils sont déjà à nos portes. Pour moi, je préférerais la paix à la mort, mais une fois en guerre et aux prises avec l'ennemi, je préfère une noble mort à la vie d'un captif. Que dit-on ? Est-ce nous, les chefs du peuple, qui avons envoyé secrètement des messagers aux Romains, ou bien y a-t-il eu à cet effet un décret public du peuple ? Si l'on nous accuse, que l'on cite les amis que nous avons députés, ceux de nos agents qui ont négocié notre trahison ! A-t-on surpris le départ de quelqu'un ? capturé un messager à son retour ? Est-on en possession de lettres ? Comment aurions-nous caché notre jeu à ce grand nombre de citoyens, auxquels nous nous mêlons à toute heure ? Comment un petit nombre d'hommes, étroitement surveillés, à qui il est impossible même de sortir du Temple pour pénétrer dans la ville, connaîtraient-ils une entreprise secrète, accomplie sur les lieux mêmes ? Ne l'ont-ils connue que maintenant, alors qu'ils doivent être punis de leurs méfaits, alors que personne de nous n'a été suspect de trahison quand ils se sentaient en sécurité ? Si, d'autre part, ils portent cette accusation contre le peuple tout entier, certes la délibération a été publique, nul n'était absent de l'assemblée, et, dans ce cas, la nouvelle certaine vous serait parvenue plus vite que par la bouche d'un dénonciateur. Quoi donc ? N'aurait-il pas fallu envoyer des députés, après avoir voté l'alliance avec les Romains ? Qui a été désigné pour cela ? Qu'on le dise ! Ce ne sont là que des prétextes d'hommes destinés à une mort déshonorante et cherchant à éviter les châtiments qui les menacent. Si c'était un arrêt du destin que la ville dût être trahie, seuls nos calomniateurs oseraient accomplir ce crime de trahison, car c'est le seul qui manque encore à leurs forfaits.

Vous devez donc, puisque vous vous présentez ici en armes, prendre le parti le plus juste : défendre la

capitale et aider à détruire les tyrans qui ont aboli les tribunaux, foulé aux pieds les lois et rendu leurs

 

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sentences à la pointe de leurs glaives, Ils ont enlevé du milieu de la place publique des hommes considérables, qu'on ne pouvait mettre en accusation : ils les ont chargés outrageusement de chaînes et sans leur permettre ni paroles ni prières, les ont massacrés. Vous pourrez, en entrant dans nos murs par un autre droit que celui de la force, voir les preuves de mes allégations : maisons que leurs pillages ont rendues désertes, femmes et enfants des morts vêtus de deuil. Vous pourrez entendre dans la ville entière des gémissements et des lamentations, car il n'y a personne qui n'ait eu à pâtir de ces scélérats, Dans l'excès de leur fureur, ils ne se sont pas contentés de transporter leurs brigandages de la campagne et des villes du dehors jusqu'à cette cité, image et tête même de toute notre nation, mais, après la ville, ils s'en sont pris au Temple même. Ce Temple est devenu pour eux une forteresse, un asile, l'arsenal où ils fourbissent leurs armes contre nous, et ce lieu révéré du monde entier, même par les étrangers les plus éloignés de nous qui ont entendu publier sa gloire (16), est foulé

aux pieds de ces bêtes féroces nées en ce pays même. Et maintenant, dans leur désespoir, ils veulent mettre aux prises peuples contre peuples, villes contre villes, armer la nation elle-même contre son propre sein. Aussi, le parti le plus beau, le plus convenable, est-il pour vous, comme je l'ai déjà dit, de nous aider à détruire ces criminels, en les punissant aussi de vous avoir trompés, puisqu'ils ont osé appeler comme alliés ceux qu'ils auraient dû craindre comme des vengeurs.

Si pourtant vous faites cas de l'appel de pareilles gens, vous pouvez encore déposer les armes, entrer dans la ville avec l'attitude de parents et prenant un nom intermédiaire entre ceux d’allié et d'ennemi, devenir des arbitres. Considérez combien ils gagneront à être jugés par vous pour des crimes si manifestes et si grands, eux qui n'ont pas même accordé le droit de défense à d'irréprochables citoyens ! Qu'ils récoltent donc cet avantage de votre venue ! Si, enfin, vous ne devez ni vous associer à notre colère, ni vous ériger en juges, il vous reste un troisième parti, qui est de nous laisser là les uns et les autres, sans insulter à nos malheurs, sans vous unir aux ennemis qui trament la perte de la capitale. Car si vous soupçonnez fortement quelques

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

citoyens d’intelligence avec les Romains, vous pouvez surveiller les abords de la ville, et dans le cas où vous découvririez quelque fait à l'appui des accusations, accourir alors, entourer de troupes la capitale et punir les coupables : car les ennemis ne sauraient vous surprendre, puisque vous campez tout près de cette ville. Que si cependant aucun de ces partis ne vous parait prudent ou modéré, ne vous étonnez pas de vous voir fermer les portes, tant que vous serez en armes. " 4. Telles furent les paroles de Jésus. Mais la masse des Iduméens n'y prêta pas l'oreille, curieux qu'ils étaient de ne pas trouver l'entrée libre. Leurs chefs s'indignaient à la pensée de déposer les armes, assimilant à la condition de captifs l'obligation d'agir ainsi sur l'ordre de quelques-uns. L’un de leurs chefs était Simon, fils de Caatha. Après avoir, non sans peine, calmé le tumulte de ses compagnons, il se plaça dans un endroit d'où il pouvait être entendu des grands prêtres et prit la parole : "Je ne suis plus surpris de voir les défenseurs de la liberté enfermés dans le Temple, quand certains Juifs interdisent l'accès des portes de cette ville, patrimoine de tous, et se préparent à recevoir bientôt les Romains, pour lesquels même ils orneraient les portes de guirlandes. Mais les Iduméens, c'est du haut des tours qu'on s'entretient avec eux ; on leur ordonne de jeter les armes qu'ils ont prises pour la cause de la liberté. Ces Juifs ne confient pas à des hommes, qui sont de leur race, la défense de la capitale, mais leur proposent d'être les arbitres de leurs différends ; ceux qui accusent certains citoyens d'avoir procédé sans jugement à des exécutions prononcent ainsi une sentence d'infamie contre la nation entière. Vous excluez maintenant vos parents d'une ville qui est ouverte pour le culte à tous les étrangers. Car c'est bien, d'après vous, à des massacres et à une guerre fratricide que nous courons, nous qui n'avons fait diligence que pour sauvegarder votre liberté. Voilà sans doute les injustices que vous avez subies des Juifs que vous tenez enfermés, et ce sont, je pense, des soupçons aussi vraisemblables qui vous ont animés contre eux ! Enfin, tenant sous bonne garde ceux des habitants de la ville qui veillent aux intérêts de l'État, après avoir fermé la ville à des peuples qui vous sont étroitement apparentés, après leur avoir

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

donné des ordres insolents, vous prétendez être tyrannisés, et vous attribuez le nom de despotes à ceux qu'accable votre propre despotisme ! Qui donc pourra supporter ce plaisant abus des mots, s'il considère la contradiction que présentent les faits ? Serait-ce que les Iduméens vous repoussent de la capitale, eux à qui vous interdisez vous-mêmes la participation au culte ancestral ? On blâmera justement ceux que vous assiégez dans le Temple, et qui ont osé punir ces traîtres appelés par vous, leurs complices, hommes distingués et irréprochables de n'avoir pas commencé par vous-mêmes, de n'avoir pas détruit tout d'abord les fauteurs principaux de la trahison. Mais s'ils se sont montrés, par leur mollesse, inférieurs aux circonstances, nous saurons, nous, Iduméens, préserver la maison de Dieu et combattre pour notre commune patrie, en traitant comme des ennemis les envahisseurs du dehors et les traîtres du dedans. Nous resterons ici en armes devant les murailles, jusqu'à ce que les Romains soient fatigués de vous entendre, ou que vous-mêmes vous soyez convertis à la cause de la liberté."

  1. La multitude des Iduméens accueillit ce discours par des cris favorables, et Jésus se retira découragé ; il voyait que les Iduméens étaient sourds aux conseils de la raison et que, dans la ville, deux partis se faisaient la guerre. Les Iduméens eux-mêmes n'étaient pas sans inquiétude : irrités de l'outrage qu’on leur avait infligé en les repoussant de la ville, et croyant les forces des zélaleurs considérables, ils éprouvaient de l'embarras à ne pas les voir accourir à leur aide et beaucoup regrettaient déjà d'être venus, Mais la honte de retourner sur leurs pas sans avoir rien fait l'emporta sur leurs regrets, en sorte qu'ils restèrent sur place, misérablement campés devant les murs ; car un orage affreux éclata pendant la nuit, accompagné de violents coups de vent, de très fortes averses, d'éclairs fréquents, de coups de tonnerre effroyables et de prodigieux grondements du sol ébranlé. C'était manifestement pour la perte des hommes que l'harmonie des éléments était ainsi troublée ; on pouvait conjecturer que ce tumulte présageait de terribles événements,
  2. Les Iduméens et les Juifs de la ville pensaient de même à ce sujet. Les uns estimaient que Dieu était irrité

 

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de leur expédition et qu'ils n'échapperaient pas à ses coups, pour avoir porté les armes contre la capitale ; les autres, Ananos et ses compagnons, se croyaient vainqueurs sans combat et que Dieu combattait pour eux. Ils étaient donc de mauvais juges de l'avenir, en présageant à leurs ennemis des malheurs qui allaient fondre sur leur propre parti. Car les Iduméens, se serrant les uns contre les autres, se préservèrent du froid et, en réunissant leurs longs boucliers au-dessus de leurs têtes, subirent moins fortement les atteintes de la pluie. Quant aux zélateurs, moins inquiets du péril qu'ils couraient que du sort de leurs alliés, ils s'assemblèrent pour rechercher s'ils trouveraient quelque moyen de les secourir. Les plus ardents étaient d'avis que l'on forçât en armes le passage à travers les postes de surveillance, pour se précipiter ensuite au milieu de la ville et ouvrir, devant tous, les portes aux alliés ; car les gardes, déconcertés par une attaque imprévue, céderaient le terrain, d'autant plus que la plupart étaient sans armes, sans expérience de la guerre, et que la multitude des gens de la ville, enfermés dans leurs maisons pour échapper à l'orage, seraient difficiles à rassembler. Si ce parti comportait quelque péril, c'était un devoir pour eux de tout supporter plutôt que de voir avec indifférence une si grande multitude honteusement détruite pour leur cause. Les plus prudents désapprouvaient cette tentative, parce que non seulement les troupes de garde qui les entouraient étaient en force, mais que l'arrivée des Iduméens avait rendu plus vigilante la garde des remparts. Ils croyaient aussi qu'Ananos était partout présent, inspectant les postes à toute heure. Telle, en effet, avait été sa conduite les nuits précédentes, mais cette fois il s'était abstenu, non certes par nonchalance, mais par suite de l'ordre du Destin, le condamnant à mourir avec tous ses gardes. La même fatalité voulut qu'au moment où la nuit s'avançait, où l'orage était dans toute sa force, les gardes du portique s'endormirent ; les Zélateurs eurent alors l'idée de saisir les scies des sacrifices et de couper les barreaux des portes. Ce qui leur facilita cette tâche et empêcha leurs ennemis d'entendre le bruit, fut le fracas du vent et la succession ininterrompue des coups de tonnerre.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

7. Sortis donc du Temple sans éveiller l'attention, ils courent à la muraille et se servent des mêmes scies pour ouvrir la porte du côté des Iduméens. Ceux-ci, d'abord, croyant à une attaque d'Ananos et des siens, furent saisis de crainte ; chacun mit la main à son épée pour se défendre ; mais bientôt, reconnaissant ceux qui venaient à eux, ils entrèrent dans la ville. S'ils s'étaient alors répandus partout, rien n'aurait pu empêcher le massacre de tout le peuple, tant était violente leur colère ; mais ils commencèrent par libérer les zélotes du blocus, exhortés à cela par ceux qui les avaient introduits. "N'abandonnez pas aux dangers, disaient-ils, ceux dont l'intérêt vous a conduits ici ; ne vous exposez pas à un péril plus grand encore. Les gardes une fois pris, il sera facile de marcher contre la ville ; mais si vous lui donnez l'alarme, vous ne pourrez plus résister aux citoyens, qui, avisés de votre présence, vont se rassembler en nombre et, bloquant les rues, s'opposer à votre marche vers les hauts quartiers."

(suite du livre 4)

  1. Josèphe (Bell.. II. 418) nomme Saül, Antipas et Costobaros parmi les membres de la famille d'Hérode qui prièrent vainement les Romains d'étouffer l'insurrection juive à ses débuts.
  2. Ces hommes sont inconnus.
  3. C'est-à-dire de la Gazelle, Bar Tabitha ; le nom de Tabitha était surtout donné à des femmes. Une Tabitha ou Dorcas, guérie par l'apôtre Pierre, est mentionnée. Actes, IX, 36 (R. H.).
  4. Voir Schürer, 4e éd., t. II, p. 275. Il traduit katŒ diadox‹w par abwechselnd.
  5. Inconnue d'ailleurs.
  6. Bourg connu par les sources rabbiniques (Derenbourg, p. 269).
  7. Il est question plus haut (II, 563) de Joseph, fils de Gorion, peut-être le père de celui-ci.
  8. Voir Vita, 190.
  9. Voir Vita, 193 et plus bas IV, 316.
  10. Le texte grec est incertain, mais le sens général est sûr.
  11. Le texte est douteux.
  12. Par l'effet d'une "piété devenue cosmopolite".; voir, sur les offrandes des païens, Schürer, 4e éd., t. II p. 358-363.
  13. La plupart des mss. portent. Simon au lieu de Gion : sur cet Eléazar, voir plus haut, II, 564.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

  1. Peut-être le Zacharia ben Akboulos nommé dans le Talmud ; voir Derenbourg. His,. de la Palestine. p. 266 sqq.
  2. Ce dernier n'est pas mentionné ailleurs : Jean est tué (plus bas, V. 290) ; Jacob est nommé souvent dans la suite.
  3. Voir plus haut, IV, 181, note.

(suite du livre 4)

 

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JOSEPHE

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texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

FLAVIUS JOSÈPHE

Guerre des juifs.

LIVRE 4

V. Mort d'Ananos et de Zacharie

1-2. Massacre des soldats d'Ananos ; Ananos est tué. - 3. Massacre des nobles. - Meurtre de Zacharias.- 4. Les Iduméens regrettent d'être venus à Jérusalem.

1. Les Iduméens approuvèrent ces conseils et montèrent jusqu'au Temple à travers la ville. Les zélateurs, anxieux, épiaient leur arrivée ; quand leurs alliés entrèrent, ils s'avancèrent avec confiance au devant d'eux, hors de l'enceinte intérieure. Puis, se mêlant aux Iduméens, ils se jetèrent sur les postes et massacrèrent quelques sentinelles endormies. Aux cris de ceux qui s'éveillaient, toute la troupe se dressa ; les soldats, frappés de

stupeur, saisirent leurs armes et entreprirent de se défendre. Tant qu'ils crurent à une attaque des seuls zélateurs, ils se montrèrent résolus, comptant que leur nombre leur donnerait la victoire ; mais quand ils virent d'autres ennemis affluer du dehors, ils comprirent que c'était une attaque des Iduméens. La plupart d'entre eux, abandonnant leurs armes avec leur courage, se répandirent en lamentations. Quelques jeunes gens, il est vrai, se pressant les uns contre les autres, reçurent vaillamment le choc des Iduméens et protégèrent

quelque temps la multitude devenue inerte. Ceux qui étaient dans la ville apprirent le malheur par les cris de la foule, mais nul n'osa secourir les combattants, quand on apprit que c'étaient les Iduméens qui étaient entrés

 

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de force ; on répondait par de vaines clameurs, par des gémissements ; nombreuses s'élevaient les lamentations des femmes, qui avaient quelqu'un des leurs en danger parmi les gardes. De leur côté, les Zélatéurs unissaient leurs clameurs à celles des Iduméens, et le fracas de la tempête redoublait encore l'horreur de ces cris. Les Iduméens n'épargnaient personne, étant de leur nature très cruels et portés à tuer ; maltraités par l'orage, ils tournaient leur fureur contre ceux qui les avaient exclus de la ville. Ils agissaient de même envers ceux qui les suppliaient et ceux qui se défendaient, perçant de leurs épées beaucoup d'hommes qui leur rappelaient la parenté des deux peuples et les suppliaient de respecter ce Temple, leur commun sanctuaire. Nul endroit où chercher refuge, nul espoir de salut ; étroitement pressés les uns contre les autres, les Juifs étaient taillés en pièces ; beaucoup, renonçant à toute résistance, ne voyant aucun lieu de retraite, au moment où les meurtriers se jetaient sur eux, se précipitaient de ces hauteurs dans la ville ; cette mort volontaire était, à mon avis, plus affreuse que celle à laquelle ils échappaient. Toute la partie extérieure du Temple fut inondée de sang, et le jour y fit voir huit mille cinq cents cadavres. 2. Cette tuerie ne rassasia pas la fureur des Iduméens, qui, se tournant contre la ville, pillèrent toutes les maisons et mirent à mort ceux qu'ils rencontraient. Mais toute cette multitude leur paraissait peu digne de les occuper ; ils allèrent à la recherche des grands prêtres, et comme la plupart se portaient contre eux, ils furent bientôt pris et massacrés. Se dressant au-dessus des cadavres d'Ananos et de Jésus, ils raillaient l'un de son dévouement au peuple, l'autre du discours qu'il avait prononcé du haut de la muraille. Ils poussèrent l'impiété jusqu'à abandonner ces corps sans sépulture, alors que les Juifs s'acquittent de ce de voir avec un tel soin qu'ils enlèvent avant le coucher du soleil et ensevelissent même les corps des suppliciés, attachés au gibet (01). Je

ne crois pas me tromper en disant que la mort d'Ananos fut le commencement de la prise de Jérusalem, que les murs furent renversés et l'État juif ruiné dès le jour où l'on vit, au milieu de la ville, le grand prêtre égorgé, lui qui avait travaillé si activement au salut commun. C'était un homme vénérable et juste, qui, malgré sa noble

 

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naissance, sa dignité et ses honneurs, aimait traiter les plus humbles comme ses égaux. Passionnément épris de la liberté, il était un partisan ardent de la démocratie et plaçait toujours le bien public au-dessus de ses propres intérêts. Il estimait la paix à très haut prix ; il savait les Romains invincibles, mais la nécessité l'obligeant à pourvoir aussi aux préparatifs de guerre, il fit en sorte que les Juifs, à défaut d'une réconciliation avec Rome, eussent des moyens efficaces de soutenir la lutte. Pour tout dire en un mot, si Ananos avait vécu, il eût mis un terme à la guerre, car il était habile à parler et à persuader le peuple ; il commençait même à ramener à lui les opposants. Si la guerre avait pourtant continué, les Juifs auraient, sous un pareil chef, arrêté longtemps les progrès des Romains. Quant à Jésus, il était attaché à Ananos, inférieur à ce dernier, si on les compare, mais surpassant tous les autres. Dieu qui avait, comme je le crois, décrété la destruction de cette ville souillée, qui voulait purifier par le feu le sanctuaire, supprima ceux qui leur étaient attachés et leur vouaient toute leur affection. Ainsi les hommes qui, peu de temps auparavant, avaient porté le vêtement sacré, qui présidaient au culte du Dieu cosmique, révéré des étrangers venus dans cette ville de toutes les parties de l'univers étaient exposés nus aux regards, servant de proie aux chiens et aux bêtes sauvages. Je crois que la Vertu même gémit sur ces hommes, et qu'elle pleura d'être ainsi vaincue par le Crime. Telle fut la fin d’Ananos et de Jésus. Après eux, les zélateurs et la foule des Iduméens poursuivirent le peuple, qu'ils égorgèrent comme un troupeau de bêtes impures. Ils tuaient les gens du commun sur la place même où ils les surprenaient ; quant aux jeunes nobles, ils les chargeaient de chaînes et les enfermaient dans une prison, espérant attirer dans leur parti un certain nombre d'entre eux, s'ils différaient de les exécuter. Mais nul ne se laissa gagner ; tous, plutôt que de se ranger parmi les méchants contre leur patrie, préférèrent la mort, malgré les cruels traitements que leur valait leur refus. Ils étaient flagellés. torturés: c'est seulement quand leur corps ne pouvait plus supporter les sévices qu'on les jugeait, non sans peine, dignes du glaive. Ceux que l'on prenait pendant le jour étaient exécutés la nuit :

 

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on emportait les cadavres, on les jetait au dehors, pour faire de la place à d'autres prisonniers. Si grand était l'effroi du peuple que nul n'osait ni pleurer ouvertement un parent mort, ni l'ensevelir. C'est en secret et derrière des portes verrouillées qu'on pleurait, et alors même avec prudence, car on craignait d'être entendu des ennemis : celui qui donnait des marques de deuil subissait le sort de celui qui en était l'objet. La nuit venue seulement, on prenait des deux mains un peu de poussière que l'on jetait sur les corps : les plus hardis agissaient de même pendant le jour. C est ainsi que périrent douze mille jeunes nobles.

3. Cependant les massacreurs, dégoûtés de ces meurtres multipliés, imaginèrent des parodies de tribunaux et de jugements. Ils avaient décidé de mettre à mort un des citoyens les plus illustres, Zacharie, fils de Baris (02) : ils

lui en voulaient surtout de sa haine contre les méchants et de son amour de la liberté ; de plus, il était riche, ce qui leur donnait l'espérance non seulement de mettre ses biens au pillage, mais de se débarrasser d'un homme capable de les perdre eux-mêmes. Ils convoquent donc, par ordre, au Temple, soixante-dix citoyens notables, les décorent, comme au théâtre, d'un appareil judiciaire sans autorité, accusent Zacharie de livrer l'État aux Romains et d'envoyer des messages de trahison à Vespasien. Il n'y avait ni preuve ni témoignage pour soutenir ces accusations, mais ils déclaraient en être bien informés eux-mêmes et prétendaient que cela suffisait à la vérité. Zacharie, comprenant qu'il ne lui restait aucun espoir de salut, qu'on l'avait insidieusement mené à une prison et non devant un tribunal, renonça à la vie, mais non à la parole. Debout dans l'assemblée, il railla l'invraisemblance des accusations et réfuta en peu de mots les griefs dont on le chargeait. Ensuite, tournant son discours contre ses accusateurs, il énuméra successivement toutes leurs injustices et déplora longuement le désordre des affaires publiques. Les zélateurs protestèrent avec bruit, et c'est à grand'peine qu'ils retinrent leurs épées, bien qu'ils 'fussent résolus à conserver jusqu'à la fin les apparences de cette parodie de tribunal, désireux d'ailleurs d'éprouver les juges et de voir s'ils mettraient la justice

 

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au-dessus des périls qui les menaçaient. Mais les soixante-dix citoyens donnèrent tous leurs suffrages à l'accusé, aimant mieux mourir avec lui que de porter la responsabilité de sa mort. Alors les zélateurs hurlèrent contre l'acquittement ; tous s'irritaient contre des juges qui n'avaient pas compris le caractère fictif de l'autorité qu'on leur donnait. Deux des plus audacieux attaquent et égorgent Zacharie au milieu du Temple ; quand il tomba, les meurtriers lui dirent, en manière de raillerie : "Voici maintenant notre sentence : c'est une mise en liberté plus sûre que l'autre" : et ils le jetèrent aussitôt du haut du Temple dans le ravin situé plus bas (03).

Quant aux juges, ils les chassèrent de l'enceinte à coups de plat d'épée dans le dos ; ils ne s'abstinrent de les tuer que pour leur faire porter à tous, en se dispersant dans la ville, le témoignage de la, servitude où tous étaient réduits.

4. Cependant les Iduméens commençaient à regretter d'être venus et blâmaient la conduite de leurs alliés. Alors un des zélateurs alla les trouver en secret, les rassembla pour leur détailler les crimes commis par eux, avec ceux qui les avaient appelés, et passer en revue la situation de la capitale. Ils avaient pris les armes, dit-il, dans la pensée que les grands-prêtres livraient la ville aux Romains, mais ils n'avaient trouvé aucune preuve de trahison: ils protégeaient ceux qui en machinaient les apparences et qui osent accomplir des actes de guerre et de tyrannie. Il leur eût convenu, dès l'abord, d'y mettre un terme; mais puisqu'ils sont allés jusqu'à s'associer au massacre de leurs frères, ils doivent du moins mettre des bornes à ces crimes, et ne pas continuer à seconder ceux qui abolissent les institutions des ancêtres. S'il y en a parmi eux qui s'irritent encore d'avoir trouvé les portes closes et de s'être vu dénier l'autorisation d'entrer en armes dans la ville, ceux qui furent responsables de ces refus ont été punis: Ananos est mort, et presque tout le peuple a été détruit en une nuit. Ils savent, d'ailleurs, qu'un grand nombre de leurs concitoyens regrettent ces actes, alors que parmi ceux qui les ont appelés et qui ne respectent pas même leurs libérateurs, il n'y a que brutalité sans mesure; sous les yeux mêmes de leurs alliés, ces hommes commettent les forfaits les plus

 

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honteux, et ces iniquités peuvent être attribuées aux Iduméens tant qu'aucun d'eux ne s'y oppose ou ne s'en dissocie. Donc, puisque c'est la calomnie qui a fourni ces bruits de trahison, et qu'on ne s'attend pas à l'arrivée des Romains, puisqu'enfin un pouvoir difficile à renverser s'est emparé de la ville, les Iduméens doivent rentrer dans leurs foyers et, rompant toute alliance avec les scélérats, se dégager de la responsabilité des crimes auxquels la fourberie d'autrui les a fait participer.

VI Crimes des zélateurs.

1. Nouveaux crimes des zélateurs, après le départ des Iduméens. - 2. Vespasien songe à attaquer Jérusalem. - 3. Beaucoup de Juifs se rendent aux Romains. - 4. Accomplissement des prophéties.

1. Persuadés par ce langage, les Iduméens commencèrent par mettre en liberté environ deux mille citoyens qui se trouvaient dans les prisons ; ceux-ci s'enfuirent aussitôt de la ville et allèrent rejoindre Simon dont nous parlerons prochainement. Ensuite les Iduméens quittèrent Jérusalem pour retourner chez eux. Leur départ surprit les deux factions : le peuple, ignorant leurs regrets, retrouva quelque courage, car c'étaient, à ses yeux, des ennemis dont il était délivré. Les zélateurs, de leur côté, n'en furent que plus insolents, car pour eux ce n'étaient pas des alliés qui les abandonnaient, mais des gens qui se mêlaient de les conseiller, et de les détourner de la violence. Désormais, on fut criminel sans hésitation ni réflexion : les entreprises étaient décidées avec la plus grande promptitude et les décisions exécutées en moins de temps qu'il ne leur en fallait pour y penser. Ils poursuivaient surtout, dans leurs meurtres, le courage et la noblesse, détruisant celle-ci par jalousie, celui-là par crainte : leur seul moyen de salut, croyaient-ils, était de ne laisser aucun citoyen notable en vie. Ainsi Gorion (04) fut massacré avec beaucoup d'autres ; distingué par

la considération dont il jouissait et par sa naissance, il n'en avait pas moins des sentiments démocratiques et, autant qu'aucun Juif, était rempli d'amour pour la liberté. Ce qui le perdit, outre ses autres avantages, fut

 

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la franchise de sa parole. Niger de la Pérée (05)

n'échappa pas non plus à leurs mains ; c'était un homme qui avait montré la plus grande valeur dans la guerre contre les Romains. Poussant de grands cris et montrant ses cicatrices, il fut traîné à travers la ville. Quand on l'eut conduit hors des portes, il désespéra de son salut et supplia ses meurtriers de lui donner une sépulture : mais ceux-ci, après l'avoir menacé de ne pas lui accorder ce coin de terre, objet de son plus vif désir, le mirent à mort. Tandis qu'on l'égorgeait, les imprécations de Niger appelaient sur eux la vengeance des Romains, la famine et la peste jointes à la guerre, et, outre tous ces maux, la discorde civile. Dieu ratifia toutes ces malédictions contre les scélérats, y compris celle qui les condamnait à éprouver bientôt, dans une lutte fratricide, la juste fureur de leurs concitoyens. Le massacre de Niger calma, il est vrai, les craintes des zélateurs concernant la conservation du pouvoir : mais il n'y avait pas de section du peuple pour la destruction de laquelle ils ne cherchassent un prétexte. Ceux qui les avaient anciennement offensés étaient déjà parmi leurs victimes ; il restait à inventer, à l'occasion, des accusations contre ceux qui, en temps de paix, ne leur avaient pas donné sujet de plainte. Un tel était soupçonné d'insolence parce qu’il n'allait jamais les visiter : un autre de mépris, parce qu'il s'approchait d'eux librement : un troisième, de complot, à cause de son empressement. Il n'y av'ait qu'un châtiment, la mort, pour les accusations les plus graves comme pour les plus frivoles. Nul n'échappait, sinon par hasard, s’il n'était de très humble condition.

2. Cependant, tous les généraux romains, considérant ces dissensions des ennemis comme une bonne fortune, préparaient avec ardeur l'attaque de la ville et exhortaient Vespasien à agir, comme le maître de la situation. Ils disaient que la Providence divine les favorisait, puisque leurs adversaires tournaient leurs armes contre eux-mêmes ; mais cet état de choses avantageux pouvait être bref, car bientôt les Juifs se réconcilieraient soit par lassitude, soit par repentir de leurs discordes. A quoi Vespasien répondit qu'ils se trompaient singulièrement sur la conduite à tenir ; ils

 

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désiraient étaler, comme sur un théâtre, leur puissance et leurs armes, sans tenir compte de leur intérêt ni de leur sécurité. En effet, s'il marche aussitôt contre la ville, il opérera la réconciliation des ennemis et retournera contre lui-même leurs forces intactes. Mais s'il attend, il les trouvera amoindris, épuisés par les dissensions. Dieu est meilleur général que lui-même, quand il livre les Juifs aux Romains sans que ceux-ci fassent d'efforts, et accorde à son expédition une victoire sans péril. Ils doivent donc demeurer à l'écart des dangers, spectateurs lointains des luttes où leurs adversaires se déchirent de leurs propres mains et s'abandonnent au plus grand des maux, la guerre civile, plutôt que de combattre des hommes qui cherchent ta mort et se disputent avec rage. Si quelqu'un juge un peu flétris des lauriers d'une victoire remportée sans combat, qu'il sache qu'un succès paisiblement assuré a plus d'avantages que s'il est obtenu par le hasard des armes : en effet, il ne faut pas regarder comme moins glorieux que des vainqueurs à la guerre ceux qui, par sang-froid et sagacité, obtiennent des résultats identiques. En même temps que diminuera le nombre des ennemis, son armée, reposée de ses continuelles fatigues, sera devenue plus forte. Surtout, ce n'est pas le moment de chercher l'illustre renommée d'une victoire ; car ce n'est pas de préparer des armes, d'élever des murs, ni de convoquer des alliés que s'occupent les Juifs. S'il en était ainsi, notre retard tournerait à notre détriment. Mais, étreints par la guerre civile et les dissensions, ils souffrent chaque jour des maux plus cruels que s'ils tombaient vaincus entre nos mains. Si donc on tient compte de la sécurité, il faut laisser ces hommes se détruire les uns les autres ; si l'on considère la gloire du succès, il ne faut pas s'attaquer à une cité qui est en proie à un mal intérieur ; car on dirait avec raison que la victoire n'est pas de leur fait, mais celui de la sédition.

3. Les officiers approuvèrent ces paroles, et l'on vit bientôt l'habileté stratégique de cette décision; car, tous les jours, de nombreux Juifs faisaient défection, fuyant le parti des zélateurs. S'échapper était difficile, car ils avaient entouré de postes toutes les issues, et exécutaient les citoyens qui, pour une raison ou une

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

autre, s'y trouvaient pris, comme suspects de passer du côté des Romains. Au reste, on était relâché si l'on donnait de l'argent; celui-là seul était traître qui n'en donnait pas; de cette manière, les riches achetaient le droit de fuir, et il n'y avait que les pauvres qui fussent égorgés. D'énormes tas de cadavres s'amoncelaient dans les rues; plus d'un, que tentait la désertion, changeait d'avis et préférait périr à l'intérieur de la ville, car l'espérance d'obtenir la sépulture faisait trouver moins cruelle la mort subie sur le sol de la patrie. Mais les zélateurs poussèrent la cruauté jusqu'à n'accorder de terre ni à ceux qu'on égorgeait dans la ville, ni à ceux que l'on tuait sur les chemins. Comme s'ils avaient par un pacte juré de détruire à la fois les lois de leur patrie et celles de la nature et, dans leurs crimes contre les hommes, d'outrager Dieu lui-même, ils laissaient les corps pourrir au soleil. Ceux qui ensevelissaient quelqu'un de leurs parents subissaient, comme les déserteurs, la peine la mort, et quiconque rendait ainsi service à autrui avait bientôt besoin du même office. En un mot, parmi les malheurs du temps, il n'y avait pas de sentiment généreux qui eût disparu au même degré que la pitié; ce qui aurait dû inspirer la commisération ne faisait qu'exciter ces scélérats, dont les fureurs passaient des vivants aux morts et des morts aux vivants. La terreur était telle que les survivants enviaient le sort des victimes qui les avaient précédés; ceux qu'on accablait de tortures dans les prisons estimaient heureux les morts, même privés de sépulture. Toute loi humaine était foulée aux pieds par ces scélérats; ils tournaient en dérision les choses divines et raillaient les oracles des prophètes comme autant de propos de charlatans. Et pourtant ces paroles des prophètes enseignaient bien des choses sur le vice et la vertu; en agissant à l'encontre, les zélateurs travaillèrent à vérifier les prophéties contre leur propre patrie. Car il y avait une ancienne parole, due à des hommes animés de l'esprit divin, annonçant que la ville serait prise et le Saint des Saints incendié par la loi de la guerre au temps où éclaterait la sédition et où les mains mêmes des citoyens souilleraient le sanctuaire de Dieu; or les zélateurs, tout en ne croyant pas à cette prédiction (06) travaillaient à

son accomplissement (07).

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

VII Jean prend le pouvoir absolu

1. Jean assume le pouvoir absolu. - 2. Les sicaires occupent Masada. - 3. Vespasien occupe Gadara. - 4. Défaite des Gadaréniens. - 5. Défaite des Péréens.

  1. Jean, qui aspirait déjà à la tyrannie, dédaignait de partager les honneurs avec ses égaux ; s'attachant peu à peu quelques-uns des pires, il entrait en lutte avec sa propre faction. Toujours il désobéissait aux décisions des autres et imposait les siennes en véritable despote, prétendant manifestement à l'autorité suprême. Quelques-uns lui cédaient par crainte, d'autres par attachement, car il était habile à se concilier des sympathies par la tromperie et l'éloquence ; beaucoup d'ailleurs pensaient être plus en sûreté si la responsabilité des forfaits déjà commis pesait sur un seul et non sur tous. Alors que son activité physique et intellectuelle lui assurait des satellites assez nombreux, beaucoup de dissidents l'abandonnaient, les uns par jalousie et parce qu'ils ne supportaient pas d'être soumis à un homme qui était naguère leur égal, les autres parce qu'ils avaient horreur d'un régime monarchique ; une fois maître des affaires, ils ne pourraient pas l'abattre aisément et ils craignaient que leur opposition au début ne lui fournît un prétexte à agir contre eux (08). Chacun

résolut donc de tout souffrir dans la lutte plutôt que d'être esclave volontaire et de périr en esclave. Ainsi, le parti se divisa, et Jean se posa en maître absolu contre ses adversaires. Mais les deux factions se tenaient sur leurs gardes et n'engageaient que peu ou point d'escarmouches : l'une et l'autre opprimaient le peuple et rivalisaient à qui s'assurerait le plus riche butin. Comme la ville était donc en proie aux trois plus grandes calamités - la guerre, la tyrannie et les factions, -la guerre était, en comparaison, la moins dure pour les habitants ; aussi les voyait-on fuir leurs concitoyens pour se réfugier auprès des étrangers et chercher chez les Romains la sécurité qu'ils désespéraient de trouver parmi les leurs.

  1. Un quatrième fléau s'éleva pour la perte de la nation.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

Il y avait, non loin de Jérusalem, une très forte citadelle, construite par les anciens rois pour y transporter secrètement leurs richesses pendant les vicissitudes de la guerre et y abriter leurs personnes : on l'appelait Masada (09). Ceux qu'on nommait sicaires s'en étaient

emparés. Pendant quelque temps, ils coururent les campagnes voisines, sans prendre autre chose que ce qui leur était nécessaire pour vivre et se faisant scrupule de prendre davantage : mais quand ils apprirent que l'armée romaine restait inactive et que les Juifs de Jérusalem étaient en proie aux discordes et à la tyrannie, ils se livrèrent à des entreprises plus audacieuses. Pendant la fête des Azymes - que les Juifs célèbrent comme une fête du salut depuis le temps où, délivrés de la captivité égyptienne, ils revinrent dans leur patrie - les brigands, déjouant, à la faveur de la nuit, toute surveillance, firent une descente sur la petite ville d’Engaddi (10). Ceux des habitants qui auraient pu les

repousser n'eurent pas le temps de prendre les armes et de se grouper, mais furent dispersés et chassés de la ville : quant à ceux qui ne pouvaient fuir, femmes et enfants, ils furent massacrés au nombre de plus de sept cents. Les brigands pillèrent ensuite les maisons, ravirent les produits du sol les plus mûrs et ramenèrent leur butin à Masada. Ils ravagèrent de même toutes les bourgades voisines de la forteresse et désolèrent toute ta contrée, fortifiés chaque jour par de nouveaux malandrins qui se joignaient à ceux, Alors, dans les autres régions de la Judée, les brigands, jusque là inactifs, se mirent en campagne. Comme en un corps dont l'organe essentiel est enflammé on voit les autres s'infecter en même temps, ainsi les factions et les désordres de la capitale assurèrent aux scélérats de la province l'impunité de leurs brigandages ; les uns et les autres pillaient les bourgades de leur voisinage et fuyaient ensuite au désert. Quand ils se réunissaient et se liaient par des serments, leurs troupes, moins nombreuses qu'une armée, plus nombreuses qu'une bande, tombaient sur les lieux sacrés et les villes. Il leur arrivait sans doute d'être repoussés par ceux qu'ils attaquaient et d'avoir le dessous comme à la guerre : mais ils avaient toujours la ressource d'échapper au châtiment en prenant la fuite, comme des brigands, avec

 

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leur butin (11). Il n'y avait donc aucune partie de la

Judée qui ne partageât le sort affreux de la ville principale.

3. Les transfuges apprenaient à Vespasien ces événements. Car si les factieux entouraient de postes toutes les issues et mettaient à mort ceux qui s'en approchaient sous quelque prétexte que ce fût, plusieurs cependant trompaient cette surveillance et se réfugiaient auprès des Romains, exhortant le général à secourir la ville et à sauver les restes du peuple : car c'était leur bon vouloir pour les Romains qui avait causé la mort du plus grand nombre et mis en péril les survivants. Vespasien, déjà ému de pitié pour leurs malheurs, leva le camp comme pour assiéger Jérusalem, en réalité pour la délivrer d'un siège. Mais il fallait d'abord supprimer les obstacles qui restaient encore, et ne rien laisser derrière lui qui pût le gêner dans les opérations du siège. Il marcha donc contre Gadara, ville forte et capitale de la Pérée (12), et y entra le quatrième jour du mois de

Dystros (13) ; car les principaux citoyens lui avaient,

déjà envoyé des messagers, à l'insu des factieux, pour négocier la reddition de la ville, tant par désir de la paix que pour conserver leurs biens ; Gadara comptait en effet un grand nombre de riches. Leurs ennemis ignorèrent cette ambassade et ne l'apprirent qu'à l'approche de Vespasien. Ils désespérèrent de pouvoir eux-mêmes conserver la ville, étant inférieurs en nombre à leurs adversaires et voyant les Romains à une assez faible distance. Alors ils décidèrent de fuir, mais non toutefois sans verser du sang et sans châtier ceux qui causaient leur malheur. Ils se saisirent donc de Dolésos qui n'était pas seulement, par l'autorité et la naissance, le premier citoyen de la ville, mais qui leur semblait encore l'instigateur de l'ambassade ; ils le tuèrent et, dans l'excès de leur fureur, outragèrent son cadavre. Puis ils prirent la fuite. Quand les troupes romaines commencèrent à entrer dans la ville, le peuple de Gadara accueillit Vespasien avec des acclamations, et reçut de lui des assurances formelles de sa foi, avec une garnison de cavaliers et de fantassins pour repousser les attaques des fugitifs. Car ils avaient détruit leurs remparts sans attendre la demande des Romains ; ils donnaient ainsi

 

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un gage de leur amour de la paix, en se mettant dans l'état de ne pouvoir faire la guerre, même s'ils l'eussent voulu.

  1. Vespasien envoya contre les fuyards de Gadara, sous les ordres de Placidus, cinq cents cavaliers et trois mille fantassins ; puis, avec le reste de l'armée, il retourna à Césarée. A peine les fugitifs eurent-ils aperçu les cavaliers lancés à leur poursuite qu'ils se réunirent, avant de livrer combat, dans un bourg nommé Béthennabris (14). Ayant trouvé là un nombre assez

considérable de jeunes gens auxquels ils firent en toute hâte prendre les armes, de bon gré ou par violence, ils s'élancèrent témérairement contre Placidus et ses compagnons. Ceux-ci, au premier choc, reculèrent un peu et s'ingénièrent en même temps à les attirer plus loin des remparts ; puis ils les reçurent dans une position avantageuse, les entourèrent et les accablèrent de leurs javelots. Tandis que les cavaliers coupaient la route à ceux qui fuyaient, l'infanterie tuait sans faiblir ceux qui soutenaient le combat. Les Juifs périssaient, sans autre dessein que de montrer leur courage. Ils se heurtaient aux rangs serrés des Romains, dont les armures leur opposaient comme un rempart, sans y trouver aucun intervalle par où faire pénétrer leurs traits, sans aucune possibilité de rompre leurs rangs. Eux-mêmes tombaient transpercés par les traits ennemis et, semblables à des bêtes féroces, se jetaient sur le fer. Les uns succombaient, frappés en plein visage par les glaives, les autres étaient dispersés par les cavaliers.

  1. Placidus mettait ses soins à arrêter leur course vers la bourgade. A cet effet, sa cavalerie se portait de ce coté, les dépassait, puis revenait sur eux en lançant des traits ; on tuait sûrement les plus rapprochés, tandis que la crainte faisait fuir les autres. Pourtant, les plus courageux se frayèrent un passage et s'enfuirent vers les remparts. Les gardes étaient dans l'embarras ; ils ne pouvaient se résoudre à repousser les fugitifs de Gadara, qui avaient été recrutés dans la ville ; d'autre part, s'ils les accueillaient, c'était s'exposer à être tués avec eux. Ce qu'ils craignaient arriva. Car dès que les fugitifs

 

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eurent été poursuivis jusqu’à la muraille, il s'en fallut de peu que la cavalerie romaine n'y pénétrât en même temps ; mais on avait devancé l'attaque et fermé les portes quand Placidus se porta en avant. Après avoir vaillamment lutté jusqu'au crépuscule, il s'empara des murs et du bourg. Les vainqueurs massacrèrent la multitude inoffensive, tandis que les plus ingambes s'enfuyaient. Les soldats pillèrent les maisons et y mirent le feu. Quant aux fuyards, ils alertèrent les habitants des campagnes ; exagérant leurs propres malheurs, ils dirent que toute l'armée romaine faisait irruption. Frappés de terreur, les habitants quittèrent en foule leurs demeures et s'enfuirent du côté de Jéricho ; seule, en effet, cette ville, forte par le nombre de ses citoyens, leur offrait une espérance de salut. Placidus, se fiant à sa cavalerie et enhardi par le succès, les poursuivit jusqu'au Jourdain. Il tua tous ceux qu'il put prendre, puis, quand il eut repoussé cette foule vers le fleuve, dont les eaux grossies par les pluies opposaient une barrière infranchissable, il rangea ses troupes en face d'elle. La nécessité contraignit au combat ces gens qui n'avaient aucun moyen de fuir ; allongeant leurs rangs sur une très grande étendue de la rive, ils affrontèrent les traits et les charges des cavaliers, qui en frappèrent un grand nombre et les précipitèrent dans les flots. Quinze mille hommes tombèrent sous les coups des Romains ; une foule innombrable dut se jeter d'elle-même dans le Jourdain. Environ deux mille deux cents hommes furent faits prisonniers : le butin, très abondant, comprenait des ânes, des moutons, des chameaux et des bœufs.

6. Cette défaite fut la plus grave qu'eussent subie les Juifs et parut encore plus terrible qu'elle ne l'était, car non seulement tout le pays à travers lequel ils avaient fui était un champ de carnage, mais les morts amoncelés formaient comme un pont sur le Jourdain : même le lac Asphaltite regorgeait de cadavres que le fleuve y avait entraînés. Placidus, profitant du succès, se jeta en hâte sur les petites villes et bourgades du voisinage : il emporta Abila, Julias, Besimoth (15) et toutes les places

jusqu'au lac Asphaltite : il établit partout comme garnisaires des gens choisis parmi les transfuges. Ensuite, faisant monter les soldats sur des bateaux, il

 

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extermina les Juifs qui avaient cherché un refuge sur le lac. C'est ainsi que la Pérée entière jusqu'à Machaeron (16), se soumit ou fut conquise par les Romains.

VIII Vespasien subjugue la Judée

1. Soulèvement en Gaule ; Vespasien subjugue la Judée. - 2-3. Description de Jéricho. - 4. Le Lac Asphaltite.

1. Sur ces entrefaites se répandit la nouvelle du soulèvement de la Gaule ; Vindex, avec l'élite de la population, s'était révolté contre Néron : les historiens ont fait un récit détaillé de ces événements. Ces nouvelles poussèrent Vespasien à hâter la guerre, car il prévoyait déjà les prochaines discordes civiles, le danger auquel serait exposé l'Empire entier, et il espérait, en pacifiant l'Orient, calmer les inquiétudes de l'Italie. Mais l'hiver durait encore ; Vespasien se contenta d'assurer par des garnisons la sécurité des bourgs et des petites villes qui avaient fait leur soumission ; il préposa des décurions à la garde des bourgs, des centurions à celle des villes : il releva aussi nombre de places qui avaient été ruinées. Au commencement du printemps, il transféra la plus grande partie de ses troupes de Césarée à Antipatris (17) ; il y passa deux jours pour rétablir

l'ordre dans la ville et partit, le troisième, pour ravager et brûler les bourgades d'alentour. Ayant ainsi soumis la toparchie de Thamna (18), il marcha sur Lydda (19) et

Jamnia (20), villes précédemment réduites; il y installa

comme habitants un nombre suffisant de Juifs qui s'étaient déjà ralliés à lui, puis se rendit dans la toparchie d'Ammathus (21). Après avoir occupé les

passages qui conduisaient à la métropole, il y éleva un camp retranché, laissa dans cette ville la cinquième légion, et, avec le reste de ses forces, s'avança jusqu'à la toparchie de Bethleptenpha (22). Il la ravagea par le feu,

comme aussi le district voisin et les pourtours de l'Idumée ; puis il éleva des fortins aux points favorables. En s'emparant de deux bourgs situés au centre de l'Idumée, Betabris et Caphartoba (23), il tua plus de dix

mille hommes, en fit prisonniers plus de mille et chassa le reste de la population, en place de laquelle il établit

 

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une partie assez considérable de ses propres troupes, qui firent des courses dans les montagnes et les ravagèrent. Puis, il revint à Ammathus avec le reste de son armée : il en descendit à travers la Samaritide, en passant près de la ville de Néapolis, que les gens du pays appellent Mabartha (24), jusqu'à Corea (25), où il campa

le deuxième jour du mois de Oaesios (26). Le lendemain,

il se rendit à Jéricho où il fut rejoint par Trajan, un de ses généraux (27) qui lui amenait les troupes de la Pérée,

après la soumission de la contrée située au-delà du Jourdain.

2. La plupart des habitants de Jéricho, devançant l'arrivée des Romains, s'étaient enfuis dans la contrée montagneuse qui fait race à Jérusalem ; un assez grand nombre, qui étaient restés sur place, furent mis à mort. Les Romains occupèrent donc une cité déserte. Située dans une plaine, elle est dominée par une montagne nue et aride qui, sur une grande longueur, s'étend du côté du nord jusqu'au territoire de Scythopolis (28), du côté

du midi jusqu'au pays de Sodome et aux limites du lac Asphaltite. C'est un pays fort accidenté et, à cause de sa stérilité, dépourvu d'habitants. En face se dressent les monts du Jourdain ; ils commencent à Juliade (29) du

côté du nord, et s'étendent vers le midi jusqu'à Somorron (30), qui confine à la ville arabe de Petra. Là

est une montagne, dite "de fer" (31), qui se prolonge

jusqu'au pays des Moabites. La contrée qu'entourent ces deux chaînes se nomme la Grande Plaine (32) : elle

s'étend du bourg de Ginnabris (33) au lac Asphaltite, sur

une longueur de mille deux cents stades, une largeur de cent vingt ; le Jourdain la traverse en son milieu ; elle renferme deux lacs : l’Asphaltite et celui de Tibériade, qui sont d'une nature toute différente. Le premier est salé et sans vie ; le second est un lac d'eau douce, peuplé d'animaux. Dans la saison d'été, la plaine est brûlée par le soleil : l'excès de sécheresse rend malsain l'air qu'on y respire, car tout le territoire n'offre pas d'autres eaux que celles du Jourdain : aussi les palmiers qui croissent sur ses rives sont-ils plus florissants et d'un meilleur rapport que ceux qui se trouvent à quelque distance de là.

 

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3. Il y a près de Jéricho une source abondante et très propre à fertiliser le sol par des irrigations (34) : elle

jaillit dans le voisinage de l'ancienne ville qui fut la première du pays de Chanaan dont s'empara, par le droit de la guerre, Jésus (Josué), fils de Navé, général des Hébreux. La légende rapporte que cette source, à l'origine non seulement détruisait les productions de la terre et les fruits des arbres, mais encore faisait avorter les femmes, et qu'elle entretenait de toutes manières la maladie et la corruption ; ce fut, dit-on, le prophète Elisée qui en adoucit les eaux et les rendit très saines, très propres à répandre la vie (35), Élisée était l'élève et

le successeur d'Élie. Comme il avait été reçu par les habitants de Jéricho avec une extrême bienveillance, il les gratifia en échange, eux et leur territoire, d'un bienfait impérissable. S'étant avancé vers la source, il jeta dans le courant une cruche de terre pleine de sel : puis, levant la main droite vers le ciel et répandant sur le sol des libations propitiatoires, il demanda à la terre d'apaiser l'âcreté des ondes et d'ouvrir des veines plus douces, à Dieu de mêler à ces ondes un air plus fécond, d'accorder en même temps aux hommes du pays l'abondance des fruits et des enfants pour leur succéder, de ne point laisser tarir cette eau productrice de tous ces biens, tant qu'ils resteraient un peuple de justes. Il joignit à ces prières de nombreux gestes des mains, exécutés avec sagesse, et changea ainsi la nature de la source : cette eau qui auparavant infligeait aux habitants la stérilité et la disette, devint, dès ce moment, productrice d'heureuses naissances et de biens. Ses irrigations ont une telle vertu que, eût-elle seulement effleuré le sol, elle le rend plus fertile que ne le feraient des eaux qui y séjourneraient longuement. C'est pourquoi l'on trouve peu de profit à en user très abondamment, tandis qu'une petite quantité confère de grands avantages. Cette source irrigue une surface supérieure à celle qu'arrosent toutes les autres ; elle traverse une plaine qui a soixante-dix stades rie longueur et vingt de largeur et y fait croître et fleurir de très nombreux jardins d'une extrême beauté. Les palmiers ainsi arrosés appartiennent à des espèces de qualités et d'appellations très diverses, dont le goût et les vertus médicales diffèrent : les palmes les plus grasses

 

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font couler, si on les presse sous le pied, un miel abondant, à peine inférieur à celui des abeilles que le pays nourrit en grand nombre : on y trouve aussi le baumier, dont le fruit est le plus estimé de la région, le cyprès et le myrobalan, en sorte qu'on ne se trompera pas en qualifiant de divine une région où naissent en quantité les produits les plus rares et les plus exquis. Pour les autres fruits aussi, il n'y a pas un climat au monde que l'on puisse comparer à celui-là, tant les semences qu'on y jette se multiplient ! La cause m'en paraît être la chaleur de l'air et la fécondité des eaux ; l'air excite et épanouit les végétaux ; l'humidité accroît la force de leurs racines, augmente leur vigueur en temps d'été, alors que le pays d'alentour est si brûlant que les hommes craignent de sortir de chez eux. L'eau puisée avant le lever du jour et ensuite exposée en plein air devient très fraîche à l'encontre du milieu environnant ; en hiver, par un phénomène opposé, elle s'attiédit et fait une impression très agréable à ceux qui s'y baignent. L'atmosphère est si douce que les habitants portent des vêtements de toile, alors même que le reste de la Judée est couvert de neige. Ce pays est à cent cinquante stades de Jérusalem, à soixante du Jourdain. De là à Jérusalem, la campagne est déserte et rocheuse ; vers le Jourdain et le lac Asphaltite, le sol est plus bas, mais également inculte et stérile. Je crois en a voir assez dit sur l’extrême richesse de Jéricho.

4. Il n'est pas sans intérêt de décrire la nature du lac Asphaltite qui est, comme je l’ai dit, salé et stérile: la légèreté de ses eaux est si grande (36) qu'elles font flotter

les objets qu'on y jette: il n'est pas même facile, quand on s'y applique, de plonger au fond (37). Aussi rapporte-t-

on que Vespasien, étant arrivé sur ses bords, fit jeter au fond du lac quelques hommes qui ne savaient pas nager, et dont on avait lié les mains derrière leur dos: or, ils surnagèrent tous. comme si un souffle d'air les avait poussés de bas en haut. Ce qui est aussi merveilleux dans ce lac, ce sont les changements de couleur: trois fois par jour, l'aspect de sa surface se modifie, et les rayons du soleil, en s'y réfléchissant, lui donnent un éclat variable. Sur un grand nombre de points, il rejette des masses noires de bitume, qui flottent à la surface.

 

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comparables, pour la ligure et la grandeur, à des taureaux sans tête. Les riverains s'y rendent en barques et tirent sur cet asphalte coagulé qu'ils hissent à leur bord; mais quand ils en ont rempli leurs embarcations, il n'est pas facile d'en détacher leur charge, car cette matière s'y fixe et s'y agglutine; il faut, pour la

dissoudre, du sang menstruel et de l'urine de femme, qui seuls la font céder. Le bitume n'est pas seulement utile pour assujettir la membrure des navires, mais encore pour la guérison des maladies; il entre, en effet, dans la composition de nombreuses drogues. La longueur de ce lac est de cinq cent quatre-vingts stades; il s'étend donc jusqu'à Zoara, ville d'Arabie (38) ; sa largeur est de cent

cinquante stades. Dans son voisinage est la région de Sodome (39), territoire jadis prospère grâce à ses

productions et à la richesse de ses villes, maintenant tout entier desséché par le feu.

On dit, en effet, que l'impiété des habitants attira sur eux la foudre qui l'embrasa; il subsiste encore des traces du feu divin, et l'on peut voir les vestiges presque effacés de cinq villes. On y trouve aussi des fruits remplis d'une cendre renaissante, revêtus d'une couleur semblable à celle des fruits comestibles, et qui, dès qu'on y porte la main pour les cueillir, se dissolvent en vapeur et en cendre. Telles sont les légendes relatives à la région de Sodome, confirmées par le témoignage des yeux.

IX Simon fils de Gioras et les zélateurs

1. Jérusalem est isolée de la Palestine. - 2. Vespasien apprend la mort de Néron. -3 Simon, fils de Cioras, rejoint les brigands de Masada. - 4. Il réunit une troupe contre les zélateurs. - 5. Il les repousse. - 6. Trahison de Jean l'Iduméen. - 7. Simon prend Hébron. - 8. Capture de la femme de Simon par les zélateurs. - 9. Guerre civile en Italie. - 10. Terreur à Jérusalem. - 11-12. Sédition parmi les zélateurs, que Simon attaque dans le Temple.

1. Cependant Vespasien, pour encercler Jérusalem, dressa des camps à Jéricho et à Adida (40) ; il y établit

des garnisons prises dans l'armée romaine et dans les contingents des alliés. Il envoya à Gérasa (41) Lucius

 

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Annius avec un escadron de cavalerie et de nombreux fantassins. Celui-ci, ayant pris d'assaut la ville, tua mille jeunes gens, qui n'eurent pas le temps de fuir, réduisit en captivité leurs familles et autorisa les soldats à piller les biens des habitants, puis il incendia les maisons et marcha contre les bourgs voisins. Les citoyens robustes fuyaient, les faibles périssaient, et tout ce qui restait devenait la proie des flammes. Alors, comme la guerre s'étendait sur la montagne et la plaine entières, les habitants de Jérusalem n'en purent plus sortir ; car si les zélateurs tenaient en étroite surveillance ceux qui voulaient déserter, l'armée, répandue de toutes parts autour de la ville, s'opposait à la sortie de ceux qui n'étaient pas encore favorables aux Romains.

2. Vespasien venait de rentrer à Césarée et se préparait à marcher contre Jérusalem avec toutes ses forces, quand il apprit que Néron avait été mis à mort, après un règne de treize ans, huit mois et huit jours (42). On sait

comment ce prince se porta aux excès du pouvoir, après avoir confié la direction des affaires aux hommes les plus scélérats, à Nymphidius et à Tigellinus, indignes affranchis ; comment tous ses gardes l'abandonnèrent, quand ses favoris ourdirent une conjuration : on sait sa fuite dans les faubourgs, avec quatre de ses affranchis restés fidèles, et son suicide ; les châtiments infligés peu de temps après à ceux qui l'avaient renversé : la fin de la guerre des Gaules : les circonstances qui tirent désigner comme empereur et ramenèrent Galba d'Espagne à Rome, l'accusation d'avarice lancée par les soldats

contre ce prince, son assassinat perpétré par trahison au milieu même du forum romain et l'élévation d'Othon à l'empire : sa campagne contre les généraux de

Vitellius, et sa perte : ensuite les troubles du principat de Vitellius, la bataille livrée autour du Capitole, le rôle d'Antonius Primus et de Mucianus, qui, ayant anéanti Vitellius et ses légions de Germanie, étouffèrent la guerre civile. J'ai écarté le récit détaillé de tous ces événements, parce qu'ils sont devenus fastidieux pour tous et que nombre de Grecs et de Romains ont écrit cette histoire : mais pour conserver l'enchaînement des faits et éviter le défaut d'une narration discontinue, je note sommairement chacun d'eux.

 

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Tout d'abord, Vespasien différa l'expédition contre Jérusalem, attendant avec impatience à qui passerait le pouvoir après Néron : ensuite il apprit que Galba était empereur, et, comme celui-ci ne lui avait encore adressé aucune instruction relative à la guerre, il n'entreprit rien, mais lui envoya son fils Titus pour le saluer et recevoir ses ordres au sujet des Juifs. Pour les mêmes raisons, le roi Agrippa s'embarqua en même temps que Titus, afin d'aller trouver Galba. On était en hiver, et tandis qu'ils naviguaient sur des vaisseaux de guerre le long de la cote d'Achaïe, Galba fut tué après un règne de sept mois et d'un nombre égal de jours. Othon, qui faisait valoir ses droits, prit le pouvoir. Agrippa n'en résolut pas moins de se rendre à Rome, sans se laisser effrayer par la révolution : au contraire, Titus, par une inspiration divine, passa de Grèce en Syrie et rejoignit en toute hâte son père à Césarée.

Ces chefs, que l'état de l'Empire tenait en suspens, comme si une tempête le bouleversait, négligeaient la campagne contre les Juifs, et les craintes qu'ils concevaient pour leur patrie leur faisaient juger inopportun de poursuivre la guerre contre des étrangers.

3. Mais une autre guerre menaçait maintenant Jérusalem. Il y avait un certain Simon, fils de Cioras (43), natif de Gérasa. Cet adolescent, inférieur en ruse à

Jean, qui dominait déjà dans la cité, le surpassait par la vigueur et l'audace ; chassé pour cette raison même par le grand-prêtre Ananos de la toparchie de l'Acrabatène (44) qu'il administrait, il s'était joint aux brigands qui

occupaient Masada. Tout d'abord il leur fut suspect ; ils lui permirent seulement de s'établir à l'étage inférieur de la forteresse, avec les femmes qu'il avait amenées, tandis qu'eux-mêmes occupaient l'étage supérieur. Ensuite, la ressemblance de son caractère avec le leur et la confiance qu'il leur inspirait le firent associer à leurs incursions de pillage : il sortit avec eux et ravagea en leur compagnie les environs de Masada. Toutefois, malgré ses exhortations, il ne pouvait les entraîner à de plus grandes entreprises ; car les brigands, accoutumés à vivre dans la forteresse, n'osaient s'éloigner longtemps de leur tanière. Mais lui, qui aspirait à la tyrannie et rêvait de grands desseins, dès qu'il eut appris la mort

 

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d'Ananos, s'enfuit dans la montagne, annonçant par la voix du héraut que les esclaves seraient libres et que les hommes libres recevraient des récompenses. Ainsi il réunit autour de lui tous les malfaiteurs de la région.

  1. Quand ses troupes devinrent nombreuses, il fit des courses parmi les bourgs de la montagne ; puis, de nouveaux partisans affluant sans cesse, il s'enhardit jusqu'à descendre dans la plaine. Comme il devenait redoutable aux cités, de nombreux Juifs de qualité furent séduits, pour leur malheur, par sa puissance et par la facilité de ses succès. Bientôt ce ne fut plus seulement une armée d'esclaves et de brigands, mais on y vit un nombre assez considérable de citoyens qui lui obéissaient comme à un roi. Dès lors, il fit des incursions dans la toparchie de l'Acrabatène et jusqu'aux confins de la Grande Idumée. Dans un bourg nommé Nain (45), il éleva une muraille et en fit une

forteresse pour sa sûreté ; dans le vallon de Phérété (46),

il élargit de nombreuses cavernes et en trouva d'autres toutes préparées, qu'il transforma en dépôts de ses trésors, en magasins pour son butin. Il y accumula aussi les récoltes enlevées et y logea la plus grande partie de ses soldats. Son but était clair : c'était contre Jérusalem qu'il exerçait sa troupe et multipliait ses préparatifs.

  1. Alors les zélateurs, qui craignaient ses desseins secrets et qui voulaient prévenir cette puissance croissante opposée à la leur, sortirent en grand nombre, les armes à la main. Simon marche à leur rencontre, en fait un grand carnage et chasse vers la ville ceux qui restent. Mais comme il n'avait pas encore une entière confiance dans ses forces, il recula devant un assaut et entreprit d'abord de soumettre l'Idumée. Avec vingt mille fantassins, il envahit les frontières de ce pays. Mais les gouverneurs de l'Idumée rassemblent en toute hâte les hommes les plus propres à porter les armes, au nombre d'environ vingt-cinq mille, laissèrent la masse de leurs concitoyens défendre leurs biens contre les incursions possibles des sicaires de Masada et attendirent Simon sur la frontière. Le combat s'engagea et dura toute la journée ; on ne put savoir qui était vainqueur ou vaincu. Simon se retira à Naïn, tandis que les Iduméens

 

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rejoignaient leurs foyers. Mais peu de temps après, Simon revint avec des troupes plus nombreuses et envahit leur territoire ; il campa dans un bourg du nom de Thécoué (47) et envoya auprès de la garnison

d'Hérodion (48), qui était dans le voisinage, un de ses

compagnons. Eléazar, pour persuader aux défenseurs de livrer leurs remparts. Les sentinelles le reçurent avec empressement, ignorant la raison pour laquelle il venait ; mais quand il eut parlé de reddition, les soldats, tirant leurs épées, le poursuivirent, et Eléazar, n'ayant pas d'endroit où fuir, se jeta du haut de la muraille dans le vallon qu'elle dominait. Il mourut sur le coup, et les Iduméens, qui appréhendaient la force de Simon, jugèrent opportun de faire reconnaître l'armée ennemie avant de se mesurer avec elle.

  1. Jacob, un des chefs, s'offrit volontiers pour remplir cette mission, avec le dessein de trahir. Il partit donc du bourg d'Alouros (49), où se concentrait alors l'armée des

Iduméens, et fut trouver Simon. D'abord, il s'engage à lui livrer sa patrie, moyennant la promesse, confirmée par serments, qu'il continuerait toujours à jouir d'honneurs ; il promit lui-même que son concours assurerait la sujétion de toute l'Idumée. Reçu par Simon avec bienveillance et exalté par de brillantes promesses, il commença, quand il fut retourné parmi les siens, par exagérer mensongèrement l'effectif de l'armée de Simon ; ensuite, accueillant auprès de lui les officiers et, par petits groupes, tous les soldats, il leur persuadait de recevoir Simon et de lui livrer sans combat le commandement. En même temps qu'il exécutait ces desseins, il faisait appeler Simon par des messagers et lui promettait de disperser les troupes des Iduméens, en quoi il tint parole. Car, comme l'armée ennemie approchait, il sauta le premier sur un cheval et s'enfuit avec ceux qu'il avait gagnés. L'effroi s'empare de toute la multitude ; avant d'engager le combat, tous se débandent et se retirent chacun dans ses foyers.

  1. Simon entra donc en Idumée sans avoir versé de sang, contre son attente ; il commença par attaquer à l'improviste la petite ville de Hébron, où il fit un butin

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

considérable et pilla d'abondantes récoltes. Suivant les récits des habitants du pays, Hébron n'est pas seulement la plus ancienne des villes de cette province, mais elle surpasse en antiquité la cité égyptienne de Memphis ; on lui attribue deux mille trois cents ans de date (50). On raconte aussi qu'elle fut le séjour

d'Abraham, l'ancêtre des Juifs, après sa migration de Mésopotamie ; c'est de là que ses fils partirent pour descendre en Égypte. On montre encore dans cette petite ville leurs tombeaux, d'un très beau marbre et d'un travail délicat (51), A six stades de Hébron on voit aussi

un térébinthe gigantesque (52), et l'on prétend que cet

arbre subsiste à cette place depuis la fondation de la ville. Simon partit de là pour parcourir toute l'Idumée ; non content de ravager les bourgades et les villes, il dévastait encore la campagne. Outre son infanterie régulière, quarante mille hommes le suivaient, en sorte que cette multitude ne trouvait pas de vivres en quantité suffisante. Ces besoins étaient aggravés par sa cruauté, sa fureur contre la nation, et cela explique comment l'Idumée fut dévastée de fond en comble. De même que toute une forêt peut être dépouillée par un passage de sauterelles, le pays que l'armée de Simon laissait derrière elle n'était plus qu'un désert. Les soldats brûlaient, détruisaient ; toutes les productions du sol étaient anéanties, soit foulées aux pieds, soit consommées comme nourriture. La marche de ces hommes rendait la terre cultivée plus dure que la lande stérile. En un mot, aucun vestige de ce qui avait été n'était épargné par les ravageurs.

8. Ces événements excitèrent l'ardeur des zélateurs, qui appréhendèrent, à la vérité, d'engager contre lui, Simon, une lutte ouverte, mais tendirent une embuscade dans les défilés et saisirent la femme de Simon avec un grand nombre de ses serviteurs. Joyeux comme s'ils avaient fait prisonnier Simon lui-même, ils retournèrent à la ville, espérant que celui-ci ne tarderait pas à déposer les armes et à les supplier de lui rendre sa femme. Mais, au lieu de la pitié, ce fut la rage que cet enlèvement lui inspira ; il s'approcha des murs de Jérusalem et, comme une bête blessée qui ne s'est pas vengée sur l'auteur de sa blessure, il tourna son ressentiment contre tous ceux

 

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qu'il rencontrait. Quiconque s'avançait hors des portes pour cueillir des légumes ou ramasser du bois mort, hommes désarmés ou vieillards, il les prenait, les torturait et les massacrait ; dans l'excès de sa fureur, peu s'en fallut qu'il ne goûtât à la chair de ses victimes. Il y en eut beaucoup dont il coupa les mains et qu'il renvoya ainsi, pour effrayer ses ennemis et pour soulever le peuple contre ceux qui étaient responsables de ses maux. Il ordonnait à ses victimes de dire que Simon jurait par Dieu, témoin de toutes choses, de pratiquer une brèche dans la muraille, si on ne lui rendait aussitôt sa femme ; il ferait subir un pareil traitement à tous les habitants de la ville, sans épargner aucun âge et sans distinguer entre les innocents et les coupables. Sous ces menaces, le peuple et même les zélateurs, frappés de terreur, lui renvoyèrent sa femme : alors seulement il s'adoucit un peu, et interrompit le cours de ses massacres.

9. Ce n'est pas seulement en Jusée que régnaient la sédition et la guerre civile, mais encore en Italie. Galba avait été massacré au milieu même du forum romain, et Othon désigné pour l'empire, était en guerre avec Vitellius, qui prétendait à la même dignité et qu'avaient élu les légions de Germanie. Dans le combat qu'il livra à Bédriaque en Gaule (53), contre Valens et Caecina,

généraux de Vitellius, Othon fut vainqueur le premier jour : mais le second jour, l'armée de Vitellius remporta la victoire ; après un affreux carnage, Othon se tua de sa propre main à Brixellum (54), où il apprit la défaite ; il

avait occupé le pouvoir pendant trois mois et deux jours. Son armée passa aux généraux de Vitellius, qui descendit lui-même vers Rome avec toutes ses forces. En ce temps-là, Vespasien quitta Césarée, le cinq du mois de Oaisios (55), et marcha contre les régions de la

Judée encore insoumises. Gagnant les collines, il occupa les deux toparchies de la Gophnitide (56) et de

l'Acrabétène (57), ensuite il prit les bourgades de Bethela et d'Ephraim (58) où il laissa des garnisons. Puis il

chevaucha avec sa cavalerie vers Jérusalem ; en route, il tua beaucoup de monde et fit un grand nombre de prisonniers, De son côté, Céréalis (59), un de ses

 

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généraux, avec une partie des cavaliers et des

fantassins, ravageait l'Idumée supérieure : il prit d'assaut et incendia Caphétra, qui prétendait mériter le nom de ville (60) ; arrivé devant une autre bourgade,

appelée Charabis (61), il en fit le siège. Mais les

murailles étaient fortes, et Céréalis s'attendait à y perdre du temps, lorsque les défenseurs ouvrirent soudain les portes et vinrent en suppliants se livrer à lui. Céréalis, après leur soumission, marcha vers Hébron, autre ville très ancienne, située comme je l'ai dit. dans la région montagneuse à une faible distance de Jérusalem. I1 y entre de vive force, met à mort toute la jeunesse et incendie la ville. Le pays entier était déjà soumis à l'exception d'Hérodion, de Masada et de Machaeron, dont les brigands s'étaient emparés : les Romains se proposèrent alors Jérusalem pour seul objectif.

10. Dès que Simon eut recouvré sa femme des mains des zélateurs, il se retourna encore contre les restes de l'Idumée : ses courses incessantes sur ce territoire obligèrent la foule des habitants à chercher refuge à Jérusalem. Il les suivit lui-même jusqu'à cette ville et, cernant de nouveau les remparts, se mit à tuer tous les travailleurs qui s'aventuraient dans la campagne et tombaient entre ses mains. Hors des murs, Simon était pour le peuple un plus terrible fléau que les Romains ; à l'intérieur, les zélateurs étaient plus cruels que les Romains et que Simon. Parmi ceux-ci, la troupe des Galiléens se distinguait par la faculté d'innover dans le crime et par l'audace : car c'étaient eux qui avaient élevé Jean au pouvoir ; et lui, pour les payer à son tour de l'autorité qu'il avait acquise, permettait à chacun d'agir à sa guise. Insatiables de pillage, ils perquisitionnaient dans les maisons des riches ; le meurtre des hommes, le viol des femmes étaient leurs jeux ; en même temps qu'ils s'abreuvaient de sang, ils dévoraient en débauches le produit de leurs vols. On les voyait outrager impunément la nature, et pour cela arranger leurs cheveux avec art, revêtir des vêtements féminins, s'inonder de parfums, se farder les yeux pour rehausser leur teint. Non seulement ils empruntaient la parure, mais ils imitaient même le sexe des femmes, imaginant, dans leur lubricité, toutes sortes de voluptés défendues :

 

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ils se vautraient dans la ville comme dans un lieu de prostitution et la souillaient tout entière de leurs impuretés. Sous l'aspect et l'accoutrement de femmes, ils avaient des mains meurtrières ; leur démarche était molle, mais, s'élançant tout à coup, ils se transformaient en combattants, et tirant leur glaive de des sous leurs fins manteaux de couleur, ils transperçaient celui qu'ils rencontraient. Ceux qui fuyaient Jean tombaient sur Simon, plus meurtrier encore, et si l'on échappait au tyran qui régnait à l'intérieur des murs, on était égorgé par celui qui commandait devant les portes. Mais il était impossible, vu que toute voie de sortie était coupée, de passer du côté des Romains.

11. Cependant l'armée conspirait contre Jean. Tous les Iduméens qui s'y trouvaient firent sécession et se soulevèrent contre le tyran, tant par jalousie de sa puissance que par haine de sa cruauté. Ils en vinrent aux mains, tuèrent beaucoup de zélateurs et repoussèrent le reste dans le palais qu'avait construit Grapté, parente d'Iza (62), roi des Adiabéniens. Les

Iduméens se ruent à l'assaut de cet édifice, en chassent les zélateurs qu'ils refoulent dans le Temple et se mettent à piller le trésor de Jean. Celui-ci habitait, en effet, ce palais et y avait déposé le butin de la tyrannie. Entre temps, la multitude des zélateurs, dispersée dans la ville, se réunit au Temple, auprès des fugitifs, et Jean se prépara à les lancer contre le peuple et les Iduméens. Ceux-ci, étant plus exercés à la guerre, craignaient moins une attaque de leurs adversaires qu’un accès de fureur : ils pouvaient se glisser la nuit hors du Temple et mettre le feu à la ville. Ils allèrent donc délibérer avec les grands-prêtres sur le moyen de s'opposer à pareille tentative. Mais Dieu tourna leurs décisions à leur propre ruine : le remède qu'ils imaginèrent pour leur salut fut pire que n'eût été leur perte. Pour renverser Jean, ils résolurent d'accueillir Simon et d'appeler parmi eux, à force de supplications, un second tyran. La décision fut suivie d'effet ; ils envoyèrent à Simon le grand-prêtre Mathias, et prièrent d'entrer dans leurs murs celui qu'ils avaient tant redouté. Leur requête était appuyée par les émigrés de Jérusalem qui, fuyant les zélateurs, cédaient cependant au regret d'abandonner leurs maisons et

 

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leurs biens. Simon accepta avec hauteur la tyrannie et fit son entrée dans la ville comme s'il devait la débarrasser des zélateurs, salué par le peuple du nom de sauveur et de protecteur. Une fois, qu'il y eut pénétré avec ses troupes, il ne songea qu'à exercer sa puissance et considéra comme ses ennemis tant ceux qui l'avaient appelé que ceux contre qui on l'appelait.

12. C’est ainsi que Simon devint maître de Jérusalem, la troisième année de la guerre, au mois de Xanthikos (63).

Jean et la foule des zélateurs se voyaient donc enfermés dans l'enceinte du Temple ; ils avaient d'ailleurs perdu tout ce qu'ils possédaient dans la cité, car les partisans de Simon pillèrent aussitôt leurs biens. Alors ils désespérèrent de leur salut. Simon, avec le concours du peuple, donna l'assaut au Temple, mais les zélateurs, placés sur les portiques et près des créneaux, repoussaient les attaques. Les soldats de Simon tombèrent en grand nombre, et l'on emporta beaucoup de blessés ; car les zélateurs, dans cette position forte et élevée, pouvaient tancer avec facilité des traits qui portaient. Ayant l'avantage du lieu, ils l'accrurent encore en construisant quatre très grandes tours pour lancer les projectiles de plus haut. Elles se dressaient, l'une à l'angle nord-est, la seconde au-dessus du Xyste (64), la

troisième dans un autre angle, vis-à-vis la ville basse ; la quatrième dominait le sommet des Pastophories (65), où,

suivant la coutume, se tient un des prêtres, pour annoncer le soir, au son de la trompette, le commencement du sabbat et, le lendemain soir, par le même moyen, la fin de la fête, appelant ainsi le peuple à l'arrêt ou à la reprise du travail. Sur ces tours ils placèrent, de distance en distance, des catapultes et des onagres, des archers et des frondeurs, Simon se montra dès lors plus timide dans ses attaques, car la plupart de ses hommes faiblissaient ; pourtant l'avantage du nombre lui permit de se maintenir, bien que les projectiles des machines, portant à une grande distance, tuassent un grand nombre de ses soldats.

X Vespasien, proclamé empereur, libère Josèphe

 

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1. Vitellius campe à Rome. - 2. Colère de Vespasien. - 3. Ses soldats l'incitent à la révolte. - 4. Ils le proclament empereur. 5-6. Vespasien s'assure de l'Egypte ; il est partout acclamé. - 7. Josèphe est remis en liberté.

  1. En ce même temps, d'affreux malheurs fondirent aussi sur Rome. Vitellius arrivait de Germanie, entraînant à la suite de son armée une multitude d'autres gens : comme les quartiers réservés aux soldats ne lui suffisaient pas, il transforma Rome entière en camp et remplit de soldats toutes les maisons. Ceux-ci, voyant pour la première fois la richesse des Romains. entourés qu'ils étaient partout d'argent et d'or, réprimaient à grand'peine leur soif de pillage, au prix de la vie de ceux qui s'y opposeraient. Tel était alors l'état des affaires en Italie.
  2. Cependant Vespasien, après avoir ravagé les environs de Jérusalem, était de retour à Césarée, quand il apprit les troubles de Rome et l'élévation de Vitellius à l'Empire. Quoiqu'il sût aussi bien obéir que commander, cette nouvelle l'indigna ; il refusait de reconnaître un maître dans celui que sa fureur poussait au souverain pouvoir comme si c'eût été une place vide : en proie à une vive douleur, il ne pouvait supporter cette épreuve, et quand sa patrie était ravagée, conduire d'autres guerres. Mais si son ressentiment l'excitait à la vengeance, la pensée de l'éloignement où il se trouvait l'en détournait : il estimait que les vicissitudes de la Fortune pouvaient le prévenir avant qu'il n'eût le temps de passer en Italie, surtout par une navigation d'hiver. Il retenait donc sa colère près d'éclater.
  3. Mais les chefs et les soldats se réunirent en conciliabules ; ils projetaient déjà ouvertement de tout changer ; ils s'écriaient avec indignation que les soldats de Rome [les prétoriens], amollis par les délices et ne tolérant pas même qu'on leur parlât de guerre, portaient à l’Empire des hommes de leur choix, guidés seulement par l'espoir du lucre. Ceux, au contraire, qui ont passé par tant d'épreuves et vieilli sous le harnais, cèdent le pouvoir à d'autres, alors qu'ils ont parmi eux un homme digne entre tous de commander. Quelle plus juste occasion trouveront-ils jamais de le payer de la bienveillance qu'il leur témoigne, s'ils négligent celle qui se présente ? Les titres de Vespasien à l'Empire sont

 

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aussi supérieurs à ceux de Vitellius que les leurs à ceux des soldats qui l'ont désigné. Les guerres qu'ils ont soutenues n'ont pas été plus faciles que celles de Germanie : ils ne sont pas moins bons soldats que ceux qui ont ramené de ces régions un tyran. Il n'y aura pas besoin de combattre, car le Sénat et le peuple romain ne supporteront pas les débauches de Vitellius, comparées à la modération de Vespasien : ils ne préféreront pas à un chef vertueux le plus cruel des tyrans, ni à un père un maître sans postérité. C'est en effet le principal gage d'une paix assurée que la légitime hérédité des princes. Si donc le pouvoir convient à l'expérience de la vieillesse, ils ont Vespasien : s'il est le privilège de la vigueur de la jeunesse, ils ont Titus : les avantages de ces deux âges leur seront offerts ensemble. Pour eux, ils ne fourniront pas seulement à ces princes, une fois désignés, les forces de trois légions et les auxiliaires royaux. "Nous leur assurons, disaient-ils, tout l'Orient et toutes les contrées de l'Europe qui échappent par l'éloignement à la terreur de Vitellius, mais aussi les alliés d'Italie, le frère et le second fils de Vespasien ; l'un s'adjoindra une grande partie des jeunes gens de qualité : l'autre, s'est déjà vu confier la garde de la cité, chose très importante pour faciliter l'accès du pouvoir (66). En résumé, s'ils tardent

eux-mêmes, c'est le Sénat qui désignera bientôt le chef que ses soldats, ses compagnons de labeur, auront paru dédaigner".

4. Tels étaient les propos que les soldats répandaient dans leurs réunions. Puis, se rassemblant en masse et s'encourageant les uns les autres, ils saluent Vespasien du nom d'empereur ; ils l'invitent à sauver l'Empire en danger. Le général se préoccupait depuis longtemps des plus grands intérêts de l'État, mais il n'avait nullement le dessein de commander lui-même : il s'en jugeait digne par ses actions, mais il préférait aux périls de la gloire la sécurité d'une condition privée. En présence de ses refus, les officiers redoublaient d'instances, et les soldats, tirant leurs épées, menaçaient de le tuer s'il ne voulait vivre comme il le méritait. Après leur avoir donc longtemps opposé les raisons pour lesquelles il refusait l'empire, Vespasien vit enfin qu'il ne pouvait les convaincre et céda à ceux qui l'appelaient au pouvoir.

 

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5. Mucianus et les autres généraux exhortèrent Vespasien à se comporter en empereur ; et le reste de l'armée demanda à combattre ses ennemis. Pour lui, il s'occupa d'abord d'Alexandrie, connaissant l'extrême importance de l'Égypte dans l'Empire à cause de ses ressources en blé (67) : il espérait, en s'en rendant

maître, dût-il même user de violence, ruiner Vitellius, car le peuple de Rome ne supporterait pas la famine : il voulait de plus s'adjoindre les deux légions qui tenaient garnison à Alexandrie et faire de cette région un boulevard contre les surprises de la Fortune. L'Egypte est, en effet, difficile à attaquer du côté de la terre et manque de ports sur son littoral. Les déserts arides de la Libye la défendent au couchant ; au midi, c'est Syène, qui la sépare de l'Éthiopie, et les cataractes de son fleuve, inaccessibles à la navigation : vers l'orient, la mer Rouge, qui remonte jusqu'à Coptos. Elle a pour rempart au nord cette portion de territoire qui s'étend jusqu'à la Syrie et la mer dite d'Égypte, complètement dépourvue de mouillages. Ainsi l'Égypte est défendue de toutes parts. Entre Péluse et Syène, sa longueur est de deux mille stades ; le trajet par mer de Plinthina (68) à Péluse

est de trois mille six cents stades. Le Nil est navigable jusqu'à la ville dite des Éléphants (69), au delà de

laquelle le passage est intercepté par les cataractes dont nous avons parlé. Quant au port d'Alexandrie, il est d'un accès difficile même en temps de paix, car l'entrée en est étroite et des roches sous-marines forcent les navires à se détourner de la ligne droite. Sur la gauche, le port est fortifié par ries murs construits avec art : à droite, émerge l'île de Pharos, dont la haute tour éclaire les navigateurs sur une étendue de trois cents stades, pour les avertir de mouiller à distance pendant la nuit, à cause des difficultés de la navigation. Cette île est entourée de puissants remparts, élevés par la main des hommes : la mer qui bat ces murailles et se brise contre les obstacles qui lui sont opposés, à un fort remous dans le passage étroit et le rend périlleux. Cependant le port intérieur offre une parfaite sécurité : il a trente stades de long. C'est là qu'on transporte les denrées étrangères que le pays ne produit pas et dont il a besoin : c'est de là aussi que le surplus des produits indigènes est distribué

 

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dans tout l'univers.

  1. Ce n'est donc pas sans raison que Vespasien, en vue de l'intérêt de tout l'Empire, désirait être le maître dans ce pays. Il écrivit aussitôt à Tibère Alexandre (70),

gouverneur de l'Égypte et d'Alexandrie, pour lui faire part du zèle de son armée et lui déclarer que, contraint à assumer le poids de l'Empire, il le prendrait volontiers pour collaborateur et pour auxiliaire. Après avoir lu cette lettre en public, Alexandre s'empressa de faire prêter serment à Vespasien par les légions et par le peuple : les uns et les autres obéirent avec joie, car la campagne dirigée par Vespasien dans le voisinage leur avait révélé sa valeur. Alexandre, déjà dépositaire des desseins de Vespasien sur l'Empire, préparait tout pour son arrivée. Plus rapide que la pensée, la renommée répandit le nom de cet empereur en Orient. Toutes les villes fêtaient la bonne nouvelle et célébraient des sacrifices en son honneur. Les légions de Moésie et de Pannonie qui, peu de temps auparavant, s'étaient soulevées contre l'insolence de Vitellius, jurèrent, avec une joie plus vive encore, fidélité à l'empire de Vespasien. Celui-ci partit de Césarée et se rendit à Berytus (71), où se présentèrent à

lui de nombreuses ambassades, venues de Syrie et des autres provinces : elles lui apportaient des couronnes et des adresses de félicitations envoyées par les diverses cités. Mucianus, le commandant de la province, était là aussi ; il lui annonça l'empressement des peuples et les serments prononcés par les villes en sa faveur.

  1. Comme la Fortune favorisait partout les vœux de Vespasien et que les circonstances, en général, le secondaient, il en vint à penser que ce n'était pas sans un dessein providentiel qu'il arrivait à l'empire et qu'un juste décret faisait passer entre ses mains le souverain pouvoir : il se rappelle alors, parmi les présages nombreux qui, partout lui avaient annoncé son élévation à l'autorité suprême (72), les paroles de Josèphe (73),

qui, du vivant même de Néron, avait eu la hardiesse de le saluer au nom d'empereur (74). Il s'étonna que cet

homme fût encore un de ses prisonniers. Appelant alors Mucianus avec ses autres généraux et amis, il leur raconta d'abord l'énergique conduite de Josèphe et les épreuves qu'ils avaient, à cause de lui, endurées devant

 

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Jotapata ; puis les prédictions de ce Juif, qu'il avait prises d'abord pour des fictions dictées par la crainte, mais dont le temps et les événements confirmaient l'origine divine. "C'est donc une honte, dit-il, que celui qui m'a prédit l'Empire, que l'interprète de la voix divine subisse encore la condition d'un prisonnier, le sort d'un captif". Là dessus, faisant appeler Josèphe, il ordonna de le mettre en liberté (75). Les officiers, d'après les égards

que Vespasien témoignait à cet étranger, conçurent pour eux-mêmes de brillantes espérances. Alors Titus, placé auprès de son père : "Il est juste, dit-il, ô mon père, que la disgrâce de Josèphe tombe avec ses chaînes ; car il sera semblable à un homme qui n'a jamais été enchaîné si nous brisons ses liens au lieu seulement de les desserrer". C'est, en effet, le procédé dont on use à l'égard de ceux qui ont été injustement mis aux fers. Vespasien fut de cet avis ; un homme se présenta et brisa les anneaux d'un coup de hache. Josèphe, qui reçut ainsi, en récompense de sa prédiction, la pleine jouissance de ses droits, passa désormais pour un sûr garant des choses à venir.

XI Défaite et mort de Vitellius; Vespasien à Alexandrie

1 - 2. L'armée de Moesie marche contre Vitellius. - 3. Caecina passe à Antonius, qui défait Vitellius. - 4. On se bat au Capitole ; mort de Vitellius. - 5. Vespasien à Alexandrie, d'où il regagne Césarée.

1. Vespasien, après avoir donné audience aux députations et distribué les commandements avec équité et suivant le mérite de chacun, partit pour Antioche ; là, il délibéra sur la direction à prendre, et estima que la marche sur Rome était plus importante que la marche sur Alexandrie, car il voyait que cette dernière ville était assurée, alors que Vitellius excitait un trouble général dans l'autre. Il envoya donc Mucianus en Italie, avec une force considérable de cavalerie et d'infanterie. Mais il craignit de s'embarquer dans le fort de l'hiver, et conduisit son armée par la voie de terre à travers la Cappadoce et !a Phrygie.

 

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  1. Cependant Antonius Primus, ayant pris avec lui la troisième légion, parmi celles qui occupaient la Moesie dont il était gouverneur, hâtait sa marche pour livrer bataille à Vitellius.

Ce dernier envoya au-devant de lui Caecina Alienus avec une forte armée, car la victoire de ce général sur Othon inspirait à Vitellius une grande confiance. Coecina partit donc rapidement de Rome et rencontra Antonius dans le voisinage de Crémone, ville de Gaule située sur les confins de l'Italie. Mais là, quand il vit le grand nombre et la discipline des ennemis, il n'osa pas engager le combat, et, jugeant la retraite difficile, prépara sa défection. Il réunit donc les centurions et les tribuns placés sous ses ordres et les engagea à passer à Antonius, rabaissant la puissance de Vitellius et exaltant celle de Vespasien, disant que l'un avait seulement le titre du pouvoir suprême, tandis que l'autre en avait la réalité. "Mieux vaut pour vous, disait-il, prendre les devants, tourner en bonne grâce ce qui deviendra une nécessité ; sûrs d'être vaincus les armes à la main, devancez le péril par vos décisions. Car Vespasien est capable, même sans vous, d'obtenir tout le reste, tandis que Vitellius, même avec vous, ne peut garder ce qu'il possède."

  1. Par beaucoup de propos de ce genre, il réussit à les persuader et passa avec son armée du côté d'Antonius. Mais dans la même nuit, les soldats de Caecina furent pris de regret ; ils craignirent celui qui les avait envoyés là, s'il venait à vaincre. Tirant leurs épées, ils s'élancèrent contre Caecina pour le tuer, et ils auraient accompli ce forfait si les tribuns n'étaient intervenus pour les en dissuader par leurs prières. Ils renoncèrent donc au meurtre, mais enchaînèrent le traître, et se disposaient à l'envoyer à Vitellius. Dès qu'il fut informé de ces choses, Primus alerta aussitôt ses soldats et les conduisit en armes contre les mutins. Ceux-ci, se mettant en ligne, résistèrent quelque temps, puis ils furent repoussés et s'enfuirent vers Crémone. Primus, avec sa cavalerie, les empêcha d'entrer et, coupant la route aux fuyards, cerna un grand nombre d'entre eux devant la ville et les massacra ; ensuite il tomba sur le reste et permit à ses soldats de piller. Il y périt beaucoup

 

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de marchands étrangers ou indigènes, et toute l'armée de Vitellius, forte de trente mille deux cents hommes ; Antonius, de son côté, perdit quatre mille cinq cents de ses légionnaires de Moesie. Caecina, mis en liberté, fut envoyé auprès de Vespasien pour lui faire le récit de ce qui s'était passé. Il fut, dès son arrivée, bien accueilli par le général, et les honneurs inespérés qu'il reçut effacèrent la honte de sa trahison.

4. A Rome, Sabinus reprenait déjà courage, à la nouvelle qu'Antonius approchait ; il rassembla les cohortes des « vigiles » (76) et, pendant la nuit, s'empara du Capitole.

Au lever du jour, il se vit rejoint par un grand nombre de citoyens distingués, entre autres Domitien, fils de son frère, sur qui reposait principalement l'espérance de la victoire. Quant à Vitellius, il n'était pas trop inquiet au sujet de Primus ; mais les conjurés qui avaient suivi Sabinus excitèrent sa fureur ; cédant à sa cruauté naturelle, ayant soif d'un sang noble, il lança contre le Capitole celles de ses troupes qu'il avait ramenées avec lui. Les assaillants et ceux qui combattaient du haut du temple tirent preuve d'un grand courage, mais enfin, supérieurs en nombre, les soldats germains s'emparèrent du sommet. Domitien et beaucoup de Romains de qualité échappèrent comme par miracle ; mais tout le reste fut massacré. Conduit devant Vitellius, Sabinus fut mis à mort, et les soldats, après avoir pillé les offrandes sacrées, incendièrent le temple (77). Le

lendemain, Antonius arrivait avec son armée ; les soldats de Vitellius, marchant à sa rencontre, combattirent en trois quartiers de la ville et périrent tous. Mais Vitellins sortit du palais, ivre à la fin d'un banquet plus luxurieux que jamais.

Traîné à travers la foule, accablé de toute espèce d'outrages, il fut égorgé au coeur même de Rome, après avoir régné huit mois et cinq jours (78). S'il eût vécu plus

longtemps, je crois que l'Empire tout entier n'eût pu suffire à ses orgies. On compta cinquante mille autres morts. Ces événements s'accomplirent le troisième jour du mois d'Apellaios (79). Le lendemain, Mucianus lit son

entrée avec son armée. Il arrêta le massacre auquel se

 

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livraient les soldats d'Antonius ; car ceux-ci fouillaient encore les maisons et tuaient en foule, non seulement les soldats de Vitellius, mais ses partisans, trop furieux, d'ailleurs, pour distinguer exactement entre leurs victimes. Mucianus amena donc Domitien et le présenta à la multitude comme son chef en attendant l'arrivée de son père. Le peuple, enfin délivré de la terreur, salua Vespasien du nom d'empereur et fêta tout ensemble l'établissement de son autorité et la ruine de Vitellius.

5. Vespasien était arrivé à Alexandrie quand y parvinrent les bonnes nouvelles de Rome et de joyeuses ambassades du monde entier, qui dès lors lui appartenait. Cette ville, la plus grande de toutes après Rome, fut trop étroite alors pour la foule qui l'encombrait. Maintenant que tout l'Empire était soumis à Vespasien et l'État romain sauvé contre toute espérance, l'empereur tourna ses vues contre les reste de la Judée (80). Lui-même, il est vrai, avait hâte, voyant

l'hiver à son terme, de naviguer vers Rome ; il régla donc rapidement les affaires d'Alexandrie, et envoya son fils Titus, avec l'élite de l'armée, s'emparer de Jérusalem. Ce prince s'avança par terre jusqu'à Nicopolis, qu'un trajet de vingt stades sépare d'Alexandrie (81); de là, ayant fait

embarquer son armée sur des navires de guerre, il remonta le Nil à travers le nome de Mendès jusqu'à la ville de Thmouis (82). Là il débarque et marche vers la

bourgade de Tanis (83) où il campe. Sa seconde étape fut Héracléopolis, sa troisième Péluse (84). Il y passa deux

jours ; puis, reprenant sa marche avec l'armée, il franchit dans la troisième journée les bouches de Péluse, fait une étape dans le désert et campe près du temple de Zeus Casios (85) : le lendemain il était à Ostrakiné (86).

Cette station manque d'eau : les habitants la font venir du dehors. Il se repose ensuite à Rhinococura (87), et

pousse jusqu'à Raphia (88), terme de la quatrième étape

; c'est la première ville du territoire de Syrie. A la fin de la cinquième marche, il établit son camp à Gaza, passa alors par Ascalon et Jamnia, atteignit ensuite Joppé et Césarée, où il avait décidé de concentrer le reste de ses forces (89).

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

  1. Deutéronome. XXI, 22 : "Quand un homme, convaincu d'un crime qui mérite la mort, aura été exécuté, tu ne laisseras pas séjourner son cadavre sur le gibet, mais tu auras soin de l'enterrer le même jour ; car un pendu est chose abominable pour Dieu." Thackeray traduit à tort par sentenced to crucifixion, le supplice de la croix étant inconnu du droit pénal juif.
  2. Borouch en hébreu.
  3. On a cru, probablement à tort, voir une allusion à ce meurtre dans Math. XXIIII. 35. cf. Loisy, Evangiles synoptiques, II. p. 386.
  4. Voir plus haut. IV, 159 ; il n'est pas sûr que ce Gorion soit identique à Gorion ben Joseph.
  5. Il est plusieurs fois question de lui dans le Bellum II, 520 et 566 ; III, 11-28).
  6. Le texte porte oék Žpist®santew qui n'a pas de sens : la négation est de trop.
  7. On ne sait au juste à quelle prophétie le texte fait allusion. Thackeray rappelle un passage des Oracles sibyllins, IV, 117. D’autres ont pensé à Daniel 9 ou à Zacharie 14.
  8. Texte et sens également incertains.
  9. Sebbeh, sur la rive ouest de la Mer Morte (Schürer, I, p. 639).
  10. Aïn Djidi (Schürer, II, p. 233).
  11. Thackeray comprend autrement cette phrase: "Les malheureuses victimes de leurs attaques souffraient les misères de prisonniers de guerre, mais sans possibilité de revanche, parce que leurs ennemis, à la façon de brigands. décampaient à l'instant avec leur butin.".
  12. Gadora es-Salt? Sur la Gadara de la Décapole (Mukes), qui paraît différer d'une vile homonyme de la Pérée, voir Schürer, II, p, 122.
  13. 21 mars 68.
  14. Beth Nimrah, aussi dit Tell Nimrin.
  15. Abel-Schittim (?) ; Beth-Haram, Beth Yesimoth (Sueimeh). On trouve aussi les formes Bethasimouth. Bèth Hayeshimôth (Josué. XII. 31).
  16. Mkawe, à l'est de la Mer Morte (Schürer. I-. p. 638 ).
  17. Kalat Ras el'Ain, au Nord-est de Jaffa.
  18. Ainsi nommée d'une bourgade voisine de Lydda.
  19. Plus tard Diospolis, dans la plaine de Sharon. auj. Lydd.
  20. Yebna, entre Diospolis et Azot.
  21. Aussi dite Ammaus, Emmaus, auj. Amwas.
  22. Peut-être Beit-Nettif, au sud d'Emmaus (Schürer, Il, p. 233). La forme du nom est incertaine ; cf. Pline, N. H. V, 14, 70.
  23. On n'en connaît pas l'emplacement.
  24. Flavia Neapolis, auj. Nablus, sur le site de Mabartha (PIine, N. H., V, 1 3. 69).
  25. Tell et Mazar.
  26. 20 juin 68.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

  1. Le père de l'empereur Trajan.
  2. Beisan. Le nom parait dû aux Scythes dont l'invasion est rapportée par Hérodote. I 105.
  3. Et-Tell ; voir plus haut, II. 168.
  4. Khirbat al Samra ?
  5. On ne l'a pas encore retrouvée.
  6. Vallée du Jourdain.
  7. Aussi dit Sennabris plus haut, III, 447 et la note l.
  8. Source dite du Sultan. à 2 kil. au nord de la route de Jérusalem.
  9. Voir II Rois, II, 21.
  10. Evidente ineptie : cf. Tacite. Hist., V, 6.
  11. Pour ce qui suit, Josëphe et Tacite (Hist.. V. 6 sq.) paraissent

suivre une source commune, peut-être Posidonios, connu de Tacite à travers Pline ; cf. Strabon, p. 763 Voir surtout Fabia, Sources de Tacite, p. 255.

  1. El Keryeh ?
  2. Djebel Usdum ?
  3. Haditheh ? Voir Schürer, I1, p. 238.
  4. Jerash. Voir plus haut, III, 47.
  5. Exactement 13 ans, 7 mois et 28 jours.
  6. Il est question de ce personnage plus haut, II, 521 et 652.
  7. Toparchie d'Akrabatla, à 13 kil. au sud-est de Nablus.

Schürer, II4, p. 228).

  1. On ne sait où il était.
  2. Khurbet Farah ?
  3. Patrie d'Amos, à 6 milles romains au sud de Bethléhem, auj

Tekua.

  1. El Fureidis, où fut enseveli Hérode.
  2. Hulhul, au nord d'Hébron.
  3. Nombres, XIII, 22 : "Hébron a été bâtie sept ans avant Tanis d'Egypte."
  4. Au-dessous, dit-on, de la mosquée actuelle.
  5. Genèse, XIII, 18 ; XIV, 13.
  6. Bebriac ou Bedriac, entre Vérone et Crémone.
  7. Brescello près de Parme.
  8. 23 juin 68.
  9. Gophna, auj. Juphna, sur la route de Jérusalem à Nablous.
  10. Voir plus haut, IV, 504.
  11. Beitin et El Tayibeh,
  12. Sur ce personnage, voir plus haut, III, 310.
  13. On ne sait où était Caphétra.
  14. Ou Capharabis. également inconnue.
  15. Iza ou Izabès : voir Antiq. 17 et suiv. On ne sait rien de Grapté.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

  1. Avril-mai 69.
  2. Voir plus haut, II, 344.
  3. On appelait ainsi tes chambrettes réservées aux prêtres ou

servant de magasins. Elles étaient placées sous les toits.

  1. Il s'agit de Flavius Sabinus, praefectus urbis et de Domitien.
  2. Voir plus haut. II, 386 et la note.
  3. On ignore l'emplacement exact de cette localité côtière à l'ouest d'Alexandrie.
  4. Eléphantine, île vis-à-vis d'Assouan (Syène).
  5. Procurateur de Judée sous Claude (plus haut, II, 220). Voir,

sur ce personnage, Schürer, 14, p. 624.

  1. Beyrouth.
  2. D'autres présages sont rapportés par Tacite (Hist., II, 78) et

par Suétone, qui nomme Josèphe (Vespas., 5) W. Weber, Iosephus und Vespasian, Berlin. 1921, a traité en grand détail de ces omina imperii.

(73 )ƒIvs¯pou fvn‹w expression évidemment traduite du latin "voces".

  1. Voir plus haut. III, 401.
  2. A partir de ce moment, Josèphe appartient, peut-être comme interprète, à la maison militaire du prince. On a supposé qu’il était protégé par Bérénice, la maîtresse juive de Titus. Weber. Op. laud. p. 57, 101.
  3. Police nocturne et corps de pompiers.
  4. Comparez le récit de Tacite, Histoires, III, 69 et suiv.
  5. Du 17 avril au 20 décembre 69.
  6. Voir la note précédente.
  7. ƒEp' tŒ leÛcana t°w ƒIoudaÛow tòn logismòn ¤p¡strefe expression qui

correspond à Tacite (Hist., IV, 51) : ad reliqua Judaici belli perpetranda. Il faut admettre une source latine commune (Weber, op. laud., p. 185-7).

  1. Situation incertaine sur le canal qui joignait Canope à Alexandrie, à environ 3 milles et demi de cette ville (R. H.).
  2. Tell Ibn es-Salam, au sud-ouest de Mendès.
  3. Zoan dans l'Anc. Test., auj. San, sur la branche tanitique du Nil.
  4. Bord ouest du lac Menzaleh ; Tineh près de Damiette.
  5. El Kas ou El Katieh, au sud du lac Sirbonis.
  6. On ne sait où c'est.
  7. Aussi écrit Rhinocolura, auj. El Arish.
  8. Refah, la première ville syrienne sur ce parcours.
  9. Comparez, pour le voyage de Titus, Tacite. Hist., II, 1-4. Les données de Josèphe sont trop détaillées et trop précises pour n'avoir pas été empruntées à un document officiel. probablement aux Commentant principis ou à un ouvrage latin qui les avait mis en oeuvre. Voir Weber op. laud., p. 188, 191.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Guerre des Juifs, livre IV (traduction)

 

Flavius Josèphe : Avant propos aux antiquités judaïques

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JOSEPHE

LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE XI - LIVRE XII - LIVRE XIII - LIVRE XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

Avant-propos aux

Antiquités Judaïques

Si l'on mesure la valeur d'un historien au nombre et à l'importance des informations dont on lui est redevable, il est peu d'historiens qui puissent être comparés à Flavius Josèphe. Son ouvrage le plus considérable - les Antiquités judaïques - n'est, dans la première moitié, qu'un abrégé de la Bible à l'usage des lecteurs païens, abrégé rendu fade à notre goût par l'abus d'une rhétorique banale, le manque de naïveté, sinon de foi, l'absence de sentiment poétique; mais on y remarque avec intérêt les tendances rationalistes d’une exégèse qui s'oppose curieusement à l'exégèse allégorique, presque contemporaine, de Philon ; de plus, l'insertion discrète de traits légendaires, étrangers à l'Ecriture et emprun­tés à la tradition orale, nous montre comme le début d'un genre littéraire qui devait prendre un si riche développe­ment dans la partie haggadique du Talmud et dans le Mi­drasch. Les dix derniers livres de cet ouvrage constituent, surtout à partir de l'époque des rois hasmonéens, un docu­ment historique de premier ordre. A défaut de sources juives, qui manquaient pour cette période, Josèphe a soigneusement dépouillé tous les historiens grecs et romains qui pouvaient lui fournir, même en passant, des données sur les faits et gestes du peuple juif; comme ces historiens sont perdus, son ouvrage comble ainsi une lacune qui serait autrement irréparable. Dans l'histoire d'Hérode, où Josèphe suit de très près les mémoires de Nicolas de Damas, secré­taire de ce roi, dans celle des soixante-dix années sui­vantes, sur lesquelles il a pu recueillir des renseignements de la bouche des contemporains, les Antiquités acquièrent presque la valeur d'un document original. Elles intéressent au plus degré non seulement l'histoire juive, mais l’histoire romaine et celle du christianisme naissant, quoique Josèphe y fasse à peine une allusion fugitive ; sans lui, comme on l'a dit, le milieu historique où le christianisme a pris nais­sance - ce qu'on

 

Flavius Josèphe : Avant propos aux antiquités judaïques

appelle en Allemagne la Zeitgeschichte de Jésus - serait impossible à reconstituer.

Son second grand ouvrage, le premier par ordre de date, est la Guerre Judaïque, l'histoire de la formidable insurrection de 66 à 70 après J.-C. où succomba définitivement l'indé­pendance de sa patrie. Il y raconte presque jour par jour les événements auxquels il fut mêlé lui-même, tantôt comme acteur, tantôt comme spectateur. Si l'on peut quelquefois suspecter son impartialité, s'il exagère volontiers les chiffres, si, par une prudence naturelle mais excessive, il a systématiquement rabaissé les « patriotes » qui l'avaient compromis et exalté ses bienfaiteurs, Vespasien et Titus, on ne peut mettre en doute ni la compétence du narrateur, ni la véra­cité générale de la narration. Or, ce récit, qui se recom­mande aux spécialistes par l'abondance et la précision des détails relatifs aux opérations militaires[1], est en même temps le tableau, émouvant par sa froideur

même, d'une des plus tragiques catastrophes nationales que l'histoire ait enregistrées. Ce journal de l'agonie d'un peuple, c'est quelque chose comme le second livre de l'Enéide, sorti, non de l'imagi­nation d'un poète, mais des souvenirs d'un témoin bien informé. Plus d'un qui a relu ces pages pendant l'Année ter­rible, au milieu des angoisses du siège de Paris et de la Commune de 1871, y a retrouvé comme une image anticipée des hommes et des choses d'alors, avec cette atmosphère de « fièvre obsidionale » qui engendra tant d'héroïques dévoue­ments et d'aberrations criminelles.

L'Autobiographie forme comme un complément de la Guerre Judaïque. Ce sont les mémoires piquants d'un gé­néral d'insurrection malgré lui, auquel peut s'appliquer le mot éternellement vrai de la comédie : « Je suis leur chef, il faut que je les suive ». Seulement Josèphe ne les a pas suivis jusqu'au bout.

Le quatrième et dernier ouvrage de Josèphe, la Défense du judaïsme connue sous le titre impropre de Contre Apion, il n'est pas le moins précieux. L'auteur, arrivé à la pleine maturité de son talent, s'y révèle polémiste ingénieux, apo­logiste souvent éloquent. Il nous initie aux procédés de dis­cussion des judéophobes d'il y a dix-huit siècles, si sem­blables à ceux des antisémites d'aujourd'hui. Enfin, dans son zèle de prouver l'antiquité du peuple juif par le témoi­gnage des auteurs païens eux-mêmes, il reproduit de longs extraits, infiniment curieux, des historiens grecs qui avaient encore eu à leur disposition les annales sacerdotales de l'Égypte, de la Chaldée et de Tyr. Josèphe a ainsi préservé de la destruction quelques pages de l'histoire de ces

 

Flavius Josèphe : Avant propos aux antiquités judaïques

vieilles monarchies, engloutie dans le naufrage de la littérature alexandrine ; c'est un service qui lui mérite la reconnaissance durable des orientalistes, comme par ses autres ouvrages il s'est acquis celle des historiens de la Judée, de Rome et du christianisme.

L'auteur de ces quatre livres ne fut, malgré ses prétentions, ni un grand écrivain ni un grand caractère ; mais il reste un des spécimens les plus curieux de la civilisation judéo grecque, dont le type accompli est Philon ; il offre aussi un merveilleux exemple de la souplesse du génie israélite et de ses puissantes facultés d'assimilation. Son oeuvre, qui ne parait pas avoir atteint auprès des païens son but apologétique, méritait de survivre. Négligée par les Juifs, qui ne s'intéressaient pas à l'histoire et voyaient dans l'auteur un demi renégat, c'est à l'Église chrétienne qu'elle doit d'être parvenue jusqu'à nous. Les Pères de l'Église citent fréquem­ment Josèphe et l'interpolent quelquefois ; les clercs du moyen âge le lisaient, sinon dans le texte original, du moins dans la traduction latine exécutée par ordre de Cassiodore et dans un abrégé grec des Antiquités qui paraît dater du Xe siècle. L'annaliste du peuple élu, le « Tite Live grec », comme l'appelait saint Jérôme, était si bien l'historien par excellence que sa renommée finit par retentir jusque chez ses anciens coreligionnaires : au Xe siècle une chronique légendaire de l'histoire israélite jusqu'à Titus se recommande de son nom : c'est le Josippon, rédigé en hébreu par un juif d'Italie. Avec la Renaissance on revint au texte inté­gral et de nombreuses traductions le popularisèrent dans toutes les langues modernes.

Il fut nu temps où toute famille un peu lettrée possédait sur les rayons de son armoire à livres, à côté d'une Bible, un gros Josèphe in-folio, agrémenté de nombreuses vignettes où se déroulait toute l'histoire du peuple saint depuis l'expulsion d'Adam et d'Ève jusqu'à l'incendie du Temple par les soldats de Titus. De nos jours, sauf les savants, on lit beaucoup moins Josèphe ; la substance de ses écrits a passé dans des ouvrages modernes facilement accessibles, la source est négligée et c'est un tort. Il serait trop long de rechercher toutes les causes de ce discrédit, mais l'une des plus importantes en notre pays c'est assurément l'absence d'une traduction française satisfaisante. Sans parler des in­formes tentatives du XVe et du XVIe siècles[2], il existe

dans notre langue deux versions complètes de Josèphe. L'une, celle d'Arnauld d'Andigny (1667-9), a dû au nom de son au­teur et à un certain charme janséniste de style la faveur de nombreuses réimpressions[3] ; ce n'est pourtant qu'une « belle infidèle »,

 

Zone de Texte: philologue Boeckh, qui convient à tant de commentaires de ce genre :Flavius Josèphe : Avant propos aux antiquités judaïques

beaucoup plus infidèle que belle. L'autre, celle du Père Louis-Joachim Gillet (1756-7), est un peu plus exacte, mais beaucoup moins lisible. Il nous a semblé que le moment était venu d'offrir au public français une traduction nouvelle, qui fût vraiment l'équivalent du texte original. L'entreprise vient à son heure, au moment où ce texte, fort défiguré par les copistes, a été sensiblement amé­lioré par le grand travail critique de Niese (Berlin, 1887 suiv.). C'est son édition qui, naturellement, a servi de base à notre traduction ; ce sont ses paragraphes, à numérotage continu, si commode pour les citations, qui figurent dans nos manchettes. Toutefois nous ne nous sommes pas as­treint à une reproduction servile du texte de Niese ; lui­-même, par l'abondant apparat critique placé au bas de ses pages, nous a souvent fourni les éléments d'une leçon préférable à celle qu'il a insérée dans le texte ; d'autres fois nous avons suivi l'édition plus récente de Naber (Leipzig, 1888 suiv.), qui offre un choix judicieux de variantes ; dans des cas très rares nous avons eu recours à des conjectures personnelles.

Une traduction complète de Josèphe est une oeuvre dif­ficile et de longue haleine. L'auteur, qui apprit le grec tard et assez imparfaitement, écrit d'un style pénible ; sa phrase, longue et lourde, chargée d'incises, de redites, d'ornements vulgaires, souvent peu claire et mal construite, n'est pas toujours aisée à comprendre et est toujours malaisée à rendre. Que de fois un traducteur consciencieux doit sacrifier l'é­légance à la fidélité ! Nous nous sommes efforcé du moins de n'y jamais sacrifier la clarté. La tâche, décourageante pour un seul, a été partagée entre plusieurs jeunes savants qui nous ont apporté le concours de leur talent et de leurs connaissances spéciales. Chacun d'eux est responsable du volume qu'il a signé et des notes qu'il y a jointes ; toutefois celui qui écrit ces lignes s'est réservé la direction et la ré­vision générale du travail, et a marqué de ses initiales quel­ques notes dont il accepte la responsabilité exclusive. Les notes, - celles des traducteurs aussi bien que du réviseur, - ont été rédigées avec sobriété ; elles ont pour but de lever ou de signaler certaines difficultés d'interprétation, de rapprocher des passages parallèles, mais surtout d'indiquer, chemin faisant, dans la mesure du possible, les sources pre­mières de l'information de Josèphe. C'est la première fois que l'historien juif reçoit ces éclaircissements indispensables ; car les commentaires de l'édition d'Havercamp sont en général plus prolixes qu'instructifs ; on peut leur appliquer ce mot du

 

Zone de Texte: [3] Au nombre desquelles il faut compter la réimpression de Buchon (Panthéon littéraire, 1836) et la belle édition illustrée, avec notesFlavius Josèphe : Avant propos aux antiquités judaïques

sie übergehen nicht viel, nur das schwierige, « ils n'omettent pas grand'chose, seulement ce qui est difficile ».

Notre traduction est calculée pour une étendue de sept volumes, correspondant à peu près à celle de l'édition de Niese. Les Antiquités en réclameront quatre, la Guerre judaïque (à laquelle nous

rattachons, pour des raisons de fond, l'Autobiographie), deux ; le septième sera consacré au Contre Apion, aux débris des historiens judéo grecs antérieurs à Josèphe, à un index général et peut-être à une étude d'ensemble sur l'oeuvre et la vie de Josèphe. La tâche, attaquée de plusieurs côtés à la fois, est déjà très avancée. Si quelques tâtonnements inévitables ont retardé l'apparition du premier volume, les autres se succéderont à des intervalles rapprochés, sans que nous croyions devoir nous astreindre à un ordre rigoureux. Puisse la faveur du public répondre à notre effort et le récompenser ! Puisse Josèphe redevenir, sinon un livre de chevet, du moins un ouvrage de fond, ayant sa place marquée dans toutes les bibliothèques sérieuses!

Saint-Germain, 10 septembre 1900.

Théodore REINACH.

  1. Un extrait de la Guerre, sous le titre de Siége de Jérusalem, figure dans la Bibliothèque de l'armée française (Paris, Hachette, 1872).

[2] Traduction complète, par Antoine de La Faye (Paris, 1597).

Traductions des Antiquités par Guillaume Michel (1539), François Bourgoing (Lyon, 1562), Jean Le Frère de Laval (1569), Gilbert Genebrard (1578, souvent réimprimée) ; de la Guerre par des anonymes (Paris, Vérard, 1492, et Leber, 1530), par Herberay des Essars (1553).

 

Flavius Josèphe : Avant propos aux antiquités judaïques

variorum, par Quatre­mère et l'abbé Glaire (Paris, Maurice, 1846, in-folio ; l'exemplaire de la Biblio­thèque Nationale ne comprend que les trois premiers livres des Antiquités ; a-t-il paru davantage?).

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

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JOSEPHE

 

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE XI - LIVRE XII - LIVRE XIII - LIVRE

XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE 1

Préambule F1]

1. Motifs variés d’écrire l’histoire - 2. Objet du présent ouvrage. – 3. La Bible. – 4. Philosophie de Moïse.

1. Ceux qui se proposent d'écrire l'histoire ne m'y semblent pas déterminés par une seule et même raison, mais par plusieurs, très différentes les unes des autres. Certains, en effet, voulant faire briller leur talent

littéraire et avides du renom qu'il procure, s'adonnent avec ardeur à ce genre d'études ; d'autres, pour flatter les personnages dont il sera question dans leur récit, y dépensent une somme de travail qui va jusqu'à passer leurs forces ; d'aucuns se voient contraints par la nécessité même des événements auxquels ils ont pris part à les montrer sous leur vrai jour par une narration d'ensemble ; enfin, pour beaucoup, c'est l'ignorance où l'on est de certains grands faits utiles à connaître qui les a déterminés, dans l'intérêt général, à en publier

l'histoire. Parmi les raisons que je viens de dire, ce sont les deux dernières qui m'ont moi-même entraîné. En effet, la guerre que nous, Juifs, nous avons soutenue contre les Romains, les événements de cette guerre et son issue m'étant connus par expérience, j'étais forcé de la raconter en détailF2], pour réfuter les gens qui dans

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

leurs écrits en ont altéré le véritable caractère[3].

  1. Quant au présent ouvrage, si je l'ai entrepris, c'est que j'ai cru qu'il paraîtrait à tous les Grecs dignes d’attention : il contiendra, en effet, toute l'histoire de notre antiquité ainsi que l'exposé de notre constitution politique, traduits des livres hébraïques[4]. D'ailleurs,

j'avais déjà médité autrefois, en écrivant l’histoire de la guerre, de montrer ce que furent au début les Juifs, quelles destinées ils eurent, quel grand législateur leur enseigna la piété et l'exercice des autres vertus, combien de luttes très longues ils durent soutenir avant cette dernière guerre où ils s’engagèrent malgré eux[5] contre

les Romains. Toutefois, comme ce sujet embrassait trop de matières, j'en ai fait un tout à part, ayant son commencement et sa fin, donnant ainsi à mon ouvrage de justes proportions. Mais avec le temps et, comme il arrive souvent à ceux qui s’attaquent à une tâche difficile, il me vint des hésitations et de la paresse à traduite un si grand sujet dans une langue étrangère dont les habitudes ne nous sont pas familières. Cependant quelques personnes curieuses de cette histoire me pressaient de l'écrire, et plus que tous Épaphrodite[6], homme passionné pour toute espèce

d'érudition, mais qui goûte de préférence la science historique, mêlé comme il l'a été à de grands événements et à des fortunes très diverses, au milieu desquels il a toujours fait preuve d'une merveilleuse force de caractère et d'un attachement inébranlable à la vertu. Je me laissai donc persuader par lui, car il ne cesse d'encourager les hommes capables de faire oeuvre utile ou belle, et, tout confus de laisser supposer que mon repos m'était plus cher que l'effort d'une belle entreprise, je m’enhardis et repris courage ; au surplus, outre les raisons, ce fut pour moi une considération nullement secondaire que nos ancêtres, d'une part, aient toujours été disposés à communiquer leur histoire et que certains Grecs, de l'autre, aient été curieux de la connaître.

  1. Je remarquai, en effet, que le second des Ptolémées[7],

ce roi qui s'est tant intéressé à la science, ce collectionneur de livres, s'occupa tout particulièrement

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

de faire traduire en grec notre code et la constitution politique qui en découle ; d'autre part, Eléazar, qui ne le cédait en vertu à aucun de nos grands-prêtres, ne se fit pas scrupule d'accorder à ce roi la satisfaction qu'il sollicitait ; or, il eût refusé net, s'il n'eût été de tradition chez nous de ne tenir secret rien de ce qui est bien[8].

J'ai donc pensé que, pour moi, je devais imiter la conduite libérale du grand-prêtre et supposer qu'encore aujourd'hui bien des gens comme le roi Ptolémée aiment à s'instruire : celui-ci, en effet, n'eut pas le temps de recueillir toutes nos annales ; seule, la partie juridique lui fut transmise par les gens qu'on envoya à Alexandrie en faire la traduction. Or, innombrables sont les renseignements que nous donnent les saintes Écritures ; car elles embrassent l'histoire de cinq mille années, et racontent toutes sortes de péripéties imprévues, beaucoup de fortunes de guerre, de hauts faits de capitaines, et de révolutions politiques. Dans l'ensemble, on apprend surtout par cette histoire, si l'on prend la peine de la parcourir, que les hommes qui se conforment à la volonté de Dieu et redoutent d’enfreindre une législation excellente prospèrent au-delà de toute espérance et que, pour récompense, Dieu leur accorde le bonheur ; mais que, dès qu’ils s'écartent de la stricte observance de ces lois, la route qu'ils suivent devient impraticable et leurs efforts en vue de ce qu’ils pensent être le bien se tournent en d'irrémédiables malheurs. J’engage donc maintenant ceux qui liront ces livres à élever leurs pensées jusqu'à Dieu et à examiner si notre législateur a eu une conception satisfaisante de sa nature, s'il lui a toujours assigné un rôle conforme à sa toute puissance, ou gardant pour parler de lui un langage pur de ces fables inconvenantes qu'on trouve ailleurs ; encore que, traitant d'une durée si longue et si lointaine, il eût eu pleine licence de forger des fictions. Il vécut, en effet, il y a deux mille ans, en des temps si reculés que les poètes n'ont pas même osé y rapporter la naissance des dieux, encore moins les actions des hommes et leurs lois.

Ce sont donc ces données exactes des Écritures que j'exposerai au cours de mon récit, chacune à sa place, ainsi que j'ai promis de le faire dans le présent ouvrage, sans rien rajouter ni rien omettre.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

Mais, comme presque tout ce qui nous concerne dépend des sages institutions du législateur Moïse (Môysès), il me faut d'abord parler de lui brièvement, de peur que mes lecteurs ne se demandent pourquoi, dans cet ouvrage qui doit traiter de lois et de faits historiques, je fais une si large part aux questions cosmologiques[9]. Il

faut donc savoir que, selon ce grand homme, pour bien organiser sa vie et donner des lois aux autres, il importe avant tout de comprendre la nature de Dieu, puis, en considérant par l'esprit les oeuvres divines, d'imiter dans la mesure de ses forces le meilleur de tous les modèles et de tâcher de s'attacher à lui ; jamais, en effet, le législateur lui-même ne sera bien inspiré s'il néglige ces considérations, et ceux qui liront des traités sur la vertu n'en retireront aucun fruit, s'ils n'ont appris au préalable que Dieu, qui est le père et le maître de toutes choses et qui voit tout, accorde une vie heureuse à ceux qui suivent ses voies, mais accable de grandes catastrophes ceux qui marchent hors du chemin de la vertu. Telle est l'éducation que Moïse voulait donner à ses concitoyens ; aussi, lorsqu'il institua ses lois, ne commença-t-il pas par les contrats[10] et les droits réciproques, comme font

les autres législateurs' c'est vers Dieu et l'idée de la Création du monde qu'il éleva leurs méditations ; il les persuada que de toutes les oeuvres accomplies par Dieu sur terre, nous, les hommes, nous sommes la plus belle, et lorsqu'il les eut convertis à la piété, il n'eut plus de peine à les convaincre de tout le reste. Les autres législateurs[11], on effet, s'en rapportant aux fables,

attribuaient aux dieux, dans leurs écrits, les honteuses faiblesses des hommes et fournissaient ainsi aux scélérats une puissante excuse. Notre législateur, lui, avant montré que Dieu possède la vertu parfaite, voulut que les hommes s'efforçassent de participer à cette perfection et châtia inexorablement ceux qui ne méditaient point ces enseignements ou n'y ajoutaient pas foi. J'invite donc tous ceux qui me liront à examiner notre Écriture en partant de ce principe. A ceux qui se placeront à ce point de vue, rien n'y paraîtra déraisonnable ni indigne de la grandeur de Dieu et de son amour pour les hommes ; tous les traits en sont présentés avec l'expression correspondant à la nature des choses : tantôt le législateur a parlé habilement à

 

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mots couverts ; tantôt il s'est servi d'allégories pleines de majesté ; mais toutes les fois qu'il importait de parler sans ambages, il s'est exprimé ouvertement. Quant à rechercher les motifs de chacun de ces procédés, il faudrait y une étude profonde et d'un caractère tout à fait philosophique ; pour le moment, je passe outre, mais si Dieu m'en donne le loisir, je tâcherai de l'écrire[12]

après le présent travail. J'arrive maintenant au récit des événements, on rappelant d'abord ce que Moïse a dit touchant la création du monde, détails que j'ai trouvés consignés dans les saints Livres, comme il suit.

Chapitre premier [13]

Constitution de l’univers et disposition des ses éléments. Naissance d’Adam.

1. Création du monde. - 2. Adam et Ève. - 3. Le paradis. - 4. Le pêché ; Adam et Ève chassés du paradis terrestre.

1[14]. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

Celle-ci n'était pas visible ; elle était cachée sous des ténèbres profondes et un souffle d'en haut courait à sa surface. Dieu ordonna que la lumière fût. Quand elle eut paru, il considéra l'ensemble de la matière et sépara la lumière des ténèbres, les appelant jour et nuit, et il nomma matin et soir l'apparition de la lumière et sa cessation. Et ce jour devrait être le premier, mais Moïse employa le terme de « un[15] jour ». Pourquoi ? Je

pourrais le dire dès maintenant, mais comme je me propose de faire la recherche de toutes les causes dans un écrit[16] spécial, je diffère jusque-là l'éclaircissement

de ce point.

Ensuite, le second jour, Dieu établit le ciel sur le monde; l'ayant distingué du reste, il jugea qu'il devait être organisé à part et, l'avant entouré d'une surface

congelée, il le rendit humide et pluvieux, en rapport avec les besoins de la terre, qu'il féconderait de ses rosées. Le troisième jour, il fixe la terre et répand autour d'elle les eaux de la mer ; c'est ce même jour qu'il lui fait produire d'un seul coup[17] les végétaux et les

semences.

 

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Le quatrième jour, il orne le ciel en y plaçant le soleil, la lune et les autres astres ; il prescrit leurs mouvements et leurs cours, qui devront indiquer les révolutions des saisons.

Le cinquième jour, paraissent les poissons et les

oiseaux ; il lance les uns dans les profondeurs des mers, les autres à travers les airs. Il les unit par les liens de la vie en commun et la génération, pour se perpétuer et multiplier leur espèce.

Le sixième jour, il crée la race des quadrupèdes, les fait mâles et femelles ; et, ce jour-là, il forme aussi l'homme. Ainsi, selon Moïse, le monde avec tout ce qu'il renferme fut créé en six jours seulement ; le septième, Dieu s'arrêta et se reposa de ses travaux. De là vient que, nous aussi, nous passons ce jour-là dans le repos et nous l'appelons sabbat, mot qui signifie cessation[18]

dans la langue des Hébreux.

2[19]. Après le septième jour, Moïse commence à parler de questions naturelles[20] ; sur la création de l'homme

il s'exprime ainsi : Dieu, pour façonner l'homme, prit de la poussière de la terre, et y inspira un souffle et une âme[21]. Cet homme fut appelé Adam(os)[22], ce qui,

Hébreu, signifie roux[23], parce que c'est avec de la terre

rouge délayée qu'il fut formé ; c'est bien, en effet, la couleur de la vraie terre vierge. Dieu fait passer devant Adam les animaux selon leurs espèces, mâles et femelles, en les désignant[24] ; il leur donne les noms

qui sont encore usités aujourd'hui. Puis, considérant qu'Adam n'a pas de compagne à qui s’unir (en effet il n'existait pas de femme), et qu'il s'étonne de voir les autres animaux pourvus de femelles, il lui enlève une côte tandis qu'il dort, et en forme la femme. Adam, quand elle lui fut présentée reconnut qu'elle était née de lui-même. La femme s'appelle essa[25] En hébreu : mais

cette première femme eut nom Eve, c'est-à-dire mère de tous les vivants.

3. Moïse raconte que Dieu planta du côté de l'orient un parc, foisonnant en plantes de toute espèce ; il y avait, entre autres, la plante de la vie et celle de l'entendement, par laquelle on apprenait ce que c'est que le bien et le

 

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mal ; il fit entrer dans ce jardin Adam et la femme et leur recommanda de prendre soin des plantes. Ce jardin est arrosé par un fleuve unique dont le cours circulaire environne toute la terre et se divise en quatre branches; le Phison, dont le nom signifie abondance[26], s'en va

vers l'inde se jeter dans la mer : les Grecs l'appellent Gange ; puis l'Euphrate et le Tigre, qui vont se perdre dans la mer Erythrée ; l'Euphrate est appelé Phorat[27],

c’est-à-dire dispersion ou fleur, et le Tigre, Diglath[28], ce

qui exprime à la fois l'étroitesse et la rapidité ; enfin le Géon[29], qui coule à travers l'Egypte, dont le nom

indique celui qui jaillit de l'orient ; les Grecs l'appellent Nil.

4[30]. Dieu donc invita Adam et la femme à goûter de

tous les végétaux, mais à s'abstenir de la plante de l'entendement, les prévenant que, s'ils y touchaient, ils s'attireraient la mort. A cette époque où tous les animaux parlaient une même langue[31], le serpent,

vivant en compagnie d'Adam et de la femme, se montrait jaloux des félicités qu'il leur croyait promises[32], s'ils se

conformaient aux prescriptions de Dieu, et, espérant qu'ils tomberaient dans le malheur en désobéissant, il engage perfidement la femme à goûter de la plante de l'entendement ; « on y trouve, disait-il, le moyen de discerner le bien et le mal » ; dès qu'ils le posséderaient, ils mèneraient une vie bienheureuse qui ne le céderait en rien à la vie divine. Il ébranle par ses mensonges la femme au point de lui faire négliger la recommandation de Dieu ; elle goûta de la plante, en apprécia la saveur et persuada à Adam d'en manger aussi. Alors ils se rendirent compte qu'ils étaient nus et que leur sexe était à découvert, et ils songèrent à se couvrir ; la plante, en effet, aiguisait l’intelligence. Aussi se couvrirent-ils de feuilles de figuier, et, après s'en être fait une ceinture, ils crurent leur félicité plus grande puisqu'ils avaient trouvé ce qui leur manquait auparavant. Mais, comme Dieu entrait dans le jardin, Adam, qui jusqu'alors venait souvent converser avec lui, eut conscience de sa faute et se déroba. Dieu trouva son attitude étrange et lui demanda pourquoi, tandis que naguère il se plaisait à converser avec lui, il fuyait maintenant l'entretien et se

 

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détournait. Comme Adam ne disait mot, se sentant coupable d'avoir contrevenu à l'ordre divin, Dieu lui dit : « J'avais décidé que vous mèneriez une vie heureuse, à l'abri de tout mal, sans qu'aucun souci vous torturât l'âme ; tout ce qui contribue à la jouissance et au plaisir devait s'offrir spontanément à vous, de par une providence, sans labeur, sans souffrances pour vous ; avec ces avantages, la vieillesse ne vous aurait pas atteints rapidement, et une longue vie eût été votre partage. Mais voici que tu as outragé mon dessein en méprisant mes ordres ; ce n'est pas par vertu que tu gardes le silence, c’est parce que ta conscience est troublée ». Adam cherchait à se disculper et priait Dieu de ne pas s'irriter contre lui ; il rejetait sa faute sur la femme, et disait qu'elle l'avait, par sa ruse, induit à pécher ; à son tour, la femme accusait le serpent. Dieu jugea Adam digne de punition pour avoir succombé à un conseil de femme ; il déclara que désormais pour eux la terre ne produirait plus rien d'elle-même et que, en retour d'un labeur acharné, parfois elle donnerait des fruits, parfois elle les refuserait. Quant à Eve, il la punit en lui infligeant l'enfantement et les souffrances qui l'accompagnent, parce que, s'étant laissée prendre aux tromperies du serpent, elle avait entraîné Adam dans le malheur. Il priva aussi le serpent de la parole[33], irrité

de sa malice à l'égard d'Adam ; il lui mit du venin sous la langue le désigna comme un ennemi des hommes et ordonna qu'on le frappât à la tête, parce que c’est là que gît l'origine du mal qui a atteint les hommes et que c’est là aussi que ses adversaires lui porteront le plus aisément le coup mortel ; enfin il le condamna à n'avoir plus de pieds et à se traîner en se tordant sur la terre. Dieu, leur ayant infligé ces châtiments, fit sortir Adam et Eve du jardin et les transporta dans un autre lieu.

Chapitre II

Les dix générations issues d’Adam jusqu’au déluge.

1. Caïn et Abel. – 2. Prospérité de Caïn. – 3. Seth et ses descendants.

 

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1[34]. Il leur naquit deux enfants mâles ; le premier s'appelait Kaïs (Caïn)[35], dont le nom se traduit par acquisition, le second, Abel(os) c’est-à-dire deuil[36]. Il leur naquit également des filles[37]. Les deux frères se

plaisaient à des occupations différentes : Abel, le plus jeune, était zélé pour la justice et, dans l'idée que Dieu présidait à toutes ses actions, il s'appliquait à la vertu ; sa vie était celle d'un berger. Caïn était en tout d'une grande perversité et n'avait d'yeux que pour le lucre ; il est le premier qui ait imaginé de labourer la terre ; il tue son frère pour le motif suivant. Comme ils avaient décidé de faire des offrandes à Dieu, Caïn apporta les fruits de la terre[38], et ceux des arbres cultivés ; Abel, du lait[39]

et les premiers-nés de ses troupeaux. C'est cette offrande qui plut davantage à Dieu : des fruits nés spontanément et selon les lois naturelles l'honoraient, mais non pas des produits obtenus par la cupidité d'un homme, en forçant la nature. Alors Caïn, irrité de voir Abel préféré par Dieu, tue son frère : ayant fait disparaître le cadavre, il croyait que le meurtre resterait ignoré[40]. Mais Dieu,

qui savait le crime, alla trouver Caïn, et lui demanda où pouvait être son frère ; depuis plusieurs jours, il ne l'aperçoit plus, lui qu'il voyait auparavant aller et venir sans cesse avec Caïn. Celui-ci, embarrassé, n'ayant rien à répondre, déclare d'abord qu'il est très étonné lui-même de ne pas voir son frère, puis, harcelé par Dieu de questions pressantes et poussé à bout, il répond qu'il n'est pas le gouverneur de son frère, chargé de surveiller sa personne et ses actes. Dès ce moment, Dieu l'accuse d'être le meurtrier de son frère : « Je m'étonne, dit Dieu, que tu ne puisses dire ce qui est advenu d'un homme que tu as toi-même tué ». Cependant, il ne lui inflige pas la peine méritée par son meurtre, Caïn lui ayant offert un sacrifice et l'ayant supplié de ne pas lui faire sentir trop durement sa colère[41] ; mais il le maudit et menace

de punir ses descendants jusqu'à la septième génération[42] ; puis, il le bannit de cette contrée avec sa

femme. Comme Caïn craignait de devenir la proie des bêles féroces[43] et de périr ainsi, Dieu l'exhorte à ne pas

baisser la tête d'un air morne pour un pareil motif : il n'aura rien à redouter des bêtes féroces et, par suite, il pourra errer sans crainte sur toute la terre. Dieu met un

 

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signe sur lui pour le faire reconnaître et lui enjoint de partir.

2[44]. Caïn traverse beaucoup de pays et s'arrête avec sa femme dans un endroit appelé Naïs[45], où il fixe sa

résidence et où des enfants lui naquirent. Loin de considérer son châtiment comme un avertissement, il n'en devint que plus pervers : il s'adonna à toutes les voluptés corporelles, dût-il maltraiter, pour les satisfaire, ceux qui étaient avec lui ; il augmente sa fortune de quantités de richesses amassées par la rapine et la violence ; il invita au plaisir et au pillage tous ceux qu'il rencontrait et devint leur instructeur en pratiques scélérates. Il détruisit l'insouciance, où vivaient précédemment les hommes, par l'invention des mesures et des poids ; la vie franche et généreuse que l'on menait dans l'ignorance de ces choses, il en fait une vie de fourberie. Le premier, il délimita des propriétés ; il bâtit une ville, la fortifia par des murs et contraignit ses compagnons à s'associer en communauté. Cette ville, il la nomme Anocha du nom de son fils aîné Anoch(os)[46].

Anoch eut pour fils Jared(ès)[47] ; de celui-ci naquit Marouêl(os)[48], lequel eut pour fils Mathousalas, père de Lamech(os) qui eut soixante-dix-sept enfants[49] de

deux femmes, Sella et Ada. L'un d’eux Jôbel(os>, né d'Ada, planta des tentes et se plut à la vie pastorale. Joubal(os), son frère, né de la même mère, s'adonna à la musique et inventa les psaltérions et les cithares. Thobél(os), un des fils de l'autre femme, plus fort que tous les hommes, se distingua dans l'art de la guerre où il trouva de quoi satisfaire aux plaisirs du corps ; il inventa le premier l'art de forger. Lamech devint père d'une fille, Noéma : comme il voyait, par sa grande science des choses divines, qu'il subirait la peine du meurtre commis par Caïn sur son frère, il s'en ouvrit à ses femmes[50].

Encore du vivant d’Adam, les descendants de Caïn en arrivèrent aux plus grands crimes : par les traditions et l'exemple, leurs vices allaient toujours en empirant ; ils faisaient la guerre sans modération et s'empressaient au pillage. Et ceux qui n'osaient pas verser le sang montraient, du moins, tous les emportements de

 

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l'insolence, de l'audace et de la cupidité.

3. Adam, le premier-né de la terre, pour en revenir à lui, comme mon récit l'exige, après qu'Abel eut été immolé et que Caïn eut pris la fuite à cause de ce meurtre, souhaitait d'autres enfants ; il fut pris d'un vif désir de faire souche, alors qu'il avait franchi déjà 230[51] années

de sa vie ; il vécut encore 700 ans avant de mourir. Il eut, avec beaucoup d'autres enfants[52], un fils Seth(os);

il serait trop long de parler des autres ; je me contenterai de raconter l'histoire de Seth et de sa progéniture. Celui-ci, après avoir été élevé, parvenu à l'âge où l'on peut discerner le bien, cultiva la vertu, y excella lui-même et resta un exemple pour ses descendants. Ceux-ci, tous gens de bien[53], habitèrent le même pays et y jouirent

d’un bonheur exempt de querelles sans rencontrer jusqu'au terme de leur vie aucun fâcheux obstacle ; ils trouvèrent la science des astres et leur ordre dans le ciel[54]. Dans la crainte que leurs inventions ne

parvinssent pas aux hommes et ne se perdissent avant qu'on en eût pris connaissance, - Adam avait prédit une cataclysme universel occasionné, d'une part, par un feu violent et, de l'autre, par un déluge d'eau, - ils élevèrent deux stèles[55], l'une de briques et l'autre de pierres, et

gavèrent sur toutes les deux les connaissances qu'ils avaient acquises ; au cas où la stèle de brique disparaîtrait dans le déluge, celle de pierre serait là pour enseigner aux hommes ce qu'ils y avaient consigné et témoignerait qu'ils avaient également construit une stèle de brique. Elle existe encore aujourd'hui dans le pays de Siria[56].

Chapitre III

Le déluge ; comment Noé, sauvé dans une arche avec sa famille, s’établit dans la plaine de Sinar.

1. Corruption des hommes ; les fils des anges; Noé. - 2. Le déluge et l'arche. - 3. Epoque du déluge. - 4. Chronologie des patriarches. - 5. Fin du déluge. - 6. Témoignages d'auteurs païens sur le déluge. - 7. Sacrifice de Noé. - 8. L'arc-en-ciel. - 9. Longévité des

 

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patriarches.

1[57]. Durant sept générations, ces hommes ne

cessèrent de considérer Dieu comme le souverain de l'univers et de prendre en tout la vertu pour guide ; mais, dans la suite des temps, ils s'écartent pour malfaire des coutumes de leurs pères ; ils ne rendent plus à Dieu les honneurs qui lui sont dus et ne se préoccupent plus de justice envers les hommes ; ils font paraître par leurs actes deux fois plus d'ardeur pour le vice qu'ils n'en montraient naguère pour la vertu ; c'est ainsi qu'ils s'attirèrent l'inimitié divine. Beaucoup d'anges de Dieu s'unirent à des femmes et engendrèrent une race d'hommes violents, dédaigneux de toute vertu, tant était grande leur confiance dans leur force brutale. Les exploits que leur attribue la tradition ressemblent aux tentatives audacieuses que les Grecs rapportent au sujet des Géants[58]. Noé (Nôchos), indigné de leur

conduite et voyant avec chagrin leurs entreprises, tenta de les amener à de meilleures pensées et à de meilleures actions[59] ; mais voyant que, loin de céder, ils étaient

complètement dominés par le plaisir des vices, il craignit d'être tué[60] par eux et quitta le pays avec sa femme,

ses fils et ses belles-filles.

2[61]. Dieu l'aimait pour sa justice et non seulement

condamna ces hommes à cause de leur corruption, mais il résolut d'exterminer tous les hommes qui existaient en ce temps et de créer une autre race exempte de vices, dont il abrégerait la vie, en réduisant la longévité primitive à cent vingt ans[62]. A cet effet il changea la

terre ferme en mer. Tandis que tous disparaissent ainsi, Noé seul est sauvé, Dieu lui ayant fourni un moyen et un engin de salut comme il suit. Il construit une arche à quatre étages[63] de 300 coudés de long, 50 de large et

30 de profondeur ; il s'y embarque avec [ses fils][64], la

mère de ses enfants et les femmes de ceux-ci ; il y met tous les objets nécessaires à leurs besoins, y introduit des animaux de toute espèce, mâles et femelles, pour conserver leurs races et, pour certains d'entre eux, il prend sept couples[65]. L'arche avait les parois, les joints

et la toiture assez solides pour n'être ni submergée ni

 

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défoncée par la violence des eaux. C'est ainsi que Noé fut sauvé avec les siens. Il était le dixième descendant d'Adam, car il était fils de Lamech, qui avait pour père Mathousalas[66], fils d'Anoch, fils de Jared. Jared était

fils de Marouël, que Caïnas[67], fils d'Enôs(os), avait engendré avec beaucoup de sœurs[68]. Enôs était fils de Seth, fils d'Adam.

3[69]. La catastrophe eut lieu la 600ème année de la

vie[70] de Noé, dans le second mois, que les

Macédoniens appellent Dios, et les Hébreux Marsouan[71], suivant la façon dont ils ont arrangé le

calendrier en Égypte, Moïse fit de Nisan, c'est-à-dire de Xanthicos, le premier mois pour les fêtes, parce que c'est en Nisan qu'il avait mené les Hébreux hors de l'Egypte ; il fit encore commencer l'année par ce mois pour tout ce qui concerne le culte divin ; mais pour les ventes et achats et toutes les autres affaires, il conserva l'ancien ordre[72]. Il dit que le déluge commença le vingt-

septième jour[73] dudit mois. Cette époque tombe 2.262 ans[74] après la naissance d'Adam, le premier homme ;

la date est inscrite dans les saints Livres ; on marquait alors avec un soin extrême la naissance et la mort des gens illustres.

4[75]. Adam eut pour fils Seth à l'âge de 230 ans; celui-ci[76] vécut 930 ans. Seth à l'âge de 205 ans engendra

Enôs, qui, à 905 ans, remit le soin de ses affaires à son fils Caïnas, qu'il avait eu à 190 ans. Enôs vécut en tout 912 ans. Caïnas, qui vécut 910 ans, eut son fils Malaël à l'âge de 170 ans. Ce Malaël mourut, âgé de 895 ans, laissant un fils Jared, qu'il engendra à 165 ans. Celui-ci vécut 969 ans[77] ; son fils Anoch le remplace ; il était

né quand son père avait 162 ans ; à l'âge de 365 ans, il retourna vers la divinité[78]. Aussi sa mort n'a-t-elle pas

même été consignée. Mathousalas, que Anoch eut à 165 ans, eut pour fils Lamech à 187 ans ; il lui remit le pouvoir, qu'il avait détenu 969 ans. Lamech le garda 777 ans et mit à la tête des affaires son fils Noé, qu'il avait eu à l'âge de 188 ans, et Noé gouverna les affaires pendant 950 ans. Ces chiffres, additionnés ensemble, donnent le

 

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total mentionné plus haut. On ne doit pas examiner l'année de la mort de ces personnages, car leur vie se prolongeait durant celle de leurs enfants et de leurs descendants ; qu'on se borne à regarder leurs dates de naissance.

  1. Dieu fit un signe et commença à faire pleuvoir[79] ; les

eaux se mirent à tomber pendant quarante jours pleins, de manière à s’élever de 15 coudées au-dessus de la surface de la terre. Cela fut cause qu'il ne put se sauver un plus grand nombre d'hommes, faute d'endroit où s'enfuir. Quand les pluies cessèrent, l'eau se mit à baisser à peine après 150 jours ; c'est dans le 7e mois, le 7e jour du mois, que les eaux commencèrent à se retirer[80]. L'arche alors s'arrête sur la cime d'une

montagne en Arménie : Noé s'en aperçoit, ouvre l'arche, voit un peu de terre qui l'environne et, renaissant déjà à l'espérance, il se rassérène. Quelques jours après, l'eau ayant baissé davantage, il lâche un corbeau, pour savoir s'il y avait sur la terre un autre endroit laissé à découvert où l'on pût débarquer avec sécurité ; mais le corbeau trouva toute la terre encore couverte d'eau et revint vers Noé. Sept jours après, il envoie une colombe[81] à la découverte. Elle revient souillée de

boue, rapportant un rameau d'olivier ; Noé, voyant que la terre est délivrée du déluge, attend encore sept jours ! puis il fait sortir les animaux de l'arche, en sort lui-même avec sa progéniture, sacrifie à Dieu et célèbre un festin avec les siens. Les Arméniens donnent à cet endroit le nom de débarcadère ; c'est là que l'arche s'était échouée et que les indigènes en montrent encore les débris[82].

  1. Le déluge et l'arche sont mentionnés par tous ceux qui ont écrit l'histoire des barbares ; de ce nombre est Bérose le Chaldéen[83]. Dans son récit des événements

du déluge, il s'exprime ainsi : « On dit qu’il reste des fragments du navire en Arménie sur le mont des Cordyéens ; quelques personnes s'en emparent en les débarrassant du bitume ; on s'en sert comme de talismans ». Il est question aussi de ces choses chez Hiéronyme l’Égyptien, l'auteur de l'Archéologie

 

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phénicienne[84], chez Mnaséas[85] et chez beaucoup d'autres. Nicolas de Damas, dans le XCVIe livre[86],

raconte ces faits en ces termes : «Il y a, au-dessus du pays de Minyas[87] en Arménie, une haute montagne

appelée Baris, où plusieurs réfugiés du déluge trouvèrent, dit-on, le salut ; un homme, transporté dans une arche, aurait abordé au sommet du mont et les épaves ont été conservées longtemps : cet homme pourrait bien être le même dont parle Moïse, le législateur des Juifs ».

7[88]. Noé, craignant que Dieu n'inondât chaque année

la terre dans le dessein arrêté d'anéantir les hommes, lui offrit des holocaustes et le supplia de conserver à l'avenir l'ordre primitif et de ne plus déchaîner un tel fléau qui vouerait à la mort tout le règne animal ; les méchants une fois punis, il devait épargner ceux que leur vertu avait sauvés et qui avaient mérité d'échapper à la catastrophe. Leur sort serait plus misérable que ceux de ces méchants, ils seraient condamnés à une peine bien pire, s'ils n'étaient pas désormais absolument à l'abri, si on les réservait pour un autre déluge ; après avoir appris l'histoire épouvantable du premier, ils seraient les victimes du second. Il le prie donc d'agréer son sacrifice, et de ne plus faire éclater sur la terre un tel courroux, afin qu'on puisse se livrer avec ardeur à l'agriculture, bâtir des villes, mener une vie heureuse, sans être privé d'aucun des biens dont on jouissait avant le déluge, arriver à une vieillesse avancée et obtenir une longévité semblable à celle des hommes d'autrefois.

8. Noé ayant fini ses supplications, Dieu, qui aimait cet homme pour sa justice, lui fit signe qu'il exaucerait ses prières ; ceux qui avaient péri n'avaient pas été ses victimes : c'est par leurs propres crimes qu'ils avaient encouru ce châtiment ; s'il avait eu le dessein d'anéantir les hommes une fois nés, il ne les aurait pas appelés à l'existence ; car il était plus sage dès le principe de ne point les gratifier de la vie, que de la retirer sitôt

donnée : « C'est, dit-il, l'arrogance avec laquelle ils répondaient à ma bonté et à ma vertu qui m'a contraint

à leur infliger cette peine. Mais dorénavant je

 

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m'abstiendrai de châtier les crimes avec une telle rigueur ; je m'en abstiendrai surtout à ta prière. Si d'aventure je suscite de fortes tempêtes, ne vous effrayez pas de la violence des pluies. Jamais plus l'eau ne submergera la terre[89]. Cependant je vous exhorte à ne

point verser de sang humain, à vous tenir purs de tout meurtre et à punir ceux qui commettraient un tel crime ; vous pourrez faire de tous les autres animaux l'usage qui vous conviendra selon vos désirs ; car je vous ai faits maîtres d'eux tous, qu'ils vivent sur la terre, dans l'eau, ou qu'ils se meuvent parmi les airs ; je fais une réserve pour le sang, car c'est en lui que réside l'âme[90]. Je

vous manifesterai la trêve que je conclus avec vous par un signe de mon arc. C'est l'arc-en-ciel qu'il désignait ainsi, car on croit dans ces pays que c'est l'arc de Dieu[91]. Dieu, après ces paroles et ces promesses, se

retire.

9. Noé vécut après le déluge 350 ans, qu'il passa toujours heureusement ; il meurt âgé de 950 ans. Que personne, comparant la vie de ces anciens à la nôtre d'un nombre d'années si restreint, n'aille tenir pour faux ce qui est raconté de ces hommes : qu'on ne se figure point, parce que nul aujourd'hui n'atteint dans son existence un âge aussi avancé, que ceux-là non plus n'aient pu la prolonger à ce point. D'abord, ils étaient aimés de Dieu et nés de Dieu lui-même ; leur nourriture les rendait plus propres à durer davantage ; il est donc vraisemblable qu'ils ont pu vivre aussi longtemps. Ensuite, c'est pour leur vertu et c'est pour faciliter leurs recherches dans l'astronomie et la géométrie, inventées par eux, que Dieu leur accordait cette longévité ; ils n'auraient rien pu prédire avec certitude s'ils n'avaient vécu 600 ans, car c'est là la durée de la grande année[92]. J'ai là-dessus le témoignage de tous ceux,

Grecs ou Barbares, qui ont écrit des antiquités : Manéthon, qui a fait les annales des Égyptiens ; Bérose, qui a rassemblé ce qui concerne la Chaldée ; Mochos, Hestiée ainsi que Hiéronyme l'Égyptien, auteurs d'histoires phéniciennes, sont d'accord avec moi ; Hésiode, Hécatée, Hellanicos, Acusilaos, ainsi qu'Ephore et Nicolas, rapportent que ces premiers hommes vivaient

 

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mille ans[93]. Mais sur ce sujet, que chacun décide comme il lui plaira.

Chapitre IV

La tour que les fils de Noé édifièrent en outrage à Dieu ; Dieu confond leurs langues ; l’endroit où ce fait eu lieu s’est appelé Babylone.

1. Les fils de Noé dans la plaine de Sennaar. - 2. Nemrod. - 3, La Tour de Babel.

1[94]. Les enfants de Noé au nombre de trois, Sèm(as),

Japheth(as) et Cham(as), étaient nés cent ans avant le déluge ; les premiers, ils descendirent des montagnes[95]

vers les plaines et y établirent leur demeure. Comme les autres craignaient fort d'habiter les plaines à cause du déluge[96] et hésitaient à la pensée de descendre des

hauteurs, ils leur rendirent courage et leur persuadèrent de suivre leur exemple. La plaine où ils les établirent d'abord s'appelle Sennaar[97]. Dieu leur

recommanda[98], s'ils se multipliaient, d'envoyer des

colonies ailleurs, pour éviter les querelles mutuelles et de cultiver de grandes terres pour jouir de leurs fruits en abondance ; mais par aveuglement ils n'écoutèrent point Dieu, et, en conséquence, ils furent précipités dans des calamités qui leur firent sentir leur erreur. En effet, comme ils avaient une floraison nombreuse de jeunes gens, Dieu leur conseilla de nouveau de détacher une colonie ; mais eux, sans songer qu'ils tenaient leurs biens de la bienveillance divine, et attribuant à leur force personnelle l'origine de toute leur abondance, n'obéissaient pas. A leur désobéissance ils ajoutèrent même le soupçon que Dieu leur tendait un piège en les poussant à émigrer, afin que, divisés, il pût les maîtriser plus aisément.

2[99]. Celui qui les exalta ainsi jusqu'à outrager et mépriser Dieu fut Nemrod (Nébrôdès)[100], petit-fils de

Cham, fils de Noé, homme audacieux, d'une grande vigueur physique ; il leur persuade d'attribuer la cause de leur bonheur, non pas à Dieu, mais à leur seule

 

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valeur et peu à peu transforme l'état de choses en une tyrannie. Il estimait que le seul moyen de détacher les hommes de la crainte de Dieu[101], c'était qu'ils s'en

remissent toujours à sa propre puissance. Il promet de les défendre contre une seconde punition de Dieu qui veut inonder la terre : il construira[102] une tour assez

haute pour que les eaux ne puissent s'élever jusqu'à elle et il vengera même la mort de leurs pères[103].

3. Le peuple était tout disposé à suivre les avis de Nemrod, considérant l'obéissance à Dieu comme une servitude ; ils se mirent à édifier la tour avec une ardeur infatigable, sans se ralentir dans leur travail ; elle s'éleva plus vite qu'on n'eût supposé, grâce à la multitude des bras. Mais elle était si formidablement massive que la hauteur en semblait amoindrie. On la construisait en briques cuites, reliées ensemble par du bitume pour les empêcher de s'écrouler. Voyant leur folle entreprise, Dieu ne crut pas devoir les exterminer complètement, puisque même la destruction des premiers hommes n’avait pu assagir leurs descendants ; mais il suscita la discorde parmi eux en leur faisant parler des langues différentes, de sorte que, grâce à cette variété d'idiomes, ils ne pouvaient plus se comprendre les uns les autres. L'endroit où ils bâtirent la tour s'appelle maintenant Babylone, par suite de la confusion introduite dans un langage primitivement intelligible à tous : les Hébreux rendent « confusion » par le mot babel[104]. La Sibylle

fait aussi mention de cette tour et de la confusion des langues dans ces termes[105] : « Alors que tous les

hommes parlaient la même langue, quelques-uns édifièrent une tour extrêmement haute, pensant s'élever par là jusqu'au ciel. Mais les dieux envoyèrent des ouragans, renversèrent la tour et donnèrent un langage spécial à chacun ; de là vient le nom de Babylone attribué à la ville ». Quant à la plaine appelée Sennaar en Babylonie, Hestiée en parle en ces termes : « Les prêtres qui échappèrent, emportant les objets sacrés de Zeus Enyalios[106], s'en vinrent en Sennaar de Babylonie ».

Chapitre V

 

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Les descendant de Noé se répandent par toute la terre.

1[107]. A partir de ce moment, ils se dispersent par suite de la diversité des langues[108] et fondent des colonies

de toutes parts : chacun prenait le pays qui s'offrait à lui et où Dieu le conduisait[109], de sorte que tous les

continents furent peuplés, tant à l'intérieur des terres qu'au bord de la mer ; il en est même qui traversèrent la mer sur des vaisseaux pour peupler les îles. Quelques-unes parmi les nations conservent encore les noms qui leur viennent de leurs fondateurs, d'autres les ont changés, d'autres encore les ont modulés pour les faire mieux entendre de ceux qui venaient s'établir chez eux. Ce sont les Grecs qui ont été les auteurs de ces changements. Devenus les maîtres à des époques ultérieures, ils ont voulu s'approprier même les gloires du passé, décorant les nations de noms qui leur fussent intelligibles et leur imposant leurs formes de gouvernement, comme si ces nations étaient issues d'eux-mêmes.

Chapitre VI

Chaque race reçoit son nom d’après son fondateur.

1. Peuples issus de Japheth. - 2. Peuples issus de Cham. - 3 Malédiction de Cham. - 4. Peuples issus de Sem. - 5. Origine des Hébreux.

1[110]. Les enfants de Noé[111] eurent des fils qu'on honora en donnant leurs noms aux pays[112] où l'on

venait s'établir. Japheth, fils de Noé, eut sept fils ; ils commencèrent à habiter depuis les monts Tauros et Amanos et s'avancèrent en Asie jusqu'au fleuve Tanaïs et en Europe jusqu'à Gadeïra (Cadix), occupant le territoire qu'ils rencontraient et où personne ne les avait

précédés ; ils donnèrent leurs noms à ces contrées. Ceux que les Grecs appellent aujourd'hui Gaulois, on les nomma Gomariens, parce qu'ils avaient été fondés par Gomar(ès)[113]. Magog(ès) fonda les Magogiens, appelés

ainsi de son nom, et que les Grecs nomment Scythes. Deux autres fils de Japheth, Javan(ès) et Mados[114],

 

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donnèrent naissance, celui-ci aux Madéens, - les Mèdes selon les Grecs, - celui-là à l'Ionie et à tous les Grecs. Thobel(os) fonde les Thobéliens, qu'on appelle aujourd'hui Ibères. Les Mosochènes, fondés par Mosoch(os)[115], s'appellent aujourd'hui Cappadociens ;

de leur ancienne dénomination un vestige subsiste : ils ont encore une ville du nom de Mazaca, ce qui indique, pour qui comprend, que tel était autrefois le nom de tout le peuple. Thiras[116] donna son nom aux Thiriens, qu'il

gouvernait ; les Grecs en ont fait les Thraces. Telles sont les nations fondées par les fils de Japheth. Gomar(ès) eut trois fils : Aschanaz(os) fonda les Aschanaziens, que les Grecs aujourd'hui appellent Réginiens (?) ; Riphath(ès) les Riphathéens, aujourd'hui

Paphlagoniens ; Thorgam(ès)[117], les Thorgaméens,

qu'il plut aux Grecs d'appeler Phrygiens. Javan, fils de Japheth, eut aussi trois fils : Élisas donna son nom aux Eliséens, qu'il gouvernait, - ils s'appellent aujourd'hui Eoliens ; Tharsos[118] aux Tharsiens ; c'était le nom

antique de la Cilicie : la preuve en est que la plus importante de ses villes, qui en est la capitale, s'appelle Tarse, par le changement du Th en T. Chéthim(os)[119]

eut l'île de Chéthima, aujourd'hui Cypre ; de là le nom de Chéthim donné par les hébreux à toutes les îles et à la plupart des contrées maritimes ; j’invoque en témoignage l’une des villes de Cypre qui a réussi à garder cette appellation ; ceux qui l'ont hellénisée l'ont appelée

Kition, ce qui diffère à peine du nom de Chetim[120].

Telles sont les contrées possédées par les fils et les petits-fils de Japhet. Une chose que les Grecs ignorent sans doute et que j’ajoute avant de reprendre mon récit où je l'ai laissé, c'est que ces noms sont arrangés à la façon des Grecs, pour l'agrément de mes lecteurs ; dans notre pays, ils n’ont pas cette forme-là : leur structure et leur terminaison reste toujours semblable à elle-même ; ainsi Nôchos se dit Noé[121], et le nom conserve la même

terminaison à tous les cas.

2. Les enfants de Cham occupèrent les pays qui s'étendent depuis la Syrie et les monts Amanos et Liban jusqu'à la mer (Méditerranée) d'une part, et jusqu'à l'Océan de l'astre. Les noms de quelques-uns de ces pays

 

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se sont perdus tout à fait ; d'autres, altérés ou changés en d'autres noms sont méconnaissables ; peu se sont gardés intégralement. Des quatre fils de Cham, l'un, Chous(os), a vu son nom épargné par les siècles : les Éthiopiens, ses sujets, s'appellent eux-mêmes encore aujourd'hui et sont appelés par tout le monde en Asie Chouséens. Les Mestréens, eux aussi, ont vu leur nom demeurer, car nous appelons tous, dans ces pays, l'Égypte Mestré et les Égyptiens Mestréens. Phout(ès)F122] fonda la Libye et nomma de son nom les

habitants Phoutiens. Il y a même un fleuve dans le pays des Maures qui a ce nom : plusieurs historiens grecs en font mention, ainsi que du pays qu'il baigne, la Phouté. Mais ce pays a changé de nom ; celui qu'il a aujourd'hui vient d'un des fils de MestraïmF123], LibysF124] ; je dirai

prochainement pourquoi on en est venu à l'appeler aussi Afrique. Chanaan(os)F125], quatrième fils de Cham,

s'établit dans le pays qui est aujourd'hui la Judée ; il l'appela de son nom Chananée. Ces fils de Cham eurent des fils à leur tour. Chous en eut six : Sabas donna naissance aux Sabéens, Évilas aux Éviléens, les Gétules d'aujourd'hui ; Sabath(ès)F126] aux Sabathéniens, que

les Grecs appellent Astabariens ; SabacathasF127] aux Sabacathéniens ; RegmosF128] fonda les Regméens ; il eut deux fils : Joudad(as)F129] qui fonda les Joudadéens,

peuple de l'Éthiopie occidentale, auxquels il donna son nom ; Sabéos les Sabéens. Nemrod, fils de Chous, resta parmi les Babyloniens, dont il fut le tyran, comme je l'ai déjà indiqué antérieurement. Mestraïm eut huit fils, qui occupèrent tous les pays qui s'étendent depuis Gaza jusqu'à l'Égypte; Phylistin(os) est le seul dont le pays ait conservé le nom ; les Grecs appellent, en effet, Palestine la part qui lui échut. Quant aux autres, Loudiim(os), Enémétiim(os) et Labiim(os)F130], qui seul s'établit en

Libye et donna ainsi son nom à la contrée, Nédem(os)F131], Phéthrosim(os)F132], Chesloïm(os) et

Chephthorim(os)F133], on ne sait rien d'eux, hormis

leurs noms ; car la guerre éthiopienne dont nous parlerons plus tardF134] a ruiné leurs villes, Chanaan

eut aussi des fils : Sidon, qui bâtit en Phénicie une ville, à laquelle il donna son nom et que les Grecs encore aujourd'hui nomment Sidon ; AmathousF135], qui bâtit

 

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Amathous, que ses habitants appellent encore aujourd'hui Amathe (Hamath) ; les Macédoniens l'ont appelée Épiphanie du nom d'un des épigones. Aroudaios eut l'île d'Arados[136] ; Arucéos[137] habitait Arcé dans

le Liban. Des sept autres, Evéos, Chetlaios[138],

Jebouséos, Amorréos, Gergéséos, signés dans les Saintes Écritures : les hébreux détruisirent leurs villes, et voici la raison de leurs malheurs.

3[139]. Après le déluge, la terre étant revenue à sa

nature primitive, Noé se mit à l’œuvre et y planta la vigne. Quand les fruits parvinrent à maturité, il les vendangea au moment opportun ; le vin étant prêt, il fit un sacrifice et se livra à de grands festins. Ivre, il s’endort et reste étendu dans un état de nudité indécente. Le plus jeune de ses fils l'aperçoit et le montre en raillant à ses frères ; ceux-ci enveloppent leur père d'une couverture. Noé, ayant appris ce qui s'était passé, fait des promesses de bonheur à ses deux fils aînés ; quant à Cham, à cause de sa parenté avec lui il ne le maudit pas, mais il maudit ses descendants. La plupart des fils de Cham échappèrent cependant à cette malédiction ; seuls les fils de Chanaan furent atteints par Dieu. C'est de quoi je parlerai par la suite.

4[140]. Sem, le troisième fils de Noé, eut cinq fils, qui

habitèrent l'Asie jusqu'à l'océan Indien, en commençant à partir de l'Euphrate. Élam(os) eut pour descendants les Élaméens, ancêtres des Perses. Assour(as) fonde la ville de Ninos et donne son nom a son peuple, les Assyriens, qui eurent une fortune exceptionnelle. Arphaxad(ès) nomma ses sujets Arphaxadéens ; ce sont les Chaldéens d'aujourd'hui. Aram(os) fut le chef des Araméens, que les Grecs appellent Syriens ; ceux qu'ils appellent aujourd'hui Lydiens étaient autrefois les Loudiens, fondés par Loud(as)[141]. Des quatre fils

d'Aram(os), l'une Ous(os), fonde la Trachonitide et Damas, située entre la Palestine et la Cœlé-Syrie. Oul(os) fonde l'Arménie, Gather(os) les Bactriens, Mésas[142] les

Mésanéens; leur ville s'appelle aujourd'hui Spasinou Charax. Arphaxadès fut père de Salès[143] et celui-ci

d'Hébér(os). D'après son nom, les Judéens étaient appelé

 

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Hébreux dans le principe. Hébér fut père de Jouctas et de Phaléc(os), qui fut appelé ainsi parce qu'il naquit lors du partage des territoires : phalec, Hébreu, veut dire partage. Ce Jouctas, fils d'Hébér, eut pour fils Elmôdad(os), Saléph(os), Azermôth(ès)F144], IraêsF145],

Adôram(os), Aizèl(os), Déclas, Ebal(os)F146], Abimaë(los),

Sabeus, Ophairès, Evilalès, Jôbab(os). Ceux-ci, à partir du fleuve Côphen, habitent quelques parties de l'Inde et de la Sérique, qui y confine.

Voilà ce qu'on peut rapporter des enfants de Sem.

5F147]. Je vais maintenant parler des Hébreux. Phalec, fils d'Hébér, eut pour fils Ragav(os)F148] ; de Ragav

naquit Séroug(os), de Séroug Nachôr(ès), de Nachôr

TharrosF149] ; celui-ci devint père d'Abram

(Abramos)F150], qui est le dixième à partir de Noé et qui naquit 992 ansF151] après le déluge. Tharros fut père

d'Abram à 70 ans ; Nachôr avait 120 ans quand il engendra Tharros et Séroug, 132 quand il eut Nachôr ; Ragav engendra Séroug à 130 ans ; Phalec avait le même âge quand il eut Ragav ; Hébér, à l'âge de 434 ans, engendra Phalec ; il était né lui-même de Salès quand celui-ci avait 130 ans. Salès naquit d'Arphaxad quand celui-ci était âgé de 135 ans; Arphaxad était fils de Sem et était né 12 ans après le délugeF152].

Abram eut des frères, Nachôr(ès) et Aran(ès). Aran laissa un fils, Lôt(os), et des filles, SarraF153] et Melcha ; il

mourut en Chaldée dans la ville d'Our dite des ChaldéensF154] ; on montre encore son sépulcre

aujourd'hui. Nachôr épousa sa nièce Melcha, Abram sa nièce SarraF155]. Tharros ayant conçu de l'aversion pour

la Chaldée à cause de la mort d'Aran, ils vont tous s'établir à Charran en Mésopotamie ; Tharros y meurt ; on l'y enterre ; il avait vécu 205 ans. La durée de la vie des hommes se raccourcissait déjà ; elle diminua jusqu'à la naissance de Moïse, avec lequel la limite de l'existence fut fixée par Dieu à 120 ans ; c'est précisément l'âge que vécut MoïseF156], NachôrF157] eut huit fils de Melcha,

Oux(os), Baoux(os)F158], Mathouël(os)F159], Chazam(os)F160], Azav(os), Iadelphas, IadaphasF161],

 

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Bathouël(os) : ce sont les fils légitimes de Nachôr. Tabéos[162], Gadam(os), Taavos et Machas[163] lui

naquirent de sa concubine Rouma. Bathouël, un des fils légitimes de Nachôr, eut une fille, Rébecca, et un fils, Laban(os).

Chapitre VII

Comment Abram, notre ancêtre, sorti du pays des Chaldéens, occupa le pays qui s’appelait alors le Chananée, aujourd’hui la Judée.

1. Sagesse d'Abraham ; il s'établit en Canaan - 2. Témoignages païens sur Abraham.

1[164]. Abram, n'ayant pas d'enfant légitime, adopte Lôt, fils d'Aran[165] son frère et frère de sa femme Sarra ; il

quitte la Chaldée à l'âge de soixante-quinze ans ; Dieu lui ayant enjoint de se rendre en Chananée, il s'établit là et laissa le pays à ses descendants. Ce fut un homme d'une vive intelligence dans toutes les matières, sachant persuader ceux qui l'écoutaient et infaillible dans ses conjectures. Ces qualités exaltèrent son sentiment de supériorité morale et il entreprit de renouveler et de réformer les idées qu’on avait alors communément au sujet de la divinité. Le premier il osa montrer que Dieu, créateur de l'univers, est un ; quant à tous les autres êtres, tout ce qui de leur part vient contribuer à notre prospérité, ils l'accomplissent en vertu des décrets divins, et nullement en vertu d'une puissance propre. Ces conceptions lui sont inspirées par les révolutions de la terre et de la mer, par le cours du soleil et de la lune et tous les phénomènes célestes si tous ces corps avaient une puissance propre, ils sauraient pourvoir eux-mêmes à leur bon ordre ; que si cette puissance leur fait défaut, il apparaît que tous les avantages que ces corps nous procurent, ils n'ont pas en eux-mêmes la force de les produire, mais qu'ils n'agissent que par les ordres souverains d'un maître, auquel seul il convient d'adresser nos hommages et nos actions de grâce.

Ce furent ces idées précisément qui soulevèrent contre

 

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lui les Chaldéens et les autres peuples de la Mésopotamie ; il crut donc bon d'émigrer[166] et, avec la

volonté et l'appui de Dieu, il occupa le pays de Chananée[167]. Établi là, il bâtit un autel et offrit un

sacrifice à Dieu.

2. Bérose fait mention de notre ancêtre Abram sans le nommer ; il en parle en ces termes : « Après le déluge, dans la dixième génération, il y eut chez les Chaldéens un homme juste, illustre et versé dans la connaissance des choses célestes[168] ». Hécatée, lui, fait plus que de

le mentionner : il a laissé tout un livre, composé sur lui[169]. Nicolas de Damas, dans le quatrième livre de

ses Histoires, s'exprime ainsi : « Abram(ès) régna à Damas ; il était venu en conquérant avec une armée de la contrée située au-dessus de Babylone, appelée Chaldée. Peu de temps après, il quitta également cette contrée avec tout son peuple et se fixa dans la Judée d'aujourd'hui, qu'on appelait alors Chananée : c'est là qu'il habita ainsi que ses descendants qui s'y multiplièrent et dont je raconterai l'histoire ailleurs. Le nom d'Abram est encore célébré aujourd'hui dans la Damascène ; on y montre un village qui s'appelle en souvenir de lui demeure d'Abram[170] ».

Chapitre VIII

Une famine sévissant en Chananée, Abram part en Égypte, et, y ayant séjourné quelque temps, retourne dans son pays.

1. - Abraham en Égypte. - 2. Il communique sa science aux Égyptiens. - 3. Son partage avec Lôt.

1[171]. Quelque temps plus tard, une famine sévissant

en Chananée, Abram, informé de la prospérité des Égyptiens, eut envie de se rendre chez eux pour profiter de leur abondance et pour entendre ce que leurs prêtres disaient des dieux ; s'il trouvait leur doctrine meilleure que la sienne, il s'y conformerait ; au contraire, il corrigerait leurs idées, si les siennes valaient mieux. Comme il emmenait Sarra et qu'il craignait la frénésie

 

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dont les Égyptiens font preuve à l'égard des femmes, pour empêcher que le roi ne le fit périr à cause de la beauté de son épouse, il imagina l'artifice suivant il feignit d'être son frère et, disant que leur intérêt l'exigeait, lui apprit à jouer son rôle. Quand ils arrivèrent en Égypte, tout se passa pour Abram comme il l'avait prévu ; la beauté de sa femme fut partout vantée ; aussi Pharaôthès[172], roi des Égyptiens, ne se contenta pas

de l'entendre célébrer ; il désira vivement la voir et fut sur le point de s'emparer d'elle. Mais Dieu fait obstacle à cette passion coupable par une peste et des troubles politiques. Comme il sacrifiait pour savoir le remède à employer, les prêtres lui déclarèrent[173] que celte

calamité était l'effet de la colère divine, parce qu'il avait voulu faire violence à la femme de son hôte. Terrifié, il demanda à Sarra qui elle était et qui l'accompagnait. Il apprit la vérité et alla s'excuser auprès d'Abram : c'est dans la supposition qu'elle était sa sœur et non sa femme qu'il s'était occupé d'elle ; il avait voulu contracter une alliance avec lui et non pas lui faire injure dans l'emportement de la passion. Puis il lui donne de grandes richesses et le fait entrer en relation avec les plus savants d'entre les Égyptiens ; sa vertu et sa réputation trouvèrent là une occasion de briller davantage.

2. En effet, comme les Égyptiens avaient différentes manières de vivre et se moquaient mutuellement de leurs propres usages, de sorte que leurs rapports étaient fort tendus, Abram s'entretenant avec chacun d'eux et examinant les arguments qu'ils faisaient valoir en faveur de leurs opinions particulières, leur en montra clairement l'inanité et le manque absolu de fondement. Très admiré par eux dans leurs réunions comme un homme extrêmement intelligent et fort habile non seulement à concevoir, mais aussi à con-vaincre ceux qu'il tentait d'instruire, il leur fait connaître l'arithmétique et leur transmet ses notions en astronomie[174], car avant l’arrivée d’Abram, les

Égyptiens étaient dans l’ignorance de ces sciences : elles passèrent donc des Chaldéens à l’Égypte, pour parvenir jusqu’aux Hellènes.

 

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3F175]. Revenu en Chananée, il partage le pays avec Lôt,

car leurs bergers se querellaient à propos de terrains de pâture, mais il laissa choisir Lôt à son gré. Ayant pris la vallée que l’autre lui abandonne, il vient habiter la ville de Nabrô (Hébron) : elle est plus ancienne de sept ans que Tanis en Égypte. Quant à Lôt, il occupait le pays vers la plaine et le fleuve Jourdain, non loin de la ville des Sodomites, alors florissante, aujourd’hui anéantie par la volonté divine ; j’en indiquerai la raison en son lieu.

Chapitre IX

Défaite des Sodomites, attaqués par las Assyriens.

Guerres des Sodomites et des Assyriens ; Lôt prisonnierF176].

A cette époque où les Assyriens étaient maîtres de l’Asie, les Sodomites se trouvaient dans une situation florissante ; leurs richesses étaient considérablesF177],

et leur jeunesse nombreuse ; des rois, au nombre de cinq, gouvernaient le pays : Balac(os)F178], BaléasF179],

Synabar(ès)F180], Symobor(os)F181] et le roi BalènônF182] ; chacun avait sa part de royaume à

gouverner. Les Assyriens marchèrent contre eux et, divisant leur armée en quatre corps, les assiégèrent ; un chef était placé à la tête de chacun de ces corps. Un combat a lieu, les Assyriens vainqueurs imposent tribut aux rois des Sodomites. Pendant douze ans ils restèrent soumis et payèrent patiemment les tributs qu'on leur imposa, mais, la treizième année, ils se soulevèrent ; une armée d'Assyriens marcha contre eux sous les ordres d’AmarapsidèsF183], d'Arioucb(os), de

Chodolamôr(os)F184] et de Thadal(os)F185]. Ceux-ci

ravagèrent toute la Syrie et domptèrent les descendants des Géants ; arrivés dans le pays de Sodome, ils campent dans la vallée appelée les Puits de BitumeF186].

A cette époque-là, en effet, il y avait des puits dans cet endroit ; maintenant que la ville des Sodomites a disparu, cette vallée est devenue le lac Asphaltite ; quant

 

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à ce lac, nous aurons bientôt à en reparler. Les Sodomites en vinrent donc aux mains avec les Assyriens et le combat fut acharné : beaucoup périrent, le reste fut fait prisonnier : on emmena, entre autres, Lôt qui était venu combattre en allié des Sodomites.

Chapitre X

Abram, ayant marché contre les Assyriens, les défait, délivre les prisonniers sodomites et reprend le butin que l’ennemi avait emporté.

  1. Victoire d'Abraham sur les Assyriens. - 2. Rencontre avec Melchisédech. -3. Promesses de Dieu à Abraham. - 4. Agar et Ismaël. - 5. Naissance d'Isaac. La circoncision.

1[187]. Abram, à la nouvelle de leur défaite, éprouva de

la crainte pour Lôt, son parent, et de la pitié pour les Sodomites, ses amis et ses voisins. Avant résolu de leur porter secours, sans différer, il se met en route, atteint la cinquième nuit les Assyriens près de Dan(os) (tel est le nom d’une des deux sources du Jourdain), les surprend avant qu'ils se mettent en armes ; ceux qui se trouvaient au lit, il les tue sans qu’ils se rendent compte de ce qui se passe ; et ceux qui ne s'étaient pas encore livrés au sommeil[188], mais que l'ivresse rendait incapables de

combattre, prennent la fuite. Abram les poursuit, les serre de près jusqu'au jour suivant, où il les refoule dans Ob, du pays des Damascéniens ; ce succès fit voir que la victoire ne dépend pas du nombre ni de la multitude des bras, mais que l'ardeur résolue des combattants et leur valeur à raison du nombre, puisque c'est avec trois cent dix-huit de ses serviteurs et trois amis qu'Abram vint à bout d'une si grande armée. Tous ceux qui purent s'échapper s'en retournèrent sans gloire.

  1. Abram, ayant délivré les captifs Sodomites qui avaient été pris par les Assyriens, ainsi que son parent Lôt, s'en revint en paix. Le roi des Sodomites vint à sa rencontre dans l’endroit qu'on appelle Plaine royale. Là, le roi de Solyme, Melchisédech(ès), le reçoit ; ce nom signifie roi juste[189] ; il était, en effet, réputé tel partout : c'est

 

Zone de Texte: 4F193]. Abram habitait près du chêne appelé OgygéF194], - c'est un endroit de la Chananée, non loin de la ville desFlavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

même pour cette raison qu'il devint prêtre de Dieu ; quant à cette Solyma, elle s’appela ultérieurement HiérosolymaF190] (Jérusalem). Ce Melchisédech traita

avec hospitalité l'armée d'Abram, pourvut avec abondance à tous leurs besoins et, au milieu du festin, se mit à faire l'éloge d'Abram et à rendre grâce à Dieu d'avoir livré les ennemis entre ses mains. Abram lui offrit la dîme du butin, et il accepta ce cadeau. Quant au roi des Sodomites, il consentit à ce qu'Abram emportât le butin ; mais il désirait emmener ceux de ses sujets qu'Abram avait sauvés des mains des Assyriens. Abram lui dit qu'il n'en ferait rien et qu'il n'emporterait d'autre avantage ce butin que les provisions de bouche nécessaires à ses serviteurs ; cependant il offrit une part à ses amis qui avaient combattu avec lui : ils s'appelaient, le premier, Eschôl(ès), les autres, Ennèr(os)F191] et Mambrès.

3. Dieu loua sa vertu : « Tu ne perdras pas, dit-il, la récompense que tu mérites pour ces belles actions ». Et comme il demandait quel serait le bienfait d'une telle récompense, s'il n'y avait personne pour la recueillir après lui (car il était encore sans enfant), Dieu lui annonce qu'un fils lui naîtra dont la postérité sera si grande que l'on en comparera le nombre à celui des étoiles. Après avoir entendu ces paroles, Abram offre un sacrifice à Dieu sur son ordre. Voici comment ce sacrifice eut lieu : il se composait d'une génisse de trois ans, d'une chèvre de trois ans et d’un bélier du même âge, d'une tourterelle et d'une colombe ; Abram reçut l'ordre de les diviser en morceaux, sauf les oiseaux qu'il ne divisa pas. EnsuiteF192], avant l'érection de l'autel,

comme les oiseaux tournoyaient, attirés par le sang, une voix divine se fit entendre, annonçant que ses descendants auraient de méchants voisins pendant quatre cents ans en Egypte, qu'après y avoir souffert extrêmement, ils triompheraient de leurs ennemis, vaincraient à la guerre les Chananéens et prendraient possession de leur pays et de leurs villes.

 

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Hébroniens -. Affligé de la stérilité de sa femme, il supplie Dieu de lui accorder la naissance d'un enfant mâle. Dieu l'engage à se rassurer ; c'est pour son bonheur en toute chose qu'il lui a fait quitter la Mésopotamie et, de plus, des enfants lui viendront. Sarra, sur l'ordre de Dieu, lui donne alors pour concubine une de ses servantes, nommée Agar(é), de race égyptienne, afin qu'il en ait des enfants. Devenue enceinte, cette servante osa prendre des airs d'insolence envers Sarra, faisant la reine parce que le pouvoir devait être attribué au rejeton qui naîtrait d'elle. Abram l'ayant remise à Sarra pour la châtier, elle résolut de s'enfuir, incapable d'endurer ses humiliations et pria Dieu de la prendre en pitié. Tandis qu'elle va à travers le désert, un envoyé divin vient à sa rencontre, l'exhorte à retourner chez ses maîtres sa condition sera meilleure, Si elle fait preuve de sagesse, car présentement, c'était son ingratitude et sa présomption à l'égard de sa maîtresse qui l'avaient conduite à ces malheurs. Si elle désobéissait à Dieu en poursuivant son chemin, elle périrait ; mais si elle rebroussait chemin, elle deviendrait mère d'un enfant, futur roi de ce pays. Ces raisons la convainquent, elle rentre chez ses maîtres, et obtient son pardon ; elle met au monde, peu après, Ismaël(os) : ce nom peut se rendre exaucé par Dieu, à cause de la faveur avec laquelle Dieu avait écouté sa prière.

5[195]. Abram avait atteint sa quatre-vingt-sixième

année, quand ce premier fils lui naquit ; quand il eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut pour lui annoncer qu'il aurait également un fils de Sarra ; il lui ordonne de l'appeler Isac(os), lui révèle que de grands peuples et des rois sortiront de lui, qu’après des guerres, ils occuperont la Chananée tout entière depuis Sidon jusqu'à l'Egypte. Il lui prescrivit aussi, pour que sa race ne se mêle pas avec les autres[196] de pratiquer la

circoncision et cela, le huitième jour après la naissance. Quant à la raison de notre pratique de la circoncision, je l'indiquerai ailleurs[197]. Comme Abram s'informait

aussi d'Ismaël, demandant s'il vivrait, Dieu lui fit savoir qu'il deviendrait très âgé et serait le père de grandes nations. Abram en rendit grâce à Dieu et se circoncit aussitôt, ainsi que tous les siens et aussi son fils Ismaël,

 

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qui eut ce jour-là treize ans, tandis que lui-même accomplissait sa quatre-vingt-dix-neuvième année.

Chapitre XI

Comment Dieu anéantit la race des Sodomites, dont les péchés avaient excité sa colère.

1. Impiété des Sodomites. - 2. Abraham et les anges. - 3. Les anges à Sodome. – 4. Destruction de Sodome. - 5. Lôt et ses fils, Moab et Ammon.

1. A la même époque, les Sodomites, tout fiers de leur nombre et de l'étendue de leurs richesses, se montraient arrogants envers les hommes et impies à l'égard de la divinité[198], si bien qu'ils ne se souvenaient plus des

bienfaits qu'ils en avaient reçus ; ils haïssaient les étrangers[199] et fuyaient toute relation avec autrui.

Irrité de cette conduite[200] Dieu décida de châtier leur

insolence, de détruire leur ville et d'anéantir le pays au point qu'aucune plante, aucun fruit n'en pût naître désormais.

2[201]. Après que Dieu eut rendu ce jugement contre les

Sodomites, Abram, étant assis auprès du chêne de Mambré, devant la porte de sa cour, aperçut un jour trois anges : s'imaginant que c'étaient des étrangers, il se leva, les salua, et les invita à entrer chez lui pour jouir de son hospitalité. Ceux-ci acceptèrent, et il fit préparer sur-le-champ du pain de fleur de farine ; il immola un veau, qu'il fit rôtir et porter à ses hôtes, attablés sous le chêne ; ceux-ci lui donnèrent à croire qu'ils mangeaient[202]. Ils s'informèrent aussi de sa femme et

demandèrent où était Sarra ; comme il leur dit qu'elle était dans la maison, ils assurèrent qu'ils reviendraient un jour et la trouveraient mère. La femme sourit à ces mots[203] et se dit impropre à la maternité puisqu'elle

avait quatre-vingt-dix ans et son mari cent ; alors ils cessèrent de dissimuler et révélèrent qu'ils étaient des messagers de Dieu, que l'un d'entre eux était envoyé pour annoncer l'enfant et les deux autres[204] pour

anéantir les Sodomites.

 

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3. A cette nouvelle, Abram plaignit les Sodomites ; il se leva et fit une prière à Dieu, le suppliant de ne point faire périr les justes et les bons avec les méchants. Dieu lui répondit qu'aucun Sodomite n'était bon, que, s'il s'en trouvait dix, il remettrait à tous le châtiment de leurs crimes. Là-dessus, Abram se tut. Les anges[205]

arrivèrent dans la ville des Sodomites, et Lôt leur offrit l'hospitalité, car il était fort bienveillant pour les étrangers et avait pris pour exemple la bonté d'Abram[206]. Les Sodomites, ayant aperçu ces jeunes

hommes d'une remarquable beauté que Lôt avait fait descendre chez lui, complotèrent de faire violence à leur jeunesse. Lôt les conjure de se contenir, de ne point déshonorer leurs hôtes, mais de respecter leur séjour chez lui ; s'ils ne pouvaient maîtriser leur passion, il leur livrerait plutôt ses propres filles, disait-il, pour racheter ces jeunes gens ; mais cela même ne les fit pas céder.

4[207]. Dieu, indigné de leur audace, aveugla les

criminels de manière qu'ils ne purent trouver l'entrée de la demeure de Lôt, et il décida la perte de tout le peuple des Sodomites, Lôt, à qui Dieu annonce la ruine prochaine des Sodomites, part en emmenant sa femme et ses deux filles, qui étaient vierges ; quant à leurs prétendants, ils se moquaient de ce départ et traitaient de niaiserie ce que Lôt leur disait. Alors Dieu lance ses traits sur la ville et la brûle avec ses habitants, anéantissant tout le pays dans un même embrasement, comme je l'ai rapporté antérieurement dans mon récit de la guerre judaïque[208]. La femme de Lôt, pendant la

fuite, ne cessant de se retourner vers la ville et de regarder indiscrètement ce qui s'y passait malgré la défense expresse de Dieu, fut changée en une colonne de sel ; j'ai vu cette colonne qui subsiste encore aujourd'hui[209]. Lôt s'enfuit seul avec ses filles et va

occuper un petit endroit resté intact au milieu des ravages du feu ; il porte encore le nom de Zoôr[210] : les

hébreux appellent ainsi ce qui est petit. Il y vécut misérablement par suite de l'absence d'habitants et du manque de ressources.

 

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5F211]. Ses filles, croyant que tout le genre humain avait

péri, s'unissent à leur père en prenant garde de ne pas se laisser voir ; elles agissaient ainsi, afin que la race ne s'éteignit pas. Des enfants leur naissent : l'aînée eut Môab(os), qu'on pourrait traduire du pèreF212]. La

seconde met au monde Amman(os) ; ce mot signifie fils de la raceF213]. Le premier fonde les Moabites, qui

forment aujourd'hui encore une très grande nation ; le second, les Ammanites. Ces deux peuples appartiennent à la Cœlé-Syrie. Telles furent les circonstances dans lesquelles Lôt se sépara des Sodomites.

Chapitre XII

D’Ismaël, fils d’Abram, et de ses descendants, les Arabes

1. Abraham chez Abimélech - 2. Naissance et circoncision d'Isaac. - 3. Expulsion d'Agar. - 4. Prospérité d'Ismaël.

1F214]. Abram émigra à Gérare en Palestine,

accompagné de Sarra, qu'il faisait passer pour sa sœur ; c'était le même subterfuge que naguère, inspiré par la crainte, car il redoutait Abimélech, roi de ce territoire, qui, lui aussi, épris de Sarra, était capable de violence. Mais sa passion fut dérangée par une grave maladie dont Dieu l'accabla ; déjà les médecins désespéraient de lui, quand il eut un songe et vit qu’il ne devait pas outrager la femme de son hôte ; se sentant mieux, il déclare à ses amis que Dieu lui inflige cette maladie pour défendre les droits de son hôte et garder la femme de celui-ci à l'abri de toute violence (car ce n'était pas sa sœur qu’il avait emmenée, mais sa femme légitime), et que Dieu lui

promet          dorénavant sa clémence, si Abram est
rassuré au sujet de sa femme. Cela dit, il mande Abram, sur le conseil de ses amis, et l'exhorte à ne plus craindre pour sa femme aucune tentative déshonnête, car Dieu prenait souci de lui et, conformément à l'alliance qu'il avait conclue, il la lui rendrait inviolée. Prenant à témoin Dieu et la conscience de Sarra, il déclara qu'il ne l'aurait même pas recherchée au début s'il l'avait sue mariée ; croyant prendre la sœur d'Abram, il n'avait point mal

 

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agi. Il le prie, en outre, de lui montrer de la bienveillance et de lui concilier la faveur divine : s'il désirait demeurer chez lui, il lui fournirait tout en abondance ; s'il préférait partir, il lui accorderait une escorte et tout ce qu'il était venu chercher chez lui. A ces mots, Abram répond qu'il n'a pas menti en alléguant sa parenté avec sa femme, car elle était l'enfant de son frère, et, sans le subterfuge dont il avait usé, il aurait cru manquer de sécurité durant son voyage. Il n'était pas responsable de la maladie du roi, il souhaitait ardemment sa guérison et se déclarait prêt à demeurer chez lui. AlorsF215]

Abimélech lui attribue une part de son pays et de ses richesses ; ils conviennent ensemble de gouverner loyalement et prêtent serment au-dessus d'un puits qu'ils nomment BersoubaiF216], c'est-à-dire le puits du

serment : c'est encore le nom que lui donnent aujourd'hui les habitants.

2F217]. Abram, peu de temps après, eut également un

fils de Sarra, ainsi qu'il lui avait été annoncé par Dieu ; il l'appela IsacF218], ce qui signifie rire ; il lui donna ce

nom parce que Sarra avait souri quand Dieu lui eut dit qu'elle enfanterait, elle qui ne s'attendait pas à devenir enceinte à son âge ; elle avait, en effet, quatre-vingt-dix ans et Abram cent. Leur enfant naît donc l'année après (la prédiction des anges)F219] ; on le circoncit le huitième

jour. De là vient la coutume pour les Hébreux de pratiquer la circoncision après huit jours ; les Arabes attendent la treizième année, car Ismaël leur ancêtre, qui naquit d'Abram par la concubine, fut circoncis à cet âge : je vais présenter à son sujet les détails les plus précis.

3. Sarra, au début, chérissait cet Ismaël, né de sa servante Agar, avec toute la tendresse qu'elle eût témoignée à son propre fils ; on l'élevait, en effet, pour succéder au commandement ; mais quand elle eut mis au monde Isac, elle ne crut pas devoir élever avec lui Ismaël, qui était l'aîné et pouvait lui nuire après que leur père serait mort. Elle persuade donc à Abram de l'envoyer s'établir ailleurs avec sa mère. Mais lui, dans le principe, ne donnait pas son adhésion aux projets de

 

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Sarra ; il estimait qu'il n'y avait rien de si inhumain que de congédier un enfant en bas âge et une femme dénuée de toutes les ressources nécessaires à la vie. Mais plus tard, - aussi bien Dieu approuvait-il les desseins de Sarra -, il cède, remet Ismaël à sa mère, car il ne pouvait encore cheminer tout seul, et la congédie, avec une outre pleine d'eau et un morceau de pain ; la nécessité lui servirait de guide. Elle s'en fut et quand le nécessaire vint à manquer, elle se trouva dans une situation cruelle ; comme l'eau s'épuisait, elle posa son enfant mourant sous un pin et, pour n'être pas là quand il rendrait l'âme, elle alla un peu plus loin. Un ange de Dieu la rencontre, lui indique une source dans le voisinage et lui recommande de veiller à la nourriture de son enfant ; car le salut d'Ismaël serait pour elle la source de grands biens. Elle reprend courage à ces promesses, et rencontre des bergers dont la sollicitude la tire de peine.

4F220]. Quand son enfant eut atteint l'âge d'homme, elle

lui fit prendre une femme de cette race égyptienne dont elle était elle-même originaire : Ismaël eut de cette femme en tout douze fils : Nabaïôth(ès), Kédar(os), Abdéel(os)F221], Massam(as)F222], Idoum(as)F223],

Masmas(os)F224], MassèsF225], Chodad(os)F226], Théman(os), Jétour(os), Naphais(os), Kedmas(os)F227].

Ceux-ci occupent tout le pays qui s'étend depuis l’Euphrate jusqu'à la mer Erythrée et qu'ils appelèrent Nabatène. Ce sont eux dont les tribus de la nation arabe ont reçu les noms en l'honneur de leurs vertus et en considération d'Abram.

Chapitre XIII

D’Isac, fils légitime d’Abram

1. Dieu ordonne à Abraham le sacrifice d'Isaac. - 2. Préparatifs du sacrifice. - 3. Discours d'Abraham. - 4. Isaac sauvé. Bénédiction de Dieu.

1F228]. Isac était aimé par-dessus tout de son père Abram, comme un fils unique qu'il avait eu sur le seuil

 

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de la vieillesse, par une faveur de Dieu. De son côté, l'enfant méritait cette tendresse et se faisait chérir de plus en plus de ses parents en pratiquant toutes les vertus, en montrant une piété filiale assidue et beaucoup de zèle dans le culte de Dieu. Abram mettait tout son bonheur à laisser un fils florissant après qu'il aurait fini de vivre. Cependant voici ce qui lui arriva par la volonté divine : comme Dieu voulait faire l'épreuve de sa piété envers lui, il lui apparut, lui énuméra tous les bienfaits dont il l'avait comblé, lui parla de la supériorité qu'il lui avait conférée sur ses ennemis, de sa félicité présente qu'il devait à la bienveillance divine et de la naissance de son fils Isac ; il lui demanda de lui offrir ce fils en sacrifice et en victime et lui ordonna de l'amener sur le mont Môrion[229] pour en faire un holocauste après

avoir élevé un autel ainsi seulement il témoignerait de sa piété envers lui, si le salut de son enfant lui importait moins que le souci d'être agréable à Dieu.

2. Abram, estimant que rien ne justifiait une désobéissance à Dieu et qu'il fallait le servir en tout, puisque c'est sa providence qui fait vivre tous ceux qu'il protège, dissimule à sa femme l'ordre de Dieu et ses propres desseins au sujet de l'immolation de son fils ; sans en rien découvrir à personne de sa maison[230],

car on eût pu l'empêcher d'obéir à Dieu, il prend Isac avec deux serviteurs, et, ayant chargé sur un âne les objets nécessaires au sacrifice, il se met en route vers la montagne. Deux jours, les serviteurs firent route avec lui ; le troisième jour, quand la montagne fut en vue, il laissa dans la plaine ses compagnons, et s'avança avec son fils seul sur la hauteur où le roi David bâtit plus tard le temple[231].

Ils portaient avec eux tout ce qu'il fallait pour le sacrifice, hormis la victime. Comme Isac, qui avait vingt-cinq ans, édifiait l'autel et demandait ce qu'on allait immoler puisqu'il n'y avait pas là de victime, Abram lui dit que Dieu y pourvoirait, car il avait le pouvoir de procurer aux hommes ce qui leur manquait et de dépouiller de leurs biens ceux qui s'en croyaient assurés : il lui donnerait donc aussi une victime, s'il

 

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devait accueillir favorablement son sacrifice.

  1. Lorsque l'autel fut prêt, qu'il y eut disposé les morceaux de bois et que tout fut dans un bel ordre, il dit à son fils : « Mon enfant, dans mille prières, j'ai demandé ta naissance à Dieu ; après que tu es venu au monde, il n'est aucune peine que je ne me sois donnée pour ton éducation, rien qui me parût plus heureux que de te voir parvenir à l'âge d'homme et te laisser en mourant

héritier de mon pouvoir. Mais, puisque c'est la volonté de Dieu qui m'a fait ton père, et qu’il lui plaît maintenant que je te perde, supporte vaillamment le sacrifice ; c'est à Dieu que je te cède, à Dieu qui a voulu avoir de moi ce témoignage de vénération en retour de la bienveillance avec laquelle il s'est montré mon appui et mon

défenseur. Puisque tu as été engendré d'une façon peu commune[232], tu vas aussi quitter la vie d'une façon

peu ordinaire ; c'est ton propre père qui t'envoie d'avance à Dieu, père de toutes choses, selon les rites du sacrifice ; il n'a pas, je crois, jugé à propos que la maladie ni la guerre, ni aucun des fléaux qui assaillent naturellement les hommes, t'enlève à la vie : c'est au milieu de prières et de cérémonies sacrées qu'il recueillera ton âme et qu'il la gardera près de lui ; tu seras pour moi un protecteur et tu prendras soin de ma vieillesse - car c'est surtout vers cette fin que je t'ai élevé - , mais au lieu de toi, c'est Dieu dont tu me procureras l'appui[233]. »

  1. Isac - d'un tel père il ne pouvait naître qu'un fils magnanime - accueille avec joie ces paroles et s'écrie qu'il ne mériterait pas même d'être venu au monde, s'il voulait s'insurger contre la décision de Dieu et de son père et ne pas se prêter docilement à leur volonté à tous deux, alors que, son père seul eût-il pris cette résolution, il eût été impie de ne point s'y soumettre ; il s'élance donc vers l'autel et la mort. Et l'acte s'accomplissait, si Dieu n’eût été là pour l'empêcher ; il appelle Abram par son nom et lui défend d'immoler son fils : ce n'était pas le désir de sang humain, lui dit-il, qui lui avait fait ordonner le meurtre de son fils et il ne l'avait pas rendu père pour le lui enlever avec cette cruauté, il ne voulait qu'éprouver ses sentiments et voir si même de pareils

 

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ordres le trouveraient docile. Sachant maintenant l'ardeur et l'élan de sa piété, il était satisfait de tout ce qu'il avait fait pour lui, et il ne cesserait jamais de veiller de toute sa sollicitude sur lui et sur sa race ; son fils atteindrait un âge avancé et, après une vie de félicité, transmettrait à une postérité vertueuse et légitime une grande puissance. Il lui prédit aussi que leur race donnerait naissance à de grandes et opulentes nations dont les chefs auraient une renommée éternelle, et qu'ayant conquis par les armes la Chananée, ils deviendraient un objet d'envie pour tous les hommes. Après avoir ainsi parlé, Dieu fit sortir d'un lieu invisible un bélier pour le sacrifice ; quant à eux, se retrouvant ensemble contre toute espérance, après avoir entendu ces magnifiques promesses, ils s'embrassèrent, et, une fois le sacrifice accompli, s'en retournèrent auprès de Sarra, et menèrent une vie heureuse, car Dieu les assistait dans toutes leurs entreprises.

Chapitre XIV

Mort et sépulture de Sara.

SarraF234], peu de temps après, meurt à l'âge de cent

vingt-sept ans. On t'enterre à Hébron ; les Chananéens offraient de lui donner la sépulture publique, mais Abram acheta la terre pour quatre cents sicles à un certain Ephraïm(os)F235] de Hébron. C'est là qu'Abram et

ses descendants bâtirent leurs tombeaux.

Chapitre XV

Prospérité d'Abraham et de Chetoura.

AbramF236] épouse plus tard Chetoura, qui lui donne six

fils d'une grande vigueur au travail et d’une vive intelligence : Zambran(ès)F237], Jazar(ès)F238],

Madan(ès), Madian(ès), Lousoubac(os)F239], SoùosF240]. Ceux-ci engendrèrent aussi des enfants : de SoùosF241] naissent Sabakan(ès)F242] et Dadan(ès)F243] et de celui-ci Latousim(os), Assouris et LouourisF244]. MadanF245]

 

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eut Ephâs, Ophrès[246], Anôch(os), Ebidâs[247], Eldâs[248]. Tous, fils et petits-fils, allèrent, à l'invitation

d'Abram, fonder des colonies ; ils s'emparent de la Troglodytide et de la partie de l'Arabie heureuse qui s'étend vers la mer Erythrée. On dit aussi que cet Ophren fit une expédition contre la Libye, s'en empara et que ses descendants s'y établirent et donnèrent son nom au pays qu'ils appelèrent Afrique. Je m'en réfère à Alexandre Polyhistor, qui s'exprime ainsi[249] :

« Cléodème le prophète, surnommé Malchos, dans son histoire des Juifs, dit, conformément au récit de Moïse, leur législateur, que Chetoura donna à Abram des fils vigoureux. Il dit aussi leurs noms ; il en nomme trois : Aphéras, Sourîm, Japhras. Sourîm donna son nom à l'Assyrie, les deux autres, Aphéras et Japhras, à la ville d'Aphra et à la terre d'Afrique. Ceux-ci auraient combattu avec Hercule contre la Libye et Antée ; et Hercule, ayant épousé la fille d'Aphra, aurait eu d'elle un fils Didôros, duquel naquit Sophôn ; c'est de lui que les Barbares tiennent le nom de Sophaques ».

Chapitre XVI

1. Abraham envoie demander la main de Rébecca pour Isaac. - 2. La scène du puits. - 3. Mariage d'Isaac.

1[250]. Quand Isac eut environ quarante ans, Abram,

ayant décidé de lui donner pour femme Rébecca, fille du fils de Nachôr[251], son frère, envoie pour la demander

en mariage le plus ancien de ses serviteurs après l'avoir lié par de solennels serments. Ces serments se font de la façon suivante : les contractants se mettent réciproquement la main sous la cuisse ; ensuite ils invoquent Dieu comme témoin de leurs actes à venir. Il envoya également aux gens de là-bas des présents que leur rareté ou l'impossibilité absolus de les avoir rendait inestimables. Ce serviteur resta longtemps en route, vu la difficulté qu'on avait à traverser la Mésopotamie, en hiver, à cause des boues profondes, en été, à cause de la sécheresse ; en outre, elle était infestée de voleurs, qu'il était difficile aux voyageurs d'éviter, quand ils n'avaient pas pris leurs précautions. Il arrive enfin à la ville de

 

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Charran et, comme il en atteignait le faubourg, il rencontre plusieurs jeunes filles qui allaient puiser de l'eau. Alors il demande à Dieu que Rébecca, celle qu'Abram l'avait envoyé demander en mariage pour son fils, s'il lui plaisait que ce mariage s'accomplit, se trouvât parmi ces jeunes filles et qu'elle se fit connaître à lui en lui donnant à boire, tandis que les autres refuseraient.

2. Au milieu de ces pensées, il arrive près du puits et il prie les jeunes filles de lui donner à boire ; celles-ci refusent, prétextant qu'elles devaient apporter l'eau à la maison et non pas la lui donner, car elle n'était pas facile à puiser ; une seule les réprimande de leur malveillance à l'égard de l'étranger : comment jamais partager la vie des hommes, quand elles ne consentaient même pas à partager un peu d'eau ? Et elle lui en offre avec bonté. Celui-ci, plein d'espérance pour toute sa mission, mais désireux de savoir la vérité, se met à vanter la jeune fille pour sa noblesse et son bon cœur, elle qui, au prix de ses propres fatigues, ne laissait pas de secourir ceux qui l'invoquaient ; il lui demande quels étaient ses parents, fait des vœux pour qu'une telle enfant leur fasse honneur et profit : « Puissent-ils la marier, dit-il, à leur gré, en la faisant entrer dans la famille d'un homme vertueux à qui elle donnera des enfants légitimes ! » La jeune fille ne lui refusa pas non plus cette satisfaction et elle lui révéla quelle était sa famille. « Rébecca, dit-elle, est mon nom ; mon père était Bathouël : il est mort[252],

mais Laban est notre frère et il dirige toute la maison avec ma mère et prend soin également de ma jeunesse ».

A ces mots, le serviteur se réjouit de cet incident et de cette conversation, preuve manifeste que Dieu l'avait secondé dans son voyage. Il présente à Rébecca un collier et de ces parures qui conviennent aux jeunes filles, les offrant en retour et en récompense de la grâce qu'elle lui avait faite de lui donner à boire : il lui dit qu'il était juste qu'elle obtînt ces présents pour s'être montrée généreuse, seule de toutes ces jeunes filles. Il lui demande aussi de le mener chez elle, la nuit lui interdisant de poursuivre sa route, et comme il avait avec lui des parures de femme d'un grand prix, il disait qu'il ne pouvait se confier à des gens plus sûrs qu'à ceux

 

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dont il jugeait d'après elle. Ce qui attestait à ses yeux les sentiments d'affabilité de sa mère et de son frère et lui faisait croire qu'ils n'éprouveraient aucune contrariété, c'étaient les qualités mêmes de la jeune fille ; d'ailleurs, il ne leur serait pas à charge, il paierait le prix de leur hospitalité et ses dépenses lui seraient personnelles. Elle lui répondit qu'à l'égard des sentiments de bienveillance de ses parents ses conjectures étaient exactes, mais elle lui reprocha de les suspecter de mesquinerie ; il aurait tout sans bourse délier ; mais elle dit qu'elle en parlerait cependant d'abord à son frère Laban et que, sur son avis favorable, elle l'emmènerait.

3. La démarche faite, elle amène l'étranger ; ses chameaux sont reçus par les serviteurs de Laban, qui en prennent soin, et lui-même s’en va manger en compagnie de Laban. Après le repas, il s'adresse à lui et à la mère de la jeune fille : « Abram est le fils de Tharros et votre parent ; car Nachôr, ô femme, le grand-père des enfants que voici, était frère d'Abram : ils avaient même père et même mère. Eh bien ! cet Abram m'envoie vers vous dans le désir de prendre cette jeune fille comme femme pour son fils : c'est son fils légitime ; il est seul élevé pour avoir tout l'héritage. Alors qu'il pouvait choisir parmi les femmes de là-bas la plus fortunée, dédaigneux d'une telle alliance, il entend faire honneur à sa race en combinant le mariage en question. Ne faites point fi de son empressement et de son choix, car c'est grâce à la volonté divine que j'ai fait toutes ces rencontres sur ma route et que j'ai trouvé cette enfant et votre demeure : en effet, lorsque je fus près de la ville, je vis plusieurs jeunes filles arriver près du puits et je souhaitai de rencontrer celle-ci, ce qui arriva. Un mariage qui se conclut ainsi sous les auspices de Dieu, ratifiez-le, et accordez la jeune fille pour honorer Abram, qui a mis tant d'empressement à m'envoyer ici ». Eux alors, comme cette proposition était avantageuse et leur agréait, pénétrèrent l'intention divine ; ils envoient donc leur fille aux conditions requises. Isac l'épouse, déjà maître de l'héritage ; car les enfants nés de Chetoura étaient partis fonder des colonies ailleurs.

 

Chapitre XVII

 

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Mort d'Abraham.

Abram[253] meurt peu après ; c'était un homme qui

avait toutes les vertus à un degré éminent, et qui fut particulièrement estimé de Dieu pour l'ardeur qu'il avait mise à le servir. Il vécut en tout cent soixante-quinze ans, et fut enterré à Hébron avec sa femme Sarra par ses fils Isac et Ismaël.

Chapitre XVIII

Naissance et éducation f’Ésaü et de Jacob, fils d’Isac.

1. Naissance d'Ésaü et de Jacob. - 2. Isaac à Gérare ; les trois puits. - 3. Réconciliation avec Abimélech. - 4. Mariages d'Ésaü. - 5. Vieillesse d'Isaac. - 6. Jacob béni par Isaac. - 7. Prédiction pour Ésaü. - 8. Ésaü épouse Basemmathé.

1[254]. Après la mort d'Abram[255], la femme d'Isac se

trouva enceinte, et, comme sa grossesse prenait d'excessives proportions, il s'inquiéta et alla consulter Dieu. Dieu lui répond[256] que Rébecca enfantera deux

fils jumeaux, que des nations porteront leurs noms et que la plus faible en apparence l'emportera sur la plus grande. Il lui naît, en effet, quelque temps après, selon la prédiction de Dieu, deux enfants jumeaux, dont l'aîné était extraordinairement velu depuis la tête jusqu'aux pieds ; le plus jeune tenait l'autre, qui le précédait, par le talon. Le père aimait l'aîné, Esaü (Esavos), appelé aussi Séîros[257], du nom dont on désigne la chevelure, car les

Hébreux appellent la chevelure séîr(os) ; Jacob (Jacôbos), le plus jeune, était particulièrement cher à sa mère.

2[258]. Comme la famine régnait dans le pays, Isac

résolut d'aller en Égypte, car cette contrée était

prospère ; il s'en fut à Gérare sur l'ordre de Dieu. Le roi Abimélech le reçoit en vertu de l'amitié et de l'hospitalité conclue avec Abram ; mais, après qu'il lui eut témoigné une entière bienveillance, l'envie l'empêcha de demeurer toujours dans ces sentiments. Voyant l'assistance que

 

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Dieu prêtait à Isac et les grandes faveurs dont il l'entourait, il le repoussa. Celui-ci s'aperçut de ce revirement dû à la jalousie d'Abimélech, et se retira alors dans un endroit appelé Pharanx[259] non loin de

Gérare ; comme il creusait un puits, des bergers tombèrent sur lui et le provoquèrent au combat pour empêcher le travail. Comme Isac ne se souciait pas de lutter avec eux, ils s'estimèrent vainqueurs. Il céda la place et creusa un autre puits, mais d'autres bergers d'Abimélech lui firent violence ; il l'abandonna également et dut sa sécurité à ce sage calcul. Ensuite, le hasard lui fournit le moyen de creuser un puits sans en être empêché : il appela ce puits Roôbôth[260], ce qui veut

dire large emplacement. Quant aux précédents, le premier s'appelle Eskos[261], c'est-à-dire combat, et le

second Syenna[262], mot qui signifie haine.

3. Il advint qu'Isac atteignit au comble de la prospérité par la grandeur de ses richesses, et, comme Abimélech croyait qu’Isac lui était hostile, car la défiance s'était mise dans leurs rapports et Isac s'était retiré dissimulant sa haine, il craignit que la primitive amitié ne servît de rien quand Isac songerait à se venger de ce qu'il avait souffert et il s'en alla renouer avec lui en emmenant un de ses généraux, Philoch(os)[263]. Ayant réussi

pleinement dans son dessein, grâce à la générosité d'Isac, qui sacrifie son ressentiment récent de l'antique entente qui avait régné entre lui et son père, il s'en retourne dans son pays.

4[264]. Quant aux enfants d'Isac, Ésaü, pour qui son

père avait une prédilection, épouse à quarante ans Ada, fille de Hélon, et Alibamé[265], fille d’Eusébéon[266],

deux souverains chananéens ; il fit ces mariages de sa propre autorité sans consulter son père ; car Isac n'y eût pas consenti s'il avait eut à donner son avis : il ne lui était pas agréable que sa famille s'unit aux indigènes. Mais il ne voulut pas se rendre odieux à son fils en lui commandant de se séparer de ses femmes et prit le parti de se taire.

5[267]. Devenu vieux, et tout à fait privé de la vue, il

 

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mande Esaü, lui parle de son âge, lui représente qu'outre ses infirmités et la privation de la vue, la vieillesse l'empêche de servir Dieu, et il lui demande d'aller à la chasse, d'y prendre ce qu'il pourrait et de lui préparer un repas, afin qu'ensuite il pût supplier Dieu de protéger son fils et de l'assister durant toute sa vie : il ajoutait qu'il ne savait pas exactement quand il mourrait, mais auparavant il voulait appeler sur lui la protection divine par des prières dites en sa faveur.

6. Ésaü s'empressa de sortir pour aller à la chasse ; mais Rébecca, qui entendait appeler sur Jacob les faveurs de Dieu, même contrairement à l'intention d'Isac, ordonne à Jacob d'égorger des chevreaux et de préparer un repas. Jacob obéit à sa mère, car il faisait tout sous son inspiration. Quand le mets fut prêt, il mit la peau d'un chevreau autour de son bras, afin de faire croire à son père, grâce à son aspect velu, qu'il était Esaü il lui ressemblait, d'ailleurs, complètement puisqu'ils étaient jumeaux, et n'avait avec lui que cette seule différence. Comme il craignait qu'avant les bénédictions la supercherie ne fût découverte et n'irritât son père au point de lui faire dire tout l'opposé, il alla lui apporter le repas. Isac, distinguant le son particulier de sa voix, appelle son fils ; mais Jacob lui tend le bras autour duquel il avait enroulé la peau de chèvre ; Isac la tâte et s'écrie : « Tu as bien la voix de Jacob, mais, à en juger par l'épaisseur du poil, tu me parais être Esaü ». Et ne soupçonnant aucune espèce de fraude, il mange et se met en devoir de prier et d'invoquer Dieu : « Maître de toute éternité, dit-il, et créateur de tout l'univers, tu as donné à mon père une profusion de biens, et moi, tout ce que j'ai présentement, tu as daigné me l'accorder, et à mes descendants tu as promis ton aide bienveillante et la faveur constante de tes plus grands bienfaits. Ces promesses, confirme-les, et ne me méprise pas pour ma débilité actuelle, qui fait que je me trouve avoir besoin de toi encore davantage ; protège moi cet enfant dans ta bonté, garde-le à l'abri de tout mal ; donne-lui une vie heureuse et la possession de tous les biens que tu as le pouvoir d'accorder, rends-le redoutable à ses ennemis, précieux et cher à ses amis ».

 

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  1. C'est ainsi qu'il invoquait Dieu, s'imaginant prononcer ces bénédictions en faveur d'Esaü. Il venait de les terminer quand Esaü arrive, au retour de la chasse. Isac, s'avisant de son erreur, demeure calme ; mais Esaü voulait obtenir de son père les mêmes bénédictions que Jacob ; comme son père refusait parce qu'il avait épuisé toutes ses prières pour Jacob, il se désolait de cette méprise. Son père, affligé de ses larmes, lui promit qu'il s'illustrerait à la chasse et par sa vigueur dans les armes et tous les exercices corporels, et que de là lui et sa race tireraient renommée à travers les siècles, mais qu'il serait asservi à son frère.
  2. Comme Jacob craignait que son frère ne voulût se venger d'avoir été trompé au sujet des bénédictions, sa mère le tire de peine. Elle persuade à son mari d'envoyer Jacob en Mésopotamie pour épouser une femme de leur famille. Déjà[268] Esaü avait pris pour nouvelle femme

la fille d'Ismaël, Basemmathé, car Isac et son entourage n'étaient pas favorables aux Chananéens : aussi les voyant hostiles à ses précédentes unions, il s'était conformé à leurs préférences et avait épousé Basemmathé, qu'il chérissait particulièrement.

Chapitre XIX

Jacob s’enfuit en Mésopotamie, par crainte de son frère ; il s’y marie, engendre douze fils et revient en Chananée.

1. Songe de Jacob. - 2. Consécration de Béthel - 3. Le puits de Charran. - 4. Rencontre avec Rachel - 5. Jacob et Laban. – 6. Servitude et mariages de Jacob. - 7. Enfants de Jacob. - 8. Fuite de Jacob et des siens. - 9. Dispute entre Jacob et Laban. - 10. Leur réconciliation.

1. Jacob est envoyé par sa mère en Mésopotamie pour y épouser la fille de Laban, son frère, mariage autorisé par Isac, qui obéissait aux intentions de sa femme. Il traversa la Chananée et, par haine pour les habitants, ne jugea à propos de descendre chez aucun d'eux ; il passait la nuit en plein air, posant sa tête sur des pierres qu'il rassemblait et voici la vision qu'il eut durant

 

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son sommeil[269]. Il lui parut qu'il voyait une échelle qui

allait de la terre au ciel et par laquelle descendaient des figures d'un caractère trop imposant pour être

humaines ; enfin, au-dessus de l'échelle, Dieu se montrait à lui en personne, l'appelait par son nom et lui tenait ce langage : « Jacob, fils d'un père vertueux, petit-fils d'un aïeul illustré par sa grande valeur, il ne faut pas succomber aux fatigues du présent, mais espérer un avenir meilleur ; de très grands biens t'attendent qui te seront prodigués en abondance par mes soins. J'ai fait venir Abram de Mésopotamie jusqu’ici, chassé qu'il était par sa famille ; j’ai exalté ton père dans la prospérité ; la part que je t'attribuerai ne sera pas inférieure. Courage donc, et poursuis ce voyage où tu m'auras pour guide ; il s'accomplira, le mariage que tu recherches, et il te naîtra des enfants vertueux qui laisseront après eux une postérité innombrable[270]. Je leur donne la domination

de ce pays à eux et à leur postérité qui rempliront tout ce que le soleil éclaire de terres et de mers. Ainsi ne crains aucun danger et ne te mets pas en peine de tes nombreuses fatigues, car c'est moi qui veillerai sur tout ce que tu feras dans le présent et bien davantage dans l'avenir ».

2. Voilà ce que Dieu prédit à Jacob ; celui-ci, tout joyeux de ces visions et de ces promesses, lave les pierres sur lesquelles il reposait au moment de l'annonce de si grands biens et fait vœu d'offrir sur elles un sacrifice, si, une fois qu'il aurait gagné sa vie, il revenait sain et sauf, et de présenter à Dieu la dîme de ce qu'il aurait acquis, s'il effectuait ainsi soit retour ; de plus, il juge cet endroit vénérable et lui donne le nom de Béthel, ce qui signifie foyer divin[271] dans la langue des Grecs.

3[272]. Continuant de s'avancer en Mésopotamie, au

bout de quelque temps, il se trouve à Charran. Il rencontre des bergers dans le faubourg ; des enfants, jeunes garçons et jeunes filles, étaient assis sur le bord d'un puits ; désireux de boire, il se mêle à eux, engage avec eux la conversation et leur demande s’ils ont connaissance d'un certain Laban et s'il vit encore. Et tous de répondre qu'ils le connaissent, car ce n'était pas

 

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un homme dont on pût ignorer l'existence, et que sa fille conduisait les troupeaux en leur compagnie et ils s'étonnaient qu'elle n'eût pas encore paru : « C'est d'elle, disaient-ils, que tu apprendras plus exactement tout ce que tu désires savoir à leur endroit ». Ils parlaient encore que la jeune fille arrive avec les bergers de sa compagnie. Ils lui montrent Jacob en lui disant que cet étranger venait s'informer de son père. Elle se réjouit ingénument de la présence de Jacob et lui demande qui il est, d'où il leur arrive et quelle nécessité le conduit ; elle souhaite qu'il leur soit possible de lui procurer ce qu'il est venu chercher.

4. Jacob ne fut pas aussi touché de sa parenté avec la jeune fille, ni de la bienveillance mutuelle qui en résultait, qu'il ne s'éprit d'amour pour elle ; il demeura stupéfait de l'éclat de sa beauté, qui était tel qu'on eût trouvé peu de femmes de ce temps à lui comparer. Il s'écrie : « En vérité, la parenté qui me lie à toi et à ton père, puisque tu es fille de Laban, date d'avant ma naissance et la tienne : car Abram et Arran et Nachôr étaient fils de Tharros ; de Nachôr naquit ton aïeul Bathouël ; d'Abram et de Sarra, fille d'Arran, Isac mon père. Mais nous avons un autre gage, plus récent, dd parenté qui nous unit : Rébecca ma mère, est sœur de ton père Laban ; ils eurent même père et même mère ; et nous sommes cousins germains, moi et toi. Et maintenant je viens ici pour vous saluer et renouveler cette alliance qui existait déjà auparavant entre nous ». Elle se souvient alors, comme il arrive souvent aux jeunes gens, de ce qu'elle avait déjà entendu dire à son père touchant Rébecca et, comme elle savait ses parents désireux d'entendre parler de celle-ci, dans sa tendresse filiale, elle fond en larmes et se jette au cou de Jacob ; elle l'embrasse affectueusement et lui dit qu’il allait procurer la plus désirable et la plus vive des joies à son père et à tous les gens de la maison, car Laban vivait dans le souvenir de la mère de Jacob et ne pensait qu'à elle ; sa visite lui paraîtrait digne des plus grandes récompenses. Elle le prie de venir chez son père où elle allait le conduire ; il ne fallait pas qu'il le privât davantage de ce plaisir en tardant trop longtemps.

 

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  1. Elle dit et le conduit chez Laban. Reconnu par son oncle, il se trouvait pour sa part en sécurité parmi des amis et leur apportait à eux une grande satisfaction par son apparition inopinée. Après quelques jours, Laban lui dit qu'il se félicitait de sa présence plus qu'il ne pouvait l'exprimer ; mais il lui demandait, d'autre part, pour quelle raison il était venu, laissant sa mère et son père dans un âge avancé où ses soins leur étaient nécessaires ; il s'offrait à l'aider et à le secourir à toute épreuve. Jacob lui expose toute l'histoire en disant qu'Isac avait deux fils jumeaux, lui et Esaü. Comme il avait frustré ce dernier des bénédictions paternelles, que l'artifice de sa mère détourna à son profit, Esaü cherchait à le tuer pour l'avoir privé du pouvoir souverain issu de Dieu et des biens que lui avait souhaités son père ; et voilà pourquoi il se trouvait là conformément aux instructions maternelles. « Car, dit-il, nous avons pour aïeuls des frères et ma mère est proche de vous à un degré plus étroit encore que celui-là. Je place mon voyage sous la protection de Dieu et sous la tienne ; c'est ce qui me donne confiance dans l'heure présente.
  2. Laban, au nom de leurs ancêtres, lui promet de l'assister de toute son amitié, au nom aussi de sa mère à qui il témoignera son affection même à distance en entourant son fils de sollicitude. Il déclare qu'il l'établira surveillant de ses troupeaux et, en échange, lui accordera la préséance au pâturage ; et s'il veut s'en retourner chez ses parents, il rentrera comblé de présents et de tous les honneurs qu'on doit à un parent aussi proche. Jacob l'écouta avec joie et dit que, pour lui faire plaisir, il demeurerait chez lui et supporterait toutes les fatigues ; mais en récompense, il demandait à avoir Rachel (Rachèla) pour femme : à tous égards elle méritait son estime, et puis elle lui avait rendu le service de l'introduire chez Laban ; c'était son amour pour la jeune fille qui lui inspirait ces discours. Laban, charmé de ces paroles, consent au mariage avec sa fille, disant qu'il ne pouvait souhaiter un meilleur gendre ; pourvu qu'il restât quelque temps chez lui, c'était une affaire faite ; car il n'enverrait pas sa fille chez les Chananéens ; même il avait regret du mariage qu'on avait fait conclure

 

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là-bas à sa propre sœur. Comme Jacob acceptait ces conditions, on convient d'une période de sept ans ; c'est le temps pendant lequel on estime qu'il doit servir son beau-père, afin de donner la preuve de son mérite et de faire mieux connaître qui il est. Laban agrée ce langage, et le temps écoulé, il se met à préparer le festin nuptial. La nuit venue, sans que Jacob se doute de rien, il place à ses côtés son autre fille, l'aînée de Rachel, qui était dépourvue de beauté[273]. Jacob s'unit à elle, trompé

par l'ivresse et l'obscurité ; puis, avec le jour, il s'en aperçoit et reproche sa fourberie à Laban. Celui-ci, pour s'excuser, alléguait la nécessité où il avait été d'en user ainsi ; ce n'était pas par méchanceté qu'il lui avait donné Lia ; un autre motif plus fort l'avait déterminé[274] ...

Cela n'empêchait nullement, d'ailleurs, son mariage avec Rachel ; s'il la désirait, il la lui donnerait après une autre période de sept ans. Jacob se résigne : son amour pour la jeune fille ne lui permettait pas un autre parti, et à l'issue d'une nouvelle période de sept ans, il épouse aussi Rachel.

7. Les deux sœurs avaient chacune une servante que leur avait donnée leur père ; Zelpha appartenait à Lia et Balla[275] à Rachel ; ce n'étaient pas des esclaves, mais

des subordonnées. Lia était cruellement mortifiée de l'amour que son mari portait à sa sœur ; elle espérait qu'en ayant des enfants, elle lui deviendrait chère et priait Dieu continuellement. Un enfant mâle lui naît et comme cet événement lui ramène son mari, elle appelle son fils Roubèl(os)[276] (Ruben) parce qu'il lui venait de

la compassion divine ; c'est là ce que signifie ce nom. Il lui naît encore trois fils plus tard : Syméon[277] ; ce nom

indique que Dieu l'a exaucée, puis Lévis[278], c'est-à-

dire le garant de la vie en commun ; après lui Joudas[279], c'est-à-dire action de grâces.

Rachel[280], craignant que l'heureuse fécondité de sa

sœur n’amoindrit sa propre part dans l'affection de son époux, donne comme concubine à Jacob sa servante Balla. Un enfant naît d'elle, Dan, qu'on traduirait en grec par Théocritos (décerné par Dieu) ; après lui vient Nephthalîm[281], c'est-à-dire machiné, parce que cela

avait contrebalancé la fécondité de sa sœur. Lia en use

 

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de même, opposant artifice à artifice ; elle donne aussi sa servante pour concubine; et il naît de Zelpha, un fils nommé Gad(as), ce qui équivaut à fortuit[282] ; ensuite

Aser(os), autrement dit qui donne le bonheur[283], à

cause de la gloire qu'elle en tirait. Roubèl, l'aîné des fils

de Lia, apportant à sa mère des pommes de mandragore[284], Rachel s'en aperçoit et la prie de lui en

céder, car elle avait un vif désir d'en manger. Mais celle-ci refuse, disant qu'elle devait se contenter de l'avoir dépossédée des faveurs de son mari ; Rachel calme l'irritation de sa sœur et lui dit qu'elle lui cédera ses droits, car son mari devait venir chez elle cette nuit-là. Celle-ci accepte l’offre et Jacob s'unit à Lia, en croyant favoriser Rachel. De nouveau donc elle a des enfants : Issachar(ès), c'est-à-dire celui qui provient d'un salaire[285], et Zaboulon[286], gage de l’affection,

témoignée à elle, et une fille, Dîna. Plus tard, Rachel obtient un fils, Joseph (lôsèpos), c'est-à-dire « addition d'un futur surcroît ».

8. Durant tout ce temps, à savoir pendant vingt années, Jacob garda les troupeaux de son beau-père ; mais ensuite il demanda à emmener ses femmes et à s'en retourner chez lui ; son beau-père n'y consentant pas, il résolut de le faire secrètement. Il éprouva d'abord le sentiment de ses femmes sur ce départ ; celles-ci se montrèrent satisfaites ; Rachel enleva même les images des dieux que la religion de ses pères commandait de vénérer, et s'échappa avec sa sœur ainsi que les enfants des deux femmes, les servantes avec leurs fils et tout ce qu'elles possédaient. Jacob emmenait aussi la moitié des troupeaux, sans que Laban y eût donné son consentement. Rachel, qui emportait les idoles des dieux, avait sans doute appris de Jacob à mépriser un tel culte, mais son but était, au cas où son père les poursuivrait et les surprendrait, d'en tirer parti pour se faire pardonner[287].

9[288]. Laban, au bout d'un jour[289], ayant appris le

départ de Jacob et de ses filles, très courroucé, se met à sa poursuite en hâte avec des forces et, le septième jour, les rejoint sur une colline où ils s'étaient campés ; alors,

 

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comme c'était le soir, il se repose. Dieu lui apparaît en songe et l'exhorte, maintenant qu'il a atteint son gendre et ses filles, à agir en douceur, à ne rien tenter contre eux par colère et à faire un pacte avec Jacob ; lui-même, dit-il, combattrait en faveur de celui-ci, si Laban, méprisant son infériorité numérique, venait s'attaquer à lui. Laban, après cet avis préalable, le jour venu, appelle Jacob à un entretien, lui fait part de son rêve et quand celui-ci confiant vient à lui, il commence à l'accuser, alléguant qu'à son arrivée chez lui, il l'avait recueilli, pauvre et dénué de tout, et qu'il lui avait sans compter fait part de tout ce qu'il possédait. « J'ai été, dit-il, jusqu'à te faire épouser mes filles, pensant par là augmenter ton affection pour moi. Mais toi, sans égard ni pour ta mère ni pour la parenté qui te lie à moi, ni pour mes filles que tu as épousées, sans songer à ces enfants dont je suis l'aïeul, tu m'as traité comme en guerre, emportant mon bien et persuadant mes filles de fuir celui qui les a engendrées, et tu t'en vas, en me dérobant en cachette les objets sacrés de ma famille que mes ancêtres ont vénérés et que j'ai cru devoir entourer du même culte ; et ces procédés qui, même en état de guerre on n'emploierait pas contre des ennemis, toi, un parent, le fils de ma propre sœur, le mari de mes filles, l'hôte et le familier de ma maison, tu t'en es servi à mon égard ». Quand Laban eut ainsi parlé, Jacob allégua pour se disculper qu'il n'était pas le seul à qui Dieu eût mis au cœur l'amour de la patrie, que tout le monde éprouvait ce sentiment, et qu'après si longtemps il convenait qu'il revînt dans la sienne. « Quant[290] à

cette accusation de larcin, dit-il, c'est toi au contraire qui serais convaincu de m'avoir fait tort devant tout autre juge. Quand tu devrais me savoir gré d'avoir géré et fait prospérer ta fortune, n'est-ce pas déraisonner que de venir me reprocher la faible part que nous en avons prise ? Quant à tes filles, sache que ce n'est pas une perfidie de ma part qui les a fait accompagner ma fuite, c'est ce sentiment légitime d'affection que les épouses ont coutume d'avoir pour leurs maris ; et c'est moins moi qu'elles suivent que leurs enfants ». Voilà comment il se défendit d'avoir eu aucun tort; il fit au surplus des reproches à Laban et l'accusa : bien qu'il fût le frère de sa mère et qu'il lui eût donné ses filles en mariage, il

 

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l'avait épuisé en lui imposant des tâches pénibles et en l'y retenant vingt ans ; et, sans doute, ajoutait-il, ce qu'il l'avait fait souffrir sous prétexte de mariage, encore que cruel, était supportable ; mais les maux qui avaient suivi étaient pires et tels qu'un ennemi s'y fût soustrait. Et, en effet[291], c'était avec une excessive méchanceté que

Laban en avait usé avec Jacob voyant que Dieu lui venait en aide dans tout ce qu'il désirait, il lui promettait de lui donner parmi les animaux qui naîtraient tantôt tous ceux qui seraient blancs, tantôt, au contraire, les noirs. Mais comme ceux qui étaient destinés à Jacob naissaient en grand nombre, il ne tenait pas sa parole sur l’heure, mais lui promettait de s'acquitter l'année suivante, car il considérait avec convoitise cette fortune abondante ; il promettait ainsi, parce qu'il n'y avait pas lieu de supposer une telle production ; et il trompait Jacob une fois que les bêtes étaient nées.

10[292]. Quant aux objets sacrés, Jacob l'invite à faire

une perquisition ; Laban accepte avec empressement ; Rachel, informée, cache les images dans le bât de la chamelle qu'elle montait ; elle y reste assise, prétextant qu'elle était incommodée par l'indisposition naturelle aux femmes. Laban ne cherche pas davantage, n'osant supposer que Rachel, dans l'état où elle se trouvait, s'approchât des images ; il s'engage par serment avec Jacob à ne pas lui garder rancune du passé, et Jacob, de son côté, jure d'aimer ses filles. Ces engagements, ils les prirent sur des collines où ils érigèrent une stèle en forme d'autel ; de là vient le nom de Galad(ès) donné à la colline[293], ce qui fait qu'on appelle encore aujourd'hui

ce pays la Galadène. Un festin suivit ces serments et Laban s'en retourna.

Chapitre XX

1. Retour de Jacob en Canaan. - 2. Jacob et l'ange. - 3. Rencontre avec Esaü.

1. Jacob, en poursuivant sa route vers la Chananée, eût des visions qui lui firent concevoir d'heureuses espérances pour l'avenir ; l'endroit où elles lui

 

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apparurent, il l'appela Camp de Dieu. Voulant connaître les sentiments de son frère à son égard, il envoya des gens en avant s'assurer de tout avec exactitude ; car il le craignait encore, à cause des soupçons d'autrefois. Il chargea ses messagers de dire à Esaü que Jacob avait quitté volontairement son pays, parce qu'il lui semblait inadmissible de vivre avec lui tant qu'il était en colère ; mais qu'à présent, estimant que le temps passé suffisait à les réconcilier, il revenait avec ses femmes et ses enfants et toutes les ressources qu'il s'était procurées et se remettait à lui avec ce qu'il avait de plus précieux, n'estimant aucun bien plus désirable que de jouir avec son frère des richesses que Dieu lui avait données. Les messagers[294] rapportèrent ces paroles ; Esaü s'en

réjouit vivement et vient à la rencontre de son frère avec quatre cents hommes armés. Jacob, apprenant qu'il arrive au-devant de lui avec une si grande troupe, est très effrayé, mais il met en Dieu son espoir de salut et prend les mesures que comporte la situation, afin de ne pas être atteint, de sauver les siens et de triompher de ses ennemis, s'ils voulaient lui nuire. Il divise donc son monde, envoie les uns en avant et recommande au restant de les suivre de près, afin que, si l'avant-garde était assaillie par une subite agression de son frère, elle trouve un refuge parmi ceux qui suivent. Ayant rangé de la sorte les siens, il envoie quelques-uns apporter des présents à son frère : cet envoi consistait en bêtes de somme et en une quantité de quadrupèdes d'espèces diverses qui seraient très estimés de ceux qui les recevraient à cause de leur rareté. Les messagers marchaient espacés afin de paraître plus nombreux en arrivant les uns après les autres. A la vue des présents on espérait qu'Esaü laisserait s'apaiser sa colère, s'il était encore irrité ; d'ailleurs, Jacob recommanda encore aux messagers de l'aborder d'un ton affable.

2[295]. Ces dispositions prises durant toute la journée, il

met, la nuit venue, sa troupe en marche et quand ils eurent passé un torrent nommé Jabacchos[296], Jacob,

demeure seul, rencontre un fantôme qui commence à combattre avec lui, et il en triomphe ; ce fantôme prend alors la parole et lui, conseille de se réjouir de ce qui lui est advenu et de se persuader que ce n'est pas d'un

 

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médiocre adversaire qu'il a triomphé ; il a vaincu un ange divin et doit voir là un présage de grands biens à venir, l'assurance que sa race ne s'éteindra jamais et qu'aucun homme ne le surpassera en force. Il l'invita à prendre le nom d'Israël(os) ; ce mot signifie, en hébreu, celui qui résiste à l’envoyé de Dieu[297] ; voilà ce qu'il

révéla sur la demande de Jacob ; par celui-ci, ayant deviné que c'était un envoyé divin, lui avait demandé de lui dire ce que la destinée lui réservait. L'apparition, après avoir ainsi parlé, s'évanouit ; Jacob, tout heureux, nomme l'endroit Phanouël(os), c'est-à-dire la face de Dieu[298]. Et comme, dans le combat, il avait été blessé

près du nerf large[299], il s'abstint lui-même de manger

ce nerf, et à cause de lui il ne nous est pas permis non plus de le manger.

3[300]. Apprenant que son frère approchait, il ordonne à

ses femmes de s'avancer, chacune à part, avec leurs servantes, afin qu'elles vissent de loin les mouvements des combattants, si Esaü voulait en arriver là; lui-même salue en se prosternant son frère, qui arrive près de lui sans songer du tout à mal. Esaü, l'ayant embrassé, le questionne sur cette foule d'enfants et sur ces femmes et, une fois au courant de tout ce qui les concerne, il voulait les conduire lui-même chez leur mère ; mais Jacob alléguant la fatigue des bêtes de somme, Esaü se retira à Saira[301] ; c'est là qu'il passait sa vie, ayant

nommé ce pays d’après son épaisse chevelure. Chapitre XXI

1. Rapt de Dina ; massacre des Sichémites. - 2. Purification des Israélites. - 3. Mort de Rachel.

1. Jacob arriva en un lieu qu'on appelle encore aujourd'hui les Tentes[302] ; de là, il s'en vint à

Sikim(os) (Sichem) ; cette ville est aux Chananéens. Comme les Sikimtes étaient en fête, Dîna, fille unique de Jacob, s'en alla[303] dans la ville pour voir les atours

des femmes du pays[304]. Sychém(ès)[305], fils du roi Emmôr(os)[306], l'ayant aperçue, la déshonore après

 

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l'avoir enlevée, et, devenu amoureux d'elle, il supplie son père de demander pour lui la jeune fille en mariage ; celui-ci y consent, et s'en va demander à Jacob de donner Dîna en mariage légitime à son fils Sychem. Jacob, qui ne pouvait refuser vu le rang du solliciteur et qui, d'autre part, estimait qu'il lui était défendu de marier sa fille à un homme d'une autre race, demande la permission de réunir un conseil au sujet de sa requête. Le roi s'en retourne alors, espérant que Jacob consentirait au mariage, mais Jacob, ayant instruit ses fils du déshonneur de leur sœur et de la demande d'Emmôr, les consulte sur la conduite à tenir. Ceux-ci restent muets pour la plupart, ne sachant que penser ; mais Siméon et Lévi, qui avaient la même mère que leur sœur, décident ensemble l'expédition suivante : au moment d'une fête, tandis que les Sikimites se livraient aux plaisirs et aux festins, ils surprennent, de nuit, les premiers gardes qu'ils tuent pendant leur sommeil, pénètrent dans la ville et tuent tous les mâles et le roi avec eux ainsi que son fils ; ils épargnent les femmes ; tout cela accompli à l'insu de leur père, ils ramènent leur sœur.

  1. Tandis que Jacob était bouleversé devant l'énormité de ces actes et très irrité contre ses fils, Dieu lui apparaît, l'engage à se rassurer, à purifier les tentes et à accomplir les sacrifices que jadis, en s'en allant en Mésopotamie, il avait fait vœu d'offrir, après ce qu'il avait vu en songe. En purifiant sa troupe, il met la main sur les dieux de Laban ; il ne savait pas que Rachel les avait dérobés. Il les cacha à Sichem sous le chêne dans la terre ; ensuite il partit de là et fit des sacrifices à Béthel où il avait eu le songe jadis quand il allait en Mésopotamie.
  2. De là[307] il alla plus loin et arriva dans l'Ephratène ;

là Rachel meurt dans les douleurs de l'enfantement et il l'enterre ; seule de sa famille, elle n'eut point les honneurs de la sépulture à Hébron. Il mena pour elle un grand deuil et donna à l'enfant le nom de Benjamin[308]

à cause des souffrances qu’il avait causées à sa mère. Ce furent là tous les enfants de Jacob, douze fils et une fille. De ces fils, huit étaient légitimes, six de Lia, deux de

 

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Rachel ; quatre étaient nés des servantes, deux de chacune d'elles ; j'ai déjà donné leurs noms à tous.

Chapitre XXII

Mort d’Isaac ; il est enseveli à Hébron. 1. Mort de Rébecca et d'Isaac.

1. Il arriva de là dans la ville d'Hébron située chez les Chananéens ; c'est là qu'Isac demeurait. Ils vécurent peu de temps ensemble, car Jacob ne retrouva pas Rébecca vivante et Isac meurt aussi peu après la venue de son fils ; il est enseveli par ses enfants auprès de sa femme à Hébron, où ils avaient le sépulcre de leurs ancêtres. Isac avait été aimé de Dieu et jugé digne par lui de toutes les faveurs après son père Abram ; il vécut même plus longtemps que celui-ci, car il avait atteint la cent quatre-vingt-cinquième année[309] de cette vie si vertueuse

quand il mourut.

  1. La traduction littérale de l'ouvrage est Archéologie judaïque. L'ouvrage, divisé en 20 livres, a été terminé par Josèphe vers l'an 93 ou 94 de l'ère chrétienne, d'après les indications chronologiques qu'il donne lui-même, Antiquités, XX, § 267.
  2. Allusion à un autre ouvrage, Guerre, terminé avant 79.
  3. Il s’agit surtout de Justus de Tibériade qui prit part à la guerre et en composa ensuite une histoire, où il jugeait sévèrement le rôle que Josèphe avait joué. Josèphe lui réplique dans son Autobiographie (voir Vita, passim Josèphe fait encore allusion dans le préambule de Guerre à d’autres historiens inexacts ou passionnés de ces évènements.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

  1. Josèphe a dû, en effet, avoir la Bible sous les yeux pour composer ses Antiquités. On sait par son propre témoignage (Vita, § 418) qu'il emporta des Livres saints du siège de Jérusalem.
  2. Ici comme ailleurs (voir. entre autres, Ant., IV, § 207 et note) Josèphe atténue ce qui peut paraître répréhensible aux yeux des Romains dans l'hostilité des Juifs à leur égard ; il déguise cette hostilité et fait d'eux des adversaires involontaires de la domination romaine.
  3. Cet Épaphrodite, auquel Josèphe sa Vie et Contre Apion, paraît être identique à un grammairien qui vécut à Rome depuis l’époque de Néron jusqu’à celle de Nerva, et réunit une bibliothèque de 30 000 volumes (Suidas). D’autres ont pensé, mais à tort, à un affranchi et secrétaire de Néron, mis à mort par Domitien ; cf. Schürer, Geschiche des jüd. Volkes I (2ème éd.) p. 62 T.R.
  4. Ptolémée II Philadelphe (285-247 av. J.-C.)
  5. Il s'agit, dans tout ce passage, de la version dite des Septante et plus particulièrement du Pentateuque, partie juridique de la Bible. L'histoire de la Septante est rapportée tout au long du livre XII. On estime généralement que Josèphe a utilisé cette version. Cependant il diffère assez souvent des LXX, soit dans la transcription des noms propres, soit dans l'interprétation de certains passages bibliques. Nous signalerons les divergences importantes. Voir sur les rapports entre Josèphe et les LXX : Bloch, Die Quellen des Fl. Josephus, Leipzig. 1879; Siegfried, Die hebräischen Worterklärungen des Josephus, dans la Zeitschrift de Stade, 1883, p. 32 sqq.
  6. Josèphe entend par là des explications sur la naissance du monde et l’origine des choses.
  7. Dans le Midrasch (Tanhouma sur Bereschit), Rabbi Isaac Nappaha (Amora palestinien de la fin du IIIème siècle ap. J.-C.) se demande pourquoi la Tora ne commence pas par l'exposé des lois de Moïse (Exode, XII, 2). Il pense que le récit de la création est destiné à faire éclater la grandeur et la puissance divines. Philon (préface du De opificio mundi, 1. Mangey, I, 1) s'exprime d'une façon tout analogue « il (Moïse) ne prescrivit pas tout de suite ce qu'il faut faire ou ne pas faire ». Des opinions diverses ont été émises sur la question de savoir si Josèphe a utilisé ou non les oeuvres de Philon, qu'il a, d'ailleurs, connu, comme il ressort de Ant., XVIII, § 259. Voir à ce sujet Siegfried, Philo von Alexandria, Iéna, 1875, et Bloch, Die Quellen des Fl. Josephus. Même en refusant d'admettre que Josèphe ait suivi Philon, on peut penser

 

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qu’il a puisé aux mêmes sources que lui, à savoir les traditions agadiques. Philon dit, en effet (De vita Moysis, M. II, 82, §1) : « ayant appris ces détails de quelques anciens de la nation ».

  1. Philon, ibid. : « les autres (législateurs), mettant beaucoup

d’emphase dans leurs inventions, ont jeté de la poudre aux yeux et caché la vérité sous des fictions fabuleuses ».

  1. Cet ouvrage ne nous est pas parvenu, ou plutôt Josèphe ne l'a sans doute pas composé. On peut qu’il eut été analogues aux écrits de Philon sur le même sujet. Josèphe fait maintes fois allusion à cet ouvrage qu'il se proposait d'écrire.
  2. La division du texte en chapitres, sections et sommaires ne sont pas l’œuvre de Josèphe.
  3. Genèse, I
  4. Josèphe, conformément à l'exégèse traditionnelle, remarque l'emploi du mot « un » dans la Bible au lieu de l'ordinal « premier », qu'on attendrait. Mais il se réserve de donner plus tard les raisons de cette singularité. Le Talmud (Nazir, 7 a) l'explique en disant que l'expression « un jour » signifie un jour complet, d'où il résulte qu'on doit compter avec le jour la nuit qui précède. Philon, De mundi opificio, § 9, M. I, p. 7, dit aussi en grec « non pas premier jour, mais un jour » ; mais il donne, lui, une explication allégorique. Il voit dans le terme de « un » l'unité intelligible, incorporelle du monde, comme il dit plus loin.
  5. Le même dont il parle à la fin du préambule.
  6. Cf. Rosch-haschana, 11 a, et Houllin, 60 a : R. Josué ben Lévi (Amora palestinien du IIIème siècle de l'ère chrétienne) dit que toute l’œuvre de la création est apparue en plein développement. Philon dit de même, dans le De mundi opificio, 12, M1, p.9 : « il chargea tout de fruits, dès le début de la création, au rebours de ce qui se passe maintenant ».
  7. Philon (De Cherub., 26, M. I, p. 54) traduit également par cessation. C'est, en effet, le sens de la racine hébraïque.
  8. Genèse, II
  9. Voir préambule. On ne voit pas très bien pourquoi le ch. II de la Genèse serait plus « physiologique » que le premier [T. R.].

 

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  1. Cette distinction de trois éléments dans l'homme - corps, souffle et âme - se retrouve dans plusieurs écrits contemporains de Josèphe, par exemple Saint Paul, Ire aux Thessaloniciens, V, 23 [T. R.]
  2. Josèphe, pour ne pas effaroucher ses lecteurs romains et grecs, hellénise presque tous les noms propres en les déclinant, comme il le dit lui-même plus loin ; il arrive ainsi à modifier parfois singulièrement le nom qu'il transcrit. En français, nous garderons l'orthographe de Josèphe pour les noms peu importants ; pour ceux qui reviennent très souvent, nous conservons la forme traditionnelle en indiquant, entre parenthèses, à la première mention, la transcription de Josèphe.
  3. Josèphe fond ici les deux explications de la racine hébraïque : le sens de « terre » est le seul qui soit donné pour Adam dans la Bible. Quant au sens de « rouge », on ne le trouve pas dans la littérature rabbinique, excepté dans le Pirké de Rabbi Eliezer, XII, qui s'inspire d'écrits chrétiens.
  4. Dans l'Écriture, c'est Adam qui donne leurs noms aux animaux.
  5. Transcription de l’hébraïque. La Version latine porte : issa.
  6. Josèphe transcrit l'hébreu, faisant venir, par conséquent, Phisôn de la racine hébraïque « s’étendre, prendre de grandes proportions ». Philon traduit (Leg. alleg., M. I, p. 24) « changement de corps ». Le Phison est assimilé au Gange parce que, d'après l'Écriture, il entoure « le pays de l'or ».
  7. Josèphe, en proposant deux traductions, voit dans le mot hébraïque deux racines : la première signifiant en effet,

dispersion, et la seconde, fleur. Philon (Leg. alleg., I, 23) traduit par « fertilité » ; il pensait sans doute à fructifier.

  1. Diglath n'est pas hébreu, mais araméen (Onkelos et Pseudo-Jonathan, Gen. II, 14) ; en assyrien, c'est diklat ou idiklat. En réalité, Josèphe traduit le mot hébreu qu'il décompose sans doute en deux mots; de là les deux termes. La question est de savoir comment il le décompose. Peut-être, comme le propose Siegfried (op. cit.), Josèphe a-t-il vu dans hiddékel : had et dak ; mais le mot dak signifie « fin », et non « étroit ». Dans Gen. R., XVI, le mot hiddékel est décomposé en « aigu » et « voix » ou « rapide ». Gesenius (Geschichte der hebr. Sparche) distingue dans hiddékel : had et dékel, équivalent un peu altéré de Tigris qui signifie « flèche », « cours rapide ». Josèphe l'entendait peut-être ainsi, à moins,

 

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enfin, qu'il n'ait eu dans l'esprit, non pas l’hébreu hiddékel, mais uniquement la transcription diglath, où il a pu reconnaître ainsi que nous le suggère M. Israël Lévi, les racines « mince, étroit » et « bondir ».

  1. Le Géon. Josèphe transcrit l'hébreu, sa traduction « Celui qui jaillit » indique qu'il ne prend pas la même racine hébraïque que Philon, qui traduit Gihon par « poitrine » ou « qui frappe avec les cornes » (Leg. alleg., I, § 21), ce qui donne deux étymologies hébraïques différentes.
  2. Genèse, III, 1.
  3. Cf. Philon, De opif. mundi, M I, p. 37, « on dit qu'autrefois le

serpent émettait une voix humaine ». Le Livre des Jubilés, ch. III, fin, dit que les animaux parlaient à l'origine une seule et même langue, et que Dieu leur ferma la bouche après que le serpent eut séduit Eve. Ceci se retrouve plus tard dans le Livre d'Adam, oeuvre chrétienne (voir Roensch, Das Bush der Jubiläen, Leipzig, 1874, p. 341).

  1. Dans le Talmud, Sanhédrin, 59 b, Juda ben Têma (Tanna du IIe siècle) dit : les anges se tenaient devant Adam, lui cuisaient sa viande, etc. Le serpent s'en montra jaloux. Un autre Tanna de la même époque, Josué ben Korha, dit (Gen. R., XVIII) : le serpent avait vu Adam et Eve s'unir et avait désiré celle-ci. D'après la Tosefta, Sôta, IV, p. 301, le serpent voulait tuer Adam pour épouser la femme.
  2. Voir plus haut (I, 4).
  3. Genèse, IV, 1
  4. Josèphe, qui rend tous les noms déclinables, grâce à des désinences appropriées, arrive à dénaturer singulièrement le mot hébreu. L'étymologie qu'il donne de ce nom est d'ailleurs conforme à la racine hébraïque et à l'explication qu'en donne la Genèse elle-même (IV, 1).
  5. « Deuil » est aussi le terme dont se sert Philon pour expliquer le nom d’Abel : « C’est le nom de celui qui pleure un mort ». Le traducteur de l’Ecclésiastique fait la même chose. Ils ont tous confondu deux mots hébreux, l’un qui se traduit « souffle, vanité » et l’autre, en effet, « deuil ». Dans le ms ; R (Paris) de Josèphe, on lit un autre mot grec, c’est la leçon qu’a choisie Niese, sans s’expliquer, d’ailleurs, sur le sens qu’il lui attribue (« ne signifie rien » ou « signifie néant ? »).

 

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  1. Cf. Gen. R., XXII ; Yebamot, 62 a : Rabbi Natan (Tanna du IIe

siècle de l'ère chrétienne) dit qu'en qu’en même temps que Caïn et Abel naquirent des filles. Le Livre des Jubilés au ch. IV (commencement) cite le nom d'une fille nommée Avan. Cf. aussi le Livre d’Adam, cité dans Roensch, op. cit., p. 341, 348.

  1. La Bible (Gen., IV, 3) ne parle que des fruits de la terre.
  2. Josèphe, par une curieuse variante, a dû lire ici dans l'hébreu un mot pour un autre. Les LXX traduisent, conformément à notre texte de la Bible : « et de leurs graisses ». Des exemples de ce genre sont de nature à prouver l'indépendance de Josèphe à l'égard de la Septante.
  3. Le même trait se lit dans le Pirké R. El., ch. XXI. Caïn a enseveli le corps de son frère pour pouvoir nier le meurtre et Dieu lui reproche d'avoir menti et d'avoir cru qu'il ne saurait rien.
  4. Dans le Pirké R. El., il est dit que les mots prononcés par Caïn

(Gen., IV, 13) : « Mon péché est trop grand pour être supporté » furent considérés par Dieu comme l'expression de son repentir. Dans Sanhédrin, 37 b, Gen. R., XXII, Pesikla 160 a, Lévit., X, il est parlé également de la pénitence de Caïn. Voir aussi le Pseudo-Jonathan (ad loc., et vers. 24).

  1. D'après le verset 24 (ch. IV). L'expression « sera vengé sept fois » est interprétée par Josèphe d'une façon singulière. Onkelos, dans sa traduction du même passage, Pseudo-Jonathan et Gen. R., XXIII, expliquent, au contraire, que Dieu a suspendu la peine de Caïn jusqu'à la septième génération.
  2. Dans Gen. R., XXII, Juda ben Haï (Tanna du IIème siècle ap. J.-C.), se fondant sur les mots de l'Écriture : « Quiconque tuera Caïn », dit que les animaux même sont venus réclamer la punition du meurtrier.
  3. Genèse, IV, 17.
  4. En hébreu : Nôd.
  5. LXX : La ville porte le même nom
  6. En hébreu : ’irad

 

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  1. Ce nom a beaucoup de variantes. L’hébreu lui-même donne déjà Mehouyaël et Mehiyaël. Il y a des confusions entre les deux listes de Gen., IV, et Gen., V. Pour les noms qui suivent. les transcriptions de Josèphe et des Septante sont à peu près identiques.
  2. Il n'est pas fait mention dans la Genèse de ces 77 fils de Lamech; peut-être faut-il voir un rapport entre cette donnée et le verset obscur (Gen., IV, 24) où il est dit « Lamech sera vengé 77 fois ». Il n'est pas invraisemblable que Josèphe, souvent fantaisiste dans ses exégèses, ait vu dans ce chiffre énigmatique le nombre des enfants du patriarche.
  3. Ainsi abrégé, ce trait n'a pas de sens. Dans la Bible (Gen., IV, 23) il sert à amener un fragment de vieille chanson [T. R.]
  4. Ici commence des divergences numériques avec la Genèse (V, 3-4). Adam, dans la Bible hébraïque, est père à 130 ans, et vit ensuite 830 ans ; cette différence de 100 ans dans le détail des calculs, sinon dans le total, se retrouvera perpétuellement plus loin à propos des générations des patriarches.
  5. Cf. le Livre des Jubilés, ch. IV, Adam et Eve auraient eu encore neuf fils.
  6. Pirké R. El. (ch. XXI et XXII) : « De Seth descend la race des

hommes vertueux ». Philon (De poster. Caini, I, § 50, M. I, p. 258) appelle de même Seth : « science de la vertu humaine ».

  1. D'après le Pirké R. El., Dieu a confié à Adam, qui l'a transmise à ses descendants, la science de l'embolisme, c'est-à-dire de l'intercalation d'un mois additionnel dans l'année lunaire.
  2. Il en est question aussi dans le Livre des Jubilés, ch. VIII. Le

Sefer hayaschar (6 a) dit que Kénan écrivit l'avenir sur deux tables de pierre qu'il déposa parmi ses trésors. Cette histoire a passé dans le Livre d'Adam ou Apocalypse de Moïse (voir Roensch, op. cit., p. 425) et dans les chroniques byzantines.

  1. On ignore ce qu'il faut entendre par là. Vossius pensait au

pays de Seirath (?) mentionné dans l'histoire d'Ehud (Juges, III, 26), et qui n'était pas très loin des « pierres taillées » (d'autres interprètent : des carrières) de Gilgal. En tout cas, c'est quelque vieux monument en écriture inconnue (hiéroglyphes hétéens ?) qui aura donné lieu à la tradition recueillie par Josèphe. Whiston soupçonne qu'il s'agit des stèles érigées par Sésostris en pays

 

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conquis (Hérodote, II, 102) [T. R.]

  1. Genèse, VI, 1.
  2. On retrouve cette assimilation dans le Livre d'Hénoch (A.

Lods, p. 73) ; le IIIème livre des Oracles Sibyllins, d'origine juive, identifie aussi la donnée biblique avec la légende grecque des Titans (cf. F. Delaunay, Moines et Sibylles, pp. 336 sqq.)

  1. Dans le Talmud (Sanhédrin, 108 a et b), Rabbi Yosé de Césarée et, un peu plus loin, Rabba disent aussi que Noé adressa des remontrances à ses contemporains, mais sans succès. Voir aussi Targoum Onkelos, sur VI, 3 ; B. R ; 30 ut 31.
  2. On ne trouve rien de semblable ni dans la Bible, ni dans le Midrasch.
  3. Genèse, VI, 7.
  4. Genèse, VI, 3
  5. Trois seulement dans l'Écriture.
  6. Il faut suppléer ces mots, qui manquent dans le texte.
  7. Dans l'Écriture, Noé prend deux couples d'animaux impurs (VI, 19) et sept couples des animaux purs (VII, 2).
  8. Héb. : Melhousélah
  9. Héb. : Kainan
  10. On a proposé la correction : frères.
  11. Genèse, VIII 6, 11.
  12. Le texte dit : « du règne ».
  13. On ne trouve pas les noms des mois hébreux dans la Bible, à

l'exception des derniers livres. On appelle généralement les mois : premier, second, etc. Quant aux mois macédoniens, Dios et plus loin Xanthicos, Josèphe se sert la plupart du temps de ces noms, sans indiquer toujours les mois hébreux correspondants.

 

Zone de Texte: [80] La Genèse dit que les eaux commencèrent à diminuer au boutFlavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

  1. Pour tout ce passage sur les mois hébreux et le

commencement de l'année hébraïque, cf. Talmud, Rosch-haschana, 2 a, 8 a, Gen. R., XXIII. Josèphe a la même opinion qu'une baraïta (ibid., 11 b) attribue à R. Eliezer (Tanna du Ier siècle ap. J.-C.), à savoir que le deuxième mois dont il est parlé dans la Genèse est Marheschwan.

  1. La Bible dit « le 17 » ; le texte de Josèphe a peut-être été corrigé, d'après les LXX, qui ont également « le 27 ».
  2. La fin de ce paragraphe et le paragraphe suivant présentent

de sérieuses difficultés. Nous suivons la leçon justifiée par Niese (Praef., p. XXXV). C'est la seule qui s'accorde avec les nombres de la généalogie des patriarches qui suit immédiatement. L'autre leçon, 1 656 années, n'est pas admissible, si les nombres de la généalogie sont justes. Mais il semble bien que l’ensemble soit altéré. Car Josèphe prétend expressément s'inspirer des Livres saints ; or, le total, selon la Genèse, est de 1 656 ans. Les manuscrits qui ont 2 656 sont corrigé d'après la Bible ; ceux qui portent 2 262, d'après la Septante, où le total est avec une légère variante (167 ans pour Mathousalas au lieu de 187 ans) identique, à savoir 2 242. La vérité, c'est apparemment que le texte primitif était conforme aux données de la Genèse ; et les copistes ont introduit les différentes variantes selon les deux systèmes, dans le but de reculer la date de la création du monde par l'addition de quelques centaines d'années. Voir à ce sujet Destinon, Die Chronologie des Fl. Jos., pp. 6, 24, 25.

  1. Genèse, V, 6.
  2. Se rapporte bien à Seth. Ce patriarche aurait donc vécu 930 ans selon Josèphe ; or ce chiffre de 930 ans est attribué à Adam dans la Genèse : l'altération du texte ou l'erreur de Josèphe est visible.
  3. Confusion avec le total des années de la vie de Mathusalas. Pour Jared, la Genèse et les LXX donnent 962 ans.

[78] Les LXX ont (Gen., V, 24) : « Dieu le transporta ».

  1. Proprement, Dieu commença à pleuvoir. Josèphe démarque volontiers certains traits de la mythologie grecque et les adapte aux anciens récits de la Genèse. Cf. plus loin, « Si je suscite jamais des tempêtes ».

 

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de 150 jours et que l'arche s'arrêta le 17e jour du 7e mois. Le texte de Josèphe est sûre-ment altéré [T. R.]

  1. Dans la Genèse, la colombe est envoyée à trois reprises reconnaître l'état du sol (VIII, 8, 10, 12).
  2. Josèphe parle ici sur la foi des chroniqueurs qu'il cite plus

loin. Mais il semble qu'il y ait eu aussi une tradition agadique au sujet des restes de l'arche. Le Talmud (Sanhédrin, 96 a) raconte que Sanhérib, le roi d'Assyrie, trouva une planche de l'arche de Noé, ce qui lui fit dire : « C'est un Dieu puissant qui a sauvé Noé du déluge, etc. »

  1. Fr. 7 Müller (Fraç. hist. graec., II, 501). Le récit entier du déluge dans Bérose nous a été conservé par Alexandre Polyhistor (ap. Syncell., p. 30 A). Mais ce déluge est celui des Chaldéens et le héros s'appelle Xisouthros, non Noé, ce que Josèphe s’est abstenu de relever. Les détails du récit babylonien sont, d'ailleurs, tellement analogues à celui du récit de la Genèse qu'il est impossible que l'un ne dérive pas de l'autre. Bérose, prêtre babylonien hellénisé, né sous Alexandre le Grand, dédia à Antiochus Soter (280-261) une histoire babylonienne en trois livres [T. R.]
  2. Historien inconnu, peut-être identique au remanieur de la Théogonie orphique (Susemihl, Gesh. der Alexandrin. Literatur, I, 376).
  3. Fr. Müller (F. H. G., III, 155), Mnaséas de Patras ou de Patara, disciple d'Eratosthène, polygraphe et antiquaire (fin du IIIe siècle av. J.-C.).
  4. Fr. Müller (F. H. G., III, 415) = Textes relatifs au judaïsme, p. 81, n° 41.
  5. Il faut se garder de corriger ce mot (avec Vossius) en Mylias;

voir Textes, loc. cit. Josèphe nous apprend ailleurs (Ant., XX, 2, 2, § 25) que les débris de l'arche étaient situés dans le district de Charræ, au sud-est d'Édesse, qui ne correspond pas à l'emplacement ordinairement assigné au mont Baris [T. R.].

  1. Genèse, VIII, 20.
  2. Genèse, VIII, 21 ; IX.
  3. Josèphe explique le verset 4 du ch. IX selon une exégèse un

 

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peu différente de celle du Talmud (Houllin, 102). Il relie ensemble les mots benafschô damô. La tradition rabbinique les sépare pour en tirer deux prohibitions : celle de manger la chair d'un animal vivant et celle de manger du sang.

  1. Ici encore une explication du récit de la Genèse d'un caractère

mythologique ; on songe aux dieux toxophores (Artémis, Apollon) du Panthéon grec (cf. G. Tachauer, Das Verhältniss von Fl. Josephus zur Bibel und Tradition, Erlangen, 1871, p. 20).

  1. Dans tout ce passage, Josèphe s'inspire encore, sans le nommer, de Bérose dont il a cité précédemment un court fragment. Bérose s'étend, en effet, sur les sciences, astronomie et géométrie, qui ont fleuri chez les premiers hommes et sur la longévité primitive ; le terme grec dont parle Josèphe est le cycle de 600 ans. Voir Bérose, cf. 4 Müller ; Tannery, Recherches sur l’histoire de l’astronomie ancienne, p. 306-322.
  2. Manéthon, Bérose, Hésiode, Ephore, Nicolas (de Damas) sont bien connus. Hiéronyme l'Égyptien a été mentionné plus haut. Hestiæos (ou Histiæos, d'après St. Byz.) est un historien d'époque inconnue (F, H, G., IV, 433), que Josèphe cite encore plus loin : la correction de Naber est absurde, Môchos est un vieil historien, peut-être fictif, de Sidon, dont l'ouvrage avait été traduit en grec par Laitos (F. H. G.. IV, 437). Hécatée (de Milet, non d'Abdère), Acusilaos, Hellanicos sont des chroniqueurs célèbres du Ve siècle [T. R.]
  3. Genèse, IX, 18.
  4. On ne sait d'où Josèphe a puisé ce renseignement. La phrase qui suit « comme les autres craignaient » est étrange. Quels sont ces autres ? La famille de Noé survivait seule à cette époque. D'après la suite, il semble qu'il soit ici parlé des descendants de Noé ; mais comment peuvent-ils être contemporains de Sem, Cham et Japhet ? D'après le Pirké R. Gen., ch. XI, tous les hommes s'en vont habiter la plaine de Sennaar.
  5. Cette explication n'a pas d'origine explicite dans la Bible. Le

Pirké Rabbi El., ch. XI, dit aussi que les hommes craignaient un nouveau déluge à l'époque de Nemrod qui régnait sur eux.

  1. Genèse, XI, 2.
  2. Josèphe supplée au moyen d'explications rationalistes au silence de la Genèse sur les causes de la dispersion des premiers hommes lors de l'édification de la tour de Babel. Ces explications

 

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sont sans doute personnelles à Josèphe. Le Midrash s'est efforcé aussi, mais par une autre voie, d'éclaircir le mystère du XIe chapitre de la Genèse.

  1. Genèse, X, 8 - XI, 3.
  2. Hébreu, Nemrôd ; LXX et Jubilés, ch. VIII.
  3. Dans une baraïta citée par le Talmud (Pesahim, 94 b ; Hagira, 13 a), R. Yohanan ben Zakkaï (un contemporain de Josèphe) parle de Nemrod qui fomenta la révolte contre le règne de Dieu (il joue sur le mot Nimrod, qui ressemble au mot marad, se révolter).
  4. Sur Nemrod constructeur de la tour de Babel, voir Houllin, 89 a, et Pirké R. El., XXIV, Nemrod fait un discours au peuple pour l'engager à construire une grande ville, afin de se protéger contre un nouveau déluge.
  5. Peut être allusion à la légende que les hommes voulaient alors faire la guerre à Dieu. Sanhedrin, 109 a ; Gen. R., 38; Tanh., ad loc., etc.
  6. Transcription exacte de l'hébreu. Les LXX donnent du mot Babel la même explication que Josèphe.
  7. L. III, § 2 des Oracula Sibyllina, p 84 (éd. Alexandre, Paris, 1869).
  8. Enyalios est ordinairement une épithète d'Arès, une fois de Dionysos : notre texte est le seul, à ma connaissance, où cet adjectif soit accolé au nom de Zeus. Gutschmid proposait de lire, entre grec, Poséidon (comme chez Proclus, sur Cratyle, 88) ; mais il s'agit peut-être du dieu des batailles [T. R.]
  9. Genèse, X, 32.
  10. En lisant avec Eusèbe le texte grec, il faudrait traduire : « et, ce groupant d'après la conformité de langage, ils fondent, etc. » (Eusèbe a rattaché par erreur la moitié de la première partie de ce paragraphe à la citation d'Hestiée) [T. R.]
  11. Josèphe semble ici mélanger deux manières de voir touchant l'origine des nations, origine, selon lui, à la fois humaine et divine ; il va, dans le chapitre suivant, combiner les données de la

 

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Genèse, où le partage des pays se fait théoriquement, avec ses connaissances géographiques, qui ne sont pas toujours d'accord avec les premières.

  1. Genèse, X, 1.
  2. Pour tout ce chapitre, comparez la traduction araméenne de

Ps.-Jonathan sur la Genèse et le Livre des Jubilés, ch. VIII et IX, - Josèphe a peut-être utilisé ce dernier ouvrage, quoique le point de vue soit différent selon les deux auteurs. C'est un tirage au sort qui détermine dans le Livre des Jubilés les établissements ethniques.

  1. Josèphe, comme plusieurs de ses contemporains, prend le mot grec indifféremment au sens de peuple et de province, contrée [T. R.]
  2. Les noms de peuples formés par Josèphe selon ceux des personnages bibliques sont presque tous fictifs.
  3. En hébreu : Yavan, Madaï.
  4. En hébreu : Mésech.
  5. Thïras Hébreu. Ps.-Jonathan et Josèphe sont d'accord pour identifier ce nom de peuple avec celui des Thraces.
  6. En hébreu : Thogarma.
  7. En hébreu : Tharsis.
  8. En hébreu : Khitim. Kitim ou Kityim dans la Bible est le nom

des archipels éloignés, cf. Isaïe, XXII, 1; Jérémie, II, 10; Daniel, XI, 30.

  1. Josèphe cite seulement trois fils de Javan : Élisas, Tharsos

et Chéthim. Il y en a un quatrième dans la Genèse, X, 4, Dodanim, ou, selon I Chroni., I, Kodanim.

  1. Il résulte de ce curieux passage qu'il est difficile de se rendre

compte exactement de la façon dont Josèphe prononçait l'hébreu, les altérations en vue de l'euphonie pouvant affecter le commencement et le corps des mots comme leur terminaison.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

  1. Phout Hébreu.
  2. En hébreu : Miçraïm.
  3. Le même que celui qui est appelé plus loin Libiïm.
  4. En hébreu : Kenaan.
  5. En hébreu : Sabtha.
  6. En hébreu : Sabtecha.
  7. En hébreu : Ra'mah.
  8. Diffère assez sensiblement de l'hébreu Dedan.
  9. En hébreu : Loudim, Animim, Lehabim.
  10. En hébreu : Naphthouhim.
  11. En hébreu : Pathrousim.
  12. En hébreu : Kaslouhim et Kafthôrim. Les Philistins forment

dans Josèphe une souche à part, sans lien avec Kaslouhim comme le veut la Gen., X, 14.

[134] Liv. II, X.

  1. En hébreu : Hamati. L'ordre des noms qui suivent est tout différent dans la Septante et dans l'hébreu.
  2. En hébreu : Arvadi.
  3. En hébreu : Arki.
  4. En hébreu : Hivvi, Heth.
  5. Genèse, IX, 20.
  6. Genèse, X, 22.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

  1. Les LXX ont une variante curieuse, ils placent ici un autre nom grec.
  2. En hébreu : Mas ; LXX emploient un nom grec qui semble venu de l'hébreu Mesech.
  3. En hébreu : Sélah.
  4. En hébreu : Hatzarmaveth.
  5. En hébreu : Yarah.
  6. En hébreu : Obal.
  7. Genèse, XI, 10.
  8. En hébreu : Reou.
  9. En hébreu : Thérah.
  10. Josèphe transcrit de la même façon les deux noms hébreux Abram et Abraham.
  11. Ce chiffre de 922 est bien le total des chiffres qui suivent. Si donc on admet l'authenticité des chiffres partiels, cette leçon, qui n'est pas celle de tous les manuscrits, est la seule acceptable. Mais il est probable qu'il y a eu interpolation. Quelques manuscrits annoncent d'abord un total de 292 ans, ce qui se rapproche beaucoup du total biblique, qui est de 295. Seulement ces manuscrits donnent ensuite comme les premiers des chiffres qui sont ceux de la Genèse, augmentés chacun de 100 années. Le système de Josèphe semble différer à la fois de celui de la Bible et de celui des LXX, qui introduisent dans la liste des descendants de Sem un Kaïnan, père de Sélah à l'âge de 130 ans. Il faut croire que Josèphe s'est conformé aux indications bibliques pour les noms des fils de Sem et leur succession, mais en les faisant pères 100 ans plus tard que dans la Bible ; ou bien que tout le passage est interpolé ; dans ce cas, il faudrait garder 292 (293 ?) et corriger les chiffres suivants conformément au total.
  12. Genèse, XI, 27
  13. Le nom grec est l'unique transcription du nom hébreu

Sarah, d'abord Saraï dans la Genèse jusqu'à XVII, 15. Les LXX ont Saraï et Sarah. La Genèse donne pour filles à Haran : Milkha et

 

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Yiska, La tradition identifie, en effet (Sanh., 69b) Yiskah et Sarah.

Josèphe remplace tout simplement l'une par l'autre.

  1. Gen., XI, 8 : Beour Kasdim. Les LXX ont seulement : « dans le pays des Chaldéens ».
  2. La Genèse dit seulement (XI, 29) qu'Abraham épousa Saraï. Pour Josèphe, comme pour la tradition rabbinique, Sara est la fille de Haran et, par conséquent, la nièce d'Abraham.
  3. Confusion de Gen. (VI, 2) avec le fait que Moïse est mort à cet âge.
  4. Genèse, XXII, 20.
  5. En hébreu : Ouz, Bouz.
  6. En hébreu : Kemouel.
  7. En hébreu : Késed.
  8. En hébreu : Pildasch, Yidlaph.
  9. En hébreu : Tébah.
  10. En hébreu : Tahas, Ma'achak.
  11. Genèse, XII, 1.
  12. Dans le Talmud (Sanhédrin, 69 b), Loth est donné aussi comme étant fils de Haran.
  13. Les motifs pour lesquels Abraham quitte la Chaldée se

trouvent aussi chez Philon, Quis rerum div. her., § 20, M., I, p 486 ; De migrat. Abr., § 32, M., I, p. 463 sqq., et De Abrahamo, M., II, p. 11 : les Chaldéens, très versés dans l'astronomie, se trompaient en attribuant une puissance divine au monde visible. Aussi Dieu engage Abraham à quitter la Chaldée, c'est-à-dire à s'affranchir des erreurs Chaldéennes. Le Midrash s'occupe également des motifs du départ d'Abraham (Gen. R., XLIV ; Sabbat, 156 a; Nedarim, 32 a).

  1. Je suis porté à croire que dans cet article Josèphe s'est inspiré du Pseudo-Hécatée sur Abraham [T. R.]

 

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  1. Bérose, fr. 8 Müller (Textes, p. 34). Josèphe omet de dire sur quoi se fonde son identification entre ce « sage chaldéen » et Abraham. Il faut observer, en outre, que d'après la Bible, Abraham était le onzième et non le dixième descendant de Noé [T. R.]
  2. Hécatée d'Abdère, philosophe et historien qui vécut en Égypte sous le premier Ptolémée (vers 300 av. J. C.). Mais l'ouvrage sur Abraham, où se trouvaient notamment des vers apocryphes de Sophocle, est sûrement une fraude juive de l'époque hasmonéenne (Textes, p. 236) [T. R.]
  3. Nicolas, fr. 30 Müller (Textes, p. 78). Trogue Pompée citait également Abraham parmi les rois de Damas. Ces traditions ont dû prendre naissance à l'époque des rapports intimes entre Damas et Israël [T. R.]
  4. Genèse, XII, 10.
  5. En hébreu : Phar'ô ; Josèphe conserve partout cette

transcription grecque qu'on ne trouve que chez lui. Voir, d'ailleurs, la notice que Josèphe consacre aux Pharaons dans Ant., VIII, §§ 155-159. D'après le Bellum Jud. (V, § 379), le roi égyptien qui voulait prendre Sara s’appelait Néchao.

  1. Cp. Eupolémos (dans Eus., Pr. ex., IX, 17 ; F. H. G., III, 212) : « Les devins, appelés par lui, déclarèrent que la femme n'était point libre ».
  2. Cp. Artapanos (Eus., Pr. ex., IX, 18 ; F. H. G., III, 213) : « il

dit qu’Abraham vint avec tous les siens chez Pharétonés, roi d’Égypte, et lui apprit l’astronomie ».

  1. Genèse, XIII, 1.
  2. Genèse, XIV, 1.
  3. Ancien Midrash dans Tossefta Sota, III, 11 ; cf. Mechilla sur Exode, XV, 1 ; Sifré, Deuter. 43 ; Sanhédrin, 109 a, etc.
  4. En hébreu : Béra.
  5. En hébreu : Bir•a’.

 

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  1. En hébreu : Sinab.
  2. En hébreu : Sémèber.
  3. Ou des Balèniens. Hébreu: Béla’.
  4. En hébreu : Amraphel.
  5. En hébreu : Kedarlaômer.
  6. En hébreu : Thid’al.
  7. L’expression se trouve dans les LXX (Gen. XIV, 10)
  8. Genèse, XI, 13.
  9. Un passage tout à fait analogue se lit dans Philon, De Abr., §

40 (M., II, p. 34) : « ils avaient déjà mangé et se préparaient à dormir. Il (Abraham) immola ceux qui étaient au lit, et tailla en pièces ceux qui lui opposèrent résistance. Enfin il remporta sur eux une victoire complète, due à la vaillance de son âme plutôt qu'a ses armes. » Josèphe suit d'un peu plus près les données bibliques.

  1. La même interprétation, conforme, d'ailleurs, à l'hébreu, se

trouve dans Philon, entre autres passages : Leg. alleg., III, § 25 (M., p. 103).

  1. Cette étymologie fantaisiste de Jérusalem est donnée avec

plus de précision au livre VII, § 67 ; cf. B. Jud., VI, § 438. Saint Jérôme prétend que le Salem (Solyma) de Melchisédech était une bourgade voisine de Scythopolis, qui avait consacré ce nom jusqu'à son temps [T. R.]

  1. En hébreu : Anèr.
  2. Genèse, XV, 13.
  3. Genèse XIII, 18 ; XVI, 1
  4. C'est la localité appelée dans l'Écriture les Chênes de Mambré. Josèphe lui donne, d'ailleurs, lui-même ce nom un peu plus loin (XI, 2). Quant à Ogygé, ce nom rappelle celui d'un roi de l'antiquité grecque, à l'époque duquel les traditions placent un

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déluge analogue à celui de la Bible. Josèphe semble y avoir songé en écrivant Ogygé, soit par une confusion involontaire, soit afin de suggérer un rapprochement.

  1. Genèse, XV, 18 ; XVII, 8.
  2. Ce motif n'est pas exprimé dans l’Écriture. De la phrase suivante : « Quant à la raison de notre pratique de la circoncision », il semble résulter que Josèphe distinguait le motif historique de sa prescription de son sens rationnel ou symbolique.
  3. Allusion à un ouvrage qui devait traiter de la signification

rationnelle des lois hébraïques. Cet ouvrage est probablement le même dont Josèphe parie dans le préambule et dans plusieurs autres passages des Antiquités.

  1. Cf. Gen. R., XLI. Selon le Midrash, les Sodomites péchaient envers eux-même par leurs infractions aux lois et envers Dieu par leur idolâtrie.
  2. Le Talmud (Sanhédrin, 109 a) rapporte aussi que les habitants de Sodome, orgueilleux de leur prospérité et de la richesse de leur pays, où « poussait le pain » selon le verset de Job (XXVIII, 5), décidèrent de ne plus accueillir les passants, les « ôberè derachim ».
  3. Genèse, XVIII, 20.
  4. Genèse, XVIII, 2.
  5. Ce détail se lit aussi dans le Midrash (Gen. R., XLVIII). Le mot « et ils mangèrent » de la Genèse (XVIII, 8) est compris comme s'il y avait : « et ils firent semblant de manger ». Philon dit de même (De Abrah., § 23, M. II, p. 18) : « chose merveilleuse, quoique n'ayant pas faim, ils avaient l’air d'avoir faim, et, quoique ne mangeant pas, ils paraissaient manger ».
  6. Le texte est probablement altéré. Comment Sara peut-elle sourire d'un propos qu'elle n'a pas entendu ? [T. R.]
  7. La tradition assigne aussi une mission différente à chacun des anges. Voir Raba Meçia, 86 b ; Gen. R., L. Le verset XIX, 1, où il n'est plus question que de deux messagers, exerçait les commentateurs et leur faisait supposer que l'un des anges, le premier, était chargé d'annoncer à Sara la naissance d'un fils ; les deux autres devaient sauver Loth et détruire Sodome. Selon

 

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Philon aussi (De Abrah., 28, M. II, p. 22), deux des trois anges seulement étaient chargés d'aller à Sodome.

  1. Genèse, XIX, 1.
  2. Le Midrash (Gen. R., L, et Pirké R. Eliezer, XXV) explique que Loth avait appris l'hospitalité quand il demeurait avec Abraham.
  3. Genèse, XIX, 11.
  4. Voir Bell. Jud. (liv. IV, XVIII, 4). Josèphe n'accepte pas

l'opinion d'après la quelle Sodome aurait disparu dans la mer Morte.

  1. Il s'agit sans doute d'un bloc détaché de la chaîne de

montagnes appelée aujourd'hui Djebel Ousdoum, vers l'extrémité sud-ouest de la mer Morte, et qui se compose en majeure partie de sel cristallisé. [T. R.]

  1. En hébreu : Çô'ar.
  2. Genèse, XX, 1.
  3. Josèphe copie ici sans doute la glose que les LXX ajoutent

au verset (Gen., XIX, 37) : (( et elle lui donna le nom de Moab, disant : “issu de mon père” ». Le mot hébreu moab est compris comme s'il y avait méab, du père.

  1. Même traduction que dans les LXX (Gen., XIX, 38) : (( fils de ma race ». L'hébreu Ben-Ammi est pris pour une glose.
  2. Genèse, XX, 1
  3. Genèse, XXI, 22.
  4. En hébreu : Beerçéba'.
  5. Genèse, XXI, 1.
  6. En hébreu : Yiçhak.
  7. Ce passage est peu intelligible dans le grec.

 

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  1. Genèse, XXV, 12 ; I Chroniques, I, 29.
  2. En hébreu : Adbeèl.
  3. En hébreu : Mibsam.
  4. Hébreu et dans LXX : Douma.
  5. En hébreu : Misma'.
  6. En hébreu : Massa.
  7. En hébreu : Hadad.
  8. Hébreu et dans LXX : Kedma.
  9. Genèse, XXII, 1.
  10. En hébreu : Môria. Dans l'Écriture (Gen., XXII, 2), il est

question seulement d'une montagne qui se trouvait dans le pays de Môria. L'expression « mont de Môria » ne se rencontre que II Chron., III, 1, pour indiquer la montagne du Temple. Josèphe identifie plus bas ces deux montagnes, de même que la tradition (Gen. R., LV).

  1. Le Midrash dit aussi qu'Abraham prit bien soin de cacher à

Sara le but réel de son départ avec Isaac. Dans Tanhouma (sur Gen., XXII, 4), Abraham dit à Sara qu'il emmène Isaac dans un endroit où on fera son instruction.

  1. Au lieu de David on attendrait Salomon.
  2. Nous suppléons ces mots nécessaires au sens et que le copiste a oubliés [T. R.]
  3. Bien entendu, tout ce discours est imaginé par Josèphe : on ne lit rien de semblable dans la Bible.
  4. Genèse, XXIII, 1.
  5. Hébreu et dans LXX : Ephrôn.
  6. Genèse, XXV, 1 ; I Chroniques, I, 32.

 

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  1. En hébreu : Zimran.
  2. En hébreu : Yok•an.
  3. En hébreu : Yi•bak.
  4. En hébreu : Souah.
  5. Par inadvertance, sans doute, Josèphe a remplacé ici par Souah le Yok•an de la Genèse.
  6. En hébreu : Seba.
  7. Hébreu et dans LXX : Dedan.
  8. L'hébreu donne un autre ordre : Assourim, Letou•im, Leoumim.
  9. Dans le texte hébreu, c'est Madian et non Madan.
  10. En hébreu : 'Efer.
  11. En hébreu : Abida.
  12. En hébreu : Elda’a.
  13. Frag. hist. graec., III, 214, n° 7.
  14. Genèse, XXIV, 1.
  15. On a déjà vu que ce fils s'appelait Bathouël (VI, 5).
  16. C'est contraire au récit biblique.
  17. Genèse, XXV, 8.
  18. Genèse, XXV, 21.
  19. Josèphe est ici en désaccord avec l'Écriture : Abraham était encore vivant à ce moment; il fallait dire « après la mort de Sara ».

 

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  1. Josèphe simplifie les données de la Bible : dans l'Écriture, c'est d'abord Isaac qui invoque Dieu (v. 21), puis c'est au tour de Rébecca (v. 22), et c'est à Rébecca seule que Dieu révèle l'avenir de ses fils.
  2. Ni dans la Bible, ni dans les LXX, Esaü ne porte le nom de

Séîr. Aussi toute cette fin de phrase parait à M. G. Schmidt (De Fl. Josephi elocutione, Leipzig, 1883, p. 9) une glose d'un éditeur hébraïsant qui, ne connaissant pas de substantif tiré de la racine d'où vient le nom d'Esaü, a pensé au nom de Séîr, formé de la racine poil, cheveu, mot qui lui était suggéré, d'ailleurs, par l'histoire d'Esaü, où il revient souvent comme désignation géographique (pays de Séîr, montagne de Séîr). Mais il n'est pas nécessaire de recourir à cette hypothèse d'une interpolation érudite. Josèphe a pu fort bien se fonder sur le verset 25 du ch. XXV, et induire que Séîr était un autre nom d'Esaü. Dans une autre version rapportée par certains manuscrits et adoptée par Niese, on ne trouve pas le nom de Séîr et on lit cette phrase : « ...Esaü, ainsi nommé parce qu’il etait couvert de poils ; les Hébreux appellent la chevelure d’un autre mot ». Si tel est le texte, Josèphe aurait tout à fait brouillé les deux racines que contient le verset 25. L'étymologie de ces deux racines, qui est implicitement renfermée dans ce verset, aurait été adoptée par Josèphe, qui, pour la rendre plus apparente, aurait inversé ces deux racines. C'est là un artifice dont Josèphe était capable. Il est donc assez difficile d'établir au juste à cet endroit le texte original.

  1. Genèse, XXVI, 1.
  2. C'est-à-dire : Ravin. Il est assez singulier que Josèphe,

voyant dans le mot Nabal-Gerar (Gen., XXVI, 17) un nom propre, l'ait néanmoins traduit en grec. Il semble avoir suivi les LXX, qui traduisent de même Nabal-Gerar par « dans le ravin de Gérar » ; mais les LXX ne font pas comme lui de nahal un nom propre.

  1. En hébreu : Rehoboth. La traduction qu'en donne Josèphe concorde avec celle des LXX. Les LXX ne donnent pas les noms hébreux des trois puits qui sont énumérés dans ce passage.
  2. En hébreu : Ecek. Les LXX traduisent par « injustice ».
  3. En hébreu : Sitna.
  4. En hébreu : Phikhol.
  5. Genèse, XXXVI, 1.

 

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  1. En hébreu : Oholibama.
  2. Josèphe passe un intermédiaire, qui est Ana. En hébreu :

Çibeon. Il y a dans la Bible trois notices très difficiles à accorder concernant les mariages d'Esaü (Gen., XXVI, 34-35; XXVIII, 8-9; XXXVI, 2-3) ; Josèphe ne suit que la troisième, en l'insérant dans son récit avant l'histoire des bénédictions d'Isaac.

  1. Genèse, XXVII, 1.
  2. Genèse, XXVIII, 8.
  3. Genèse, XXVIII, 12.
  4. Le texte est ici corrompu.
  5. LXX traduisent par « maison de Dieu ».
  6. Genèse, XXIX, 1.
  7. Dans la Genèse (XXIX, 17), on dit seulement que les yeux de Lia étaient faibles.
  8. Il semble qu'il y ait ici une lacune dans le texte de Josèphe,

car on ne comprend pas pourquoi il ne s'explique pas davantage sur ce motif qui est indiqué en toutes lettres dans la Genèse (XXIX, 26) : « Laban lui-même dit : Ce n'est pas la coutume dans notre endroit de donner la cadette avant l'aînée ».

  1. En hébreu : Zilpah et Bilhah.
  2. En hébreu : Reouben. Josèphe donne ici une étymologie un peu vague, qui ne correspond pas dans les termes à celle qui est indiquée dans l'hébreu (Gen., XXIX, 32), ni a celle de Philon. Aurait-il vu dans la finale du mot el - qui n'existe que dans la transcription - le nom de Dieu ?
  3. En hébreu : Sim'ôn.
  4. En hébreu : Lévi.
  5. En hébreu : lehouda.

 

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  1. Genèse, XXX, 7.
  2. En hébreu : Naphtali.
  3. Pour la traduction du mot Gad, qui est obscur, Josèphe emploie la même expression que les LXX.
  4. Cf. LXX (Gen., XXX, 13) : « parce qu'on me félicitera ».
  5. Même traduction que dans les LXX des doudaïm de la Genèse.
  6. Cf. LXX : « c’est-à-dire salaire ».
  7. En hébreu : Zebouloun.
  8. Cette interprétation de l'acte de Rachel à un caractère midraschique. La Bible ne dit rien de pareil.
  9. Genèse, XXXI, 22.
  10. La Bible dit le troisième jour.
  11. Genèse, XXXI, 31.
  12. Genèse, XXX, 27.
  13. Genèse, XXXI, 32.
  14. En hébreu : Gal’èd.
  15. Genèse, XXXII, 7.
  16. Genèse, XXXII, 23.
  17. En hébreu : Yabbôk.
  18. Le verset 29 du chapitre XXXXII explique le nom d'Israël par

ces mots : « Tu as combattu contre Elohim ». Josèphe atténue cet anthropomorphisme. Les LXX traduisent : « Tu as pris des forces avec Dieu ».

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 1

  1. Genèse, XXXII, 23.
  2. Le nerf sciatique.
  3. Genèse, XXXIII, 1.
  4. En hébreu : Séïr.
  5. Cf. LXX (Gen., XXXIII, 17).
  6. Genèse, XXXIV, 1.
  7. Cp. Eus., Praep. ev., IX, c. 22 (d'après un poète du nom de

Théodotos, mentionné par Josèphe dans le Contre Apion, I, § 218): « Dîna, qui était vierge, serait allée à Sichem à l'époque d'une fête, curieuse de voir la ville ». Dans le Pirké de R. El., Sichem est censé amener des jeunes filles pour les faire jouer et frapper sur des tambourins devant la tente de Dîna, afin de l'attirer au dehors et de l'enlever. Le Séfer hayaschar, 63 a et b, raconte une scène du même genre. Il y avait fête à Sichem, avec grand concours des femmes du pays, venues pour assister aux réjouissances. Rachel, Léa et leurs servantes, ainsi que Dîna, sortirent aussi de leurs maisons pour voir ce spectacle. C'est à cette occasion que Sichem, fils de Hamor, aperçut Dîna et s'éprit d'elle.

  1. En hébreu : Sekhem.
  2. En hébreu : Hamôr.
  3. Genèse, XXXV, 16.
  4. Dans la Bible, c'est le nom de Benôni, donné par Rachel à Benjamin, qui rappelle ses souffrances ; Benjamin (Binyamin) signifie « fils de ma vieillesse ».
  5. La Bible (Gen., XXXV, 28) n’attribue à Isaac que cent quatre-vingts ans.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 1)

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JOSEPHE

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE XI - LIVRE XII - LIVRE XIII - LIVRE

XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE 2

Chapitre premier

Esaü et Jacob, fils d’Isaac, se partagent son héritage. ; Ésaü occupe l’Idumée, Jacob la Chananée.

1. Ésaü cède son droit d’aînesse à Jacob. – 2. Prospérité d’Ésaü ; l’Idumée.

1[1]. Après la mort d'Isac, ses fils se partagèrent entre

eux ses domaines, mais ils ne gardèrent pas les pays

qu'ils avaient reçus. Esaü quitta la ville d'Hébron, cédant la place à son frère, et passa sa vie à Saira, d'où il

gouverna l'Idumée, pays qu’il appelait ain~i d~après lui-même : car il avait pour surnom Edôm(os)[2] par

l'occasion suivante. Un jour, étant encore enfant, il revenait[3] de la chasse, fatigué de ses courses, accablé

de faim ; rencontrant son frère qui venait de se préparer pour son repas un plat de lentilles, d'une belle couleur dorée, ce qui excita davantage encore son désir, il lui demanda de les lui donner à manger. Celui-ci, profitant de ce grand appétit, obligea[4] son frère de lui céder en

échange son droit d'aînesse ; et ce dernier, talonné par la faim, lui abandonna ses droits en s'engageant par

serment. Ensuite, à cause de la couleur dorée du mets,

 

Zone de Texte: Joseph, que Jacob avait eu de Rachel, était celui de tousFLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 1)

les jeunes gens de son âge l'appelèrent, en manière de plaisanterie, Edom, - c'est par le mot édôma que les Hébreux désignent le rouge, - et il nomma ainsi le pays ; ce sont les Grecs qui lui ont donné le nom d'Idumée pour plus de noblesse.

2F5]. Il devient père de cinq enfants ; d'abord Iaous, Iéglôm(os)F6] et Koréos d'une seule femme nommée

Olibamé ; quant aux autres, Eliphaz(ès) lui naquit d'Ada, Ragouèl(os) de Basemmathé. Tels étaient les fils d'Esaü. Eliphaz eut cinq fils légitimes : Théman(os), Oman(os)F7],

SôpharosF8], Golham(os)F9], Kénéz(os) ; Amalèc(os) était

un bâtard qui lui était né d'une concubine, nommée ThamnaéF10]. Ceux-ci occupèrent la partie de l'Idumée

nommée Gobolitide et celle qui s'appela, d'après Amalec, Amalécitide : l'Idumée, qui s'étendait loin autrefois, a conservé dans son ensemble, comme dans ses parties, les noms qui provenaient de ses fondateurs.

Chapitre II

Joseph, le plus jeune des fils de Jacob, à cause des songes qui lui prédisaient sa fortune future, excite la jalousie de ses frères.

1. Prospérité de Jacob. - 2-3. Songe de Joseph. - 4. Jalousie de ses frères.

1F11]. Jacob parvint à un degré de prospérité qui a

difficilement été atteint par un autre : en richesse, il dépassait les habitants du pays; les vertus de ses enfants le faisaient considérer avec envie : point de qualité qui leur ni défaut ; pour le travail des mains et la résistance aux fatigues, ils montraient beaucoup de courage et une vive intelligence. La divinité prenait un tel soin de lui et veillait si bien à sa prospérité que même les événements qui lui semblaient déplorables devinrent une source d'immenses bienfaits et qu'elle prépara pour nos ancêtres la sortie d'Égypte par le moyen de Jacob et de ses descendants, voici de quelle façon.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 1)

ses enfants qu'il chérissait le plus, tant pour sa beauté physique que pour les qualités de son âme, car il avait une sagesse exceptionnelle. Il s'attira la jalousie et la haine de ses frères par cette affection que son père lui vouait, ainsi que par des songes qui lui promettaient la fortune et qu'il allait raconter à son père ainsi qu'à eux : car les hommes sont jaloux des prospérités même de leurs plus proches parents. Or, voici ce que Joseph vit en songe.

2F12]. Envoyé avec ses frères par son père pour faire la

moisson au plus fort de l'été, il eut une vision très différente des songes qui nous visitent d'ordinaire pendant le sommeil ; réveillé, il la raconte à ses frères pour qu'ils lui en montrent la signification. Il avait vu, disait-il, la nuit passée, sa gerbe de froment immobile à l'endroit où il l'avait posée, tandis que les leurs accouraient se prosterner devant la sienne, comme des esclaves devant leurs maîtres. Ceux-ci comprirent que la vision lui présageait la puissance, une grande fortune, et la suprématie sur eux-mêmes, mais ils n'en firent rien savoir à Joseph, comme si le songe leur était inintelligibleF13]. Ils formèrent des vœux pour que rien

ne se réalisât de ce qu'ils auguraient, et leurs sentiments d'aversion pour lui ne firent que s'aggraver encore.

3. Renchérissant sur leur jalousie, la divinité envoya à Joseph une seconde vision bien plus merveilleuse que la précédente : il crut voir le soleil, accompagné de la lune et des autres astres, descendre sur la terre et se prosterner devant lui. Cette vision, il la révéla à son père en présence de ses frères, sans soupçonner aucune méchanceté de leur part, et lui demanda de lui expliquer ce qu'elle voulait dire. Jacob se réjouit de ce songe ; il réfléchit aux prédictions qu'il enfermaitF14], dans sa

sagesse en devina heureusement le sens, prit plaisir aux grandes choses qu'il annonçait, à savoir la prospérité de son fils et la venue d'un temps voulu par Dieu où il deviendrait digne des hommages et de la vénération de ses parents et de ses frères ; la lune et le soleil, c'étaient sa mère et son père, celle-là faisant tout croître et se développer, celui-ci donnant aux objets leur forme et

 

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leur imprimant toutes les autres énergies ; les autres astres désignaient ses frères : ils étaient, en effet, au nombre de onze comme les astres[15], empruntant,

comme eux, leur force au soleil et à la lune.

4. Jacob avait montré beaucoup de sagacité dans l'interprétation de cette vision ; quant aux frères de Joseph, ces prédictions les chagrinèrent fort ; à leurs sentiments, on eût dit que c'était un étranger qui allait profiter des bienfaits annoncés par les songes et non pas un frère ; c'étaient cependant des biens dont il était naturel qu'ils partageassent la jouissance, puisqu'ils allaient être unis à la fois par les liens de la naissance et de la prospérité. Ils méditent de faire périr le jeune homme' et, ayant arrêté ce projet, comme les travaux de la récolte étaient terminés, ils se dirigent vers Sikima[16]

(Sichem), pays excellent pour ses pâturages et pour l'élève du bétail ; là, ils s'occupèrent de leurs troupeaux sans aviser leur père de leur venue dans ce pays. Celui-ci, dans son incertitude, comme personne ne venait des pâturages qui pût lui donner des nouvelles certaines de ses fils, faisait à leur égard les plus inquiétantes conjectures, et, plein d'anxiété, il envoie Joseph vers les troupeaux pour s'informer au sujet de ses frères et lui rapporter ce qu'ils faisaient.

Chapitre III

Josèphe, victime de la haine de ses frères, est vendu par eux en Égypte, y devient grand et illustre et tient ses frères en son pouvoir.

1. Les frères de Joseph complotent sa mort. - 2. Discours de Ruben. - 3. Joseph vendu aux Ismaélites. - 4. Deuil de Jacob.

1. Ceux-ci, voyant leur frère arriver vers eux, se réjouirent, non pas de voir un parent, l'envoyé de leur père, mais comme s'il s’agissait d'un ennemi que la volonté divine livrait entre leurs mains ; et ils se mirent en devoir de le faire périr tout de suite, sans laisser échapper l'occasion qui s'offrait. Les voyant dans ces

 

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dispositions, tous d'accord pour accomplir l'acte, Roubel, le plus âgé, tenta de les retenir ; il leur représenta l'énormité de leur crime et l'horreur qu'il exciterait ; si c'était une scélératesse et un sacrilège, aux yeux de Dieu et des hommes, de tuer de sa main un homme à qui la parenté ne nous lie point, il serait beaucoup plus abominable encore d'être convaincus d'avoir accompli le meurtre d'un frère, dont la disparition causerait en même temps une grande douleur à leur père et plongerait dans le deuil une mèreF17], à qui un enfant

serait ainsi ravi hors des lois naturelles. Il les engage donc, par considération pour leurs parents, à réfléchir à la douleur que leur causerait la mort d'un fils si vertueux et si jeune, et à s'abstenir de leur attentat, à craindre Dieu, qui était déjà spectateur et témoin tout ensemble de leurs intentions contre leur frère, et qui leur saurait gré d'avoir renoncé à leur forfait et obéi à de sages réflexions ; que s'ils en venaient à l'acte, il n'était pas de châtiment qu'il ne leur infligeât pour leur fratricide, car ils auraient profané sa providence présente en tout lieu et à qui n'échappe rien de ce qui se passe, soit dans la solitude, soit dans les villes ; car partout où se trouve l'homme, il faut se dire que Dieu lui-nième est présent. Leur propre conscience, disait-il, serait le pire ennemi de leur entreprise ; que la conscience soit pure, ou dans l'état où ils la mettront par le meurtre de leur frère, on ne peut fuir devant elle. Il ajoutait encore à ses remontrances qu'il n'est pas légitime de tuer un frère, eût-il mal agi, et qu'il est beau de ne pas garder rancune à des êtres chers des fautes qu'ils ont pu commettre. Et c'était Joseph, qui n’avait jamais été coupable envers eux, qu'ils voulaient faire périr, « lui, dont l'âge tendre, disait-il, réclame plutôt la pitié et toute notre sollicitude ! » Quant au motif du meurtre, il aggravait encore l'odieux de leur forfait, si c'était par jalousie pour sa fortune future qu'ils avaient résolu de lui ôter la vie, alors qu'ils pouvaient en avoir chacun une part égale et en jouir en commun, n'étant pas pour lui des étrangers, mais des parents ; ils pouvaient considérer comme leur bien tout ce que Dieu donnait à Joseph et ils devaient donc penser que la colère céleste n'en deviendrait que plus terrible, si, en tuant celui-là même que Dieu jugeait digne de ces

 

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bienfaits tant souhaités, ils ravissaient à Dieu l'objet de ses faveurs.

2. Roubel, par ces paroles et beaucoup d'autres encore, les suppliait et tentait de les détourner du fratricide ; mais, comme il voyait que ses paroles, bien loin de modérer leur passion, ne faisaient que les exciter au meurtre, il leur conseilla d'adoucir au moins l'horreur de leur acte par le choix du moyen. Il eût mieux valu, leur disait-il, suivre ses premiers conseils, mais puisqu'ils avaient décidé d'immoler leur frère, ils seraient moins criminels en obéissant au plan qu'il allait maintenant leur donner ; sans doute, ce plan acceptait l'acte qu'ils avaient décidé d'accomplir ; mais la façon serait autre et, mal pour mal, le crime plus léger. Il entendait qu'ils ne missent pas à mort leur frère de leurs propres mains, mais qu'ils le précipitassent dans la citerne prochaine, où ils le laisseraient périr ; ils y gagneraient de ne pas souiller leurs mains de son sang. Les jeunes gens y consentirent et Roubel, ayant saisi l'adolescent, le lie au moyen d'une corde et le fait descendre doucement dans la citerne qui se trouvait suffisamment sèche. Cela fait, il s’en va en quête de terrains propres aux pâturages.

3F18]. JoudasF19], qui était également fils de Jacob, vit

alors passer des Arabes de la race des Ismaélites, qui portaient, des parfums et des marchandises syriennes de la Galadène aux Égyptiens ; après le départ de Roubel, il conseille à ses frères de faire remonter Joseph pour le vendre aux Arabes ; envoyé ainsi le plus loin possible, il mourrait chez des étrangers et eux-mêmes seraient purifiés de toute souillure. L’avis leur plaît et ils vendent aux marchands pour vingt mines Joseph, qu'ils retirent de la citerne : il avait alors dix-sept ans. Roubel revient de nuit à la citerne, résolu de sauver Joseph à l'insu de ses frères ; et comme celui-ci ne répondait pas à ses appels, craignant qu'ils ne l'eussent tué après son départ, il accable ses frères de reproches. Mais ils lui disent ce qui s'est passé, et Roubel cesse de se lamenter.

4. Après que Joseph eut ainsi été traité par ses frères, ils cherchèrent comment ils pourraient se mettre à l'abri des soupçons paternels ; ils songèrent à la tunique dont

 

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Joseph était revêtu quand il vint près d'eux et dont ils l'avaient dépouillé pour le faire descendre dans la

citerne ; ils résolurent de la mettre en pièces, de la tacher de sang de bouc et d'aller la porter à leur père en lui donnant à croire que les bêtes avaient déchiré son fils. Ils firent ainsi et s'en vinrent auprès du vieillard, qui avait déjàF20] eu connaissance du malheur de son fils, et

lui dirent qu'ils n'avaient pas vu Joseph et ne savaient ce qui lui était advenu, mais qu'ils avaient trouvé cette tunique sanglante et lacérée, ce qui leur avait fait supposer qu'il était mort, surpris par les bêtes féroces, si toutefois c'était couvert de ce vêtement qu'on l'avait fait partir de la maison, Jacob, qui caressait l'espoir plus doux que son fils avait été vendu comme esclave, abandonna cette conjecture, songeant que la tunique était un témoignage manifeste de sa mort ; car il savait que Joseph en était vêtu quand il l'avait envoyé chez ses frères, et désormais il pleura l'enfant comme s'il était mort. Telle était son affliction qu'on l'eût cru le père d'un fils unique, ne trouvant aucune consolation dans les autres ; il se figurait qu'avant d'avoir pu rencontrer ses frères, Joseph avait été anéanti par les bêtes féroces. Il demeurait assis, couvert d'un cilice, appesanti dans son chagrin ; ni ses fils, par leurs exhortations, n'adoucissaient son humeur, ni lui-même ne parvenait à lasser sa douleur.

Chapitre IV

1. Joseph chez Putiphar. - 2. La femme de Putiphar. - 3. Ses instances auprès de Joseph. - 4. Chasteté de Joseph. - 5. Vengeance de la femme de Putiphar.

1F21]. Joseph, vendu par les marchands, fut acheté par Pétéphrès (Putiphar)F22], un Égyptien, chef des bouchers

du roi Pharaôthès ; cet homme le tint en parfaite estime, lui donna une éducation libérale, lui accorda de vivre dans une condition bien supérieure à celle d'un esclave, confia à sa surveillance toute sa fortune. Joseph jouissait de ses bienfaits sans que la vertu qui l'ornait subit d'éclipse par suite de ce changement ; il montra que la véritable sagesse peut triompher des épreuves de

 

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la vie et qu'elle ne s'accommode pas seulement de la prospérité due au hasard.

  1. En effet, la femme de son maître se prit d'amour pour lui à cause de sa beauté et de l’habileté dont il témoignait dans les affaires ; elle pensa que, si elle lui manifestait cet amour, elle le persuaderait aisément d'entretenir des relations avec elle, et qu'il regarderait comme une bonne fortune de se voir désiré par sa maîtresse ; elle le considérait sous les dehors actuels de la servitude et non selon les sentiments où il était demeuré en dépit du changement de sa condition. Elle lui découvrit sa passion et parla même de la satisfaire ; mais Joseph rejeta sa demande, estimant qu'il n'était pas permis d'avoir pour elle cette complaisance qu'il estimait injuste et outrageante à l'égard de celui qui l'avait acheté et jugé digne de tant de faveurs. Il l'engagea à surmonter sa faiblesse, en faisant ressortir l'impossibilité de donner satisfaction à cette passion, laquelle finirait par s'apaiser, puisqu'il n'y avait point d'espoir ; pour lui, il supporterait tout plutôt que de se laisser entraîner à ce crime ; car, enfin, si un esclave ne doit rien faire qui contrarie sa maîtresse, en de telles circonstances une infraction à ces règles était parfaitement excusable. Mais le désir de la femme ne fit que s'irriter davantage devant cette résistance inattendue de Joseph, et, comme elle était étrangement tourmentée par son mal, elle fit une nouvelle tentative pour arriver à ses fins.
  2. Un jour qu'une fête publique s'apprêtait[23], où la loi

prescrivait aux femmes de se joindre à l'assemblée, elle prétexta envers son mari une maladie, car elle cherchait l'isolement et une occasion favorable pour renouveler ses instances auprès de Joseph. Cette occasion s'étant trouvée, elle lui tient un langage bien plus pressant encore que la première fois : il eût mieux valu pour lui céder à ses premières instances, sans faire d'objection, sensible à la confusion de la solliciteuse et à l'excès de cette passion qui force une maîtresse à s'abaisser au-dessous de sa dignité ; maintenant encore il serait plus avisé en acquiesçant et il réparerait son étourderie de naguère. Que s'il n'attendait qu'une seconde

 

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sollicitation, voici qu'elle l'avait faite et avec plus d'ardeur encore : elle avait prétexté une maladie ; à la fête et à la réunion elle avait préféré un entretien avec lui ; et si c'était la défiance qui l'avait fait repousser ses premières raisons, la preuve qu'il n'y avait point de sa part perfidie, c'est qu'elle y persistait. Il pouvait s'attendre non seulement à goûter les félicités présentes, dont il jouissait dès maintenant, en se prêtant à son caprice, mais à obtenir encore de plus grands biens par sa soumission ; en revanche, c'était son inimitié et sa haine qu'il s'attirait, en faisant fi de cette faveur et en aimant mieux passer pour chaste que de plaire à sa maîtresse. Car cela ne lui servirait de rien, au cas où elle irait l'accuser et le charger par des affirmations mensongères auprès de son mari : Pétéphrès serait plus sensible à ses paroles qu'à celles de Joseph, si véridiques qu'elles pussent être.

4. Malgré les discours de cette femme et ses pleurs, ni la pitié ne put le déterminer à manquer de retenue, ni la crainte l'y contraindre ; il résista à ses supplications et ne céda pas devant ses menaces, aimant mieux souffrir injustement et s'exposer aux châtiments les plus pénibles que de profiter des circonstances par une faiblesse qui lui attirerait une mort méritée. Il lui rappelait son mariage et la vie conjugale, et la suppliait d'accorder plus à ces sentiments qu'à une aventure de passion éphémère ; celle-ci amènerait le remords, qui la ferait souffrir de sa faute sans la réparer, sans compter la crainte d'être prise sur le fait ...F24] ; tandis que la vie

commune avec son mari comportait des jouissances sans danger. Il ajoutait l'avantage d'une conscience pure devant Dieu et devant les hommes ; elle aurait plus d'autorité sur lui, si elle demeurait honnête et elle userait envers lui de ses droits de maîtresse, mais non pas s'ils avaient manqué ensemble à la chasteté : il valait bien mieux puiser sa hardiesse dans la notoriété d'une vie bien vécue que dans la dissimulation du crime.

5F25]. Par ces paroles et bien d'autres analogues, il

s'efforçait de contenir l'élan de cette femme et de ramener sa passion à la raison ; mais elle ne mit que plus de violence dans son ardeur et, portant les mains

 

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sur lui, désespérant de le persuader, elle prétendait lui faire violence. Joseph, irrité, s'échappe en lui abandonnant son manteau, qu'elle avait saisi et qu'il lui laissa pour se précipiter hors de la chambre ; alors elle craignit fort qu'il n'allât parler à son mari et, blessée au vif de l'outrage, résolut de prendre les devants et d'accuser faussement Joseph auprès de Pétéphrès ; elle pensa qu'en le punissant ainsi de l'avoir si cruellement dédaignée et en l'accusant d'avance, elle agirait tout ensemble en personne avisée et en femme. Elle s'assit alors, les yeux baissés de honte et toute bouleversée, me disant dans sa colère de faire attribuer à une tentative de viol le chagrin que lui causait en réalité l'échec de sa passion. Quand son mari arriva et, troublé de la voir ainsi, lui en demanda la raison, elle commença à accuser Joseph : « Il faut que tu meures, dit-elle, Ô mon époux, ou que tu châties cet esclave scélérat, qui a voulu déshonorer ta couche ; il n'a su rester sage, en se souvenant de ce qu'il était quand il est arrivé dans notre demeure et des bienfaits qu'il a reçus de ta bonté. Lui, qui serait un ingrat de ne pas se conduire d'une façon irréprochable avec nous, il a formé le dessein d'insulter à tes droits d'époux et cela pendant une fête où il a épié ton absence ; ainsi, toute la réserve qu'il montrait auparavant, c'était la crainte de toi qui la lui dictait et non une vertu naturelle. S'il en est arrivé là, c'est pour être parvenu aux honneurs contre tout mérite et toute espérance : il fallait bien qu'un homme admis à prendre la surveillance de tes biens et leur administration, de préférence aux anciens serviteurs, finît par porter la main jusque sur ta propre femme ».

Ayant cessé de parler, elle lui montra le manteau, prétendant que Joseph l'avait laissé entre ses mains quand il essayait de lui faire violence. Pétéphrès, devant les pleurs de sa femme, son récit et ce qu’il vit, ne put se montrer incrédule ; donnant plus qu'il ne devait à son amour pour elle, il ne se soucia pas de rechercher la vérité. Il loua la vertu de sa femme et, estimant Joseph coupable, il jeta ce dernier dans sa prison des criminels et quant à sa femme, il ne fut que plus fier d'elle, se portant garant de sa décence et de sa chasteté.

 

Chapitre V

 

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  1. Joseph en prison - 2. Songe de l’échanson du roi. - 3. Songe du panetier. - 4-5. Songes de Pharaon. - 6. Joseph les interprète. - 7. Joseph ministre de Pharaon.

1F26]. Joseph, dans tous ces événements, s'en remit

entièrement à Dieu, et ne voulut ni se défendre ni dévoiler la vérité sur ce qui c'était passé ; il souffrit en silence ses liens et sa contrainte, et se consolait en songeant que Dieu l'emporterait sur ceux qui l'avaient enchaîné, lui qui savait le motif de sa disgrâce et la vérité ; il connut bientôt en effet les marques de la Providence divine. Le geôlier, considérant de quelle diligence et de quelle fidélité il faisait preuve dans les emplois où il l'avait commis, touché aussi de la dignité de ses traits, lui ôte ses chaînes et lui rend son infortune plus tolérable et plus légère ; il lui accorde un traitement plus doux que celui des prisonniers. Ceux qui étaient réunis dans la même prison, à chaque relâche de leurs pénibles travaux, se mettaient à converser, ainsi qu'il arrive entre compagnons d'infortune, et se demandaient réciproquement les motifs de leurs condamnations. L'échanson du roi, d'ailleurs très estimé de lui, et qu'il avait fait mettre aux fers dans un moment de colère, portait les mêmes entraves que Joseph et se lia d'autant plus intimement avec lui ; comme il lui parut d'une intelligence extraordinaire, il lui raconta un songe qu'il avait eu et le pria de lui en indiquer le sens, se plaignant qu'outre le chagrin de sa disgrâce, la divinité l'accablât encore de songes troublants.

  1. Il dit qu'il avait vu pendant son sommeil trois ceps de vigne, dont chacun soutenait une grappe de raisins ; ces raisins étaient déjà grands et mûrs pour la vendange ; lui-même les pressait dans une coupe que tenait le roi ; et, après avoir fait couler goutte à goutte le moût, il le donnait à boire au roi, qui l'acceptait de bonne grâce. Telle était sa vision et il désirait que Joseph, si quelque perspicacité lui avait été départie, lui indiquât ce que cette vision présageait. Celui-ci l'invite à avoir bon courage et à attendre dans trois jours son élargissement, car le roi avait réclamé son ministère et le rétablirait dans ses fonctions. Il lui expliquait que le fruit de la

 

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vigne était un bien que Dieu procurait aux hommes ; car il est offert à Dieu en libation et il sert aux hommes de gage de confiance et d'amitié, il défait les haines et délivre des souffrances et des chagrins ceux qui le portent à leur bouche et les induit au plaisir : « Ce jus, me dis-tu, provenant de trois grappes que tu as exprimées de tes mains, le roi l'a accepté : eh bien ! c'est là pour toi une agréable vision ; elle t'annonce la délivrance de ta présente captivité dans autant de jours que tu vendangeas de ceps pendant ton sommeil. Cependant, quand tu en auras fait l'expérience, souviens-toi de celui qui t'a prédit ton bonheur : une fois en liberté, ne me regarde pas avec indifférence dans la situation où ton départ me laissera, toi qui marcheras vers le bonheur que je t'ai annoncé. C'est sans avoir commis aucune faute que je suis dans ces chaînes, c'est à cause de ma vertu et de ma chasteté que j'ai été condamné à subir le châtiment des criminels ; même l'attrait de mon propre plaisir n'a pu me faire désirer le déshonneur de celui qui m'a traité ainsi ». L'échanson n’avait qu'à se réjouir, comme on peut croire, de cette interprétation du songe et qu'à attendre l'accomplissement de la prédiction.

3F27]. Un autre esclave, le chef des boulangers du roi,

avait été incarcéré avec l'échanson ; quand Joseph eut expliqué la vision de ce dernier, plein d'espoir (car il se trouvait avoir eu, lui aussi un songe), il pria Joseph de lui dire également ce que pouvaient signifier ses visions de la nuit passée. Voici ce qu'il avait vu : « Il me

semblait, dit-il, que je portais trois corbeilles sur la tête, deux pleines de pains, la troisième de poisson et de mets variés, tels qu’on en apprête pour les rois : des oiseaux descendirent en volant et dévorèrent le tout sans se soucier des efforts que je faisais pour les écarter ». Notre homme s'attendait à ce qu'on lui prédit la même chose qu'à l'échanson : mais Joseph, après avoir concentré ses réflexions sur le songe, lui dit qu'il aurait bien voulu avoir de bonnes choses à lui interpréter et non ce que le songe lui découvrait ; il lui déclare qu'il n'a plus que deux jours à vivre : le nombre des corbeilles l'indiquait. Le troisième jour, il sera mis en croix, et servira de pâture aux oiseaux, sans pouvoir se défendre. Tout

 

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s'accomplit, en effet, comme Joseph l'avait prédit à tous les deux : au jour annoncé, le roi, célébrant son anniversaire par des sacrifices, fit crucifier le chef des boulangers ; quant à l'échanson, il le fit sortir des fers et le rétablit dans ses fonctions antérieures.

4. Joseph était depuis deux ans dans les tourments de la captivité sans que l'échanson, au souvenir de ses prédictions, lui fût venu en aide, quand Dieu le fit sortir de prison : voici comment il procura sa délivrance. Le roi Pharaôthès eut le même soir deux songes et ensemble l'explication de chacun d'eux[28] ; il oublia l’explication,

mais retint les songes. Chagriné de ces visions qui lui paraissent fâcheuses, il convoque, le lendemain, les plus savants des Égyptiens, désireux d'avoir l'explication de ces songes. Mais devant leur embarras, le trouble du roi augmente encore. L'échanson, voyant la perplexité de Pharaôthès, vient à se souvenir de Joseph et de l'intelligence qu'il avait des songes ; il s'avance, il parle de Joseph, raconte la vision qu'il avait eue lui-même en prison, sa libération, prédite par Joseph ; comment le même jour, le chef des boulangers avait été crucifié et comment cet événement aussi s'était produit conformément à l'interprétation divinatrice de Joseph. Il ajoute ce dernier avait été emprisonné comme esclave par Pétéphrès, le chef des bouchers ; cependant, à l'en croire, il appartenait à l’élite de la race des Hébreux et avait pour père un homme illustre. Le roi devait donc le mander, ne pas juger de lui par le malheureux état où il se trouvait actuellement, et il apprendrait ce que signifiaient ses songes. Le roi ordonne qu'on amène Joseph en sa présence ; les messagers reviennent en l'amenant, après lui avoir donné leurs soins, selon les instructions du roi.

5[29]. Celui-ci le prit par la main. « Jeune homme, dit-il,

puisque ta vertu et ton extrême intelligence me sont attestées par mon serviteur, les mêmes bons offices que tu lui as rendus, accorde-les à moi aussi en me disant ce que présagent ces songes que j'ai eus pendant mon sommeil ; je désire qu'aucune crainte ne t'empêche de parler, que tu ne me flattes point par des mensonges et par souci de plaire, si la vérité se trouvait pénible à dire.

 

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Il m'a semblé que je me promenais le long du fleuve et que j'y voyais des vaches grasses et d'une taille exceptionnelle, au nombre de sept ; elles sortaient du courant pour aller dans le bas-fond ; d'autres, égales en nombre aux premières, venaient du bas-fond à leur rencontre, celles-là extrêmement maigres et d'un aspect horrible ; elles dévorèrent les vaches grasses et grandes sans aucun profit[30], tant la faim les consumait, Après

cette vision, je m'éveillai de mon sommeil, tout troublé, me demandant ce que j'avais vu là ; puis je m'endors de nouveau et j'ai un second rêve, bien plus étrange que le premier, et qui m'inspire encore plus de crainte et d'inquiétude. Je voyais sept épis issus d'une seule racine, la tête déjà lourde de grains, s'inclinant par suite de leur poids et de l'approche de la moisson, puis, auprès d'eux, sept autres épis misérables et tout secs, faute de rosée ; ceux-ci se mirent à dévorer et à engloutir les sept beaux épis, ce qui me frappa de terreur ».

  1. Joseph répondit en ces termes : « Ce songe, ô roi, quoique vu sous deux formes, annonce un seul et même avenir. Ces vaches, animaux destinés à la charrue, dévorées par des vaches bien plus faibles, ces épis engloutis par de moindres épis prédisent à l'Égypte famine et disette succédant à une durée égale de prospérité ; ainsi la fertilité des premières années sera consumée par la stérilité des années qui suivront en nombre égal. Il sera difficile de remédier à la pénurie des vivres nécessaires. La preuve en est que les vaches maigres ont dévoré les vaches grasses sans avoir pu se rassasier. Cependant, ce n'est pas pour les affliger que Dieu fait voir l'avenir aux hommes ; c'est pour que, une fois avertis, ils emploient leur sagacité à atténuer les épreuves annoncées. Toi-même donc, en mettant en réserve les biens qui viendront dans la première période, tu adouciras pour les Égyptiens le fléau futur ».
  2. Le roi admira le discernement et la sagesse de Joseph et, comme il lui demandait quelles mesures préventives il devait prendre pendant l'époque d'abondance en vue des temps qui la suivraient, afin de rendre plus supportable la période de stérilité, Joseph lui suggéra l'idée d'obliger les Égyptiens à ménager leurs biens et à

 

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s'abstenir de tout abus ; au lieu de dépenser en voluptueux leur superflu, ils devraient le réserver pour l'époque de disette. Il conseille également de prendre aux cultivateurs leur blé et de le mettre de côté, ne leur distribuant que la quantité nécessaire à leur

subsistance. Pharaôthès admira doublement Joseph, pour son explication du songe et pour ses avis : il l'investit de pleins pouvoirs pour exécuter ce qui serait utile au peuple égyptien, ainsi qu'au roi, estimant que celui qui avait trouvé la voie à suivre serait aussi le meilleur chef. Et Joseph, outre ce pouvoir, obtient du roi le droit de se servir de son anneau et de se vêtir de pourpre ; il allait en char par tout le pays, recueillant le blé des laboureurs[31], mesurant à chacun ce qu'il leur

fallait pour ensemencer et se nourrir, sans révéler à

personne pour quelle raison il agissait ainsi.

Chapitre VI

1. Mariage et enfants de Joseph. La famine. - 2. Les fils de Jacob en Égypte. - 3. Discours de Ruben. - 4. Joseph renvoie ses frères. - 5. Nouveau voyage des fils de Jacob. - 6. Accueil de Joseph. - 7. La coupe de Benjamin. - 8. Discours de Juda. - 9. La reconnaissance.

1[32]. Joseph avait accompli sa trentième année ; il

jouissait de tous les honneurs par la faveur du roi qui lui

donna le nom de Psonthomphanèchos[33], en

considération de son intelligence exceptionnelle : car ce mot signifie celui qui trouve les choses cachées. Il contracte de plus un mariage des plus considérables ; il épouse, en effet, la fille de Pétéphrès[34], un des prêtres

d'Héliopolis ; elle était encore vierge et s'appelait Asénéthé[35]. Il en eut des fils avant la période de

stérilité ; l'aîné, Manassès, c'est-à-dire qui fait oublier[36], parce que, arrivé à la prospérité, il trouvait

l'oubli de ses infortunes ; le plus jeune, Éphraïm(ès), mot qui signifie celui qui restitue[37], parce qu'il avait été

rétabli dans la liberté de ses ancêtres. Quand l'Égypte, selon l'interprétation des songes donnée par Joseph, eut passé sept ans dans une enviable prospérité, la famine s'abattit la huitième année, et, comme ce malheur

 

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frappait des gens qui ne l'avaient pas pressenti, tout le monde, plein d'affliction, afflua vers les portes de la maison du roi. Celui-ci appelait Joseph, qui leur distribuait du blé et fut nommé d'une commune voix le sauveur du peuple ; ces vivres, il ne les offrait pas seulement à ceux du pays, il était permis aussi aux étrangers d'en acheter, car Joseph pensait que tous les hommes, en vertu de leur parenté, devaient trouver appui auprès de ceux qui étaient dans la prospérité.

2F38]. Or, Jacob, lui aussi, envoie tous ses fils en Egypte

pour acheter du blé (car la Chananée était dans une désolation profonde, le fléau s'étendant sur tout le continent) à la nouvelle que le marché était ouvert même aux étrangers ; il ne retient que Benjamin, qui lui était né de Rachel et avait ainsi la même mère que Joseph. Les fils de Jacob, arrivés en Égypte, vont trouver Joseph et demandent à acheter des vivres ; car rien ne se faisait sans son avis, au point que, pour faire sa cour au roi avec profit, il fallait avoir soin de rendre ses hommages également à Joseph. Celui-ci reconnaît ses frères, qui ne se doutaient de rien quant à lui ; car c'était dans l'adolescence qu'il avait été séparé d'eux, et à l'âge où il était arrivé, ses traits s'étaient transformés et le leur rendaient méconnaissableF39] ; puis la hauteur de son

rang empêchait qu'il pût seulement leur venir en la pensée. Il voulut éprouver d'une façon générale leurs sentiments. De blé, il ne leur en fournit pas et il prétendit que c'était pour espionner les affaires du roi qu'ils étaient venus, qu'ils arrivaient de différents pays et que leur parenté n'était qu'une feinte ; car il était impossible qu'un simple particulier eût pu élever tant d'enfants d'une si remarquable beauté, alors qu'il était difficile aux rois mêmes d'en élever autant. C'était pour avoir des nouvelles de son père et savoir ce qui lui était advenu après son propre départ qu'il agissait ainsi ; il désirait aussi se renseigner au sujet de Benjamin, son frère, car il craignait que, renouvelant sur lui la tentative dont il avait été lui-même victime, ils ne l'eussent fait disparaître de la famille.

3F40]. Quant à eux, ils étaient dans l'émoi et la crainte ; ils croyaient le plus grand danger suspendu sur leurs

 

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têtes, et ne songeaient en aucune façon à leur frère ; ils se disposèrent à se justifier de ses accusations. Roubel prit la parole, en qualité d'aîné : « Nous, dit-il, ce n'est point pour nuire que nous sommes venus ici, ni pour faire tort aux intérêts du roi ; nous cherchons à nous sauver et à échapper aux maux qui sévissent dans notre patrie, comptant sur votre générosité, qui, nous l'avons appris, met à la disposition, non seulement de vos concitoyens, mais même des étrangers, les provisions de blé ; car vous avez résolu de fournir à tous ceux qui le demandent de quoi subsister, que nous soyons frères et qu'un même sang coule en nous, cela est manifeste, rien qu'à voir nos physionomies qui diffèrent si peu ; notre père est Jacob, un Hébreu ; nous, ses douze fils, nous lui sommes nés de quatre femmes. Tant que nous vivions tous, nous étions heureux. Mais depuis la mort d'un de nos frères, Joseph, le sort a mal tourné pour nous. Notre père a fait paraître une grande affliction à son sujet ; et pour nous, cette mort malheureuse et la douleur du vieillard nous font cruellement souffrir. Nous venons maintenant nous procurer du blé ; les soins à donner à notre père et la surveillance de la maison, nous les avons confiés à Benjamin, le plus jeune de nos frères. Tu n'as qu'à envoyer quelqu'un chez nous, pour savoir si j'ai dit le moindre mensonge ».

4F41]. C'est ainsi que Roubel essayait d'inspirer à Joseph

une opinion favorable sur leur compte ; mais celui-ci, apprenant que Jacob vivait et que son frère n'avait pas péri, les fit pour le moment jeter en prison afin de les interroger à loisir ; le troisième jour, il les fait

approcher : « Puisque, dit-il, vous affirmez avec énergie que vous êtes venus sans dessein de nuire aux intérêts du loi, que vous êtes frères et que vous avez pour père celui que vous dites, le moyen de me convaincre, c'est d'abord de me laisser comme otage l'un de vous, qui n'aura aucune violence à subir, et, une fois que vous aurez rapporté le blé chez votre père, de revenir chez moi en amenant avec vous le frère que vous déclarez avoir laissé là-bas : voilà qui m'assurera de la vérité ». Ceux-ci, devant ce surcroît d'infortune, se lamentaient et ne cessaient de se rappeler les uns aux autres, en gémissant, la malheureuse histoire de Joseph : Dieu les

 

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châtiait de leur attentat contre lui et leur attirait ces malheurs. Mais Roubel blâmait énergiquement ces vains regrets, qui ne pouvaient être d'aucune utilité pour Joseph ; il estimait résolument qu'il fallait supporter toutes les souffrances, car c'était une punition que Dieu leur infligeait. Voilà ce qu'ils se disaient les uns aux autres, sans se douter que Joseph entendait leur langage. La honte les envahit tous aux discours de Roubel, ainsi que le repentir de leur action, comme s'ils n'eussent pas eux-mêmes pris la décision pour laquelle ils jugeaient qu'ils étaient justement châtiés par Dieu[42]. Les voyant dans ce désarroi, Joseph saisi

d'émotion, fond en larmes et, pour ne pas se faire connaître à ses frères, se retire, laisse passer quelque temps, puis revient près d'eux. Il retient Syméon comme gage da retour de ses frères et, leur ordonne de se munir, en partant, de leurs provisions de blé, après avoir commandé à l'intendant de mettre secrètement dans leurs sacs l'argent qu'ils avaient emporté pour faire acquisition du blé et de les libérer nantis de cet argent. Celui-ci exécuta ce qu'on lui avait prescrit.

5[43]. Les fils de Jacob, de retour en Chananée,

annoncent à leur père ce qui leur est advenu en Égypte, comment on les a pris pour des gens qui venaient espionner le roi ; ils avaient eu beau dire qu'ils étaient frères et qu'ils avaient laissé le onzième à la maison, on ne les avait pas crus ; ils avaient dû laisser Syméon chez le gouverneur jusqu’à ce que Benjamin arrivât pour attester la véracité de leurs dires ; et ils étaient d'avis que leur père, sans s'effrayer de rien, envoyât le jeune homme avec eux. Jacob n'approuva nullement la conduite de ses fils, et, comme la détention de Syméon lui était pénible, il trouvait insensé de lui adjoindre encore Benjamin. Roubel a beau supplier et offrir en échange ses propres fils, afin que, s'il arrivait malheur à Benjamin pendant le voyage, le vieillard les mit à mort : il ne se rend pas à leurs raisons. Dans cette cruelle perplexité, ils furent encore bouleversés davantage par la découverte de l'argent caché au fond des sacs de blé. Mais ce blé qu'ils avaient apporté vint à manquer, et la famine les pressant davantage, sous l'empire de la nécessité, Jacob se décida à envoyer Benjamin avec ses

 

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frères ; car il ne leur était pas possible de revenir en Égypte, s'ils partaient sans avoir exécuté leurs promesses ; et comme le fléau allait empirant[44] tous

les jours et que ses fils le suppliaient, il ne lui restait plus d'autre parti à prendre dans la circonstance. Joudas, d'un caractère habituellement hardi, prit la liberté de lui dire qu'il ne devait nullement s'inquiéter au sujet de leur frère, ni considérer avec défiance des choses sans gravité ; on ne pourrait rien faire à son frère sans l’intervention divine ; et ce qui lui arriverait pourrait tout aussi bien lui arriver s’il demeurait auprès de son père. Il ne fallait donc pas qu'il les condamnât ainsi à une perte certaine, ni qu'il les privât des vivres que Pharaôthès pouvait leur fournir, par une crainte déraisonnable à l'égard de son fils. Au surplus, il y avait à considérer le salut de Syméon ; hésiter à laisser partir Benjamin, c'était peut-être la perte de celui-là ; pour Benjamin, il devait s'en remettre à Dieu et à lui-même : ou bien il le ramènerait vivant, ou il perdrait la vie en même temps que lui. Jacob, se laissant convaincre, lui confie Benjamin et lui donne le double du prix du blé, avec les produits du pays chananéen, baume végétal, myrrhe, térébinthe et miel, pour les offrir à Joseph en présents. Il y eut beaucoup de larmes versées par le père et par les fils, lors de leur départ ; celui-là, en effet, se demandait si ses fils lui reviendraient vivants de ce voyage, et eux, s'ils trouveraient leur père en bonne santé, sans que le chagrin qu'ils lui causaient l'eût abattu. Toute la journée se passa pour eux dans la tristesse ; le vieillard, accablé, demeura chez lui, et ses fils s'en allèrent en Égypte, consolant leurs souffrances présentes par l'espoir d'un meilleur avenir.

6. Arrivés en Égypte, ils sont conduits auprès de

Joseph ; ils étaient gravement tourmentés par la crainte qu'on ne les accusât à propos de l'argent du blé, en leur attribuant une fraude, et ils s'en défendaient de toutes leurs forces auprès de l'intendant de Joseph : c'était chez eux, assuraient-ils, qu'ils avaient trouvé l'argent dans les sacs, et ils venaient maintenant le rapporter. Mais comme celui-ci leur déclare qu'il ne sait même pas ce qu'ils veulent dire, ils sont délivrés de leur crainte. De plus, il relâche Syméon et veille à ce qu'il rejoigne ses

 

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frères. Cependant Joseph revenait de son service chez le roi ; ils lui offrent les présents et, comme il s'informait de leur père, ils lui dirent qu'il l'avaient laissé en bonne santé. Sachant ainsi qu'il vivait encore, il demande également, car il avait aperçu Benjamin, si c'était là leur plus jeune frère ; sur leur réponse affirmative, il s'écrie que Dieu veille sur toutes choses ; mais comme, dans son émotion, il allait pleurer, il se retire pour ne pas se trahir à ses frères ; puis il les convie à souper et on place leurs lits à table dans le même rang qu'ils occupaient chez leur père. Joseph les traite tous cordialement, en favorisant Benjamin d'une part doublet[45] de celle de

ses voisins.

7[46]. Après le repas, quand ils furent allés dormir, il

commanda à l'intendant de leur donner leurs mesures de blé, de cacher derechef dans leurs sacs l'argent destiné au paiement et de jeter, en outre, dans la charge de Benjamin la coupe d'argent où il avait coutume de boire ; il en usait ainsi pour éprouver[47] ses frères et

savoir s'ils assisteraient Benjamin accusé de vol et en danger apparent, ou s'ils l'abandonneraient, satisfaits de leur propre innocence, pour s'en retourner chez leur père. L'intendant se conforme à ces instructions et, le lendemain, sans se douter de rien, les fils de Jacob s'en vont avec Syméon, doublement joyeux et d'avoir recouvré ce dernier et de pouvoir ramener Benjamin à leur père ainsi qu'ils s’y étaient engagés. Mais voici que des cavaliers les enveloppent, amenant avec eux le serviteur qui avait déposé la coupe dans le sac de Benjamin. Troublés de cette attaque inopinée des cavaliers, ils leur demandent pour quelle raison ils assaillent des hommes qui, peu de temps auparavant, avaient été honorés et traités en hôtes par le maître ; ceux-ci répondent en les traitant de misérables, qui, précisément, au lieu de conserver le souvenir de cette hospitalité bienveillante de Joseph, n'avaient pas hésité à se mal conduire à son égard : cette coupe dont il s'était servi pour porter leurs santés[48], ils l'avaient dérobée, et l'attrait de ce profit

coupable l'emportait sur l'affection qu'ils devaient à Joseph et la crainte du danger qu'ils couraient si on les prenait sur le fait ; là-dessus, ils les menacent d'un châtiment prochain, car, en dépit de leur fuite après le

 

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vol, ils n'avaient pas échappé à Dieu, s'ils avaient pu tromper la surveillance de l'esclave de service. « Et vous demandez, disent-ils, le motif de notre présence ici, comme si vous l'ignoriez : eh bien ! vous en serez instruits bientôt par votre châtiment même ». C'est en termes analogues et d'autres encore plus violents que l'esclave les invectivait. Ceux-ci, ignorant ce qui se tramait contre eux, se moquaient de ces discours et s'étonnaient de la légèreté de langage avec laquelle cet homme osait porter une accusation contre des gens qui, loin de garder l'argent du blé retrouvé au fond des sacs, l'avaient rapporté, bien que personne n’en eût rien su : tant s'en fallait qu'ils eussent conçu de coupables desseins ! Cependant, croyant qu'une enquête les justifierait mieux que leurs dénégations, ils demandèrent qu'on s'y livrât et, au cas où il se trouverait un receleur, qu'on châtiât tout le monde ; n'avant rien à se reprocher, ils pensaient qu'à parler librement ils ne couraient aucun danger. Les Égyptiens acceptèrent de faire ces recherches ; mais, disaient-ils, la punition ne frappera que celui qui sera reconnu l'auteur du larcin. Ils se mettent donc à fouiller et quand ils ont passé en revue tout le monde, ils arrivent en dernier lieu à Benjamin ; ils savaient fort bien que c'était dans son sac qu'ils avaient enfoui la coupe, mais ils voulaient que leur perquisition parût se faire rigoureusement.

Tous les frères donc, délivrés de tout souci personnel, n'avaient encore quelque inquiétude qu'à l'égard de Benjamin, mais ils se rassurèrent en songeant que celui-là non plus ne se trouverait pas en faute ; et même ils gourmandaient leurs persécuteurs pour l'obstacle qu'ils mettaient à un voyage qu'ils auraient pu pousser plus loin. Mais quand on eut cherché dans le sac de Benjamin et pris la coupe, ils se mirent aussitôt à gémir et à se lamenter et, déchirant leurs vêtements, déploraient le sort de leur frère, qui allait être châtié de son vol, et la déception qu'ils infligeraient à leur père touchant le salut de Benjamin. Ce qui aggravait encore leur désastre, c'était de se voir atteints au moment où ils croyaient déjà avoir échappé aux plus terribles

aventures ; les malheurs arrivés à leur frère et le chagrin que leur père allait en éprouver, ils s'en disaient responsables, ayant contraint leur père, malgré sa

 

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répugnance, à l'envoyer avec eux.

8. Les cavaliers, s'étant saisis de Benjamin, l'amènent à Joseph, suivis de ses frères ; ce dernier, voyant

Benjamin gardé à vue et les autres dans une tenue de deuil : « Quelle idée, dit-il, ô les plus méchants des hommes, vous êtes-vous donc faite de ma générosité ou de la providence divine pour avoir osé agir ainsi envers votre bienfaiteur et votre hôte ? » Ceux-ci s'offrent eux-mêmes au châtiment pour sauver Benjamin ; ils se reprennent à songer à leur attentat contre Joseph et ils s'écrient qu'il est plus heureux qu'eux tous ; s'il a péri, il est affranchi des misères de la vie, s'il vit encore, Dieu le venge de ses bourreaux ; ils ajoutent qu'ils font le malheur de leur père ; après ce qu'il avait souffert jusque-là pour Joseph, ils lui donnaient encore Benjamin à pleurer, et Roubel alors se répandait en reproches contre eux. Mais Joseph les relâche, disant qu'ils n'ont point fait de mal, et qu'il se contente du seul châtiment de l'enfant ; car il ne serait pas plus raisonnable, disait-il, de le relâcher, lui, parce que les autres sont innocents, que de faire partager à ceux-ci la peine de celui qui a commis le larcin ; ils pouvaient s'en aller, il leur promettait sauvegarde. Là-dessus, tous sont saisis d'épouvante et l'émotion leur ôte la parole, mais Joudas, celui qui avait déterminé leur père à envoyer le jeune homme, et qui en toute occurrence faisait preuve d'énergie, résolut, pour sauver son frère, d'affronter le danger[49] : « Sans doute, seigneur gouverneur, dit-il,

nous sommes coupables envers toi d'une excessive témérité qui mérite un châtiment et il est juste que nous le subissions tous, encore que la faute n'ait été commise par nul autre que par le plus jeune d’entre nous. Cependant, quoique nous désespérions de le voir sauvé, un espoir nous reste dans ta bonté et nous promet que nous échapperons au danger. Et maintenant, sans te soucier de nous, sans considérer notre méfait, prends conseil de la vertu et non de la colère, qui s'empare des faibles par sa violence et les dirige non seulement dans les affaires importantes, mais même dans les circonstances les plus communes ; fais preuve contre elle de grandeur d'âme et ne te laisse pas dominer par elle jusqu'à mettre à mort ceux qui cessent désormais de

 

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lutter eux-mêmes pour conquérir leur propre salut, mais qui aspirent à le tenir de toi. Aussi bien, ce n'est pas la première fois que tu nous l'auras procuré ; déjà, quand nous sommes venus en hâte acheter du blé et nous approvisionner de vivres, tu nous a fait la faveur de nous permettre d'en emporter aussi pour ceux de notre maison, de quoi les sauver du danger de mourir de faim. Or, c'est tout un de prendre pitié de gens qui vont périr faute du nécessaire, ou de s'abstenir de punir des hommes qui ont eu l'air de pécher et qu'on a enviés pour l'éclatante générosité que tu leur as fait paraître ; c'est la même faveur, accordée toutefois d'une façon différente : tu sauveras ceux que tu as nourris à cet effet, et ces existences que tu n'as pas laissé anéantir par la faim, tu les préserveras par tes bienfaits ; car il serait admirable et grand tout ensemble, après nous avoir sauvé la vie, de nous donner encore dans notre détresse de quoi la conserver. Et je crois bien que Dieu voulait ménager une occasion de faire briller celui qui l'emporte en vertu, en amenant ainsi sur nous tous ces malheurs ; il voulait qu'on te vît pardonner tes injures personnelles à ceux qui t'ont offensé et que ta bonté ne parût pas s'exercer uniquement sur ceux qui, pour une autre raison, ont besoin d'être secourus ; car s'il est beau d'avoir fait du bien à ceux qui étaient dans le besoin, il est plus généreux de gracier ceux qui ont été condamnés pour avoir failli envers toi ; car, si le pardon accordé à des fautes légères, commises par négligence, mérite des éloges, demeurer sans colère devant des actes tels qu'ils mettent la vie du coupable à la merci de la vengeance de la victime, c'est se rapprocher de la nature de Dieu. Quant à moi, si notre père ne nous avait fait voir, à la façon dont il pleure Joseph, combien la perte de ses enfants le fait souffrir, je n'aurais pas plaidé, pour ce qui nous concerne, en faveur de notre acquittement ; si je n'avais voulu donner satisfaction à ton penchant naturel qui se complaît à laisser la vie sauve même à ceux qui n'auraient personne pour pleurer leur perte, nous nous serions montrés dociles à toutes tes exigences. En réalité, sans pleurer sur nous-mêmes, encore que nous soyons jeunes et que nous n'ayons pas encore joui de la vie, c'est par considération pour notre père et par pitié pour sa vieillesse que nous te présentons cette requête et

 

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que nous te demandons la vie que notre méfait a mise en ton pouvoir. Notre père n'est pas un méchant homme, et il n'a pas engendré des enfants destinés à le devenir ; c'est un homme de bien et qui ne mérite pas de pareilles épreuves ; en ce moment, le souci de notre absence le dévore ; s'il apprend la nouvelle et le motif de notre perte, il n'y résistera pas ; cela ne fera que précipiter sa fin, et l'ignominie de notre disparition attristera son départ de ce monde ; avant que notre histoire se répande ailleurs, il aura hâte de s'être rendu insensible. Entre dans ces sentiments et quelque irritation que nos torts te causent aujourd'hui, fais grâce à notre frère de la juste répression que ces torts méritent et que ta pitié pour lui soit plus efficace que la pensée de notre crime ; révère la vieillesse d'un homme qui devra vivre et mourir dans la solitude en nous perdant ; fais cette grâce en faveur du nom de père : car dans ce nom tu honoreras aussi celui qui t'a donné le jour et tu t'honoreras toi-même, toi qui jouis déjà de ce même titre ; en cette qualité, tu seras préservé de tout mal par Dieu, le père de toutes choses, et ce sera un témoignage de piété envers lui, relativement à cette communauté de nom, que de prendre pitié de notre père et des souffrances que lui causera la perte de ses enfants. Ainsi, ce que Dieu nous a donné, si tu as le pouvoir de nous le prendre, il t'appartient aussi de nous le conserver et d'avoir la même charité que Dieu lui-même : ayant ces deux manières d'exercer ta puissance, il te sied de la manifester dans des bienfaits et, au lieu de faire mourir, d'oublier les droits que cette puissance te confère comme s'ils n'existaient pas et de ne plus le concevoir que comme le pouvoir de gracier et de croire que plus on aura sauvé de gens, plus on se sera ajouté d'illustration à soi-même. Pour toi, ce sera nous sauver tous que de pardonner à notre frère cette malheureuse aventure ; nous ne pouvons plus vivre, s'il est puni ; car il ne nous est pas permis de retourner seuls sains et saufs chez notre père ; il faut que nous restions ici pour partager son supplice. Et nous te supplions, seigneur gouverneur, si tu condamnes notre frère à mort, de nous comprendre nous aussi dans son châtiment, comme si nous étions complices de son crime ; car nous ne nous résoudrons point à nous donner la mort de chagrin de l'avoir perdu,

 

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c'est en criminels comme lui que nous voulons mourir. Que le coupable soit un jeune homme qui n'a pas encore un jugement très assuré, et qu'il soit humain dans ces conditions d'accorder l'indulgence, je t'épargne ces arguments et je n'en dirai pas davantage[50] ; de la

sorte, si tu nous condamnes, ce seront mes omissions qui paraîtront nous avoir attiré cet excès de sévérité, et si tu nous relâches, cet acquittement sera attribué à ta bonté éclairée ; car non seulement tu nous auras sauvés, mais tu nous auras procuré le meilleur moyen de nous justifier et tu auras plus fait que nous-mêmes pour notre propre salut. Mais si tu veux le faire mourir, punis-moi à sa place et renvoie-le à son père, ou s'il te plaît de le retenir comme esclave je suis plus propre à me mettre à ton service ; je suis donc mieux fait, comme tu vois, pour l'une et l'autre peine ». Alors Joudas, prêt à tout supporter pour le salut de son frère, se jette aux pieds de Joseph et fait tous ses efforts pour amollir sa colère et l'apaiser ; tous ses frères se prosternent et s'offrent à mourir pour sauver la vie de Benjamin.

9[51]. Joseph, vaincu par l'émotion et incapable de

porter plus longtemps le masque de la colère, fait sortir d'abord ceux qui étaient là afin de se déclarer à ses frères seuls. Les étrangers partis, ils se fait connaître à ses frères et leur dit : « Je vous loue de votre vertu et de la sollicitude dont vous entourez notre frère et je vous trouve meilleurs que je ne m'attendais d'après le complot que vous avez formé contre moi ; tout ce que j'ai fait là, c'était pour éprouver votre amitié fraternelle ; ce n'est donc pas à votre instinct que j'impute le mal que vous m'avez fait, c'est à la volonté de Dieu, qui nous fait maintenant goûter le bonheur, ainsi qu'il le fera à l'avenir s'il nous reste favorable. A la nouvelle inespérée que mon père vit encore, et en vous voyant ainsi disposés pour notre frère, je ne me souviens plus des fautes dont je vous ai sus coupables envers moi, je renonce aux sentiments de haine qu'elles m'inspiraient et je crois devoir vous rendre grâce, à vous qui avez servi à la réalisation présente des plans divins. Et vous aussi, je veux vous voir oublier tout cela et vous réjouir, puisque l'imprudence de jadis a eu un tel résultat, plutôt que de vous affliger dans la confusion de vos fautes.

 

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N'avez pas l'air de vous chagriner d'une méchante sentence portée contre moi et du remords qui vous en est venu, puisque vos desseins n'ont pas abouti. Réjouissez-vous donc de ce que Dieu a fait arriver : allez en informer notre père, de peur qu'il ne soit consumé d'inquiétudes à votre sujet et que je ne sois privé du meilleur de ma félicité s'il mourait avant qu'il pût venir en ma présence et prendre sa part de notre bonheur actuel. Vous l'emmènerez, lui et vos femmes et vos enfants et tous vos parents pour émigrer ici ; car il ne faut pas qu'ils restent étrangers à notre prospérité, ceux qui me sont si chers, surtout puisque la famine a encore cinq années à durer ». Ce disant, Joseph embrasse ses frères. Ceux-ci fondaient en larmes et déploraient la conduite qu'ils avaient eue à son égard : c'était presque comme un châtiment pour eux que la générosité de leur frère. Ils célèbrent alors des festins. Le roi apprit que les frères de Joseph étaient venus chez lui et il s'en réjouit fort comme d'un bonheur de famille ; il leur offrit des voitures remplies de blé, de l'or et de l'argent pour l'apporter à leur père. Ils reçurent plus de présents encore de Joseph, les uns destinés à leur père, les autres à chacun d'eux en particulier, et Benjamin fut le plus favorisé ; puis ils s'en retournèrent.

Chapitre VII

Son père, avec toute sa famille, descend vers lui à cause de la famine.

1. Joie de Jacob. – 2-3. Vision du puits du Serment. - 4. Dénombrements des fils et petits-fils de Jacob. - 5. Jacob en Égypte. -6. Son entrevue avec Pharaon. - 7. Nouveau régime des terres en Égypte.

1F52]. Lorsqu'à l'arrivée de ses enfants, Jacob apprend

l'histoire de Joseph, comment non seulement il a échappé à la mort, lui qu'il passait sa vie à pleurer, mais qu'il vivait avec une éclatante fortune, partageant avec le roi le gouvernement de l'Egypte et en ayant en mains presque toute la surveillance, aucune de ces nouvelles ne lui parait invraisemblable, quand il songe à la grande

 

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puissance de Dieu et à sa bienveillance envers lui, encore qu’elle eût éprouvé une interruption, et il

s'empresse aussitôt d'aller retrouver Joseph.

2F53]. Arrivé au puits du Serment, il offre un sacrifice à

Dieu, et craignant que la prospérité où était l'Egypte ne rendit si séduisante à ses fils l'idée d'y demeurer que leurs descendants renonceraient à retourner en Chananée pour en prendre possession selon la promesse de Dieu, et qu'ayant effectué ce voyage en Égypte sans l'assentiment de Dieu, sa race ne fût anéantie, au surplus, appréhendant de mourir avant d'avoir vu Joseph, c'est en agitant en lui-même ces réflexions qu'il s'endort.

  1. Dieu lui apparaît, l'appelle deux fois par son nom et, comme Jacob lui demande qui il est : « En vérité, dit-il, il ne convient pas que tu méconnaisses celui qui a toujours protégé et secouru tes ancêtres et toi-même après eux. Quand tu étais privé du royaume par ton père, c'est moi qui t'ai fait obtenir celui-ci ; c'est grâce à ma bienveillance, que, envoyé tout seul en Mésopotamie, tu as eu le bonheur de faire d'heureux mariages et que tu as emmené à ton retour beaucoup d'enfants et de grandes richesses. Et si toute ta famille t'a été conservée, c'est par ma providence ; celui de tes fils que tu croyais mort, Joseph, je l'ai élevé à une fortune encore plus grande, je l'ai fait le maître de l'Égypte, où c'est à peine s'il se distingue du roi. Je viens maintenant te servir de guide pendant ce voyage et t'apprendre que tu finiras ta vie dans les bras de Joseph ; et je t'annonce une longue période de suprématie et de gloire pour tes descendants, que j'établirai dans le pays que j'ai promis ».
  2. Encouragé par ce songe, c'est avec plus d'ardeur qu'il part pour l’Égypte en compagnie de ses fils et des enfants de ses fils ; ils étaient en tout soixante-dix. Je n'avais pas jugé à propos d'indiquer leurs noms, d'autant qu'ils sont difficiles ; mais pour protester contre ceux qui n'admettent pas que nous soyons originaires de Mésopotamie et nous croient ÉgyptiensF54], j'ai cru

nécessaire de les transcrire. Donc Jacob avait douze fils,

 

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parmi lesquels Joseph était parti à l'avance. Nous allons indiquer ceux qui le suivirent ainsi que leurs descendants. Roubel avait quatre fils : Anôch(ès), Phallous, Assaron, Charmis ; Syméon, six : Joumèl(os), Jamîn(as), Pouthod(os), Jachîn(os), Soar(os), Saoul(os) ; Lévis eut trois fils : Gersom(ès), Kaath(os), Marair(os) ; Youdas en eut trois : Salâs, Pharés(os), Zaras(os)[55] ; il

eut deux petits-fils de Pharés(os), Esrôn(os) et Amyr(os). Isacchar(os) eut quatre fils : Thoulâs, Phouâs, Jasoub(os), Samarôn(os) ; Zaboulon en emmenait trois : Sarad(os), Elon, Jalèl(os). Telle était la progéniture de Lia. Avec elle venait aussi sa fille Dîna. En tout trente-trois personnes. Rachel avait deux fils : l'un, Joseph, eut, pour fils Manassès et Ephraïm ; l'autre, Benjamin, en eut dix : Bolosor, Bacchar(ès), Asabèl(os), Géraos, Naïémam(ès), Jès, Arôs, Momphis, Opphis, Arad(os). Ces quatorze personnes, ajoutées aux précédentes, donnent le total de 47. Telle était la descendance légitime de Jacob. Il eut encore de Balla, la servante de Rachel, Dan(os) et Nepthalès ; ce dernier était accompagné de quatre fils : Elièl(os), Gounis, Issarès et Sellim(os) ; Dan eut un enfant unique, Ousis. En les ajoutant aux précédents, on atteint le nombre de 54. Gad et Aser étaient fils de Zelpha, servante de Lia. Gad emmenait sept fils : Saphônias, Augis, Sounis , Zabon, Irénès, Erôédès, Arièl(os). Aser avait une fille[56] et six fils, qui

s'appelaient Jômnès, Isous, Isouis, Baris, Abar(os), et Melchièl(os). En ajoutant ces seize-là aux 54, on atteint le nombre indiqué ci-dessus, non compris Jacob.

5. Joseph apprend l'arrivée de son père, car son frère Joudas avait pris les devants pour lui annoncer sa venue ; il sort pour aller à sa rencontre, et le rejoint à Héroopolis[57]. Dans sa joie soudaine et immense, Jacob

pensa mourir ; mais Joseph le ranima ; lui-même ne fut pas assez maître de lui pour résister à cette émotion du plaisir ; néanmoins il ne fut pas, comme son père, vaincu par elle. Ensuite il prie son père d'avancer doucement ; lui-même prend cinq de ses frères et s'empresse d'aller vers le roi pour lui annoncer l'arrivée de Jacob avec sa famille. Celui-ci eut plaisir à cette nouvelle et pria Joseph de lui dire quel genre de vie ils aimaient à suivre, afin qu’il pût leur donner les mêmes

 

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occupations. Joseph lui dit qu'ils étaient d'excellents bergers et qu'ils ne s'adonnaient à aucun autre métier qu'à celui-là ; il prenait ainsi ses précautions pour qu'on ne les séparât point et que, se trouvant réunis ensemble, ils prissent soin de leur père ; de plus, ils se feraient bien voir des Égyptiens en ne se livrant à aucun des travaux de ceux-ci ; car il était défendu aux Égyptiens de s'occuper des pâturages.

6[58]. Quand Jacob fut arrivé auprès du roi, qu'il l'eut

salué et qu'il eut exprimé ses vœux pour son règne, Pharaôthès lui demanda combien de temps il avait déjà vécu. Il répondit qu'il avait cent trente ans, et le roi admira Jacob pour son grand âge. Comme celui-ci expliqua qu'il avait vécu moins d'années que ses ancêtres, il lui permit d'aller demeurer à Héliopolis[59]

avec ses enfants ; c'était là aussi que ses propres bergers avaient leurs pâturages.

7. La famine chez les Égyptiens commençait à prendre de l'intensité et le fléau leur causait des embarras croissants ; le fleuve n'arrosait plus la terre, car ses eaux n'augmentaient pas et Dieu n’envoyait pas de pluie[60] ;

dans leur ignorance, ils n'avaient fait aucun préparatif. Joseph leur cédait le blé contre argent ; quand l'argent leur fit défaut, ils achetèrent le blé avec leurs troupeaux et leurs esclaves ; ceux qui avaient, en outre, quelque terre allaient l'offrir pour acquérir des vivres ; et c'est ainsi que le roi devint maître de toute la contrée et qu'ils furent transportés de côté et d'autre afin d'assurer au roi la propriété de leurs terres, sauf celles des prêtres : ceux-ci gardèrent leurs domaines. Le fléau n'asservit pas seulement leurs corps, mais aussi leurs pensées et les astreignit désormais à des moyens d'existence humiliants. Mais, quand le mal s'apaisa et que le fleuve s'épandit sur la terre, qui produisit des fruits en abondance, Joseph se rendit dans chaque ville, et convoquant la foule, il leur fit don pour toujours des terres qu'ils avaient cédées au roi et que celui-ci aurait pu posséder et exploiter à lui seul ; il leur recommanda de les bien travailler dans l'idée qu'elles étaient leur propriété et de donner le cinquième des fruits au roi en

 

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échange de cette terre qu'il leur concède et qui vient de lui. Ainsi, devenus, sans y compter, propriétaires de ces terres, ils furent saisis de joie et promirent de se conformer à ces prescriptions. De cette façon, la considération dont Joseph jouissait auprès des Égyptiens grandit encore, et il accrut l'affection que ceux-ci portaient au roi. Cette loi qui les imposait du cinquième des fruits persista tous les rois suivants[61].

Chapitre VIII

1. Mort et sépulture de Jacob. - 2. Mort de Joseph. 1[62]. Après avoir passé dix-sept ans en Égypte, Jacob,

étant tombé malade, meurt en présence de ses enfants ; à ses fils il souhaite d'acquérir des richesses et leur annonce prophétiquement comment chacun de leurs descendants ira habiter la Chananée, ce qui arriva, en effet, beaucoup plus tard. Quant à Joseph, il le loue longuement de n'avoir point gardé rancune à ses frères, même de s'être montré bon pour eux en les comblant de présents qu'on ne donnerait pas même pour remercier un bienfaiteur ; et il recommanda à ses propres fils de compter parmi eux les fils de Joseph, Ephraïm et Manassès, quand ils se partageraient la Chananée, événement dont nous parlerons ultérieurement. Cependant il exprima aussi le désir d'avoir sa sépulture à Hébron. Il meurt, après avoir vécu en tout cent quarante-sept ans : il ne fut inférieur à aucun de ses ancêtres pour la piété envers Dieu et obtint la récompense que méritait tant de vertu. Joseph, avec l'assentiment du roi, fait porter à Hébron le corps de son père et l'y ensevelit somptueusement. Ses frères ne voulaient pas s'en retourner avec lui, craignant qu'à la suite de la mort de leur père il ne tirât vengeance du complot dont il avait été victime ; car personne n'était plus là pour lui savoir gré de sa modération à leur égard ; mais lui leur persuade qu'ils n'ont rien à redouter et ne doivent pas le considérer avec défiance ; il les emmène avec lui, leur fait de grands dons et ne cesse de leur prodiguer ses attentions.

 

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2F63]. Il meurt à son tour à l'âge de cent dix ans ; il avait

eu des qualités admirables, dirigeant tout avec prudence et faisant de sa puissance un usage modéré : c'est là ce qui lui valut cette grande fortune qu'il fit chez les Égyptiens, quoiqu'il vint de l'étranger et eût éprouvé les misères dont nous avons parlé précédemment. Ses frères meurent aussi, après un séjour heureux en Égypte. Leurs corps furent portés quelque temps après par leurs descendants et leurs fils à Hébron, où ils les ensevelirentF64]. Quant aux ossements de Joseph, ce ne

fut que plus tard, quand ils émigrèrent d'Égypte en Chananée, qu'ils les emportèrent, selon ce que leur avait fait jurer JosephF65]. Comment chacun de ces

événements arriva et par quels efforts ils s'emparèrent de la Chananée, je le montrerai après avoir rapporté les

motifs pour lesquels ils quittèrent l'Égypte.

Chapitre IX

Souffrances qu’eurent à subir les Hébreux en Égypte durant 400 ans.

1. Oppression des Israélites par les Égyptiens. - 2. Ordre de faire périr les nouveau-nés. - 3. Prédiction de Dieu à Amram. – 4. Naissance et exposition de Moïse. - 5. Moïse sauvé des eaux. - 6. Sa beauté ; son nom. - 7. Moïse enfant et le Pharaon.

1F66]. Comme les Egyptiens étaient voluptueux et

nonchalants au travail et se laissaient dominer, en général, par tous les plaisirs et, en particulier, par l'appât du lucre, il advint qu'ils furent fort mal disposés pour les Hébreux, dont ils enviaient la prospérité. En effet, voyant que la race des Israélites était dans la fleur de son développement, que leurs vertus et leurs aptitudes naturelles au travail leur valaient déjà l'éclat de grandes richesses, ils se crurent menacés par cet accroissement. Les bienfaits dont ils étaient redevables à Joseph, après un si long temps, ils les avaient oubliés, et comme la royauté avait passé dans une autre dynastieF67], ils faisaient subir de cruelles violences aux

Israélites et imaginaient contre eux toute espèce de

 

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tourments. Ainsi, ils les astreignirent à diviser le fleuve en nombreux canaux, à bâtir des remparts pour les villes et des digues pour contenir les eaux du fleuve et les empêcher de rester stagnantes quand elles déborderaient ; bâtissant pyramides sur pyramides, ils épuisaient ceux de notre race en les assujettissant à toute sorte de nouveaux métiers et de fatigues. Ils demeurèrent quatre cents ans[68] dans ces souffrances ;

les Égyptiens s'acharnaient à faire mourir à la peine les Israélites, et ceux-ci à paraître toujours au-dessus de leur tâche.

2. Pendant que leurs affaires en étaient là, un événement se produisit qui eut pour effet d'exciter davantage les Égyptiens à faire périr notre race. Un des hiérogrammates[69] - ces gens sont fort habiles à prédire

exactement l'avenir - annonce au roi qu'il naîtra quel-qu'un[70] en ce temps chez les Israélites, lequel

abaissera la suprématie des Égyptiens, relèvera les Israélites, une fois parvenu à l'âge d'homme, surpassera tout le monde en vertu et s'acquerra une renommée éternelle. Le roi, effrayé, sur l'avis de ce personnage, ordonne de détruire tous les enfants mâles qui naîtraient chez les Israélites, on les précipitant dans le fleuve, et recommande aux sages-femmes des Égyptiens d'observer les douleurs de l'enfantement chez les femmes des Hébreux et de surveiller leurs accouchements. Il voulait, on effet, qu'elles fussent délivrées par des femmes qui, en qualité de compatriotes du roi, ne seraient pas tentées d'enfreindre sa volonté[71] ; ceux qui cependant

dédaigneraient cet ordre, et oseraient sauver clandestinement leur progéniture, il enjoignait qu'on les fît périr avec elle. C'était un terrible malheur qui les menaçait ; non seulement ils étaient privés de leurs enfants, non seulement ces parents devaient prêter la main au meurtre de leurs rejetons, mais, de plus, la pensée que leur race allait s'éteindre par la disparition de ceux qui naîtraient et par leur propre fin leur présentait une image sinistre et désespérée. Ils étaient donc plongés dans cette affliction ; mais nul ne peut l'emporter sur la volonté divine, quelques ruses infinies qu'il emploie ; car cet enfant même qu'avait prédit le hiérogrammate s'élève en échappant à la surveillance du

 

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roi, et ses actions vont vérifier la prédiction qui le concerne. Les choses se passèrent de la façon suivante.

3[72]. Amaram(ès)[73], qui appartenait à une famille

noble parmi les hébreux, craignant que sa race tout entière ne s'éteignit par suite de l'insuffisance de la prochaine génération, et très tourmenté pour son compte, car sa femme était enceinte, se trouvait dans un profond désarroi. Il recourt aux prières à Dieu, le supplie de prendre enfin un peu en pitié des hommes qui n'ont rien négligé dans les honneurs qu'ils lui rendent, de les délivrer des misères qu'ils souffrent en ce moment et de leurs soucis touchant l'extinction de la race. Dieu a compassion de lui et, se laissant fléchir par cet appel suppliant, il lui apparaît pendant son sommeil[74],

l'exhorte à ne pas désespérer de l'avenir et dit qu'il garde le souvenir de leur piété et qu'il les en récompensera toujours. Déjà il avait accordé à leurs ancêtres cette singulière multiplication d'une race issue de quelques hommes. Abram, parti seul de Mésopotamie pour venir en Chananée, avait eu toutes les félicités et, de plus, sa femme, précédemment stérile, était par la suite devenue féconde, grâce à la volonté divine ; elle lui avait donné des enfants : il avait laissé à Ismaël et à ses descendants le pays des Arabes, aux enfants de Chetoura la Troglodytide et à lsac la Chananée. « Tous les succès, dit-il, qu’il a eus à la guerre, grâce à mon intervention, ce serait impie à vous de n'en pas conserver la mémoire. Jacob, lui, est devenu célèbre même chez des impies étrangers, par le haut degré de prospérité où il parvint pendant sa vie et qu'il a transmis à ses enfants. Lui et soixante-dix personnes, en tout, arrivèrent en Égypte, et vous voilà déjà plus de six cent mille ! Et maintenant sachez que je veille à vos intérêts à tous et en particulier à ta renommée : cet enfant, dont la venue a inspiré tant de crainte aux Égyptiens, qu'ils ont décrété de faire mourir tous ceux qui naîtraient des Israélites, cet enfant, ce sera le tien ; il échappera aux gens qui le guettent pour le perdre ; élevé dans des circonstances merveilleuses, il délivrera la race des Hébreux de la contrainte des Égyptiens et, aussi longtemps que durera le monde, on se souviendra de lui dans l’humanité, non seulement parmi les Hébreux, mais même chez les

 

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peuples étrangers ; c'est la faveur que j'accorde à toi et à ceux qui naîtront de toi : il aura aussi un frère digne d'occuper mon sacerdoce, lui et ses descendants à perpétuité ».

4. Après que l'apparition lui eut fait ces révélations, Amaram se réveilla, en fit part à Jochabél(é)[75] sa

femme, et leur crainte ne fit que s'accroître par les prédictions de ce songe. Ce n'était pas seulement pour l'enfant qu'ils étaient anxieux, c'était pour cette haute fortune à laquelle il était destiné. Cependant ils ajoutèrent foi aux promesses divines quand la femme accoucha ; en effet, elle put tromper la surveillance, grâce à la bénignité de son accouchement, qui ne donna pas lieu chez elle à de violentes souffrances[76]. Ils

élèvent l'enfant trois mois en secret : après cela, Amaram, craignant d'être pris sur le fait et d'encourir ainsi la colère du roi, ce qui le perdrait, lui et son fils, et ferait évanouir la promesse divine, résolut de s'en remettre à Dieu du soin de préserver l'enfant et de veiller sur lui plutôt que de se lier à une dissimulation, expédient peu sûr et qui eût été dangereux, non seulement pour l'enfant élevé en cachette, mais pour lui-même : il estimait que Dieu ferait tout pour leur

sécurité, afin que rien ne se démentit de ce qu'il avait prononcé. Ayant pris cette résolution, ils fabriquent une tresse de fibres de papyrus, qu'ils arrangent en forme de corbeille. Ils lui donnent les dimensions suffisantes pour que le nouveau-né s'y trouve au large. Ensuite ils l'enduisent de bitume - le bitume a pour propriété d'empêcher l’eau de passer à travers les mailles -, ils y déposent l'enfant et, la lançant sur le fleuve, confient à Dieu le soin de le préserver. Le fleuve reçoit l'objet et l'emporte ; Mariamme[77], sœur de l'enfant, sur l'ordre

de sa mère, va longer l'autre rive du fleuve pour voir où il entraînerait la corbeille. Là, Dieu fit voir clairement que l'intelligence humaine ne peut rien, mais que tout ce qu'il entend accomplir finit par se réaliser heureusement et que ceux qui, en vue de leur propre sécurité, décrètent la mort d'autrui échouent malgré toute l'ardeur qu'ils déploient, tandis que ceux-là se sauvent d'une façon inattendue et, au milieu presque de leurs malheurs, rencontrent le succès, qui courent des dangers selon le

 

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dessein de Dieu. C'est ainsi que la destinée de cet enfant manifesta la puissance divine.

  1. Le roi avait une fille, Thermouthis[78]. Jouant près

des rives do fleuve et apercevant la corbeille que le courant emportait, elle dépêche des nageurs avec l'ordre de lui rapporter cette corbeille. Quand ceux-ci furent revenus, elle vit l'enfant et se prît pour lui d’une grande tendresse à cause de sa taille et de sa beauté. Telle était la sollicitude dont Dieu entoura Moïse que ceux-là même qui avaient décrété à cause de lui la perte de tous les enfants qui naîtraient de la race des Hébreux crurent devoir l'élever et prendre soin de lui. Thermouthis ordonne aussi qu'on fasse venir une femme pour allaiter l'enfant. Mais comme, loin de prendre le sein, il se détournait[79] et qu'il témoigna de même sa répugnance

pour plusieurs autres femmes, Mariamme, qui était venue sur ces entrefaites sans dessein apparent et comme une simple curieuse : « C'est peine perdue, dit-elle, ô reine, que d'appeler pour nourrir cet enfant des femmes qui n'ont aucun lien d'origine avec lui, si tu faisais venir une femme de chez les Hébreux, peut-être prendrait-il le sein d'une femme de sa race ». Son avis parut judicieux et la princesse la pria de lui rendre ce service et d'amener une nourrice. Elle use de la permission, et revient, amenant la mère, que nul ne connaissait. Alors l'enfant, avec une sorte de joie, s'attache au sein et, sur la demande de la reine, la mère se charge entièrement de le nourrir.

  1. Dans la suite, la princesse lui donna un nom qui rappelait son immersion dans le fleuve ; car les Égyptiens appellent l'eau et ceux qui sont sauvés ysès[80] ils lui donnent donc un nom composé de ces

deux termes. Et conformément aux prédictions de Dieu, il fut le plus illustre des Hébreux par la grandeur de son intelligence et son mépris des épreuves. [Abram était le septième de ses ascendants ; car il était fils d'Amaram, lequel était fils de Caath, et le père de Caath était Lévi, fils de Jacob, fils d'Isac, fils d'Abram.[81]] Son

intelligence n'était pas celle d'un enfant de son âge ; elle était bien plus profonde et plus mûre que cet âge ne le

 

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comporte ; il en fit voir clairement toute l'étendue dans ses jeux, et présagea par ses premiers actes les choses plus grandes qu'il allait accomplir à l'âge d'homme. Quand il eut trois ansF82], Dieu le fit grandir d'une façon

étonnante. Quant à la beauté, personne n'y était assez indifférent pour n'être pas frappé, en apercevant Moïse, du charme de ses traits et il arrivait à bien des gens, quand ils rencontraient Moïse sur leur chemin, de se retourner pour regarder l'enfant et d'abandonner leurs affaires pressantes pour le considérer à loisir : la grâce enfantine était chez lui si parfaite et si pure qu'elle retenait les regardsF83].

7F84]. Cet enfant si remarquable, Thermouthis l'adopte,

le sort ne lui ayant pas donné de progéniture ; un jour, elle amène Moïse à son père pour le lui faire voir et, comme il se préoccupait de son successeur, la volonté de Dieu lui ayant refusé un fils légitime, elle lui dit : « J'ai élevé un enfant d'une beauté divine et d'un esprit généreux ; je l'ai reçu merveilleusement de la grâce d’un fleuve et j'ai songé à en faire mon fils et l'héritier de ta royauté ». Cela dit, elle met l'enfant entre les bras de son père ; celui-ci le prend, le presse avec bienveillance contre sa poitrine et, par amitié pour sa fille, lui met sur la tête son diadème ; mais Moïse jette le diadème à terre après l'avoir ôté de dessus sa tête par une espièglerie d’enfant et le foule même aux piedsF85]. Et l'on voulut

voir là un présage relatif à la royauté. A ce spectacle, le hiérogrammate qui avait prédit que la naissance de l'enfant entraînerait l'abaissement de la puissance égyptienne se précipite pour le tuer en poussant des cris violents : « C'est lui, dit-il, Ô roi, c'est cet enfant qu'il faut tuer, selon ce que le Dieu a révélé, pour nous délivrer d'inquiétude ; il rend témoignage à cette prédiction en foulant aux pieds ton autorité et en marchant sur ton diadème. En le faisant disparaître, dissipe la crainte qu'il inspire aux Égyptiens et enlève aux Hébreux l'espérance de son audacieuse initiative ». Mais Thermouthis s'empresse de lui arracher l'enfant des mains ; et le roi était peu disposé au meurtre, indécision qui lui était inspirée par Dieu, car il veillait au salut de Moïse. Il grandit donc, entouré de tous les soins, et les Hébreux pouvaient, grâce à lui, concevoir

 

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toutes les espérances, tandis que les Egyptiens le voyaient élever pleins de défiance. Mais, comme il n'y avait aucun motif visible pour qu'il fût tué soit par le roi - dont il était parent par adoption - soit par quelque autre, qui eût le droit d'être plus hardi dans l'intérêt des Egyptiens et par prévision de l'avenir, ils s'abstinrent de le faire disparaître[86].

Chapitre X

1. L'invasion Éthiopienne en Égypte. - 2. Succès et mariage de Moïse.

1. Moïse donc, né et élevé de la manière que nous avons dite, parvenu à l'âge d’homme, donna aux Égyptiens une preuve éclatante de son mérite et montra qu'il était né pour leur propre déchéance et pour l'élévation des Hébreux : voici quelle en fut l'occasion[87]. Les

Ethiopiens, qui sont établis près des Égyptiens, faisaient irruption dans leur territoire et ravageaient les possessions des Égyptiens ; ceux-ci, indignés, partent en expédition contre eux pour venger l'offense et, vaincus dans une bataille, les uns succombent, les autres s'enfuient et se sauvent honteusement dans leur pays. Mais les Éthiopiens les poursuivent, leur donnent la chasse, estimant qu'il y aurait de la lâcheté à ne pas s'emparer de toute l'Égypte et ils s’étendent dans le pays ; puis, ayant pris goût à ses richesses, ils ne voulurent plus y renoncer et, comme à leurs premières incursions sur les territoires limitrophes on n'osa pas leur opposer de résistance, ils s’avancèrent jusqu’à Memphis et jusqu'à la mer ; aucune des villes ne put tenir contre eux. Accablés par ces revers, les Égyptiens ont recours aux prédictions des oracles : le dieu leur ayant conseillé de prendre pour allié l'Hébreu, le roi prie sa fille de lui donner Moïse pour en faire le chef de l'armée. Celle-ci, après que son père eut juré qu'on ne lui ferait aucun mal, le lui confie ; elle tenait que ce serait un grand bienfait pour eux qu'une telle alliance et voulait humilier les prêtres, qui, après avoir parlé de le mettre à mort, ne rougissaient pas maintenant d'implorer son secours.

 

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2. Moïse, à l'invitation de Thermouthis et du roi, accueille cette mission avec plaisir ; ce fut une joie également pour les hiérogrammates des deux peuples : pour ceux des Égyptiens, parce que, une fois que sa valeur les aurait fait triompher de leurs ennemis, ils pourraient se débarrasser aussi de Moïse par la même ruse, et pour ceux des Hébreux, car il leur serait loisible de fuir les Égyptiens, ayant Moïse pour chef. Celui-ci prévient l'ennemi et, avant que celui-ci soit informé de son approche, il prend son armée et la dirige, non par la voie du fleuve, mais à travers les terres. Là, il donna une merveilleuse preuve de sa perspicacité : la route était pénible à suivre à cause des nombreux serpents dont cette région produit une quantité ; il en est qu'on ne trouve pas ailleurs, qu'elle est seule à nourrir et qui se distinguent par leur force, leur malignité et leur aspect étrange ; quelques-uns même sont volatiles, de sorte qu'ils se cachent à terre pour attaquer et peuvent nuire aussi avant qu'on les ait aperçus, en s'élevant en l'air. Moïse imagine donc, pour assurer à son armée une route exempte de dangers, un merveilleux stratagème : il prépare des espèces de cages avec de l'écorce de papyrus et les emporte remplies d'ibis - c'est un animal très ennemi des serpents, qui s’enfuient quand il fond sur eux, et, s'ils résistent, ils sont saisis et engloutis comme par des cerfs[88]. Les ibis sont, d'ailleurs, apprivoisés et

n'ont de férocité que pour la race des serpents. Mais c'est assez parler d'eux, car les Grecs connaissent bien les caractères de l'ibis. Donc, quand il pénétra dans ce pays infesté de bêtes, il se servit des ibis pour se défendre contre les serpents, en les lâchant sur eux et en profitant de ces auxiliaires[89]. C'est de cette façon

qu'il poursuit sa route; il arrive sur les Éthiopiens, qui ne s'y attendaient pas, en vient aux mains avec eux, les défait dans une bataille, anéantit les espérances qu'ils nourrissaient à l'égard des Égyptiens et pénètre dans leurs villes, qu'il saccage ; il se fit un grand carnage d'Ethiopiens. Ayant pris goût aux succès que Moïse leur fait remporter, l'armée des Égyptiens se montre infatigable, de sorte que les Éthiopiens étaient menacés de la servitude et d’une ruine complète. A la fin, les ayant poursuivis jusqu'à la ville de Saba, capitale du

 

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royaume d'Éthiopie, que Cambyse plus tard appela Méroé d'après le nom de sa sœur, ils en font le siège. Mais c'était une place extrêmement difficile à enlever : le Nil l'entourait d'un cercle, et d'autres fleuves, l’Astapos et l'Astaboras, rendaient l'attaque malaisée à ceux qui tentaient d'en franchir le cours. La ville, se trouvant à l'intérieur, est comme une île ; de fortes murailles l'enserrent et, contre les ennemis, elle a pour abri ses fleuves, ainsi que de grandes digues entre les remparts, de sorte qu'elle ne peut être inondée si la crue vient à être trop violente ; et c'est ce qui rendait la ville imprenable même à ceux qui avaient passé les fleuves. Tandis que Moïse considérait avec ennui l'inaction de l'armée, car les ennemis n'osaient en venir aux mains, il lui arriva l'aventure suivante. Tharbis, la fille du roi des Éthiopiens, en voyant Moïse amener l'armée près des remparts et lutter vaillamment, admira l'ingéniosité de ses opérations et comprit que les Égyptiens, qui désespéraient déjà de leur indépendance, lui devaient leurs succès, et que les Éthiopiens, si vains des avantages qu'ils avaient remportés contre. eux, se trouvaient par lui dans une situation tout à fait critique ; elle s'éprit d'un violent amour pour Moïse. Comme cette passion persistait, elle lui envoie les plus fidèles de ses serviteurs pour lui offrir le mariage, il accepte la proposition, moyennant la reddition de la ville, et s'engage par serment à prendre Tharbis pour femme et, une fois maître de la ville, à ne pas violer le pacte ; l’évènement suit de près ces pourparlers. Après avoir défait les Éthiopiens, Moïse rend grâce à Dieu, effectue ce mariage et ramène les Égyptiens dans leur pays[90].

Chapitre XI

1. Fuite de Moïse au pays de Madian. - 2. Moïse et les filles de Ragouël.

1[91]. Les Égyptiens, tirés d'affaire par Moïse, n'en

conçurent que de la haine pour lui et ne mirent que plus d'ardeur à poursuivre sa perte, le soupçonnant de vouloir profiter de ses succès pour innover en Égypte et suggérant au roi de le faire mourir. Celui-ci, de son côté,

 

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méditait une vengeance, parce qu'il était jaloux de la glorieuse campagne de Moïse[92] et qu'il craignait de se

voir abaissé ; poussé, d'autre part, par les

hiérogrammates, il était capable de prendre l'initiative du meurtre de Moïse. Celui-ci, informé à l'avance du complot, s'éloigne en secret et, comme les routes étaient gardées, il dirige sa fuite à travers le désert, là où ses ennemis ne pouvaient soupçonner sa présence ; il était sans vivres et dompta sa faim à force d'endurance et de mépris du besoin. Il arrive dans la ville de Madian (Madiané), située sur les bords de la mer Érythrée, et qui portait le nom d'un des fils d'Abram né de Chatoura ; il s'assied au bord d'un puits, à peu de distance de la ville, et s'y repose de sa fatigue et de ses misères - c'était vers le milieu du jour. Il eut là, à cause des mœurs des habitants, à jouer un rôle qui fit valoir son mérite et fut l'origine pour lui d'une meilleure fortune.

2. Comme ces terres manquaient d'eau, les bergers se disputaient les puits, dans la crainte que l'eau, une fois épuisée par d'autres, ne vint à faire défaut pour leurs troupeaux. Or, voici qu'arrivent au puits sept sœurs, filles de Ragouël(os)[93], un prêtre tenu en haute

vénération chez les habitants du pays ; elles surveillaient les troupeaux de leur père ; car ce soin revient aussi aux femmes chez les Troglodytes. Elles se hâtent de retirer du puits la quantité d'eau nécessaire à leurs troupeaux et la mettent dans les auges destinées à la recueillir. Mais des bergers étant survenus et voulant chasser les jeunes filles pour s'emparer eux-mêmes de l'eau, Moïse, s'indignant à l'idée d'assister impassible à cette iniquité et de laisser triompher la force de ces hommes sur le droit des jeunes filles, repoussa les insolentes prétentions des premiers et fournit à celles-ci une aide opportune. Après ce bienfait, elles s'en vont chez leur père, lui racontent l'outrage des bergers et l'assistance que l'étranger leur a prêtée, et le supplient de ne pas laisser cette bonne action sans fruit et sans récompense. Le père approuva ses filles de leur zèle pour leur bienfaiteur et les pria d'amener Moïse en sa présence pour qu'il reçût les remerciements qu'il méritait. Quand il fut arrivé, il invoqua le témoignage de ses filles au sujet de l'intervention de Moïse, et, admirant son

 

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courage, lui dit qu'il n'avait pas obligé des ingrats, mais bien des personnes capables de lui rendre service pour service et de surpasser même par la grandeur de la récompense l’étendue du bienfait. Il l'adopte pour fils, lui donne une de ses filles en mariage et le désigne comme intendant et maître de ses troupeaux, car c'est en cela que consistaient anciennement toutes les richesses des barbares.

Chapitre XII

1. Le buisson ardent. - 2. Crainte de Moïse. - 3. Dieu le

rassure par des miracles. - 4. Le nom divin.

1[94]. Moïse, ayant reçu ces bienfaits de Iothor(os)[95] -

tel était le surnom de Ragouël - vécut là en faisant paître les troupeaux. Quelque temps après, il les mena paître sur la montagne appelée Sinaï[96] : c'est la plus haute

montagne de cette région. Elle a les meilleurs pâturages, car il y pousse une herbe excellente et, comme la renommée voulait que la divinité y eût son séjour, elle n'avait pas jusque-là été affectée au pacage, les bergers n'osant pas la gravir. C'est là qu’il fut témoin d'un prodige étonnant : un feu brûlait un buisson d'épines et laissait intacte la verdure qui le couronnait, ainsi que ses fleurs ; il n'anéantissait aucun de ses rameaux chargés de fruits, quoique la flamme fût très grande et très intense. Moïse s'effraye de ce spectacle étrange, mais il est frappé bien davantage encore d'entendre ce feu émettre une voix, l'appeler par son nom et lui adresser la parole, l'avertissant de la hardiesse qu'il y avait à oser s'avancer dans un lieu où nul homme n'était venu auparavant à cause de son caractère divin et lui conseillant de s'éloigner le plus possible de la flamme, de se contenter de ce qu'il avait vu, en homme vertueux issu d’ancêtres illustres, et de garder là-dessus quelque discrétion. Il lui prédit aussi qu'il acquerra une gloire extraordinaire et sera comblé d'honneurs par les hommes, grâce à l'assistance divine, et lui ordonne de s'en retourner avec confiance en Égypte, où il deviendra le chef et le guide de la foule des Hébreux et délivrera ceux de sa race des tourments qu'ils y subissaient.

 

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« Car, dit-il, ils occuperont cette terre fortunée qu'Abram, votre ancêtre, habita et ils y jouiront de tous les biens et c'est toi, c'est ton intelligence qui les y conduira ». Toutefois, il lui ordonne, après qu'il aurait fait sortir les hébreux de l'Égypte, d'offrir des sacrifices de reconnaissance en arrivant à cet endroit-là. Voilà les avertissements divins qui sortirent du feu.

2. Moïse, frappé de stupeur par ce qu’il avait vu et surtout par ce qu'il avait entendu : « Seigneur, dit-il, manquer de foi en ta puissance que je vénère moi-même et qui, je le sais, s'est manifestée à mes ancêtres, ce serait une folie trop indigne, à mon avis, pour que j'en conçoive la pensée. Mais je me demande comment moi, simple particulier, dépourvu de toute puissance, je pourrai persuader mes frères par mes discours d'abandonner le pays qu'ils occupent actuellement pour me suivre dans celui où je pense les mener et, quand même ils m'écouteraient, comment je forcerai Pharaôthès à leur accorder de partir, à eux dont les efforts et les travaux concourent à la prospérité de ses Etats.

3F97]. Mais Dieu l'exhorte à se rassurer entièrement et

lui promet de l'assister lui-même ; quand il faudrait parler, il lui donnerait la persuasion, et quand il faudrait agir, il lui procurerait la force ; il lui commande de jeter à terre son bâton et de prendre confiance en ses promesses. Moïse obéit, alors un serpent se met à ramper, se contracte en spirales et dresse la tète comme pour se défendre d'une attaque ; puis il redevient bâton. Ensuite Dieu lui ordonne de placer sa main droite dans son sein : il obéit et la retire blanche et d'une couleur semblable à celle de la chaux ; puis elle reprit son aspect naturel. Enfin, il reçoit l'ordre de prendre de l'eau à la source voisine et de la verser a terre, et il la voit devenir couleur de sang. Comme il s'étonne de ces merveilles, Dieu l'exhorte à se rassurer, à croire qu'il sera toujours pour lui le plus grand des secours, et à user de miracles « pour convaincre tout le monde, dit-il, que c'est moi qui t'envoie et que tu agis en tout selon mes instructions. Et je t'ordonne d'aller sans plus tarder en Égypte, de marcher en toute hâte, nuit et jour, et, sans perdre de

 

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temps davantage, d'accomplir cette mission pour les Hébreux, qui souffrent dans l'esclavage ».

4F98]. Moïse ne peut pas ne pas ajouter foi aux

promesses de la divinité, après avoir vu et entendu tant de témoignages rassurants ; il prie Dieu et lui demande de faire l'épreuve de ce pouvoir en Égypte ; il le supplie de ne pas lui dénier la connaissance de son nom particulier, et, puisqu'il avait été admis à lui parler et à le voir, de lui dire aussi de quelle manière il fallait l'appeler, afin que, en sacrifiant, il pût l'inviter par son nom à présider à la cérémonie sacrée. Alors Dieu lui révèle son nom qui n'était pas encore parvenu aux hommes, et dont je n'ai pas le droit de parlerF99]. Ces

miracles, Moïse ne les accomplit pas seulement alors, mais en général toutes les fois qu'il était nécessaire. Tous ces signes lui firent croire davantage à la véracité de l'oracle du feu, et, confiant en l'aide bienveillante de Dieu, il espéra pouvoir sauver les siens et précipiter les Égyptiens dans le malheur.

Chapitre XIII

1. Retour de Moïse en Égypte. - 2. Moïse devant le nouveau Pharaon. - 3. Miracle des bâtons-dragons. - 4. Obstination du Pharaon.

1. Instruit de la mort du roi d'Égypte Pharaôthès, celui-là même sous le règne duquel il avait été exilé, il demande à Ragouël de lui permettre, dans l'intérêt des gens de sa race, de s'en aller en Égypte ; il prend avec lui Sapphôra, sa femme, fille de Ragouël, et les enfants qu'il avait d'elle, Gersos et Eléazar(os) ; de ces deux noms, l'un, GersosF100], signifie sur une terre étrangère ;

l'autre, EléazarF101], que c'est avec l'assistance du Dieu

de ses pères qu'il avait échappé aux Egyptiens. Quand il arrive près de la frontière, son frère Aaron vient à sa rencontre sur l'ordre de Dieu ; Moïse révèle à Aaron ce qui lui est advenu sur la montagne et les instructions divines. Tandis qu’ils s'avancent, arrivent au-devant d'eux les plus illustres des Hébreux, qui avaient appris son arrivée ; Moïse, ne pouvant les convaincre par le seul

 

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récit des signes miraculeux, les leur fait voir. Frappés de ce spectacle merveilleux, ils prennent confiance et espèrent que tout ira bien puisque Dieu veille à leur sécurité.

2[102]. Une fois sûr de l'adhésion des Hébreux, de leur

disposition unanime à se conformer à ses ordres et de leur amour de la liberté, Moïse se rend chez le roi, récemment investi du pouvoir, et lui représente les services qu'il a rendus aux Égyptiens[103], quand les

Éthiopiens les humiliaient et ravageaient leur pays, comment il avait commandé et chef l'armée et s'était efforcé, comme s'il s'agissait des siens ; il lui apprend les périls que ceux-là mêmes lui faisaient courir et comme il était mal payé de retour. Et tout ce qui lui était arrivé sur le mont Sinaï, les paroles de Dieu et les signes miraculeux qu'il lui avait montrés pour lui inspirer confiance dans ses commandements, il le lui raconte en détail et le prie de ne pas faire obstacle en incrédule aux desseins de Dieu.

3. Comme le roi le raillait, Moïse lui fait voir, réalisés devant lui, les miracles qui s'étaient produits sur le mont Sinaï. Le roi s'emporte, le traite de scélérat, déclare que d'abord il avait fui l'esclavage des Égyptiens, puis était revenu maintenant par fraude et tentait d'en imposer par des prodiges et des sortilèges. Et, ce disant, il enjoint aux prêtres[104] de lui montrer les mêmes phénomènes,

car les Égyptiens sont versés aussi dans ces sortes de sciences[105]... Ces prêtres ayant jeté alors leurs hâtons,

ceux-ci deviennent des dragons. Mais Moïse sans se troubler : « Moi non plus, dit-il, Ô roi, je ne méprise pas la science des Égyptiens ; mais je déclare que ce que j'ai fait moi-même surpasse autant leur magie et leur art qu'il y a de distance entre les choses divines et les choses humaines. Et je montrerai que ce n'est pas du charlatanisme et d'une dépravation de la vraie doctrine, mais de la providence et de la puissance divine que mes miracles procèdent ». Disant cela, il jette à terre son bâton, en lui commandant de se métamorphoser en serpent ; le bâton obéit, fait le tour des bâtons des Égyptiens, qui semblaient des dragons, et les dévore

 

Zone de Texte: 1[108]. Comme le roi dédaignait ces discours de Moïse etFLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 1)

jusqu’à ce qu'il les ait fait tous disparaître ; ensuite il reprend son aspect normal et Moïse s'en saisit.

  1. Mais le roi n'est pas plus frappé de ce fait-là ; il se fâche, et, après lui avoir déclaré qu'il ne lui servirait de rien d'employer sa sagesse et son habileté contre les Égyptiens, il ordonne au surveillant[106] des Hébreux de

ne point leur accorder de relâche dans leur travail, mais de les assujettir à des traitements encore plus durs que précédemment. Et celui-ci, qui leur fournissait auparavant de la paille pour la confection des briques, cesse de leur en fournir. Le jour, il les oblige à peiner sur leur tâche, la nuit à ramasser la paille. Ainsi deux fois malheureux, ils rendaient Moïse responsable de ce surcroît de labeur et d'infortune. Mais lui[107], sans

s'affecter des menaces du roi, sans céder aux récriminations des Hébreux, tient bon de part et d'autre et met tous ses efforts à procurer aux siens la liberté. Il va se présenter devant le roi et cherche à lui persuader de laisser aller les Hébreux sur le mont Sinaï pour y sacrifier à Dieu, qui l'avait ordonné, et de ne point faire opposition aux volontés divines ; il devait mettre la faveur de Dieu au-dessus de tout et les autoriser à partir, de peur qu’en les en empêchant, il ne devint, sans le savoir, responsable envers lui-même, quand il subirait les peines qui frappent d'ordinaire ceux qui contreviennent aux ordres de Dieu ; car ceux qui s'attirent le courroux divin voient surgir des maux terribles de partout ; pour ceux-là, plus rien d'ami, ni la terre, ni l'air ; il ne leur naît plus d'enfants selon la loi naturelle ; tous les éléments leur sont contraires et hostiles ; les Égyptiens, déclarait-il, seraient mis à de pareilles épreuves en même temps que le peuple des Hébreux sortirait de leur pays contre leur gré.

Chapitre XIV

1. Les plaies d'Égypte. Le Nil. - 2. Les grenouilles. - 3. Vermine et bêtes féroces. - 4. Ulcères, grêle, sauterelles. -

  1. Ténèbres. - 6. La Pâque. Mort des premiers-nés.

 

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n'y prêtait plus aucune attention, des fléaux terribles accablèrent les Égyptiens ; je les exposerai tous, d'abord parce que des malheurs inconnus jusque-là furent éprouvés par les Égyptiens, ensuite parce que Moïse voulait faire connaître qu'il n'y avait rien de mensonger dans ses prédictions et qu'il est utile aux hommes d'apprendre à se garder d’une conduite telle que Dieu s'en irrite et dans sa colère les punisse de leurs iniquités.

Le fleuve, sur l'ordre de Dieu, devint couleur de sang et roula des eaux qu'il était impossible de boire ; or, d'autres eaux potables, ils n’en avaient point, et ce n'était pas seulement par la couleur que le fleuve était devenu répugnant : quiconque tentait d'y boire était saisi de maladie et de cruelles souffrances. Tel était l'effet qu'il produisait sur les Égyptiens ; mais pour les Hébreux ses eaux étaient douces et potables et n'avaient pas changé de nature. Le roi, troublé par ce prodige et inquiet pour les Égyptiens, permit aux Hébreux de s'en aller ; mais, dès que le fléau s'apaisa, il changea d'idée et s'opposa à leur départ.

2. Dieu, voyant que l'ingrat, après qu'il est délivré de cette calamité[109] ne veut plus se montrer raisonnable,

inflige une autre plaie aux Égyptiens : une multitude innombrable de grenouilles dévora leur pays; le fleuve même en était plein, elles s'y entassaient et la boisson qu'on prenait se trouvait corrompue par le sang de ces bêtes qui mouraient et pourrissaient dans l'eau ; et le pays qui en était infesté devenait un affreux limon où elles se développaient et mouraient ; tous les vivres qu'on avait dans les maisons, elles les détruisaient ; on les trouvait dans tous les aliments solides et liquides ; elles se répandaient jusque sur les couches ; une odeur intolérable et fétide se dégageait de ces grenouilles, soit en vie, soit mourantes, soit en décomposition. Voyant les Égyptiens accablés par ces maux, le roi pria Moïse de s'en aller en emmenant les Hébreux, et, sitôt qu'il eut dit cela, cette multitude de grenouilles disparut et la terre et le fleuve reprirent leur aspect naturel. Mais Pharaôthès, dès que le pays est délivré de cette calamité, en oublie l'origine et retient les Hébreux, et, comme s'il eût voulu faire l’épreuve de plus grands maux encore, il ne permet

 

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plus à Moïse et aux siens de partir c'était par crainte plutôt que par raison qu'il le leur avait accordé.

3[110]. Alors la divinité envoie un autre fléau pour punir

cette déloyauté. Une multitude infinie de vermine vint à se développer sur le corps des Égyptiens et fit périr misérablement ces misérables ; ni les baumes, ni les onguents ne pouvaient détruire ces bêtes. Effrayé par cet horrible fléau, craignant la perte de son peuple et songeant à l'ignominie d'une telle destruction, le roi des Égyptiens est forcé d'entendre raison, et encore, à moitié seulement, tant sa méchanceté était grande : il accorde bien aux Hébreux l'autorisation de partir, mais, comme aussitôt le fléau s'apaise, il exige[111] qu'ils laissent

femmes et enfants comme gages de leur retour. Ainsi il ne fait qu'irriter Dieu davantage, en prétendant en imposer à sa sagesse, comme si c'était Moïse et non Dieu lui-même qui punissait les Égyptiens à cause des Hébreux. Dieu, envoyant toutes sortes d'animaux divers, qu'on n'avait jamais rencontrés auparavant, infesta leur pays, de sorte que les hommes périrent sous leurs dents et que la terre fut privée des soins des laboureurs, et tout ce qui échappait à leurs ravages était détruit par la maladie, encore que les hommes, eux, pussent la supporter.

4[112]. Mais comme cela même ne fit pas céder

Pharaôthès à la volonté divine, et que, tout en permettant que les femmes s'en allassent avec leurs maris, il voulut que les enfants lui fussent abandonnés, Dieu ne fut pas en peine de l'éprouver et de le poursuivre par des punitions plus variées et plus terribles que celles qu'il avait subies jusque-là ; leurs corps furent frappés d'horribles ulcères, les organes internes se décomposaient et la plupart des Égyptiens périrent ainsi[113]. Mais comme celle plaie elle-même

n'assagissait pas le roi, une grêle, inconnue jusque-là au climat égyptien et qui ne ressemblait pas aux pluies d'hiver qui tombent ailleurs, une grêle plus considérable encore que celles des régions tournées vers le septentrion et l'Ourse s'abattit, au cœur du printemps, et brisa tous les fruits. Ensuite[114] une légion de

 

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sauterelles acheva de dévorer ce qui avait été laissé intact par la grêle, de façon à ruiner à la lettre toutes les espérances que pouvaient avoir les Égyptiens sur la récolte de leur pays.

  1. Il eût suffi de tous ces malheurs pour ramener à la raison et à l'intelligence de ses intérêts un insensé dénué de méchanceté, mais Pharaôthès, moins insensé que scélérat - car sachant le motif de tout cela, il ne s'en posait pas moins en rival de Dieu et trahissait de gaîté de cœur le bon parti - ordonne bien à Moïse d'emmener les Hébreux, y compris les femmes et les enfants, mais il veut qu'ils laissent leur butin[115] aux Égyptiens dont

les biens étaient détruits. Moïse déclare qu'il ne trouve pas cette prétention légitime, car il leur fallait offrir à Dieu des sacrifices[116] avec ce butin, et tandis que les

choses traînent là-dessus, une nuit profonde, dénuée de toute clarté, se répand sur les Égyptiens ; l'épaisseur en est telle qu'ils en ont les yeux aveuglés et les voies respiratoires obstruées ; ils périssent d'une mort lamentable et chacun craint d'être étouffé par ces nuées. Elles se dissipent après trois jours et autant de nuits, et comme Pharaôthès ne changeait pas d'avis, relativement au départ des Hébreux, Moïse s'avance et lui dit :

« Jusqu'à quand vas-tu résister à la volonté de Dieu ? Il te commande de laisser aller les Hébreux ; vous ne pourrez être délivrés de vos maux qu'en agissant ainsi ». Le roi, furieux de ce langage, menace de lui faire trancher la tête s'il revient encore le troubler à ce propos. Moïse répond qu'il cessera, quant à lui, d’en parler et que c'est le roi lui-même, avec les premiers des Égyptiens, qui priera les Hébreux de s'en aller. Cela dit, il se retire.

  1. Dieu montra encore par une plaie qu'il obligerait les Égyptiens à libérer les Hébreux. Il ordonne à Moïse d'avertir le peuple de tenir prêt un sacrifice dès le dix[117] du mois de Xanthicos pour le quatorzième jour

(ce mois s'appelle Pharmouthi chez les Egyptiens, Nisan chez les hébreux ; les Macédoniens l'appellent Xanthicos) et d'emmener les Hébreux munis de tous leurs biens. Moïse, tenant les Hébreux prêts au départ, les range en phratries et les réunit tous ensemble ;

 

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quand se lève le quatorzième jour, tout le monde est en état de partir ; ils sacrifient ; avec le sang, ils purifient les maisons en y joignant des touffes d'hysope et, après le repas, ils brûlent le reste des viandes, en gens qui sont sur leur départ. De là vient qu'encore aujourd'hui nous avons coutume de faire ainsi ce sacrifice ; nous appelons la fête Pascha[118], ce qui veut dire passage

par-dessus, car, ce jour-là, Dieu passa par-dessus les Hébreux et accabla les Égyptiens de la maladie. La mort sévit sur les premiers-nés des Égyptiens durant cette nuit-là, de sorte que beaucoup de ceux qui habitaient autour du palais du roi vinrent conseiller à Pharaôthès de laisser partir les Hébreux. Celui-ci, ayant mandé Moïse, lui ordonne de partir, pensant que, s'ils quittaient le pays, l'Égypte cesserait de souffrir ; ils gratifient même les Hébreux de présents, les uns, par impatience de les voir partir, les autres, à cause des relations de voisinage qu'ils avaient entretenues avec eux[119].

Chapitre XV

Les Hébreux, sous la conduite de Moïse, quittent l’Égypte.

1. L'exode ; les azymes. - 2. Date de l'exode. - 3. Poursuite des Égyptiens. - 4. Détresse des Hébreux. - 5. Exhortations de Moïse.

1. Ils s'en allèrent donc, tandis que les Égyptiens se lamentaient et regrettaient de les avoir traités si durement ; ils firent route par Latopolis[120], qui était

alors déserte ; Babylone y sera fondée plus tard, lorsque Cambyse conquerra l'Égypte. Ils effectuent leur marche rapidement et arrivent le troisième jour au bourg de Belséphon près de la mer Érythrée[121]. Et comme la

terre ne leur fournissait rien, car c'était un désert, ils se nourrissent de farine de froment un peu détrempée et qu'une brève cuisson convertit en pains[122] ; ils en

firent usage pendant trente jours[123] : ils ne purent se

suffire plus longtemps avec ce qu'ils avaient emporté de l'Égypte, quoiqu'ils eussent rationné la nourriture, se bornant au nécessaire sans manger à satiété ; de là vient

 

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qu'en mémoire de ces privations, nous célébrons la fête dite des azymes pendant huit jours[124]. A considérer

toute la foule des émigrants, y compris les femmes et les enfants, il était difficile de les compter ; ceux qui avaient l'âge de porter les armes étaient environ 600.000.

2. Ils quittèrent l'Égypte au mois de Xanthicos, le quinzième jour de la lune, 430 ans après que notre ancêtre Abram était venu en Chananée ; l'émigration de Jacob avait eu lieu 215 ans[125] après. Moïse avait déjà

80 ans[126], son frère Aaron avait trois ans de plus, ils

emportaient avec eux les ossements de Joseph, selon les recommandations que ce dernier avait faites à ses fils.

3[127]. Mais les Égyptiens se repentaient d'avoir laissé

partir les Hébreux, et, comme le roi était vivement contrarié à l'idée que tout était arrivé par les sortilèges de Moïse, on résolut de marcher contre eux. Ils prennent les armes et tout leur attirail et se mettent à les poursuivre ; leur but était de les ramener s'ils parvenaient à les joindre : on n’avait plus rien à craindre de Dieu, puisqu'on les avait laissés partir. Et l'on pensait vaincre aisément des gens sans armes[128] et épuisés

par le voyage. Ils s'informent auprès de chacun par où les Hébreux ont passé et poussent vivement la

poursuite, quoique le pays fût pénible à traverser, non seulement pour des troupes, mais même pour des voyageurs isolés. Moïse avait fait prendre ce chemin aux Hébreux[129] afin que, si les Égyptiens se ravisaient et

voulaient les poursuivre, ils fussent punis de leur mauvaise foi et de leur infraction aux conventions ; c'était aussi à cause des Philistins (Palestiniens), qu'une ancienne inimitié leur rendait hostiles et à qui il voulait, coûte que coûte, dérober sa marche ; car leur pays est limitrophe de celui des Égyptiens. Voilà pourquoi il ne conduisit pas le peuple par la route qui mène en Palestine ; c'est par le désert, en un circuit long et pénible, qu'il voulait envahir la Chananée ; au surplus, c'était pour se conformer aux prescriptions de Dieu, qui lui avait commandé d'amener son peuple sur le mont Sinaï pour y faire des sacrifices. Cependant les Égyptiens, ayant rejoint les Hébreux, se disposent à

 

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combattre et les refoulent, grâce à leur supériorité de forces, dans un étroit espace[130] : ils étaient suivis, en

effet, de six cents chars de guerre avec 50.000 cavaliers et des hoplites au nombre de 200.000[131]. Ils barrèrent

tous les chemins par où ils pensaient que les Hébreux chercheraient à s'enfuir et les tenaient prisonniers entre des escarpements inaccessibles et la mer ; vers la mer, en effet, se terminait une montagne que ses sentiers trop rudes rendent infranchissable et impropre à une retraite. Ainsi, profitant des rapprochements de la montagne et de la mer, ils fermaient toute issue aux Hébreux en postant leur camp à l'entrée même, afin de les empêcher de s'échapper vers la plaine.

  1. Incapables d'attendre à la façon des assiégés, faute des vivres nécessaires, ne voyant aucun moyen de fuir et dépourvus d'armes[132], au cas où l'idée leur viendrait

d'engager un combat, les Hébreux croyaient déjà à un complet désastre, s'ils ne se livraient eux-mêmes de plein gré aux Égyptiens. Et ils incriminaient Moïse, oubliant tous les miracles accomplis par Dieu en vue de leur libération, au point qu'incrédules à la parole du prophète qui les encourageait et leur promettait le salut, ils voulaient le lapider et étaient d'avis de se remettre entre les mains des Égyptiens. On n'entendait que lamentations, gémissements des femmes et des enfants : la mort devant les yeux, enfermés entre les montagnes, la mer et les ennemis, ils ne trouvaient aucun moyen de leur échapper.

  1. Moïse, malgré l'irritation du peuple contre lui, ne se relâchait pas de sa sollicitude à leur égard et s'en remettait à Dieu, qui avait fait tout ce qu'il avait promis pour leur délivrance et ne les laisserait pas maintenant tomber aux mains des ennemis, ni devenir esclaves, ni périr. Se levant au milieu d'eux, il s'écrie : « Même envers des hommes qui vous auraient gouvernés heureusement jusqu'à présent, il y aurait de l'injustice à douter qu'ils restent les mêmes dans l'avenir ; mais désespérer de la vigilance de Dieu, ce serait de votre part un acte de démence, puisque c'est à lui que vous devez tout ce qui s'est fait par mon entremise pour votre salut et votre délivrance de l'esclavage, quand vous ne vous y attendiez

 

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nullement. Il vaut bien mieux, dans cette situation critique où vous croyez être, espérer en l'assistance de Dieu ; c'est lui qui a fait en sorte que nous fussions cernés dans ce difficile passage, afin que de ce péril dont vous ne croyez pas, ni vous ni l'ennemi, que vous puissiez échapper, il vous retire et fasse voir sa puissance et la sollicitude dont il vous entoure. Car ce n'est pas dans d’infimes rencontres que la divinité prête son appui à ceux qu'elle favorise, c'est quand elle voit les hommes désespérer d'un sort meilleur. Aussi, ayez foi en un tel défenseur, qui a le pouvoir de faire grand ce qui est petit et de décréter l'affaiblissement de ces grandes puissances. Ne vous laissez pas effrayer par l'attirail des Égyptiens et, parce que la mer et derrière vous les montagnes n’offrent point de moyens de fuite, n'allez pas pour cela désespérer de votre salut : ces montagnes pourraient devenir des plaines, si Dieu voulait, et la mer une terre ferme ».

Chapitre XVI

La mer, devant les Hébreux poursuivis par les Égyptiens, s’ouvre et leur livre passage.

1. Prière de Moïse. - 2. Miracle de la mer Rouge. - 3. Destruction des Égyptiens. - 4. Joie des Hébreux. Cantique de Moïse. - 5. Parallèle tiré de l'histoire d'Alexandre. - 6. Armement des Hébreux.

1. Ayant ainsi parlé, il les mène vers la mer, aux yeux des Égyptiens ; car ceux-ci étaient en vue, mais, épuisés par les fatigues de la poursuite, ils croyaient bien faire en remettant la bataille au lendemain. Quand Moïse est arrivé sur le rivage, ayant pris son bâton, il supplie Dieu et invoque son aide et son alliance en ces termes : « Tu ne peux méconnaître toi-même, Seigneur, que la fuite dans la situation où nous sommes, soit par force, soit par adresse, est humainement impossible ; mais s'il y a au monde une chance de salut pour cette armée que ta volonté a fait sortir de l'Égypte, il t'appartient de la procurer. Pour nous, abandonnant toute autre espérance et tout remède, nous ne nous confions qu'en

 

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toi seul, et nous avons les yeux sur tout ce que ta providence fera pour nous dérober à la colère des Égyptiens. Qu'il arrive promptement ce secours qui nous manifestera ta puissance ; relève ce peuple que le désespoir a fait tomber dans le pire abattement, rends-lui l'ardeur et la confiance en son salut. Ce n'est pas un domaine étranger pour toi que l'impasse ou nous sommes ; elle t'appartient la mer, ainsi que la montagne qui nous environne ; elle peut s'ouvrir sur ton ordre, et la mer se changer en terre ferme, et nous pouvons nous enlever dans les airs, s'il te plaît d'employer ta puissance à nous sauver de la sorte ».

2F133]. Après cet appel à Dieu, il frappe la mer de son

bâton. Celle-ci, sous le choc, se divise et, se retirant sur elle-même, quitte son lit par où les Hébreux pourront passer et s'enfuir. Moïse, voyant que Dieu intervient et que la mer a fait place pour eux à la terre ferme, s’y engage le premier et ordonne aux Hébreux de le suivre dans ce chemin ouvert par Dieu, en se réjouissant du péril où sont leurs ennemis qui arrivent et en rendant grâce à Dieu du salut qu'il a fait luire d'une manière si inconcevable.

3. Ceux-ci, sans plus hésiter, s'élancent allègrement, forts de l'assistance divine, et les Égyptiens croient d'abord qu'ils sont atteints de folie pour se précipiter ainsi vers une mort certaine ; mais quand ils les voient très avancés sans aucun mal, sans qu'aucun obstacle, sans qu'aucun accident les arrête, ils s'élancent à leur poursuite, pensant que la mer demeurerait tranquille pour eux aussi ; ils placent en avant la cavalerie et se mettent à descendre. Mais les Hébreux, pendant que leurs ennemis s'arment et perdent leur temps à cette manœuvre, vont de l'avant et s'échappent vers la rive opposée, sans aucun dommage ; cela ne fit que stimuler l'ardeur des ennemis à leur donner la chasse, car ils pensaient aussi s'en tirer sans perte. Mais les Égyptiens ne se doutaient pas que le chemin où ils pénétraient était réservé aux Hébreux et nullement public et qu'il était fait pour sauver les fuyards en danger et non à l'usage de ceux qui s'acharnaient à leur perte. Aussi, quand toute l'armée des Égyptiens s'est engagée, la mer

 

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se replie sur eux ; de toutes parts, elle surprend les Égyptiens de ses flots impétueux, que déchaînent les vents ; des pluies descendent du ciel ; le tonnerre éclate en coups secs accompagnés d'éclairs, et la foudre tombe[134]. En un mot, aucune de ces catastrophes

mortelles dont la colère de Dieu frappe les hommes ne manqua de se produire alors. Une nuit sombre et noire les enveloppa. Ils périrent ainsi tous, sans qu'il en restât un seul pour retourner annoncer le désastre à ceux qu'on avait laissés en Égypte.

  1. Quant aux Hébreux, ils ne pouvaient contenir leur joie devant ce salut inespéré et la destruction de leurs ennemis ; ils songeaient à la certitude qu'ils avaient d'être libres, puisque les tyrans qui voulaient les asservir avaient péri, et à la façon manifeste dont Dieu les avait secourus. Et après avoir ainsi échappé au danger et vu leurs ennemis châtiés comme on ne souvient pas que d'autres hommes l'aient été auparavant, ils passent toute la nuit en chants et en réjouissances ; Moïse, lui, compose en rythme hexamètre[135] un chant en

l’honneur de Dieu, rempli de louanges et d'actions de grâce pour ses faveurs.

  1. Quant à moi, tout ce que j'ai raconté, je l'ai trouvé tel quel dans les livres saints. Que personne ne juge étrange et contraire à la raison le fait que des anciens, exempts de tout vice, aient pu être sauvés en passant à travers la mer, soit par la volonté divine, soit par l'effet du hasard[136], alors que les soldats d'Alexandre, roi de

Macédoine, ont vu naguère reculer devant eux la mer de Pamphylie et, à défaut d'autre route, leur offrir elle-même un passage, quand Dieu voulut détruire la puissance des Perses. C'est ce qu'affirment d'un commun accord ceux qui ont raconté les hauts faits d'Alexandre[137]. Aussi bien, chacun peut en penser ce

que bon lui semblera.

  1. Le lendemain, les armes des Égyptiens ayant été portées jusqu'au camp des Hébreux par le flux et la violence du vent qui s'y déchaînait, Moïse attribua cette aubaine à la providence de Dieu qui veillait à ce qu'ils ne

 

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fussent point dépourvus d'armes[138] ; il les recueillit,

en revêtit les Hébreux et les emmena sur le mont Sinaï pour y sacrifier à Dieu et lui consacrer les offrandes du peuple dé-livré, selon ce qui lui avait été prescrit auparavant.

  1. Genèse, XXXVI, 6.
  2. En hébreu et dans LXX : Edom.
  3. Genèse, XXV, 29.
  4. Dans la Bible, Esaü cède de plein gré son droit d'aînesse, auquel il n'attache pas momentanément d'importance (v. 34).
  5. Genèse, XXXVI, 1 ; I Chroniques, I, 35.
  6. En hébreu : Ya’lam.
  7. En hébreu : Ornàr.
  8. En hébreu : Çephô.
  9. En hébreu : Ga'tham.
  10. En hébreu : Thimna.
  11. Genèse, XXXVII, 1.
  12. Genèse, XXXVII, 5.
  13. L'Écriture dit, au contraire (v. 8), qu'au récit de ce songe, ses frères s'écrièrent : « Est-ce que tu prétends régner sur nous et nous dominer ? »
  14. Gen., XXXVII, 11. La Bible dit que Jacob se fâcha contre lui, mais qu'il « observa la chose ». Dans Gen. R., LXXXIV, ces mots sont interprétés par les rabbins d'une façon analogue à celle de Josèphe : « R. Hiyya Rabba, ou plutôt bar Abba, Amora palestinien de la fin du IIIe siècle après J.-C,. dit : l'Esprit saint disait (à Jacob) : Observe ces paroles, car elles doivent se réaliser un jour. » Cf. Philon, De Josepho, 2, M., II, p. 42 : « ... son père, étonné de la chose, la garda en mémoire, réservant et considérant l'avenir ».
  15. La Bible (Gen., XXXVII, 9) ne dit pas les onze astres, mais onze astres. Josèphe a cru sans doute voir ici une allusion aux douze signes du zodiaque, explication donnée d'ailleurs par Philon (De somniis, II, 16, p. 673, Mangey) [T. R.]
  16. En hébreu : Sékhem.
  17. Josèphe commet ici une erreur et une contradiction. D'après Gen., XXXV, 19, et d'après lui-même (liv. I, XXII, 3), il y avait longtemps que Rachel était morte ; il est vrai que l'interprétation du deuxième songe semblerait impliquer le contraire. D'ailleurs,

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 1)

tout ce discours de Roubel, comme, en général, tous ceux qu’on lira dans la suite, sont des fictions de rhéteur.

  1. Genèse, XXXVII, 25.
  2. Dans la Bible (Gen., XXXV, 25), c'est tous les frères, et non Juda seul, qui voient passer les Ismaélites. Plus loin Josèphe ne parle pas non plus des Madianites dont il est question dans le chapitre de la Genèse.
  3. Ce détail ne se trouve pas dans le récit de la Genèse.
  4. Genèse, XXXIX, 1.
  5. En hébreu : Pôtiphar.
  6. Légende qu'on retrouve dans le Talmud (Sôta, 36 b) et Gen.

R., LXXXVII. Cette légende est destinée à expliquer le verset II du ch. XXXIX : et personne des gens de la maison ne se trouvait là. « Comment, dit le Talmud, se faisait-il qu'il n'y eût personne dans la maison d'un grand dignitaire comme Putiphar ? » On a enseigné dans le collège de R. Ismaël (IIe siècle ap. J.-C.) que ce jour-là était un jour de fête et que la femme de Putiphar prétexta une maladie pour rester à la maison.

  1. Le texte est ici corrompu. Les mots grecs nous paraissent être une glose marginale sur la fin du paragraphe [T. R.]
  2. Genèse, XXXIX, 12.
  3. Genèse, XL, 1
  4. Genèse, XL, 16.
  5. Ce détail est étranger à la Bible et de nature midraschique.
  6. Genèse, XLI, 15.
  7. Comme plus haut, ce détail est étranger à la Bible et de nature midraschique.
  8. Whiston interprète naïvement, en vrai Anglais soucieux des

droits individuels : “that is, bought it for Pharaoh at a very low price”. [T. R.].

  1. Genèse, XLI, 45.
  2. Josèphe a lu ici comme la Septante. Avaient-ils sous les yeux un mot hébreu différent de celui que nous trouvons dans la Bible massorétique ? Il n'est pas nécessaire de le supposer, bien que nous lisions dans l'hébreu Çaphnath Phanèah et non Psonthomphanèch. La preuve qu'il n'y a là qu'une différence de simple lecture et non de texte, c'est que l'explication que donne Josèphe de ce surnom, à savoir : « celui qui trouve les choses cachées », concorde avec l'étymologie implicite du mot hébreu Çaphnath (Çâphoun, caché) qui n'est lui-nième peut-être qu'une transcription approximative d'un mot égyptien.
  3. En hébreu : Pôtiphéra’.
  4. En hébreu : Acenath.
  5. Même expression que dans la Septante (Gen., XLI, 51).
  6. Cette traduction que donne Josèphe du nom d'Ephraïm s'écarte singulièrement de l'étymologie donnée par la Bible elle-même et à peu près suivie par les LXX. Josèphe se réfère, non pas

 

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au verbe hébreu “multiplier”, mais certainement à celui qui signifie “payer”. Cette acception du mot hébreu “payer” est d'ailleurs post-biblique. Mais ce procédé d'étymologies arbitraires est courant chez les agadistes, au milieu desquels Josèphe a vécu dans sa jeunesse.

  1. Genèse, XLI, 1
  2. Cf. Baba Meçia, 39 b ; Ketoubot, 27 b ; Yebamot, 88 a ; Gen. R., XCIX, où Rab Hisda (Amora babylonien mort en 309) explique que Josèphe reconnut ses frères, parce qu'ils étaient déjà barbus quand il les quitta, tandis que lui était imberbe à cette époque.
  3. Genèse, XLII, 10.
  4. Genèse, XLII, 17.
  5. Nous conservons, avec Naber, la leçon de la majorité des mss., mais nous avouons ne pas bien comprendre la pointe.
  6. Genèse, XLII, 29.
  7. Genèse, XLIII, 1.
  8. L'Écriture dit quintuple (v. 34)
  9. Genèse, XLIV, 1.
  10. Cette explication est analogue à celle que donne Philon, De

Josepho, M., II, § 39, p. 74 : « Tout cela, c'étaient des épreuves pour voir quels sentiments les animaient, en présence du gouverneur du pays, à l'égard de son frère de même mère ».

  1. Dans l'Écriture, la coupe de Joseph lui sert à des pratiques de magie (XLIV, 5).
  2. Genèse, XLIV, 16.
  3. Cela est bien heureux pour le lecteur de ce verbiage [T. R.]
  4. Genèse, XLV, 1,
  5. Genèse, XLV, 25.
  6. Genèse, XLVI, 1.
  7. Josèphe est toujours préoccupé de répondre aux accusations

que des autres de son temps portaient sur les Juifs, dont ils travestissaient l'histoire. Pour l'opinion qui faisait des Juifs des Egyptiens « impurs », voir le Contre Apion.

  1. Josèphe omet, dans la liste des fils de Juda, Er et Onan, qui sont nommés dans la Bible, mais qui meurent, d'ailleurs, en Chanaan.
  2. Josèphe ne donne pas son nom. Elle s'appelle Sérah dans la

Bible.

  1. Gen., XLVI, 28. Héroopolis était une ville de la Basse Égypte qu'on identifie aussi avec la ville qui porte le nom égyptien de Pithôm. Cf. Exode, I, 11. Sur l'emplacement de ces localités, consulter G. Ebers, Durch Gosen zum Sinaï, 2e éd., Leipzig, 1881.
  2. Genèse, XLVII, 8.
  3. La Bible ne parle ici que du pays de Gosen et de la terre de Ramsès ; mais Héliopolis (en hébreu On) était située sur le même territoire de la Basse Egypte.
  4. Déjà Reland a fait remarquer que cette dernière observation

 

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témoigne de peu de connaissance du climat de l'Égypte.

  1. Genèse, XLVII, 23. Orose, I, 8, reproduit ce renseignement. On en a souvent conclu qu’à l'époque ptolémaïque l'impôt foncier était du cinquième du revenu ; opinion contestée par Whiston et par Lumbroso (Économie politique de l’Égypte, p. 94) qui voient ici un fermage, non un impôt [T. R.].
  2. Genèse, XLVII, 28 ; XLIX, 1.
  3. Genèse, L, 26.
  4. Ceci ne se dit pas dans la Bible.
  5. Genèse, L, 25.
  6. Exode, I, 7.
  7. Ex., I, 8. Cf. pour tout le commencement de l'histoire de Moïse l'historien Artapanos, cité par Eusèbe, Praep. ev., IX, 18, 27.
  8. Ce chiffre, incompatible avec les données chronologiques du

premier livre et celles que Josèphe présente plus loin, n'est qu'un chiffre rond, indiqué, d'ailleurs, par la Bible elle-même (Genèse, XV, 13).

  1. Nom des prêtres égyptiens qui interprétaient les Écritures.
  2. On trouve des légendes analogues dans Sanhédrin, 101 b. Rab Hama bar Hanina (Amora palestinien du IIIe siècle) dit que les mots « Ce sont là les eaux de Mériba » (Nombres, XX, 13) font allusion à la prédiction des astrologues égyptiens ; ceux-ci avaient annoncé que le sauveur des Hébreux devait périr par l’eau ; c'est pourquoi ils donnèrent à Pharaon l'avis de faire jeter les nouveau-nés dans le Nil ; ils ne savaient pas que l'eau dont il s'agissait était l'eau du rocher de Mériba.
  3. Josèphe corrige la Bible, d'après laquelle cet ordre est donné à des sages-femmes israélites (Exode, I, 15-21).
  4. Exode, II, 1.
  5. Amram n'est nommé dans la Bible qu'au chapitre VI, 20, de l'Exode.
  6. Tout ce passage est surajouté au récit biblique. Le songe

d'Amram est connu cependant de la tradition. Voir Mekhilta (le plus ancien commentaire halachique de l'Exode), éd. Weiss, p. 52. Dans le Talmud, Meguilla, 14 a, c'est Miriam, sœur de Moïse, qui prévoit ses destinées, selon une opinion de Rab Nahman (Amora babylonien du commencement du IV siècle). Cette légende est reproduite dans la Chronique de Moïse (Jellinek, Bet hamidrasch, II. p. 2) et le Séfer hayaschar.

  1. En hébreu et LXX : Jocabed.
  2. Cf. Sota, 12 a (sur Ex., II, 2) ; il y eût dit aussi que Jocabed accoucha sans douleurs.
  3. En hébreu : Miriam.
  4. La Bible ne nomme pas la fille de Pharaon. Le Talmud

(Meguilla, 13 a), l'appelle Bithia, se fondant sur le verset, I Chr., IV, 18 : « Et tels sont les fils de Bithia, fille de Pharaon ». Elle a encore d'autres noms ailleurs : Merris dans Artapanos (Eus., Praep. ev., IX, 27). Le Syncelle l'appelle a différentes reprises Pharié. Le nom

 

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de Thermouthis est certainement égyptien (voir sur ce nom G. Ebers, Durch Gosen zum Sinaï ; pp. 84, 539). C'est le nom d'une divinité égyptienne et aussi d'une localité de la Basse Égypte d'après Étienne de Byzance.

  1. Cf. Sota, 12 b; Ex. Rabba, I. Pour expliquer le verset, Ex., II, 7, on dit aussi que Moïse ne voulait pas de nourrice égyptienne.
  2. Josèphe substitue ici à l'étymologie biblique de ce nom (Ex.,

II, 10 : « Car je l'ai tiré des eaux », la racine hébraïque signifiant « tirer ») une étymologie égyptienne ou prétendue telle (cf. C. Apion, I, § 286). Cette étymologie n'a probablement pas plus de valeur historique que celle qu'il donne de Jérusalem par exemple (v. Ant., I, X, 2 et la note). Comparer l'étymologie donnée par Philon dans le De vita Moysis, 4, M., II, p. 83. Sur l'origine égyptienne du nom de Moïse, consulter G. Ebers, op. cit., p. 539.

  1. Cette phrase a été condamnée par Eruesti et la plupart des

éditeurs ; elle interrompt, en effet, le développement. Mais peut-être trouvait-elle sa place ailleurs et le texte présente-t-il une lacune.

  1. Le Midrash (Ex. R., I) dit que sa mère l'allaita 24 mois et qu'il grandit d'une façon extraordinaire. Dans un texte cité par le Yalkout, I, 168, Rabbi Yehouda (?) dit qu'à cinq ans Moïse, pour la taille et l'intelligence, en paraissait onze.
  2. Le Midrash Tanhouma, sur Ex., II, 7 (cf. Ex. R., I), dit : « Telle était la beauté de Moïse que la fille de Pharaon ne voulait pas le faire sortir du palais, car tout le monde désirait le voir et quiconque le voyait avait peine à détacher ses regards de son visage ».
  3. Exode, II, 10.
  4. La même légende se lit dans Tanhouma (ibid.) : tandis que le

roi Pharaon caressait l'enfant, celui-ci se saisissait du diadème et le jetait à terre, comme il était destiné à le faire plus tard. La Chronique de Moïse fait un long récit où l’on voit également Moïse, en présence de Pharaon et de toute la cour, s'emparer et se coiffer du diadème, ce qui effraye les assistants. Alors Balaam, un des devins, rappelle à Pharaon un songe où celui-ci avait vu la même scène et l'avertit du danger que Moïse lui fera courir.

  1. Le texte parait altéré.
  2. Le singulier récit qui suit est probablement emprunté à

Artapanos (v. Eusèbe, Praep. ev., IX, 27, p. 431) ou à une tradition utilisée déjà par ce dernier. Moïse était devenu, dans la littérature judéo-alexandrine, le héros de légendes destinées à présenter sa vie sous le jour le plus favorable. Dans le récit d'Artapanos, le roi d'Égypte se nomme Chénéphrès.

  1. Naber propose « par des nuées »
  2. La Chronique de Moïse raconte une histoire analogue, avec

cette différence que c'est aux Éthiopiens que Moise rend service. Il leur donne le moyen de rentrer, au retour d'une guerre, dans leur ville, que le devin Balaam avait investie de hautes murailles et dont il avait infesté les abords de serpents et de scorpions : Moïse

 

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conseille aux Éthiopiens de dresser des petits de cigognes à la chasse ; puis de monter à cheval et de lâcher les oiseaux contre les serpents. Ce qu'ils firent avec plein succès.

  1. Cette légende romanesque doit sa naissance au souci d'expliquer le verset des Nombres (XII, 1) : « Et Miriam et Aaron jasèrent sur Moïse à cause de la femme, éthiopienne qu'il avait prise, car il avait pris une femme éthiopienne ». Le Pseudo Jonathan dit que Moïse avait épousé la reine d'Éthiopie (dont il s'était ensuite séparé). La Chronique de Moïse raconte que Moïse régna quarante ans en Ethiopie, où il avait épousé la veuve du précédent roi, Nikanos (Kikanos d'après le Séfer hiyaschar). Cette femme se plaignit aux grands de ce que Moïse ne voulait pas avoir commerce avec elle, et leur demanda de nommer un autre roi, le fils de Nikanos. Alors Moïse fut congédié, d'ailleurs avec beaucoup d'égards, et s'en alla dans le pays de Madian.
  2. Exode, II, 15.
  3. Dans le récit d'Artapanos, Chénéphrès veut aussi faire périr Moïse, par jalousie pour ses vertus ; c'est ce qui lui donne l'idée de l'envoyer en expédition contre les Éthiopiens, Josèphe a dérangé ce récit. En expliquant, au contraire, l'animosité de Pharaon par les succès que Moïse avait remportés à la guerre, il évitait de donner la raison de l'exil de Moïse à Madian, à savoir le meurtre de l'Égyptien, raconté dans la Bible (Ex., II, 15).
  4. En hébreu : Reouel. L'Écriture dit : deux sœurs.
  5. Exode, III, 1.
  6. En hébreu : Yithro.
  7. Dans l'Exode, c'est le mont Horeb. Horeb et Sinaï désignent,

d'ailleurs, la même montagne, comme le prouve un autre verset (Ex., III, 12).

  1. Exode, IV, 1.
  2. Exode, VI, 2.
  3. Il s'agit du nom ineffable ou tétragramme, dont les consonnes hébraïques seules se sont conservées. La remarque de Josèphe fait penser que la prononciation de ce nom lui était connue, ce qui n'a rien d'étonnant puisqu'il était d'une famille de prêtres ; on sait que seul le grand-prêtre avait le droit de le prononcer. La défense relative au nom divin se trouve dans le Lévitique, XXIV, 16. La prérogative du grand-prêtre est énoncée dans la Tosifta de Sota, XIII, 8 (Ed. Zuckerm) ; Yoma, 39 b ; cf. Philon, De mut. nom., § 2, M., I, p. 580, et De vit. Moys., VII, 25 (M., II, p. 166).
  4. En hébreu : Gersôm. L'étymologie du nom donnée ensuite

par Josèphe concorde avec Ex., II, 22, et XVIII, 3.

  1. En hébreu et LXX : Eliezer. L'étymologie est la même que

dans le verset Ex., XVIII, 3. Josèphe remplace seulement le « glaive de Pharaon » dont il est parlé dans la Bible par les Égyptiens. A noter la transcription du nom hébreu par Eléazar, Josèphe l'adopte parce qu'elle était plus répandue sans doute de son temps. Eliezer et Eléazar ne diffèrent, d'ailleurs, que par l'orthographe.

 

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  1. Exode, V, 1.
  2. Voir plus haut chapitre X.
  3. Exode, VII, 11.
  4. Nous retranchons avec Dindorf les mots qui suivent et qui paraissent altérés. On peut, à la rigueur, les interpréter ainsi : (( et Moïse n'est pas la seule personne à connaître ces secrets, et s'il s'avise d'en attribuer à Dieu le merveilleux, il ne sera cru que des ignorants » [T. R.]
  5. Exode, V, 6.
  6. Exode, V, 22.
  7. Exode, VII, 13.
  8. Exode, VII, fin et VIII.
  9. Exode, VIII, 12.
  10. Ce détail se trouve dans Ex., X, 11.
  11. Exode, IX, 8.
  12. Josèphe omet de parler d'une des dix plaies, la peste (Ex., IX, 18). Ce qui suit correspond à Ex., IX, 8.
  13. Exode, X, 1.
  14. A savoir leur bétail (Ex. X, 24)
  15. Exode, X, 25.
  16. Exode, XII, 3.
  17. Même transcription que dans les LXX du mot Paçah.
  18. L’expression assez obscure de l'Écriture (Ex., XII, 36) (( ils leur prêtèrent » a donné lieu dans l'exégèse agadique à diverses interprétations. Dans la Mechilta (14 b), R. Natan (Tanna du IIIe siècle) explique que les Égyptiens donnèrent beaucoup d'objets aux Israélites, sans en avoir été priés. Dans Berachot, 9 b, R. Ammi (Amora palestinien du commencement du IVe siècle ap. J.-C.) déduit du verset que les Égyptiens ont été contraints de se dépouiller.
  19. Correspond au Soukkot de la Bible (aujourd'hui Vieux-Caire).
  20. Exode, XIV, 2.
  21. Exode, XII, 39.
  22. Ce détail n'est pas formellement dans la Bible. Il est dit (Ex., XVI, 2) que les Israélites arrivèrent au désert de Sin le 15 du 2e mois. C'est là qu'ils commencèrent à manger la manne. Il faut donc croire qu'ils se nourrirent d'azymes durant trente jours, puisqu'ils quittèrent l'Egypte le 15 du 1er mois (Nisan). Ce calcul est, d'ailleurs, établi par la tradition rabbinique (Sabbat, 87 b).
  23. Dans un autre passage (liv. III, X, 5), Josèphe indique, pour la fête de Pâque, conformément à Nombres, XXVIII, 17, une durée de sept jours et non de huit. On a voulu expliquer (Voir Olitzki, Fl. Josephus und die Halacha, Berlin, 1885, p. 54) que, dans notre passage, Josèphe insistait particulièrement sur la fête des azymes et par là se rencontrait avec la Halacha (Pesahim, 5 a), qui défend le pain levé dès le 14 Nisan, de sorte qu'en effet, on se nourrit

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 1)

d'azymes pendant huit jours. Mais dans l'autre passage, précité, Josèphe donne un autre terme pour Pâque. A la vérité, il ne faut pas trop presser les termes de Josèphe, qui ne se soucie pas toujours, on le voit par sa chronologie, de faire concorder ses propres données (voir note suivante).

  1. Ce chiffre est contraire aux indications données par Josèphe lui-même (liv. I, XVI, 2), à savoir que Jacob naquit après la mort d'Abraham. Or, cette naissance, d'après Gen., XII, 4, et XXV, 7, a dû survenir au moins cent ans après la venue d'Abraham en Canaan. Et comme Jacob a 130 ans à son arrivée en Égypte (plus haut VI, 8), le total des années écoulées depuis l'immigration d'Abraham est donc de 230 ans, et non de 215. Mais Josèphe se soucie peu d'exactitude. Le total de 430 lui est fourni par la Bible (Ex., XII, 40, 41) et le chiffre de 215 lui vient probablement, selon Freudenthal (Hellenistisehe Studien, Breslau, 1874-1875, I, p. 49) de l'historien Démétrios, qui calcule ainsi (Eus., Praep. ev., IX, 21) : Jacob vit en Égypte, jusqu'à la naissance de Kehat, 17 ans ; Kehat vit 40 ans jusqu'à la naissance d'Amram; Amram, 78 ans jusqu'à la naissance de Moïse ; en ajoutant les 80 ans qu'avait Moïse lors de la sortie d'Égypte, on obtient le chiffre 215. On remarquera, en outre, que 215 est la moitié de 430 : l'émigration de Jacob coupe ainsi en deux parties égales la durée comprise entre la première occupation de Canaan et l'Exode.
  2. Exode, VII ; XIII, 19.
  3. Exode, XIV, 5.
  4. Cf. Démétrios (Eus., Praep. ev., IX, 29 fin), surtout les mots : (( partis sans armes ».
  5. Exode, XIII, 17.
  6. Exode, XIV, 9.
  7. On ne trouve aucun de ces derniers chiffres dans l'Écriture ;

ils sont de pure fantaisie. Pour les chars, cf. Ex., XIV, 7.

  1. Voir plus haut et la note sur Démétrios.
  2. Exode, XIV, 21.
  3. L'Exode ne fait intervenir aucun phénomène céleste, mais cf.

Psaumes, LXXVII, 17 suiv.

  1. Le cantique qui remplit le chapitre XV de l'Exode.

L'attribution à Moïse d’une composition en hexamètres est assez plaisante ; il n'y a rien dans la poésie hébraïque de nettement comparable à la métrique grecque classique.

  1. Josèphe a sans cesse la préoccupation d'atténuer, autant que possible, le merveilleux de l'histoire qu'il raconte ; il a peur de choquer la raison de ses lecteurs romains et grecs : de là le souci de trouver des faits analogues dans l'histoire d'autres peuples et la grave concession contenue dans les mots : (( par l’effet du hasard ».
  2. Cf. Arrien, I, 26 ; Strabon, XIV, p. 666 ; Callisthène, fr. 25 ;

Appien, Civ., II, 189 ; Ménandre (Kock, Com. att. fragm., Leipzig, t. III, 1884, fr. 924, passage cité par Plutarque, Vie d'Alexandre,

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 1)

XVII) : « C'est tout à fait l'histoire d'Alexandre ! Suis-je à la recherche de quelqu'un, voici qu'il se présente de lui-même ; et s'il me faut traverser la mer en quelque endroit, les flots me livreront passage ».

[138] Pour tout ce passage, cf. Démétrios (dans Eus., Praep. ev., IX, 29, fin) : « Il apparaît que ceux qui n'avaient pas été engloutis utilisèrent les armes des autres ».

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

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JOSEPHE

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE XI - LIVRE XII - LIVRE XIII - LIVRE

XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE 3

Chapitre premier

Moïse, ayant fait sortir le peuple d’Égypte, le mène sur le mont Sinaï, après beaucoup de souffrances éprouvées pendant le voyage.

1. Marche pénible vers le Sinaï - 2. Les eaux de Mar. – 3­4. Souffrances à Élim. - 5. Miracle des cailles. - 6. La manne. - 7. Le rocher de Raphidim.

1F1]. Lorsque, contre toute espérance, les hébreux eurent

ainsi été sauvés, ils furent de nouveau cruellement en peine, tandis qu'on les menait vers le mont Sinaï. La contrée était absolument déserte, dénuée de toute production propre à leur subsistance et extrêmement pauvre en eau ; non seulement elle ne pouvait rien fournir aux hommes, mais elle n'était même pas capable de nourrir aucune espèce animale ; en effet, c'est une terre sèche, d'où ne sort aucune humidité propice à la végétation. C'est par un tel pays qu'ils étaient contraints de cheminer, aucune autre route ne leur étant ouverte. Des lieux antérieurement parcourus ils avaient emporté de l'eau, selon l'ordre de leur chef, et, quand cette eau

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

fut épuisée[2], ils essayèrent d'en retirer de puits. Ce fut

un travail pénible à cause de la dureté du sol ; mais ce qu'ils trouvaient était amer, non potable et, au surplus, en quantité très minime.

En marchant ainsi, ils arrivèrent aux approches du soir à Mar, localité qu'ils appelèrent de ce nom à cause de la mauvaise qualité de l'eau - en effet, l'amertume[3] se dit

mar - ; et là, épuisés par cette marche ininterrompue et par le manque de nourriture – à ce moment ils n'en avaient plus du tout -, ils font halte. Un puits se trouvait là, c'était une raison de plus pour y demeurer ; sans doute, il ne pouvait à lui seul suffire à une si grande armée, cependant c'était un léger encouragement pour eux de l'avoir trouvé dans de tels parages ; car ils avaient ouï dire à ceux qui allaient aux informations qu’ils n'en rencontreraient plus aucun en poursuivant leur route. Mais cette eau-là était amère, et non seulement les hommes ne pouvaient la boire, mais les bêtes de somme même ne la supportaient pas.

2. Moïse, voyant leur découragement et l'inefficacité des paroles en une telle circonstance, - car ce n'était pas une armée véritable, capable d'opposer à la contrainte de la nécessité la force virile ; l'élan généreux de leurs sentiments était enrayé par la foule des enfants et des femmes, qui n'étaient pas de force à recevoir les enseignements de la raison -, Moïse donc était dans le plus grand embarras, parce qu'il faisait siennes les souffrances de tous. En effet, on n'avait recours à personne qu'à lui ; tous l'adjuraient, les femmes pour leurs enfants, les maris pour leurs femmes, de ne pas se désintéresser d'eux, mais de leur procurer quelque moyen de salut. Il se met alors à supplier Dieu de débarrasser l'eau du mauvais goût qu'elle avait et de la rendre potable. Et comme Dieu consentit à lui faire cette faveur, ayant saisi l'extrémité d'un bâton qui se trouvait sur le sol à ses pieds, il le fendit par le milieu[4], dans le

sens de la longueur, puis, l'ayant jeté dans le puits, il persuada aux hébreux que Dieu avait prêté l'oreille à ses prières et avait promis de rendre l'eau telle qu'ils la désiraient, pourvu qu'ils exécutassent ses ordres, non avec mollesse, mais avec ardeur. Ceux-ci demandant ce qu'il leur faudra faire pour que l'eau s'améliore, il

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

ordonne à ceux qui étaient dans la force de l'âge de tirer l'eau du puits, en leur disant que ce qui resterait au fond, quand ils en auraient eu vidé la plus grande partie, serait potable. Ils se mirent à l’œuvre, et l'eau travaillée et purifiée par leurs coups incessants[5] devient bientôt

bonne à boire.

3[6]. Partis de là, ils arrivent à Elis[7] ; de loin, cette

localité avait belle apparence, car elle était plantée de palmiers, mais, quand on en fut près, on se convainquit, au contraire, que c'était un méchant lieu ; car ces palmiers, qui n'étaient pas plus de soixante-dix, croissaient péniblement et demeuraient tout au ras du sol, faute d'eau, tout l'endroit étant sablonneux. Même des sources qui se trouvaient là, au nombre de douze, il ne jaillissait pas assez d'eau pour les arroser ; et comme rien n'en pouvait sourdre ni s'élever en l'air, elles ne donnaient que de rares filets de liquide et l'on creusait le sable sans rien rencontrer ; encore le peu d'eau qu'ils parvenaient à recueillir goutte à goutte se trouvait impropre à tout usage, tant il était trouble. Et les arbres étaient trop débiles pour porter des fruits, faute d'eau pour leur donner de la vigueur et de l'élan. Aussi incriminait-on le chef et l'accablait-on d'injures : ces misères, ces épreuves malheureuses, c'était par lui qu'on les endurait, disaient-ils. Ils en étaient à leur trentième jour[8] de marche ; les provisions qu'ils avaient

emportées était complètement épuisées[9], et, comme ils

ne trouvaient rien en route, ils désespéraient complètement. Tout à la pensée de leur malheur présent, qui les empêche de se souvenir des bienfaits qu'ils doivent à Dieu d'une part, à la vertu et à l’intelligence de Moïse de l'autre, ils n'ont pour leur chef que de la colère, et s'élancent pour le lapider[10], comme s'il était le plus

responsable de leur détresse actuelle.

4. Mais lui, devant cette foule ainsi surexcitée et animée contre lui de sentiments violents, fort de l'appui de Dieu et de la conscience qu'il a d'avoir veillé sur ceux de sa race, s'avance au milieu d’eux tandis qu'ils vocifèrent et tiennent encore des pierres dans leurs mains ; avec son aspect si agréable et son éloquence si persuasive pour la

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

foule, il commence à apaiser leur colère, les exhorte à ne pas oublier, sous l'impression des difficultés actuelles, les bienfaits antérieurs, et à ne pas chasser de leurs pensées, parce qu'ils souffrent présentement, les grâces et les faveurs considérables et inespérées qu'ils avaient reçues de Dieu. Ils doivent compter qu'ils seront tirés aussi des embarras actuels, grâce à la sollicitude divine, car, vraisemblablement, c'était pour éprouver leur vertu, pour savoir de quelle force d'âme ils étaient doués, quelle mémoire ils conservaient des services déjà rendus, et s'ils n'y reporteraient point leur pensée sous l'influence des maux actuels, que Dieu les accablait maintenant de ces tourments. Il leur reproche de ne savoir ni les endurer, ni se souvenir d'un heureux passé, en faisant si peu de cas de Dieu et du dessein selon lequel ils ont quitté l'Égypte, et en montrant tant d'humeur contre lui-même, serviteur de Dieu, lui qui ne leur a jamais menti, ni dans ses discours, ni dans les ordres qu'il leur a donnés selon les instructions divines. Puis il leur énumère tout, comment les Égyptiens ont été détruits en voulant les retenir de force contre la volonté de Dieu, comment le même fleuve se changea pour ceux-là en sang, de sorte qu'ils ne purent boire de ses eaux, tandis que pour eux-mêmes elles restaient potables et douces, comment, traversant la mer qui s'écartait d'eux au loin en leur ouvrant un chemin tout nouveau, ils y trouvèrent le salut pour eux-mêmes, tandis qu'ils voyaient leurs ennemis périr ; comment, lorsqu'ils manquaient d'armes, Dieu leur en procura abondamment ; enfin il leur dit toutes les circonstances où, quand ils paraissaient à deux doigts de leur perte, Dieu les avait sauvés à l'improviste, quelle puissance était la sienne, qu'il ne fallait donc pas non plus désespérer maintenant de sa providence, mais patienter sans colère, en songeant que le secours ne peut tarder, même s'il ne vient pas immédiatement, avant toute épreuve fâcheuse, et considérer que ce n'est pas par indifférence que Dieu temporise, mais bien pour éprouver leur courage et leur amour de la liberté, « afin de savoir, dit-il, si, à l'occasion, vous pourriez supporter généreusement pour elle la privation d'aliments et le manque d'eau, ou si vous préférez l'esclavage, comme les bêtes que leurs maîtres domptent et nourrissent

 

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copieusement en vue des services qu'ils en attendent ». Il ajoute que, s'il craint quelque chose, ce n'est pas tant pour sa propre sécurité, - car ce ne sera pas un malheur pour lui de mourir injustement -, que pour eux-mêmes ; il a peur qu'en lançant des pierres contre lui, ils n'aient l'air de mépriser Dieu.

5. Il les calme ainsi, arrête leurs bras prêts à le lapider et les amène à se repentir de l'acte qu'ils allaient commettre : mais, ayant songé que cette agitation provoquée par la nécessité n'était pas déraisonnable, il réfléchit qu'il devait aller supplier et invoquer Dieu, et, monté sur un observatoire élevé, il lui demande de procurer quelque secours au peuple et de l'arracher à sa détresse, - car c'était en lui que se trouvait leur salut et en nul autre -, et de pardonner au peuple ce qu'il venait de commettre sous l'empire de la nécessité, car la race des hommes est naturellement portée à se plaindre et à récriminer dans la mauvaise fortune. Dieu promet[11] de

prendre soin d'eux et de leur fournir ces ressources tant souhaitées. Moïse, ayant entendu cette réponse de Dieu, retourne auprès du peuple. Ceux-ci, en le voyant tout réjoui des promesses divines, passent de l'abattement à une humeur plus gaie, et lui, debout au milieu d'eux, dit qu'il vient leur apporter de la part de Dieu un secours contre les embarras présents. Et, peu après, une quantité de cailles[12] (cette espèce d'oiseaux abonde,

plus que toute autre, dans le golfe Arabique) traverse ce bras de mer et vient voler au-dessus d'eux ; et, fatiguées de voler, habituées, d'ailleurs, plus que les autres oiseaux à raser la terre, elles viennent s'abattre sur les Hébreux. Ceux-ci, les recueillant comme une nourriture préparée par Dieu, soulagent leur faim. Et Moïse adresse des actions de grâce à Dieu pour les avoir secourus si vite et comme il l'avait promis.

6[13]. Aussitôt après ces premiers secours en vivres,

Dieu leur en envoya une seconde fois. En effet, tandis que Moïse élève les mains en prière, une rosée tombe à terre, et, comme elle adhérait en se coagulant[14] à ses

mains, Moïse, soupçonnant que c'était là un aliment envoyé par Dieu, la goûte, et, charmé, tandis que le

 

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peuple, dans son ignorance, la prend pour de la neige et l'attribue à l'époque de l'année où l'on se trouvait[15], il

leur apprend que cette rosée descendue du ciel n'est pas ce qu'ils supposent, mais qu'elle est destinée à les sauver et à les nourrir ; en la goûtant, ils s'en convaincraient. Ceux-ci, imitant leur chef, eurent plaisir à manger de cette substance[16], car elle tenait du miel

par sa saveur douce et délicieuse et ressemblait à cette espèce d'aromate nommée bdella[17] ; la grosseur était

celle d'une graine de coriandre. Ils mirent à la récolte une ardeur extrême. Mais il leur était recommandé à tous également de n'en récolter chaque jour qu'un assaron[18] (c'est le nom d'une mesure), cet aliment ne

devant jamais leur faire défaut ; c'était là une précaution afin que les faibles ne fussent pas empêchés d'en prendre par les forts, qui profiteraient de leur vigueur pour faire une récolte plus copieuse. Ceux qui, néanmoins, recueillaient plus que la mesure prescrite n'avaient aucun avantage pour la peine qu'ils se donnaient, car ils ne trouvaient rien de plus qu'un assaron ; et tout ce qu'on mettait de côté pour le jour suivant ne servait plus à rien : les vers et l'amertume l'abîmaient, tant cet aliment était divin et extraordinaire. Il remplaçait pour ceux qui en mangeaient tous les autres aliments absents[19]. Et encore aujourd'hui[20]

tout ce lieu est arrosé d'une pluie semblable à celle que jadis, par faveur pour Moïse, Dieu envoya pour leur servir de nourriture. Les Hébreux appellent cet aliment manna[21], car le mot man est une interrogation dans

notre langue et sert à demander : « Qu'est-ce que cela ?[22] » Ils ne firent donc que se réjouir de cet envoi

du ciel et ils usèrent de cette nourriture pendant quarante ans, tout le temps qu'ils furent dans le désert.

7[23]. Lorsque, partis de là, ils arrivèrent à Raphidin[24],

tourmentés par une soif extrême, -car après avoir dans les premiers jours rencontré quelques sources, ils se trouvaient maintenant dans un pays absolument dépourvu d'eau -, leur situation était pénible et ils recommençaient à s'irriter contre Moïse. Mais lui, échappant à grand peine aux transports de la foule, se met à prier Dieu, et lui demande, de même qu'il leur

 

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avait donné à manger dans le besoin, de leur procurer aussi à boire, car c'en était fait de leur reconnaissance pour la nourriture qu'ils avaient reçue, si la boisson leur faisait défaut. Dieu ne différa pas longtemps d'accorder cette faveur ; il promit à Moïse de produire une source abondante qui jaillirait d'un endroit imprévu. Et il lui commande de frapper de son bâton la roche qui se trouvait là devant leurs yeux ; c'était d'elle qu'ils recevraient en abondance tout ce qu'ils désiraient ; il veillerait aussi à ce que l'eau leur apparût sans peine ni travail. Moïse, ayant reçu ces promesses de Dieu, revient auprès du peuple, qui était dans l'attente et tenait les regards fixés sur lui ; car on l'avait déjà aperçu qui descendait vivement de la colline. Dès qu'il arrive, il leur dit que Dieu voulait les délivrer aussi de cette détresse et qu'il daignait même les sauver d'une façon inespérée ; de la roche jaillirait pour eux un courant d'eau. Tandis que cette nouvelle les stupéfie à la pensée d'être encore obligés, tout épuisés qu'ils sont par la soif et le voyage, à tailler dans le rocher, Moïse le frappe de son bâton ; celui-ci s'entrouvrant, il s'en échappe une eau abondante et parfaitement limpide. Eux sont frappés de l'étrangeté de ce spectacle et rien qu’à son aspect, leur soif se calme déjà ; ils en boivent, et ce liquide leur parait agréable et délicieux et tel qu'un vrai présent de Dieu. Ils en conçoivent aussi de l'admiration pour Moïse, si fort en honneur auprès de Dieu et ils offrent des sacrifices pour remercier Dieu de la providence dont il les a entourés. L'écrit[25] déposé dans le temple atteste

que Dieu avait prédit à Moïse qu'il ferait ainsi sortir de l'eau du rocher.

Chapitre II

Les Amalécites et les peuples d’alentour, ayant fait la guerre aux Hébreux, sont défaits et perdent la plus grande partie de leur armée.

1. Préparatifs de guerre des Amalécites. - 2. Moïse encourage les Hébreux effrayés. - 3. Il les prépare au combat. - 4. Victoire des Hébreux ; butin considérable. – 5. Fêtes en l’honneur de cette victoire et arrivée au Sinaï.

 

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1[26]. Comme le renom des Hébreux s'était déjà fort

répandu partout et qu'on parlait beaucoup d'eux, il advint que les gens du pays ne furent pas médiocrement effrayés. S'envoyant mutuellement des députations, ils s'invitent à repousser et à tenter d'exterminer ces intrus. Les instigateurs de cette entreprise étaient les habitants de la Gobolitide et de Pétra[27], qui s'appellent

Amalécites ; c'était le plus belliqueux des peuples de ce pays. Leurs rois, par des messages adressés des uns aux autres ainsi qu'aux peuples voisins, s'exhortent à faire la guerre aux Hébreux[28] ; une armée d'étrangers, disaient-

ils, qui s'étaient dérobés à la servitude des Égyptiens, s'installait près d'eux pour leur nuire : « On aurait tort de les mépriser ; c'est avant qu'ils se fortifient et que leurs ressources augmentent, et qu'ils commencent à nous attaquer, se sentant encouragés en ne nous voyant opposer aucune résistance, qu'il est prudent et sage de les défaire en les punissant de leur agression et de ce qu'ils y ont commis, et non lorsqu'ils auront mis la main sur nos villes et nos richesses. Ceux qui tentent de ruiner la puissance naissante de leurs ennemis font preuve de plus de sagacité que ceux qui s’opposent à son accroissement après qu'elle a déjà progressé ; car ceux-ci semblent ne s'indigner que de l'excès de leurs avantages, mais ceux-là ne leur laissent jamais prendre barre sur eux ». Après ces avis adressés aux peuplades voisines ainsi qu'entre soi, on décida d'entrer en lutte avec les Hébreux.

2. Comme Moïse ne s'attendait à aucune hostilité, il éprouva de l'embarras et de l'inquiétude devant cette attitude des gens du pays ; et, alors que ceux-ci étaient déjà prêts au combat et qu'il fallait affronter le péril, la foule des Hébreux se trouva dans une vive agitation ; manquant de tout, elle allait se battre avec des gens équipés de tout à merveille. Moïse alors entreprend de les consoler, les exhorte à reprendre courage en se fiant au suffrage de Dieu ; élevés par lui à la liberté, ils triompheraient de ceux qui se disposaient à les attaquer pour la leur disputer. Ils devaient considérer leur armée comme assez nombreuse et pourvue d'armes, d'argent, de vivres, de tout ce dont la présence enhardit l'homme

 

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qui va combattre, la seule assistance de Dieu leur donnait tout cela ; tandis que l'adversaire était peu nombreux, désarmé, faible, facile à vaincre même par de moins forts qu'eux, dès que Dieu le voulait[29]. Ils

savaient quel secours Dieu procurait, d'après de nombreuses expériences, plus tragiques que la guerre ; car la guerre, on la fait contre des hommes ; mais les difficultés où ils s'étaient trouvés devant la faim et la soif, devant les montagnes et la mer quand ils ne savaient par où fuir, c'était grâce à la seule bienveillance divine qu'ils les avaient surmontées. Il les invitait aujourd'hui à montrer la plus grande ardeur, car ils auraient de tout en abondance s'ils triomphaient de leurs ennemis.

3[30]. C'est par ces discours que Moïse rendait courage à

la foule, et, appelant les chefs de tribu et les magistrats séparément et tous ensemble, il engageait les plus jeunes à obéir aux plus anciens et ces derniers à écouter leur général. Ceux-ci, dont les âmes s'exaltaient en vue du danger, et qui, prêts pour la terrible affaire, espéraient qu’un moment viendrait où l'on serait délivré de ces maux, priaient Moïse de les conduire sur l'heure et sans retard contre leurs ennemis, tout délai pouvant arrêter leur ardeur. Moïse, après avoir choisi dans la foule tous ceux qui pouvaient se battre, met à leur tête Josué (Jésoûs)[31], fils de Noun (Navèchos), de la tribu

d'Éphraïm, un homme très courageux, qui supportait vaillamment les fatigues, qui savait fort bien réfléchir et parler, honorait Dieu d'une piété singulière que Moïse lui avait enseignée, et possédait l'estime des Hébreux. Il rangea quelques hommes armés autour de l'eau pour la garde des enfants et des femmes et de l'ensemble du camp. Ils passèrent toute la nuit en préparatifs, à réparer les armes endommagées, le regard tendu vers leur chef, tout prêts à s'élancer au combat quand Moïse leur en donnerait le signal. Moïse aussi passe la nuit à enseigner à Josué comment il rangera l'armée en bataille. Quand le jour commence à paraître, il exhorte à nouveau Josué à ne pas se montrer dans l'action inférieur aux espérances fondées sur lui et à s'acquérir dans son commandement la considération de ses troupes pour ses exploits, il exhorte encore, chacun à

 

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part, les plus notables d'entre les Hébreux, et bientôt il donne l'élan à toute la foule réunie sous les armes. Lui-même, après avoir animé l'armée par ses paroles et tout ce travail préparatoire, se retire sur la montagne en confiant l'armée à Dieu et à Josué.

4. Les adversaires en viennent aux mains, le combat s'engage avec acharnement et l'on s'anime les uns les autres. Tout le temps que Moïse tient les bras levés en l'air, les Amalécites faiblissent devant les Hébreux. Mais Moïse, ne pouvant supporter la fatigue de cette tension des bras, et constatant que chaque fois qu'il les laissait retomber, régulièrement les siens se trouvaient avoir le dessous, il ordonne à son frère Aaron et au mari de sa sœur Mariamme, Our(os)F32], de se tenir de chaque côté

de lui pour soutenir ses mains et ne pas le laisser se fatiguer dans son intervention tutélaire. Cela fait, les Hébreux remportent une victoire écrasante sur les Amalécites. Et ceux-ci eussent tous péri, si la nuit survenant n'eût arrêté le carnage. C'était une très belle victoire et très opportune que remportèrent là nos ancêtres, car ils triomphèrent de ceux qui s'étaient jetés sur eux et ils effrayèrent les peuples voisins tout en se procurant de nombreuses et magnifiques richesses pour prix de leurs efforts. S'étant emparés, en effet, du camp des ennemis, ils acquirent des ressources considérables tant pour l'usage public que pour leur usage particulier, eux qui précédemment avaient manqué même du nécessaire. Et ce leur fut, non seulement pour le présent, mais encore pour l'avenir, une source de bienfaits que le succès de ce combat car ils n'asservirent pas seulement la personne de leurs assaillants, mais aussi leur moral ; et pour tous les peuples voisins, après la défaite de ces premiers adversaires, ils devinrent redoutables. En même temps, ils s'emparèrent d'une grande quantité de richesses. Car beaucoup d'argent et d'or fut saisi dans le camp, ainsi que des vases d'airain qui servaient pour les repas, profusion aussi d'or et d'argent monnayésF33], puis tous les tissus et les

ornements servant aux armures, d'autres objets de parure et d'équipement, un butin varié de bêtes de somme et tout ce qui suit habituellement une armée en campagneF34]. Les Hébreux conçurent une haute idée de

 

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leur propre valeur et leur vertu se retrempa ; désormais ils ne reculèrent devant aucun effort, estimant que par l'effort tout peut se conquérir.

5. C'est ainsi que se termina cette lutte. Le lendemain, Moïse fit dépouiller les cadavres des ennemis et réunir les armures laissées par les fuyards ; il distribua des récompenses aux vaillants et fit l'éloge de leur chef Josué, dont les exploits étaient attestés par l'armée tout entière. Chez les Hébreux personne n'avait péri, mais les ennemis avaient eu tant de morts qu'on ne pouvait même les compter. Après avoir offert des sacrifices d'actions de grâce, il érige un autel et appelle Dieu du nom de Donneur de victoire[35] et il prédit que les

Amalécites périraient d'une ruine complète, que nul d'entre eux ne survivrait, parce qu'ils s'étaient jetés sur les Hébreux, alors qu'ils se trouvaient dans un pays désert, en pleine détresse ; puis il restaura l'armée par des festins.

Tel fut leur premier engagement, livré après leur sortie d'Égypte contre d'audacieux agresseurs. Après qu'ils eurent célébré la fête en l'honneur de leur victoire, Moïse, ayant attendu quelques jours, emmena, après ce combat, les Hébreux rangés en bon ordre. Déjà beaucoup d'entre eux étaient armés. Avançant par petites étapes, le troisième mois après la sortie d'Égypte, il arrive au mont Sinaï[36], où s'étaient passés le miracle

du buisson et ses autres visions que nous avons déjà rapportés.

Chapitre III

Jéthro, son beau-père, étant venu le rejoindre au Sinaï, Moïse le reçoit avec joie.

1[37]. Ragouël[38], son beau-père, instruit de ses succès,

s'en vient joyeusement à sa rencontre et fait bon accueil à Moïse, à Sapphora[39] et à leurs enfants. Moïse se

réjouit de l'arrivée de son beau-père et, après avoir offert un sacrifice, il donne un festin[40] au peuple non loin du

buisson qui avait échappé à la combustion du feu. Tout le peuple, rangé par familles, prenait part au festin ;

 

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Aaron et les siens, s'étant adjoint Ragouël, chantaient des hymnes à Dieu, auteur et dispensateur de leur salut et de leur liberté. Ils célébraient aussi leur général, dont le mérite avait tout fait réussir à souhait. Et Ragouël se répandit en éloges à l'adresse du peuple pour la reconnaissance que celui-ci témoignait à Moïse et il admira, d'autre part, Moïse pour l'ardeur virile qu'il avait mise à sauver les siens.

Chapitre IV

Jéthro lui suggère de diviser son peuple, qui n’était pas encore organisé, au moyen de chefs de 1 000 et de chefs de 100, et Moïse fait tout cela, selon le conseil de son beau-père.

1. Conseils de Ragouël à Moïse. - 2. Moïse s'y conforme.

1. Le lendemain, Ragouël aperçoit Moïse au milieu du tumulte des affaires ; il tranchait, en effet, les différends de tous ceux qui le lui demandaient, car tous venaient à lui, pensant que le seul moyen d'obtenir justice, c'était de l'avoir, lui, pour arbitre ; et aux vaincus mêmes la défaite semblait légère, persuadés qu'elle était due à la justice et non à la cupidité. Sur le moment, Ragouël garde le silence, ne voulant empêcher personne d'avoir recours aux talents du chef, mais, une fois le tumulte apaisé, il le prend à part, et, demeuré seul avec lui, il lui enseigne ce qu'il doit faire. Il lui conseille de laisser à d'autres le tracas des petites affaires et de garder toute sa vigilance pour les plus importantes et pour le salut du peuple ; pour ce qui était de juger, d'autres Hébreux s'en trouveraient capables ; mais, quant à veiller à la sécurité de tant de myriades d'hommes, nul autre ne le pourrait qu'un Moïse. « Ainsi conscient de ton mérite, dit-il, et du rôle que tu as joué en concourant avec Dieu au salut du peuple, laisse à d'autres le soin d'arbitrer les contestations : toi, consacre-toi sans cesse au seul culte de Dieu en cherchant les moyens de tirer le peuple de son dénuement actuel. Suivant mes avis sur les affaires humaines, tu dénombreras l'armée soigneusement et tu la diviseras par groupes de dix mille hommes[41],

 

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auxquels tu désigneras des chefs choisis, puis par groupes de mille. Ensuite tu les diviseras en groupes de cinq cents, puis de cent, puis de cinquanteF42]... Ces

groupes auront des chefs qui tiendront leur titre du nombre d'hommes qu'ils commanderont ; ils seront reconnus partout le peuple pour des gens de bien et des hommes justes, et connaîtront des différends des gens de leur groupe. Pour les affaires plus importantes, ils en référeront, au sujet de la décision à prendre, aux magistrats plus élevés ; et, si à ceux-ci également les difficultés de l'affaire échappent, c'est à toi qu'ils la renverront. Il en résultera ainsi deux choses : les Hébreux obtiendront justice, et toi, par ton commerce assidu avec Dieu, tu le rendras plus propice à l'armée ».

2F43]. Ragouël l'ayant ainsi exhorté, Moïse accepte avec

plaisir ses avis et fait tout conformément à son plan, sans dissimuler l'origine d'une telle mesure et sans s’en approprier le mérite, mais en désignant clairement l'inventeur au peuple. Même il a inscrit dans les livres le nom de Ragouël comme l'inventeur de ladite organisation, estimant qu'on fait bien de rendre un fidèle témoignage au mériteF44], quelque gloire que puissent

rapporter à celui qui les enregistre à son compte les inventions d'autrui ; c'est ainsi qu'on peut connaître jusqu'en ce trait les vertus de Moïse.

Mais nous aurons d'excellentes occasions de parler de ces vertus dans d'autres passages de notre ouvrage.

Chapitre V

Moïse, étant monté sur le mont Sinaï et ayant reçu de Dieu les lois, les transmet aux Hébreux

1. Moïse monte au Sinaï. - 2. Orage miraculeux sur la montagne. - 3. Discours de Moïse aux Hébreux. - 4. Transmission des dix commandements. - 5. Leur sens. - 6. Les Hébreux demandent des lois. - 7. Moïse remonte au Sinaï ; son absence inquiète les Hébreux. - 8. Il revient avec les Tables de la loi.

 

1F45]. Moïse, ayant convoqué le peuple, leur dit qu'il

 

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partait, lui, vers le mont Sinaï pour s'entretenir avec Dieu et qu'après avoir reçu de lui un oracle[46], il

reviendrait le leur apporter ; quant à eux, il leur commanda de transférer leur campement près de la montagne, par préférence pour le voisinage de Dieu. Cela dit, il monte au Sinaï, qui était la montagne la plus haute de ces parages et dont les dimensions étaient si extraordinaires et les escarpements si abrupts que, non seulement elle était impossible à gravir, mais qu’on ne pouvait même la contempler sans se fatiguer le regard, d'autant plus que ce qu’on disait du séjour de Dieu la rendait redoutable et inaccessible. Cependant les Hébreux, conformément aux instructions de Moïse, changent leur camp de place et viennent occuper le pied de la montagne, s'exaltant à la pensée que Moïse reviendrait d'auprès de Dieu avec l'annonce de ces biens qu'il leur avait fait espérer. Tous en fêtes, ils attendent leur chef, observant toute pureté en général et, en particulier, s'abstenant du commerce des femmes durant trois jours, comme il le leur avait prescrit, et priant Dieu qu'après un accueil favorable, il donne à Moïse un présent qui les fasse vivre heureux. Ils font aussi des repas plus somptueux et mettent un soin particulier à se parer en même temps que leurs femmes et leurs enfants.

2[47]. Ils passent ainsi deux jours en festins. Le

troisième avant le lever du soleil, une nue se pose sur tout le camp des Hébreux, qui n'avaient jamais vu

encore pareil phénomène, et environne l'emplacement où ils avaient établi leurs tentes. Et, tandis que le reste du ciel restait serein, des vents impétueux, amenant des pluies violentes, font rage, des éclairs terrifient les regards, et la foudre qui s'abat atteste la présence d'un Dieu propice aux vœux de Moïse. Au sujet de ces événements chacun de mes lecteurs peut penser ce qu'il voudra ; quant à moi, je suis obligé d'en faire un récit conforme à ce qui est consigné dans les saints Livres. Pour ce qui est des hébreux, ce qu'ils virent et le fracas qui frappait leurs oreilles les mit dans une vive agitation, car ils n'y étaient pas accoutumés et la rumeur qui courait au sujet de cette montagne, qui passait pour le séjour de Dieu, frappait singulièrement leur imagination. Ils se tenaient contre leurs tentes, mornes, croyant que

 

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Moïse avait péri victime de la colère de Dieu, et s'attendant pour leur part au même sort.

3[48]. Tel était leur état d'esprit quand apparaît Moïse,

rayonnant et plein de hautes pensées. Sa vue les délivre d'inquiétude et leur fait concevoir pour l'avenir de meilleures espérances ; l'air redevint serein et pur des récentes perturbations, quand Moïse arriva. La-dessus, il convoque le peuple en assemblée pour entendre ce que Dieu lui a dit. Dès qu'ils sont réunis, il se place sur une hauteur, d'où tous pouvaient l'entendre, et dit[49] :

« Hébreux, Dieu, comme naguère, m'a accueilli avec bonté et, pour vous prescrire des règles de vie heureuse et un gouvernement ordonné, il va paraître lui même dans le camp. C'est pourquoi, par égard pour lui et tout ce qu'il a déjà fait pour vous, ne méprisez pas ce que je vais dire en me considérant, moi qui vous parle, ou sous prétexte que c'est une bouche humaine qui vous le transmet. Car, si vous considérez l'excellence de mes paroles, vous reconnaîtrez la grandeur de celui qui l'a conçu et qui, dans votre intérêt, n'a pas dédaigné de me les confier. Ce n'est pas Moïse, fils d'Amaram et de Jocabed, c'est celui qui a contraint le Nil à rouler en votre faveur des flots sanglants et dompté par toutes sortes de fléaux l'orgueil des Égyptiens, celui qui, à travers la mer, vous a ouvert un chemin, celui qui a fait descendre une nourriture du ciel quand vous étiez dans le besoin, celui qui a fait jaillir du rocher l'eau qui vous manquait, celui grâce à qui Adam reçut les produits de la terre et de la mer, grâce à qui Noé échappa au déluge, grâce à qui Abram, notre ancêtre, cessant d'errer, s'établit dans la Chananée, celui qui a fait naître Isac de parents d'âgés, qui orna Jacob des vertus de douze fils, grâce à qui Joseph gouverna la puissance des Égyptiens, c'est celui-là qui vous favorise de ses commandements en se servant de moi comme interprète. Qu'ils aient toute votre vénération ; soyez-en plus jaloux que de vos enfants et de vos femmes. Vous aurez une vie de félicité si vous les suivez ; vous jouirez d'un pays fertile, d'une mer à l'abri des orages, et vos enfants naîtront d'une façon normale et vous serez redoutables à vos ennemis. Car, admis à la contemplation de Dieu, il m'a été donné d'entendre sa voix immortelle, tant il prend souci de

 

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votre race et de sa conservation ! »

4[50]. Après ces paroles, il fait avancer le peuple avec les

femmes et les enfants, pour entendre Dieu leur parler de leurs devoirs, afin que la vertu de ces paroles ne fût pas altérée par le langage humain, qui les eût affaiblies en les transmettant à leur connaissance. Tous entendent une voix venue d'en haut, elle leur parvient à tous, de manière qu'ils ne perdent aucune de ces dix paroles que Moïse a laissées écrites sur les deux tables. Ces paroles, il ne nous est plus permis[51] de les dire explicitement,

en toutes lettres, mais nous en indiquerons le sens.

5. La première parole nous enseigne que Dieu est Un, qu'il ne faut vénérer que lui seul[52]. La deuxième nous

commande de ne faire aucune image d'animal[53] pour

l'adorer, la troisième de ne pas invoquer Dieu en vain, la quatrième d'observer chaque septième jour en nous abstenant de tout travail, la cinquième d'honorer nos parents, la sixième de nous garder du meurtre, la septième de ne point commettre d'adultère, la huitième de ne point voler, la neuvième de ne pas rendre de faux témoignages, la dixième de ne rien convoiter qui appartienne à autrui.

6[54]. Et le peuple, après avoir entendu Dieu lui-même

leur dire ce que Moïse avait annoncé, se réjouit de ces paroles et l'assemblée fut dissoute. Les jours suivants, venant à maintes reprises vers la tente de Moïse, ils le prièrent de leur procurer aussi des lois de la part de Dieu. Moïse établit ces lois et il leur indiqua ultérieurement d'une façon complète comment on devait les pratiquer : j'en ferai mention en temps opportun. Mais, pour la majeure partie de ces lois, je les remets à un autre livre, car j'en ferai l'objet d'une exposition spéciale[55].

7[56]. Les choses en étaient là, quand Moïse gravit de

nouveau le mont Sinaï, après en avoir averti les Hébreux. C'est sous leurs yeux qu'il effectua son ascension, mais, comme le temps passait - il y avait quarante jours qu'il s'était séparé d'eux -, la crainte

 

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saisit les Hébreux qu'il ne fût arrivé malheur à Moïse, et, entre toutes les infortunes qui les avaient atteints, rien ne les chagrinait comme de penser que Moïse avait péri. Il y avait contestation parmi les hommes : les uns disaient qu'il était tombé victime des bêtes fauves, - c'étaient principalement les gens dont les dispositions lui étaient hostiles qui émettaient cette opinion -, les autres disaient que la divinité l'avait retiré à elle. Mais les gens sensés, qui n'avaient de préférence personnelle pour aucun de ces deux avis, qui pensaient que mourir sous la dent des bêtes était un accident humain et qui estimaient vraisemblable aussi que, grâce à la vertu dont il était orné, il eût été transporté par Dieu auprès de lui, trouvaient dans ces pensées la quiétude. Pourtant, en songeant qu'ils étaient privés d'un patron et d'un protecteur tel qu'ils ne pourraient en trouver de semblable, ils ne cessaient de s'affliger extrêmement, et ni l'attente où ils étaient de quelque bonne nouvelle à son sujet ne les autorisait à prendre le deuil, ni ils ne pouvaient s'empêcher de pleurer et de montrer de l'abattement. Quant à lever le camp, ils n'osaient, Moïse leur ayant prescrit de l'attendre là.

8[57]. Lorsque quarante jours furent écoulés et autant

de nuits, Moïse revint sans avoir goûté d'aucun aliment[58] de ceux qui sont en usage parmi les

hommes. Son apparition remplit l'armée de joie ; il leur dévoila la sollicitude que Dieu témoignait à leur égard, disant qu'il lui avait montré pendant ces jours comment ils devraient s'administrer pour vivre heureux, et que Dieu voulait qu'on lui fît un tabernacle[59] où il

descendrait quand il viendrait auprès d'eux, « afin que, dit-il, dans nos déplacements nous l'emportions avec nous et qu'il ne nous soit plus nécessaire de monter au Sinaï, mais que Dieu lui-même, fréquentant ce tabernacle, soit présent à nos prières. Ce tabernacle se fera dans les dimensions et avec l'aménagement qu'il a lui-même indiqués et vous vous mettrez à ce travail activement ». Cela dit, il leur montre deux tables[60] où

se trouvaient gravées les dix paroles, cinq sur chacune d'elles[61]. EL l'écriture était de la main de Dieu[62].

 

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Chapitre VI

Du tabernacle que Moïse édifia dans le désert en l’honneur de Dieu, pour servir de temple.

I. Les matériaux du tabernacle. - 2. Description de l'atrium (parvis). - 3. Le tabernacle proprement dit - 4. Son aménagement intérieur. - 5. L'arche. - 6. La table. - 7. Le candélabre. - 8. Les deux autels.

1[63]. Joyeux de ce qu'ils avaient vu et de ce qu'ils

avaient ouï dire à leur chef, ils ne se lassèrent pas de déployer tout le zèle dont ils étaient capables. Ils apportent de l'argent, de l'or et du cuivre, des bois de la nature la plus précieuse et qui n'avaient rien à craindre de la putréfaction[64], du poil de chèvre, et des peaux de

moutons, les unes teintes en violet d'hyacinthe, les autres en écarlate ; d'autres offraient l'éclat de la pourpre ; d'autres avaient la couleur blanche. Ils apportent aussi des laines teintes de ces mêmes couleurs, de fin lin byssus, avec des pierres encastrées dans leurs tissus, de celles que les hommes enchâssent dans l'or et qui leur servent de parure de prix, enfin une quantité d'aromates. C'est avec ces matériaux que Moïse construisit le tabernacle, qui ne différait en rien d'un temple portatif et ambulant. Tous ces objets ayant été rassemblés avec empressement, chacun ayant fait ce qu'il pouvait et au-delà, il prépose des architectes aux travaux, selon les instructions de Dieu, ceux-là mêmes que le peuple eût choisis s'il en eût eu le droit. Voici quels étaient leurs noms[65] - car on les trouve

consignés dans les livres saints - : Béséléèl(os)[66], fils

d'Ouri, de la tribu de Juda, petit-fils de Mariamme, la sœur du chef, et Eliab(os)[67], fils d'Isamach(os)[68], de

la tribu de Dan. Mais le peuple mettait tant d'ardeur à s'engager dans cette entreprise que Moïse dut les écarter, en faisant proclamer qu'il y avait assez de monde[69] ; c'est ce que les artisans lui avaient dit. Ils se

mettent donc à la confection du tabernacle. Et Moïse leur donna, conformément au plan de Dieu, les indications détaillées au sujet des mesures, au sujet de la grandeur du tabernacle et des objets qu'il devait

 

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contenir pour le service des sacrifices. Les femmes elles-mêmes[70] rivalisaient de zèle à fournir les vêtements

sacerdotaux et tout ce qui était nécessaire encore à l'ornementation de l’œuvre et au service divin.

2. Quand tout fut prêt, l'or, [l'argent], l'airain, et les tissus, Moïse, après avoir prescrit une fête et des sacrifices selon les moyens de chacun, dresse le tabernacle[71]. Il commence par mesurer avec soin une

cours[72] de cinquante coudées de large et de cent

coudées de long ; il y plante des pieux de cuivre de cinq coudées de haut, vingt de chaque côté dans le sens de la longueur et dix dans la largeur du côté qui faisait le fond. Des anneaux étaient adaptés à chacun de ces pieux. Les chapiteaux étaient en argent, les socles, qui ressemblaient à des pieds de lance, étaient de cuivre et s’enfonçaient dans le sol[73]. Aux anneaux étaient fixées

des cordes dont l’autre extrémité était attachée à des piquets de cuivre longs d'une coudée qui, pour chaque pieu, s'enfonçaient en terre de façon à rendre le tabernacle immobile sous la poussée des vents. Un voile de byssus extrêmement fin régnait sur tous ces pieux ; il pendait du chapiteau jusqu'au socle, se déployant avec ampleur et il environnait tout cet espace d'une enceinte qui ne paraissait pas différer d'un mur. Tel était l'aspect de trois faces de l'aire sacrée. Dans la quatrième (cette dernière, qui avait cinquante coudées, formait le front de l'ensemble) vingt coudées s'ouvraient en porte, où se trouvaient de part et d'autre deux pieux à l'imitation de pylônes ; ces pieux étaient entièrement revêtus d'argent[74] à l'exception des socles, lesquels étaient en

cuivre. De chaque côté du porche[75], se dressaient trois

pieux solidement introduits dans les montants qui soutenaient les portes et fortement ajustés ; autour de ces pieux aussi était tendu un voile tissé de byssus. Mais devant les portes, sur une longueur de vingt coudées et une hauteur de cinq, régnait un voile de pourpre et d'écarlate, tissé avec l'hyacinthe et le byssus, garni de quantité d'ornements de couleurs variées, mais sans rien qui représentât des formes d'animaux[76]. En

dedans des portes se trouvait un bassin de cuivre[77] destiné aux aspersions, avec un fondement du même

 

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métal ; c'est là que les prêtres pouvaient se laver les mains et répandre de l'eau sur leurs pieds. C'est ainsi que l'enceinte de la cour sacrée était aménagée.

3[78]. Quant au tabernacle, Moïse le dresse au milieu en

le tournant du côté de l'orient, afin que le soleil, aussitôt à son lever, lui envoyât ses rayons. Sa longueur s'étendait sur trente coudées, sa largeur sur dix ; l'un des murs était au sud, l'autre au nord ; derrière le fond se trouvait le couchant. Il fallait lui donner une hauteur égale à la largeur. Chaque flanc était formé de solives de bois au nombre de vingt[79], taillées en forme

rectangulaire, larges d'une coudée et demie, avec une épaisseur de quatre doigts[80]. Elles portaient de tous

les côtés un revêtement de lames d'or, sur les parties intérieures comme sur les parties extérieures. Chacune d'elles était pourvue de deux tenons s'enfonçant dans deux socles ; ceux-ci étaient en argent et avaient chacun une ouverture pour recevoir les tenons. Le mur occidental avait six solives, fixées toutes soigneusement les unes aux autres, de sorte que, les joints se trouvant bien clos, elles semblaient ne faire qu'un mur; elles étaient dorées sur la partie interne et externe. Ainsi le nombre des solives était en proportion de la longueur de chaque face. [Sur les grands côtés] il y en avait vingt et l'épaisseur de chacune d'elles était d'un tiers d'empan[81] [la largeur d'une coudée et demie][82], de

sorte qu'elles remplissaient une longueur de trente coudées. Du côté du mur d'arrière, où les six solives réunies ne faisaient que neuf coudées, on fit deux autres solives chacune d'une [demi-] coudée[83] qu'on plaça

aux angles et qu'on orna de la même façon que les solives plus larges. Toutes ces solives étaient garnies d'anneaux d'or sur leur face externe, bien encastrées comme par des racines, alignées et se correspondant mutuellement sur tout le pourtour ; par ces anneaux passaient des barres dorées d'une longueur de cinq coudées[84] servant à assembler les solives entre elles ;

chaque barre entrait par son extrémité dans la suivante comme dans une vertèbre artificielle faite en forme de coquillage. Du côté du mur postérieur se trouvait une barre unique qui passait par toutes les solives et où

 

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pénétraient transversalement les extrémités des barres de chacun des deux grands côtés : ce qui les assujettissait comme par des charnières, la pièce mâle s'emboîtant dans la pièce femelle. Tout cela maintenait le tabernacle, en l'empêchant d'être agité par les vents ou par toute autre cause, et devait lui procurer l'immobilité et une stabilité parfaite.

4[85]. A l'intérieur, divisant sa longueur en trois parties,

à dix coudées du fond il dressa quatre solives, fabriquées comme les autres, posées sur des socles identiques, en les espaçant un peu entre elles ; au-delà de ces solives c'était le sanctuaire secret ; le reste du tabernacle était ouvert aux prêtres. Il se trouva que cette division du tabernacle imitait la nature universelle[86]. En effet, la

troisième partie, en dedans des quatre solives, qui était inaccessible aux prêtres, s’ouvrait comme le ciel à Dieu ; l'espace des vingt coudées, comme la terre et la mer sont accessibles aux hommes, était de même accordé aux seuls prêtres. Mais sur le front, où on avait fait l'entrée, se dressaient des solives d'or posées sur des socles d'argent, au nombre de cinq. On recouvrait le tabernacle de tissus où le byssus se mêlait à la pourpre, à l'hyacinthe et à l’écarlate. Le premier avait dix coudées de côté ; il était tendu devant les colonnes qui, divisant transversalement le temple, en interdisaient l'intérieur ; et c'est ce voile qui empêchait que personne pût y jeter les regards. L'ensemble du temple s'appelait Saint, mais la partie inaccessible en dedans des quatre solives, le Saint des Saints. Cette tenture était fort belle, parsemée des fleurs les plus diverses[87] que porte la terre, et

portant dans son tissu tous les ornements propres à l'embellir, à l'exception des figures d'animaux[88]. Une

autre[89],toute pareille par les dimensions, par le tissu

et par la couleur, couvrait les cinq solives situées à l'entrée ; à l'angle de chaque solive un anneau la maintenait et elle pendait du sommet jusqu'à mi-hauteur de la solive ; le reste de l'espace livrait passage aux prêtres qui y pénétraient. Par dessus cette tenture, il y en avait une autre de mêmes dimensions faite de lin, qu'on tirait à l'aide de cordons d'un côté ou de l'autre ; des anneaux étaient adjoints au voile et au cordon pour

 

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le déployer ou le retenir, après qu'on l'aurait tiré dans l'angle, afin qu'il n'interceptât point la vue, surtout dans les jours exceptionnels. Les autres jours, et principalement quand le temps était neigeux, on le déployait et on en faisait ainsi un abri imperméable pour le voile de couleurs : de là l'usage s'est maintenu, même quand, nous avons construit le temple, d'étendre ainsi un rideau devant l'entrée. Dix autres[90] tentures de

quatre coudées de large et de vingt-huit coudées de long, pourvues de charnières d'or[91], s'adaptaient ensemble

par l'insertion des gonds dans les cylindres, de façon à présenter l'aspect d'une seule et même pièce[92].

Tendues ensuite par-dessus le sanctuaire, elles couvraient tout le haut ainsi que les parois latérales et postérieures jusqu'à une distance d'une coudée du sol. Il y avait encore d'autres tentures[93] d'égale largeur, plus

nombreuses d'une pièce que les précédentes, et d'une longueur plus considérable : elles avaient, en effet, trente coudées. Elles étaient tissées de poil, mais présentaient la même finesse de travail que celles de laine : on les laissait pendre librement jusqu'à terre[94],

et aux portes elles offraient l'aspect d'un fronton et d'un portique, la onzième pièce étant employée à cet effet. D'autres pièces recouvraient celles-ci, préparées avec des peaux ; elles servaient d'enveloppe et de protection aux tissus contre les ardeurs du soleil ainsi qu'en cas de pluie. On était tout à fait saisi quand on les regardait de loin : leur coloration paraissait toute semblable à celle qu'on peut voir dans le ciel. Les couvertures de poils et de peaux descendaient également sur le voile tendu contre la porte pour la défendre du soleil et des dégâts causés par les pluies.

5. C'est ainsi que fut construit le tabernacle. On fit aussi pour Dieu une arche[95] de bois solide et incapable de se

putréfier[96]. Cette arche se nomme érôn[97] dans notre

langue. Elle était constituée de la façon suivante : elle avait une longueur de cinq empans[98], une largeur et

une hauteur égales de trois empans. En dedans et en dehors elle était toute recouverte d'or de façon à masquer la boiserie ; par des pivots[99] d'or un couvercle

la fermait avec une merveilleuse exactitude ; il s'y

 

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adaptait partout également ; nulle part aucune saillie ne blessait cette heureuse correspondance. A chacun de ces grands côtés étaient fixés deux anneaux d'or qui traversaient tout le bois et dans ces anneaux passaient de petites barres dorées de chaque côté, pour permettre, quand il le faudrait, de mettre l'arche en mouvement et de la déplacer - car on ne la transportait pas à dos de bêtes, c'étaient les prêtres qui s'en chargeaient. Sur le couvercle se trouvaient deux figures, que les Hébreux appellent Cheroubeis[100]. Ce sont des êtres ailés, d'une

forme telle que jamais on n'en a vu de semblable sous le ciel. Moïse dit qu'il les a vus sculptés en bas-relief sur le trône de Dieu[101]. C'est dans cette arche qu’il déposa

les deux tables, où se trouvaient consignées les dix paroles, cinq sur chaque table[102] et deux et demie par

colonne, et il plaça l'arche elle-même dans le sanctuaire. 6[103]. Dans le temple, il dressa une table pareille à

celles de Delphes, de deux coudées de long, d'une coudée de large et de trois empans de haut. Elle reposait sur des pieds qui dans leur moitié inférieure étaient sculptés, avec un art achevé, pareils à ceux que les Doriens mettent à leurs lits ; dans la partie supérieure, près de la table proprement dite, on leur avait donné une forme quadrangulaire. Elle était évidée de chaque côté sur une profondeur d'environ quatre doigts[104] ; un

liseré courait autour de la partie supérieure et de la partie inférieure du corps de la table. Chaque pied était muni d'un anneau, non loin du couvercle ; par ces anneaux passaient des barres dorées, intérieurement en bois, et qu'on pouvait retirer facilement. En effet, la partie du pied embrassée par l'anneau était creuse (?) ; les anneaux mêmes n'étaient pas tout d'une pièce ; au lieu de faire un cercle complet, leurs extrémités se terminaient en deux pointes, dont l'une s'insérait dans le rebord supérieur de la table et l'autre dans le pied. C'est par ces appareils qu'on la transportait en route. Sur cette table, qu'on plaçait dans le temple en la tournant vers le nord, non loin du sanctuaire, on disposait douze pains[105] azymes en deux séries opposées de six, faits

de farine de froment parfaitement pure, dont on prenait deux assarôris, mesure hébraïque qui vaut sept cotyles

 

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attiquesF106]. Au-dessus des pains on posait deux

coupes d'or remplies d'encens. Au bout de sept jours, on apportait de nouveaux pains, le jour que nous appelons sabbat ; c'est ainsi que nous appelons le septième jour. Quant à la raison qui fit imaginer tout cela, nous en parlerons ailleursF107].

7F108]. Vis-à-vis de la table, mais près de la paroi

tournée vers le midi, se trouvait un candélabre d'or fondu en creux du poids de cent mines, poids que les Hébreux appellent kincharesF109] ; ce qui, traduit en

grec, répond à un talent. Il était composé de petites sphères et de lis avec des grenadesF110] et de petits

cratères ; en tout, soixante-dix objetsF111]. Il était

constitué par ces objets depuis la base, qui était unique, jusqu'en haut. On lui avait donné autant de branches qu'on compte de planètes avec le soleil. Il se séparait en sept têtes disposées à intervalles égaux sur une rangée. Chaque tête portait une lampe, rappelant le nombre des planètes ; elles regardaient l'orient et le midi, le candélabre étant disposé obliquement.

8F112]. Entre ce dernier et la table, en dedans, se

trouvait, comme j'ai déjà dit, un encensoir en bois, du même bois imputrescible qui les ustensiles précédents, avec une lame de métal massive incrustée tout autour. Il avait une coudée de large de chaque côté et deux coudées de haut. Sur cet encensoir était disposé un brasier d'or, pourvu à chaque angle d'une couronneF113]

formant un cercle d'or ; à ces couronnes s'adaptaient des anneaux et des barres qui servaient aux prêtres à porter l'encensoir en route. On érigea aussi par devant le tabernacle un autel de cuivreF114], dont l'intérieur était

aussi en bois ; il mesurait cinq coudées carrées de surface, et trois coudées de haut ; il était également orné d'or et soigneusement recouvert de lames de cuivre avec un foyer pareil à un réseau ; c'était, en effet, la terre qui recevait tout le feu qui tombait du foyerF115], la base ne

s'étendant pas sous toute la surface de l'autel. En face de l'autel étaient placées des cruches à vin, des coupes, avec des cassolettes et des cratères d'orF116]. Tous les

autres objets affectés au service sacré étaient faits de

 

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cuivre.

Tel était le tabernacle avec tous ses ustensiles.

Chapitre VII

Les vêtements des prêtres et ceux du grand-prêtre ; les différentes sortes de sanctifications ; des fêtes et des dispositions relatives à chacune d’elles.

1. Vêtements des prêtres ordinaires : le caleçon. - 2. La tunique ; la ceinture. - 3. Le bonnet. - 4. Vêtements du grand-prêtre : la tunique. - 5. L'éphoudès ; l'essèn avec les pierres précieuses ; la ceinture. - 6. Le bonnet et la couronne d'or. - 7. Symbolisme de ces vêtements.

1[117]. On fit aussi des vêtements pour les prêtres tant pour ceux qu'on appelle chaanées[118] que pour le grand-prêtre, qu'on intitule anarabaque[119], ce qui signifie grand-prêtre...[120] Quand le prêtre va accomplir

les rites sacrés, après avoir accompli les purifications qu'exige la loi, il commence par revêtir ce qu'on appelle le machanasès[121]. Ce mot veut dire un vêtement

étroitement ajusté ; c'est un caleçon qui couvre les parties naturelles et qui est tissé de fin lin ; on y introduit les jambes comme dans des braies ; il est coupé à mi-corps et se termine aux cuisses, autour desquelles il se serre[122].

2[123]. Par dessus, il revêt un vêtement de lin, fait d'un double tissu[124] de byssus. On l'appelle chéthoméné[125], c'est-à-dire : tissu de lin ; en effet,

nous appelons le lin chéthôn. Ce vêtement est une tunique qui descend jusqu'aux talons[126] ; elle est

ajustée au corps, avec de longues manches[127] serrées

autour des bras ; on l'attache sur la poitrine et on l'enserre, un peu au-dessus de l'aisselle, d'une ceinture[128] large d'environ quatre doigts et faite d'un

tissu ajouré[129] qui la rait ressembler à de la peau de

serpent. Des fleurs se mêlent à son tissu, aux teintes variées d'écarlate, de pourpre, d'hyacinthe[130] ; la

trame est uniquement de byssus. On commence à

 

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l'enrouler sur le sternum[131] ; puis après un nouveau

tour on la noue et elle pend encore d'une grande longueur jusqu'aux talons, tant que le prêtre n'a rien à faire[132] ; car pour l’œil, c'est ainsi qu'elle présente un

aspect agréable. Mais quand il lui faut vaquer aux sacrifices et faire son service, pour n'être pas gêné dans ses opérations par les mouvements de l'étoffe, il la rejette en haut et la porte sur l'épaule gauche. Moïse lui a donné le nom d'abaneth[133] ; nous, les Babyloniens

nous ont appris à la nommer émian[134], car c’est ainsi

qu'on la désigne chez eux. Cette tunique ne fait de plis nulle part ; elle présente une large ouverture à l'endroit du cou ; à l'aide de cordonnets pendant du bord du vêtement du côté de la poitrine et du côté du dos, on l'attache au-dessus de chaque épaule. Elle s'appelle mazabazanès[135].

3. Sur sa tête, le prêtre porte une calotte sans pointe et qui ne couvre pas la tête tout entière, mais se pose un peu au-dessus de sa partie médiane. Son nom est masanaemphthès[136] ; elle est arrangée de façon à

ressembler à une couronne, consistant en un épais ruban fait d'un tissu de lin[137] ; car elle est repliée sur

elle-même et cousue[138] plusieurs fois. Ensuite un

tissu vient par en haut recouvrir la calotte en descendant jusqu'au front ; il cache la couture du ruban et tout ce qu'il présente de disgracieux et entoure tout le crâne d'une étoffe unie. On l'ajustait avec soin, de crainte qu'il ne roulât à terre pendant que le prêtre s'occupait du service sacré.

4[139]. Nous venons de montrer comment s'habille le

commun des prêtres.

Quant au grand-prêtre, il se pare de la même façon, sans rien omettre de ce qui vient d'être dit, mais il revêt, en outre, une tunique faite d'hyacinthe. Elle descend également jusqu'aux pieds : on l'appelle méeir[140] dans

notre langue ; elle est enserrée par une ceinture ornée des mêmes teintes variées qui fleurissaient la précédente, avec de l'or mêlé à son tissu. A son bord inférieur sont cousues des franges qui pendent et rappellent par leur couleur les grenades, et des

 

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clochettes d'or arrangées avec un vif souci de l'harmonie, de façon à insérer entre deux clochettes une grenade et entre deux grenades une clochette. Mais cette tunique n'est pas composée de deux pièces qui seraient cousues sur les épaules et sur les côtés ; c'est un seul morceau, d'un long tissu qui présente une ouverture pour le cou, non pas transversale, mais fendue dans le sens de la longueur depuis le sternum jusqu'au milieu de l'espace situé entre les deux épaules. Une frange y est cousue pour qu'on ne s'aperçoive pas de ce que la fente à de disgracieux. Il y a également des ouvertures par où passent les mains[141].

5[142]. Par-dessus ces vêtements, il en revêt un troisième, celui qu'on appelle éphoudès[143] ; il

ressemble à l'épômis des Grecs. Il est fait de la façon suivante. Tissé sur une longueur d'une coudée, de couleurs variées et brodé aussi d'or, il laisse à découvert le milieu de la poitrine ; il est pourvu de manches et présente toute l'apparence d'une tunique[144]. Dans la

lacune de ce vêtement s'insère un morceau de la largeur d'une palme, tout brodé d'or et des mêmes couleurs que l'éphoudès[145]. Il s'appelle essèn[146], mot qui se

traduirait en grec par logion[147] (oracle). Il remplit

exactement la place qu'on a laissée vide dans le tissu à l'endroit de la poitrine. Il s'y unit, grâce a des anneaux d'or qu'il porte à chaque angle, à des anneaux pareils de l'éphoudès qui leur correspondent, un fil d'hyacinthe passant dans ces anneaux pour les relier ensemble. Et pour qu'on ne vît pas de jour entre ces anneaux, on imagina d'y coudre un galon d'hyacinthe. Deux sardoines[148] agrafent l'épômis sur les épaules, car

elles ont de part et d'autre des extrémités en or qui s’étalent et font office de crochets. Sur ces pierres sont gravés les noms des fils de Jacob dans notre langue et en caractères indigènes, six sur chaque pierre ; les noms des plus âgés[149] sont sur l'épaule droite - sur l'essèn

se trouvent aussi des pierres au nombre de douze[150],

d'une grandeur et d'un éclat extraordinaires, parure que les hommes ne pourraient se procurer à cause de sa valeur énorme. Ces pierres donc sont rangées trois par trois sur quatre lignes et insérées dans le tissu. Autour

 

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de ces pierres s'enroulent des fils d'or, qui font partie du tissu, et disposés de manière à les empêcher de s'échapper. La première triade comprend une sardoine, une topaze, une émeraude ; la seconde présente une escarboucle, un jaspe, un saphir ; la troisième a d'abord un morceau d'ambre, puis une améthyste, et, en troisième lieu, une agate, la neuvième pierre de l'ensemble ; dans la quatrième rangée est disposée d'abord une chrysolithe, après cela un onyx, puis un béryl pour finir[151]. Sur toutes ces pierres sont gravées

des lettres composant les noms des fils de Jacob, que nous considérons comme des phylarques, chaque pierre étant décorée d'un de ces noms, selon l'ordre même de leur naissance respective[152]. Comme les anneaux sont

trop faibles par eux-mêmes pour supporter le poids des pierres, on mit deux autres anneaux plus grands au bord de l'essèn le plus rapproché du cou, en les insérant dans le tissu et en les disposant de manière à recevoir des chaînes travaillées qui se rejoignent sur le haut des épaules et s'adaptent l'une à l'autre grâce à des ligaments d'or entrelacés. L'extrémité de ces chaînes, ramenée en sens inverse, allait se fixer dans l'anneau supérieur de la lisière dorsale de l'éphoudès, ce qui garantissait l'essèn de toute chute. A l'essèn était cousue une ceinture[153] garnie des mêmes ornements de

couleur mêlés d'or dont j'ai déjà parlé ; cette ceinture, après avoir fait un tour, revenait se nouer par-dessus la couture, puis retombait et pendait. Quant aux franges, des étuis d'or[154] les recevaient à chaque extrémité de

la ceinture et les tenaient toutes enfermées.

6[155]. Comme coiffure, le grand-prêtre avait d'abord un

bonnet fait de la même façon que celui de tous les prêtres ; mais, par dessus, s'en trouvait cousu un second[156] de couleur d'hyacinthe ; une couronne d'or

l'entourait, composée de trois cercles ; sur cette couronne fleurissait un calice d'or rappelant la plante que nous appelons chez nous saccharon[157], mais que

les Grecs versés dans l'art de cueillir les simples appellent jusquiame. S'il y a des personnes qui tout en ayant vu cette plante, ignorant son nom, n'en connaissent pas la nature, ou bien, tout en sachant son

 

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nom, ne la connaissent pas de vue, pour celles-là je m'en vais la décrire. C'est une plante dont la hauteur dépasse souvent trois palmes, et qui ressemble par sa racine au navet - on pourrait sans inexactitude risquer cette comparaison, - et par ses feuilles à la roquetteF158]. Du

milieu de ses branches elle émet un calice qui tient fortement au rameau ; une enveloppe le recouvre qui se détache d'elle-même quand il commence à se transformer en fruit. Ce calice est grand comme une phalange du petit doigt et ressemble par son contour à un cratère. J'indique ceci également pour ceux qui ne l'ont pas appris : il présente dans sa partie inférieure la moitié d'une balle qui serait divisée en deux, car il est arrondi dès la racine, puis, après s'être un peu rétréci par une légère courbe rentrante d'une forme gracieuse, il s'élargit de nouveau insensiblement en sépales fendus comme l'ombilic d'une grenade. De plus, un opercule hémisphérique le recouvre, qu'on dirait soigneusement fait au tour et que surmontent les sépales découpés qui, je l'ai dit, se développent comme dans la grenade, garnis d'épines, aux extrémités, finissant tout à fait en pointe. La plante conserve sous cet opercule ses fruits, qui remplissent toute l'étendue du calice, fruits pareils à la semence de la plante dite sidérite, et elle produit une fleur qui parait comparable aux feuilles claquantes du pavot. C'est sur le modèle de cette plante qu’on garnit la couronne qui va de la nuque aux deux tempes ; quant au front, l'éphiélis ne le couvrait pas (c'est le nom qu'on peut donner au calice) ; il y avait là une lame d'orF159]

qui portait gravé en caractères sacrés le nom de Dieu.

7. Telle était la parure du grand-prêtre. On peut trouver surprenante la haine que les hommes ont pour nous et qu'ils ne cessent de nous témoigner sous prétexte que nous méprisons la divinité, qu'eux-mêmes se flattent de révérer : car si on réfléchit à la construction du tabernacle et qu'on regarde les vêtements du prêtre et les ustensiles dont nous nous servons pour le ministère sacré, on découvrira que notre législateur était un homme divin et que ce sont de vaines calomnies dont nous sommes l'objet. En effet, la raison d'être de chacun de ces objets, c'est de rappeler et de figurer l'universF160], comme on le verra si l'on consent à

 

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examiner sans haine et avec discernement. Ainsi pour le tabernacle, qui a trente coudées de long, en le divisant en trois parties et en en abandonnant deux aux prêtres comme un lieu accessible à tous, Moïse représente la terre et la mer, lesquelles sont, en effet, accessibles à tous ; mais la troisième partie, il l'a réservée à Dieu seul, parce que le ciel aussi est inaccessible aux hommes. En mettant sur la table les douze pains, il rappelle que l'année se divise en autant de mois. En faisant un candélabre composé de soixante-dix parties, il rappelle les dix degrés des planètes, et par les sept lampes qu'il porte les planètes elle-mêmes[161] ; car tel est leur

nombre. Les voiles tissés des quatre espèces symbolisent les éléments naturels : ainsi le byssus paraît désigner la terre, puisque c'est d'elle que naît le lin ; la pourpre désigne la mer, parce qu'elle est rougie du sang des poissons ; l'air doit être désigné par l'hyacinthe, et l'écarlate serait le symbole du feu. Mais la tunique du grand-prêtre[162], faite de lin, désigne également la terre

et l'hyacinthe le ciel ; elle ressemble aux éclairs par ses grenades, et au tonnerre par le bruit de ses clochettes. Et l'éphaptis[163] représente la nature universelle, parce

que Dieu a voulu qu'elle fût faite de quatre substances ; elle est, de plus, tissée d'or, par allusion, j’imagine, à la lumière du soleil qui s'ajoute à tous les objets. L'essèn a été disposé au milieu de l'éphaptis à la manière de la terre, laquelle, en effet, se trouve à l'endroit le plus central. La ceinture qui en fait le tour représente

l'océan ; car celui-ci environne tout étroitement. Le soleil et la lune sont figurés par les deux sardoines au moyen desquelles Moïse agrafe le vêtement du grand-prêtre. Quant aux douze pierres, qu'on veuille y voir les mois, ou bien les constellations qui sont en même nombre, - ce que les Grecs appellent le cercle du zodiaque -, on ne se méprendra pas sur ses intentions. Enfin, le hutinet d'hyacinthe me parait représenter le ciel, - autrement on n'aurait pas mis sur lui le nom de Dieu -, ce bonnet décoré d'une couronne, et même d'une couronne d'or à cause de sa couleur éclatante, qui plaît particulièrement à la divinité.

Qu'il me suffise d'avoir donné ces indications, car mon sujet me fournira encore souvent l'occasion de m'étendre longuement sur les mérites du législateur.

 

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Chapitre VIII

1. Aaron est nommé grand-prêtre. - 2. Tentures protectrices du tabernacle ; contribution du demi-sicle. - 3. Les parfums de purification. – 4. Consécration du tabernacle. - 5. Apparition de la nuée divine. - 6. Cérémonies de l'inauguration. - 7. Mort des deux fils aînés d'Aaron. - 8. Rôle de Moïse. - 9. Les pierres précieuses du grand-prêtre. - 10. Sacrifices offerts par les douze phylarques ; entretiens de Moïse avec Dieu.

1F164]. Lorsque le tabernacle dont il vient d'être parlé fut

achevé, avant que les offrandes fussent consacrées, Dieu, apparaissant à Moïse, lui prescrivit de conférer le sacerdoce à son frère Aaron, l'homme que ses vertus rendaient le plus digne de tous d'obtenir cette charge. Alors, réunissant le peuple en assemblée, il leur expose ses mérites et sa bonté ainsi que les dangers qu'il avait courus dans leur intérêt. Et comme eux témoignaient que tout cela était vrai et faisaient paraître leur vive sympathie pour lui : « Israélites, leur dit-il, voici que l’œuvre s'achève, telle qu'elle a plu à Dieu lui-même, et telle que nous avons pu l'accomplir. Mais comme il faut recevoir Dieu dans le tabernacle, quelqu'un nous est nécessaire au préalable pour faire fonctions de prêtre, pour s'acquitter des sacrifices et des prières en notre faveur. Et pour moi, si le soin d'en décider me revenait, je croirais mériter moi-même cette chargeF165], d'abord

parce que chacun à naturellement de l'amour-propre, ensuite parce que j'ai conscience de m'être donné beaucoup de mal pour votre salut. Mais enfin, Dieu lui-même a jugé qu'Aaron méritait cette dignité et c'est lui qu'il a choisi pour prêtre, sachant qu'il est le plus juste d'entre nous. Ainsi c'est lui qui revêtira la robe consacrée à Dieu, qui aura à s'occuper des autels et à veiller aux sacrifices, qui adressera des prières en votre faveur à Dieu qui les agréera, parce qu'il a souci de votre race et que, venant d'un homme qu'il a élu lui-même, il ne peut que les exaucer.

Les Hébreux furent satisfaits de ces paroles et acquiescèrent au choix divin. Car Aaron, à cause de sa famille, du don prophétique et des vertus de son frère,

 

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était le plus qualifié de tous pour cette dignité. Il avait quatre fils[166] en ce temps-là : Nabad(os), Abious[167],

Eléazar(os), Itamar(os).

2[168]. Tout l'excédent[169] des matériaux affectés à la

préparation du tabernacle, il ordonna de l'utiliser à faire des tentures protectrices pour le tabernacle lui-même, pour le candélabre, l'autel des parfums et les autres ustensiles, afin qu'en voyage ils ne subissent aucun dommage soit du fait de la pluie, soit par la poussière qu'on remuerait. Et après avoir réuni à nouveau le peuple, il leur imposa une contribution[170] qui se

monterait à un demi-sicle par tête : le sicle, monnaie des Hébreux, équivaut à quatre drachmes attiques[171].

Ceux-ci obéirent avec empressement aux ordres de

Moïse, et le nombre des contribuables fut de 605.550[172]. Apportaient l'argent tous les hommes

libres âgés de vingt ans et au-delà jusqu'à cinquante, et tout ce qu'on réunit était dépensé pour les besoins du tabernacle.

3[173]. Il purifia le tabernacle et les prêtres, et voici

comment il procéda à leur purification. Il fit broyer et pétrir 500 sicles de myrrhe choisie, autant d'iris et la moitié de ce poids de cinname et de calame[174] (c'est

aussi une espèce de parfum), et, après les avoir mélangés et amollis par la cuisson avec un héïn d'huile d'olives, mesure de notre pays qui contient deux conges attiques, fit préparer selon l'art des parfums un onguent d'une suave odeur. Puis, l'ayant pris, il en oignit les prêtres en personne et tout le tabernacle et les mit en état de pureté ; et les parfums - il y en avait beaucoup et de toutes sortes - on les porta dans le tabernacle sur l'encensoir d'or, car ils avaient une grande valeur. Je me dispense d'exposer quelle était la nature de ces parfums, de crainte de fatiguer mes lecteurs. Deux fois par jour, avant le lever du soleil et à l'heure du coucher, on devait faire des fumigations et garder de l'huile purifiée pour les lampes, en faire luire trois sur le candélabre sacré devant Dieu durant tout le jour et n'allumer les autres que vers le soir[175].

 

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4[176]. Tout dès lors étant achevé, les artisans qui

parurent les plus excellents furent Béséléèl et Eliab. Car aux inventions déjà connues ils s'ingénièrent à en ajouter encore de meilleures et ils se montrèrent très capables d'imaginer ce qu'on ne savait pas fabriquer précédemment. Mais des deux, c'est Béséléèl qui fut estimé le plus habile. On ne mit en tout à l'ouvrage que sept mois[177] ; ce temps écoulé, la première année

depuis leur départ d'Égypte se trouva achevée. Ce fut au début de la deuxième année[178], au mois de Xanthicos

d'après les Macédoniens et de Nisan chez les Hébreux, et à la néoménie, que l'on consacra le tabernacle et tous ses ustensiles que j'ai décrits.

5. Dieu fit voir qu'il était satisfait de l’œuvre des Hébreux et, loin de rendre leur travail vain en dédaignant d'en faire usage[179], il consentit à pénétrer dans ce

sanctuaire et à y habiter. Il y annonça sa présence comme il suit[180]. Tandis que le ciel était serein, au-

dessus du tabernacle l'obscurité se fit, une nuée l'entoura qui n'était ni assez profonde ni assez dense pour qu'on se crût en hiver, ni cependant assez légère pour que la vue eût le pouvoir de rien percevoir au travers ; une rosée délicieuse en dégouttait[181]

attestant la présence de Dieu pour ceux qui le voulaient et y croyaient.

6[182]. Moïse, après avoir gratifié de récompenses

méritées les artisans qui avaient exécuté ces travaux, sacrifia dans le vestibule du tabernacle, selon les prescriptions de Dieu, un taureau, un bélier, et bouc pour les péchés. D'ailleurs, je me propose de dire, quand j'en serai aux sacrifices, les rites sacrés qui entourent leur accomplissement, j'y indiquerai ceux que la Loi ordonne de brûler en holocaustes et ceux dont elle permet de prélever des parties pour les consommer. Puis, avec le sang des victimes, il aspergea les vêtements d'Aaron et Aaron lui-même avec ses fils, en les purifiant avec de l'eau de Source et du parfum liquide afin de les donner à Dieu. Pendant sept jours donc, il s'occupa d'eux et de leurs costumes ainsi que du tabernacle et de ses ustensiles, en faisant d'abord des fumigations d'huile

 

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comme je l'ai déjà dit, avec le sang des taureaux et des béliers dont on immolait chaque jour un de chaque espèce ; le huitième jour, il annonça une fête pour le peuple et prescrivit qu'on offrit des sacrifices, chacun selon ses moyens. Les Hébreux, luttant de zèle et jaloux de se surpasser mutuellement par le nombre de leurs sacrifices respectifs, obéirent à ces instructions. Et quand les victimes furent déposées sur l'autel, un feu soudain en sortit[183], brûlant spontanément, et, pareil

par sa flamme à la lueur d'un éclair, il consuma tout ce qui se trouvait sur l'autel.

7[184]. Mais ce fut cause aussi d'un malheur pour

Aaron, pour l'homme et pour le père, malheur d'ailleurs vaillamment supporté par lui, car il avait l'âme affermie contre les accidents et il pensait que c'était par la volonté de Dieu que ce désastre lui arrivait. Deux d'entre ses fils, qui étaient au nombre de quatre, comme j'ai déjà dit, les plus âgés, Nabad et Abious, ayant apporté sur l'autel non les parfums qu'avaient prescrits Moïse, mais ceux dont ils s’étaient servis antérieurement, furent complètement brûlés, le feu s'étant élancé sur eux et s'étant mis à consumer leur poitrine et leur visage, sans que personne pût l'éteindre. C'est ainsi qu'ils moururent. Moïse ordonne à leur père et à leurs frères[185] de

soulever leurs corps, de les emporter hors du campement et de les ensevelir en grande pompe. Le peuple les pleura, péniblement affecté par une mort survenue d'une façon si étrange. Moïse estima que seuls les frères et le père devaient s'abstenir de songer au chagrin de cette perte, en se souciant plus de rendre hommage à Dieu que de prendre une attitude désolée à cause de ces morts. Déjà, en effet, Aaron était revêtu des vêtements sacerdotaux.

8. Moïse, ayant décliné tous les honneurs qu'il voyait le peuple disposé à lui conférer, ne se consacra plus qu'au service de Dieu. Il avait cessé maintenant ses ascensions au Sinaï, mais, pénétrant dans le tabernacle, il y recevait réponse de ce qu'il demandait à Dieu. Il semblait un homme ordinaire par sa mise, et dans tout le reste il se donnait l'air de quelqu'un du commun ; il ne voulait pas

 

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que rien pût le distinguer de la foule, si ce n'est le seul souci de leur apparaître comme une providence. Au surplus, il écrivit une constitution et des lois, selon lesquelles ils mèneraient une vie agréable à Dieu, sans avoir rien à se reprocher les uns aux autres. Il organisa tout cela sous l'inspiration de Dieu.

Je vais m étendre maintenant sur la constitution et les lois.

9. Toutefois je veux rappeler d'abord un détail que j'avais laissé de côté touchant les vêtements du grand-prêtre. Moïse ne laissait aux coupables manœuvres des imposteurs aucune occasion de s'exercer, au cas où il y aurait eu des gens capables d'abuser de l'autorité divine, car il laissait Dieu absolument maître de présider aux sacrifices, quand il lui plaisait, ou de n'y pas assister. Et ce point, il a voulu qu'il apparût clairement non seulement aux Israélites, mais encore à tous les étrangers qui pourraient se trouver parmi eux. De ces pierres, en effet, que j'ai dit précédemment que le grand-prêtre portait sur ses épaules, - c'étaient des sardoines, et je crois superflu d'en indiquer les propriétés, qui sont parvenues à la connaissance de tout le monde -, il arrivait, lorsque Dieu assistait aux cérémonies sacrées, que celle qui servait d'agrafe sur l'épaule droite se mettait à briller[186], car une lumière en jaillissait,

visible aux plus éloignés, et qui auparavant n'appartenait nullement à la pierre. Ce seul fait doit sembler merveilleux à ceux qui ne font pas les sages en décriant les choses divines. Mais voici qui est plus merveilleux encore : c'est qu'au moyen des douze pierres, que le grand-prêtre portait sur la poitrine insérées dans la trame de l'essèn, Dieu annonçait la victoire à ceux qui se disposaient à combattre. En effet, une telle lumière s’en échappait, tant que l'armée ne s'était pas ébranlée, qu'il était constant pour tout le peuple que Dieu était là pour les secourir. De là vient que ceux des Grecs qui vénèrent nos usages parce qu'ils n'ont rien à leur opposer appellent l'essèn logion (oracle). Mais essèn et sardoine ont cessé de briller deux cents ans avant que je composasse cet écrit[187], parce que

Dieu s'est irrité de la transgression des lois. Mais nous aurons meilleure occasion d'en parler : pour l'instant je

 

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reviens à la suite de mon récit.

10[188]. Lorsque le tabernacle fut enfin consacré et

qu'on eut bien préparé tout ce qui concernait les prêtres, le peuple se persuada que Dieu habitait avec lui dans la tente et se disposa à offrir des sacrifices et à se donner relâche, comme s’il avait écarté désormais toute perspective de malheur, prenant bon courage à l'égard d'un avenir qui s'annonçait favorable ; et dans chaque tribu on offrit des dons tant publics que privés à Dieu. Ainsi les phylarques s'en viennent par deux offrir un char et deux bœufs, - ce qui faisait en tout six chars, lesquels transportaient[189] le tabernacle dans les

marches. En outre, chacun apporte pour son compte un gobelet, un plat et une cassolette[190], cette dernière

d'une valeur de dix dariques[191] et remplie de parfums.

Quant au plat et à la coupe, qui était en argent, les deux réunis pesaient 200 sicles ; mais pour la coupe on n'en avait employé que 70. Ils étaient pleins de farine de froment pétrie dans l'huile, de celle dont on se sert sur l'autel pour les sacrifices. Plus un veau et un bélier, avec un agneau âgé d'un an, destinés à être brûlés entièrement, et, en outre, un chevreau pour demander pardon des péchés. Chacun des chefs offrait encore d'autres sacrifices dits de préservation[192], chaque jour

deux bœufs et cinq béliers et autant[193] d'agneaux d'un

an et de boucs.

C'est ainsi qu'ils sacrifient pendant douze jours, chacun son jour complet. Quant à Moïse, qui avait cessé de gravir le Sinaï et qui entrait dans le tabernacle[194], il

s'y renseignait auprès de Dieu sur ce qu'il fallait faire et sur la rédaction des lois. Ces lois, trop excellentes pour être l’œuvre de la sagesse humaine, ont été observées strictement à toute époque parce qu'on estimait qu'elles étaient un don de Dieu, si bien que, ni en temps de paix, par mollesse, ni en temps de guerre, par contrainte, les Hébreux n'ont transgressé une seule de ces lois. Mais je cesse de parler sur ce sujet, ayant résolu de composer un autre livre sur les lois.

Chapitre IX

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. Différentes sortes de sacrifices ; leur mode d'offrande. -
  2. Sacrifices d'actions de grâce. - 3. Sacrifices

d'expiation. - 4. Oblations et libations ; prescriptions relatives aux sacrifices.

1[195]. Pour le moment, je vais en mentionner quelques-unes relatives aux purifications et aux sacrifices[196] ;

puisque aussi bien c'est de sacrifices que j'ai été amené à parler. Il y a deux sortes de sacrifices : les uns se font par les particuliers, les autres par le peuple[197], et ils

ont lieu selon deux modes[198]. Dans les premiers, toute

la bête offerte est brûlée en holocauste ; de là vient justement le nom qu'ils ont pris. Les autres sont des sacrifices d'actions de grâce ; ils sont destinés à fournir un festin à ceux qui les offrent. Je vais parler de la première catégorie. Un simple particulier qui offre un holocauste[199] immole un bœuf, un agneau et un bouc,

ces derniers âgés d'un an ; les bœufs, on peut les immoler même plus âgés. Mais tous ces holocaustes doivent être d'animaux mâles[200]. Dés qu'ils sont

égorgés[201], les prêtres aspergent de sang le pourtour de l'autel[202], puis, après les avoir nettoyés[203], ils les démembrent, y répandent du sel[204] et les déposent sur

l'autel, qu'on a au préalable rempli de bois et allumé. Ils y mettent les pieds des victimes et les parties abdominales soigneusement nettoyées avec les autres parties pour y être consumés ; les peaux sont prises par les prêtres[205]. Tel est le mode d'offrande des

holocaustes.

2[206]. Si l'on a des sacrifices d'actions de grâce à offrir,

ce sont les mêmes bêtes qu'on immole, mais il faut

qu'elles soient sans défaut, âgées de plus d'un an, mâles et femelles ensemble. Après qu'on les a immolées, on teint l'autel de leur sang ; les reins, la membrane qui couvre les intestins et toutes les graisses avec le lobe du foie, ainsi que la queue de l'agneau, sont disposés sur l’autel. Mais la poitrine et la jambe droite sont offertes aux prêtres et on célèbre des festins pendant deux jours avec le reste des chairs ; et, s'il en subsiste après, on le brûle.

 

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3[207]. On sacrifie aussi pour les péchés[208], et le mode

est le même que pour les sacrifices d'actions de grâce. Ceux qui sont dans l'impossibilité d'offrir des victimes sans défaut donnent deux colombes ou deux tourterelles, dont l'une est consacrée en holocauste à Dieu et dont l'autre[209] est donnée en nourriture aux

prêtres. Mais je traiterai avec plus d'exactitude de l'immolation de ces animaux quand je parlerai des sacrifices. Celui[210] qui est induit au péché par

ignorance[211] offre un agneau et une chèvre du même

âge, et le prêtre arrose l'autel avec le sang, non pas comme précédemment, mais aux extrémités des angles[212]. Les reins, toute la graisse avec le lobe du

foie, on les dépose sur l'autel. Les prêtres prennent pour eux les peaux et les viandes, qu'ils consommeront le jour même dans le sanctuaire ; car la loi ne permet pas d'en laisser jusqu'au lendemain. Celui qui a commis une faute et qui en a conscience[213], sans qu'il y ait

personne pour l'accuser, immole un bélier ; ainsi l’exige la loi. Les prêtres en consomment également les chairs dans le sanctuaire le jour même. Les chefs[214] qui

sacrifient pour leurs péchés apportent les mêmes victimes que les particuliers, mais ils s'en distinguent en ce qu'ils offrent en plus un taureau et un bouc mâles[215].

4[216]. La loi veut que dans tous les sacrifices privés et

publics on offre de la farine de froment parfaitement pure[217], la mesure d'un assarôn pour un agneau, de

deux pour un bélier et de trois pour un taureau. On brûle sur l'autel cette farine[218] pétrie dans l'huile. Car

ceux qui font un sacrifice apportent également de l'huile, pour un bœuf un demi-héïn, pour un bélier, le tiers de cette mesure, et un quart pour un agneau. Le héïn est une antique mesure des Hébreux, de la capacité de deux conges attiques. On offrait la même mesure d'huile et de vin ; on versait ce vin en libations autour de l'autel. Si quelqu'un, sans faire de sacrifice, offrait en vœu de la fleur de farine[219], il en prélevait d'abord une poignée,

qu'il répandait sur l’autel ; le reste, c'étaient les prêtres qui le prenaient pour le consommer, soit bouilli, car on

 

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le pétrissait dans de l'huile, soit à l'état de pains. Mais quand le prêtre l'offrait[220], quelle qu'en fût la quantité,

elle devait être entièrement brûlée.

La loi défend[221] d'immoler le même jour et au même

endroit une bête avec celle qui l'a engendrée, ni, d'une façon générale, avant que huit jours se soient écoulés depuis la naissance, il se fait encore d'autres sacrifices pour se préserver de maladies ou pour d'autres raisons. Dans ces sacrifices on offre des pâtisseries avec les victimes ; selon la loi, on n'en doit rien laisser jusqu'au lendemain, et les prêtres en prélèvent une part pour eux.

Chapitre X

1. Sacrifices quotidiens et de la néoménie. - 2. Sacrifices du 7e mois (1e jour). - 3. Sacrifices du 10e jour. - 4. Construction des tentes (le 15) ; cérémonies et sacrifices. - 5. Fêtes et rites de Pâque. - 6. La Pentecôte. - 7. Pains de proposition ; oblations du prêtre.

1[222]. La loi veut qu'aux frais publics[223] on immole

chaque jour des agneaux du même âge au commencement et à la fin du jour[224] ; mais le

septième jour, qui s'appelle sabbata, on en égorge deux à chaque sacrifice, le sacrifice se faisant, d'ailleurs, de la même façon. A la néoménie, outre les sacrifices quotidiens, on offre encore deux bœufs avec sept agneaux âgés d'un an et un bélier, plus un bouc pour le pardon des péchés, au cas où on aurait péché par oubli[225].

2[226]. Le septième mois, que les Macédoniens appellent Hyperbérétée[227], outre ce qui vient d'être dit, on

immole encore un taureau, un bélier et sept agneaux, plus un bouc pour les péchés.

3[228]. Le dix du même mois lunaire, on jeûne jusqu'au soir et on[229] immole ce jour-là un taureau, deux béliers[230], sept agneaux et un bouc pour les péchés.

On offre, en outre, deux boucs, dont l'un est envoyé vivant hors du pays vers le désert et à pour but de

 

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détourner et d'expier les péchés du peuple tout entier ; l'autre, on l'amène devant la ville, dans un endroit parfaitement pur, et là on le brûle avec la peau elle-même, sans rien nettoyer du tout. On brûle en même temps un taureau qui n'est pas offert par le peuple, mais qui est donné à ses frais[231] par le grand-prêtre. Une

fois ce taureau égorgé, après avoir introduit dans le sanctuaire de son sang ainsi que du sang du bouc, il en asperge sept fois[232] de son doigt le plafond ainsi que le

plancher, et autant de fois encore le sanctuaire même et les alentours de l'autel d'or[233] ; le reste, il l'apporte et

le répand dans le vestibule. En outre, on dépose sur l'autel les extrémités, les reins, la graisse avec le lobe du foie[234]. Et le grand-prêtre offre encore pour son

compte un bélier en holocauste à Dieu,

4[235]. Le quinze du même mois, comme la saison

s'acheminait désormais vers l'hiver, Moïse ordonne qu'on construise des tentes[236] dans chaque famille afin de se

mettre en garde et de se protéger contre le froid de l'année. Et lorsqu'ils auront leur patrie, une fois parvenus dans cette ville qu'ils tiendront pour métropole à cause du temple, pendant huit jours ils célébreront une fête, et offriront alors des holocaustes et des sacrifices de reconnaissance à Dieu, en portant dans leurs mains un bouquet de myrte[237] et de saule avec

une branche de palmier et le fruit de la perséa[238]. Ils devront, le premier jour[239], sacrifier comme

holocaustes treize bœufs, autant d'agneaux plus un, et deux béliers avec un bouc en sus pour le pardon des péchés. Pour les jours suivants, on sacrifie le même nombre d'agneaux et de béliers avec un bouc, en retranchant chaque jour un bœuf de façon à arriver à sept. On s'abstient de tout travail[240] le huitième jour,

et l'on sacrifie à Dieu, comme nous l'avons déjà dit, un veau, un bélier, sept agneaux et un bouc pour le pardon des péchés. Tels sont les usages, consacrés par les ancêtres, que les Hébreux observent pour la fête des tentes.

5[241]. Au mois de Xanthicos, qui s'appelle chez nous Nisan et qui commence l'année, le quatorzième jour en

 

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comptant d'après la lune, quand le soleil est au Bélier, - car c'est en ce mois que nous avons été délivrés de l'esclavage des Égyptiens -, il a institué qu'on devait chaque année offrir le même sacrifice que j'ai dit que nous avions offert jadis au sortir de l'Égypte, sacrifice dit Pascha. Nous l'accomplissons par phratries[242] ; rien

des chairs sacrifiées n'est gardé pour le lendemain[243]. Le quinze, la fête des azymes fait suite[244] à la Pâque[245], fête de sept jours pendant laquelle on se

nourrit d’azymes, et chaque jour on égorge deux taureaux, un bélier et sept agneaux. Tout cela s'offre en holocauste et on y ajoute encore un bouc pour les péchés, qui sert chaque jour au repas des prêtres. Le deuxième jour[246] des azymes, c'est-à-dire le seize, on

prend -. une partie des fruits qu'on a récoltés, auxquels on n'a pas encore touché[247], et estimant qu'il est juste

d'en faire hommage d'abord à Dieu à qui l'on doit la production de ce fruits, on lui offre les prémices de l'orge[248] de la façon suivante. Faisant griller une

poignée d’épis qu'on broie, puis purifiant les grains d'orge pour les moudre, on en apporte pour Dieu un assarôn[249] sur l'autel, et après on avoir jeté une

poignée unique sur l'autel, on abandonne le reste à l'usage des prêtres. Dès lors, il est loisible à tout le monde soit publiquement, soit individuellement de faire la récolte[250]. On offre aussi, outre les prémices des

produits du sol, un agnelet en holocauste à Dieu. 6[251]. Quand la septième semaine qui suit ce sacrifice

est passée, - toutes ces semaines font quarante-neuf jours -, le cinquantième jour, que les hébreux appellent Asartha[252] - ce mot désigne la Pentecôte -, on offre à

Dieu un pain composé de deux assarôns de farine de froment mélangés de levain et, comme sacrifice, deux agneaux. Tout cela, offert selon la loi à Dieu, est destiné uniquement au repas des prêtres et il n'est pas permis d'en rien laisser pour le lendemain[253]. On immole

aussi comme holocaustes trois veaux, deux béliers, quatorze agneaux et deux boucs pour les péchés[254]. Il

n'est pas de fête où l'on n'offre d'holocaustes et où l'on ne donne de relâche aux fatigues du travail ; dans

 

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chacune la loi prescrit un genre de sacrifice et un repos exempt de toute peine, et c'est en vue de célébrer des festins qu'on fait ces sacrifices.

7[255]. C'est le peuple qui fournit le pain cuit sans

levain ; on y emploie vingt-quatre assarôns. On les cuit deux par deux en les séparant la veille du sabbat ; le sabbat, au matin, on les apporte et on les pose sur la table sacrée en deux séries opposées de six pains. Et, après qu'on a en placé par-dessus deux planchettes chargées d'encens, ils y demeurent jusqu'au sabbat suivant. Alors à leur place on en apporte d'autres ; les premiers sont donnés aux prêtres pour leur nourriture, tandis qu'on fait fumer l’encens sur le feu sacré dont on se sert pour tous les holocaustes et l'on met à sa place d'autre encens au-dessus des pains. Le prêtre offre à ses propres frais[256], et il le fait deux fois par jour, de la

farine pétrie dans de l'huile et durcie par une courte cuisson[257] ; il y entre un assarôn de farine dont une

moitié est mise sur le feu le matin et l'autre vers le soir. Mais nous avons encore à nous expliquer sur ce sujet avec plus de détails : je crois que, pour le moment, ce que j'en ai déjà dit peut suffire.

Chapitre XI

1. Moïse intronise les Lévites. - 2. Lois alimentaires. - 3. Lois relatives aux lépreux. -4. Absurdité des légendes concernant la lèpre de Moïse et des Hébreux en Égypte. - 5. Impureté des femmes en couche. - 6. La femme adultère.

1[258]. Moïse, après avoir séparé la tribu de Lévi de la

communauté du peuple, pour en faire une tribu sacrée, la purifia avec de l'eau de source d'un cours intarissable et avec les sacrifices que la loi prescrit dans ces circonstances d'offrir à Dieu ; et il leur confia le tabernacle et les ustensiles sacrés et tout ce qu'on avait fabriqué pour couvrir le tabernacle, afin qu'ils fissent leur service sous le commandement des prêtres ; car ces objets avaient déjà été consacrés à Dieu.

 

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2[259]. Au sujet des animaux, il distingua en détail ceux

dont on se nourrirait et ceux, au contraire, dont on ne cesserait de s'abstenir. A ce sujet, lorsque nous aurons l'occasion d'en traiter, nous nous expliquerons tout au long, en proposant les raisons qui l'ont déterminé à nous déclarer les uns comestibles, et à nous prescrire de nous abstenir des autres. Mais le sang[260], il nous l'a tout a

fait interdit en tant qu'aliment, car il pense qu'il est l'âme même et le souffle vital. Il nous a défendu également[261] la consommation de la chair d'une bête

morte d'elle-même, et nous a prescrit de nous abstenir de la membrane qui couvre les intestins, ainsi que du suif des chèvres, des brebis et des bœufs[262].

3[263]. Il bannit de la ville ceux qui ont le corps affligé de

lèpre et ceux qui ont un flux séminal surabondant. Les femmes aussi chez qui surviennent des sécrétions naturelles, il les éloigne jusqu'au septième jour ; après quoi, considérées comme pures, elles peuvent revenir dans leurs maisons. Il en est de même pour ceux qui ont enseveli un mort[264] ; après le même nombre de jours,

ils peuvent revenir au milieu des autres. Celui qui dépasse ce nombre de jours en état de souillure, la loi veut qu'il sacrifie deux agnelles, dont l'une doit être brûlée et dont l'autre est prise par les prêtres. On fait les mêmes sacrifices en cas de flux séminal[265] : celui qui

a eu un flux séminal pendant le sommeil, sera, après s'être plongé dans l'eau froide, dans la même situation que ceux qui ont cohabité légitimement avec leurs femmes. Mais les lépreux, c'est d'une façon définitive qu'il les éloigne de la ville, sans qu'ils puissent avoir commerce avec personne ; ils ne sont pas autre chose que des cadavres[266]. Mais si quelqu'un par des prières

adressées à Dieu est délivré de cette maladie et recouvre l'épiderme de la santé, il en remercie Dieu par divers sacrifices dont nous parlerons plus tard.

4. Tout cela permet de rire des gens[267] qui prétendent

que Moïse, frappé de la lèpre, dut s'enfuir lui-même de l'Égypte et, s'étant mis à la tête de tous ceux qu'on avait chassés pour le même motif, les conduisit en Chananée. Car, si c'était vrai, Moïse n'aurait pas édicté, pour sa

 

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propre humiliation, de pareilles lois, contre lesquelles il est vraisemblable qu'il eût protesté, si d'autres les avaient promulguées, surtout quand chez beaucoup de nations les lépreux jouissent des honneurs et non seulement échappent aux injures et à l'exil, mais même occupent les fonctions militaires les plus en vue, administrent les charges publiques et ont le droit de pénétrer dans les lieux saints et dans les temples. De sorte que rien n'empêchait Moïse, si ou lui ou le peuple qui l'accompagnait avait eu la peau détériorée par un accident de ce genre, d'instituer au sujet des lépreux une législation des plus favorables, sans les condamner à la moindre peine. Mais il est clair que, s'ils s'expriment ainsi sur notre compte, c'est l'esprit de dénigrement qui les y incite ; pour Moïse, c'est en homme indemne de ces choses-là, au milieu d'un peuple indemne, qu'il a fait des lois à propos de ce genre de malades, et c'est en l'honneur de Dieu qu'il en usait ainsi. D'ailleurs, sur ce sujet chacun juge comme il l'entendra.

5F268]. Aux femmes qui ont accouché il interdit d'entrer

dans le sanctuaire et de toucher à quelque chose de saint jusqu'après quarante jours, si c'est un enfant mâle ; le nombre se trouvait doublé, si c'était une fille. Mais elles y pénètrent, passé le terme précité, pour offrir des sacrifices, que les prêtres consacrent à Dieu.

6F269]. Si quelqu'un soupçonne sa femme d'avoir

commis un adultère, il apporte un assarôn d'orge moulue et, après en avoir répandu une poignée en offrande à Dieu, on en donne le reste à manger aux prêtresF270]. Quant à la femme, un prêtre la place aux

portes, qui sont tournées en face du temple et, lui enlevant son voile de la tête, il commence par écrire le nom de Dieu sur une peauF271] et il l'invite à déclarer

par serment qu'elle n'a aucun tort envers son mari, mais que, si elle a violé les bienséances, sa main droite se désarticule, que sou ventre se consume et qu'elle périsse ainsi ; que si c’est par excès d’amour et conséquemment par jalousie que son mari s'est laissé entraîner témérairement à la soupçonner, qu'il lui naisse au dixième mois un enfant mâleF272]. Ces serments

 

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achevés, après avoir effacé le nom de Dieu de la peau, il la délaye dans une coupe, puis, prenant un peu de terre du sanctuaire, ce qu'il trouve sous la main, il l'y répand et le lui donne à boire. Alors, si elle a été injustement incriminée, elle devient enceinte et le fruit de ses entrailles parvient à terme ; mais, si elle a trompé son mari dans son mariage et Dieu dans son serment, elle pérît d'une mort ignominieuse, sa cuisse se déjetant et l'hydropisie gagnant ses entrailles. Voilà au sujet des sacrifices et de la purification qui s'y rapporte, ce que Moïse prescrivit à ceux de son peuple et voilà les lois qu'il leur a données.

Chapitre XII

1. Unions prohibées. - 2. Dispositions spéciales aux prêtres - 3. Lois de la septième année et du jubilé. - 4 Dénombrement de l'armée. - 5. Disposition du camp. - 6. Les trompettes sacrées et les signaux.

1F273]. L'adultère il l'interdit absolument, pensant qu'il

serait heureux que les hommes eussent des idées saines touchant le mariage et qu'il y allait de l'intérêt des cités et des familles que les enfants fussent légitimes. La loi défend aussi comme un très grand crime de s'unir à sa mère. De même, avoir commerce avec une épouse de son père, avec une tante, avec une sœur, avec la femme de son fils est un acte détesté comme une infamie abominable. Il interdit d'avoir commerce avec une femme à l'époque de ses souillures périodiques, de chercher à s'accoupler aux bêtes ou d'aspirer à s'unir avec un mâle, entraîné par leurs attraits à la poursuite d'une volupté immorale. Pour tous ceux qui oseraient violer ces lois il décrète la peine de mort.

2F274]. Pour les prêtres, il exige une double pureté ; il

leur défend ce qui précède comme à tout le monde et, en outre, il leur interdit d'épouser les prostituées, il leur interdit aussi d'épouser une esclave ou une prisonnière de guerreF275] ainsi que les femmes qui gagnent leur vie

en tenant un petit commerce ou une hôtellerieF276], ou celles qui se sont séparées de leurs premiers maris pour

 

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n'importe quel motif[277]. Quant au grand-prêtre[278],

même une femme dont le mari est mort, il ne lui accorde pas de l'épouser, tandis qu'il le concède aux autres prêtres ; il n'y a qu'une vierge qu'il l'autorise à épouser, et il doit la garder[279]. Aussi le grand-prêtre ne

s'approche pas non plus d'un mort[280], tandis qu'il

n'est pas défendu aux autres prêtres de se tenir auprès d'un frère, d'un père, d'une mère ou d'un fils défunt. Ils doivent être exempts de tout défaut corporel[281]. Un

prêtre qui ne serait pas tout à fait sans défaut, il l'autorise à prendre sa part des viandes sacrées[282]

avec les autres prêtres ; mais quant à monter sur l'autel et à pénétrer dans le sanctuaire, il le lui défend. Ce n'est pas seulement pendant l'accomplissement des sacrifices qu'ils doivent être purs, ils doivent veiller aussi à leur vie privée, tâcher qu'elle soit sans reproche. Et c'est pourquoi ceux qui portent la robe sacerdotale sont sans défaut, purs à tous égards et sobres, car le vin leur est défendu tant qu'ils portent la robe[283]. De plus ils

n'immolent que des victimes entières et qui n'ont subi aucune mutilation.

3[284]. Telles sont les lois, déjà en usage à l'époque où il

vivait, que Moïse nous a transmises ; mais il en est d'autres que, tout en vivant dans le désert, il institua par avance, afin qu'on les appliquât après la conquête de la Chananée. Pendant la septième année il fait reposer la terre du travail de la charrue et de la plantation, de même qu’il a prescrit aux hommes de cesser leurs travaux le septième jour. Quant aux produits spontanés du sol, la jouissance en est publique et libre, non seulement pour ceux du peuple, mais aussi pour les étrangers, car on n'en conserve rien. 0n devait également en user ainsi après la septième semaine d'années, ce qui fait en tout cinquante années. Les Hébreux appellent la cinquantième année Yôbel(os) ; à cette époque les débiteurs sont tenus quittes de leurs dettes[285], les

esclaves sont renvoyés affranchis, du moins ceux qui sont du peuple et que pour une transgression d'une loi il a châtiés en leur imposant la condition servile, sans les condamner à mort[286], il restitue les champs à leurs

propriétaires primitifs de la façon suivante. Quand

 

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survient le Yôbel - ce mot signifie libertéF287] -, arrivent

ensemble le vendeur du champ et l'acquéreur, et, après avoir supputé les revenus et les frais occasionnés par le champF288], s'il se trouve que ce sont les revenus qui

l'emportent, le vendeur recouvre le champ ; mais si les dépenses excèdent, le vendeur doit combler le déficit, sous peine de perdre son bien. Mais si le chiffre est le même des revenus et des dépenses, le législateur rend la terre aux premiers possesseurs. Pour les maisons, il a voulu que la même loi fût en vigueur, s'il s'agit de maisons de village qu'on a vendues. Mais pour la vente de maisons de ville, il a statué différemment : si, avant la fin de l'année, on restitue l'argent, il oblige l'acquéreur à rendre la maison ; mais si une année pleine se passe, il confirme son acquisition à l'acquéreur. Telle est la constitution légale que Moïse, pendant le temps qu'il faisait camper l'armée au pied du Sinaï, reçut de Dieu et transmit par écrit aux Hébreux.

4F289]. Comme la législation lui paraissait bien réglée, il

s'occupa ensuite du recensement de l'armée, songeant désormais à s'appliquer aux affaires relatives à la guerre. Il ordonne aux chefs de tribus, à l'exception de la tribu de Lévi, de faire le compte exact des hommes aptes au service militaire : les Lévites, eux, étaient consacrés et exempts de toute charge. Le recensement ayant eu lieu, il se trouva 603.650 hommes aptes à porter les armes, âgés depuis 20 ans jusqu'à 50F290]. A la place de Lévi, il

choisit comme phylarque Manassé, fils de Joseph, et Ephraïm au lieu de Joseph, conformément à ce que Jacob avait sollicité de Joseph, à savoir de lui donner ses enfants en adoption, ainsi que je l'ai déjà rapporté.

5F291]. Quand ils dressaient le camp, ils plaçaient le

tabernacle au milieu d'eux ; trois tribus s'installaient le long de chaque côté et des chemins s'ouvraient entre elles. On aménageait une agora, et les marchandises étaient rangées chacune à sa place ; les artisans de tout genre avaient leurs ateliers, et cela ne ressemblait à rien moins qu'à une ville déménageant d'ici pour aller s'installer là. L'emplacement autour du tabernacle était occupé d'abord par les prêtresF292], puis par les Lévites

 

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qui étaient en tout - car on les recensait aussi, tous les mâles depuis l'âge de trente jours - au nombre de 23.880[293]. Et pendant tout le temps[294] que la nuée

se trouvait au-dessus du tabernacle, ils pensaient qu'ils devaient demeurer, comme si Dieu résidait là, et lever le camp, au contraire, quand la nuée se déplaçait.

6[295]. Moïse inventa une sorte de cor qu'il fit faire en

argent. Voici en quoi il consiste. Sa longueur est d'un peu moins d'une coudée ; c'est un tube étroit, un peu plus épais qu'une flûte, avec une embouchure d'une largeur suffisante pour recevoir l'inspiration, et une extrémité en forme de clochette comme en ont les trompettes. Il s'appelle asôsra en hébreu. Il s'en fit deux : l'un servit à convoquer et a réunir le peuple en assemblée. Quand l'un de ces cors donnait le signal, il fallait que les chefs se réunissent pour délibérer sur leurs affaires à eux ; avec les deux ensemble on rassemblait le peuple. Quand le tabernacle se déplaçait, voici ce qui arrivait : au premier signal, ceux qui avaient leur campement à l'est se levaient, au second c'étaient ceux qui étaient installés au sud. Ensuite, le tabernacle démonté était porté entre les six tribus qui marchaient en avant et les six qui suivaient. Les Lévites étaient tous autour du tabernacle. Au troisième signal, la partie du campement située à l'ouest s'ébranlait et, au quatrième, la partie nord. On se servait aussi de ces cors dans les cérémonies des sacrifices[296] ; on en sonnait pour faire

approcher les victimes, tant aux sabbats[297] qu'aux

autres jours. Ce fut à ce moment pour la première fois[298] depuis le départ d'Egypte qu’il fit le sacrifice dit

Pascha dans le désert. Chapitre XIII

Nouvelles plaintes des Hébreux ; pluie de cailles ; les Tombeaux de la concupiscence.

1[299]. Après avoir attendu quelque temps, il lève le

camp pour s'éloigner du mont Sinaï, et, après quelques étapes dont nous parlerons, il parvient en un endroit nommé Esermôth [300]. Là, le peuple recommence à se

 

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révolter et à reprocher à Moïse les épreuves subies pendant leurs pérégrinations : après qu'il les avait persuadés de quitter un pays fertile, non seulement ce pays était perdu pour eux, mais, au lieu de la félicité qu'il s’était engagé à leur procurer, voilà au milieu de quelles misères ils vagabondaient, manquant d'eau, et, si la manne venait à faire défaut, destinés à périr tout net. Au milieu de ce flux de paroles violentes contre cet homme, quelqu'un les suppliait de ne pas méconnaître Moïse et ce qu'il avait souffert pour le salut de tous et de ne pas désespérer du secours de Dieu. Mais cela ne faisait qu'exciter le peuple davantage et il ne s'emportait qu'avec plus de tapage encore contre Moïse. Celui-ci, pour leur rendre courage dans ce grand désespoir, leur promet, bien qu'indignement outragé par eux, de leur procurer de la viande en quantité, non pour un jour seulement, mais pour plusieurs. Mais, comme ils n'y croyaient pas et que quelqu'un demandait d'où il assurerait à toutes ces myriades cette abondance annoncée[301] : « Dieu, dit-il, et moi-même, encore que

mal jugés par vous, nous ne laisserons pas de faire effort pour voire bien, et le moment n'en est pas éloigné ». En même temps qu'il parlait, le camp tout entier se remplit de cailles[302] ; on les entoure et on les ramasse.

Cependant Dieu, peu après, châtie les Hébreux de l'arrogance injurieuse qu'ils lui avaient témoignée : il en périt, en effet, en assez bon nombre. Et, encore aujourd'hui, cette localité porte le surnom de Kabrôthaba[303], c'est-à-dire Tombeaux de la

concupiscence. Chapitre XIV

Moïse, parti de là, conduit le peuple jusqu’aux frontières des Chananéens et fait partir des hommes pour observer leur pays et la grandeur de leurs villes. Les envoyés, revenus après quarante jours, déclarent qu’on n’est pas capable de vaincre et vantent avec exagération la force des Chananéens ; le peuple bouleversé et en proie au désespoir, s’élance sur Moïse, qui faillit être lapidé, et décide de retourner en Égypte dans la servitude.

 

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  1. Discours de Moïse au peuple. - 2. Voyage et rapport des douze explorateurs. - 3. Découragement et plaintes des Hébreux. - 4. Josué et Galeb essayent de les rassurer. Apparition de la nuée divine.

1[304]. Après les avoir menés de là vers l'endroit appelé Pharanx[305], situé près des frontières des Chananéens

et d'un séjour pénible, Moïse réunit le peuple en assemblée et se dressant parmi eux : « Des deux biens, dit-il, que Dieu a résolu de nous procurer, la liberté et la possession d'un pays fertile, le premier il vous l'a déjà donné ; vous le tenez, et le second vous allez le recevoir bientôt : nous sommes campés, en effet, sur les frontières des Chananéens et désormais dans notre marche en avant, non seulement ni roi, ni ville ne nous arrêteront, mais non pas même tout leur peuple réuni. Préparons-nous donc à l'œuvre : car ce n'est pas sans coup férir qu'ils nous céderont leur territoire, c'est après de grandes luttes qu'ils en seront dépossédés. Envoyons donc des explorateurs qui jugeront des qualités du pays et de quelles forces ils disposent. Mais, avant tout, soyons d'accord et honorons Dieu, qui, en toutes circonstances, nous secourt et combat avec nous. »

  1. Moïse ayant ainsi parlé, le peuple lui rend hommage et choisit douze explorateurs des plus notables, un par chaque tribu. Ceux-ci, partis de la frontière d'Égypte, après avoir parcouru la Chananée tout entière, arrivent à la ville d'Amathé et aux monts Liban, et ayant étudié à fond la nature du pays et des gens qui l'habitaient, ils reviennent, n'ayant employé que quarante jours pour toute l'expédition, et apportant en outre avec eux des fruits du pays. La beauté de ces fruits[306] et

l'abondance des bonnes choses que le pays renfermait, à les entendre, excitaient l'ardeur guerrière du peuple. Mais ils les effrayaient, en revanche, par les difficultés de la conquête, disant que les fleuve s'étaient infranchissables[307], tant ils étaient larges et profonds

tout ensemble, que les montagnes étaient inaccessibles aux voyageurs, et que les villes étaient fortifiées par des remparts et de solides enceintes. Dans Hébron, ils prétendaient avoir retrouvé les descendants des géants.

 

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C'est ainsi que les explorateurs, ayant remarqué que les choses en Chananée avaient un aspect plus formidable que tout ce qu'ils avaient rencontré depuis le départ de l'Égypte, non seulement se montraient personnellement consternés, mais essayaient de faire éprouver au peuple les mêmes impressions.

3F308]. Ceux-ci, après ce qu'ils ont entendu, estiment

impraticable la conquête du pays et, rompant l'assemblée, ils s'en vont se lamentant avec leurs femmes et leurs enfants, comme si Dieu ne leur apportait en fait aucun secours, se bornant à des promesses en paroles. Et, derechef, ils incriminaient Moïse et l'accablaient de reproches, lui et son frère Aaron, le grand-prêtre. Ce fut dans ces fâcheuses dispositions, en les chargeant tous deux d'injures, qu'ils passèrent la nuit. Le lendemain matin, ils courent tous se former en assemblée, avec le dessein, après avoir lapidé Moïse et Aaron, de s'en retourner en Égypte.

4F309]. Mais deux des explorateurs, Josué, fils de Noun,

de la tribu d'Éphraïm, et Chaleb(os) de la tribu de Juda, effrayés, s'avancent au milieu d'eux et contiennent le peuple, le suppliant de reprendre courage, de ne pas accuser Dieu de dires mensongers et de ne pas avoir foi en ceux qui les avaient terrifiés par de faux récits au sujet des Chananéens, mais dans ceux qui les exhortent à marcher vers la prospérité et la conquête du bonheur. Car ni la hauteur des montagnes, ni la profondeur des fleuves, s'ils étaient hommes d’une valeur exercée, ne feraient obstacle à leur activité, surtout si Dieu joignait ses efforts aux leurs et combattait pour eux. « Marchons donc, disaient-ils, contre nos ennemis, sans aucune arrière-pensée, mettant notre confiance en Dieu, qui nous conduit et suivez-nous, nous qui vous montrons le chemin ». Par ces paroles, ils essayaient d'atténuer le ressentiment du peuple ; quant à Moïse et à Aaron, prosternés à terre, ils suppliaient Dieu, non pour leur propre salut, mais pour qu'il tirât le peuple de son ignorance, et rassit leurs esprits troublés par les difficultés et les souffrances actuelles. Alors apparut la nuée, qui, en se posant au-dessus du tabernacle, manifesta la présence de Dieu.

 

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Chapitre XV

Moïse, rempli d’indignation, leur annonce que Dieu, dans sa colère, prolongera pendant quarante ans leur séjour dans le désert et qu’ils ne retourneront pas en Égypte ni ne s’empareront de la Chananée.

  1. Punition des Hébreux, dont les enfants seulement occuperont Chanaan. - 2. Supplications du peuple ; Moïse les dissuade de tenter la conquête. - 3. Autorité durable de la législation de Moïse.

1[310]. Moïse, encouragé, s'approche du peuple et

annonce que Dieu, ému de leurs injures, leur fera subir une punition, non pas sans doute proportionnée à leurs fautes, mais telle que les pères en infligent à leurs enfants pour les remettre à la raison. Comme il était entré, en effet, dans le tabernacle et qu'il suppliait Dieu de détourner la destruction que le peuple allait attirer sur lui, Dieu lui avait rappelé d'abord comment, après tout ce qu'il avait fait pour eux, après tant de bienfaits reçus de lui, ils en étaient venus à ne lui témoigner que de l'ingratitude ; comment, à présent, entraînés par la lâcheté des explorateurs, ils avaient jugé leurs rapports plus véridiques que sa propre promesse ; et voilà pourquoi, sans toutefois les perdre tous, sans anéantir entièrement leur race, dont il faisait plus de cas que du reste des humains, cependant il ne leur permettrait pas à eux de s'emparer du pays de Chanaan, et de jouir de sa prospérité. Il les forcerait, sans foyer, sans patrie, de végéter pendant quarante ans dans le désert, en expiation de leurs péchés. « Cependant[311] à nos

enfants, dit-il, il promet de donner ce pays et de les faire maîtres de tout ce dont vous vous êtes privés vous-mêmes, faute d'empire sur vous. »

  1. Quand Moïse leur eut ainsi parlé selon la pensée de Dieu, le peuple fut en proie au chagrin et à la douleur, et supplia Moïse de le réconcilier avec Dieu, et, les arrachant à cette vie vagabonde à travers le désert, de leur donner des villes. Mais il déclara que Dieu

 

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n'autoriserait pas pareille tentative : car ce n'était pas à la légère, comme les hommes, que Dieu avait été porté à se courroucer contre eux ; il avait pris une décision bien réfléchie à leur endroit. On ne doit pas juger invraisemblable que Moïse, à lui seul, ait calmé tant de myriades d'hommes on fureur et les fit amenées à plus de mansuétude ; c'est que Dieu, qui l'assistait, prépara le peuple à se laisser convaincre par ses paroles et que souvent, après avoir désobéi, ils se persuadaient de l'inutilité de leur rébellion [par les aventures fâcheuses où ils étaient précipités].

3. L'admiration que ce grand homme excitait par ses vertus et la puissance persuasive de ses discours, il ne l’inspira pas seulement à l'époque où il vécut, il en est digne encore aujourd'hui. Certes, il n'est pas un Hébreu qui n'obéisse, comme s'il était encore là et qu’il dût le châtier d'un manquement, aux lois que Moïse a promulguées, même s'il pouvait les violer en cachette. Et il est bien d'autres témoignages de sa puissance surhumaine : naguère quelques habitants d'au-delà de l'Euphrate, après un voyage de quatre mois entrepris par vénération pour notre temple, effectué au prix de beaucoup de dangers et de dépenses, ayant offert des sacrifices, ne purent pas prendre leur part des chairs sacrées, parce que Moïse, les a interdites à ceux qui n'ont pas nos lois ou qui ne sont pas en rapport avec nous par les usages de leurs pères. Les uns alors, sans avoir offert aucun sacrifice, les autres, laissant là leurs sacrifices à moitié accomplis, la plupart ne pouvant même d'aucune façon pénétrer dans le temple, s'en retournèrent, aimant mieux se conformer aux prescriptions de Moïse que d'agir selon leur propre désir, d'ailleurs, ne craignant pas que personne vint leur rien reprocher à ce sujet, mais redoutant seulement leur propre conscience. Ainsi cette législation qui parut émaner de Dieu eut pour effet de faire paraître cet homme encore plus grand que nature. Mais, bien mieux encore, un peu avant la guerre récente, quand Claude gouvernait les Romains et quand Ismaël(os)[312] était

grand-prêtre chez nous, la famine ayant sévi dans notre pays, au point qu'un assarôn se vendait quatre drachmes, et qu'on avait apporté pour la fête des azymes

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

70 cors de larme - ce qui fait 31 (?) médimnes siciliens, ou 41 attiques[313] -, aucun des prêtres n'osa

consommer un seul pain, alors qu'un tel dénuement pesait sur le pays, par crainte de la loi et du courroux que montre toujours la divinité même pour des péchés qui échappent à tout contrôle. Ainsi il ne faut pas s'étonner de ce qui s'accomplit alors, quand jusqu'à notre époque les écrits laissés par Moïse ont une telle autorité que les ennemis eux-mêmes conviennent que notre constitution a été établie par Dieu même par l'entremise de Moïse et de ses vertus.

Au reste sur ce sujet que chacun se fasse l'opinion qu'il lui plaira.

  1. Exode, XV, 23.
  2. Pour ces détails ajoutés par Josèphe au récit de l'Exode, cf. Mechilta, éd. Weiss, p. 53. et Tanhouma sur le même passage : selon quelques commentateurs, les mots de l'Écriture : « Et ils ne trouvèrent point d'eau » feraient allusion aussi à l'épuisement de leurs provisions de route.
  3. Josèphe traduit l'hébreu mar comme les LXX.
  4. La Bible ne dit rien de tel.
  5. Moyen rationnel substitué par Josèphe au phénomène miraculeux raconté par la Bible. Cf. Guerre, liv. IV, VIII, 3.
  6. Exode, XV, 27.
  7. En hébreu : Élim.
  8. Exode, XVI, 1 ; on dit, dans ce passage, que les Israélites étaient au 15e jour du 2e mois, à compter de la sortie d'Égypte, laquelle s'était effectuée le 15 du 1e mois. Cf. les calculs du Talmud, Shabbat, 87 b.
  9. Cf. Pseudo-Jonathan sur Ex., XVI, 2 : « la pâte qu'ils avaient emportée était épuisée ».
  10. Dans la Bible, il n'est question de lapider Moïse que plus loin (Ex., XVII, 4)
  11. Exode, XVI, 12.
  12. Exode, XVI, 13.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. Exode, XVI, 14.
  2. Dans une interprétation midraschique (Mechilta, Weiss, p. 58)

d'un verset des Psaumes (LXXVIII, 25) qui rappelle l'épisode de la manne, on attribue à Josué un fait analogue à celui qui est rapporté ici à propos de Moïse.

  1. L'Écriture ne parle pas de neige (il ne neige guère dans le désert arabique), mais de gelée blanche. La comparaison avec la neige est déjà dans Artapanus. Dans la Mechilta (sur Ex., XVI, 14) R. Josué ben Hanania (Tanna de la fin du Ier et du commencement IIe siècle) dit que la manne était menue comme du givre, interprétation adoptée par le Pseudo-Jonathan.
  2. Nombres, XI, 7.
  3. Plus connu sous le nom de bdellium. Cette comparaison de la

manne au bdellium, - pour la couleur -, n'est pas dans l'Exode, mais dans les Nombres (XI, 7). L'explication que donne Josèphe du mot hébreu bdôlah, qu'il traduit par « sorte d'aromate », n'est pas celle des LXX.

  1. Josèphe substitue ici l'assaron (hébreu : issarôn) à une autre

mesure, l'ômer, que donne l'Exode (XVI, 16). Les deux mesures sont, d'ailleurs, équivalentes. L'ômer, selon la Bible elle-même (Ex., XVI, 36), vaut un dixième d'éfa, et l'issarôn, comme son nom l'indique, vaut, de même, un dixième d'éfa (31,64).

  1. La Sapience dit de même de la manne qu'elle renfermait tout ce qui est agréable au goût (XVI, 20) et qu'elle se changeait en tout ce qu'on désirait (21). Cette tradition se retrouve dans le Midrash. Exode Rabba (XXV) dit que la manne avait toutes les saveurs et que chaque Israélite y trouvait celle qui lui plaisait. Dans Yoma, 75 a, R. Abbahou (Amora de la fin du IIIe siècle) dit en jouant sur le terme hébreu (Nombres, XI, 8) : « De même que l'enfant trouve différentes saveurs au lait maternel, de même les Israélites trouvaient différentes saveurs à la manne ». R. Yosé ben Hanina (Amora du IIIe siècle) disait (ibid., 75 b) que la manne avait le goût du pain pour les jeunes gens, de l’huile pour les vieillards, du miel pour les petits enfants. Cf. des variantes des mêmes dires dans Sifré sur Nombres, XI, 8 ; Tanhouma (Sur Ex., XVI, 14) ; Ex. R., V ; Pesikta, 110 a.
  2. Cette observation est confirmée par ceux qui ont visité cette partie de l'Arabie. Il existe une manne végétale provenant d'un arbrisseau, la Tamirix mannifera.
  3. Manna est l'araméen de man.
  4. Même étymologie que dans l’hébreu et les LXX.
  5. Exode, XVII, 1.
  6. En hébreu : Rephidim.
  7. Il ne peut s'agir que de la Tora : cf. Antiquités, liv. V, I, 17.
  8. Exode, XVII, 8.
  9. Josèphe a déjà parlé précédemment (Antiquités, liv. II, I, 2) de la Gobolitide, habitée par les Amalécites. Ou ne trouve que chez lui cette expression géographique. Cependant on lit une

 

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expression analogue chez Stéphane de Byzance. Un passage de la Bible (Psaumes, LXXXIII, 8) fait mention d'une contrée nommée Gébal, dans la région de l'Arabie Pétrée ; elle est citée à côté d'Ammôn, d'Amalec et de Peleschet. C'est vraisemblablement la Gobolitide de Josèphe. Le terme paraît avoir été employé assez tard, et précisément le psaume précité ne paraît pas être plus ancien que l'époque macchabéenne. Pétra correspond à l'hébreu Séla (future capitale des Nabatéens).

  1. Cf. Mechilta (ad. loc.), sur l'explication des mots : « Et Amalec

vint » (Exode, XVII, 8) d'après R. Yosé ben Halafta (Tanna du IIe siècle), Amalec serait « venu » avec un plan, c'est-à-dire qu'il aurait invité tous les peuples à s'associer avec lui pour combattre Israël ; d'ailleurs, les peuples auraient reculé devant les vainqueurs du roi d'Égypte.

  1. Texte corrompu.
  2. Exode, XVII, 9.
  3. En hébreu : Yehôschoua bin Noun. La mention de la tribu d'Éphraïm est tirée de Nombres, XIII, 8.
  4. En hébreu : Hour. Cette parenté entre Moïse et Hour est inconnue à la Bible ; la tradition fait de Hour, non le mari, mais le fils de Miriam, qui aurait épousé Caleb. C'est R Siméon b. Lakisch (dans Ex. Rabba, XL ; cf. Tanhouma, sur Ex., XXXI, 2) qui établit cette filiation (d'après II Chroniques, XI, 5, 19, 20, 24), pour expliquer la généalogie de Beçalel, petit-fils de Hour, et

descendant de Juda (Ex., XXXI, 2).

  1. Plaisant anachronisme.
  2. L'Écriture ne parle pas de ce butin. Josèphe est probablement encore ici l'écho d'une tradition. Il s'agit pour lui d'expliquer comment plus tard les Hébreux auront à leur disposition les nombreux et riches matériaux nécessaires à l'érection du tabernacle.
  3. Les mots de la Bible (Exode, XVII, 15) signifient « Dieu ma

bannière » et s'appliquent non pas à Dieu, mais à l’autel.

  1. Exode, XIX, 1. Josèphe place, comme on voit, cette étape

avant l'épisode de Jéthro. C'est qu'en effet, Jéthro vient retrouver Moïse (Exode, XVIII, 5) près de « la montagne du Seigneur », c'est-à-dire du mont Horeb ou Sinaï. Mais dans la Bible le départ de la station de Rephidim n'est relaté qu'après la visite de Jéthro. Josèphe évite la difficulté en transposant.

  1. Exode, XVIII, 1.
  2. Dans tout cet épisode comme plus haut, Josèphe appelle le beau-père de Moïse Ragouël, au lieu qu'il est appelé partout Yithro dans l'hébreu. Ragouël est le premier des noms donnés par l'Écriture au beau-père de Moïse. V. Antiquités, liv. II, XI, 2 et XII, 1. Ce changement, d'ailleurs insignifiant, indique, du moins, que Josèphe ne suit pas toujours le texte de très près.
  3. Dans la Bible, Jéthro vient chez Moïse accompagné de Séphora et de ses fils, dont Moïse s'était séparé. Josèphe simplifie en supposant que Moïse les avait toujours eus auprès de lui.

 

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  1. Le verset (Exode, XVIII, 2) ne parle pas d'un festin offert par Moïse : il y est dit seulement que Aaron et les anciens d'Israël vinrent prendre un repas avec le beau-père de Moïse. La Mechilta (ad. loc.) observe que Moïse n'est pas nommé parmi les convives, d'où elle conclut qu'il servait les autres.
  2. La Bible ne nomme que des chefs de 1.000, de 100, de 50 et

de 10 (Exode, XVIII, 21).

  1. Les mots qui suivent sont peu intelligibles : « Puis tu leur donneras des chefs qui les rangeront par sections de 30, de 20 et de 10 ». Comment concilier des groupes de 30 et de 20 avec des groupes de 50 ? Peut-on admettre que chaque cinquantaine se divisait en un groupe de 30 et un de 20 ? Seuls les groupes de 10 sont confirmés par le texte biblique.
  2. Exode, XVIII, 24.
  3. La tradition insiste également sur l'honneur que Moïse fait à Jéthro en lui laissant tout le mérite de cette organisation juridique (v. Sifré sur ce passage).
  4. Exode, XIX, 1.
  5. Nous lisons « un oracle ». Le Laurentianus a « quelque chose d'utile », leçon très défendable (voir plus bas).
  6. Exode, XIX, 16.
  7. Exode, XIX, 14.
  8. Tout ce discours est un hors-d’œuvre, malgré les prétentions d'exactitude formulées plus haut.
  9. Exode, XX, 1.
  10. Scrupule assez singulier que nous ne retrouvons pas dans la littérature rabbinique. - Josèphe croit voir dans le texte sacré, d'ailleurs obscur à cet égard (cf. Ex., XX, 16), que les Israélites auraient entendu toutes les dix paroles. La tradition n'est pas absolument fixée à ce sujet. Voir Ex. Rabba, XXX, Mekkot, 21 a : selon une opinion talmudique, citée dans ce traité, les Hébreux n'auraient perçu que les deux premières.
  11. Comme on voit, cette première parole correspond dans l'Exode

aux versets 2 et 3 du ch. XX. Cette manière de classer les phrases initiales du Décalogue n'est pas celle de tous les docteurs du Talmud. Celle qui semble prévaloir dans Makkot, 24a, consiste à faire de la phrase : « Je suis l’Éternel ton Dieu, etc. », (que Josèphe modifie beaucoup) le premier des dix commandements ; le second comprendrait la défense d'adorer un autre Dieu et de représenter Dieu par une image. Le classement adopté par Josèphe était sans doute celui des écoles palestiniennes, où il avait été instruit.

  1. L'Écriture (Ex., XX, 4) interdit toute image quelconque de ce qui est dans le ciel, sur la terre ou dans les eaux. Il est visible que Josèphe, ici, n'indique pas simplement le sens du deuxième commandement. L'expression « aucune image d'animal » parait bien tendancieuse. Josèphe proteste déjà, avant de les réfuter dans son Contre Apion, contre les fables diffamatoires des Mnaséas, Posidonios, Apollonios Molon et autres pamphlétaires

 

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alexandrins, qui accusaient les Juifs d’adorer une tête d'âne dans le sanctuaire. C'est sans doute la même arrière-pensée qui fait dire à Josèphe un peu plus loin que les tissus des voiles du tabernacle avaient toute espèce d’ornements, sauf des figures d'animaux, alors que l'Écriture prescrit précisément les figures de keroubim.

  1. Exode, XX, 18.
  2. Voir Antiquités, liv. IV, VIII, 4.
  3. Exode, XXXII, 1.
  4. Exode, XXXII, 15.
  5. Exode, XXXIV, 28.
  6. Exode, XXV, 8.
  7. L'omission de l'épisode du veau d'or qui remplit le XXXIIe

chap. de l’Exode est très remarquable : Josèphe évite, ici encore, ce qui pourrait donner prise aux fables malveillantes des ennemis des Juifs.

  1. L’Écriture ne dit rien au sujet de la disposition des dix commandements sur les tables ; mais la tradition s'en occupe. L'opinion de Josèphe est aussi celle qu'exprime R. Hanina ben Gamliel (Tanna du commencement du IIe siècle), tandis que d'autres docteurs pensent que les dix commandements étaient sur chacune des deux tables. Cette discussion se trouve dans Mechilta (sur Ex., XX, 16), j. Schekalim, VI, 1 ; j. Sota, 22 d ; Ex. Rabba, XLVII ; Cant. Rabba (sur Cant., V, 14). Josèphe ajoute plus loin que les cinq commandements de chaque table étaient gravés deux et demi par colonne. Cette disposition comportant deux colonnes par table ne paraît pas connue de la tradition rabbinique.
  2. Exode, XXXI, 18 ; XXXII, 16.
  3. Exode, XXV, 1 ; XXXV, 4.
  4. Josèphe traduit l'hébreu Schittim (Exode, XXV, 5) de la même

façon que les LXX. On peut rapprocher de cette exégèse une opinion rapportée dans une baraïta (Yoma, 724 ; Soukka, 45 b), selon laquelle les mots hébreux d’Exode, XXVI, 15, signifieraient : des bois de Schittim qui tiennent (indéfiniment).

  1. Exode, XXXI, 2.
  2. En hébreu : Baçalel. Nous lisons la même chose que Bernard dans les mss. En effet, dans l’Écriture on nomme son grand-père Hour. Or, précédemment, Josèphe a indiqué que Hour était le mari de Miriam. Voir la note sur ce passage.
  3. En hébreu : Ohòliab.
  4. En hébreu et LXX : Ahisamach. Les premières lettres sont peut-être tombées dans le texte de Josèphe, à moins qu'il ne les ait supprimées dans le souci de gréciser, séduit par l'allure grecque du mot ?
  5. Exode, XXXVI, 5. Le grec emploie une expression assez

obscure ; dans la Bible, les artisans viennent déclarer à Moïse que les offrandes du peuple sont surabondantes. La Version latine des Antiquités, où on lit ici : « ea quae data fuissent », semble refléter

 

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une leçon plus satisfaisante, en tout cas plus conforme à l'hébreu.

  1. Exode, XXXV, 25.
  2. Exode, XL, 17.
  3. Exode, XXVII, 9. Josèphe emploie à dessein ce mot grec, équivalent du latin atrium, par souci de modernisme. L'hébreu haçèr (parvis) est traduit différemment dans les LXX.
  4. Nous traduisons d’après Exode, XXVII, 10. Le texte de

Josèphe est altéré.

  1. Il n'est pas question dans l'hébreu (XXVII, 16) de ce revêtement d’argent.
  2. C'est-à-dire aux deux ailes de cette face antérieure, chacune de 15 coudées de large, ce qui, avec les 20 coudées de la porte, complétait les 50 coudées de la largeur totale.
  3. Détail étranger à la Bible. Voir plus loin 4.
  4. Exode, XXX, 8
  5. Exode, XXVI, 1
  6. Exode, XXVI, 16 ; XXXVI, 21.
  7. L'Exode ne dit rien à ce sujet. La tradition croit que ces

planches ou solives avaient une coudée d'épaisseur (Schabbat, 98 b).

  1. Ou d'une palme (tofah en hébreu), c'est-à-dire de 4 doigts, comme il a été dit plus haut.
  2. La lacune est évidente.
  3. Le texte a, en grec, une coudée, mais la largeur du pavillon devant être de 10 coudées, ces piliers placés aux angles ne pouvaient avoir qu'une demi-coudée de large, au lieu d'une coudée et demie comme les autres.
  4. Cette donnée ne provient pas de l'Écriture, qui n’indique pas les dimensions de ces barres et déclare seulement qu’il y en avait cinq pour chaque face du tabernacle. D'après la tradition, ces cinq barres se départageaient ainsi : deux barres en haut bout à bout, et deux en bas, plus une au milieu qui passait à travers les solives elles-mêmes. Dans le système de Josèphe, cette disposition d'une barre qui passerait par toutes les solives est spéciale à la paroi postérieure (côté ouest) du tabernacle.
  5. Exode, XXVI, 31.
  6. Voir plus loin (VII, 7) la même comparaison, reprise avec plus de détails.
  7. Le texte hébreu n’en dit rien.
  8. Il est très remarquable que Josèphe, non seulement ne mentionne pas ici les keroubim, figures d'animaux ailés, qui étaient, selon Exode XXVI, 31, entre-tissées dans ce voile et que les LXX, eux, reproduisent, mais même les exclue formellement. Le but de Josèphe paraît être, comme plus haut, de proclamer l'éloignement du judaïsme pour toute représentation d'être animé. Il ne peut pas cependant ne pas mentionner plus loin les keroubim de l'arche sainte ; mais il se tire d'affaire en disant que ces êtres ailés ne ressemblaient à rien sous le ciel. Notons encore,

 

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pour le présent passage, que la Vulgate ne parle pas non plus d'êtres ailés, de chérubins : elle traduit le mot keroubim (XXVI, 1

et 31) par variatas et et pulchra varietate contextum.

  1. Exode, XXVI, 36.
  2. Exode, XXVI, 1.
  3. Dans l'hébreu et les LXX, il est question de nœuds bleu azur et d'agrafes d'or.
  4. L'Écriture parle de deux pièces formées chacune de cinq

tentures.

  1. Exode, XXVI, 7.
  2. D'après le Talmud (Sabbat, 98 b), les tentures traînaient

même sur le sol. Un docteur de l'école d'Ismaël (IIe siècle) compare le tabernacle à « une femme qui se promène avec une robe à traîne ».

  1. Exode, XXV, 10 ; XXXVII, 1.
  2. Voir le § 1 de ce chapitre.
  3. En hébreu : aron.
  4. Ce qui équivalait aux 2 coudées et demie de la Bible, la coudée (en hébreu : ammet) valant 2 empans (en hébreu : zéret, cf. I Samuel, XVII, 4).
  5. Détail personnel à Josèphe.
  6. Exode, XXV, 18 ; XXXVII, 7. Voir plus haut la note sur le représentation des animaux.
  7. Quoi qu'en dise Josèphe, on ne trouve rien de semblable

dans le Pentateuque. Il y a peut-être ici un souvenir de la vision d'Ezéchiel.

  1. Voir plus haut la note sur ce sujet.
  2. Exode, XXV, 23; XXXVII, 10.
  3. Ou une palme. Dans la description que donne l'Exode, la table n'est pas évidée elle est entourée d'un châssis d'une palme de longueur ; un liséré d'or court autour de la table même ; un autre entoure le châssis.
  4. Lévitique, XXIV, 5 ; Exode, XXV, 30.
  5. Cette assimilation paraît erronée. Le cotyle vaut 0,27 l et l’assarôn 3,64 l (cf. J. Benzinger, Hebraïsche Archaeologie, 1894, p. 179) ; or 7 cotyles ne levaient en tout que 1,89 l. Peut-être faut-il lire dans le grec 27 cotyles (27 x 0,27 = 7,29 ; = 2 x 3,64)
  6. Josèphe fait allusion à l'ouvrage qu'il méditait de composer

sur les motifs rationnels des prescriptions mosaïques (cf. le Préambule des Antiquités).

  1. Exode, XXV, 31.
  2. En hébreu : kikkar. Mais le talent grec vaut 60 mines et non

100.

  1. Dans l'Écriture, le mot correspondant signifie : branche, roseau.
  2. La tradition (Menahot, 28 b) essaye également d'énumérer

les différentes parties de la menora (candélabre). Elle trouve 22

 

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calices, 11 sphères et 9 fleurs. Le chiffre de 70 parait arbitraire, en ce qui concerne le tabernacle mosaïque. Mais Josèphe songe toujours, dans sa description, au temple de Jérusalem et il n’est pas impossible que le candélabre pris par les Romains ait compté 70 ornements. Reland croit pouvoir retrouver ce nombre sur le bas-relief de l'arc de Titus. On pourrait encore prétendre que le chiffre de 70 est imaginé par Josèphe pour les besoins du symbolisme ; il dit, en effet, plus loin, que les 70 parties du candélabre rappellent les 10 degrés des 7 planètes.

  1. Exode, XXX, 1.
  2. Tous les traducteurs de la Bible, y compris les LXX, rendent

la même traduction de l’hébreu. L’opinion de Josèphe ne se retrouve nulle part ailleurs. La tradition ne nous dit rien sur la forme des cornes de l'autel d'or, quant à l'autel de cuivre, ses cornes, selon Maimonide (Misehné Torah, H. Ben Habehira, II, 8), étaient des parallélépipèdes creux de 5 palmes de haut et de 1 coudée carrée de surface.

  1. Exode, XXVII, 1 et XXXV, 16.
  2. Josèphe simplifie la description donnée par l'Écriture, description d'ailleurs peu claire et favorisant la diversité des interprétations. Le foyer dont parle Josèphe correspond évidemment au mikhbar. Josèphe ne parle pas du karkob, sorte de plate-forme ou d'entablement (voir Talmud, Zebahim, 32 b). Ce karkob, qui était en cuivre, était probablement destiné, selon l'interprétation de Pseudo-Jonathan sur Exode, XXVII, 5, à recevoir les charbons et les cendres qui tombaient du foyer proprement dit.
  3. Les objets correspondants mentionnés dans Exode, XXVII, 3, ne sont pas compris de la même façon par tous les traducteurs ; cf. LXX ad loc., et les Targoumim.
  4. Exode, XXVIII et XXIX.
  5. Ce mot est l'équivalent araméen kahanaya, de l'hébreu

kohanim.

  1. On a vu avec raison dans ce mot étrange une altération de

l'araméen kahana rabba, grand-prêtre. La première syllabe ka a-t-elle été transposée à la fin du mot par une erreur de copiste, ou Josèphe a-t-il pensé que la forme anarabaque ou arabaque avait une allure plus grecque, il est difficile de le déterminer. L'origine araméenne du mot est, en tout cas, indiscutable.

  1. Les mots qui suivent et qui, en bon grec, ne peuvent s'appliquer qu'à une description déjà faite, ne sont pas à leur place et paraissent faire double emploi avec le § 4 ci-dessous, à moins qu'il n'y ait ici une lacune [T. R.]
  2. Exode, XXVIII, 42. En hébreu : michneçaïm. C'est bien l'ordre qu'indique, de son côté, la tradition rabbinique résumée clairement dans Maimonide, M. Torah, H. Kelè Hamikdasch, X, 1. Dans le Talmud, Yoma, 25 a, il est dit que le caleçon de lin est la première pièce de l'habillement des prêtres, d'après Lévitique, XVI, 4.

 

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  1. Cf. la description un peu différente qui en est donnée dans Nidda, 13 b. Josèphe parait admettre implicitement que ce caleçon est tout d'une pièce, comme le Talmud l’exprime d'après la prescription de l'Exode (XX, 36).
  2. Exode, XXVIII, 4.
  3. D'après la tradition également (Yoma, 71 b), dans le tissu des vêtements sacerdotaux chaque fil était doublé plusieurs fois.
  4. En hébreu : koutônet, qui paraît être la même chose que le

chitôn grec. Josèphe ne semble pas se douter de la parenté de ces deux mots. L'étymologie qu'il propose lui est inspirée par la traduction araméenne kitôuna de l'hébreu koutônet ; ce n'est qu'en araméen que ce mot signifie lin. Voir Yoma, 71 b.

  1. D'après Maimonide, qui résume les traditions talmudiques,

la tunique allait également jusqu'aux talons (M. Tora, Hil. Kelè Hamikdasch, VIII, 17).

  1. D'après le Talmud, Yoma, 72 b, les manches étaient cousues par exception à la tunique.
  2. Pour cette ceinture, dont Josèphe dit plus loin le nom, la

Bible donne peu d'indications. D'après le Talmud (Yoma, 72 a et b), cette ceinture est la même, qu'il s'agisse d'un grand-prêtre ou d'un prêtre ordinaire. Quant aux dimensions, la tradition, au contraire de Josèphe, n'indique que la longueur, non la largeur. D'après le Talmud (Yoma, 44), la ceinture de la tunique aurait eu 32 coudées de long ou 32 plis, selon la leçon de Rapoport (Ereck Millin). Maimonide, H. Kelè Hamikdasch, VIII, 19, indique une largeur de 3 doigts, ce qui se rapproche de l'opinion de Josèphe.

  1. C'est là sans doute le taschbeç, tissu à mailles dont parle l'Écriture, Exode, XXVIII, 4, mais en l'attribuant seulement à la tunique.
  2. Nous supprimons le byssus qui n'est pas une teinture, mais

sert de fond aux trois autres couleurs. Cf. plus bas § 7.

  1. Selon la tradition (Zebahim, 18 b), l'abnet ne devait pas

s'enrouler plus bas que les hanches, ni plus haut que l'aisselle. Le Targoum Jonathan sur Ézéchiel, XLIV, 18, emploie l'expression « sur leur cœur », ce qui répond à l’expression employée par Josèphe.

  1. Josèphe semble contredire ici la règle qui veut que les prêtres ne portent l'abnet que pendant le service, car cette étoffe contient de la laine et du lin, autrement dit du schaatnèz, mélange interdit dans le texte du Deutéronome, XXII, 11, que Josèphe lui-même reproduit plus loin (liv. IV, VIII, 11). Comme Josèphe était de souche pontificale et ne peut ici être suspect d'erreur, on est porté à croire qu'on admettait de son temps l'opinion que le Talmud (Yoma, 12 b) met dans la bouche de R. Eléazar ben Simon (Tanna de la fin du IIe siècle), à savoir que la ceinture des prêtres ordinaires ne contenait pas de laine, mais seulement du byssus.
  2. Exode, XXVIII, 39 ; XXXIX, 29. En hébreu : abnet.
  3. C'est la traduction araméenne du mot abnet, qu'on trouve,

 

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d'ailleurs, dans les Targoumim. Le mot hémydn est un mot persan.

  1. Ce mot correspond à l'hébreu mischbéçeth, substantif tiré du verbe shabbeç, que l'Écriture emploie pour expliquer le tissu de la tunique. D'après Josèphe, le tissu de la tunique des prêtres ordinaires et de la tunique du grand-prêtre serait le même, ce qui concorde avec l'opinion du Talmud (Yoma, 12 b) pour lequel l'abnet seul est tissé différemment, selon qu'il s'agit du grand-prêtre ou du prêtre ordinaire (laine et lin pour le premier, lin seulement pour le second). Ce qui prouve que Josèphe se réfère ici à la tradition, c'est que de l'examen des versets (Exode, XXVIII, 4, 39) il semble résulter que le mot shabbeç s'applique exclusivement à la tunique du grand-prêtre.
  2. En hébreu : miçnéfet. Josèphe attribue aux prêtres

ordinaires la coiffure qui, d’après Exode, XXVIII, 4, est celle du grand-prêtre seul. Les prêtres ordinaires avaient, selon la Bible, la migba’a. L'erreur ou la confusion est d'ailleurs insignifiante, car ces deux sortes de coiffure étaient formées de bandes analogues, qui toutefois s'enroulaient autour de la tète de deux façons différentes (cf. Maimonide, R. Kelè Hamikdasch, VIII, 2, d'après Yoma, 71 b. Voir ce que dit Josèphe plus loin au § 6 de ce chapitre).

  1. Texte corrompu.
  2. Tous ces détails, inconnus à la Bible et à la tradition,

contredisent de plus la Halacha (Yoma, 72 b, et Zebahim, 88 b), selon laquelle les vêtements des prêtres n'étaient pas cousus, à l'exception des manches de la tunique. Cependant ce passage, par sa précision, fait croire à l'exactitude des souvenirs de Josèphe qui rapporte, sans doute, ce qu'il a vu lui-même.

  1. Exode, XXVIII, 31 ; XXXIX, 22.
  2. En hébreu : meîl. Les LXX traduisent aussi, en grec, ce mot

par « qui descend jusqu'aux pieds ».

  1. Pour l'absence des manches, l'opinion de Josèphe est conforme à celle de Maimonide (H. Kelè Hamikd., IX, 4) et de Nahmanide dans son commentaire sur le Pentateuque (sur Exode, XVIII, 31) ; l'accord de ces deux derniers fait croire à un commentateur de Maimonide qu'ils se fondent sur une baraïta qu'ils sont seuls à connaître. On voit que Josèphe possédait une tradition identique. Quant au détail de la description, il y a des divergences. Pour ce que Josèphe dit de la frange, voir plus haut, § 3, et la note. Sur le nombre des clochettes et grenades, ni Josèphe, ni l'Écriture ne disent rien. Selon le Talmud, Zebahim, 88 b, il y en avait en tout 72.
  2. Exode, XXVIII, 6 ; XXXIX, 2.
  3. En hébreu : éphod.
  4. L'Écriture ne donne pas de détails sur la façon de l'éphod. La tradition ne dit pas que l'éphod ait été pourvu de manches.
  5. Exode, XXVIII, 15 ; XXXIX, 8.
  6. En hébreu : hôschen.

 

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  1. Josèphe ne parle pas en particulier des oracles appelés

Ourim et Toumim (Exode, XXVIII, 30). Ces objets, qu'on n'a jamais su définir, se mettaient sur le hôschen (pectoral). Josèphe a préféré attribuer la faculté de rendre des oracles aux pierres même du pectoral (voir plus loin, VIII, § 9 et la suite).

  1. Exode, XXVIII, 9 ; XXXIX, 6. Ce sont les pierres de schôham de la Bible. Le texte de Josèphe est altéré.
  2. Le verset (Exode, XXVIII, 10) dit : « selon leurs naissances ».
  3. Exode, XXVIII, 17 ; XXXIX, 10.
  4. La liste des LXX est, à peu de chose près, identique.
  5. Cf. sur les noms des phylarques et leur ordre Sota, 36 a et b.
  6. Exode, XXVIII, 8.
  7. Il n'en est question ni dans l'Écriture, ni dans le Talmud.
  8. Exode, XXVIII, 36; XXXIX, 30.
  9. On trouve dans le Talmud (Houllin, 138 a), une baraïta d'où il résulterait qu'en effet, par dessus le bonnet, le grand-prêtre se coiffait encore d'une sorte de turban de laine sur lequel se posait le ciç d'or et ainsi, dit ce texte, se trouvait réalisé le commencement du verset, Exode, XXVIII, 37 : « et tu le placeras sur le tissu d'hyacinthe ».
  10. C'est de l'araméen. Voir, sur ce nom de plante, Immanuel

Lôw, Aramaeische Pflanzennamen, Leipzig, 1881, n° 326, p. 381. Il n'est question de cette couronne et de ce calice ni dans le Pentateuque, ni dans les sources rabbiniques. L'Écriture ne parle que d'un ciç, appelé en quelques passages nézer hakkôdesch ; ce ciç est partout traduit par plaque, lame. Le Talmud parle bien quelquefois (Kiddouschin, 66 a) de couronne pontificale, mais seulement par métaphore. Si Josèphe ajoute au ciç une couronne d'or, c'est qu'il avait dans l'esprit la couronne que le grand-prêtre portait certainement à son époque. Il n'est pas seul, d'ailleurs, à rapporter au passé un usage de date récente. Déjà l'Ecclésiastique (commencement du IIe siècle av. J.-C.) parle d'une couronne d'or portée par Aaron (XLV, 14), et non de la simple plaque de l'Exode.

  1. Le ciç proprement dit.
  2. D'après la Bible, il y avait deux mots, lesquels, selon le

Talmud (Soukka, 5a; Sabbat, 63b) étaient gravés dans la plaque d'or sur deux lignes : le tétragramme en haut (nom de Dieu) et les

quatre autres lettres (Consacré ou Sainteté) en bas.

  1. Cet essai d'une symbolique du Tabernacle, déjà esquissée plus haut, est dans le goût des Alexandrins et rappelle en particulier Philon (II, M., 148 à153, 155). Josèphe lui-même en avait précédemment donné quelques traits (Guerre, V, 5). Il faut croire que ce genre d'explications allégoriques s'était répandu, car on trouve dans les Midraschim des exemples curieux d'interprétations analogues. Le Livre des Jubilés, inspiré de Philon, paraît avoir comparé également, - dans la version primitive -, le Sanctuaire à l’œuvre de la création (voir Epstein dans Rev. Ét. juiv., t. XXI, p. 94). Un écrit qui a beaucoup de rapports avec le

 

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précédent, le Midrash Tadsché, s’étend aussi (ch. II) sur les

correspondances entre la création et le tabernacle (en y joignant le temple de Salomon) : « le Saint des Saints répond aux cieux supérieurs, l'autre partie du sanctuaire à la terre, le parvis à la mer..., le candélabre aux astres, etc. » La liturgie samaritaine connaît aussi la signification allégorique du tabernacle (v. Heidenheim, Samarat. Liturgie, p. 16). Dans Tanhouma sur Exode, XXXVIII, 21, le tabernacle est comparé à l’œuvre de la création ; l'enceinte faite de tentures correspond au ciel et à la terre ; le voile qui sépare le sanctuaire du Saint des saints est assimilé au firmament, qui sépare les eaux supérieures des eaux inférieures, etc.

  1. Dans le Bellum, VII, 5, Josèphe, parlant du candélabre du temple de Jérusalem, dit que les sept lampes symbolisaient la sainteté de la semaine.
  2. Cf. Philon, Vita Mosis, II, M.. p. 148 fin et 149.
  3. Autre nom attribué par Josèphe à l'éphod, qu'il a déjà appelé

plus haut épômis.

  1. Lévitique, VIII, 1.
  2. Dans le Midrash également, Moïse passe pour avoir désiré lui-même la charge du grand-prêtre (Lévit. Rabba, XI ; Tanhouma sur Lev., IX, 1). On y représente aussi Dieu invitant Moïse à consacrer Aaron devant les anciens et le peuple pour que sa nomination ait un caractère public.
  3. Exode, VI, 23.
  4. En hébreu : Nadab, Abihou.
  5. Exode, XXXI, 10 ; XXXV, 19 ; XXXIX, 1.
  6. Il se pourrait qu'en employant l'expression « le superflu, l'excédent », Josèphe ait entendu traduire l'hébreu dans l'expression difficile bigdè serad et ait vu dans ce mot la même racine qui a formé « superstes », (Nombres, XXI, 35 ; Josué, X, 20, etc.). Cette exégèse, d’ailleurs peu plausible, se retrouve dans le recueil Bikkouré Haittim, année 1825, p. 59.
  7. Exode, XXX, 11.
  8. Ce n'est pas exact. La drachme attique pèse 4,37g, le sicle

hébraïque ou tyrien 14 grammes. C'est, en réalité, un tétra drachme phénicien [T. R.]

  1. Chiffre erroné, la Bible et les LXX ont 603.550 (Exode, XXXVIII, 26).
  2. Exode, XXX, 22.
  3. Josèphe donne les mêmes noms de parfums qu'on trouve

dans les LXX (Exode, XXX, 22-24).

  1. Les versets du Pentateuque où il est question de l'éclairage

du candélabre ont donné lieu à des interprétations diverses de la part du Talmud et des commentateurs. Ces versets sont : Exode, XXV, 37; XXVII, 20; XXX, 8; Lévitique, XXIV, 14 ; I Samuel, III, 3; II Chroniques, XIII, 11. Ils sont discutés dans Menahot, 98 b. L'opinion de Josèphe est conforme à celle du Sifré (p. 16 a).

 

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  1. Exode, XXXVIII, 22.
  2. Dans Tanhouma (sur Exode, XI, fin), R. Samuel bar Nahman (Amora palestinien du IIIe siècle) exprime l'opinion que le tabernacle a été érigé le septième mois après que les travaux avaient commencé. Cette opinion se rapproche de celle de Josèphe.
  3. Exode, XL, 17.
  4. Nous traduisons d'après le sens général de la phrase, mais le texte est sûrement corrompu [T. R.]
  5. Exode, XL, 34.
  6. La Bible ne parle pas de cette rosée.
  7. Lévitique, VIII, 14.
  8. Lévitique, IX, 24.
  9. Lévitique, X, 1.
  10. Dans l'Écriture, c'est Miçaël et Elçaphan, fils d'Ouziel, oncle d'Aaron, qui sont chargés d'emporter hors du camp les corps de Nadab et d'Abihou.
  11. Il est fait allusion, ici et dans les paragraphes suivants, aux

Ourim et Toumim. Le Talmud (Yoma, 73 b) explique justement le mot Ourim par lumière. Sur le fonctionnement de ces oracles, qui, d'ailleurs, selon le Talmud (Sota, 48 b) et Josèphe lui-même (plus loin) n'existaient plus dès l'époque du second temple, les opinions les plus diverses avaient cours. En tout cas, contrairement à l'opinion de Josèphe, la tradition (cf. aussi Philon, De vita Mos., II, M., p. 154) croit que ces Ourim et Toumim étaient distincts des pierres du pectoral. L'oracle était rendu, d'après une opinion talmudique, au moyen des lettres gravées sur les pierres, lesquelles lettres se réunissaient miraculeusement pour former des mots.

  1. Donc environ depuis la mort de Jean Hyrcan et l'abolition de la théocratie. D'après la tradition, l'oracle des Ourim et Toumim a cessé bien avant, « depuis la mort des premiers prophètes », dit la Mishna de Sota, IX, 14, c'est-à-dire, comme il résulte de la discussion du Talmud (ibid., 48 b), depuis l'époque du second temple, Aggée, Zacharie et Malachie étant seuls considérés comme « derniers prophètes ».
  2. Nombres, VII, 1.
  3. Ce sont les Lévites et non les phylarques qui auront la garde

de ces chars et la mission d'emporter les pièces du tabernacle (Nombres, VII, 6, 7, 8).

  1. Les LXX emploient les mêmes termes que Josèphe (Nombres, VII, 13).
  2. Dans la Bible, 10 pièces d'or.
  3. En hébreu : schelamim. Les mêmes sont appelés plus loin « sacrifices d'actions de grâce ».
  4. Nombres, VII, 17.
  5. Nombres, VII, 89.

 

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  1. Lévitique, I, 1 ; cf. Contre Apion, II, 23.
  2. Dans le Contre Apion (II, § 195), Josèphe explique le but et la raison d'être de ces sacrifices qu'il ne fait ici qu'énumérer.
  3. Philon (De victimis, § 3, II, M., p. 238) distingue comme Josèphe les sacrifices publics et les sacrifices privés.
  4. D'après le Lévitique et la tradition (v. Maimonide, M. Tora, H.

Maacé Hakorbanot, I, 1), il y a quatre sortes de sacrifices : ôla (holocaustes), hattat, ascham (deux sortes de sacrifices

expiatoires), schelanîm (sacrifices d'actions de grâce) sans compter les subdivisions. Josèphe, qui traite très brièvement des sacrifices, ne parle ici que de deux sortes, mais il mentionne également plus loin les sacrifices expiatoires.

  1. Lévitique, I, 3.
  2. Pour ces détails qui ne sont pas formellement dans la Bible, Josèphe suit la tradition, mais en simplifiant. Les holocaustes de quadrupèdes, selon les sources rabbiniques, sont seuls soumis à la règle qui exige qu'on n'emploie que des animaux mâles ; pour les holocaustes d'oiseaux on se servait indifféremment de mâles ou de femelles. Quant à l'âge des victimes, d'après la tradition (Para, I, 3), non seulement les bœufs, mais aussi les agneaux et les boucs pouvaient être immolés quand ils étaient « grands », c'est-à-dire entre un an et deux ans ; pour les bœufs, on pouvait même aller jusqu'à trois ans.
  3. Par qui ? Josèphe ne le dit pas expressément. Cependant il

semble, d'après lui, que ce sont les prêtres qui s'acquittaient de ce soin. Primitivement, les simples particuliers pouvaient en être chargés (I Chroniques, XXIX, 21). Plus tard, on le confia aux prêtres ordinaires (cf. II Chroniques, XXIX, 21-24 ; XXX, 1, 11). Pendant l'époque du second temple, les laïques eurent le droit d'immoler les victimes, comme on le voit par la 1ère Mishna du ch. III de Zebahim.

  1. Josèphe prend à la lettre les mots de Lévitique, I, 5. Selon la

Halacha (Sifra sur ce passage ; Zebahim, 53 b), on ne faisait d'aspersions pour les holocaustes que sur les deux angles nord-est et sud-ouest de l'autel, de façon à mettre du sang sur les quatre côtés, mais sans en jeter tout autour.

  1. Selon Lévitique, I, 13, on ne lavait que les pieds et les intestins, mais, d'après II Chroniques, IV, 6, le nettoyage des holocaustes paraît avoir été complet. Josèphe dit, d'ailleurs, plus loin que les pieds et les intestins étaient lavés avec un soin particulier (cf. Sifra sur Lévitique, I, 6; Tamid, IV, 3).
  2. La prescription qu'on lit dans Lévitique, II, 13 : « Sur tous tes

sacrifices tu offriras du sel » est donnée à propos des oblations ; mais le principe est appliqué en effet, selon la Halacha, à toute espèce de sacrifices (Tamid, IV, 3 ; Menahot, 21 b).

  1. D'après Lévitique, I, 8, le dépouillement des peaux n'a lieu

que pour les holocaustes de gros bétail ; mais le Sifra (ad loc.) l'étend à tous les holocaustes. Cf. aussi Lévitique, VII, 8 ; Zebahim, II, 4 ; Philon, M., II, p. 235.

 

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  1. Lévitique, III, 1.
  2. Lévitique, V, 1.
  3. Dans la Bible, il y a deux noms pour cette sorte de sacrifices

: hattat et ascham ; mais la définition précise de chacun de ces termes est malaisée à fournir. Josèphe, dans sa brève notice, mélange beaucoup de textes du Lévitique qui traitent en détail des sacrifices publics ou privés et des divers péchés qui en nécessitent l'offrande (voir là-dessus, Maimonide, M. T., H. Maacé Hakorbanot). Le mot grec employé par Josèphe, se trouve aussi dans les LXX1 correspondant à l'hébreu : hattat. Le mot grec qu'on trouve plus loin, se rencontre également dans les LXX avec un autre pour désigner plutôt le sacrifice nommé ascham. Josèphe, qui se réserve de parler ailleurs plus amplement des sacrifices, est ici trop bref pour être exact. Il dit que le cérémonial des sacrifices d'expiation est le même que celui des sacrifices d'actions de grâce. Il devait en excepter les hattaot mentionnés dans Lévitique, IV, 1-22, série de sacrifices où les victimes sont presque entièrement consumées.

  1. D'après la Halacha (Sifré sur Lévitique , V, 8 ; Pesahim, 59

a), l'holocauste n'est offert qu'après le hattat.

  1. Lévitique, IV, 27; VII, 1.
  2. Soit ignorance de l'acte commis, soit ignorance de la loi telle

est la Halacha (Sabbat, 67 b sqq.).

  1. Ce que l'Écriture appelle les cornes de l'autel.
  2. Lévitique, V, 21.
  3. Lévitique, IV, 22.
  4. Le Lévitique dit que le naci (prince) n'a qu'un bouc mâle à

offrir. Le taureau n'est exigé, selon Lévitique, IV, 3, que du grand pontife et (V 14) de l'assemblée d'Israël. Mais Josèphe, en employant le même mot grec que dans d'autres passage (Bellum, II, § 627), désigne les membres du sanhédrin, qui représentent la communauté, selon la tradition (cf. Sifra sur Lévitique, IV, 13 : Horayot, 4 b).

  1. Nombres, XV, 4.
  2. L'obligation d'employer du froment est énoncée aussi dans Sota, II, 1.
  3. C'est là l'oblation que le Talmud appelle minhat neçachim ;

elle était, en effet, brûlée tout entière sur l'autel (Menahot, VII). Parmi les Sadducéens régnait une doctrine différente (v. Meguillat Taanit, VIII) : une seule poignée était offerte ; le reste appartenait aux prêtres.

  1. Lévitique, II, 1 ; IV, 13.
  2. Lévitique, VI, 16.
  3. Lévitique, XXII, 26 ; II, 4.
  4. Nombres, XXVIII, 2.
  5. C'est l'opinion des Pharisiens, fondée sur Nombres, XXVIII, 2 : « Vous observerez pour me l'offrir, etc. » Les Sadducéens croyaient que les sacrifices quotidiens pouvaient être offerts par

 

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un particulier à cause du verset 4, qui emploie le singulier : « Tu prépareras le premier agneau, etc. » Cf. Mehanot, 65 ; Meguillat Taanit, I.

  1. Dans Antiquités, XIV, 4, 3, Josèphe précise l'heure du soir ; il dit « vers la neuvième heure ». La même heure environ est indiquée dans la Mishna de Pesahim, V, 1 : « Le sacrifice perpétuel, dit ce texte, est immolé à la 8e heure et demie et offert à la 9e heure et demie ». Cf. aussi C. Apion, II, § 105.
  2. D'après le Talmud (Schebouot, I, 1, et 9 a), le bouc offert aux

néoménies (et aux trois fêtes) est destiné à expier les péchés dont on n'aurait eu jamais nulle connaissance et que Dieu seul

connaît.

  1. Nombres, XXIX, 1.
  2. Le premier du mois ; les mots qui expriment cette date ont

dû être sautés par les copistes. Josèphe ne donne pas non plus ici le nom hébreu du septième mois, à savoir Tisri ; mais on le trouve ailleurs (Antiquités, VIII, § 100).

  1. Nombres, XXIX, 7 ; Lévitique, XVI, XXIII, 26.
  2. Ce que Josèphe rapporte – succinctement - c'est le cérémonial tel qu'il a pu le voir encore au temple de Jérusalem. De son temps, le grand-prêtre n'offrait que les sacrifices propres à la solennité ; les prêtres ordinaires faisaient le reste. Mais d'après les sources rabbiniques, tout le service était effectué anciennement par les grands-prêtres (baraïta de Toma, 32 b ; Houllin, 29 b ; Horayot, 22 b).
  3. Celui dont il est parlé dans Lévitique, XVI, 5, et celui qui est offert pour le peuple, selon Nombres, XXIX, 8. Josèphe se trouve résoudre ainsi comme R. Eléazar bar R. Simon, contre Rabbi, la question de savoir si ces deux passages désignent le même sacrifice ou deux sacrifices différents (voir la baraïta citée dans Toma, 3 a et 70 b). La tradition ultérieure a, au contraire, accepté plutôt l'opinion de Rabbi (v. Maimonide, Hil. Abodat Yom Hakkippourim, I, 1).
  4. Telle est aussi l'opinion du Talmud (Shebouot, 14 a) : « Le kohen l'offre à ses frais, et non aux frais de la communauté » ; cette règle est fondée sur la triple répétition des mots ascher lô (Lévitique, XIII, 6 et fin), que les LXX traduisent chaque fois par : « pour ses fautes ».
  5. La Halacha (Yoma, V, 4, 5) dit que l'aspersion se faisait une fois seulement en haut et sept fois en bas.
  6. Le verset (Lévitique, XVI, 18) dit : « l’autel qui est en face de

l'Éternel ». La Mishna de Yoma (V, 5) explique aussi que ces mots désignent l'autel d'or.

  1. Le verset (Lévitique, XVI, 25) dit seulement que le grand-

prêtre faisait fumer les graisses du hattat sur l'autel.

L'énumération est empruntée à Lévitique, IV, 8-10.

  1. Lévitique, XXIII, 34.
  2. Josèphe parait faire de l'obligation de construire des tentes

 

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une prescription momentanée et omettre ainsi le verset du Lévitique (XXIII, 42). D'après ce qu'il dit plus loin et ce qu'il dit ailleurs de la fête de la scénopégie ou construction des tentes (Antiquités, VIII, § 100), l'on voit que la rédaction est ici inexacte. Selon le Midrash (Tanhouma sur le même verset), Moïse aurait aussi ordonné aux Israélites dans le désert de construire des tentes pour s'abriter contre le froid.

  1. Lévitique, XXIII, 40. Josèphe est conforme a la tradition

(Soukka, 32 b), qui explique l'hébreu anaf èç abot par haddas = myrte. Les LXX sont moins exacts.

  1. La tradition appelle ce fruit, - désigné vaguement dans l’Écriture -, etrog, qu'on traduit par cédrat, sorte de citron. Le bouquet formé des quatre espèces devait être porté dans la main, selon l'opinion des Pharisiens, qui est celle de Josèphe ; selon les Sadducéens, il servait à orner la tente (v. Graetz, Geschitche der Juden, III, note 10).
  2. Nombres, XXIX, 13.
  3. Lévitique, XXIII, 36 ; Nombres, XXIX, 35. En hébreu, açéret =

clôture ou arrêt

  1. Lévitique, XXIII, 5
  2. C'est-à-dire par groupes d'au moins dix personnes, selon la tradition (haboura). Voir Pesahim, 91 a. Josèphe donne lui-même des détails conformes à la tradition (Pesahim, V, 1) dans le Bellum, VI, 9, 3, § 423.
  3. Lévitique, XXIII, 5 ; Nombres, XVIII, 17.
  4. Il ne faut pas conclure de ce passage que Josèphe ait cru

que l'obligation de se nourrir d'azymes ne s'applique pas au 14 Nisan, car il a dit précédemment que la fête des azymes durait huit jours. Ici, d'ailleurs, il insiste surtout sur la cérémonie de l'agneau pascal, qui a lieu le 14, déjà avant la nuit, tandis que la fête proprement dite des azymes ne commence que le soir, qui compte, au surplus, avec le jour suivant.

  1. Lévitique, XXIII, 9.
  2. Josèphe est d'accord avec la tradition pharisienne pour la date de l'offrande de l'ômer d'orge. Selon lui, les mots obscurs des versets du Lévitique (XXIII, 11, 15) : « le lendemain du sabbat » doivent s'entendre du lendemain du premier jour de fête. Les Sadducéens, au contraire (voir la discussion dans Menahot, 65 a, sqq.), estimaient qu'il fallait prendre ces mots à la lettre, de sorte que l'offrande de l'ômer avait lieu toujours un dimanche, de même que la fête de Schabouot, qui survient cinquante jours après ; opinion adoptée ou conservée plus tard par les Juifs Caraïtes. Philon (II, M.. p. 294) est d'accord avec Josèphe et la Halacha; il emploie également le même mot pour l'orge.
  3. La Mishna de Menahot (VI, 8) compte seulement cinq espèces de céréales dont il n'est pas permis d'user avant Pâque.
  4. Ce n'est pas l'Écriture, mais la tradition qui établit qu'on

offrait de l'orge (voir Menahot, 84 a). La manière de préparer l'ômer est indiquée dans la Mishna de Menahot, VI, 4.

 

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  1. = ômer.
  2. Conforme à Menahot, VI, 8.
  3. Lévitique, XXIII, 15 ; Nombres, XXVIII, 26.
  4. Asartha est le mot araméen açarta = héb. acéret, par lequel on désigne dans la littérature post-biblique la fête de la Pentecôte.
  5. D'après la Mishna de Menahot (XI, 9), les deux pains faits la

veille de la fête ne pouvaient durer que ces deux jours, à moins que la fête ne survint le lendemain d'un samedi : en ce cas, les pains duraient trois jours.

  1. Josèphe parait avoir additionné à peu près les données divergentes des deux passages du Lévitique et des Nombres relatifs aux sacrifices de la Pentecôte. Le Lévitique énumère sept agneaux, un bœuf, deux béliers, un bouc expiatoire, et deux agneaux d'actions de grâces. Les Nombres ont sept agneaux, deux bœufs, un bélier, un bouc expiatoire. Josèphe signale d'abord les deux agneaux qui finissent la première liste comme sacrifice spécial de la fête concurremment avec les pains ; puis il additionne les agneaux des deux listes, ainsi que les bœufs (ou les veaux) et les boucs expiatoires ; il ne garde que les deux béliers du Lévitique. C'est ainsi qu'il résout la difficulté qui naît de la comparaison de ces deux passages du Pentateuque. Le système de Josèphe est, d'ailleurs, parfaitement d'accord avec celui de R. Akiba (Menahot, 45 b), qui discute contradictoirement avec R. Tarfon (Tannaïm du commencement du IIe siècle) sur nos deux textes et qui admet que les sacrifices énumérés dans le Lévitique sont prescrits comme accompagnement aux deux pains, tandis que ceux des Nombres sont additionnels (mousafim) et, par conséquent, indépendants des premiers.
  2. Lévitique, XXIV, 5.
  3. C'est ce que la Halacha (Menahot, IV, 6) nomme havité kohen

gadôl.

  1. Le Sifra (sur Lévitique, VI, 14) explique le mot hébreu du verset comme s'il y avait « elle sera bouillie » : il semble résulter de là, contrairement à Josèphe, que le gâteau en question se cuisait longtemps et devait avoir plutôt une consistance molle.
  2. Nombres, III, 5.
  3. Lévitique, XI, 1 ; Deutéronome, XIV, 3.
  4. Lévitique, XVII, 10.
  5. Lévitique, XI, 39.
  6. Lévitique, VII, 22.
  7. Lévitique, XIII-XV. Mais, dans le texte, il n'est nullement question de chasser de la ville ou de leur maison les femmes menstruelles.
  8. Nombres, XIX, 14 ; XXI, 19 ; cf. C. Apion, II, 28. Cette

prescription n'est pas dans le premier des passages bibliques indiqués, où on l'attendrait plutôt ; elle est promulguée incidemment, quand les Israélites reviennent de leur campagne contre les Madianites. Moïse dit à ceux qui ont versé le sang et

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

touché des cadavres : (( Et vous, demeurez hors du camp pendant sept jours ». C’est de ces mots que la Halacha tire la règle générale (Sifré sur Nombres, XIX, 14). Josèphe est conforme à la tradition.

  1. Lévitique, XV, 16.
  2. Cf. Nombres, XII, 12 : dans ce passage, Aaron dit à Moïse

que sa sœur, frappée de lèpre, est comme une morte. Sur la législation des lépreux, cf. Kélim, I, 7-8.

  1. Allusion aux écrivains comme Manéthon, qui publiaient sur les origines des Juifs des relations injurieuses. Voir, d'ailleurs, le C. Apion, I, § 287, où Josèphe prend Manéthon directement à parti sur cette même question.
  2. Lévitique, XII, 2.
  3. Nombres, V, 12
  4. Selon la tradition (Sota, III, 1), cette offrande avait lieu après la cérémonie décrite plus loin ; mais on sait qu'à l'époque de Josèphe, toute cette procédure était abolie (Tosefta de Sota, éd. Zuckermandel, p. 320). Sur la date de l'abolition, cf. M. Olitzki, Fl. Josephus und die Halacha, p. 22, note 27.
  5. Le mot utilisé par Josèphe est cité, au contraire, dans la

Mischna de Sota (II, 4) comme un des objets sur lesquels on ne doit point écrire. La confusion faite par Josèphe peut s'expliquer par cette circonstance que la procédure n'était plus usitée de son temps. Selon la Halacha, il fallait un rouleau de parchemin (meguilla) ; on n'y écrivait pas uniquement le nom de Dieu, comme le déclare Josèphe, mais bien les phrases même de l'imprécation ; voir Sota, II, 3.

  1. La Bible dit seulement (Nombres, V, 28) que la femme

justifiée aura une prospérité. Le Sifré (ad loc.) rapporte une discussion entre R. Akiba et R. Ismaël (commencement du IIe siècle) : selon le premier, le verset signifierait que même la femme jusque là stérile deviendra féconde ; le second explique que si elle avait eu jusque-là un enfantement laborieux, dorénavant elle enfantera aisément et que si elle n'avait eu précédemment que des filles, elle aura désormais des enfants mâles.

  1. Lévitique, XI, 40 ; Deutéronome, XXII, 22.
  2. Lévitique, XXI, 7 ; cf. C. Apion, I, 7.
  3. Si le texte est exact, Josèphe ici ajoute quelque chose aux prescriptions de l'Écriture, qui défend aux prêtres d’épouser trois sortes de femmes : zona (prostituée), halala (femme indigne, née d'une union illicite, comme l'explique la tradition, Kiddouschin, 77 a) et la guerouscha (femme répudiée) ; voir là-dessus les notes suivantes. Pour l'esclave (cf. Antiquités, liv. IV, VII, 23, où l'interdiction est appliquée même aux laïques), la tradition en parle dans Yebamot, 61 a : (( Le prêtre ne peut épouser ni une esclave, ni une affranchie ». Quant à la prisonnière de guerre, la Mishna de Ketoubot (II, 9) dit que les femmes de prêtres qui se sont trouvées dans une ville conquise par l'ennemi ne peuvent plus reprendre la vie conjugale avec leurs maris, à moins de prouver qu'elles sont restées pures. Josèphe lui-même donne de

 

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plus amples détails sur ces interdictions dans le C. Apion, I, 7, § 30 et suivants ; cf. aussi Antiquités, liv. XIII, 10, 5 fin (histoire de Jean Hyrcan).

  1. On a beaucoup commenté Ces mots singuliers et qui répondent malaisément à la zona ou à la halala de l'Écriture. Il faut croire qu'à l'époque de Josèphe le métier d'hôtelière était mal famé. Chose remarquable, on trouve dans les Targoumim le mot pandokita, hôtelière, comme traduction de l'hébreu zona (cf. Lévitique, Chaldaisches Wörtenbuch, 11, 272 : ex. Juges, XI, 1 ; I Rois, III, 16 ; Ezéchiel, XXIII, 44). Cette traduction suppose sans doute dans le mot zona la racine zoun, qui signifie nourrir. Un passage de Josèphe viendrait à l'appui de cette observation : au livre V, I, 2, les explorateurs envoyés par Josué s'en vont chez une femme, nommée Rachab, qui est représentée comme une aubergiste ; or la Bible l'appelle précisément zona (Josué, II, 1). - Le mot grec employé par Josèphe parait correspondre à l'hébreu halala.
  2. Voir livre IV, VIII, 23 et note.
  3. Lévitique, XXI, 10.
  4. C'est-à-dire ne la point répudier, ou bien veiller sur ses mœurs, si la leçon est exacte ; mais ces mots ont paru, non sans raison, un peu étranges, et Mangey (II, p. 212, n, i) a ingénieusement proposé de lire : « une femme de sa tribu », c'est-à-dire de souche sacerdotale, ce qui concorderait avec le passage du texte de Philon « non seulement une vierge, mais une prêtresse issue de prêtres ». Cette leçon parait cependant devoir être

écartée, car la tradition (Sifra sur Lévitique, XXI, 14; Yebamot, VI, 4 ; 77 b) admet que le grand-prêtre peut épouser une laïque ; or Josèphe, issu d'une famille pontificale, devait être renseigné sur ce point. D'ailleurs, il dit lui-même, dans le C. Apion, I, 7. § 31 : « il doit prendre une femme de sa nation », ce qui ne veut pas dire de souche pontificale. En revanche, le mot grec employé, s'il voulait dire une simple Israélite, serait impropre. Voir, pour plus de détails, Grünebaum, Die Priestergesetze bei Fl. Josephus, Halle, 1887, p. 26 sqq.

  1. Lévitique, XXI, 2.
  2. Ibid., 17 ; cf. Bellum, V, 5-7, et C. Apion, I, 31.
  3. Le Sifra sur Lévitique, VI, 1, déduit de même des mots du verset : « tout mâle parmi les fils d'Aaron en consommera » que ce privilège s'étend même aux prêtres affligés de défauts corporels qui les rendraient, d'ailleurs, impropres au ministère sacré. Cela ressort, d'autre part, de Lévitique, XXI, 22. Cf. Mishna de

Zebahim, XII, 1 ; Philon, De Monarchia, II, 13.

  1. Lévitique, X, 9 ; XXII, 17-26. La tradition (Keritot, 13 b),

interprétant le verset Lévitique, X, 9, explique que le vin n'était pas défendu d'une façon absolue ; elle fixe la quantité minima susceptible d'entraîner l'ébriété. Les mots grecs employés par Josèphe doivent pas être pris sans doute tout à fait à la lettre ; ils signifient vraisemblablement « tant que le prêtre est de service » ;

 

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car il avait le droit de porter les vêtements sacerdotaux même en dehors du temple.

  1. Lévitique, XXV, 1.
  2. Josèphe commet là une inexactitude. Le Jubilé avait pour

effet de rendre les propriétés aux possesseurs primitifs et

d'émanciper les esclaves, mais nullement d'abolir les dettes ; c'est l'année de la Schemita (7e année) qui a seule ce privilège, comme l'explique le Sifré (97 b). L'erreur de Josèphe s'explique peut-être par cette circonstance qu'à son époque l'annulation des dettes ne se pratiquait plus, grâce à l'institution du prosbol, inventé par Hillel pour tourner une loi qui favorisait des abus (voir Schebiit, X, 3).

  1. Cf. livre IV, VIII, 28.
  2. Le mot yobel est assez obscur ; on le traduit généralement par « cor » ou « trompette au son retentissant » ; quelle que soit l'origine du mot, il ne peut signifier « liberté » ; c'est le mot deror du même verset (Lévitique, XXV, 10) qui a ce sens ; c'est sans doute ce qui a suggéré à Josèphe de traduire ainsi yobel. Philon (De Decalogo, 30, II, M., p. 207) appelle le Jubilé : « rétablissement », ce qui fait penser à la racine hébraïque qui, au hiphil, signifie « ramener, rapporter ». Les LXX traduisent yobel par « signal (donné par la trompette) ».
  3. Lévitique, XXV, 14.
  4. Nombres, I, 1.
  5. Comme plus haut (VIII, 2), Josèphe donne un chiffre un peu

différent de celui des Nombres, qui est 503.550 (I, 46). Les LXX sont conformes à l'hébreu.

  1. Nombres, II, 1.
  2. Ibid. III, 39.
  3. Le texte n'est pas sûr, certains mss. donnent 22.880. En tout cas, Josèphe s’écarte beaucoup de l'Écriture, qui donne le chiffre de 22.000. On ne voit pas d'où Josèphe peut tirer le chiffre de 23.880. Les LXX sont conformes à l'hébreu.
  4. Nombres, IX, 18.
  5. Nombres, X, 1.
  6. Ibid. 10.
  7. L'Écriture ne parle pas en particulier du sabbat. Mais le

Sifré (sur Nombres, X, 10) explique que les mots : « En vos jours de réjouissance et vos époques fériées » désignent particulièrement le sabbat.

  1. Nombres, IX, 1.
  2. Nombres, XI, 4.
  3. Ce nom, qui doit être la transcription de l'hébreu rappelle

plutôt par les consonnes un autre nom propre hébreu, qui désigne dans la Bible un homme (Genèse, X, 26), mais a été appliqué ensuite à une localité en Arabie.

  1. Dans la Bible, c'est Moïse qui tient ce langage sceptique et à

Dieu lui-même (Nombres, XI, 21, 22), et la littérature

 

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midraschique ne se fait pas faute de l'en blâmer ; on voit encore ici un exemple de la manière dont Josèphe altère ce qui peut paraître défavorable à son personnage.

  1. Nombres, XI, 31.
  2. En hébreu : kibrot hattaawa. Les LXX ont la même traduction que Josèphe.
  3. Nombres, XIII, 1.
  4. En hébreu : Pharan (Nombres, XII, 16).
  5. Nombres, XIII, 27.
  6. Ce détail ne se lit pas dans l'Ecriture.
  7. Nombres, XIV, 1.
  8. Nombres, XIV, 6.
  9. Nombres, XIV, 11.
  10. Ibid. 33.
  11. Il s'agit ici d'Ismaël ben Phiabi, dont Josèphe reparlera plus

loin (Antiquités, XVIII, 2, 2 ; XX, 8, 8) et qui fut grand-prêtre, en effet, peu avant la guerre, de 59 à 61 environ. C'est par erreur, sans doute, que Josèphe place ce pontificat sous Claude, mort en 54. Quelques auteurs, ne pouvant croire à cette méprise de Josèphe, supposent qu'il y eut un autre Ismaël, grand-prêtre au temps de Claude, après Elionaios (44) ou qu'Ismaël n'est autre qu'Elionaios. Mais, outre que Josèphe ne connaît rien de pareil, lui qui est si bien informé sur la succession des grands-prêtres, il dit nettement que cette famine se produisit « peu de temps avant la guerre » : cet Ismaël est donc nécessairement Ismaël ben Phiabi. La Mishna et le Talmud représentent ce grand-prêtre comme un personnage très pieux (Mishna de Sota, IX, 15 ; Para, III, 5 ; Pesahim, 57 a, en bas).

  1. Cette donnée ne concorde pas avec ce que dit Josèphe plus

loin (Antiquités, XV, 9, 2) : d'après ce passage, un cor valait dix médimnes attiques.

 

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JOSEPHE

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XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE 4

Chapitre premier

Les Hébreux contre l’avis de Moïse, engagent la bataille contre les Chananéens et sont vaincus.

1. Les Hébreux, révoltés contre Moïse, se préparent à lutter seuls avec les Chananéens. - 2. Échec des Hébreux. -3. Moïse les ramène dans le désert.

1F1]. La vie dans le désert fut si désagréable et si pénible

aux Hébreux qu'elle les poussa, malgré la défense de Dieu, à faire une tentative contre les Chananéens. Car ils ne voulaient pas, dociles aux paroles de Moïse, se tenir en repos, et, croyant que, même en se passant de son initiative, ils pourraient vaincre leurs ennemis, ils se prirent à l'accuser, à le suspecter de faire tous ses efforts pour les laisser sans ressources, afin qu'ils eussent toujours besoin de son assistance, et ils s'élancèrent au combat contre les Chananéens, disant que ce n'était pas par faveur pour Moïse que Dieu les secourait, mais parce qu'en général, il prenait soin de leur peuple, en

considération de leurs ancêtres qu'il avait pris sous sa tutelle. C'était pour leurs vertus que jadis il leur avait donné la liberté, et maintenant, s'ils voulaient faire

 

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effort, il serait toujours là pour combattre avec eux. D'ailleurs, ils prétendaient être suffisamment forts par eux-mêmes pour vaincre les nations, quand même Moïse voudrait leur aliéner la faveur de Dieu ; ils avaient tout intérêt à être leurs propres maîtres et non pas, après s’être réjouis d'avoir échappé aux violences des Egyptiens, à subir la tyrannie de Moïse et à vivre selon sa volonté. Il nous trompe, disaient-ils, en se prétendant le seul à qui la divinité, par bienveillance pour lui, dévoile notre sort futur, comme si nous n'étions pas tous de la race d'Abram et que Dieu lui eût donné à lui seul l'autorité nécessaire pour connaître l'avenir dont il l'instruirait. Ce serait faire preuve d'intelligence que de mépriser la jactance de Moïse et, en se confiant à Dieu, d'aspirer à conquérir ce pays qu'il leur avait promis, sans se soucier de l'homme qui, en alléguant ce prétexte, voudrait les en empêcher au nom de Dieu. Songeant donc à leur misère et à cette terre déserte qui la leur fait paraître plus cruelle encore, ils s'élancent au combat contre les Chananéens en se donnant Dieu pour chef et sans attendre aucun concours de la part du législateur.

2F2]. Ayant ainsi décidé que tel était le meilleur parti

pour eux, ils marchèrent contre leurs ennemis ; ceux-ci, sans se laisser effrayer par leur agression ni par leur nombre, reçurent vaillamment le choc ; parmi les Hébreux, beaucoup périssent, et le reste de l'armée, une fois la phalange défaite, poursuivi par l'ennemi, s'enfuit en désordre vers le campement ; et, complètement découragés par cet échec inattendu, ils ne comptent plus désormais sur rien de bon, réfléchissant qu'ils doivent encore ce désastre à la colère de Dieu, pour être partis se battre à l'étourdie sans son assentiment.

3. Moïse, voyant les siens accablés par cette défaite et craignant qu'enhardis par la victoire, les ennemis, avides de plus grands succès, ne marchassent sur eux, estima qu'il fallait emmener l'armée bien loin des Chananéens vers le désertF3]. Et, comme le peuple s'en remettait de

nouveau à lui - car ils comprenaient que, sans sa vigilance, ils ne pourraient mener leurs affaires à bien -, ayant levé le camp, il s'enfonça dans le désert, pensant qu'ils y trouveraient la tranquillité et n'en viendraient

 

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pas aux mains avec les Chananéens avant que Dieu leur en fit trouver une occasion favorable.

Chapitre II

Révolte de Coré et du peuple contre Moïse et son frère à propos du sacerdoce.

1. Indiscipline des Hébreux. - 2. Jalousie de Coré ; ses récriminations contre Moïse et Aaron. - 3. Succès de ses calomnies parmi le peuple. - 4. Discours de Moïse à l'assemblée.

1. Ainsi qu'il arrive aux grandes armées, surtout après des revers, de montrer de l'indiscipline et de l'indocilité, on vit ce fait se produire aussi chez les Juifs. Ces soixante myriades d'hommes qui, à cause de leur nombre, peut-être même dans la prospérité ne se seraient pas soumis aux meilleurs d'entre eux, à plus forte raison alors, sous l’empire de la misère et du malheur, s'emportaient les uns contre les autres et contre leur chef. C'est ainsi qu'une sédition, dont nous ne savons pas d'exemple ni chez les Grecs ni chez les Barbares, s'émut parmi eux ; elle leur fit courir à tous un danger mortel dont ils furent préservés par Moïse, qui ne leur garda pas rancune d’avoir été tout près de périr lapidé par eux. Dieu lui-même ne laissa pas de leur épargner un désastre terrible et, bien qu'ils eussent outragé leur législateur et les instructions que Dieu leur avait mandées lui-même par Moïse, il les sauva des malheurs que cette sédition leur eût attirés s'il n'y avait veillé. Cette sédition, ainsi que les mesures que prit ensuite Moïse, je la raconterai après avoir préalablement exposé le motif qui la fit naître.

2[4]. Coré[5] (Korés), un des plus éminents d'entre les Hébreux par la naissance et par les richesses[6], homme

assez éloquent et fort capable de se faire écouter du peuple[7], voyant Moïse monté au faite des honneurs,

conçut contre lui une ardente jalousie, car il était de la même tribu, et même son parent[8]. Il était plein de

dépit, parce qu'il croyait avoir plus de droits à jouir de

 

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pareils honneurs, comme étant plus riche que Moïse, sans lui être inférieur par la naissance. Et il allait réclamant parmi les Lévites, qui étaient de sa tribu, et principalement parmi ses parents, criant qu’il était honteux de laisser insouciamment Moïse travailler à se préparer une gloire personnelle, l'acquérir par de coupables manœuvres en se réclamant de Dieu, contrevenir aux lois en donnant le sacerdoce à son frère Aaron, sans l'avis général du peuple, mais sur sa propre décision, et, à la manière d'un tyran, distribuant les honneurs à sa guise[9]. « La violence est chose bien

moins grave qu’un préjudice causé en cachette, parce qu'alors ce n'est pas seulement contre le gré des gens, c'est sans qu'ils soupçonnent même la perfidie qu'on leur enlève le pouvoir. Quiconque, en effet, a conscience de mériter de recevoir les honneurs, tâche de les obtenir par persuasion, n'osant pas s'en emparer par force ; mais ceux qui n'ont aucun moyen d'arriver par leur mérite aux honneurs, sans doute n'emploient pas la violence, parce qu'ils tiennent à avoir l'air d'honnêtes gens, mais ils s'efforcent de parvenir à la puissance par des artifices pervers. Il est de l'intérêt du peuple de châtier de telles gens, pendant qu'ils croient encore nous échapper, et d'éviter qu'en les laissant arriver au pouvoir, on ne se fasse d'eux des ennemis déclarés. Car enfin, quelle raison pourrait donner Moïse d'avoir conféré le sacerdoce à Aaron et à ses fils ? Que si Dieu a décidé d'octroyer cette charge à quelqu'un de la tribu de Lévi, c'est moi qui y ai le plus de droits ; ma naissance me fait l'égal de Moïse ; ma fortune et mon âge me donnent l'avantage. Que si elle revient à la plus ancienne des tribus, il serait juste que ce fût celle de Roubel qui possédât la charge, entre les mains de Dathan(ès), d'Abiram(os) et de Phalaès[10], qui sont les plus âgés

d'entre ceux de la tribu et puissants par d'abondantes richesses. »

3. Sans doute, Coré voulait par ces discours paraître veiller à l'intérêt général ; en réalité, il ne travaillait qu'à se faire décerner à lui-même cette charge par le peuple ; mais, s'il y avait de méchants desseins dans ce qu'il disait, c'était avec grâce qu'il parlait aux gens de sa tribu. Ces propos se propageant peu à peu parmi la

 

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foule, et ceux qui les écoutaient enchérissant encore sur les calomnies dirigées contre Aaron, toute l'armée en est bientôt envahie. Le nombre de ceux qui se joignirent à Coré était de deux cent cinquante grands, très ardents à vouloir dépouiller du sacerdoce le frère de Moïse et à déshonorer ce dernier lui-même. Mais le peuple était également excité et s'élançait pour jeter des pierres à MoïseF11]. Ils se réunirent tumultueusement en

assemblée dans le trouble et le désordre. Debout devant le tabernacle de Dieu, ils criaient qu'on chasse le tyran et qu'on délivre le peuple asservi à un homme qui se réclamait de Dieu pour imposer ses commandements oppressifs. Dieu, en effet, si c'était lui qui avait choisi quelqu'un pour prêtre, aurait investi de ces fonctions le plus digne et n'aurait pas consenti a les attribuer à des hommes bien inférieurs à beaucoup d'autres, et, s'il avait décidé de les octroyer à Aaron, il les lui aurait fait conférer par le peuple et n'en aurait pas laissé le soin à son frère.

4F12]. Mais Moïse, qui avait prévu dès longtemps les

calomnies de Coré, quoiqu’il vît le peuple très irrité, ne s'effraya pas ; au contraire, assuré d'avoir bien administré les affaires, et sachant que son frère devait au choix de Dieu d'avoir obtenu le sacerdoce, et non à son bon plaisir à lui, il vint à l'assemblée. Au peuple il ne tint aucun discours, mais, s'adressant à Coré et s'écriant de toutes ses forces, Moïse, qui, parmi tous ses talents, avait le don de se faire écouter du peuple : « A mon avis, dit-il, Coré, non seulement toi, mais chacun de ces hommes - il désignait les deux cent cinquante, - vous méritez les honneurs ; le peuple tout entier lui-même, je ne l'écarterais pas de ces mêmes honneursF13], encore

qu'il leur manque ce que vous avez, vous, en fait de richesses et autres distinctions. Si aujourd'hui Aaron est investi du sacerdoce, ce n'est pas pour l'avantage de la richesse - ne nous surpasses-tu pas l'un et l'autre par l'étendue de la fortune ? -, ni pour la noblesse de la naissance, - Dieu nous a faits égaux à cet égard en nous donnant le même ancêtre -, ni par amour fraternel que j'ai conféré à mon frère un honneur dont un autre aurait été plus digne. Aussi bien, si j'avais négligé Dieu et les lois en disposant de ces fonctions, je ne me serais pas

 

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oublié moi-même pour les conférer à un autre, car je suis bien plus proche parent de moi-même que mon frère et je suis lié plus étroitement à ma personne qu'à la tienne. Il eût été insensé, en effet, d'aller m'exposer aux dangers d’une illégalité pour en donner à un autre tout le bénéfice. Mais, d'abord, je suis au-dessus d'une vilenie, et Dieu n'eût pas permis qu'on l'outrageât ainsi, ni que vous ignorassiez ce qu'il vous fallait faire pour lui être agréable ; mais, comme il a choisi lui-même celui qui doit être son prêtre, il m'a dégagé de toute responsabilité à cet égard. Cependant, bien qu'Aaron doive ces fonctions, non à ma faveur, mais à une décision de Dieu, il vous les soumet publiquement et permet à qui veut de les revendiquer ; désormais, il entend qu'on ne les lui accorde que si on fait choix de lui et, pour le moment, qu'on lui permette de concourir pour les gagner : plutôt que de garder ce privilège, il préfère ne pas voir de dissensions parmi vous, bien qu'il le tienne de vos propres suffrages ; car, ce que Dieu a donné, nous ne nous trompons pas en croyant le recevoir aussi de vous. Et puis, récuser une dignité que Dieu offrait lui-même eût été impie ; en revanche, vouloir la garder pour toujours quand Dieu ne nous en garantit pas la jouissance assurée, ce serait manquer complètement de sens. Dieu désignera donc de nouveau lui-même celui qu'il veut voir lui offrir les sacrifices pour vous et présider au culte. Il est absurde, en effet, que Coré, qui convoite ces fonctions, enlève à Dieu la faculté de décider à qui il les accordera. Ainsi, mettez fin à cette querelle et aux troubles qu'elle entraîne, et demain, vous tous qui briguez le sacerdoce, apportez, chacun de chez vous, un encensoir avec des parfums et du feu et venez ici. Et quant à toi, Coré, laissant le jugement à Dieu, attends le suffrage qu'il portera sur cette question et ne te fais pas supérieur à Dieu ; tu viendras ici et l'on discutera ainsi tes droits aux honneurs. On ne trouvera rien à redire, j'imagine, à ce qu'Aaron soit reçu également à se mettre sur les rangs, lui qui est de la même famille et à qui on ne peut rien reprocher des actes de son pontificat. Vous brûlerez vos parfums, une fois réunis, en présence de tout le peuple ; et quand vous aurez fait ces fumigations, celui dont l'offrande agréera le plus à Dieu, celui-là sera déclaré votre prêtre ; et je

 

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serai à l'abri ainsi de cette calomnie selon laquelle j'aurais par faveur octroyé ces fonctions à mon frère. »

Chapitre III

1. Réunion de l’assemblée ; Moïse et la faction de Dathan. - 2. Moïse fait appel à l'intervention de Dieu. - 3. La terre engloutit les factieux. - 4. Coré et sa faction foudroyés par le feu céleste.

1F14]. Après ces paroles de Moïse, la foule cesse de

s'agiter et de le suspecter, ils applaudirent à son discours, qui était excellent et qui parut tel au peuple. On mit fin alors au colloque, et, le lendemain, on vint se réunir en assemblée, pour assister au sacrifice et au jugement qui en résulterait au sujet de ceux qui se disputaient le sacerdoce. Il arriva que l'assemblée fut tumultueuse, le peuple étant en suspens dans l'attente des événements : les uns auraient pris plaisir à voir Moïse convaincu d'un crime, les autres, les gens réfléchis, à être débarrassés de ces tracas et de ces troubles ; car ils craignaient que, si la discorde gagnait du terrain, la belle harmonie de leur constitution ne vint à s'altérer davantage. Mais la masse du peuple, qui se plaît d'instinct à crier contre les gens en place et qui change d'opinion selon ce qu'elle entend dire, était en plein tumulte. Moïse, ayant envoyé des gens de service à Abiram et à DathanF15], les pria de venir, ainsi qu'il était

convenu, et d'attendre l'accomplissement du sacrifice. Mais, comme ils déclarèrent aux envoyés qu’ils n'obéiraient pas et qu'ils ne laisseraient pas la puissance de Moïse grandir contre le peuple grâce à de coupables manœuvres, Moïse, ayant appris leur réponse, après avoir demandé aux principaux conseillers de le suivre, s'en vint au-près de la faction de DathanF16], ne pensant

pas qu'il y eût grand danger à s'avancer vers ces insolents. Les conseillers le suivirent sans protester. Mais Dathan et les siens, informés que Moïse venait chez eux, accompagné des plus notables d'entre le peuple, s'avancèrent avec leurs femmes et leurs enfants devant leurs tentes, pour voir ce que Moïse se préparait à faire. Leurs serviteurs étaient aussi autour d'eux pour les

 

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défendre au cas où Moïse se porterait à quelque acte de violence.

2F17]. Mais lui, arrivé auprès d'eux, lève les mains au

ciel et, d'une voix éclatante, de manière à se faire entendre de toute la foule : « Maître, dit-il, de tout ce qui est au ciel, sur terre et sur mer, puisqu'aussi bien pour toute ma conduite tu es le garant le plus digne de foi que j'ai tout fait selon ta volonté, et que dans notre détresse tu nous as procuré des ressources, toi qui as pris les Hébreux en pitié dans tous leurs périls, viens ici prêter l'oreille à mes paroles. A toi, en effet, rien de ce qui se fait ou se conçoit n'échappe ; aussi tu ne me refuseras pas de déclarer la vérité, en mettant en évidence l'ingratitude de ces hommes. Car les faits antérieurs à ma naissance, tu les sais par toi-même exactement, non pour les avoir appris par ouï-dire, mais pour les avoir vus se passer en ta présence ; et pour les faits ultérieurs, qu'ils connaissent parfaitement, mais qu'ils suspectent néanmoins sans raison, prête-moi là-dessus ton témoignage. Moi qui m'étais constitué une fortune sans souci, grâce à ma vaillance et à ta volonté ainsi qu'à la bienveillance de mon beau père Ragouël, abandonnant la jouissance de tout ce bonheur, je me suis voué aux tribulations pour ce peuple. D'abord ça été pour leur liberté, maintenant c'est pour leur salut que je me suis soumis à de dures épreuves, opposant à tous les dangers tout mon courage. Et maintenant que je suis soupçonné d'agir criminellement par des hommes qui doivent à mes efforts d'être encore en vie, c'est à bon droit que je t'invoque, toi, qui m'as fait voir ce feu sur le mont Sinaï et qui m'as permis alors d'entendre ta propre voix, toi qui m'as fait spectateur de tous ces prodiges que ce lieu m'a permis de contempler, toi qui m'ordonnas de faire route vers l'Égypte et de manifester ta volonté à ce peuple, toi qui as ébranlé la fortune des Egyptiens et nous as donné le moyen d'échapper à leur servitude, en diminuant la puissance de Pharaon devant moi, toi qui as changé pour nous, quand nous ne savions plus où marcher, la mer en terre ferme, et après l'avoir refoulée en arrière, as fait déborder ses flots des cadavres des Égyptiens, toi qui as donné à ceux qui en étaient dépourvus des armes pour leur sécurité, toi qui as fait

 

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jaillir pour nous des eaux potables de sources corrompues et, au fort de notre détresse, as trouvé moyen de nous tirer un breuvage des rochers, toi qui, dans notre pénurie d'aliments terrestres, nous as sauvés en nous nourrissant de substances marines, toi qui as fait tomber aussi du ciel pour nous une nourriture inconnue auparavant, toi qui as institué pour nous un plan de lois et une constitution politique : viens, maître de l'univers, juger ma cause et attester, témoin incorruptible, que je n'ai pas reçu de présent d'aucun Hébreu pour fausser la justice, que je n'ai pas condamné au profit de la richesse la pauvreté qui devait triompher, et qu'après avoir gouverné sans faire tort au bien

public ; je suis sous le coup d'insinuations qui n'ont pas le moindre fondement dans ma conduite, comme si, sans ton ordre, j'avais donné le sacerdoce à Aaron, au gré de mon caprice. Établis donc à l'instant que tout est gouverné par ta providence et que rien ne se fait de soi-même, que c'est ta volonté qui décide et fait aboutir. Établis que tu prends souci de ceux qui peuvent rendre service aux Hébreux, en poursuivant de ta vengeance Abiram et Dathan, qui t'accusent de manquer de sens au point d'avoir cédé à mes artifices. Tu marqueras clairement ton jugement contre eux, ces insensés qui s'attaquent à ta gloire, en leur ôtant la vie, mais non à la manière vulgaire ; qu'ils ne paraissent pas, en périssant, s'en aller selon l'humaine loi, mais fais s'entrouvrir, pour les engloutir, eux avec leur famille et leurs biens, la terre qu'ils foulent. Voilà qui sera pour tout le monde une manifestation de ta puissance, et une leçon de modestie qui évitera un châtiment pareil à ceux qui ont à ton égard des sentiments irrespectueux. C'est ainsi qu'on pourra constater que je suis un fidèle ministre de tes prescriptions. Mais s'ils ont dit vrai en m'accusant, garde ces gens à l'abri de tout mal, et la destruction dont mes imprécations les menacent, fais-la moi subir. Puis, après avoir fait justice de celui qui voulait maltraiter ton peuple, établissant à l'avenir la concorde et la paix, fais le salut du peuple qui suit tes commandements, en le gardant de tout malheur et en ne l'impliquant pas dans le châtiment des criminels. Car tu sais bien qu'il n'est pas juste qu'à cause de la faute de ceux-là tous les Israélites ensemble subissent une punition. »

 

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3F18]. Après ces paroles mêlées de larmes, soudain la

terre s'ébranle ; il s'y produit un tremblement pareil à l'agitation des flots sous la poussée du vent, et tout le peuple s'effraye ; un bruit sec et éclatant s'étant fait entendre, le sol s'affaissa à l'endroit des tentes de ces hommes, et tout ce qui leur était précieux s'y engloutit. Quand ils eurent ainsi disparu avant qu'on eût pu s'y reconnaître, le sol, qui s'était ouvert autour d'eux, se referma et reprit sa consistance, au point que de la perturbation qu'on vient de raconter rien n'apparaissait plus visible. C'est ainsi qu'ils périrent, fournissant une preuve de la puissance de Dieu. Il y aurait lieu de les plaindre, non seulement d'une catastrophe par elle-même déjà digne d'émouvoir la pitié, mais encore parce que leurs parents se réjouirent de ce qu'ils eussent subi une pareille peine. Oublieux, en effet, du complot qui les unissaient ensemble, au spectacle de l'accident survenu, ils approuvèrent la sentence, et, jugeant que c'étaient en criminels qu'avaient péri Dathan et ses partisans, ils ne s'en affligèrent même pointF19].

4F20]. Moise appela ceux qui contestaient au sujet du

sacerdoce pour procéder au concours des prêtres, afin que celui dont le sacrifice serait accueilli avec le plus de faveur par Dieu fût déclaré élu. Et quand se furent réunis deux cent cinquante hommes, en honneur auprès du peuple tant pour les mérites de leurs ancêtres que pour leurs propres mérites, qui les mettaient encore plus haut que ces derniers. Aaron et CoréF21] s'avancèrent

également et, se tenant devant le tabernacle, ils brûlèrent tous dans leurs encensoirs des parfums qu'ils y avaient apportés. Mais il jaillit soudain un feuF22] tel

qu'on n'en avait jamais vu de semblable, qu'il fût l’œuvre des mains de l'homme, qu'il sortît de terre, d'une source profonde de chaleur, ou qu'il s'échappât spontanément de la matière agitée contre elle-même par la violence des vents, mais un feu comme il pouvait s'en allumer au commandement de Dieu, très brillant et d'une flamme très ardente. Sous ce feu qui s'élançait contre eux, tous les deux cent cinquante et Coré furent détruits, au point qu'on ne vit même plus leurs corps. Aaron seul survécut, sans avoir subi aucune atteinte de ce feu, parce que

 

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c'était Dieu qui l'avait envoyé pour consumer ceux qui méritaient le châtiment. Moïse[23], après la mort de ces

hommes, voulant que leur punition restât dans la mémoire et que les générations futures en fussent instruites, ordonna à Éléazar, fils d'Aaron, de déposer leurs encensoirs auprès de l'autel d'airain, en souvenir, pour la postérité, du châtiment qu'ils avaient subi pour avoir cru qu'ils pouvaient se jouer de la puissance de Dieu. Et Aaron, qui ne paraissait plus maintenant devoir la dignité de grand-prêtre à la faveur de Moïse, mais à la décision de Dieu clairement manifestée, eut désormais avec ses fils la jouissance assurée de sa charge.

Chapitre IV

Aventures des Hébreux dans le désert durant trente-huit ans.

1. Prolongation de la sédition. -2. Miracle du bâton d’Aaron ; apaisement des esprits. - 3. Villes et dîmes lévitiques. - 4. Revenus des prêtres. - 5. Le roi des Iduméens refuse de laisser passer Moïse par ses États. - 6. Mort de Miriam ; purification par les cendres de la vache rousse. - 7. Mort d'Aaron.

1[24]. Cependant la sédition, même par ce moyen,

n'arriva pas à s’apaiser ; elle ne fit que s'accroître bien davantage et devenir plus aiguë. Elle trouva même pour aller en empirant un motif tel qu'on pouvait croire que le mal ne cesserait jamais, mais se prolongerait indéfiniment. En effet, comme les hommes étaient convaincus désormais que rien ne se produisait sans la providence de Dieu, ils ne concevaient pas qu'il eût fait tout ce qui s'était passé sans vouloir favoriser Moïse, et ils accusaient ce dernier en prétendant que, si le courroux divin avait pris ces proportions, c'était moins à cause de l'iniquité de ceux qui avaient été châtiés qu'à la suite des machinations de Moïse. Les premiers avaient péri sans autre crime que d'avoir témoigné de leur zèle pour le culte de Dieu ; Moïse, lui, avait puni le peuple par la mort de ces personnages, tous de la plus grande distinction, afin de n'être plus exposé à aucune

 

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accusation et pour assurer à son frère la jouissance incontestée du sacerdoce. Nul autre, en effet, n'y ferait plus d'opposition, en voyant que les premiers eux-mêmes avaient péri misérablement. De plus, les parents des victimes sollicitaient souvent le peuple de réduire un peu les prétentions de Moïse ; il y allait, disaient-ils, de leur sécurité.

2F25]. Mais Moïse - depuis longtemps informé des

troubles qui se fomentaient -, craignant quelque nouvelle révolution et qu'il ne se produisît de graves et fâcheux incidents, convoqua le peuple en assemblée ; les griefs qu'il a entendu articuler, il n'essaye pas de s'en disculper, afin de ne pas exaspérer le peuple ; il se borne à prescrire aux phylarques d'apporter les noms de leurs tribus gravés sur des bâtons : celui-là devait obtenir le sacerdoce, au bâton duquel Dieu ferait un signe. On approuve, et tous les apportent, y compris Aaron, qui avait inscrit Lévite sur son bâtonF26]. Moïse les place

tous dans le tabernacle de Dieu. Le jour suivant, il fit sortir les bâtons ; ils étaient reconnaissables, grâce à des signes qu'y avaient faits les hommes qui les avaient apportés, ainsi que le peuple. Or, tous ces bâtons, tels ils paraissaient quand Moïse les avaient reçus, tels on s'aperçut qu'ils étaient demeurés ; mais sur celui d'Aaron on vit que des bourgeons et des rameaux s'étaient développés, ainsi que des fruits mûrs, à savoir des amandes. Car c'était de bois d'amandier qu'était fait ce bâton. Stupéfaits de l'étrangeté de ce spectacle, si quelques-uns avaient de la haine pour Moïse et Aaron, ils y renoncèrent pour commencer d'admirer la sentence que Dieu avait portée à leur sujet, et, dorénavant, applaudissant aux décrets divins, ils permirent à Aaron de jouir heureusement du sacerdoce suprême. C'est ainsi que ce dernier, trois fois investi par Dieu, occupa en sécurité ses fonctions, et que la discorde des hébreux, après avoir régné longtemps, finit par se calmer.

3F27]. Comme la tribu des Lévites était dispensée de la

guerre et du service dans l'armée pour se consacrer au service de Dieu, de peur que, par indigence et par souci de se procurer les choses nécessaires à la vie, ils ne

 

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négligeassent le ministre sacré, Moïse ordonna qu’après la conquête de la Chananée, accomplie selon la volonté de Dieu, les Hébreux assigneraient aux Lévites quarante-huit villes riches et belles, en leur laissant tout autour de ces villes un terrain de deux mille coudées à partir des remparts[28]. En outre[29], il établit que le peuple

payerait la dîme des fruits de chaque année aux Lévites eux-mêmes et aux prêtres[30]. Voilà ce que cette tribu

reçoit du peuple. Mais je crois nécessaire d'indiquer ce que les prêtres reçoivent en particulier de tous les fidèles.

4. D'abord des quarante-huit villes, il établit que les Lévites en céderaient aux prêtres treize[31], et que de la

dîme qu'ils reçoivent du peuple tous les ans ils prélèveraient une dîme pour les prêtres[32]. En outre, il

était établi par la loi que le peuple offrit à Dieu les prémices de tous les produits qui croissent du sol[33], et

que des quadrupèdes[34] que la loi permet d'offrir en

sacrifices, ils présentassent les premiers-nés, si c'étaient des mâles, aux prêtres pour les sacrifier, afin de les manger en famille dans la ville sainte. Quant à ceux qu'il leur est interdit de manger d'après les lois de leurs ancêtres[35], les propriétaires de premiers-nés de ces

espèces devaient payer aux prêtres un sicle et demi[36] ;

pour le premier-né de l'homme il fallait cinq sicles. A eux devaient revenir encore les prémices de la tonte des brebis[37] ; et quand on faisait cuire de la farine et qu'on

fabriquait du pain, il fallait leur offrir quelques-uns des gâteaux cuits[38]. Ceux qui se consacrent eux-mêmes

après avoir fait un vœu - on les appelle des Naziréens[39], ils laissent pousser leur chevelure et

s'abstiennent de vin -, ces gens, lorsqu'ils consacrent leur chevelure et se présentent pour offrir un sacrifice, donnent leurs boucles de cheveux aux prêtres[40]. Ceux

qui se déclarent eux-mêmes korbân à Dieu[41] - cela

signifie dôron (don) en grec -, quand ils veulent se libérer de cette obligation, doivent payer de l'argent aux

prêtres : pour une femme, c'est trente sicles, pour un homme, cinquante[42]. Quant à ceux dont les ressources

sont inférieures aux dites sommes, les prêtres ont le

 

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droit de décider à leur égard comme ils veulent. On est aussi obligé[43], quand on immole chez soi en vue d'un

repas et non pour le culte, d'apporter aux prêtres la caillette, la poitrine et le bras droit[44] de la victime. Tels

sont les revenus abondants que Moïse destine aux prêtres, sans compter ce que dans les sacrifices expiatoires le peuple leur donnait comme nous l'avons indiqué dans le livre précédent[45]. A tous ces

prélèvements attribués aux prêtres, il établit qu'auraient part aussi[46] leurs serviteurs, leurs filles et leurs

femmes, à l'exception des sacrifices offerts pour les péchés ; ceux-là, en effet[47], seuls les prêtres mêmes les

consommaient dans le sanctuaire et le jour même. 5[48]. Quand Moïse eut fait ces règlements après la

sédition, ayant levé le camp avec toute l'armée, il arriva aux confins de l'Idumée, et, ayant envoyé des ambassadeurs au roi des Iduméens, il lui demanda de lui laisser libre passage, lui offrant toutes les garanties qu'il voudrait pour s'assurer qu'il ne recevrait aucun dommage et le priant d'ouvrir un marché à son armée, et de marquer le prix qu’elle aurait à lui payer pour l'eau. Mais ce roi n'agréa pas le message de Moïse, lui refusa le passage et mena ses troupes en armes à la rencontre de Moïse pour les arrêter s'ils tentaient de forcer le passage. Et Moïse, comme Dieu, pressenti, ne lui avait pas conseillé d'engager la lutte, ramena ses forces pour continuer son chemin à travers le désert en faisant un détour.

6[49]. Dans le même temps, la mort surprend sa sœur

Mariamme, quarante années pleines après qu'elle avait quitté I'Égypte, à la néoménie, selon la lune, du mois de Xanthicos. On l'ensevelit aux frais publics en grande pompe sur une montagne qu'on appelle Sin[50]. Et

quand le peuple l'eut pleurée trente jours, Moïse le purifia comme il suit[51]. Le grand-prêtre, après avoir

conduit à une petite distance du camp, dans un endroit parfaitement pur, une génisse encore ignorante de la charrue et du labour, sans défaut, entièrement rousse, la sacrifia et, de son sang, fit sept aspersions avec son doigt en face du tabernacle de Dieu. Ensuite, pendant

 

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qu'on brûle la génisse telle quelle, en entier, y compris la peau et les entrailles, on jette du bois de cèdre au milieu du feu, ainsi que de l'hysope et de la laine écarlate. Puis, ayant recueilli toutes les cendres, un homme pur les

dépose dans un endroit parfaitement propre. Ceux donc qui avaient été rendus impurs par un cadavre[52], après

avoir jeté un peu de cette cendre dans un courant d'eau et y avoir trempé de l'hysope, on les en aspergeait le troisième et le septième jours, et, dès lors, ils étaient purs. C'est ce que Moïse leur prescrivit de faire aussi, une fois arrivés sur les terres que le sort leur assignerait.

7[53]. Après cette purification effectuée à cause du deuil

de la sœur du chef, il emmena ses troupes à travers le désert et l'Arabie. Arrivé à l'endroit que les Arabes tiennent pour leur métropole, ville primitivement appelée Arcé[54], et qu'on nomme aujourd'hui Pétra, là, comme

une haute montagne environnait ce lieu, Aaron la gravit, Moïse l'ayant prévenu qu'il y devait mourir, et, sous les yeux de toute l'armée - car le sol était on pente -, il ôte ses vêtements de grand-prêtre et, les ayant remis à Éléazar son fils, à qui revenait du droit de l'âge le grand pontificat, il meurt à la vue du peuple, s'éteignant la même année où il avait perdu sa sœur, après avoir vécu en tout cent vingt-trois ans. Il meurt à la néoménie, selon la lune, du mois que les Athéniens appellent Hécatombéon, les Macédoniens Lôos, et les Hébreux Abba[55].

Chapitre V

Moïse, ayant vaincu les rois amorrhéens, Sichon et Og, et détruit toute leur armée, partage leur pays entre deux tribus et demie des Hébreux

1. Sichon, roi des Amorrhéens, refuse le passage. - 2. Défaite des Amorrhéens ; conquête de leur pays. - 3. Lutte avec Og ; conquête de son royaume.

1[56]. Le peuple prit le deuil pour lui pendant trente

jours, et ce deuil terminé, Moïse, emmenant de là son armée, arriva au fleuve Arnôn, qui, s'élançant des monts

 

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de l'Arabie et coulant à travers le désert, se jette dans le lac Asphaltite en formant la limite entre la Moabitide et l'Amôritide. Ce pays est fertile et peut nourrir de ses richesses une multitude d'hommes. Aussi Moise envoya vers Sichon, souverain de ce pays, un message pour demander le passage pour son armée sous les garanties qu'il lui plairait d'imposer, promettant de ne causer aucun préjudice ni à la terre, ni aux habitants que Sichon gouvernait, consentant à s'approvisionner sur leurs marchés au profit des Amorrhéens et même, s'ils le voulaient, en leur acheter l'eau. Mais Sichon refuse, arme ses troupes, et se montre tout prêt à empêcher les Hébreux de traverser l'Arnôn.

2F57]. Moïse, voyant les dispositions hostiles de

l'Amorrhéen, ne crut pas devoir supporter cet affront, et, songeant à arracher les Hébreux à l'oisiveté et, avec elle, à cette misère qui, auparavant déjà, les avait fait tomber dans les dissensions et, aujourd'hui encore, les mettait de fâcheuse humeur, il demande à Dieu s'il l'autorise à combattre. Comme Dieu lui promet même la victoire, il se sent lui-même encouragé à la lutte, et il donne de l'élan à ses soldats, leur accordant maintenant de savourer le plaisir de la guerre, puisque la divinité leur permet de s'y livrer. En possession de cette faculté ardemment souhaitée, ils revêtirent leurs armures et marchèrent aussitôt au combat. L'Amorrhéen, devant leur attaque, n’est plus le même ; le roi est frappé de terreur en présence des Hébreux, et son armée, qui se donnait auparavant comme très valeureuse, parut positivement épouvantée. Ainsi, à ce premier choc, n'ayant pu résister et recevoir les Hébreux, ils tournent le dos, estimant que la fuite leur procurera le salut mieux que le combat. Ce qui les rassurait, c'étaient leurs villes, qui étaient fortes, mais qui ne devaient leur servir de rien quand on les y aurait pourchassés. Car les Hébreux, les voyant fléchir, fondent aussitôt sur eux et, jetant le désordre dans leurs rangs, les mettent en déroute. Tout défaits, ils se réfugient dans les villes, tandis que les autres ne se lassent pas de les poursuivre, mais se donnent à tâche d'ajouter à ces premiers revers encore d'autres désastres ; comme ils étaient d'excellents frondeurs et savaient fort bien se servir de tous les traits

 

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à longue portée, que leur armure bien proportionnée leur laissait la légèreté nécessaire pour poursuivre leurs ennemis, ils couraient sur les talons de ceux-ci, et tous ceux qui se trouvaient trop loin pour être pris, ils les frappaient de leurs frondes et de leurs flèches. Il se fait ainsi un grand carnage et les fuyards souffraient de graves blessures. Mais ils étaient accablés plus encore par la soif que par les engins de guerre ; on était, en effet, en plein été, et toute la foule que l'envie de boire jetait pêle-mêle vers le fleuve, toute la masse compacte des fuyards, on les entourait, on les frappait et on les tuait à coups de javelots et de flèches. Leur roi Sichon périt aussi. Les Hébreux dépouillèrent les cadavres et s'emparèrent du butin ; ils recueillirent aussi en abondance les produits du sol, qui se trouvait encore chargé de fruits. Puis les troupes allaient partout sans crainte en quête de fourrage, puisqu'on s'était emparé aussi des villes : car ils ne rencontraient plus aucun obstacle de la part des Amorrhéens, tout ce qui pouvait lutter ayant péri. Telle est la catastrophe qui frappa les Amorrhéens, lesquels manquèrent de force dans le jugement et de valeur dans l'action. Les Hébreux mirent la main sur leur pays. C'est une contrée située entre trois fleuves ; elle présente le caractère d'une île, l'Arnôn la bornant au midi, le Jobacchos bordant son flanc nord (il se jette dans le fleuve Jourdain et y perd son nom) ; enfin la partie occidentale de ce pays est environnée par le Jourdain.

3F58]. Les choses en étaient là, lorsque vient s'attaquer

aux Israélites Og(ès), roi de la Galadène et de la GaulanitideF59], à la tête d'une armée, avec la hâte d'un

allié cherchant à secourir son ami Sichon, et, quoiqu'il trouvât ce dernier déjà anéanti, il n'en résolut pas moins d'entrer en lutte avec les Hébreux, croyant qu'il triompherait et voulant faire l'expérience de leur valeur. Mais, trompé dans son espoir, il mourut lui-même dans la bataille et son armée tout entière périt. Moïse, ayant traversé le fleuve Jobacchos, parcourut le royaume d'Og, détruisant les villes et mettant à mort tous les habitants, qui dépassaient en richesses toutes les populations de l'intérieur grâce à l'excellence du sol et à l'abondance de ses produits. Cet Og avait une stature et une beauté

 

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bien peu communes ; c'était aussi un homme au bras valeureux, de sorte qu'il tirait autant d'avantages de ses exploits que de sa haute taille et de sa belle prestance. Cette vigueur et cette taille, ils s'en firent une idée en s'emparant de son lit dans Rabâtha, la capitale de l'Ammonitide. Ce lit était en fer, de quatre coudées de large, et du double plus une de long. Cet homme abattu, ce ne fut pas seulement pour le présent que les affaires des Hébreux prospérèrent, mais dans l'avenir encore sa mort leur fut une source de bienfaits : en effet, ils prirent soixante villes magnifiquement fortifiées qui lui étaient soumises et ils recueillirent un grand butin, individuellement et tous ensemble.

Chapitre VI

1. Séjour des Israélites dans la plaine vis-à-vis de Jéricho. - 2. Craintes de Balac, roi de Moab ; il mande le devin Balaam pour venir maudire les Hébreux ; Balaam congédie les envoyés. - 3. Nouveau message ; départ de Balaam ; épisode de l'ânesse. - 4. Balaam prédit la grandeur future des Hébreux. - 5. Explications Balaam à Balac ; nouvelles bénédictions. - 6. Fureur de Balac ; conseil de Balaam. - 7. Séduction des jeunes gens hébreux par les femmes madianites. - 8. Conditions imposées par elles. - 9. Dérèglement des Hébreux. - 10. Apostasie de Zambrias ; remontrances de Moïse. - 11. Réplique de Zambrias. - 12. Phinéès le met à mort ; châtiment des coupables. - 13. Conservation par Moïse des prophéties de Balaam.

1[60]. Moïse s'en va installer son camp, après être

descendu avec son armée vers le Jourdain, dans la grande plaine en face de Jéricho (Jérichous)[61]. C'est

une ville prospère, très fertile en palmiers et riche en baume. Les Israélites commençaient à avoir une haute opinion d'eux-mêmes et leur ardeur guerrière se développait. Moïse, après avoir offert durant plusieurs jours des sacrifices d'actions de grâce à Dieu et donné des festins au peuple, envoie une partie de ses hommes ravager le pays des Madianites et s'emparer de leurs villes en les assiégeant. Mais, s'il leur fit la guerre, ce fut

 

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pour la raison suivante.

2F62]. Balac(os), le roi des Moabites, qu'une amitié et une

alliance remontant à leurs aïeux unissaient aux Madianites, voyant à quel développement les Israélites étaient parvenus, conçut de vives inquiétudes pour ses intérêts personnels - il ne savait pas, en effet, que les Hébreux n'ambitionneraient pas d'autres pays, Dieu le leur ayant interdit, après avoir conquis celui des Chananéens -, et avec plus de célérité que de

discernement, il résolut de s'opposer à eux...................................................................... F63]

Combattre contre des hommes que leur fortune, succédant à leur misère, rendait plus hardis, il ne le jugea pas opportun ; il songeait seulement à les empêcher, s'il pouvait, de s'agrandir et à envoyer un message aux Madianites à leur sujet. Ceux-ci, comme il existait un certain Balam(os)F64], venu des pays de

l'Euphrate, le meilleur devin de l'époque, qui était en relations d'amitié avec eux, envoient avec les messagers de Balac des hommes notables de chez eux pour inviter le devin à venir prononcer des malédictions pour la perte des Israélites. Quand les envoyés arrivent, Balam les reçoit avec hospitalité et bienveillance, et, après le repas, il demande à Dieu ce qu'il pense de l'objet pour lequel les Madianites l'appellent. Comme Dieu marque de l'opposition, il revient vers les envoyés, leur manifeste son désir et son empressement personnelsF65] à

consentir à leur requête, mais leur révèle que Dieu contrecarre son dessein, ce Dieu qui l'a conduit à sa haute renommée en lui inspirant la vérité et en la lui faisant prédire. C'est qu'en effet, l'armée contre laquelle ils l'invitent à venir prononcer des imprécations est en possession de la faveur de Dieu. Et il leur conseille pour cette raison de s'en retourner chez eux en renonçant à leur haine contre les Israélites. Après ces paroles, il congédie donc les envoyés.

3F66]. Mais les Madianites, sur les vives instances de

Balac et les incessantes sollicitations qu'il leur adressaient, envoient de nouveau vers Balam. Ce dernier, voulant faire quelque plaisir à ces gens, consulte Dieu. Dieu, à qui cette tentative même déplaisait, lui or-

 

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donne de ne contredire en rien les envoyés. Et Balam, sans comprendre que c'était par artifice que Dieu lui avait donné cet ordre, s'en va on compagnie des envoyés. Mais, en route, un ange divin se présentant à lui dans un endroit resserré, environné d'une double haie de ronces, l'ânesse qui portait Balam, sentant en face d'elle le souffle divin, entraîne Balam vers l'une des clôtures, insensible aux coups dont la frappait le devin gêné d'être ainsi pressé contre la haie. Mais comme, l'ange étant tout près d'elle, l'ânesse s'était accroupie sous les coups, la volonté divine lui fit prendre une voix humaine et elle reprocha à Balam l'injustice avec laquelle, sans avoir à se plaindre de ses services passés, il l'accablait de coups, faute de comprendre qu'aujourd'hui, c'était le dessein de Dieu qui l'éloignait de ceux auxquels il avait hâte d'aller prêter son ministère. Tandis qu'il est tout troublé d'entendre l'ânesse proférer une voix humaine, l'ange, lui apparaissant soudain en personne, lui reproche ses coups, car la bête n'était pas en faute ; c'était lui-même qui entravait un voyage entrepris contre la volonté divine. Tout tremblant, Balam se montrait disposé à rebrousser chemin, mais Dieu le poussa à marcher droit en avant, lui prescrivant de révéler ce que Dieu lui mettrait dans l'esprit.

4F67]. Après ces recommandations de Dieu, il arrive chez

Balac, et, le roi l'ayant reçu magnifiquement, il demande qu'on le mène sur quelque hauteur afin de voir la disposition du camp des Hébreux. Balac s'en va lui-même conduire le devin, au milieu de tous les honneurs, avec l'escorte royale sur une colline qui se trouvait au-dessus d'eux et à soixante stades de distance du camp. Quand il vit les Hébreux, il invita le roi à construire sept autels et à faire amener autant de taureaux ainsi que de béliers. Le roi s’en étant acquitté sur-le-champ, il brûle en holocauste les victimes égorgées. Comme il y vit le signe d'une fuite : « Ce peuple, dit-il, est bien heureux, lui que Dieu va mettre en possession de biens innombrables et à qui il accorde pour toujours comme alliée et comme guide sa providence. Certes, il n'est pas de race humaine sur laquelle votre vertu et votre passion pour les occupations les plus nobles et les plus pures de crime ne vous donnent la précellence, et c'est à des

 

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enfants supérieurs encore que vous laisserez cet héritage, Dieu n'ayant de regards que pour vous parmi les hommes et vous donnant largement de quoi devenir le peuple le plus fortuné sous le soleil. Ainsi ce pays vers lequel il vous envoie lui-même, vous l'occuperez ; il sera toujours soumis à vos enfants et de leur renommée se rempliront toute la terre et la mer. Vous suffirez au monde en fournissant chaque pays des habitants issus de votre race. Admirez donc[68], armée bienheureuse,

d'être cette grande progéniture d'un unique ancêtre. Mais c'est la petite partie d'entre vous que contiendra maintenant la terre chananéenne ; le monde entier, sachez-le, s'étend devant vous comme une habitation éternelle. La plupart, vous irez vivre dans les îles comme sur le continent, plus nombreux même que les astres au ciel. Mais, si nombreux que vous soyez, la divinité ne se lassera pas de vous donner en abondance les biens les plus variés pendant la paix, la victoire et le triomphe dans la guerre. Que les enfants de vos ennemis soient saisis[69] du désir de vous faire la guerre, qu'ils

s'enhardissent à prendre les armes et à en venir aux mains avec vous. Car nul ne s'en retournera vainqueur ou en mesure de réjouir ses enfants et ses femmes. Tel est le degré de valeur où vous élèvera la providence divine, qui a le pouvoir d'amoindrir ce qui est de trop et de suppléer à ce qui manque. »

5[70]. Voilà ce qu'il prédit dans une inspiration divine ; il

n'était plus maître de lui, c'était le souffle divin qui lui dictait ses paroles. Mais comme Balac s'indignait et l'accusait de transgresser les conventions en vertu desquelles il l'avait fait venir de chez ses alliés en échange de grands présents, - venu, en effet, pour maudire ses ennemis, voilà qu'il les célébrait et les désignait comme les plus heureux des hommes - :

« Balac, dit-il, as-tu réfléchi sur toutes choses et crois-tu qu'il nous appartienne de taire ou de dire quoi que ce soit sur de tels sujets, quand nous sommes envahis par l'esprit de Dieu ? Mais cet esprit fait entendre les mots et les paroles qu'il lui plait et nous n'en savons rien. Pour moi, je me souviens bien sous l'empire de quel besoin vous m'avez fait venir ici, toi et les Madianites avec tant d'empressement, et pourquoi aussi je vous ai fait cette

 

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visite, et mon vœu était de ne mécontenter en rien ton désir. Mais Dieu est plus fort que ma résolution de t'être agréable. Ceux-là, en effet, sont tout à fait impuissants qui prétendent prédire les affaires humaines en ne prenant conseil que d'eux-mêmes, au point de ne pas exprimer ce que la divinité leur suggère, et de violer son dessein. Car rien en nous, une fois qu'elle commence à nous inspirer, ne nous appartient plus. Ainsi moi, je n’avais pas l'intention de faire l'éloge de cette armée ou de raconter quels bienfaits Dieu ménage à leur race ; c'est parce qu'il leur est propice et s'empresse de leur procurer une vie de félicité et une gloire éternelle qu'il m'a inspiré et m'a fait prononcer ces paroles. Mais à présent, comme j'ai à cœur d'être agréable à toi et aux Madianites, dont il ne convient pas de repousser la requête, allons édifier encore d'autres autels et offrons des sacrifices pareils aux précédents ; peut-être pourrai-je persuader Dieu de me laisser vouer ces hommes aux malédictions ». Comme Balac y consent, il sacrifie pour la seconde foisF71], mais sans que la divinité lui accorde

de proférer des malédictions contre les Israélites ; et il eut beau sacrifier une troisième foisF72], après avoir fait

dresser encore d’autres autels, même alors, il ne prononça pas d'imprécations contre les Israélites ; mais, étant tombé sur sa face, il préditF73] les malheurs

qu'éprouveraient les rois et les villes les plus célèbres, dont quelques-unes n’avaient pas seulement commencé encore d'être habitées, et tout ce qui devait arriver aux hommes dans la suite des temps sur terre et sur mer jusqu'à l’époque où je vis ; et, parce que tout s'est effectué comme il l'annonçait, on pourrait conjecturer qu'il en sera de même à l'avenir.

6. Balac, furieux que les Israélites n'eussent pas été maudits, congédia Balam sans lui témoigner aucun honneur. Celui-ci s'en allait déjà et il était sur le point de franchir l'Euphrate, quand faisant venir Balac et les chefs des Madianites : « Balac, dit-il, et vous, Madianites ici présents - car il faut qu'en dépit de la volonté divine je vous donne satisfaction -, sans doute, la race des Hébreux ne périra jamais complètement, ni par la guerre, ni par la peste, ni par la disette des fruits de la terre, et aucune autre cause imprévue ne l'anéantira.

 

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Dieu, en effet, prend soin d'eux pour les préserver de tout mal et ne jamais laisser s'abattre sur eux une catastrophe qui les fasse tous périr. Il pourra bien leur arriver quelques désastres de moindre importance et de moindre durée, mais ils ne paraîtront abaissés ainsi que pour refleurir ensuite à la terreur de ceux qui leur auront causé ces dommages. Quant à vous, si vous désirez gagner pendant quelque temps un peu d'avantage sur eux, voici, pour y arriver, ce qu'il vous faudra faire[74]. Celles de vos filles qui ont le plus

d'attraits extérieurs et sont le plus capables par leur beauté de contraindre et de vaincre la chasteté de ceux qui les regardent, après avoir paré leurs charmes pour leur ajouter le plus d'agrément possible, envoyez les à proximité du campement des Hébreux, et donnez-leur l'ordre de s'offrir aux jeunes gens qui les désireront. Lorsqu'elles les verront sous l'empire de leurs passions, qu'elles les quittent et, s'ils les supplient de rester, qu'elles ne consentent pas avant de les avoir persuadés de renoncer aux lois de leurs pères et au Dieu qui les leur a imposées, et d'aller servir les dieux des Madianites et des Moabites. C'est ainsi que Dieu s'enflammera de courroux contre eux[75]. »

7. Après leur avoir suggéré ce plan, il s'en va. Les Madianites ayant envoyé leurs filles selon ses conseils, les jeunes Hébreux se laissent prendre aux charmes de leurs traits et, liant conversation avec elles, les prient de ne pas leur refuser de jouir de leur beauté et d'avoir commerce avec elles. Celles-ci, ayant accueilli avec joie leurs paroles, se prêtent à leur désir. Mais, après les avoir enchaînés par l'amour qu'elles leur inspirent, au moment où leur désir atteignait toute sa force, elles se disposent à se séparer d'eux. Une profonde tristesse les envahit à cause du départ de ces femmes ; ils les supplient instamment de ne pas les abandonner, mais de demeurer là pour devenir leurs épouses et être désignées comme les maîtresses de tout ce qu’ils possédaient. Et cela, ils le déclarent avec serments, prenant Dieu pour arbitre de leurs promesses, et s'efforçant par leurs larmes et de toutes les manières d'exciter la pitié de ces femmes. Celles-ci, quand elles les jugèrent bien subjugués et complètement liés par cette

 

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intimité, commencèrent à leur parler ainsi :

  1. « Nous avons, ô les plus nobles des jeunes gens, des maisons paternelles, des biens en abondance, la bienveillance et l'affection de nos parents et des nôtres. Et ce n'est faute de rien de tout cela que nous sommes venues ici nous mettre en relations avec vous, ce n'est pas pour trafiquer du printemps de notre corps que nous nous sommes laissé adresser vos vœux ; c'est parce que nous vous croyons honnêtes et justes que nous avons consenti à honorer vos prières de cet accueil hospitalier. Et maintenant, puisque vous dites avoir des sentiments d'amitié pour nous et être chagrinés de notre prochain départ, nous ne repoussons pas, quant à nous, votre requête. Mais c'est après avoir reçu de vous le seul gage d'affection qui nous paraisse avoir de la valeur, que nous consentirons à achever notre vie avec vous en qualité d'épouses. Car il est à craindre qu'ayant pris le dégoût de notre commerce, vous ne nous fassiez ensuite outrage et ne nous renvoyiez déshonorées chez nos parents ». Ils croient devoir acquiescer à ces réserves. Et, comme ils consentent à leur donner ce gage qu'elles exigent, sans élever aucune objection, tant ils ont de passion pour elles : « Puisque, disent-elles, ces conditions vous agréent, mais que vous avez des coutumes et un genre de vie absolument étrangers à tout le monde, au point de vous nourrir d'une façon spéciale et de ne pas boire comme les autres, il est nécessaire, si vous voulez demeurer avec nous, de révérer aussi nos dieux[76] ; il

ne saurait y avoir d'autre preuve de cette affection que vous dites avoir actuellement pour nous et que vous aurez par la suite, sinon d'adorer les mêmes dieux que nous. Nul ne saurait vous faire un grief d'adopter les dieux particuliers au pays où vous venez, surtout quand nos dieux sont communs à tous les hommes, tandis que le vôtre est étranger à tous ». Il leur fallait donc, disaient-elles, ou avoir les mêmes opinions que tous les hommes ou chercher un autre monde, où ils pussent vivre seuls, selon leurs propres lois.

  1. Ceux-ci, sous l'empire de leur amour pour elles, tenant ces discours pour excellents et s'étant soumis à leurs avis, transgressèrent les lois paternelles, acceptant

 

Zone de Texte: 11. Mais Zambrias s'étant levé après lui : « Moïse, dit-il, pour ta part, observe ces lois auxquelles tu as donné tesFLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

la croyance qu'il est plusieurs dieux, et, s'étant décidés à leur sacrifier selon le rite des gens du pays, ils prirent plaisir aux mets étrangers et ne cessèrent, pour être agréables à ces femmes, de faire le contraire de ce que la loi leur ordonnait ; bientôt dans toute l'armée se propageF77] cette désobéissance des jeunes gens et une

sédition bien plus grave que la précédente s'abat sur eux, avec le danger d'une ruine complète de leurs institutions propres. Car la jeunesse, une fois qu'elle avait goûté aux mœurs étrangères, s'en grisait avec une ardeur insatiable. Et même ceux des grands, que les vertus de leurs ancêtres mettaient en vue, succombaient à la contagion.

10F78]. ZambriasF79], le chef de la tribu de Siméon, qui eut commerce avec ChosbieF80] la Madianite, fille de

Sour(os), un des princes de ce pays, invité par cette femme à préférer aux décrets de Moïse son bon plaisir à elle, se mit à sa dévotion, en cessant de sacrifier selon les lois paternelles et en contractant un mariage étranger. Les choses en étaient là, quand Moïse, de crainte de pires événements, réunit le peuple en assemblée ; il s'abstint d'accuser personne nommément pour ne pas réduire au désespoir ceux qui, à la faveur du mystère, pouvaient revenir à d'autres sentiments, mais il leur ditF81] qu'ils avaient agi d'une manière

indigne d'eux et de leurs parents en préférant la volupté à Dieu et à une vie conforme à sa loi, qu'il convenait, pour que tout allât de nouveau bien, qu'ils se repentissent, en se persuadant que le courage ne consiste pas à violer les lois, mais à résister à ses passions. En outre, il déclara qu'il n'était pas raisonnable, après avoir montré de la retenue pendant qu'ils étaient dans le désert, de se livrer maintenant, dans la prospérité, au dérèglement, et ainsi de perdre par l'abondance ce qu'ils avaient acquis par la misère. Moïse, en leur tenant ce langage, tentait de redresser les jeunes gens et de les amener à se repentir de leur conduite.

 

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soins, et dont tu as assuré la stabilité en les fondant sur la naïveté de ces hommes, car, s'ils n'avaient pas ce caractère, tu aurais déjà éprouvé par maints châtiments qu'il n'est pas facile d'en imposer aux Hébreux. Mais, quant à moi, tu ne me feras pas suivre tes ordonnances tyranniques ; car tu n'as fait autre chose jusque maintenant, sous prétexte de lois et de culte divin, que de nous asservir et de te donner le pouvoir par tes méchants artifices, en nous privant des agréments et des franchises de la vie qui appartiennent aux hommes libres et sans maître. Ce serait, de ta part, montrer plus de dureté pour les Hébreux que les Egyptiens, que de prétendre châtier au nom des lois ce que chacun entend faire pour son agrément personnel. C'est bien plutôt toi qui mériterais une punition, pour avoir projeté d'annuler ce que, d'un commun accord, tout le monde a trouvé excellent et pour avoir essayé de faire prévaloir contre l'avis général tes propres extravagances. Pour moi, on m'arracherait à bon droit à ma condition actuelle, si, après avoir jugé ma conduite honnête, j'hésitais néanmoins, ensuite, à dire publiquement mon sentiment à ce sujet. Oui, c'est une femme étrangère, comme tu dis, que j'ai épousée - c'est de moi que tu apprends mes actes, c'est d'un homme libre ; aussi bien ne pensé-je point m'en cacher -, et je sacrifie aux dieux à qui je crois devoir sacrifier, croyant bien faire en empruntant au grand nombre les éléments de la vérité et en ne vivant pas comme dans une tyrannie, en faisant dépendre d'un seul tout l'espoir de ma vie entière. Et nul ne pourra se vanter de se montrer plus maître de mes actions que ma propre volonté. »

12. Quand Zambrias eut ainsi parlé au sujet de sa faute et de celle de quelques autres, le peuple garda le silence, anxieux de ce qui allait se passer et voyant que le législateur ne voulait pas exciter outre mesure la folle témérité de cet homme par une discussion violente. Il craignait, en effet, que l'insolence de son langage ne trouvât beaucoup d'imitateurs qui jetteraient le trouble parmi le peuple. Là-dessus l'assemblée prit fin. Et peut-être que ces coupables tentatives se fussent propagées davantage, si Zambrias n'eût péri promptement dans les circonstances suivantes[82]. Phinéès(ès)[83], un homme

 

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qui, par toutes sortes de mérites, surpassait les autres jeunes gens et qui, grâce au rang de son père, l'emportait de beaucoup sur ceux de son âge - car il était fils du grand-prêtre Eléazar et avait Moïse pour grand-oncle paternel -, dans la douleur que lui causaient les forfaits de Zambrias et avant que son insolence ne se fortifiât grâce à l'impunité, décidé à lui faire subir de ses mains le châtiment et à empêcher que la rébellion ne gagnât plus de gens encore si les premiers n'étaient frappés, doué d'ailleurs d'une hardiesse d'âme et d'une valeur corporelles si éminentes qu'aux prises avec quelque danger, il ne s'en allait pas avant d'avoir gagné l'avantage et remporté la victoire, Phinéès se rendit dans la tente de Zambrias, et le tua d'un coup de lance ainsi que Chosbie. Et tous les jeunes gens qui voulaient faire preuve de vertu et d'amour du bien, imitant l'acte hardi de Phinéès, mirent à mort tous ceux qui s'étaient rendus coupables des mêmes crimes que Zambrias. Il périt ainsi, grâce à leur virile énergie, beaucoup de ceux qui avaient enfreint les lois, le reste fut détruit par la peste, car Dieu leur envoya cette maladie. Et tous ceux de leurs parents, qui, au lieu de les retenir, les avaient poussés à ces actes, considérés par Dieu comme leurs complices, périrent. Ainsi les hommes qui moururent dans leurs rangs ne furent pas moins de vingt-quatre mille[84].

13. Irrité par cet événement, Moïse envoya l'armée pour exterminer les Madianites ; nous reviendrons bientôt à cette expédition quand nous aurons raconté, au préalable, un fait que nous avions omis. Car il convient en cette circonstance de ne pas laisser sans éloges l'attitude du législateur. Ce Balam, en effet, qui avait été invité par les Madianites à prononcer des malédictions contre les Hébreux et qui en avait été empêché par la providence divine, mais qui suggéra un avis tel que, les ennemis s'y étant conformés, peu s'en fallut que le peuple des Hébreux ne fut corrompu dans ses mœurs et qu'un fléau se répandit parmi quelques-uns, Moïse lui fit le grand honneur de consigner par écrit ses prophéties[85]. Et, alors qu'il lui était loisible de s'en

attribuer la gloire et de la revendiquer pour lui, aucun témoin ne pouvant se produire pour l'en reprendre, c’est à Balam qu'il a laissé ce témoignage et il a daigné

 

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perpétuer son souvenir.

On peut d'ailleurs considérer tout cela comme on voudra.

Chapitre VII

1. Expédition contre les Madianites ; victoire des Hébreux ; partage du butin. - 2. Moïse désigne Josué pour son successeur. - 3. Attribution de l’Amôritide aux tribus de Ruben et de Gad et à la demi-tribu de Manassé. - 4. Les villes de refuge. - 5. Règlement sur les héritages.

1[86]. Moise, pour les motifs que j'ai dits précédemment,

envoya vers le pays des Madianites une armée de douze mille hommes en tout, choisis à nombre égal dans chaque tribu. Pour chef, il leur désigna ce Phinéès dont nous venons justement d'indiquer comment il conserva aux Hébreux leurs lois et châtia Zambrias de les avoir transgressées. Les Madianites, prévenus que l'armée marche sur eux et que sous peu elle sera là, rassemblent leurs troupes, et, après avoir fortifié les passages par où ils allaient recevoir les ennemis, ils les attendent. Ceux-ci arrivés et le combat engagé, il tombe dans les rangs des Madianites une multitude inimaginable et défiant le calcul, et avec eux tous leurs rois[87]. Ils étaient cinq,

Oéos et Sourès, puis Robéès et Ourès, et, en cinquième lieu, Rékem(os)[88] : la ville qui porte son nom est la

plus renommée du pays des Arabes et, aujourd'hui encore, tous les Arabes l'appellent, du nom du roi qui l'a fondée, Rékémé[89] ; c'est la Pétra des Grecs. Une fois

les ennemis en déroute, les Hébreux pillèrent leur pays, et, après avoir pris force butin et fait périr les habitants avec leurs femmes, ils ne laissent que les jeunes filles, comme Moïse l'avait recommandé à Phinéès. Celui-ci revient avec l'armée intacte et un butin abondant ; des bœufs au nombre de 52.000[90], 675.000 brebis, 60.000

ânes[91], et une quantité infinie d'ustensiles d'or et

d'argent qu'on employait à l'usage domestique ; car la prospérité les avait rendus fort luxueux. Il emmenait aussi les vierges, au nombre de 32.000 environ. Moïse,

 

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ayant partagé le butin, donne un cinquantième de la première moitié[92] à Éléazar et aux prêtres, un

cinquantième de l'autre aux Lévites, et le reste, il le partage entre le peuple. Ils vécurent par la suite dans la prospérité, car cette abondance de biens, ils la devaient à leur courage, et rien de fâcheux ne vint les empêcher d'en jouir.

2[93]. Moïse, déjà avancé en âge, désigne Josué pour lui

succéder dans ses fonctions de prophète et pour conduire l'armée quand il le faudrait : Dieu lui-même avait ordonné de lui confier le gouvernement des affaires. Josué s'était instruit d'une façon complète dans les lois et les choses divines sous l'enseignement de Moïse.

3[94]. En ce même temps, les deux tribus de Gad et de

Roubel et la demi-tribu de Manassé, qui possédaient de grandes quantités de bétail et toutes sortes d'autres richesses, après s'être entendues, prièrent Moïse de leur donner, à titre de prélèvement, l'Amôritide, qu'on avait conquise à la guerre ; car elle était excellente pour l'élève des troupeaux. Mais lui, croyant que c'était la crainte d'aller se battre contre les Chananéens qui leur avait fait trouver ce beau prétexte du soin des troupeaux, les traite de lâches, les accusant d'avoir imaginé une habile excuse à leur pusillanimité, parce qu'ils désiraient couler mollement une vie exempte de fatigues, quand tout le monde s'était donné de la peine pour conquérir ce pays qu'ils réclamaient : ils ne voulaient pas, prenant leur part des luttes qui restaient à soutenir, occuper le pays que Dieu avait promis de livrer à ceux qui auraient franchi le Jourdain, « après avoir triomphé, dit-il, de ceux qu'il nous a désignés comme ennemis ». Ceux-ci, voyant sa colère, et jugeant qu'il avait raison de s'irriter de leur requête, se disculpent en disant que ce n'était ni par crainte des périls ni par paresse au travail qu’ils avaient fait leur demande ; c'était pour que, en laissant leur butin en un endroit convenable, ils pussent marcher bien alertes aux luttes et aux combats. Ils se disaient prêts, une fois qu'ils auraient fondé des villes pour y mettre en sûreté leurs femmes, leurs enfants et leurs biens avec son consentement, à partir avec l'armée.

 

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Moïse[95], satisfait de ce langage, après avoir appelé

Éléazar le grand-prêtre et Josué et tous les magistrats, accorde à ces tribus l'Amôritide, à la condition de combattre avec leurs frères jusqu'à ce que la conquête soit complète. Ayant ainsi reçu à ces conditions ce territoire et ayant fondé des villes fortes, ils y laissèrent enfants, femmes et, enfin, tout ce qui, s'ils avaient dû l'emmener avec eux, eût été une entrave à leur activité.

4[96]. Moïse bâtit aussi les dix villes qui devaient entrer

dans le compte des quarante-huit ; il en attribua trois à ceux qui fuiraient pour un meurtre involontaire et il établit que l'exil durerait le temps de la vie du grand-prêtre à l'époque duquel le meurtrier aurait fui ; après la mort du grand-prêtre, il lui permettait le retour, les parents de la victime ayant, d'ailleurs, le droit de le tuer, s'ils surprenaient le meurtrier hors des limites de la ville où il s'était réfugié ; mais il ne donnait ce droit à aucun autre. Les villes, désignées pour servir de refuges, étaient les suivantes : Bosora[97] sur les confins de l'Arabie,

Arimanon[98] du pays des Galadéniens et Gaulanâ dans

la Batanée. Mais, après qu'ils auraient conquis le pays des Chananéens, trois autres villes des Lévites devaient être réservées aux fugitifs comme résidence, selon les recommandations de Moïse.

5[99]. Moïse, comme les premiers de la tribu de Manassé

s'approchaient de lui et l'informaient qu'il était mort un personnage de marque de leur tribu du nom d'Holophantès, lequel n'avait pas laissé d'enfants mâles, mais des filles, et comme ils demandaient si l'héritage reviendrait à celles-ci, leur répond que, si elles veulent s'unir à des gens de leur tribu, elles iraient à eux avec leur lot d'héritage, mais si elles contractaient mariage dans une autre tribu, elles devraient laisser leur lot dans la tribu de leur père. Et alors il établit que le lot de chacun demeurerait dans sa tribu[100].

Chapitre VIII

Constitution de Moïse et comment il disparut du milieu des hommes.

 

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1. Convocation d'une assemblée. - 2. Moise, avant de

mourir, exhorte son peuple et lui donne une

constitution. - 3. Regrets des Hébreux - 4.

Considérations sur la rédaction des lois. - 5. La ville sainte et le Temple. - 6. Lois sur le blasphème. - 7. Pèlerinage triennal au Temple. - 8. Dîme des fruits. - 9. Argent inutilisable pour l'offrande de sacrifices. - 10. Défenses relatives aux cultes étrangers. - 11. Défense relative au mélange de la laine et du lin. - 12. Lecture septennale de la législation. - 13. Prières quotidiennes. - 14. Administration de la justice. - 15. Les témoignages. - 16. Meurtres dont l'auteur reste inconnu. - 17. Devoirs des rois. - 18. Respect des limites. - 19. Plants de la quatrième année. - 20. Défenses relatives aux plantes et aux animaux hétérogènes. - 21. Droits des pauvres, des bêtes et des passants sur les produits du sol ; peine de la flagellation. - 22. Dîme triennale des veuves et des orphelins ; déclaration après l'acquittement des redevances. - 23. Lois matrimoniales. - 24. Lois sur la rébellion des enfants. – 25. Le prêt à intérêt. - 26. La restitution des gages. - 27. Lois sur le vol. - 28. Lois sur l'esclavage. - 29. La restitution des objets trouvés. - 30. Assistance aux bêtes en détresse. - 31. Obligation de renseigner les personnes égarées. - 32. Défense de médire des sourds et des muets. - 33. Lois sur les rixes. - 34. Lois sur les poisons. - 35. Lois sur l'estropiement. - 36. Le bœuf heurteur. - 37. Prescriptions concernant les puits et les terrasses. - 38. Les dépôts ; défense de retenir les salaires. - 39. Responsabilité individuelle. - 40. Éloignement des eunuques et des castrats. - 41. Vœux de Moïse ; manière d'engager les guerres. - 42. Sièges et représailles. - 43. Décence dans le costume. - 44. Remise par Moïse des lois et des écrits saints ; bénédictions et malédictions. - 45. Exhortation au peuple. - 46. Prédictions de Moïse ; sa fin. - 47. Ses dernières paroles. - 48. Émotion du peuple. - 49. Éloge de Moïse.

1F101]. Quand les quarante années furent accomplies, à

trente jours près, Moïse, ayant convoqué une assemblée près du Jourdain, là où se trouve aujourd'hui la ville d'AbiléF102] - c'est une localité où abondent les palmiers -

 

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, le peuple tout entier réuni, leur adressa ces paroles : 2F103]. « O mes compagnons d’armes, vous qui avez

partagé avec moi ces longues misères, puisque, Dieu l'ayant décidé désormais et ma vieillesse ayant atteint l'âge de cent-vingt ans, il faut que je quitte la vie, et que dans vos campagnes au-delà du Jourdain je ne serai pas là pour vous secourir et combattre avec vous, car Dieu m'en empêche, j'ai cru bien faire de ne pas renoncer cependant encore à mon zèle pour votre bonheur, mais de procurer à vous la jouissance perpétuelle de vos biens et à moi un monument impérissable comme à l'auteur de votre prospérité. Eh bien donc, c'est après vous avoir indiqué le moyen d'arriver au bonheur et de laisser vos enfants en possession d'une abondance perpétuelle que je quitterai la vie. Je suis digne de confiance, en raison même des luttes que j'ai soutenues précédemment dans votre intérêt et parce que les âmes arrivées au terme de l'existence s'expriment avec une vertu parfaite.

« O fils d'IsraëlF104], il n'est pour tous les hommes

qu'une seule source de prospérité, c'est un Dieu propice : lui seul a le pouvoir de donner le bonheur à ceux qui en sont dignes et de l'enlever à ceux qui ont péché contre lui ; si vous vous montrez à ce Dieu tels qu'il le désire, lui, et tels que moi, qui connais sa pensée clairement, je vous y exhorte, vous ne cesserez d'être heureux et d'exciter l'envie de tous, et ces biens que vous avez déjà actuellement, la possession vous en demeurera assurée, et ceux qui vous manquent, vous les aurez bientôt entre vos mains. Pourvu seulement que vous obéissiez à ces lois que Dieu veut que vous suiviez, que vous ne préfériez pas à votre législation présente une autre constitution et qu'au mépris des sentiments de piété que vous témoignez aujourd'hui à Dieu, vous ne vous laissiez aller à d'autres mœurs. Mais, en agissant comme vous le devez, vous serez les plus forts de tous dans les combats, et vous ne vous ferez prendre par aucun ennemi. Car, si Dieu est à vos côtés pour vous secourir, vous pourrez raisonnablement les mépriser tous. A votre vertu sont proposées de grandes récompenses, si vous la conservez pendant toute votre vie ; elle est elle-même d'abord le plus précieux des

 

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biens, et puis elle vous procure les autres en abondance, ensuite que, si vous la pratiquez entre vous, elle vous assurera une vie de félicité, vous rendra plus illustres que les peuples étrangers et vous préparera une renommée incontestée auprès des générations futures. Or ces biens, vous y pourrez atteindre, si vous écoutez et observez les lois que j'ai composées sous la dictée de Dieu et si vous vous exercez à les comprendre. Je me sépare de vous, heureux moi-même de votre bonheur, après vous avoir confiés à la sagesse des lois, au bon ordre de la constitution et aux vertus des chefs qui auront soin de vos intérêts. Et Dieu, qui jusque maintenant vous a gouvernés, et par la volonté duquel j'ai pu moi-même vous être utile, ne bornera pas ici l'action de sa providence, mais tout le temps que vous désirerez avoir sa protection, en restant attachés à des occupations vertueuses, vous pourrez compter sur sa sollicitude. En outre, les doctrines les meilleures, à l'obéissance desquelles vous devrez la félicité, vous seront exposées par Éléazar le grand-prêtre et Josué, ainsi que par le Conseil des Anciens et les magistrats des tribus : écoutez-les sans mauvaise grâce, en comprenant que ceux qui savent bien obéir sauront aussi gouverner eux-mêmes, s'ils arrivent à en avoir le pouvoir, et croyez que la liberté ne consiste pas à vous indigner contre ce que vos chefs prétendent que vous accomplissiez. Maintenant, en effet, c'est dans la faculté d'injurier vos bienfaiteurs que vous mettez votre franc-parler : si à l'avenir vous vous en gardez, les choses en iront mieux pour vous. N'ayez jamais contre ces chefs de colère pareille à celle que vous avez osé si souvent manifester contre moi : car vous savez que j'ai plus souvent risqué de périr par vous que par les ennemis. Si je vous présente ces observations, ce n'est pas pour vous accabler de reproches - au sortir de la vie, je n'ai pas l'intention de vous laisser affligés en remuant ces souvenirs, moi qui, même au moment où j’ai subi tout cela, n'ai point ressenti de colère -, c'est pour que cette pensée même serve à l'avenir à vous modérer et que vous ne vous livriez contre ceux qui seront à votre tête à aucune violence, cédant à l'entraînement de la richesse qui vous viendra quand vous aurez passé le Jourdain et conquis la Chananée ; car si vous vous laissez entraîner

 

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par elle à du mépris et à de l'indifférence pour la vertu[105], vous perdrez même la faveur que Dieu vous

témoigne. Or, si vous vous attirez son hostilité, d'abord, le pays que vous posséderez, vaincus par les armes de vos ennemis, vous le perdrez à votre tour de la façon la plus déshonorante, et, dispersés par toute la terre habitée, vous remplirez le monde entier et la mer de votre servitude. Mais quand vous subirez cette épreuve, inutile sera le repentir et le souvenir des lois que vous n'aurez point observées. Par conséquent, si vous voulez que vos lois vous restent, ne laissez subsister aucun de vos ennemis quand vous les aurez vaincus et croyez qu'il importe pour vous que tous périssent, de peur que, s'ils vivaient, ayant pris goût à leurs mœurs, vous ne viciiez les institutions paternelles. En outre, je vous exhorte à abattre les autels, les bois sacrés et tous les temples qu'ils pourront avoir[106] et à abolir par le feu leur race

et leur souvenir ; c'est ainsi seulement que vous aurez en toute sécurité la jouissance de vos biens à vous. Mais, de peur que, par ignorance du mieux, votre naturel ne vous entraîne au pire, je vous ai composé des lois que Dieu m'a dictées et une constitution telle que, si vous en respectez l'harmonie, vous serez considérés comme les plus heureux du monde. »

3. Ayant ainsi parlé, il leur donne, consignées dans un livre, ces lois et cette constitution. Ceux-ci fondent en larmes et témoignent d'ardents regrets à l'égard de leur général, se souvenant des périls qu'il avait courus et de l'énergie qu'il avait déployée pour les sauver, et augurant mal de l'avenir en songeant qu'ils n'auront plus jamais un pareil chef et que Dieu veillera moins sur eux, puisque Moïse ne sera plus là pour intercéder en leur faveur. Et tous les sentiments, inspirés par la colère, qu'ils lui avaient témoignés pendant le séjour du désert, ils s'en repentaient maintenant en s'affligeant, si bien que tout le peuple, s'abandonnant à ses larmes, ressentait à cause de lui une émotion trop forte pour que des paroles pussent la calmer. Moïse cependant les consolait, et, les détournant de croire qu'il méritait ces larmes, les invitait à mettre en pratique leur constitution. C'est ainsi qu'ils se séparèrent alors.

 

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4. Mais je veux d'abord décrire cette constitution conforme à la réputation de vertu de Moïse et faire connaître par elle à ceux qui me liront quelles furent nos institutions originaires, après quoi je poursuivrai le reste de mon récit. J'ai tout écrit tel que lui nous l'a consigné, je n'y ai ajouté aucun ornement ni rien que n'ait laissé MoiseF107]. Ce qui est nouveau chez nous, c'est le

classement des matières, sujet par sujet ; car il les a laissées écrites à bâtons rompus, au fur et à mesure des instructions partielles qu'il recevait de DieuF108]. Voilà

pourquoi j'ai estimé nécessaire de commencer par ces explications, de crainte que ceux de notre race qui liront cet ouvrage, puissent nous reprocher de nous être trompé. Voici l'ordre de nos lois touchant notre constitution politique. Quant à celles qu'il nous a laissées et qui nous concernent tous dans nos rapports mutuels, je les réserve pour un commentaire qui traitera des coutumes et de leurs raisons d'être et que nous nous sommes proposé, si Dieu seconde notre entreprise, de composer après le présent ouvrageF109].

5F110]. Quand, une fois que vous aurez conquis le pays

des Chananéens et que vous aurez le loisir de jouir de vos biens, vous déciderez dès lors de fonder des villes, voici ce que vous devrez faire pour agir d'une manière agréable à Dieu et posséder une félicité assurée. Vous aurez une ville sainte sur la terre des Chananéens dans l'endroit le plus beau et le plus remarquable pour ses qualités, une ville que Dieu se choisira pour lui-même par une prophétie. Vous aurez un temple unique bâti dans cette ville avec un seul autel de pierres non travailléesF111], mais accumulées avec choix, et qui,

enduites de chaux, aient belle apparence et présentent un aspect bien net. La montée vers l'autel se fera non par des degrés, mais par un remblai qu'on y adossera en pente douce. Dans aucune autre ville vous n'aurez ni autel, ni temple ; car Dieu est un et la race des Hébreux est une.

6F112]. Quiconque aura osé blasphémer Dieu sera lapidé, puis pendu durant toute la journéeF113], et on l'ensevelira sans honneur et obscurémentF114].

 

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7F115]. On devra venir ensemble dans la ville où l'on

aura établi le temple, trois fois par an, des extrémités du pays dont les Hébreux se seront emparés, afin de rendre grâce à Dieu de ses bienfaits et de le prier de les continuer à l'avenir, et afin d'entretenir par ces réunions et des festins célébrés en commun des sentiments d'amitié mutuelle. Car il est bon qu'ils ne s’ignorent pas les uns les autres, étant de la même race et ayant des institutions communes. Et c'est à quoi serviront des relations de ce genre ; en se voyant et en se fréquentant, ils se souviendront d'eux-mêmes, car s'ils demeuraient sans commerce réciproque, on les jugerait absolument étrangers entre euxF116].

8F117]. Vous aurez aussi à prélever la dîme des fruits,

indépendamment de celle que j'ai établi qu'on donnerait aux prêtres et aux LévitesF118] ; cette dîme sera vendue

dans vos villes respectives et elle sera affectée à des repasF119] et à des sacrifices qui se feront dans la ville

sainte : il est juste, en effet, que ces produits de la terre dont Dieu nous a procuré la propriété, vous en jouissiez

en l'honneur de celui qui vous en a fait don.

9F120]. Le salaire d'une femme prostituée ne doit pas

servir à accomplir un sacrifice ; car rien de ce qui provient du déshonneur ne plaît à la divinité ; or, il ne peut rien y avoir de pire que la honte résultant de la prostitution. De même, si pour la saillie d'un chienF121],

soit d'un chien de chasse, soit d'un gardien de troupeaux, on a reçu un salaire, il ne faut pas l'employer en sacrifice à Dieu.

10F122]. Que nul ne blasphème les dieux que d'autres

cités révèrentF123]. Il        ne faut pas piller les temples

étrangers, ni s'emparer de trésors consacrés à quelque divinitéF124].

11F125]. Que personne de vous ne porte de vêtement

tissé de laine et de lin ; car cela est réservé aux prêtres seulsF126].

 

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12[127]. Quand le peuple se sera réuni dans la ville

sainte pour les sacrifices septennaux, à l'époque de la fête de la construction des tabernacles, le grand-prêtre[128], debout sur une estrade élevée d'où il puisse

se faire entendre, devra lire les lois[129] pour tout le

monde : ni femmes, ni enfants ne seront exclus de cette audition et non pas même les esclaves. Car il est bon que ces lois, une fois gravées dans les cœurs, soient ainsi conservées par la mémoire, de façon à ne pouvoir jamais s'effacer. De la sorte, ils ne feront aucun péché, ne pouvant alléguer leur ignorance des prescriptions édictées par les lois. Et ces lois auront pleine autorité contre les délinquants, en ce qu'elles les préviendront de ce qu'ils auront à subir et graveront dans les âmes, grâce à cette audition, tout ce qu'elles prescrivent, de façon que pour toujours ils portent la doctrine de leur peuple en eux[130] : s'ils la dédaignent, ils seront

coupables et deviendront les propres auteurs de leur châtiment. Que les enfants aussi commencent par apprendre les lois ; c’est l'étude la plus belle et la source de la félicité.

13. Deux fois par jour, au commencement de la journée et quand vient l'heure de se livrer au sommeil, ils devront rendre témoignage à Dieu des bienfaits qu'il leur a accordés au sortir du pays des Égyptiens : la reconnaissance se justifie par la nature et, en la témoignant, ils remercieront à la fois Dieu de ses bienfaits passés et se concilieront sa bienveillance future. Ils inscriront aussi sur leurs portes les plus grands bienfaits qu'ils ont reçus de Dieu, et chacun devra les porter visiblement sur les bras ; et tout ce qui peut attester la puissance de Dieu ainsi que sa bonté à leur égard, ils en porteront la mention écrite sur la tête et sur le bras[131], afin qu'on puisse voir de toutes parts

la vive sollicitude dont Dieu les entoure.

14[132]. Qu'il y ait à la tête de chaque ville sept hommes[133] habitués à pratiquer la vertu et à

rechercher la justice ; qu'à chacune de ces magistratures soient adjoints à titre de serviteurs deux hommes de la

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

tribu des Lévites[134]. Que ceux qui seront appelés à

rendre la justice dans les villes soient tenus en grand honneur, de façon que nul ne se permette en leur présence d'injurier ou de tenir des propos insolents ; le respect envers ceux qui sont revêtus d'une dignité inspirera tant de modestie qu'on ne méprisera pas Dieu. Les juges seront maîtres de prononcer selon leur sentiment, à moins qu'on ne vienne les dénoncer comme ayant reçu de l’argent pour fausser la justice, ou qu'on allègue une autre raison pour les accuser de n'avoir pas bien prononcé. Car il ne faut pas, par amour du lucre ou des puissances, faire mauvaise justice ; on doit placer le bon droit au-dessus de toutes choses. Dieu, sans cela, paraîtrait méprisé et plus faible que ceux à qui, par peur de la force, on déciderait d'accorder son suffrage. En effet, c'est de la puissance de Dieu que procède la justice. Si donc on favorise ceux qui occupent un haut rang, on les met au-dessus de Dieu. Que si les juges ne savent pas prononcer sur les faits qui leur sont soumis - pareil cas se présente souvent parmi les hommes -, qu'ils adressent la cause intégralement à la ville sainte, et que, réunis ensemble, le grand-prêtre et le prophète et le conseil des Anciens fassent connaître leur décision[135].

15[136]. On ne se fiera pas à un témoin unique ; il en

faut trois ou au moins deux dont le témoignage sera garanti par leur vie passée. Les femmes ne rendront pas de témoignage[137], à cause de la légèreté et de la

témérité de leur sexe. Les esclaves non plus ne doivent pas témoigner[138], à cause de la bassesse de leur âme ;

car il est naturel que soit la cupidité, soit la crainte les empêche de témoigner selon la vérité. Si quelqu'un est accusé d'avoir fait un faux témoignage[139], il subira, s'il

en est convaincu, la même peine[140] que devait subir celui contre lequel il aura témoigné.

16[141]. Si, lorsqu'un meurtre aura été commis dans un

endroit, on n'en trouve pas l'auteur, et que nul ne soit soupçonné d'avoir tué par haine, il faudra chercher ce meurtrier avec beaucoup de soin, en proposant une récompense au dénonciateur[142] ; mais si personne ne

fait de dénonciation, les magistrats des villes à proximité

 

Zone de Texte: 19[149]. Quand on plante une terre, si ces plants produisent des fruits avant quatre ans, on n’en prélèveraFLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

de l'endroit où le meurtre a été commis et le conseil des Anciens, se réunissant[143], mesureront le terrain

depuis la place où gît le cadavre. Et les autorités de la ville qui en sera la plus rapprochée achèteront une génisse et, après l'avoir conduite dans un ravin[144] et

dans un endroit impropre au labour et aux plantations, devront trancher les muscles du cou de la génisse, puis, après avoir fait une libation d'eau sur la tête de l'animal, les prêtres, les lévites et les Anciens de cette ville proclameront qu’ils ont les mains pures de ce meurtre, qu'ils be l'ont ni commis, ni vu commettre, et ils prieront pour se rendre Dieu propice et pour qu'un terrible malheur de ce genre n'arrive plus au pays.

17[145]. Le gouvernement des meilleurs est ce qu'il y a

de mieux, ainsi que la vie qu'on mène sous ce régime ; ne vous prenez pas à soupirer après une autre forme de gouvernement, mais soyez satisfaits de celle-là, ayant vos lois pour maîtres et faisant tout d'après elles. Car Dieu suffit à vous guider. Mais si vous venez à désirer un roi, qu'il soit de votre race et qu'il ait toujours souci de la justice ainsi que des autres vertus. Qu'il confie aux lois et à Dieu les desseins les plus importants[146], et

qu'il ne fasse rien sans le grand-          prêtre et sans

l'avis des Anciens[147] ; qu'il ne prenne pas beaucoup de

femmes, qu'il ne cherche pas quantité de richesses et de chevaux, car si tout cela vient à lui, il en arrivera à regarder de haut les lois. Qu'on l’empêche donc, s'il montrait trop de goût pour ces choses, de devenir plus puissant que votre intérêt ne le comporte.

18[148]. Ne vous permettez pas de déplacer les bornes ni

de votre terre, ni de la terre de ceux avec lesquels vous êtes en paix ; qu'on se garde de les supprimer, qu'on les considère comme une pierre solide posée par Dieu pour l'éternité. Car des guerres et des querelles naissent de ce que les gens cupides veulent aller au-delà de leurs limites. Ils ne sont pas loin, en effet, de transgresser les lois ceux qui déplacent les limites.

 

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pas de prémices pour Dieu et on n'en jouira pas soi-même ; car à ce moment, ils n’ont pu venir tout seuls et, comme la nature a été forcée prématurémentF150], ils ne

peuvent convenir à Dieu, ni servir au propriétaire lui-même. Mais la quatrième année, il doit récolter tout ce qui a poussé, le moment est alors opportun, et, après l'avoir réuni, il l'apportera dans la ville sainteF151] et en

y joignant la dîme des autres fruits, il l'emploiera à faire des festins avec ses amis, ainsi qu'avec les orphelins et les veuves. La cinquième année, il sera maître de faire pour lui la récolte de ses plantations.

20F152]. Un terrain planté de vignes, on ne doit pas

l'ensemencer ; car il a assez à nourrir ce genre de plants et doit être exempt des travaux de labour. On labourera la terre avec des bœufs, sans leur adjoindre sous le joug aucune des autres espèces animales ; celles-ci aussi, on doit les employer séparément pour le labour. Les semences doivent être pures et sans mélanges et il ne faut pas ensemencer deux espèces ou trois en même temps. Car la natureF153] ne se plaît pas à la réunion

des choses dissemblables. Il ne faut pas accoupler des bestiaux d'espèces différentes : car il est à craindre qu'en commençant par là, on ne finisse, même quand il s'agit d'hommes, par manquer d'égard à ceux de sa race ; c'est à cela que peuvent mener des fautes commises sur des sujets insignifiants. Il ne faut rien concéder de ce qui pourrait par imitation engendrer quelque perturbation dans l'Etat ; il faut que même les choses les plus ordinaires n'échappent pas à la vigilance des lois, qui doivent savoir se prémunir elles-mêmes contre tout reproche.

21F154]. En moissonnant et en enlevant les récoltes on

ne glanera pas, mais on abandonnera même un peu de gerbes à ceux qui n'ont rien à manger, comme une aubaine qui servira à leur subsistance. Pareillement, dans la vendange, il faut laisser les grappillons aux pauvres ; il faut aussi oublier un peu des fruits de l'olivier pour les laisser ramasser par ceux qui n'en ont pas à cueillir chez eux. Car une cueillette minutieuse ne donnera pas autant de richesse aux propriétaires que cet

 

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abandon ne leur vaudra de reconnaissance de la part des indigents ; d'ailleurs, la divinité rendra la terre plus ardente à faire croître des fruits, si l'on ne songe pas seulement à son intérêt personnel, mais qu'on se soucie aussi de nourrir autrui. Les bœufs même[155], quand ils

fouleront les épis, on ne les musellera pas dans l'aire ; car il n'est pas juste de priver du fruit nos collaborateurs qui ont peiné pour le produire. Quand les fruits des arbres sont mûrs, il ne faut pas empêcher les passants d'y toucher en chemin[156], mais, comme s'ils leur

appartenaient, leur permettre de s'en rassasier, qu'ils soient indigènes ou étrangers, en se réjouissant de leur fournir le moyen d'avoir leur part de ces fruits mûrs. Mais il ne leur sera pas permis d'en rien emporter. Et les vendangeurs n'empêcheront pas ceux qu'ils rencontreront de goûter de ce qu'ils apportent aux pressoirs ; il n'est pas juste, en effet, que ces bonnes choses qui nous arrivent de par la volonté de Dieu pour notre subsistance, on les refuse à ceux qui en souhaitent une part, alors que l'époque de leur maturité est venue et va bientôt passer ; il est même agréable à Dieu qu'on invite à en prendre tous ceux qui, par réserve, hésiteraient à y toucher, les Israélites d'abord, qui ont comme un droit de participation et de propriété en vertu de leur commune origine, et aussi les gens venus d'ailleurs, à qui on permettra de profiter, en qualité d'hôtes, de ces fruits que Dieu a fait venir à maturité. Il ne faut pas envisager comme des dépenses ce que par libéralité on laisse prendre aux hommes : si Dieu nous procure cette abondance de biens, ce n'est pas pour nous en réserver la récolte, c'est pour en céder aussi généreusement à autrui, et il veut de cette façon que la bonté qu'il témoigne spécialement au peuple israélite et le soin qu'il prend de sa prospérité soient manifestés encore aux autres, grâce à tout le superflu dont ils font profiter ces derniers eux-mêmes[157]. Celui qui agira à

l'encontre de ces règles[158] recevra trente-neuf coups du cuir public[159], peine très infamante qu'il subira,

lui, un homme libre, parce que, esclave de l'intérêt, il a outragé sa dignité. Il vous sied[160], en effet, après les

souffrances que vous avez éprouvées en Égypte et dans le désert, de montrer de la sollicitude pour ceux qui sont

 

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dans une situation analogue et, après avoir reçu tant de biens de la pitié et de la providence de Dieu, d'en distribuer une partie aux nécessiteux par un sentiment semblable.

22[161]. En outre des deux dîmes que j'ai déjà dit de

consacrer chaque année, l'une aux Lévites et l'autre aux festins, il faut en prélever une troisième tous les trois ans[162], afin de distribuer ce qui leur manque aux

femmes veuves et aux enfants orphelins. Les premiers fruits mûrs que chacun aura recueillis[163], il les

apportera dans le temple et, après avoir remercié Dieu pour la terre qui les a portés et qu'il leur a donnée en propriété, après avoir accompli les sacrifices que la loi ordonne d'offrir, on donnera les prémices de ces fruits aux prêtres. Et lorsqu'une personne[164], après avoir

fait tout cela, après avoir offert les dîmes de tout, pour les Lévites et pour les festins avec les prémices, sera sur le point de s'en retourner chez elle, debout en face de l'enceinte du temple, elle remerciera d'abord Dieu de leur avoir donné, après les avoir soustraits aux violences des Égyptiens, un pays fertile et étendu pour jouir de ses fruits ; puis, attestant qu'elle a payé les dîmes et le reste, conformément aux lois de Moïse, elle priera Dieu de lui être toujours bienveillant et propice et de demeurer tel en général pour tous les Hébreux, en leur conservant ce qu'il leur a donné de biens, et en y ajoutant tous ceux dont il peut les gratifier.

23[165]. On devra épouser, une fois en âge de se marier,

une vierge libre et née de parents honnêtes. Celui qui n'épouse point de vierge ne devra point s'unir à une femme qui vit avec un autre homme, en la corrompant, ou en l'enlevant à son premier mari. Des femmes esclaves ne pourront être épousées par des hommes libres[166], même si on y est vivement poussé par

amour ; mais les bienséances et le souci de la dignité doivent triompher de la passion. En outre[167], il ne

peut se faire de mariage avec une prostituée[168], car,

comme elle a déshonoré son corps, Dieu n'agréerait pas les sacrifices offerts à l'occasion de ce mariage. La condition pour que les enfants aient des sentiments

 

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d'homme libre et dirigés vers la vertu, c'est qu'ils ne soient pas le fruit d'une union honteuse[169] ou d'une

passion illégitime. Si quelqu'un[170], après avoir épousé

une femme qu'il croyait vierge, s'aperçoit par la suite qu'elle n'est point telle, il intentera un procès, en appuyant l'accusation sur tels indices qu'il aura, et la défense sera présentée par le père de la jeune fille ou son frère ou celui qui après eux paraîtra son plus proche parent[171]. Si la jeune fille est déclarée innocente, elle

cohabitera avec son accusateur, sans qu'il ait le moindre droit de la congédier, à moins qu'elle ne lui en fournisse de graves raisons et telles qu'elle n'y puisse rien contredire. Et pour avoir témérairement et inconsidérément porté contre elle une accusation calomnieuse[172], il aura à subir une double peine, en

recevant trente-neuf coups et en payant cinquante sicles au père[173]. Mais au cas où il prouverait le déshonneur

de la jeune fille, si c'est une femme du peuple, pour n'avoir pas veillé honnêtement sur sa virginité jusqu'à son mariage légitime, elle sera lapidée ; si elle est de race pontificale, elle sera brûlée vive[174]. Si quelqu'un a

deux femmes[175], dont l'une est tenue particulièrement

en estime et en affection, soit par amour, soit pour sa beauté, soit pour quelque autre motif, et dont l'autre est moins bien traitée, si le fils de la femme aimée, plus jeune que celui de l'autre, prétend, en vertu de l'affection que son père porte à sa mère, s'attribuer le droit d'aînesse de façon à recevoir une double part de la fortune paternelle, - car c'est là ce que j'ai établi dans les lois[176] -, on ne le lui accordera pas. Il est injuste, en

effet, que le plus ancien des deux par la naissance, parce que sa mère tient moins de place dans l'affection de son père, soit privé de ce qui lui est dû. Celui qui aura déshonoré une jeune fille promise à un autre[177], s'il l'a

persuadée et rendue consentante à la faute, mourra avec elle, car ils sont également coupables tous les deux, lui pour avoir persuadé la jeune fille de subir volontairement la pire des hontes et de la préférer à un mariage honnête, elle, pour avoir consenti à s'offrir par plaisir ou par cupidité à cet outrage. Mais s'il l'a rencontrée seule[178] et a abusé d'elle, sans qu'il y eut

personne pour la secourir, il mourra seul. Celui qui

 

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déshonore une vierge qui n'est pas encore promise[179]

devra l'épouser lui-même ; mais s'il ne plaît pas au père de la jeune fille qu'elle vive avec lui, il aura à lui payer cinquante sicles en réparation de l'outrage[180]. Celui

qui veut se séparer[181] de la femme qui habite avec lui pour un motif quelconque[182] - les hommes en ont

souvent de ce genre -, devra certifier par écrit qu'il n'aura plus de relations avec elle. C'est ainsi que la femme acquerra la faculté d'aller vivre avec un autre ; car auparavant, on ne doit pas le lui permettre. Que si elle est maltraitée aussi chez cet autre ou qu'à sa mort le premier désire l'épouser, on ne lui permettra pas de retourner chez lui. Quand[183] une femme n'a pas

d'enfants[184] à la mort de son mari, le frère de ce

dernier doit l'épouser, et le fils qui naîtra, il l'appellera du nom du défunt, et l'élèvera comme héritier de son patrimoine ; un tel acte, en effet, sera avantageux même à la chose publique, les familles ne s'éteignant pas et la fortune restant aux parents ; et pour les femmes, ce sera un soulagement à leur infortune de vivre avec l'homme le plus proche de leur premier mari. Mais si le frère ne veut pas l'épouser, la femme viendra devant les Anciens et attestera que, tandis qu'elle désirait demeurer dans cette maison et avoir de lui des enfants, il a refusé de l'accueillir, faisant ainsi injure à la mémoire de son frère défunt. Et quand les Anciens lui demanderont pour quelle raison il se montre hostile à ce mariage, qu'il en allègue une futile ou une sérieuse, le résultat sera le même : la femme de son frère, après lui avoir défait ses sandales et lui avoir craché au visage, s'écriera qu'il mérite de subir ce traitement de sa part pour avoir outragé la mémoire du défunt. Et lui s'en ira alors du conseil des Anciens avec cet affront, qu'il gardera toute sa vie, tandis qu'elle pourra se remarier au prétendant qui lui plaira. Quand quelqu'un aura fait prisonnière[185] une vierge ou même une femme qui

aurait déjà été mariée[186], s'il veut cohabiter avec elle,

il ne pourra approcher sa couche et s'unir à elle avant que, les cheveux coupés, et vêtue d'habits de deuil, elle n'ait pleuré ses parents et ses amis morts dans le combat, afin qu'elle satisfasse au chagrin que lui cause leur perte, avant de se livrer aux festins et à la joie du

 

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mariage. Il est noble, en effet, et légitime que celui qui prend une femme pour en avoir des enfants défère à ses désirs, et il ne faut pas qu'en ne recherchant que son propre plaisir, il néglige ce qui peut être agréable à elle-même. Mais après trente jours passés dans le deuil - ce temps suffit aux gens raisonnables pour pleurer ceux qui leur sont le plus chers - elle peut alors accomplir le mariage. Que si, sa passion satisfaite, il dédaigne de la garder pour épouse, il n'aura plus la faculté d'en faire une esclave ; elle s'en ira où elle voudra, elle en a la liberté.

24[187]. Les jeunes gens qui mépriseront leurs parents

et ne leur témoigneront pas d'égards, qu'ils leur aient

fait outrage soit par impudence (?), soit par irréflexion[188], d'abord leurs parents les

réprimanderont par de simples paroles[189], car ils ont autorité de juges sur leurs enfants[190], en leur disant

que le but de l'union conjugale n'est pas le plaisir, ni l'accroissement de la fortune, par la mise en commun de ce qu'ont les époux de part et d'autre, mais c'est d'avoir des enfants qui prennent soin des parents dans leur vieillesse et qui reçoivent d'eux tout ce dont ils ont besoin. « Quand tu es né, diront-ils, nous t'avons pris, remplis de joie et de reconnaissance envers Dieu, et nous avons mis nos soins à t'élever, sans rien épargner de ce qui paraissait utile à ta santé et à ta parfaite éducation. Maintenant - puisqu'il faut accorder de l'indulgence aux fautes des jeunes gens -, cesse-là tes manques d'égard envers nous et reviens à une plus sage conduite, en réfléchissant que Dieu lui-même s'irrite des témérités commises contre un père, car il est lui-même le père de toute la race des hommes et paraît partager le sentiment de l'injure avec ceux qui ont le même titre que lui, quand ils n'obtiennent pas de leurs enfants la déférence qui leur est due. Et la loi réprime ces fautes inexorablement ; n'aie pas à en faire l'expérience ». Si par ce moyen se corrige la présomption des jeunes gens, on leur épargnera tout autre reproche pour leur péché d'ignorance ; car ainsi le législateur fera preuve de bonté et les parents seront heureux de ne point livrer un fils ou une fille[191] au châtiment. Mais celui à qui ces paroles,

 

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avec la leçon de bienséance qu'elles renferment, paraîtront ne point produire d'effet et qui se fera d'implacables ennemies des lois par ses incessantes audaces à l'égard de ses parents, conduit par eux-mêmes hors de la ville avec la foule derrière eux, il sera lapidé[192], et, après être demeuré toute la journée

exposé à tous regards, il sera enseveli pendant la nuit[193]. Il en sera ainsi de tous ceux, en général, que

les lois auront condamnés à mort[194]. On ensevelira

aussi les ennemis ; et pas un cadavre ne restera sans sépulture, car il subirait plus que sa juste peine.

25[195]. On n'aura le droit de prêter à intérêt à aucun

Hébreu, ni aliment, ni boisson ; car il n'est pas juste de tirer un revenu de l'infortune d'un compatriote ; mais il faut, en secourant sa détresse, considérer comme un profit la reconnaissance de cet homme et la rémunération que Dieu réserve à cet acte de générosité.

26[196]. Ceux qui auront emprunté soit de l'argent, soit

des fruits, liquides ou solides, si leurs affaires, grâce à Dieu, marchent à souhait, ils viendront les rendre avec joie à leurs prêteurs, comme s'ils les avaient reçus en dépôt pour mettre avec leur propre bien à charge de les rapporter le jour où l'on en aurait besoin. Mais s'ils négligent impudemment cette restitution, on ne pourra pénétrer dans leur maison[197] pour y saisir un gage

avant qu'un jugement n'intervienne à ce sujet, et l'on réclamera le gage du dehors ; et le débiteur l'apportera de lui-même sans rien opposer à celui qui vient contre lui avec le secours de la loi. Si celui à qui on a pris le gage est riche, le prêteur en restera nanti jusqu'à la restitution ; mais s'il est pauvre[198], le prêteur devra le

rendre avant le coucher du soleil, surtout si le gage consiste en un manteau, afin qu'il l'ait pour dormir, Dieu accordant naturellement sa pitié aux pauvres. Mais une meule[199] et tous les ustensiles qu'elle comporte, on

n'aura pas le droit de les saisir pour gage, afin que les pauvres ne soient pas privés même de leur gagne-pain[200] et que leur indigence ne leur fasse pas souffrir

les pires misères.

 

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27[201]. Celui qui volera un homme sera puni de mort[202]. Quiconque aura dérobé de l'or ou de l'argent

en payera le double. Celui qui aura tué un voleur avec effraction ne sera pas puni. Même s'il l'a trouvé encore occupé à percer son mur[203]. Celui qui aura volé[204]

une tête de bétail[205] en payera quatre fois le prix comme amende[206], sauf s'il s'agit d'un bœuf ; en ce

cas, il en payera cinq fois la valeur. Celui qui n’aura pas le moyen de payer l'amende infligée deviendra l'esclave de ceux qui l'ont fait condamner[207].

28[208]. Un hébreu vendu à un autre hébreu le servira

pendant six ans ; la septième année on le laissera libre. Mais si, ayant eu des enfants d'une esclave chez celui qui l'a acheté, il désire continuer à le servir à cause de la bonté et de l'affection qu'il porte aux siens, vienne l'année du jubilé - qui revient tous les cinquante ans -, il sera mis en liberté et emmènera ses enfants et sa femme également libres.

29[209]. Si l'on trouve de l'or ou de l'argent en chemin,

après avoir cherché celui qui l'a perdu et fait proclamer l'endroit où on l'a trouvé[210], on devra le restituer en

estimant que le profil tiré de la perte d'autrui n'est pas honnête. Il en est de même des bêtes qu'on rencontrera errant dans un endroit solitaire ; si le maître n'en est pas trouvé sur-le-champ, on devra les garder chez soi, en prenant Dieu à témoin qu'on ne détourne pas le bien d'autrui.

30[211]. Il n'est pas permis de passer outre quand des

bêtes de somme, maltraitées par la tempête, sont tombées dans la boue ; il faut aider le maître à les secourir et lui prêter son appui comme si on travaillait pour soi.

31[212]. Il faut indiquer le chemin à qui l'ignore et éviter,

pour le plaisir de rire soi-même, de léser les intérêts d'autrui[213] en l'induisant en erreur.

32. Pareillement il ne faut pas se moquer d'un muet ou

 

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d'un idiot.

33F214]. Dans une rixe où l'on n'a pas employé de fer, si

quelqu'un est frappé, meurt-il sur-le-champ, il sera vengé par la mise à mort de son meurtrier. Mais si, transporté chez lui, il reste malade pendant quelques jours avant de mourir, l'homme qui l'a frappé ne sera pas puniF215]. S'il recouvre la santé et qu'il ait beaucoup

dépensé pour sa guérison, l'autre devra payer tous les frais qu'il aura eus durant le temps où il est resté alité et tout ce qu'il aura donné aux médecinsF216]. Celui qui

aura donné un coup de pied à une femme enceinteF217],

si la femme avorte, sera condamné par les juges à une amende, pour avoir, en détruisant le fruit de ses entrailles, diminué la population, et il payera aussi une amendeF218] au mari de cette femme. Si elle meurt du

coupF219], lui aussi mourra, car la loi trouve juste de réclamer vie pour vie.

34. Les poisons mortels, ou ceux qu'on fabrique pour d'autres espèces de maléfice, aucun Israélite n'en possédera. Si l'on prend quelqu'un à en avoir, il mourra, subissant ainsi le sort qui menaçait ceux à qui le poison était destinéF220].

35F221]. Quiconque aura estropié quelqu'un subira le

même sort : on le privera de ce dont il a privé l'autre, à moins que l'estropié ne veuille accepter de l'argentF222] ;

c'est à la victime que la loi laisse le droit d'évaluer le dommage qui lui est arrivé ; elle fait cette concession, au

cas où il ne veut pas se montrer trop sévère.

36F223]. Quand un bœuf heurte avec ses cornes, son maître doit l'immolerF224]. Si dans une aire il tue

quelqu'un en le heurtant, il sera tué lui-même par lapidation, et sa chair ne pourra même servir à la consommation ; mais quand le maître même sera convaincu d'avoir connu antérieurement ses instincts et de ne pas l'avoir surveillé, il mourra lui aussiF225], parce

qu'il est dès lors responsable de la mort causée par le bœuf. Si c'est un esclaveF226] ou une servante que le

 

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bœuf a tué, il sera lapidé et le propriétaire du bœuf payera trente sicles au maître de la victime. Si c'est un bœuf[227] a qui est tué d'un heurt de ce genre, on

vendra et la bête morte et la bête qui a heurté, et les propriétaires se partageront la valeur des deux bêtes[228].

37[229]. Quand on aura creusé un puits ou une citerne,

on prendra soin, en posant des planches par dessus, de les tenir bien clos, non pas pour empêcher qu'on n'y puise de l'eau, mais pour éviter tout danger d'y choir. Si quelqu'un a une fosse de ce genre non close, et qu'une bête y tombe et y périsse, il en payera la valeur au propriétaire. On devra mettre autour des toits[230] une

enceinte en forme de mur, pour empêcher qu'on ne fasse une chute mortelle[231].

38[232]. Quand on aura reçu un dépôt, on devra y veiller

comme sur un objet sacré et divin, et nul n'aura l'audace d'en frustrer celui qui le lui aura commis, ni homme, ni femme, même s'il devait en retirer une grande quantité d'or avec l'assurance que nul ne viendra le confondre. Car le devoir absolu de chacun, c'est de bien faire, avec le sentiment de sa propre conscience, et, en se contentant de son propre témoignage, d'accomplir tout ce qui peut lui attirer les louanges d'autrui et de songer surtout à Dieu, à qui nul criminel n'échappe. Mais si, sans aucun acte frauduleux, le dépositaire perd le dépôt, il viendra devant les sept juges[233] attester Dieu qu'il

n'a rien perdu de son propre gré et criminellement, qu'il n'en a pas pris la moindre parcelle pour son usage, et, ainsi disculpé, il se retirera. Mais s'il a usé de la moindre part de ce qu'on lui a confié et qu'il se trouve ensuite l'avoir perdu, il sera condamné à payer tout le reste de ce qu'il a reçu. De même qu'en cas de dépôt[234], si

quelqu'un prive de son salaire ceux qui travaillent de leurs corps, qu'il soit exécré, car il ne faut pas priver de son salaire un homme pauvre, quand on sait qu'au lieu d'un champ ou d'autres possessions, c'est là tout ce que Dieu lui a dispensé. Bien plus, il n'en faut pas différer le payement, mais s'en acquitter le jour même, car Dieu ne veut pas qu'on prive le travailleur de jouir du fruit de

 

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son labeur.

39[235]. On ne punira pas les enfants pour la faute des

parents, mais eu égard à leur mérite propre... on doit plutôt leur témoigner de la pitié de ce qu'ils soient nés de parents pervers que de la haine pour l'indignité de leur extraction[236]. Mais il ne faut pas non plus compter

aux pères le péché des fils, parce que les jeunes gens se permettent beaucoup d'infractions à notre discipline, dans leur dédain de se laisser instruire,

40[237]. Il faut éviter les eunuques et fuir tout commerce

avec ceux qui se sont privés de leur virilité et du fruit de la génération que Dieu a donné aux hommes afin de multiplier notre espèce. Il faut les chasser comme des meurtriers d'enfants[238], et qui ont de plus anéanti en

eux la faculté de les procréer. Il est clair, en effet, que c'est parce que leur âme s'est efféminée, que leur corps a comme changé de sexe. On traitera de même tout ce qui apparaîtra aux regards comme monstrueux. On ne fera point de castrats ni parmi les hommes, ni parmi les autres animaux[239].

41. Telle sera pour vous en temps de paix la constitution légale de votre Etat, et Dieu dans sa bonté fera que l'harmonie n’en sera pas troublée. Qu'aucune époque n'y vienne rien changer en établissant le contraire à sa place. Mais comme nécessairement le genre humain est précipité dans des troubles et des périls soit involontaires, soit prémédités, il faut bien que sur ce sujet j'établisse encore quelques brèves ordonnances, pour que, prévenus de la conduite à observer, vous ayez, quand il le faudra, tous les moyens de vous sauver, et pour éviter, qu'à ces moments, en cherchant quelle conduite suivre, vous ne tombiez désarmés à la merci des circonstances.

Cette contrée que vous avez reçue de Dieu, insoucieux des fatigues et l'âme formée au courage puisse-t-il en rendre l'occupation paisible à ses conquérants, sans que des étrangers marchent contre elle pour la dévaster, et sans que vous soyez aux prises avec les discordes

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

intestines, qui vous entraîneraient à une conduite opposée celle de vos pères et à détruire les institutions qu'ils ont établies. Puissiez-vous observer sans cesse les lois que Dieu vous transmet après en avoir éprouvé la bonté. Mais s'il advient que vous ayez une guerre à entreprendre, soit vous actuellement, soit plus tard vos enfants, puisse cette guerre se faire hors de vos frontières. Quand vous serez sur le point de guerroyer[240], envoyez une ambassade et des hérauts

aux ennemis qui prennent l'offensive ; car, avant de prendre les armes, il est bon d'entrer en pourparlers avec eux, de leur représenter que, bien que munis d’une grande armée, de cavaliers et d'armes, et avant tout forts de la bienveillance de Dieu et de son appui, vous aimez mieux cependant ne pas être contraints de leur faire la guerre et, en leur enlevant leurs biens, tirer d'eux encore un profit involontaire. S'ils se laissent convaincre, il convient que vous respectiez la paix ; mais si, confiants de leur supériorité, ils prétendent vous nuire, conduisez une armée contre eux en prenant Dieu pour chef suprême, et en élisant pour commander sous lui l'homme que ses mérites auront distingué ; car la pluralité des chefs, outre qu'elle est un obstacle à ceux qui ont à agir avec promptitude, est de nature à nuire même à ceux qui la pratiquent. Il faut conduire une armée choisie[241], faite de tous ceux qui se distinguent

par leur vigueur corporelle et la hardiesse de leur âme, en rejeter l'élément lâche, de peur qu'en pleine affaire il ne se mette à fuir à l'avantage des ennemis. Et tous ceux qui viennent d’inaugurer[242] une maison, et qui n'ont

pu en jouir encore pendant la durée d'un an, ceux qui ont planté sans avoir encore recueilli de fruits, il faut les laisser au pays, ainsi que les fiancés et les jeunes mariés[243], de peur que le regret de tout cela, en leur

faisant ménager leur vie et se garder eux-mêmes pour en

jouir encore, ne les amène à se laisser battre volontairement.

42[244]. Quand vous établirez votre camp, veillez à ne

rien commettre de trop odieux. Pendant le siège d'une ville, si vous êtes en peine de bois pour la fabrication de vos machines, ne tondez pas le sol en coupant les arbres

 

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domestiques ; épargnez-les, au contraire, en songeant que c'est pour rendre service aux hommes qu'ils sont créés et que, s'ils étaient doués de la voix, ils plaideraient leur cause auprès de vous, et diraient qu'ils ne sont point responsables de la guerre, qu’on les maltraite indûment et que, s'ils en avaient le pouvoir, ils émigreraient et passeraient dans un autre pays. Après avoir gagné la bataille, tuez ceux qui vous ont résisté[245] ; les autres, laissez-les en vie pour qu'ils

vous payent tribut, excepté le peuple des Chananéens ;

ceux-là, il faut les anéantir entièrement[246].

43[247]. Prenez garde, surtout pendant la guerre[248],

qu'aucune femme ne prenne de vêtement d'homme, et qu'aucun homme ne s'habille en femme.

44. Telle est la constitution que Moïse laissa ; il transmit aussi les lois qu'il avait écrites quarante ans auparavant et dont nous parlerons dans un autre livre[249]. Les

jours suivants[250] - car on tenait continuellement

assemblée -, il leur adresse des bénédictions et prononce des malédictions contre ceux qui ne vivraient pas selon les lois, mais transgresseraient les prescriptions qu'elles renferment.

Ensuite il leur lut un poème en vers hexamètres[251]

qu'il a laissé dans le livre saint, et qui contient une prédiction des événements futurs selon laquelle tout s'est réalisé et se réalise encore, car il n'a rien dit qui ne soit conforme à la vérité. Tous ces livres, il les remet aux prêtres[252] ainsi que l'arche où il avait placé aussi les

dix paroles gravées sur deux tables, et le tabernacle. Et il recommande au peuple[253], une fois qu'il se sera

emparé du pays et qu'il s'y sera installé, de ne pas oublier l'injure des Amalécites et de diriger une expédition contre eux pour tirer vengeance du mal qu'ils leur avaient fait quand ils se trouvaient dans le désert. Après avoir conquis de vive force le pays des Chananéens[254] et détruit toute sa population comme il

convenait, ils érigeront l'autel en le tournant du côté du soleil levant non loin de la ville des Sichémites (Sikimites) entre deux monts[255], le Garizéen à droite et

 

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celui qu'on appelle Gibalon à gauche, et l'armée, divisée en deux portions de six tribus chaque, se portera sur ces deux monts et avec eux les Lévites et les prêtres. Et tout d'abord, ceux qui seront sur le mont Garizim feront les souhaits les plus heureux pour ceux qui marqueront du zèle dans le culte de Dieu et l'observation des lois et qui ne rejetteront pas les prescriptions de Moïse ; puis les autres tribus leur ré-pondront par des murmures favorables, et quand celles-là feront des vœux à leur tour, les premières approuveront. Ensuite, dans le même ordre, elles lanceront des malédictions contre ceux qui transgresseront les lois, en s'acclamant mutuellement pour sanctionner leurs paroles. Il mit lui-même par écrit les bénédictions et les malédictions, de manière que jamais le temps n'en abolit l'enseignement, et il finit par les inscrire sur l'autel de chaque côté, et ordonna que le peuple (à cette occasion) s'en approcher pour y offrir des sacrifices et des holocaustes, mais après ce jour-là de ne plus y apporter aucune victime, car ce n'était pas conforme à la loi[256]. Voilà ce que Moïse institua et la

nation des Hébreux continue d'agir conformément à ces préceptes.

45[257]. Le lendemain, après avoir convoqué le peuple, y

compris les femmes et les enfants, à une assemblée où il voulut même que les esclaves fussent présents, il leur fit jurer d'avoir toujours le respect des lois, et, en se rendant compte exactement de la pensée divine, de ne jamais les transgresser, ni en faisant des concessions illicites en faveur de la parenté, ni en cédant à la crainte, ni en s'imaginant qu'une autre raison quelconque pût être plus impérieuse que le respect des lois ; que si quelqu'un[258] de leur sang ou même une ville tentait de

bouleverser et de dissoudre les institutions de leur État, il faudrait les combattre d'un commun accord et chacun pour son compte, et, une fois vainqueurs, les exterminer complètement et ne pas laisser même de vestige de leur égarement, s'il était possible ; mais s'ils n'étaient pas assez forts pour leur infliger une punition, ils témoigneraient par leur résistance même que tout s'était passé sans leur aveu[259].

 

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46[260]. Le peuple prêta serment et il leur enseigna

comment leurs sacrifices seraient le plus agréables à Dieu et comment les troupes se mettraient en campagne en consultant les pierres, comme je l'ai indiqué précédemment[261]. Et Josué prophétisa aussi en

présence de Moïse. Puis énumérant[262] tous les efforts

qu'il avait faits pour le salut du peuple dans la guerre et dans la paix, en composant des lois et en donnant une constitution bien ordonnée, Moïse prédit, selon ce que lui inspirait la divinité, que, s'ils violaient son culte, ils éprouveraient des malheurs, comme l'envahissement de leur pays par les armes ennemies et la destruction de leurs villes et l'embrasement du temple ; qu'ils seraient vendus comme esclaves à des gens qui n'auraient nulle pitié de leurs infortunes, et que leur repentir ne leur servirait à rien dans ces souffrances. « Dieu, cependant, dit-il, qui a fondé votre empire, rendra les villes à leurs habitants ainsi que le temple[263]. Mais il arrivera qu'ils

les perdront non pas une fois, mais bien souvent ». 47[264]. Après avoir exhorté Josué à conduire une

expédition contre les Chananéens, Dieu devant l'assister dans ses entreprises, et après avoir adressé de bonnes paroles à tout le peuple : « Comme, dit-il, je m'en vais retrouver nos ancêtres et que c'est aujourd'hui que Dieu a décidé que je les rejoindrai, encore vivant et à vos côtés je déclare[265] que je lui sais gré de la vigilance qu'il

vous a témoignée non seulement en vous délivrant de vos maux, mais en vous comblant des plus grands bienfaits, et puis de ce que, dans mes efforts et dans toutes les préoccupations où me jetait le souci d'améliorer votre condition, il m'a prêté assistance, et s'est montré propice à vous tous. Que dis-je ? c'était plutôt lui qui vous prenait sous sa direction et vous donnait le succès ; je ne lui servais que de subalterne et de ministre des bienfaits dont il voulait favoriser notre nation. En retour, j'ai pensé qu'il convenait, en m'en allant, d'exalter la puissance de Dieu qui prendra encore soin de vous dans l'avenir, en lui témoignant moi-même cette reconnaissance qui lui est due, et en laissant dans votre souvenir la pensée qu'il vous appartient de le vénérer et de l'honorer et d'observer les lois, ce don le

 

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plus précieux de tout ce qu'il vous a accordé et de ce que, dans sa permanente bonté, il vous accordera encore ; car si c’est déjà un terrible ennemi qu'un législateur humain quand ses lois sont violées et demeurent sans effet, lorsqu'il s'agit de Dieu, prenez garde d'éprouver son indignation pour ses lois négligées, ces lois qu'il a créées et vous a données lui-même. »

48F266]. Quand Moïse eut ainsi parlé au terme de sa vie

et, au milieu de bénédictions, prophétisé l'avenir de chacune des tribus, la foule fondit en larmes, si bien que les femmes même, se frappant la poitrine, manifestaient la douleur que leur causait sa mort prochaine. Et les enfants, plus éplorés encore, car ils étaient trop faibles pour surmonter leur chagrin, témoignaient qu'ils avaient conscience, plus qu'on ne fait à leur âge, de ses vertus et de la grandeur de son oeuvre. Quant aux jeunes gens et aux hommes d'un âge avancé, qui réfléchissaient, c'était à qui s'affligerait davantage. Les uns, sachant de quel guide ils étaient privés, se lamentaient, en songeant à l'avenir ; pour les autres, outre ce motif-là, ce qui les affligeait, c'est que, avant d'avoir pu apprécier convenablement ses mérites, ils allaient être abandonnés par lui. Cette extraordinaire explosion de pleurs et de gémissements parmi le peuple, on en trouverait un témoignage dans ce qui advint au législateur. Lui qui, de tout temps, avait eu la conviction qu'il ne fallait pas s'attrister quand approchait la fin, parce qu'on subissait ce sort selon la volonté de Dieu et la loi de la nature, cependant la conduite du peuple lui arracha des larmes. Tandis qu'il s'avançait vers l'endroit d'où il allait disparaîtreF267], tout le monde le suivait en larmes.

Moïse, d'un signe de la main, ordonnait à ceux qui étaient loin de demeurer en repos, et exhortait ceux qui étaient plus près de lui, leur disant de ne pas lui faire un départ plein de larmes en suivant ses pas. Ceux-ci, se décidant à lui céder encore sur ce point, à lui permettre de quitter la vie à sa guise, s'arrêtent en pleurant ensemble. Seuls les Anciens l'accompagnèrent ainsi qu'Éléazar, le grand-prêtre, et Josué, le chef de l'armée. Mais lorsqu'il arriva sur la montagne qu'on appelle AbarisF268] - c'est une hauteur située en face de Jéricho,

qui permet d'apercevoir, quand on l'a gravie, la plus belle

 

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contrée des Chananéens sur une large étendue -, il congédia les Anciens. Et pendant qu'il embrasse Éléazar et Josué et qu'il s'entretient encore avec eux[269], une

nuée soudain s'étant posée sur lui, il disparaît dans un ravin[270]. Mais il a écrit lui-même dans les Livres saints

qu'il était mort[271], de crainte que, par excès d'affection

pour lui, on n'osât prétendre qu'il était allé rejoindre la divinité.

49[272]. Il vécut en tout cent vingt ans ; il fut au pouvoir

pendant tout le dernier tiers de sa vie, à un mois près. Il mourut dans le dernier mois de l'année, celui que les Macédoniens appellent Dystros, et nous Adar[273], à la

néoménie, après avoir surpassé par son intelligence tout ce qu'il y a jamais eu d'hommes, et fait un usage excellent du fruit de ses méditations. Il sut plaire au peuple dans ses discours et ses entretiens avec lui par bien des qualités, et notamment parce qu'il était si maître de ses passions, qu’il semblait qu'il n'y avait place pour aucune d'elles en son âme, et qu'il n'en connût le nom que parce qu'il les apercevait chez les autres plutôt que chez lui. Ce fut un chef d'armée comme il y en eut peu, et un prophète comme il n'y en eut pas d'autre, et tel que dans tout ce qu 'il disait on croyait entendre parler Dieu lui-même. Le peuple le pleura pendant trente jours et aucun deuil n'accabla les Hébreux aussi fortement que celui qui suivit la mort de Moïse. Il ne fut pas seulement regretté de ceux qui l'avait connu à l'épreuve, mais tous ceux qui prenaient connaissance de ses lois ont ressenti de vifs regrets de lui, parce qu'elles leur faisaient concevoir toute l'excellence de ses vertus.

Voilà ce que nous avons cru devoir relater touchant la fin de Moïse.

  1. Nombres, XIV, 40.
  2. Nombres, XIV, 44.

 

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  1. Dans la Bible (Nombres, XIV, 25), c'est Dieu qui, à la fin du discours où il condamne la génération du désert, invite Moïse à changer de direction et à partir dans le désert, du côté de la mer des Joncs. La tentative infructueuse des Hébreux contre les Chananéens est racontée ensuite.
  2. Nombres, XVI, 1.
  3. En hébreu : Korah.
  4. La tradition parle aussi des richesses de Coré (Sanhédrin, 110

a ; Pesahim, 119 a) : R. Siméon ben Lakisch (IIIe siècle) voit dans le mot de l'Ecclésiaste (v, 12) : « la richesse conservée pour le malheur de son détenteur », une allusion à la richesse de Coré. Un autre Amora, R. Lévi, raconte que Coré avait trois cents mules blanches pour porter les clefs de ses trésors, et R. Hama bar Hanina parle de trois trésors enfouis par Joseph en Égypte, dont l'un aurait été découvert par Coré.

  1. Dans Tanhouma sur Nombres, XVI. 1, Coré est représenté de même comme un homme important, d'une grande science et qui tient des discours insidieux au peuple pour prouver que Moïse et Aaron occupent arbitrairement leurs charges ; le Midrash se fonde sur le mot hébraïque (Nombres, XVI, 1), qu'il rend par « il

séduisit ».

  1. Coré, d'après Exode, VI, 16 et Nombres, XVI, 1, était le cousin-germain de Moïse.
  2. Dans le Midrash (Tanhouma, ibid.), Coré se plaint de la

nomination d'Eliçaphan aux fonctions de phylarque, ce qui aurait constitué un passe-droit, car Ouziel, père de ce personnage, était,

selon Exode, VI, 16, le plus jeune des fils de Kehat.

  1. Exode, VI, 14.
  2. Ceci se trouve également dans Tanhouma (ibid.).
  3. Nombres, XVI, 8.
  4. Cp. Nombres, XI, 29, où Moïse, dans l’épisode d'Eldad et

Médad (non rapporté par Josèphe), s'écrie : « Plût à Dieu que tout le peuple se composât de prophètes ».

 

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  1. Nombres, XVI, 20.
  2. Ibid., 16. Josèphe ne parle pas d'un autre personnage de la

faction. On, fils de Pélet, mentionné dans la Bible (Nombres, XVI, 1) : c'est qu'il n'est plus question de lui par la suite. La tradition, pour expliquer cette singularité, raconte que, sous l'influence de sa femme, il était revenu à de meilleurs sentiments (Sanhédrin, 109 a ; Nombres Rabba, XVIII).

  1. Nombres, XVI, 25.
  2. Ibid. 15.
  3. Nombres, XVI, 31.
  4. La Bible ne dit rien de tel.
  5. Ibid., XVI, 4-7 ; 16-19.
  6. D’après la Bible (Nombres, XVI, 24-fin et surtout XXVI, 10),

Coré paraît avoir été victime de la même catastrophe que Dathan et Abiram. Le feu, ensuite, foudroie les deux cent cinquante hommes. L'opinion de Josèphe, qui réunit Coré aux deux cent cinquante, reflète peut-être une tradition rabbinique. Car le passage de l’Écriture précité prête à la controverse. Dans le Talmud (Sanhédrin, 110a), on examine précisément la question de savoir comment Coré a péri. Les textes en main, R. Yohanan prétend qu'il n'était ni parmi les engloutis, ni parmi les foudroyés ; un autre estime, au contraire, qu'il a dû subir les deux châtiments à la fois.

  1. Nombres, XVI, 35.
  2. Ibid., XVII, 1.
  3. Nombres, XVII, 6.
  4. Josèphe passe sous silence l'épisode, rapporté dans Nombres, XVII, 6-15, des 14.700 hommes victimes d'une peste occasionnée par de nouvelles récriminations.
  5. D'après Nombres, XVIII, 18, c'était le nom d'Aaron, non celui de Lévi qui était gravé sur le bâton.

 

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  1. Nombres, XVIII, 1 ; XXXV, 1.
  2. Josèphe paraît lire ici, comme les LXX, mot hébreu pour un autre (Nombres, XXXV, 4), ce qui supprime la contradiction que présentent le verset 4 et les suivants. Philon a la même leçon (De praem. sacerd., II, M., p. 236).
  3. Nombres, XVII, 21.
  4. Voir plus loin chapitre VIII, 8 et 22
  5. Cette disposition ne se trouve nulle part dans le Pentateuque ;

il n'en est question que dans Josué (XXI, 4-20), qui énumère ces villes.

  1. Nombres, XVIII, 26.
  2. Ibid. 13.
  3. Ibid. 15.
  4. Exode, XXXIV, 20 ; Lévitique, XXVII, 5, 11, 25.
  5. La prescription édictée, Nombres, XVIII, 15 : (( Tu rachèteras le premier-né de la bête impure », parait, en effet, comme le croit Josèphe, s'appliquer à toutes les espèces impures, sans distinction. Mais la Halacha (Sifré, p. 38 b ; Bechorot, 5 b) explique, en se fondant sur Exode, XXXIV, 20, que, seul, le premier-né de l'âne doit être racheté. Cependant la question a été controversée et le Talmud rapporte des discussions à propos de cette loi ; Josèphe est peut-être l'écho d'une opinion qui prévalait de son temps. D'ailleurs, Philon (II, M., p. 233) étend également la loi du rachat aux chevaux, chameaux, etc. Quant à la somme à payer, Josèphe paraît avoir confondu ce qui est dit dans les Nombres (XVIII, 16), à savoir qu'on doit payer cinq sicles tant pour le premier-né de l'homme que pour celui de la bête impure, avec les règles du Lévitique (XXVII) relatives aux estimations en

général. D'après les versets 11-13 de ce dernier chapitre, c'était au prêtre à estimer la valeur de la bête impure qu'on voulait offrir : cependant dans le Talmud (Bechorot, 10 b, 11 a) on n'applique pas la règle édictée dans Nombres, XVIII, 16, au premier-né de l'âne et l'on rapporte que Rabbi Yehouda Nesîa envoya demander à R. Tarfon ce qu'il devait donner au prêtre pour racheter le premier-né de son âne ; Rabbi Tarfon lui cita en réponse le mot suivant : (( la bonne mesure, c'est un séla ; la mauvaise, c'est un sékel (sicle) ; la moyenne, c'est un ragia ; » or le ragia valait 3 zouz, ce qui

 

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concorde avec le sicle et demi dont parle Josèphe (V. Zuckermann, Ueber talmudishe Münzen, p. 27) ; et le Talmud ajoute que tel était bien l'usage, dans le cas où on allait consulter le prêtre.

  1. Deutéronome, XVIII, 4.
  2. Nombres, XV, 15.
  3. Ibid., VI, 2.
  4. L'Écriture dit seulement que, l'époque venue, le naziréen se rasait et jetait sa chevelure sur le feu (Nombres, VI, 19).

[41] Lévitique, XXVII, 1.

  1. Josèphe laisse de côté les règles complémentaires énumérées dans le même chapitre (V, 5-8).
  2. Lévitique, VI, 22 ; Nombres, XVIII, 10.
  3. Lévitique, VII, 34 ; X, 14.
  4. Antiquités livre III, IX, 3.
  5. Nombres, XX, 14.
  6. L'Écriture dit seulement l'épaule, ou plutôt le bras : mais la

tradition explique qu'il s'agit de l'épaule droite (baraïta dans Houllin, 134 b).

  1. Deutéronome, XVIII, 3.
  2. Nombres, XX, 1.
  3. La Bible ne parle pas d'une montagne, mais d'un désert de Sin, et elle donne pour lieu de sépulture à Miriam la ville de Kadès.
  4. Nombres, XIX, 1. Dans l'Écriture, la loi de la vache rousse se lit avant le récit de la mort de Miriam et n'y est nullement rattachée. Le Midrash pourtant recherche pourquoi les deux passages se trouvent voisins (Moed Katan, 28 a), jamais il n’en donne pas la même raison que Josèphe.

 

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  1. Nombres, XIX, 11, 18.
  2. Ibid., XX, 22.
  3. La Bible ne fait pas mention de cette ville ; en revanche, la

montagne dont parle Josèphe est nommée dans l'Écriture : c'est le mont Hor. Cette ville d'Arcé, Josèphe l'appelle plus loin (chap. VII, 1) Rékémé ; et, comme il dérive ce nom de celui du roi Rékem, le nom d'Arcé donné ici parait suspect, d'autant plus que le même nom est donné par Josèphe à deux autres localités (Antiquités, liv. I, VI, 2 et liv. V, I, 22 [voir la note]). Josèphe ajoute que cette Arcé est la même ville qui s'est appelée plus tard Pétra. Il y avait sans doute une tradition à ce sujet. Saint Jérôme dit aussi que le mont Hor avoisinait Pétra (Onomast., s. v. Beeroth).

  1. Forme araméenne de l'hébreu ab. C'est le 5e mois de l'année.

L'Écriture dit (Nombres, XXXIII, 38) qu'Aaron est mort la quarantième année, le premier jour du cinquième mois.

  1. Nombres, XXI, 13 ; Deutéronome, II, 26.
  2. Nombres, XXI, 24 ; Deutéronome, II, 31.
  3. Nombres, XXI, 33 ; Deutéronome, III, 1.
  4. La Bible donne Og pour roi de Basan.
  5. Nombres, XXI, 1 ; XXXI, 1.
  6. En hébreu : Yeréhô.
  7. Nombres, XXII, 2.
  8. Nous ne comprenons pas mots qui suivent.
  9. En hébreu : Bile’am.
  10. Le Midrash indique aussi que Balam ne demandait pas mieux que de maudire les Israélites (Nombres Rabba, XX ; Tanhouma sur Nombres, XXII, 20).
  11. Nombres, XXII, 15.

 

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  1. Nombres, XXII, 35.
  2. Nombres, XXIII, 10.
  3. On s’attendrait plutôt à la négative.
  4. Nombres, XXIII, 13.
  5. Nombres, XXIII, 14.
  6. Ibid., 30.
  7. Ibid., XXIV, 14.
  8. Nombres, XXV, 1.
  9. Cet épisode est étranger à l'Ecriture, mais il rappelle certains

traits du Midrash (Sanhédrin, 106 a ; Tanhouma sur Nombres, XXIV, 25, Nombres Rabba, XX). C'est ainsi que le Midrash s'appuie sur Nombres, XXIV, 14, pour raire de Balaam l'instigateur de la séduction tentée par les femmes moabites sur les Hébreux. Balaam dit, en effet, dans ce verset : (( Voici que je vais retourner chez mon peuple ; viens, que je t’indique ce que ce peuple fera à ton peuple dans l'avenir » : les mots soulignés ne traduisent pas exactement l'hébreu qui, proprement, signifie (( je veux te donner un conseil ». Le Midrash a voulu justifier l'emploi de ce terme, inattendu dans la phrase. Quant au plan de la séduction, le Talmud a des détails assez analogues à ceux de Josèphe. Les femmes sont chargées d'attirer les Israélites au marché, de les faire boire du vin et s'enivrer, de les engager à adorer leurs idoles et à renoncer à la loi de Moïse.

  1. Nombres, XXV, 2.
  2. Ibid., 4.
  3. Ibid., 6, 14.
  4. En hébreu : Zimri.
  5. En hébreu : Khosbi.
  6. Tout ce discours, ainsi que celui de Zimri est imaginé par Josèphe. On trouve cependant quelques propos du même genre

 

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dans les passages midrashiques cités plus haut.

  1. Nombres, XXV, 7, 5.
  2. En hébreu : Pinehass.
  3. Nombres, XXV, 9.
  4. Cf. la baraïta de Baba Batra, 14 b : « Moïse a écrit son livre et la Parascha de Bileam ». Il parait en résulter que les prophéties de Balam formaient primitivement un opuscule séparé.
  5. Nombres, XXV, 16 ; XXXI, 1.
  6. Ibid., XXXI, 8 ; Josué, XIII, 21.
  7. En hébreu : Évi, Rékem, Çour, Hour et Réba.
  8. Josèphe l'appelle plus haut Arcé.
  9. Hébreu et LXX 72.000.
  10. Hébreu et LXX 61.000.
  11. D'après Nombres, XXXI, 28, c'est 1/500, non 1/50, qui revenait aux prêtres.
  12. Nombres, XXVII, 18.
  13. Ibid., XXXII, 1.
  14. Nombres, XXXII, 28.
  15. Ibid., XXXV, 9-34 ; Deutéronome, IV, 41 ; XIX, 1 ; Josué, IX, 8.
  16. En hébreu : Béçer.
  17. En hébreu : Ramot. Josèphe l'appelle lui-même ailleurs : Aramatha ou Ramatha (Ant., VIII, XV, 3 ; IX, VI, 1).
  18. Nombres, XXVI, 33 ; XXVII, 1 ; XXXVI, 1 ; Josué, XVII, 3-6.

 

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  1. D'après le Talmud, cette loi ne valait que pour l'époque où elle était promulguée (Baba Batra, 120 a ; Taanit, 30 b).

[101] Deutéronome, I, 1.

  1. C’est sans doute l’Abel haschittim de Nombres, XXXIII, 49, qui est donnée comme la dernière étape où arrivent les Israélites avant de franchir le Jourdain. D’après ce que Josèphe dit plus loin (liv. V, I, 1), Abilé était à 60 stades de distance du Jourdain. La même ville est appelée Abila dans le Bellum (IV, VII, 6). Abilé est mentionnée par Stéphane de Byzance.
  2. Deutéronome, XXXI, 2.
  3. Deutéronome, passim.
  4. Deutéronome, IV, 26.
  5. Exode, XXIII, 24 ; XXXIV, 13 ; Deutéronome, VII, 5 XII, 2-3.
  6. On a déjà vu par les livres précédents et on verra plus loin quelle valeur on peut attacher à ces affirmations. Josèphe omet de parler de certaines lois qui rentraient cependant dans son plan, par exemple la législation touchant les esclaves (Exode, XXI, 20-21 ; 26-27 ; voir sur cette lacune Ritter, Philo und die Halacha, p 55), les successions (Nombres, XXVII, 6-11), etc. En revanche, il introduit assez souvent des dispositions inconnues à la loi mosaïque : voir plus loin.
  7. Ceci ressemble à l'opinion curieuse de Rabbi Banaa (fin du IIe siècle), rapportée par R. Yohanan (Guittin, 60 a), à savoir que la loi a été donnée à Moïse rouleau par rouleau, c'est-à-dire qu'il inscrivait au fur et à mesure les instructions divines (Cp. le Coran). L'opinion adverse (de R. Simon ben Lakisch) est que la Tora a été donnée scellée, c'est-à-dire en bloc, au complet.
  8. Voir supra, Antiquités, liv. III, VIII,10 et note.
  9. Deutéronome, XII, 4 ; cf. C. Apion, II, § 193.
  10. Exode, XX, 25.
  11. Lévitique, XXIX, 15.

 

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  1. Deutéronome, XXI, 22.
  2. Josèphe paraît d'accord avec la tradition (Sifré, p. 114 b,

Sanhédrin, VI, 6), qui restreint au blasphémateur le supplice de la lapidation suivie de pendaison ; mais, selon la Mishna, le corps n'était pendu qu'aux approches de la nuit ; on l'attachait sur une poutre, et on le détachait immédiatement après. On ne l'y laissait donc pas, comme le prétend Josèphe, durant toute la journée. Il y avait aussi, selon la Mishna, des sépultures spéciales pour les suppliciés (Sanhédrin, VI, 7).

  1. Deutéronome, XIX, 11-17 ; XVI, 16.
  2. Ces motifs ne sont pas donnés dans l'Écriture.
  3. Deutéronome, XIV, 22.
  4. Plus haut chap. IV, 3. Dans ce même chapitre (§ 22),

Josèphe attribuera cette dîme (maaser rischon dans la Mishna) aux Lévites seuls. Le manque de précision est le défaut habituel de Josèphe ; dans ce passage, l'incertitude s'explique peut-être, comme on l'a remarqué, parce que, depuis longtemps déjà, à l’époque de Josèphe, la déclaration du propriétaire, relativement à la dîme, n'existait plus (Maazer Schèni, V, 15) et l'on ne discutait plus que théoriquement sur les règles à observer, selon qu’il s'agissait des classes sacerdotales ou des Lévites (v. Sota, 47a-48 a, Mishna).

  1. Josèphe généralise les mots du Deutéronome, XIV, 24-26 : «

si le chemin est trop long... » De même, le Sifré (p. 96 a), s'appuyant sur les mots : « Si tu ne peux les porter (les fruits) », admet qu'à toute distance de Jérusalem on pouvait les échanger contre de l'argent, qu'on dépensait ensuite dans la ville sainte.

  1. Deutéronome, XXIII, 18, 19.
  2. L'Écriture dit : mehir kéleb, « rançon d'un chien » ;

l'interprétation que la Mishna donne de ces mots énigmatiques est toute différente de celle de Josèphe. D'après Temoura, 30 a, il s'agirait d'une bête pure, un agneau, par exemple, qu'on voudrait consacrer en échange d'un chien. Rappelons que les commentateurs modernes s'accordent à voir plutôt, dans le kéleb de l'Écriture, le prostitué sacré ; cette interprétation est justifiée par le contexte ; et les prostitués sacrés sont désignés sous ce nom de chiens dans l'inscription de Larnaca (C. I. Sem., 86) : voir Revue des Études juives, t. III, p. 200.

 

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  1. Cf. C. Apion, II, § 237 ; Deutéronome, VII, 25.
  2. Cette explication du verset de l'Exode est tout à fait différente de celle de la tradition, qui entend par Elohim les juges, acception que ce mot à dans d'autres passages et qui semble ici confirmée par le contexte. Mais il est à remarquer que Josèphe est d'accord avec les LXX et peut-être aussi avec Philon qui déclare (II, p. 166 et 219), à propos du passage du Deutéronome, VII, 25, qu'il ne faut pas prononcer le nom des divinités étrangères pour ne pas s'habituer à blasphémer (cf. Freudenthal, Hellen. Stud., p. 218). Le véritable sens paraît être qu'il est défendu aux Hébreux, sous peine de blasphème, d'invoquer les noms des divinités étrangères ; il est curieux de constater que, d'après Théophraste (ap. Josèphe, C. Apion, I, 22), une défense exactement analogue existait dans les lois tyriennes, et que parmi les serments prohibés figurait précisément celui qui était en usage chez les Juifs. Voir Textes relatifs aux Juifs, n° 6 [T. R.]
  3. Josèphe s'inspire ici du verset Deutéronome, VII, 25, qui recommande de ne pas convoiter et prendre l'or et l'argent des idoles mais il semble donner à cette prescription plus de portée que ne fait la Bible, qui insiste surtout à maintes reprises sur l'obligation d'anéantir les lieux de culte païens. On sent dans Josèphe le souci de ménager les Romains. En effet, la loi était sévère pour les « sacrilège ». D'après un texte de Philon (II, M., p. 640, ex. Eus., Præp. ev., VIII, 14), la loi condamnait le « convoiteur » à être précipité, noyé, ou brûlé.
  4. Lévitique, XIX, 19, et Deutéronome, XXII, 11.
  5. La Mishna (Kilaïm, IX, 1) ne fait que le constater, sans dire que ce soit là la raison de l'interdiction pour les laïques de porter des étoffes de laine et de lin.
  6. Deutéronome, XXXI, 10.
  7. La Bible n'indique pas expressément qui doit faire la lecture

septennale. Le verset dit (Deutéronome, XXXI, 10-11) : « Moïse leur prescrivit ceci (aux prêtres et aux anciens mentionnés dans le verset précédent) : A la fin de chaque septième année... tu feras lecture de cette Tora en présence de tout Israël ». La tradition (Sota, VII, 8) admet qu'il s'agit de la lecture du Deutéronome, et en particulier du passage relatif à la royauté (Deutéronome, XVII, 14­20), lecture faite, en conséquence, par le roi ; elle rapporte à l'appui l'histoire d'une lecture de ce genre effectuée par Agrippa. Le rapprochement de cette tradition avec notre texte de Josèphe a beaucoup exercé les commentateurs. S'agit-il dans la Mishna

 

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d'Agrippa II, contemporain de Josèphe, comment ce dernier ignorait-il les usages au point d'attribuer au grand-prêtre une prérogative du roi ? Aussi l'opinion de beaucoup d'auteurs est que la Mishna veut parler du pieux Agrippa Ier, qui régna de 42 à 45. Le grand-prêtre aurait repris ultérieurement un rôle qui était plutôt dans ses attributions. Récemment, M. A. Büchler (Die Priester und der Cultus im letzten Jahrzehnte des jerusalemuchen Tempels, Vienne, 1895, p. 11 et suiv.) est revenu, avec des arguments ingénieux, à l'opinion, également ancienne, de ceux qui persistent à reconnaître Agrippa II dans le texte de la Mishna. Le témoignage divergent de Josèphe s'expliquerait par ce fait qu'il ne connaît les usages de Jérusalem que jusqu'en l'année 62. Avant cette époque, c'était bien le grand-prêtre qui faisait la lecture septennale. Mais en 62-63 une révolution importante eut lieu. Avec la déposition du grand-prêtre Anan ben Anan, le parti sadducéen dut céder la place au parti pharisien, qui, une fois au pouvoir, diminua beaucoup les prérogatives des prêtres et fit prévaloir certains usages, comme d'attribuer au roi la présidence de la cérémonie septennale. Josèphe n'en aurait rien su. Ni l’une, ni l'autre de ces opinions n'a pour elle d'arguments bien décisifs. D’ailleurs, le dire de Josèphe n'a peut-être pas ici la valeur d'un témoignage qu'on puisse confronter avec celui de la Mishna. Malgré l'habitude qu'à Josèphe de regarder le passé à travers le présent, il semble qu'il n’ait fait ici que suivre d'une façon plus ou moins libre le texte même du Deutéronome.

  1. Quelles lois ? La Mishna de Sota en donne la liste suivante : Deutéronome, I. 1-IV, 9 ; XI, 13-19 ; XIV, 22 ; XXVI, 12-19 ; XVII, 14-20 ; XXVIII. Josèphe semble, bien qu'il s'exprime en termes assez vagues, indiquer une lecture plus étendue et renfermant plus de lois proprement dites, ce qui se rapprocherait de l'opinion de Maimonide, qui croyait savoir qu'on lisait sans interruption de XIV, 22, à XXVIII, 69.
  2. Deutéronome, VI, 6 ; XI, 18.
  3. Josèphe admet, comme la tradition pharisienne, l'origine

mosaïque de l'obligation de la prière quotidienne, en particulier de la récitation du Schema (Deutéronome, VI, 4-9 ; XI, 13-19; Nombres, XV, 37-41 ; cf. Berachot, 11 a) et du port des phylactères (Menahot, 34 b).

  1. Deutéronome, XVI, 18.
  2. L'Écriture ne précise pas et dit seulement : « Tu institueras des juges et des magistrats ». Cette magistrature composée de sept personnes, assistées de deux Lévites, Josèphe l'a vue fonctionner. Il a lui-même institué en Galilée, dans chaque ville, des

 

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magistratures de sept membres (Bellum, II, XX, 5). Cependant le Talmud paraît à peine connaître cette institution et n'en parle qu'une fois, dans Meguila, 26 a, fin : il est question dans ce passage, mais en termes vagues, des sept notabilités de la ville ; cf. aussi Maimonide (M. Tora, H. Sanhédrin, I, 9 ; II, 3), qui a consigné une tradition analogue. Schürer (Geschichte des jüdischen Volkes, 3e édit., t. II, p. 178) croit que Josèphe, tout en rapportant faussement à Moïse une institution plus récente, n'en est pas l'inventeur et n'a fait en Galilée que régulariser la coutume.

  1. La Bible attribue aussi généralement des fonctions juridiques aux Lévites. Voir, entre autres, Deutéronome, XXI, 5.
  2. Deutéronome, XVII, 8. La Bible parle seulement des prêtres lévites et du juge (v. 9).

[136] Deutéronome, XVII, 6 ; XIX, 15.

  1. L'Écriture ne le dit pas ; mais Josèphe est d'accord avec la tradition : le Talmud (Schebouot, 30 a) enseigne que les femmes ne peuvent témoigner, règle qu'on déduit de Deutéronome, XIX, 17, en alléguant de plus la coutume fondée sur un verset des Psaumes (XLV, 14).
  2. Le Talmud le déduit a fortiori de la règle précédente dans

Baba Kamma, 88 a. Les raisons morales sont imaginées par Josèphe.

  1. Deutéronome, XIX, 18.
  2. Josèphe donne à cette loi un caractère général ; le Talmud

(Makkot, 5 b) la restreint au cas où les témoins seraient convaincus par d'autres témoins de n'avoir pas été présents au moment où le crime a été commis ; quant au crime lui-même, il s'agit d'un meurtre.

  1. Deutéronome, XXI, 1.
  2. Ce détail est étranger au texte de l'Écriture.
  3. D'après la Mishna de Sota, IX, 1, les anciens sortaient au nombre de trois, ou de cinq, suivant l'opinion de Rabbi Ychouda. D'ailleurs la même Mishna dit plus loin (47 a) que depuis une certaine époque où les meurtres étaient devenus nombreux, cette procédure était abolie.

 

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  1. La tradition voit plutôt dans le nahal éthan de la Bible un cours d'eau impétueux qu'un ravin (Sota. IX. 3).
  2. Deutéronome, XVII, 14.
  3. Texte altéré.
  4. D'après le Talmud (Sanhédrin, 20 b), le roi doit prendre conseil du tribunal de 71 membres pour engager une guerre « facultative » (c'est-à-dire avec tout autre peuple que les Amalécites ou les sept peuplades chananéennes).
  5. Deutéronome, XIX, 14 ; XXVII, 17.
  6. Lévitique, XIX, 23.
  7. La Bible ne donne aucun motif de ce genre.
  8. Cf. Sifra (ad loc.); Mishna de Péa, VII, 6; Maaser Schèni, V, 1-

5 ; Edouyot, IV, 5 ; Baba Kamma, 69 b : la tradition assimile également les plantes de la quatrième année à la dîme seconde, au point de vue de la faculté de rachat, tandis que la Bible dit seulement que ces produits de la quatrième année sont consacrés à Dieu.

  1. Lévitique, XIX, 19 ; Deutéronome, XXII, 9.
  2. Ici, comme plus haut, Josèphe s’ingénie à trouver des raisons aux lois données sans commentaire dans l'Écriture.
  3. Lévitique, XIX, 9 ; Deutéronome, XXIV, 19.
  4. Deutéronome, XXV, 4.
  5. Ibid., XXIII, 25.
  6. On remarquera combien Josèphe insiste sur ces dispositions qui sont de nature à rehausser la charité de la loi juive aux yeux des lecteurs païens. C'est dans le même esprit qu'il rattache à ces lois charitables cette partie du paragraphe (Deutéronome, XXV, 3), qui, en réalité, a une portée beaucoup plus générale [T. R.]

 

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  1. Deutéronome, XXV, 2-3.
  2. Selon la Bible, le nombre de coups est de 40. Mais la tradition le réduisait à 39 ; en effet, le Talmud (sur Makkot, III, 6) rapproche le mot hébreu qui finit le verset 2 du ch. XXV, du mot qui commence le verset 3, et il explique qu'il s'agit du nombre proche de 40, c'est-à-dire 39. La véritable raison était peut-être au fond, comme on l'a dit quelquefois, qu'on avait peur d'enfreindre la défense de dépasser le nombre de 40 et qu'on estimait, en conséquence, plus prudent de ne pas l'atteindre. Quoi qu'il en soit, la tradition est confirmée par Josèphe et aussi par l'apôtre Paul (II Cor., XI, 24). Mais, d'après la tradition, on appliquait, en général, la flagellation à quiconque violait un précepte négatif, lorsque la violation de ce précepte n'entraînait pas une pénalité plus grave. Josèphe restreint l'application de la peine de la flagellation à la transgression des lois énumérées immédiatement avant et après dans le Deutéronome (XXIV, 19-22; XXV, 4) ; voir aussi la note qui précède celle ci dessus.
  3. Deutéronome, X, 19 ; XXIV, 18, 22.
  4. Ibid., XIV, 28 ; XXVI, 12.
  5. C'est le maaser ani de la Mishna. D'après Josèphe, il semblerait que la troisième année il fallut payer trois dîmes : celle des Lévites (maaser rischon), celle des festins (m. schèni) et celle des pauvres. Si telle était son opinion, elle serait contredite formellement par la tradition, qui établit (Rosch Haschana, 12 b, baraïta confirmée par la Mishna de Maaser Schèni, V, 9) qu'on ne donnait chaque année que deux dîmes ; la troisième année, on avait à payer la dîme des pauvres et celle des Lévites, qu'on payait toujours (aux Lévites et aux prêtres) ; mais les termes de Josèphe ne sont pas assez précis pour qu'on y voie une doctrine différente. cf. Olitzki (op. cit.), p.16 sqq. Schürer a essayé de démontrer que Josèphe et la Mishna étaient d'accord (Theologische Litteraturzeitung, 1886, p. 122 sqq.).
  6. Deutéronome, XXVI, 2.
  7. Ibid., XXVI, 13.
  8. Cf. C. Apion, II, § 200 et suiv. ; Deutéronome, XXII, 22.
  9. Cette disposition, pas plus que la suivante, n'est tirée de

l'Écriture ; Josèphe parle simplement en moraliste, et d'après l'usage de son temps.

 

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  1. Lévitique, XXI, 7.
  2. Cette défense ne s'applique, d'après la loi, qu'aux prêtres et

Josèphe, chose singulière, en a déjà parlé auparavant (Antiquités, liv. III, XII, 2).

  1. Le Talmud (Kiddouschïn, 70 a) exprime une pensée analogue

: « Quiconque épouse une femme par intérêt en aura des enfants indignes » ; cf. aussi Yebamot, 63 b.

  1. Deutéronome, XXII, 13.
  2. L'Écriture dit « son père et sa mère ».
  3. Deutéronome, XXV, 3.
  4. Cent pièces d'argent selon l'Écriture ; mais la Halacha (Ketoubôt, 45 b) précise et parle de 100 sélas or le séla est un demi-sicle (cf. Zuckermann, op. cit., p.24)
  5. Josèphe est ici contraire à la Halacha (Sanhédrin, 50 b), qui établit qu'une fille de prêtre n'est condamnée à être brûlée que si elle manqué à ses devoirs une fois mariée : avant le mariage, elle subit la loi commune. Quant au supplice même, selon la Mishna de Sanhédrin, VII, 2, la coupable n'était pas « brûlée vive » ; on lui versait du plomb fondu dans la bouche. R. Eliezer ben Zadok (Ier siècle de l'ère chrétienne) rapporte à la fin de ce texte qu'un jour on érigea un bûcher pour brûler une fille de prêtre ; mais le tribunal n'aurait agi alors que par méconnaissance de la loi.
  6. Deutéronome, XXI, 15.
  7. Ce principe n'apparaît dans le Pentateuque qu'à ce propos.
  8. Deutéronome, XXII, 23 ; cf. C. Apion, II, § 215.
  9. Ibid., 25.
  10. Ibid., 28.
  11. La Halacha (Sifré, 118 b ; Ketoubot, 39 b) décide également que l'amende est payée au cas seulement où le mariage ne s'effectue pas. Cf. Philon, II, 312 ; Ritter, op. cit., p. 85 sqq.

 

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  1. Deutéronome, XXIV, 1.
  2. C'est l'opinion de Hillel (Ie siècle av. J.-C.) dans la fameuse discussion qu'il soutient avec Schammaï a propos du divorce (Guittin, 90 a), discussion provoquée par les mots du verset. Schammaï en déduit qu'il faut l'inconduite de la femme pour que le mari puisse la répudier ; Hillel l'y autorise même pour un motif insignifiant. Il semble que cette dernière opinion ait prévalu d'après Antiquités, XVI, § 198 ; Vita, § 426 ; cf. Marc, X, 2 ; Luc, XVIII, 29 ; Matthieu, XIX, 4.
  3. Deutéronome, XXV, 5.
  4. L'Écriture dit seulement « pas de fils » ; Josèphe est

conforme à la tradition (Baba Batra, 109 a) ; on a remarqué que Philon ne parlait pas de la loi du lévirat.

  1. Deutéronome, XXI, 10.
  2. Le texte de l'Écriture n’a pas cette précision ; mais la

tradition (Sifré, 112 b, 113 a ; Kiddouchin, 22 b) permet également au vainqueur d'épouser une captive antérieurement mariée (à un païen, s'entend) sous les conditions prescrites, préférant réglementer ainsi des licences qu’une loi restrictive ne ferait que favoriser. Philon (II, p. 393) ne parle que d'une union avec une vierge.

  1. Deutéronome, XXX, 18 ; cf. C. Apion, II, § 217.
  2. Texte altéré. - D'après la Halacha, il faut que l'enfant se soit adonné à des excès de nourriture et de boisson pour être déclaré ben sorer oumoré, c'est-à-dire rebelle (Sanhédrin, VIII, 2).
  3. Le texte hébreu dit « ils le châtieront ». D'après la tradition, l'enfant insoumis subit d'abord une flagellation devant un tribunal de trois personnes (ibid., 5).

[190] Cf. Philon (De par. col., éd. Richter, p. 53).

  1. D'après la tradition, la loi ne s’applique qu'aux fils (Sifré, 114 a).
  2. La Mishna (Sanhédrin, VIII, 5) exige un jugement du tribunal de 23 membres, dont doivent faire partie les trois personnes qui ont infligé la première punition (flagellation).

 

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  1. Voir plus haut chap. VIII, 6 la note.
  2. Deutéronome, XXI, 22.
  3. Exode, XXII, 24 ; Lévitique, XXV, 36 ; Deutéronome, XXIII, 20.
  4. Exode, XXII, 25.
  5. Deutéronome, XXIV, 10.
  6. Ibid., 12.
  7. Ibid., 6.
  8. La Bible dit : « car c'est la vie qu'il prend en gage ». En parlant de gagne-pain, Josèphe étend la loi implicitement à tout ce qui fait vivre ; cf. Sifré, 123 a ; Baba Mecia, 115 a (Mishna). Philon, II, 333, dit « les instruments de la vie ».
  9. Exode, XXI, 16 ; XXII, 1.
  10. Josèphe ne dit pas qu'il y ait de différence entre le vol d'un

Israélite ordinaire (crime puni de mort) et le vol d'un enfant ou d'un esclave, distinction qu'on trouve dans la Mishna de Sanhédrin (X, 3) et dans Philon, II, M., p. 338.

  1. Josèphe ne parle pas du cas prévu par Exode, XXII, 3, « Si le

soleil luit sur le voleur, etc. », expression que la Halacha (Sanhédrin, 72 a, fin) prend au figuré comme le Pseudo-Jonathan en l'expliquant ainsi « S'il est clair comme la lumière du jour que cet homme n'avait point d'intentions criminelles contre toi, épargne sa vie », et que Philon explique à la lettre (II, p. 336).

  1. Exode, XXII, 1
  2. Un agneau ou un chevreau () selon l'Écriture. Les LXX sont plus précis que Josèphe.
  3. Josèphe oublie de dire que cette amende quadruple ou quintuple n'est exigible que si le voleur a immolé ou vendu la bête en question.

 

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  1. Cf. Antiquités, liv. XVI, I, 1. Philon dit la même chose, II, M.,

p. 336, ainsi que la Halacha (Mechilta sur Exode, XXI, 1). La Bible ne parle de vendre le voleur insolvable qu'à propos du cas d'effraction (Exode, XXII, 3).

  1. Exode, XXI, 2 ; Deutéronome, XV, 12. Josèphe omet de parler de la pratique du poinçon avec lequel on marquait à l'oreille l'esclave qui ne voulait pas quitter son maître au bout des six années (Exode, XXI, 6 ; Deutéronome, XV, 17).
  2. Deutéronome, XXII, 1
  3. Cet usage n'est pas indiqué dans l'Écriture, mais on voit par

le Talmud qu'il était pratiqué (Baba Meçia, 28 b; Taanit, 19 a). Il y avait même une pierre à Jérusalem où se rendaient celui qui avait trouve un objet et celui qui l'avait perdu ; l'un faisait sa déclaration, l'autre décrivait l'objet.

  1. Deutéronome, XXIX, 4.
  2. Lévitique, XIX, 14 ; Deutéronome, XXVII, 18.
  3. Ce précepte est une interprétation très large des deux versets de la Bible cités : on dirait que Josèphe a voulu réfuter d'avance ceux qui, avec Juvénal, accusaient la loi mosaïque d'interdire aux Juifs de montrer le chemin à d'autres qu'à leurs coreligionnaires (Juvénal, XIV, 103) : Non monstrare vias eadem nisi sacra colenti. [T. R.]
  4. Exode, XXI, 18.
  5. Josèphe a confondu les dispositions des versets 18-19 d'une part et 20-21 de l'autre. La loi n'exempte de peine que le maître qui a frappé un esclave si celui-ci survit quelques jours aux coups. Elle ne dit rien de pareil pour le cas d'un homme libre [T. R.]
  6. Ces développements sont conformes à la Halacha (Mechilta, 89 b, 90 a), Philon (II, p. 317) s'en écarte.
  7. Exode, XXI, 22.
  8. D'après la Halacha (Mechilta, 90 a, et Pseudo-Jonathan, sur Exode, XXI, 22), le coupable n'a d'amende à payer qu'au mari c'est par erreur que Josèphe semble ici supposer deux amendes.

 

Zone de Texte: [225] Josèphe ne tient pas compte du verset 30 (ch. XXI) et parait en contradiction avec la Halacha (Mechilta, 93 a), qui déclare queFLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. Cette explication est celle de la Halacha et de presque tous les commentateurs. Philon, II, p. 317, entend par le mot ason le fœtus déjà tout formé ; de même les LXX.
  2. Cette loi ne se trouve nulle part dans le Pentateuque. Le seul

passage qui ait quelque rapport avec elle est celui d'Exode, XXII, 18 : « une sorcière, tu ne la laisseras pas vivre » (cf. Deutéronome, XVIII, 10, 13). Mais il n'est jamais question de poison. La tradition elle-même ne connaît que les meurtres commis directement (Sanhédrin, 76 b, 77 a). Une seule baraïta (Baba Kamma, 47 b, 56 a) envisage le cas où l'on aurait donné du poison, mais à une bête. Il est probable que Josèphe a emprunté cette loi à Philon (II, M., p. 315-317), mais en l'aggravant, car Philon ne dit pas que le simple recel de poison entraîne la peine capitale (cf. Ritter, op. cit., p. 28).

  1. Exode, XXI, 24 ; Lévitique, XXIV, 19.
  2. C'est a peu près l'interprétation pharisienne de la loi dite du talion, qu'on trouve formulée dans l'Ecriture : « oeil pour oeil, dent pour dent, etc. » La différence entre Josèphe et la tradition (Baba Kamma, 83 b), c'est que, selon celle-ci, il n'y a même pas d'alternative : la réparation ne saurait consister qu'en une amende et cette amende est fixée, non par l'individu lésé, mais par le tribunal compétent. Philon (voir Ritter, p. 20) semble prendre à la lettre la loi du talion : il adopterait donc la doctrine des Sadducéens, dont le code pénal était très rigoureux et conforme, sans doute, à la lettre même de la loi écrite. On sait que ce code fut abrogé sous le règne de la reine Salomé Alexandra (78-69 av. J.-C.) et qu'on fêta l'anniversaire de cette abrogation, le 14 Tammouz (v. Schol. Meguillat Taanit, IV).
  3. Exode, XXI, 28.
  4. L'Écriture ne dit pas cela. D'après le verset 28 du ch. XXI. reproduit, d'ailleurs, par Josèphe, un bœuf heurteur n'est mis à mort qu'au cas où, insuffisamment surveillé, il aurait causé un malheur. Cependant, il y a une opinion talmudique qui ressemble à l'assertion de Josèphe. Dans la Mechilta (93 a) et dans Baba Kamma (45 b), R. Eliezer dit : « la meilleure surveillance, c'est un couteau » ; en d'autres termes, il vaut mieux immoler l'animal dangereux (cf. Josèphe). Les LXX paraissent avoir eu une tradition analogue, car ils traduisent les mots : « s'il ne le surveille pas » (v. 29) par « et qu'il ne l'ait pas l'ait disparaître ».

 

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le propriétaire du bœuf heurteur encourt seulement le châtiment céleste (Mita bidè schamaïm), les mots et son propriétaire mourra ne devant pas être pris à la lettre. Selon Philon (II, M., p. 323), c'est aux juges à déterminer s'il mourra ou devra payer une amende.

  1. Exode, XXI, 32.
  2. Ibid., 35.
  3. D'après le texte de la Bible, il semble qu'on ne partage que le prix du bœuf vivant et que le bœuf mort se partage en nature. Josèphe n'a pas tenu compte non plus du verset 36, qui dispose que, si le maître du bœuf heurteur est en faute, il livrera son animal au maître lésé en gardant pour lui le bœuf mort [T. R.]
  4. Exode, XXI, 33.
  5. Deutéronome, XXII, 8.
  6. Josèphe s'est peut-être inspiré ici de Philon (II, p. 324) en

réunissant comme lui ces deux lois sur les puits et les terrasses des maisons, lesquelles ne se trouvent jointes ensemble ni dans l'Ecriture ni dans la tradition (v. Ritter, p. 52).

  1. Exode, XXII, 6 ; cf. C. Apion, II, § 162.
  2. Voir plus haut chap. VIII, 14. La Halacha (Mechilta, 98 a) tire

de cette loi sur les dépôts la règle que les affaires d'argent se traitent devant un tribunal de trois juges, ou de cinq, selon l'opinion dissidente de B. Mëir. Nulle part il n'est question de sept juges.

  1. Cette disposition ressort du verset 10 (ch. XXII). Quant à la loi dans son ensemble, Josèphe la résume sans précision. Il ne semble guère envisager que le cas du dépositaire bénévole (Schomer hinnam) ; la tradition tire des mêmes textes une foule de circonstances et de cas divers (dépositaire salarié, locataire, emprunteur ; v. Mechilta, p. 97 a - 100). On trouve chez Philon (II, M., p. 340 sqq.) des développements analogues à ceux de Josèphe sur le caractère sacré du dépôt.
  2. Deutéronome, XXIV, 16.
  3. Le texte paraît profondément altéré.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. Deutéronome, XXIII, 2.
  2. Cette idée est exprimée également dans le Talmud, mais à

propos du célibat des hommes. R. Eliezer dit (Yebamot, 63 a) : « Tout Juif qui ne se conforme pas au précepte : “Croissez et multipliez-vous” ressemble à un meurtrier » Cf. aussi Nidda, 13 a.

  1. Il est singulier que Strabon dans plusieurs textes (XIV, 2, 37 ; XVI, 4, 9 ; XVII, 2, 5) attribue, au contraire, aux Juifs cette pratique, appliquée, il est vrai, selon lui, aux femmes (cf. Textes relatifs au judaïsme, p. 102). Il est, d'ailleurs, peu croyable que la castration n'ait pas été permise à l'égard des espèces ovine et bovine. [T. R.]
  2. Deutéronome, XX, 10.
  3. Ibid., 3.
  4. Ibid., 5.
  5. Ibid., XXIV, 5.
  6. Ibid., XX, 19.
  7. Josèphe laisse de côté les prescriptions relatives aux Ammonites, Moabites, Iduméens ou Égyptiens (Deutéronome, XXIII, 4-10).
  8. Deutéronome, XX, 13.
  9. Ibid., XXII, 5.
  10. Ces mots ne sont pas dans l'Écriture ; mais ils rappellent

une opinion rabbinique (Mechilta, p. 115 b ; Nazir, 59 a) : R. Eliezer ben Yakob (Ier siècle de l'ère chrétienne) se demande d'où vient qu'une femme ne doit pas porter d'armes, ni aller à la guerre ; il trouve le fondement de cet usage dans les mots : « Une femme ne portera point d'attirail viril », le mot keli pouvant signifier des armes aussi bien que des vêtements.

  1. Voir Antiquités, Liv. III, VIII, 10, et note.
  2. Deutéronome, XXVIII, 1-68.

 

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  1. Ibid., XXXI, 30 - XXXII, 1-42. Cf. Antiquités, II. Il serait téméraire de conclure de cet anachronisme que Josèphe connaissait des traductions en hexamètres grecs de ces passages poétiques.
  2. Deutéronome, XXXI, 9.
  3. Ibid., XXV, 17.
  4. Ibid., XXVII, 1, 4 ; Josué, VIII, 30.
  5. Deutéronome, XXVII, 12.
  6. D'après Josèphe, Moïse inscrit lui-même les bénédictions et

malédictions sur l'autel. D'après l'Écriture (Deutéronome, XXVII, 3), c'est le peuple qui doit graver, non ses paroles, mais les lois sur l'autel de l'Ebal. On peut soupçonner que le texte est altéré. Quant aux sacrifices et holocaustes, ils sont bien mentionnés (Josué, VIII, 31 et Deutéronome, XXVII, 7), mais il n'est nullement question d'une interdiction de sacrifices futurs ; cette interdiction n'aurait pas eu de raison d'être, puisque le temple n'était pas encore bâti. Josèphe est ici plus loyaliste que la loi. [T. H.]

  1. Deutéronome, XXIX, 1.
  2. Ibid., XIII, 7, 13.
  3. Ces derniers mots, qui ne correspondent à rien dans la Bible, paraissent incompréhensibles [T. R.]
  4. Nombres, XXVIII, 1.
  5. Antiquités, liv. III, VIII, 9.
  6. Deutéronome, XXVIII, passim ; XXX, 17.
  7. Josèphe a ajouté la conclusion renfermée dans ce dernier

paragraphe, et qui échappait nécessairement au rédacteur du Deutéronome. [T. R.]

  1. Deutéronome, XXXI, 7.
  2. Ibid., XXXII, passim.

 

Zone de Texte: [273] La tradition date également la mort de Moïse du mois d'Adar, mais du 7 de ce mois (Kiddouschin, 38 a ; Meguilla, 13 b).FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. Deutéronome, XXXIII, 1.
  2. Ibid., XXXIV, 1.
  3. En hébreu : Abarim. Josèphe ne mentionne pas le mont

Nebo, qui est donné (Deutéronome, XXXIV, 1) comme l'endroit précis où Moïse mourut.

  1. Deutéronome, XXXIV, 5.
  2. Le verset dit : « Et il l'enterra dans la vallée ». Le mot Gaï est considéré par les LXX comme un nom propre. Josèphe semble ne pas l'avoir traduit comme tel.
  3. La tradition discute la question de savoir si Moïse a écrit ou non le récit de sa mort, alors que tout le reste du Pentateuque est de sa main. Dans le Sifré sur Deutéronome, XXXIV, 5, l'un des opinants (anonyme) dit que les huit derniers versets du Deutéronome ont été écrits par Josué ; H. Méir (Tanna du IIe siècle) pense, au contraire, en se fondant sur Deutéronome, XXXI, 24, que Moïse écrivit toute la Tora sous la dictée de Dieu, y compris le récit de sa mort, comme Baruch écrivit sous la dictée de Jérémie (Jérémie, XXXVI, 4). Dans la célèbre baraïta de Baba Batra, 15 a (Menahot, 30 a), R. Juda ou, selon une autre version, R. Néhémia (fin du IIe siècle) déclare que les huit derniers versets du Deutéronome sont de Josué ; mais R, Siméon ben Yohaï, réplique : « Est-il possible qu'il manquât une lettre à la Tora ? Moïse a tout écrit sous la dictée de Dieu, même le récit de sa mort, qu'il a écrit en pleurant ». L'opinion de Josèphe, abstraction faite de son caractère rationaliste, rappelle, comme on voit, cette tradition, retenue par R. Méir et plus tard par R. Siméon ben Yohaï, à savoir que le Pentateuque était intégralement l’œuvre de Moïse. Philon dit aussi que Moïse a écrit prophétiquement le récit de sa mort (De vita Mos., III, 39).
  4. Deutéronome, XXXIV, 7.

 

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JOSEPHE

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XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE 5

Chapitre premier

Josué, général des Hébreux, ayant fait la guerre aux Chananéens et les ayant vaincus, les extermine et partage leur pays aux tribus par la voie du sort.

1. Josué envoie des espions à Jéricho et se prépare à franchir le Jourdain. - 2. Aventure des explorateurs chez Rahab. - 3. Passage du Jourdain à gué. - 4. Érection d'un autel et célébration de la Pâque. - 5. Préparatifs de la conquête de Jéricho. - 6. Écroulement des murs de Jéricho. - 7. Massacre des habitants, â l'exception de Rahab. - 8. Destruction de Jéricho et imprécations de Josué. - 9. Consécration à Dieu du butin. - 10. Objets détournés par Achan. - 11. Josué à Guilgal. - 12. Échec devant Aï; découragement de l'armée. - 13. Prière de Josué. - 14. Découverte du sacrilège commis par Achan; mort de ce dernier. - 15. Conquête d'Aï. - 16. Ruse des Gabaonites, qui obtiennent l'alliance de Josué. - 17. Josué les défend contre les rois chananéens. - 18. Victoires de Josué sur les Chananéens et les Philistins - 19. Érection du tabernacle de Silo et cérémonie des imprécations à Sichem. - 20. Josué convoque une assemblée à Silo et fait un discours au peuple. - 21. Il envoie dix hommes pour mesurer les dimensions du pays. - 22. Partage du pays entre les neuf tribus et demie. - 23. Attribution antérieure de l'Amoritide. - 24. Villes lévitiques et de refuge; partage du butin. - 25. Josué congédie amicalement les deux tribus et demie. - 26. Érection par elles d'un autel sur l'autre rive du Jourdain; émoi des Israélites; discours de Phinéès. - 27. Les tribus transjordaniques protestent de leur fidélité aux lois

 

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communes. - 28. Discours de Josué avant sa mort. - 29. Mort de Josué et d'Éléazar.

1[1]. Moïse avant été enlevé du milieu des hommes de la

façon qu'on vient de dire, Josué, dès que tous les rites légaux furent accomplis à son égard et que le deuil eut pris fin, avertit le peuple de se tenir prêt à entrer en campagne. Il envoie[2] des espions à Jéricho, chargés de

reconnaître les forces des habitants et leurs dispositions. De son côté, il passa en revue son armée pour traverser en temps opportun le Jourdain. Ayant convoqué les chefs de la tribu de Roubel et ceux qui étaient à la tête des tribus de Gad et de Manassé[3] - car on avait permis

aussi à la moitié de cette tribu d'habiter l'Amorée, qui forme la septième partie[4] du pays des Chananéens -, il

leur rappela ce qu'ils avaient promis à Moïse, et les exhorta, par reconnaissance pour la providence dont il n'avait cessé, même au moment de mourir, de les entourer, ainsi qu'au nom de l'intérêt commun, de se montrer empressés à exécuter ses ordres. Ceux-ci le suivent, et avec cinquante mille hoplites[5], partant

d'Abila[6], il s'avança de soixante stades vers le Jourdain.

2[7]. Il venait d'établir son camp, lorsque reparurent les

espions, à qui rien n'avait échappé de la situation des Chananéens. Inconnus, en effet, au commencement, ils avaient examiné la ville entière[8] en sécurité, observé où

les remparts étaient solides et où ils offraient un abri moins sûrs aux habitants, et quelles étaient les portes qui pourraient, grâce à leur peu de solidité, faciliter l'entrée à leur armée. Les gens qu'ils rencontraient ne se souciaient pas de leur inspection, attribuant à la curiosité habituelle aux étrangers cette application à étudier par le menu tout ce qu'il y avait dans la ville, et nullement à une pensée hostile. Mais quand, le soir venu, ils se furent retirés dans une auberge[9] à

proximité des remparts, où ils avaient déjà été conduits pour y manger, et qu'ils ne songeaient plus désormais qu'au départ, on dénonça au roi, pendant qu'il dînait, la présence d'individus venus du camp des Hébreux pour explorer la ville et qui se trouvaient dans l'auberge de

 

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Rahab (Rachabé), extrêmement préoccupés de passer inaperçus. Celui-ci envoya immédiatement des hommes vers eux avec l'ordre de les surprendre et de les amener, afin qu'on leur appliquât la torture, et qu'il sût ainsi dans quelle intention ils étaient venus. Quand Rahab apprend leur arrivée - elle était en train de faire sécher des brassées de lin sur le toit -, elle y cache les espions et dit aux envoyés du roi que quelques étrangers inconnus, un peu avant le coucher du soleil, s'étaient restaurés chez elle et puis l'avaient quittée ; que, s'ils paraissaient à redouter pour la ville ou s'ils étaient venus mettre le roi en danger, on n'aurait pas de peine s'emparer d'eux en se mettant à leur poursuite. Ces hommes, ainsi trompés par la femme, s'en retournèrent sans soupçonner aucune ruse, sans même fouiller l'auberge. Mais comme, après s'être jetés sur les chemins par où il paraissait le plus vraisemblable que les autres avaient fui, en particulier sur ceux qui conduisaient au fleuve, ils ne trouvèrent aucune trace, ils cessèrent de se donner tout ce mal. Le tumulte apaisé, Rahab, ayant fait descendre les espions et leur ayant dit le danger qu'elle avait affronté pour leur salut - car, si on l'avait prise à les cacher, elle n'eût pas échappé à la vengeance du roi, elle et toute sa maison auraient péri misérablement -, elle les conjure d'en garder le souvenir, une fois que, devenus maîtres du pays des Chananéens, ils pourraient la récompenser de leur avoir à l'instant sauvé la vie, et elle les invita à rentrer chez eux après avoir fait le serment de la préserver, elle et tous ses biens, lorsque, la ville prise, ils détruiraient tous ses habitants comme leurs compatriotes l'avaient décrété ; cela, elle le savait par certains signes[10] que lui avait envoyés Dieu. Eux se

déclarent reconnaissants pour le présent et ils lui jurent que dans l'avenir ils lui rendront réellement bienfait pour bienfait ; quand elle verrait la ville sur le point d'être prise, ils lui conseillent de retirer ses biens et tous ses proches dans l'auberge et de les y enfermer, et de tendre devant ses portes[11] des étoffes écarlates[12],

afin que, reconnaissant la maison, leur général prit garde de lui porter préjudice. « Car nous la lui indiquerons, dirent-ils, en faveur de ton empressement à nous sauver. Que si quelqu'un des tiens tombe dans le

 

Zone de Texte: 4[16]. Ceux-ci, après s'être avancés de cinquante stades, installent leur camp à dix stades de Jéricho. Et Josué,FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

combat, ne nous en rends pas responsables, et ce Dieu, par qui nous avons juré, nous le supplions de ne point s'irriter contre nous comme si nous avions violé nos serments ». Ces conventions établies, ils partirent en se faisant descendre par la muraille au moyen d'une corde et, revenus sains et saufs chez leurs frères, ils leur racontèrent ce qu'ils avaient été faire dans la ville. Alors Josué informe le grand-prêtre Éléazar et les Anciens de ce que les espions avaient juré à Rahab, et ceux-ci ratifièrent le serment.

3. Comme l'armée appréhendait de passer le fleuve, qui avait un fort courant et qu'on ne pouvait franchir sur des ponts - car on n'en avait point encore construit et, voulût-on en jeter, les ennemis, croyaient-ils, ne leur en laisseraient pas le loisir -, comme, de plus, il n'y avait point de barques, Dieu leur promit de leur rendre le fleuve guéable, en diminuant l'abondance de son cours[13]. Et Josué, après deux jours d’attente, fit

passer l'armée ainsi que tout le peuple de la façon suivante[14] : venaient en tête les prêtres portant l'arche,

puis, derrière eux, les Lévites avec le tabernacle et les ustensiles destinés au service des sacrifices ; enfin, derrière les Lévites, suivait tout le peuple, tribu par tribu, les enfants et les femmes au milieu, de crainte qu'ils ne fussent entraînés par la violence du courant. Quand les prêtres, entrés les premiers, s'aperçurent que le fleuve était guéable - la profondeur avait diminué et les cailloux, que le courant n'était pas assez abondant ni assez rapide pour entraîner avec force, restaient en place comme un plancher solide -, tous alors traversèrent hardiment le fleuve, qu'ils trouvaient tel que Dieu le leur avait prédit. Mais les prêtres s'arrêtèrent au milieu[15]

jusqu'à ce que le peuple eût passé et fût parvenu en lieu sûr. Quand tout le monde eut traversé, les prêtres sortirent à leur tour, laissant les eaux reprendre librement leur cours accoutumé. Et le fleuve, sitôt que les Hébreux l'eurent quitté, s'enfla et reprit ses proportions naturelles.

 

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avec les pierres que chaque phylarque avait prises dans le lit du fleuve sur l'ordre du prophète, érigea un autel, pour témoigner à l'avenir du refoulement des eaux, et y sacrifia à Dieu, puis ils célébrèrent la Pâque[17] (Phasca)

dans cet endroit, tout ce dont ils avaient manqué précédemment leur étant fourni maintenant en abondance. En effet, comme les moissons des Chananéens étaient déjà mûres, on les récolta et on fit un grand butin de tout le reste ; ce fut alors aussi qu'ils perdirent la nourriture de la manne dont ils avaient joui pendant quarante ans.

5[18]. Comme, pendant ces opérations des Israélites, les

Chananéens ne faisaient point de sortie, mais demeuraient en repos à l'abri de leurs murs, Josué résolut de les assiéger. Et, le premier jour de la fête[19],

les prêtres portant l'arche - qu'entouraient en cercle une partie des hoplites afin de la protéger, tandis que d'autres (prêtres[20]) marchaient en avant en sonnant de

leurs sept cornes -, les prêtres exhortent l'armée à la vaillance et font le tour des murailles, escortant aussi des Anciens. Après ces seules sonneries des prêtres - car on ne fit rien de plus -, on rentra au camp. Et quand on eut recommencé pendant six jours, le septième, Josué, ayant rassemblé les hommes d'armes et tout le peuple, leur annonça l'heureuse nouvelle que la ville serait prise ; ce même jour Dieu la leur livrerait, les murs devant s'écrouler d'eux-mêmes, et sans leur coûter aucun effort. Cependant il leur recommanda de tuer tous ceux qu'ils prendraient, sans s'arrêter par fatigue de massacrer leurs ennemis, sans céder à la pitié pour les épargner et sans leur permettre de s'enfuir tandis

qu'ils seraient occupés au pillage : mais ils devaient anéantir tous les êtres animés sans en rien distraire pour leur usage personnel. En revanche, tout ce qu'il y aurait en fait d'or et d'argent[21], il leur

ordonna de l'emporter et de le conserver pour Dieu comme prémices choisies de leurs succès, prises à la première ville conquise ; on ne devait laisser la vie qu'à Rabah et, à sa famille, en vertu des serments qui lui avaient été faits par les espions.

 

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6[22]. Cela dit, il rangea son armée et la conduisit vers la

ville. On fit derechef le tour de la ville, sous la conduite de l'arche et des prêtres, qui, au son des cornes, excitaient les troupes à l'action. Et quand ils en eurent fait sept fois le tour et se furent arrêtés quel-que temps, la muraille s'écroula, sans que les Hébreux y eussent appliqué aucune machine, ni aucun effort.

  1. Ceux-ci, ayant pénétré dans Jéricho, massacrèrent tous les habitants, que le miraculeux effondrement de la muraille avait frappés de stupeur et mis hors d'état de songer à se défendre. Ils périrent donc, égorgés dans les rues ou surpris dans les maisons. Rien ne put les préserver : tous succombèrent jusqu'aux femmes et aux enfants. La ville était pleine de cadavres et rien n’échappa. La ville elle-même, on l'incendia tout entière ainsi que la contrée. Quant à Rahab avec ses parents qui s'étaient réfugiés ensemble dans l'auberge, les espions les sauvèrent, et Josué, devant qui l'on amena Rabah, déclara lui avoir de la reconnaissance du salut des espions et lui dit qu'en la récompensant il ne se montrerait pas au-dessous d'un tel bienfait. Il lui fait don aussitôt de champs et lui témoigne toute considération.
  2. Quant à la ville, tout ce que le feu avait épargné, il le démolit, et, contre ceux qui l'habiteraient, si un jour il se trouvait quelqu'un qui voulût la relever de ses ruines, il prononça des malédictions[23] : celui qui jetterait les

fondements de ses murs serait privé de l'aîné de ses enfants et, quand il les aurait achevés, il perdrait le plus jeune. Cette malédiction, la divinité ne la négligea point ; plus tard nous dirons[24] quel malheur elle amena.

  1. Grâce à la prise de la ville, on amasse une immense quantité d'argent et d'or et aussi de cuivre : personne ne viola les décrets et ne déroba rien pour son avantage personnel ; on s'en abstint comme d'objets d'avance consacrés à Dieu. Et Josué les remit aux prêtres pour les déposer dans les trésors.

10[25]. C'est ainsi que Jéricho périt. Mais un certain

 

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Achar(os), fils de Zébédée[26], de la tribu de Juda, ayant

trouvé un manteau royal tout tissé d'or et un gâteau d'or du poids de deux cents sicles[27], et estimant qu'il était

dur de s'interdire à soi-même la jouissance d'un profit gagné au prix d'un danger et de le porter à Dieu, qui n'en avait pas besoin, creuse un trou profond dans sa tente et y enfouit son trésor, pensant qu'il échappera aussi bien à Dieu qu'à ses compagnons d'armes.

11[28]. L'endroit où Josué avait établi son camp fut appelé Galgala[29]. Ce nom signifie libérant[30] : car,

ayant passé le fleuve, ils se sentaient désormais affranchis des maux éprouvés en Égypte et dans le désert.

12[31]. Peu de jours après la ruine de Jéricho, Josué envoie trois mille hoplites contre la ville d'Anna[32] (Aï),

située au-dessus de Jéricho, pour s'en emparer. Ceux-ci, attaqués par les Annites, prirent la fuite et perdirent trente-six hommes. Cette nouvelle annoncée aux Israélites leur causa une grande affliction et un profond découragement ; c'était plus qu'un regret causé par la perte d'hommes auxquels les unissait la parenté, bien que ce fussent tous des vaillants bien dignes d'estime[33] qui avaient péri ; c'était presque du

désespoir. Eux qui comptaient déjà, en effet, devenir maîtres du pays et conserver indemne dans les combats leur armée, selon les promesses antérieures de Dieu, ils voyaient s’enhardir singulièrement leurs ennemis. Aussi, revêtus de cilices par-dessus leurs vêtements, ils passèrent toute la journée dans les larmes et le deuil, sans se soucier du tout de se nourrir, et ils se montrèrent extrêmement affligés de ce malheur.

13[34]. Josué, voyant l'armée ainsi consternée et en

proie dès lors à un absolu découragement, s'adresse en toute franchise à Dieu. « Ce n'est pas, dit-il, notre confiance en nous-mêmes qui nous a conduits à conquérir ce pays par les armes, c'est Moïse, ton serviteur, qui nous y a excités, lui à qui tu as promis par tant de signes de nous procurer la possession de ce pays et d'assurer toujours à notre armée l'avantage sur nos

 

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ennemis. Sans doute, quelques événements se sont produits conformément à tes promesses ; mais aujourd'hui, défaits contre toute attente, avant perdu quelques hommes de nos troupes, ces désastres nous affligent, car ils semblent indiquer que tes promesses ne sont pas sûres, non plus que ces prédictions de Moïse, et l'avenir nous apparaît sous un aspect encore pire, maintenant que nous avons subi cette première épreuve. Mais toi, Seigneur - car tu as le pouvoir de trouver un remède à ces maux -, dissipe notre affliction présente, en nous procurant la victoire, et ôte-nous de l'esprit ces pensées de découragement quant à l'avenir. »

14[35]. C'est ainsi que Josué, prosterné sur sa face,

suppliait Dieu. Et Dieu lui ayant répondu de se relever et de purifier l'armée de la souillure qui s'y était produite et du vol qu'on avait osé commettre d'objets à lui consacrés - c'était, en effet, la raison de leur récente défaite, mais si l'on recherchait le coupable et si on le punissait, il leur assurerait toujours la victoire sur leurs ennemis -, Josué répète tout cela au peuple, et, après avoir convoqué Éléazar le grand-prêtre et les magistrats, il tira au sort entre les tribus. Et comme le sort indiquait que le sacrilège venait de la tribu de Juda, il tire de nouveau au sort entre les phratries de cette tribu, et le véritable auteur du crime se trouva appartenir à la famille d'Achar. Enfin, après une enquête individuelle, on prend Achar lui-même. Celui-ci, ne pouvant nier, circonvenu si étroitement par Dieu, avoue son vol et produit au jour les objets dérobés. Aussitôt mis à mort, il reçoit de nuit une sépulture ignominieuse, celle des condamnés[36].

15[37]. Josué, ayant purifié son armée, la conduisit en

personne contre Anna, et après avoir dressé pendant la nuit des embuscades tout autour de la ville, au matin il engagea le combat avec les ennemis. Comme ceux-ci marchent contre eux avec assurance à cause de leur première victoire, Josué, simulant une retraite, les attire à distance de la ville ; les Annites croient poursuivre leurs ennemis et les méprisent comme s'ils étaient déjà vainqueurs ; puis, faisant faire volte-face à ses troupes, Josué leur tient tête et, donnant les signaux convenus à ceux qui étaient dans les embuscades, il les excite, eux

 

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aussi, au combat. Ceux-ci se jettent dans la ville, tandis que les habitants se trouvaient autour des remparts, quelques-uns même tout occupés à regarder ce qui se passait dehors. Ils s'emparèrent donc de la ville et tuèrent tous ceux qu'ils rencontraient, et Josué,

rompant les rangs des adversaires, les força à prendre la fuite. Repoussés dans la ville, qu'ils croyaient intacte, lorsqu'ils virent qu'elle était prise elle-même et s'aperçurent qu'elle brûlait avec les femmes et les enfants, ils se répandirent en désordre dans la campagne, incapables de se défendre eux-mêmes à cause de leur isolement. Après ce désastre qui écrasa les Annites, une foule d'enfants, de femmes et d'esclaves fut prise ainsi qu'un immense matériel. Les Hébreux s'emparèrent, en outre, de troupeaux de bestiaux et de beaucoup de butin, - car cette région était riche, - et tout cela, Josué le distribua à ses soldats, tandis qu'il était à Galgala.

16[38]. Les Gabaonites, qui habitaient tout près de

Jérusalem, voyant les désastres arrivés aux habitants de Jéricho et à ceux d'Anna et soupçonnant que le danger fondrait aussi sur eux, ne se déterminèrent pas à aller implorer Josué ; car ils ne croyaient pas qu'ils obtiendraient quelque traitement modéré d'un homme qui luttait pour l'anéantissement du peuple chananéen tout entier ; mais ils invitèrent les Képhérites et les Kariathiarimites[39], leurs voisins, à s'allier avec eux, en

leur disant qu'ils n'échapperaient pas non plus au danger, lorsqu'eux-mêmes auraient commencé à être pris par les Israélites ; en unissant leurs armes, ils avaient le dessein d'échapper à la violence de ceux-ci. Comme les voisins adhérèrent à ces propositions, les Gabaonites envoyèrent des ambassadeurs à Josué pour faire amitié, choisissant ceux des citoyens qu'on jugeait le plus capables d'agir selon les intérêts du peuple. Ceux-ci, estimant que de s'avouer Chananéens était peu sûr, et croyant pouvoir échapper à ce danger en disant qu'ils n'avaient rien de commun avec les Chananéens, mais qu'ils habitaient très loin d'eux, déclarent que c'est pour avoir entendu parler de ses vertus qu'ils ont accompli un grand voyage, et, pour attester leurs dires, ils montrent leur accoutrement : leurs vêtements, disaient-ils, tout

 

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neufs quand ils étaient partis, s'étaient usés à cause de la longueur du voyage ; or, pour le faire croire, ils s'étaient vêtus à dessein de haillons. Ainsi, s'étant donc levés, ils racontèrent qu'ils avaient été envoyés par les Gabaonites et les villes voisines, très éloignées de ce pays, pour faire alliance avec eux aux conditions que comportaient les coutumes de leurs pères ; ayant appris, en effet, que grâce à la faveur et à la libéralité de Dieu, le pays des Chananéens leur avait été donné en propriété, ils s'en disaient fort heureux et ambitionnaient de devenir leurs concitoyens. Tout en parlant ainsi et en montrant les indices de leurs pérégrinations, ils invitent les Hébreux à conclure avec eux alliance et amitié. Josué, croyant, comme ils le prétendaient, qu'ils n'appartenaient pas à la nation chananéenne, fait amitié avec eux, et Éléazar, le grand-prêtre, avec les Anciens, jure de les traiter comme amis et alliés, de ne machiner aucune injustice contre eux et le peuple ratifia ces serments. Les Gabaonites, ayant obtenu par fraude ce qu'ils désiraient, s'en retournèrent chez eux ; mais Josué, ayant marché contre la région montagneuse de la Chananée et appris que les Gabaonites habitaient près de Jérusalem et étaient de la race des Chananéens[40],

manda leurs magistrats et leur reprocha cette fourberie. Comme ceux-ci alléguaient qu'ils n'avaient pas d'autre moyen de salut que celui-là, et qu'en conséquence, ils y avaient eu recours par nécessité, il convoque le grand-prêtre Éléazar et les Anciens ; ceux-ci estiment qu'il faut les réduire à l'état d'esclaves publics[41] pour ne point

enfreindre le serment, et il les désigne pour ces fonctions. C'est ainsi qu'ils trouvèrent moyen de se protéger et de s'assurer contre le malheur qui les menaçait.

17[42]. Le roi des Hiérosolymites[43], indigné que les

Gabaonites eussent passé du côté de Josué, avait invité les rois des peuples voisins à se joindre à lui pour leur faire la guerre ; les Gabaonites les ayant vus venir avec lui, au nombre de quatre, et camper près d'une source voisine de la ville d'où ils en préparaient le siège, appelèrent Josué à l'aide. Les choses en étaient à ce point, que de leurs compatriotes ils attendaient leur perte et qu'au contraire, de ceux qui faisaient campagne

 

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pour l'anéantissement de la race chananéenne, ils espéraient leur salut, grâce à l'alliance conclue avec

eux. Josué, avec toute son armée, se porte en hâte à leur secours, et, après avoir marché tout le jour et la nuit, à l'aube il tombe à l'improviste sur les ennemis, les met en fuite, et les poursuit avec acharnement à travers un canton accidenté qui s'appelle Bèthôra[44]. Là, Dieu

lui fit connaître son assistance par des bruits de tonnerre, des coups de foudre et une grêle qui s'abattit plus violente que de coutume. En outre, il advint que le jour se prolongea, afin que l'arrivée de la nuit n'arrêtât pas l'ardeur des Hébreux ; de sorte que Josué put se saisir des rois, cachés dans une caverne à Makkéda, et les châtier tous. Que la durée du jour se soit accrue et ait dépassé alors la mesure habituelle, c'est ce qu'attestent les Écritures déposées dans le sanctuaire.

18. Après cette défaite des rois qui étaient partis en guerre contre les Gabaonites, Josué remonta de nouveau dans la partie montagneuse de la Chananée ; après y avoir fait un grand carnage des habitants et pris du butin, il revint au campement de Galgala[45]. Le renom

de la valeur des Hébreux se répandant[46] beaucoup

chez les peuples environnants, on fut frappé de terreur quand on apprit que tant de monde avait péri, et une expédition fut dirigée contre eux par les rois de la région du mont Liban, qui étaient des Chananéens. Les Chananéens de la plaine, s'étant adjoint les Palestiniens (Philistins), établissent leur camp près de la ville de Bèrôthé[47], de la Galilée Supérieure, non loin de Kédèse

(Kadès) ; ce lieu appartient aussi aux Galiléens. Toute leur armée se composait de 300.000 hoplites, de 10.000 cavaliers et de 20.000 chars[48]. Cette masse d'ennemis

effraye Josué lui-même et les Israélites, et dans l'excès de leur crainte ils étaient trop inquiets pour espérer un succès. Mais Dieu leur reproche vivement leur terreur et leur demande ce qu'ils désiraient de plus que son appui, puis leur promet qu'ils vaincront leurs ennemis et leur recommande de mettre les chevaux hors de combat et de brûler les chars. Encouragé par les promesses de Dieu, Josué marcha contre les ennemis, et, le cinquième jour, arrivant sur eux, il en vint aux mains ; un combat

 

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acharné s'engage et il se fait un carnage tel que le récit en paraîtrait incroyable. Josué dans sa poursuite poussa très loin, et toute l'armée ennemie, à quelques hommes près, fut anéantie. Tous les rois même tombèrent, de sorte que, quand il n'y eut plus personne à tuer, Josué fit périr les chevaux et brûla les chars, puis il parcourut en sécurité le pays, personne n'osant sortir lui livrer bataille ; il s’emparait par siège des villes et massacrait tout ce qu'il prenait.

19[49]. La cinquième année[50] était déjà écoulée, et il

n'y avait plus un chananéen de survivant, sauf ceux qui avaient pu échapper, grâce à la solidité de leurs murailles. Josué alors, levant son camp de Galgala, établit le saint tabernacle dans les montagnes à Silo (Silous)[51] : cette localité lui paraissait désignée pour sa

beauté, jusqu'à ce que les circonstances leur permissent d'édifier un temple. Puis, parti de là vers Sichem[52]

(Sicima), avec tout le peuple, il érige un autel[53] là où

l'avait prescrit Moïse, et, ayant divisé l'armée, il en place la moitié sur le mont Garizin et l'autre moitié sur le Gibalon (Ébal), où se trouvait aussi l'autel, ainsi que les Lévites et les prêtres. Après avoir sacrifié et prononcé des imprécations qu'on laissa gravées sur l'autel, ils retournèrent à Silo.

20[54]. Josué, déjà vieux et voyant que les villes des

Chananéens n'étaient pas faciles à prendre, à cause de la force de leurs emplacements et de la solidité des remparts qu'ils avaient ajoutés aux avantages naturels de leurs villes, comptant ainsi que leurs ennemis s'abstiendraient de les assiéger par désespoir de s'en emparer - en effet, les Chananéens, informés que c'était pour leur perte que les Israélites avaient effectué leur sortie d'Égypte, s'étaient occupés tout ce temps à fortifier leurs villes -, Josué donc, ayant réuni tout son peuple à Silo, convoque une assemblée[55]. On accourt avec

empressement et il leur dit combien les succès déjà obtenus et les exploits accomplis sont heureux et dignes de Dieu à qui ils les doivent et en l'excellence des lois qu'ils suivent ; il leur fait connaître, en outre, que trente et un rois[56] qui avaient osé en venir aux mains avec

 

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eux étaient vaincus et qu'une armée qui, trop confiante dans ses forces, leur avait livré bataille, avait péri tout entière, au point qu'il ne leur restait plus une famille debout. Et comme parmi les villes les unes étaient prises, mais que pour avoir les autres il fallait du temps et de grands travaux de siège, vu la solidité des remparts et la confiance qu'ils inspiraient aux habitants, il estimait que, pour ceux qui étaient venus de l'autre côté du Jourdain[57] prendre part à leur expédition et

partager leurs dangers en qualité de parents, on devait désormais les laisser rentrer chez eux en leur témoignant de la reconnaissance pour le concours qu'ils leur avaient prêté. « De plus, dit-il, il faudra envoyer, un par tribu[58], des hommes d'une vertu éprouvée pour

mesurer le pays exactement et nous rapporter, sans commettre aucune fraude, quelles en sont les dimensions. »

  1. Josué, ayant ainsi parlé, eut l'assentiment du peuple et il envoya des hommes pour mesurer le pays, en leur adjoignant quelques géomètres qui ne manqueraient point d'être exactement renseignés grâce à leur science ; il leur donna pour instructions d'évaluer séparément l'étendue des terres riches et celle des terres moins fertiles. Car telle est la nature du pays des Chananéens, qu'on peut y voir de grandes plaines très propres à porter du blé, qui, comparées à d'autres sols, passeraient pour très fortunées, mais qui néanmoins, par rapport aux terres des gens de Jéricho et de Jérusalem, paraîtraient sans valeur. Quoique l'étendue du pays de ces derniers se trouve être fort exiguë et en majeure partie montagneuse, par son extraordinaire fécondité en grain et sa beauté elle ne le cède à aucune autre. Et c'est pourquoi Josué pensait qu'il fallait pour les lots se régler plutôt sur l'estimation que sur l'arpentage, souvent un seul arpent pouvant en valoir jusqu'à mille. Les hommes qu'on avait envoyés - au nombre de dix -, après avoir parcouru et estimé le pays, revinrent le septième mois vers lui dans la ville de Silo, où l'on avait dressé le tabernacle.
  2. Josué, ayant pris avec lui Éléazar et les Anciens, ainsi que les phylarques, fait le partage entre les neuf

 

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tribus, plus la demi-tribu de Manassé, en établissant ses mesures proportionnellement à l’importance de chaque tribu. Quand il eut tiré au sort[59], celle de Juda reçut

pour lot toute I'Idumée supérieure[60], en longueur

jusqu'à Jérusalem et en largeur jusqu'au lac de

Sodome ; dans ce lot entraient les villes d'Ascalon et de Gaza. Celle de Siméon[61] - la seconde - obtint cette

partie de l'Idumée qui confine à l'Égypte et à l'Arabie. Les Benjamites[62] obtinrent le pays qui s'étend en longueur

depuis le fleuve du Jourdain jusqu'il la mer et qui est borné dans la largeur par Jérusalem et Béthel(a). Ce lot était le plus restreint de tous, vu l'excellence de la terre ; ils obtenaient, en effet, Jéricho et la ville des Hiérosolymites. La tribu d'Ephraïm[63] eut le pays qui

s'étend en longueur jusqu'à Gazara[64] à partir du fleuve

du Jourdain et en largeur depuis Béthel jusqu'à la grande plaine. La demi-tribu de Manassé[65] eut depuis

le Jourdain jusqu'à la ville de Dôra[66], et en largeur jusqu'à la ville de Bèthèsana[67], qui s'appelle

aujourd'hui Scythopolis. Après eux, la tribu d'Isachar[68] eut le mont Carmel et le fleuve pour limites

dans la longueur, et le mont Itabyrion (Thabor) pour la largeur. Les Zabulônites[69] obtinrent le pays qui s'étend

jusqu'au lac de Génésareth et qui aboutit aux environs du Carmel et de la mer. La région située derrière le Carmel et appelée la Cœlade (vallée) à cause de cette situation, échut tout entière aux Asérites[70] ; elle faisait

face à Sidon. La ville d'Arcé entrait dans leur part ; elle s'appelle aussi Ecdipous. Les territoires du côté de l'orient jusqu'à la ville de Damas et la Haute-Galilée furent occupés par les Nephtalites[71] jusqu'au mont

Liban et aux sources du Jourdain qui s'élancent de cette montagne, du côté qui confine au nord à la ville d'Arcé[72]. Les Danites[73] obtiennent la partie de la

vallée qui s'étend vers le coucher du soleil avec Azôtos et Dôra pour limites ; ils eurent tout Jamnia[74] et Geta,

depuis Acaron jusqu'à la montagne où commençait le lot de la tribu de Juda.

23[75]. C'est ainsi que Josué divisa les six nations portant les noms des fils de Chanaan, et donna leur

 

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pays en partage aux neuf tribus et demie, car l'Amoritide - appelée, elle aussi, d'après le nom d'un des fils de Chanaan -, Moïse, qui s'en était déjà emparé précédemment, l'avait partagée entre les deux tribus et demie ; c'est ce que nous avons rapporté antérieurement. Mais les terres des environs de Sidon, des Arucéens, des Amathéens et des Aradéens ne furent point distribuées[76].

24[77]. Josué, empêché dès lors par l'âge d'exécuter lui-

même ses projets, comme de plus ceux qui avaient pris le pouvoir après lui se montraient peu soucieux de l'intérêt général, recommanda à chaque tribu de ne rien laisser subsister de la race des Chananéens à l'intérieur du lot qui leur était dévolu, car c'est cela seulement qui pouvait menacer leur sécurité et l'observance des lois nationales ; Moïse le leur avait déjà dit et il en était lui-même persuadé. Ils devaient aussi céder aux Lévites[78]

les trente-huit villes ; car ceux-ci en avaient déjà pris dix en Amorée. De ces villes, il en assigne trois[79] aux

fugitifs pour y habiter - car il avait le vif souci de ne rien omettre des prescriptions de Moïse -, à savoir dans la tribu de Juda, Hébron, Sichem en Ephraïm et Kadès en Nephthali ; cette localité fait partie de la Galilée supérieure. Il distribua aussi ce qui restait du butin, qui était considérable, et ils se trouvèrent pourvus de grandes richesses collectivement et individuellement, or, argent, vêtements et toutes sortes de meubles, sans compter une multitude de quadrupèdes dont on ne pouvait même évaluer le nombre.

25[80]. Ensuite, ayant réuni en assemblée son armée, il

parla en ces termes à ceux qui étaient établis au-delà du Jourdain en Amorée (ils avaient pris part à la campagne au nombre de 50.000 hoplites) : « Puisque Dieu, père et maître de la race des hébreux, nous a donné la possession de ce pays et promet de nous conserver cette possession pour toujours, et puisque à ceux qui vous demandaient voire coopération, conformément aux instructions de Dieu, vous avez montré en tout votre zèle, il est juste, aujourd'hui qu'il ne subsiste plus aucune difficulté, que vous obteniez enfin du répit pour

 

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ménager votre dévouement, afin que, si de nouveau nous en avions besoin, nous le trouvions plein d'énergie contre toute éventualité et que l'excès de fatigue d'aujourd'hui ne le ralentisse pas pour plus tard. Grâces vous soient donc rendues pour les périls que vous avez partagés, et ce n'est pas seulement pour aujourd'hui, c'est pour toujours que nous vous en saurons gré, car nous sommes capables de nous souvenir de nos amis et de garder la mémoire des services qu'ils nous ont

rendus : vous avez, en effet, à cause de nous, différé de jouir des biens que vous possédez, et ce n'est qu'après avoir travaillé avec nous à nous mener au point où nous en sommes actuellement par la bienveillance de Dieu que vous avez songé à en profiter pour votre part. D'ailleurs, outre les biens qui vous appartiennent, vos efforts associés aux nôtres vous ont acquis une richesse immense et vous emporterez un butin considérable, de l'or, de l'argent et, qui plus est, notre amitié et notre concours reconnaissant pour tout ce que vous désirerez en échange. Car de ce que Moïse a prescrit vous n'avez rien négligé, rien dédaigné depuis qu’il a quitté les hommes, et il n'est rien dont nous n'ayons à vous savoir gré. Nous vous laissons donc partir allègrement vers vos héritages et nous vous prions de ne pas voir de frontière qui divise notre parenté et de ne pas croire, parce que ce fleuve coule entre nous, que nous soyons autre chose que des hébreux. Nous sommes tous, en effet issus d'Abram, que nous habitions ici ou là ; c'est le même Dieu qui a appelé nos ancêtres et les vôtres à la vie. Ce Dieu, ayez soin de le servir, et la constitution qu'il a établie par l'intermédiaire de Moïse, observez-la tout entière en songeant que, si vous y demeurez fidèles, Dieu aussi se montrera bienveillant et combattra pour vous, tandis que si vous vous laissez aller à imiter d'autres nations, il anéantira votre race ». Ayant ainsi parlé[81] et

ayant salué en particulier les magistrats et en général toute la foule des partants, lui-même demeura, mais le peuple les accompagna non sans larmes et ils eurent de la peine à se séparer les uns des autres.

26[82]. Le fleuve franchi, la tribu de Roubel, celle de Gad

et tous ceux de Manassé qui les suivaient érigent un autel sur la berge du Jourdain, comme souvenir pour les

 

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générations futures et comme symbole de leur parenté avec les habitants de l'autre rive. Mais ceux-ci, ayant oui dire que les partants avaient érigé un autel, non pas dans la pensée qui les avait réellement inspirés, mais pour innover et introduire des dieux étrangers, ne voulurent pas révoquer en doute ce bruit, et, estimant digne de foi cette calomnie touchant leur religion, se mettent en armes, prêts à passer le fleuve pour châtier ceux qui avaient érigé l'autel et les punir de cette infraction aux lois de leurs pères. Ils ne croyaient pas, en effet, avoir à tenir compte de la parenté et du rang de ceux qui avaient pris une telle initiative, mais de la volonté de Dieu et de la façon dont il aime à être honoré. Ils se mirent donc en campagne sous l'empire de la colère. Mais Josué, le grand-prêtre Éléazar et les Anciens les retinrent, leur conseillant d'aller s'enquérir d'abord du dessein de leurs voisins ; alors, s'ils apprenaient que leurs intentions étaient criminelles, ils marcheraient en armes contre eux. Ils envoient donc des ambassadeurs auprès d'eux, Phinéès, le fils d'Éléazar, et avec lui dix hommes considérés d'entre les Hébreux, pour se renseigner sur les intentions qu'ils avaient eues en érigeant un autel sur la berge du fleuve après l'avoir franchi. Quand ceux-ci furent parvenus chez les gens d'au delà du fleuve, une assemblée fut réunie, et Phinéès, s'étant levé, leur dit que leur péché était trop grave pour qu'une remontrance verbale pût les rendre sages à l'avenir ; cependant, on n'avait pas voulu considérer l'énormité de leur transgression pour courir sur-le-champ aux armes et à une répression brutale, mais, eu égard à leur parenté et à la possibilité que de simples paroles les amèneraient à résipiscence, on leur avait envoyé cette ambassade, « afin que, dit-il, informés du motif qui vous a déterminés à bâtir l'autel, nous n'ayons pas l'air d'être venus étourdiment porter nos armes contre vous, si c'est dans de pieuses intentions que vous avez élevé l'autel, et que, si elles sont impies, nous soyons fondés à vous punir, l'inculpation étant démontrée exacte. Car nous ne concevions pas qu'après avoir pénétré par expérience la pensée de Dieu, après avoir entendu les lois qu'il nous a données lui-même, une fois séparés de nous et établis dans la part d'héritage qui vous est échue par la faveur de Dieu et sa

 

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bonté pour vous, vous ayez pu l'oublier, et, abandonnant le tabernacle et l'arche et l'autel de vos pères, vous ayez introduit des dieux étrangers en vous adonnant aux dépravations des Chananéens. Mais vous apparaîtrez purs de toute faute si vous vous repentez, si voire aberration ne va pas plus loin, si vous revenez au respect et au souvenir des lois de vos pères. Que si vous persistez dans vos erreurs, nous n'épargnerons aucun effort pour défendre les lois, mais, ayant franchi le Jourdain, nous irons à leur secours et nous lutterons pour Dieu lui-même, ne mettant aucune différence de vous aux Chananéens, et nous vous détruirons comme eux. Car n'imaginez pas qu'en ayant passé le fleuve vous vous soyez mis aussi en dehors de la puissance de Dieu : partout vous êtes dans son domaine et il vous est impossible d'échapper à son pouvoir et à sa vengeance. Que si vous croyez que votre présence en ce lieu vous empêche d'être raisonnables, rien ne s'oppose à ce que nous procédions à un nouveau partage du pays en abandonnant celui-ci en pâturage aux bestiaux. Mais vous ferez bien de redevenir sages et de changer de sentiments, tandis que votre faute est encore récente. Et nous vous supplions au nom de vos enfants et de vos femmes de ne pas nous mettre dans la nécessité de vous punir. Que la pensée que votre salut à vous et celui des êtres qui vous sont le plus chers dépend de cette assemblée inspire votre résolution, et songez qu'il vaut mieux se laisser convaincre par des paroles que d'attendre la leçon des faits et de la guerre. »

27F83]. Après ce discours de Phinéès, les présidents de

l'assemblée et tout le peuple lui-même commencèrent à se disculper des fautes qu'on leur imputait et à dire qu'ils n'avaient pas renié la parenté qui les unissait à leurs frères et qu’ils n'avaient pas eu d'intention révolutionnaire en érigeant l'autel ; ils reconnaissaient un Dieu unique, le même pour tous les hébreux, ainsi que l'autel d'airain devant le tabernacle où l'on accomplirait les sacrifices. Quant à celui qu'ils avaient érigé maintenant et qui les avait rendus suspects, il n'était pas édifié en vue du culte : « Il sera, disent-ils, un symbole et un témoignage pour l'éternité de notre parenté avec vous, nous obligera à être pieux et à

 

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demeurer fidèles aux lois de nos pères ce n'est pas du tout le début d'une transgression, comme vous le supposez. Dieu soit pour nous un sûr témoin que c'est bien là le motif qui nous a fait édifier cet autel. Ainsi, concevant meilleure opinion de nous, ne nous accusez plus d'aucun de ces crimes qui vaudraient à juste titre la mort à tous ceux qui, issus de la race d'Abram, s'adonneraient à de nouvelles mœurs en rompant avec les coutumes reçues. »

28[84]. Phinéès, ayant approuvé ce langage, revint

auprès de Josué et rapporta au peuple ce qui s'était passé là-bas. Celui-ci, joyeux de voir qu'il n'y avait plus de nécessité de lever des troupes et de porter les armes et la guerre contre des parents, offre à cette occasion des sacrifices d'actions de grâces à Dieu. Puis, après avoir congédié le peuple dans leurs lots respectifs, Josué, lui, demeura à Sichem. Vingt ans plus tard, parvenu à l'extrême vieillesse[85], ayant mandé les hommes les

plus notables des villes, les magistrats et les Anciens, et fait réunir aussi tous ceux qu'on put amener du peuple, quand ils furent là, il leur rappela tous les bienfaits de Dieu - si considérables pour un peuple élevé d'une condition inférieure à un tel degré de gloire et de richesse -, et les exhorta à respecter la volonté de Dieu si bienveillante à leur égard en lui vouant tous les honeurs et une piété qui seule leur conserverait l’amitié de la divinité. Il lui convenait à lui-même, au moment de quitter la vie, de leur laisser de tels avertissements, et il les pria de garder dans leur mémoire ses recommandations.

29. Ayant ainsi parlé aux assistants, il meurt[86] ; il

avait vécu cent dix ans, dont il avait passé quarante en compagnie de Moïse à apprendre de lui les connaissances utiles : il eut le commandement de l'armée après la mort de ce dernier pendant vingt-cinq ans[87] ; ce fut un homme qui ne manqua ni

d'intelligence, ni d'habileté pour expliquer clairement à la multitude ce qu'il avait conçu ; il eut même ces deux facultés à un degré éminent ; de plus, vaillant et magnanime dans l'action et les dangers, sachant à

 

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merveille prendre des délibérations pendant la paix et montrant des qualités à la hauteur de toutes les circonstances. On l'ensevelit dans la ville de Thamna de la tribu d'Éphraïm. Dans le même temps meurt aussi Éléazar, le grand-prêtre, qui laissa le grand pontificat à Phinéès, son fils ; son monument commémoratif et son tombeau sont dans la ville de Gabatha[88].

Chapitre II

Après la mort de leur général, les Israélites, transgressant les lois paternelles, éprouvent de grands malheurs et, dans une guerre civile, la tribu de Benjamin périt, à l’exception de 600 hommes.

1. Mission donnée aux tribus de Juda et de Siméon. - 2. Victoire de ces tribus sur Adônibézèk ; siége de Jérusalem. - 3. Prise de Hébron ; répartition des territoires conquis. - 4. Dernières conquêtes des deux tribus. - 5. Paix avec les Chananéens. - 6. Prise de Béthel par la tribu d’Éphraïm. - 7. Relâchement général des Israélites. - 8. Le Lévite d’Ephraïm et sa femme ; celle-ci meurt, victime des violences des Gabaéniens. - 9. Les Israélites réclament en vain les coupables. - 10. Guerre civile avec les Benjamites. - 11. Défaite finale des Benjamites ; représailles exercées sur eux. - 12. Réconciliation avec les Benjamites survivants ; moyen employé pour assurer la permanence de leur tribu.

1. Apres la mort de ces derniers, Phinéès annonce prophétique-ment selon la volonté de Dieu que, pour détruire la race des Chananéens, c'est la tribu de Juda qui reçoit le commandement ; le peuple avait, en effet, à cœur de savoir ce que Dieu décidait. Elle s'adjoindrait la tribu de Siméon, afin que, une fois exterminés les Chananéens attribués à Juda, ils en fissent autant de ceux qui se trouvaient dans le lot de Siméon.

2[89]. Mais les Chananéens, dont la situation était

florissante à cette époque-là, les attendaient avec une grande armée à Bézék(a), après avoir confié le commandement au roi des Bézékéniens, Adônibézek(os) - ce nom signifie seigneur des Bézékéniens, car seigneur se dit adôni[90] dans la langue des Hébreux, -, et ils

espéraient triompher des hébreux, parce que Josué était

 

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mort. Ayant engagé le combat avec eux, les Israélites des deux tribus dont je viens de parler luttèrent avec éclat ; ils tuent plus de dix mille ennemis et, ayant mis le reste en déroute, ils les poursuivent et s'emparent d’Adônibézek

qui, mutilé des extrémités par eux, s'écrie : « Je ne pouvais indéfiniment échapper à Dieu et je subis le même traitement que je n'ai pas hésité à infliger naguère à soixante-douze rois[91] ». On l'emmène encore vivant à

Jérusalem ; mort, on lui donna la sépulture. Puis ils parcoururent le pays, en s'emparant des villes ; quand ils en eurent pris beaucoup, ils assiégèrent Jérusalem. Maîtres avec le temps de la ville basse, ils tuèrent les habitants ; mais la ville haute[92] était malaisée à

emporter à cause de la solidité des remparts et de la conformation du terrain.

3[93]. Aussi décampèrent-ils pour aller à Hébron ; cette

ville prise, ils massacrent tout. Il s'y était conservé encore la race des géants, qui, par les dimensions de leurs corps et leurs formes sans analogue parmi le reste des hommes, étaient extraordinaires à voir et terribles à entendre. On montre encore leurs ossements, qui ne ressemblent à rien de connu. Cette ville, ils la donnèrent aux Lévites comme un présent de choix avec les deux mille coudées de banlieue ; le reste de la région, ils en firent don, selon les instructions de Moïse, à Chaleb ; c'était un des explorateurs que Moïse avait envoyés en Chananée. On donna aussi aux descendants de Jéthro (Jothor)[94] - parce que c'était le beau-père de Moïse -

un territoire pour y demeurer. Car, ayant quitté leur patrie, ils avaient suivi les Hébreux et vécu avec eux dans le désert.

4[95]. La tribu de Juda et celle de Siméon prirent donc

les villes de la région montagneuse de la Chananée, et parmi celles de la plaine et des bords de la mer, Ascalon et Azôtos. Gaza et Accaron leur échappèrent ; car comme elles étaient en terrain plat et possédaient beaucoup de chars, ils étaient très malmenés quand ils allaient les assaillir[96]. Ces deux tribus, fort enrichies à la guerre,

se retirèrent dans leur villes et déposèrent les armes.

 

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5F97]. Les Benjamites, qui avaient dans leur lot

Jérusalem, accordèrent à ses habitants de leur payer tribut et se reposant ainsi, les uns de leurs massacres, les autres de leurs dangers, ils eurent le loisir de cultiver la terre. Les autres tribusF98], imitant celle de Benjamin,

firent de même et se contentant des tributs qu'on leur payait, elles permirent aux Chananéens de vivre en état de paix.

6F99]. La tribu d'Ephraïm, qui assiégeait Béthel, n'obtint

pas un résultat proportionné à la durée et aux fatigues du siège. Mais, bien qu'ennuyés, ils persévérèrent dans le blocus. Par la suite, ayant surpris un des habitants de la ville qui allait chercher des provisions, ils lui donnèrent leur parole que, s'il livrait la ville, ils lui laisseraient la vie sauve à lui et à ses parents ; cet homme jura qu'à ces conditions il mettrait la ville en leur pouvoir. C'est ainsi que, grâce à une trahison, il put se sauver avec les siens, et eux, de leur côté, ayant massacré tous les habitants, occupèrent la ville.

7F100]. Après ces événements, les Israélites se

relâchèrent à l’égard de la guerre et s'occupèrent de la terre et des travaux d'agriculture. Comme ils voyaient croître ainsi leurs richesses, sous l'empire du luxe et de la volupté, ils montrèrent peu de zèle pour leur discipline et cessèrent d'être des observateurs scrupuleux des lois de leur constitution. Très irritée de cette conduite, la divinité déclare d'abord par un oracle qu'ils avaient été à l'encontre de sa volonté en épargnant les Chananéens et ensuite que ceux-ci seraient contre eux d'une terrible cruauté quand ils en saisiraient l'occasion. Les Israélites, à ces avertissements, de Dieu, éprouvèrent du découragement et se sentaient mal disposés à faire la guerre, car ils recevaient beaucoup des Chananéens et, la volupté les avait déjà mis hors d'état de supporter les fatigues. De plus, leur gouvernement aristocratique commençait déjà à se corrompre : on ne nommait plus d'Anciens ni aucune des magistratures imposées naguère par la loi, ils vivaient dans leurs champs, asservis aux plaisirs du lucreF101]. Aussi, en raison de

cette parfaite insouciance, des discordes graves les

 

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assaillirent à nouveau et ils en arrivèrent même à une guerre civile par la raison suivante.

8[102]. Un Lévite de la plèbe, du territoire[103]

d'Ephraïm et habitant ce territoire, épousa une femme de Bethléem : cette localité appartient à la tribu de Juda. Très épris de cette femme et subjugué par sa beauté, il souffrait de n'être pas payé de retour. Comme elle lui témoignait de l'éloignement et que lui-même n'en brûlait que d'une plus vive ardeur, des querelles continuelles naissaient entre eux ; et finalement la femme, fatiguée de ces querelles, quitta son mari et arriva chez ses parents le quatrième mois[104]. Mais son mari, très affligé à

cause de son amour, s'en vint chez ses beaux-parents et, ayant dissipé ses griefs, se réconcilia avec elle. Il demeura là pendant quatre jours, traité avec bonté par les parents, mais le cinquième, ayant résolu de s'en retourner chez lui, il part vers le soir ; car les parents ne se séparèrent qu'avec peine de leur fille et les retinrent fort avant dans la journée. Un seul serviteur les suivait ; ils avaient aussi une ânesse sur laquelle voyageait la femme. Quand ils furent arrivés à Jérusalem - ils avaient déjà fait trente stades -, le serviteur leur conseilla de descendre en quelque endroit, pour ne pas s'exposer, en voyageant de nuit, à quelque désagrément, surtout à une aussi faible distance des ennemis, l'occasion rendant souvent dangereux et suspects même les amis. Mais le Lévite n'approuva pas la pensée d'aller demander l'hospitalité à des étrangers, - car la ville était aux Chananéens[105] -, il voulut aller vingt stades plus loin

pour s'arrêter dans une ville israélite. Et, ayant fait prévaloir son avis, il parvint à Gabaa[106] de la tribu de

Benjamin. Comme il était déjà tard et que personne sur la place publique ne lui offrait l'hospitalité, un vieillard, revenant des champs, qui, bien qu'appartenant à la tribu d'Éphraïm, vivait à Gabaa, le rencontra, lui demanda qui il était et pour quelle raison, la nuit déjà venue, il faisait les préparatifs de son repas. Il répondit qu'il était Lévite et qu'il revenait chez lui, ramenant sa femme de chez ses parents, et lui déclara qu'il avait sa demeure dans le lot d'Éphraïm. Le vieillard, à cause de cette communauté d'origine et de cette circonstance qu'il

 

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habitait dans la même tribu, et qu'ils étaient dans la même situation, l'emmena chez lui pour lui donner l'hospitalité. Mais quelques jeunes Gabaéniens, qui avaient vu la femme sur la place et admiré sa beauté, quand ils surent qu'elle était retirée chez le vieillard, au mépris de leur faiblesse et de leur infériorité, vinrent devant les portes. Comme le vieillard les conjurait de s'éloigner et de ne pas employer la violence et l'outrage, ils l'engagèrent à leur livrer l'étrangère pour s’éviter à lui-même des désagréments. Mais le vieillard eut beau dire qu'elle était une parente à lui et une Lévite et qu'ils allaient commettre un grand crime en péchant contre les lois sous l'empire de la volupté, ils se soucièrent peu de la justice, s’en moquèrent, et même menacèrent de tuer le vieillard s'il s'opposait à leurs désirs. Acculé à la nécessité et ne voulant pas laisser faire violence à ses hôtes, il offrit à ces hommes de leur livrer sa propre fille, déclarant qu'il serait encore plus légitime d'assouvir de la sorte leur passion que de violer l'hospitalité et estimant qu'ainsi il ne ferait aucun tort à ceux qu'il avait recueillis. Comme ils ne renonçaient nullement à leurs prétentions sur l'étrangère, et demandaient avec insistance à se saisir d'elle, le vieillard les supplia de ne rien tenter contre les lois ; mais eux enlevèrent la femme et, de plus en plus dominés par la force de la volupté, l'emmenèrent chez eux, puis, après avoir passé toute la nuit à rassasier leur frénésie, ils la congédièrent au point du jour. Consternée de son malheur, elle revient à la maison de son hôte, et moitié douleur de ce qu'elle avait souffert, moitié honte de se présenter devant son mari - car elle pensait que lui surtout éprouverait de son malheur une peine irrémédiable -, elle tombe et rend l'âme. Le mari, croyant simplement sa femme ensevelie dans un profond sommeil, et ne soupçonnant rien de grave, tentait de l'éveiller, avec le dessein de la consoler en lui représentant qu'elle ne s'était pas offerte bénévolement à ces violateurs, mais qu'ils étaient venus l'arracher de la maison de leur hôte. Mais lorsqu'il sut qu'elle était morte, affolé devant l'étendue de son malheur, il charge le cadavre de sa femme sur sa monture, l'emporte chez lui, puis, l'ayant divisé membre par membre en douze parties, il en envoya une dans chaque tribu, en enjoignant aux porteurs de raconter

 

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aux tribus les causes de la mort de sa femme et le libertinage de la tribu de Benjamin.

9[107]. Les Israélites, péniblement émus au spectacle et

au récit de ces violences, eux qui jamais n'avaient rien éprouvé de semblable, animés d'une violente et juste colère, se réunirent à Silo[108] et, rassemblés devant le

tabernacle, ils brûlaient de courir aussitôt aux armes et de traiter les Gabaéniens en ennemis. Mais les Anciens les en dissuadèrent, leur persuadant qu'il ne fallait pas si vite porter la guerre chez leurs frères, avant qu'on eût discuté les griefs, la loi ne permettant pas de mener une armée même contre des étrangers sans avoir envoyé une ambassade et fait d'autres tentatives de ce genre afin de faire revenir à d'autres sentiments ceux qui passent pour avoir commis quelque iniquités[109]. Il convenait donc

que, fidèles à la loi, on envoyât des députés aux Gabaéniens pour réclamer les coupables et, s'ils les livraient, qu'on se contentât de châtier ces derniers ; que s'ils méprisaient cette demande, alors on irait les punir les armes à la main. On envoie donc des députés aux Gabaéniens pour accuser les jeunes gens du crime commis contre la femme et demander qu'on livre en vue du châtiment ceux qui avaient commis des actes iniques et mérité à cause de ces actes de périr. Mais les Gabaéniens ne livrèrent pas les jeunes gens et trouvèrent odieux d'obéir par peur de la guerre aux injonctions d'étrangers ; ils prétendaient n’être inférieurs militairement à personne, ni quant au nombre, ni quant à la valeur. Ils se mirent donc à faire de grands préparatifs avec tous ceux de leur tribu qui s'étaient entendus avec eux pour une résistance désespérée afin de repousser les agresseurs.

10[110]. Lorsqu'on annonça aux Israélites ces intentions

des Gabaéniens, ils firent serment que nul d'entre eux ne donnerait sa fille en mariage à un homme de Benjamin et qu'ils marcheraient contre eux ; ils éprouvaient plus de colère à leur égard que nos ancêtres n'en avaient eu, que nous sachions, à l'égard des Chananéens. Et tout de suite ils menèrent contre eux une armée de 400.000 hoplites[111] ; les forces des

 

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Benjamites étaient de 25.600 hommes[112] parmi

lesquels 500 étaient fort experts à manier la fronde de la main gauche ; de sorte que, un combat s'étant livré près de Gabaa, les Benjamites mirent en fuite les Israélites, et ceux-ci perdirent 22.000 hommes. Il en aurait peut-être même péri davantage si la nuit ne les avait arrêtés et séparé les combattants. Les Benjamites, joyeux, se retirèrent dans la ville, et les Israélites, consternés par leur défaite, dans leur camp. Le lendemain, l'engagement ayant recommencé, les Benjamites sont vainqueurs et il périt 18.000 Israélites. Epouvantés par ce carnage, les Israélites quittèrent leur campement. Parvenus dans la ville de Béthel, située tout près de là, et ayant jeûné le lendemain, ils supplièrent Dieu par l'entremise de Phinéès, le grand-prêtre, d'apaiser sa colère contre eux et, se contentant de leurs deux défaites, de leur donner la victoire et des forces contre leurs ennemis. Dieu leur fait ces promesses et Phinéès les leur annonce.

11[113]. Après avoir divisé l'armée en deux parties, ils en

embusquent la moitié, la nuit, autour de la ville, les autres en viennent aux mains avec les Benjamites et se replient quand ceux-ci les serrent de près. Puis les Benjamites les poursuivent et, comme les hébreux reculaient peu à peu et à une grande distance, désirant les faire sortir complètement de la ville, ils suivent leur mouvement de retraite, au point que même les vieillards et les jeunes gens, qu'on avait laissés dans la ville à cause de leur débilité, accouraient avec eux au dehors, voulant de toutes leurs forces réunies écraser les ennemis. Lorsqu'ils furent à une grande distance de la ville, les Hébreux cessèrent de fuir ; faisant volte-face, ils se disposent à combattre et, pour avertir ceux qui étaient dans les embuscades, ils lèvent le signal convenu. Ceux-ci, se dressant en poussant des cris, tombèrent sur leurs ennemis. Ces derniers se virent tombés dans un piège et se trouvèrent dans une situation inextricable ; refoulés dans une vallée encaissée, ils furent cernés par les Hébreux, qui les accablèrent de traits, de sorte qu'ils périrent tous, sauf 600. Ceux-ci, se ralliant et serrant les rangs, se firent jour à travers les ennemis, s'enfuirent sur les montagnes voisines, et, les ayant occupées, s'y installèrent. Tous les

 

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autres, au nombre d'environ 25.000, périrent. Les Israélites brûlèrent Gabaa et firent périr les femmes et les mêmes non encore adultes ; ils en font autant pour les autres villes des Benjamites. Ils étaient si enflammés de colère que, la ville de Jabisos[114] (Jabès) de la

Galaditide ne les ayant pas aidés à combattre les Benjamites[115], ils envoyèrent contre elle 12.000

hommes choisis, avec ordre de la détruire. Cette troupe massacre dans la ville tout ce qui était en état de combattre, avec les enfants et les femmes, sauf 400 jeunes filles. Tels furent les excès où la colère les entraîna parce que, outre le crime commis contre la femme du Lévite, ils étaient encore affectés de la perte de tant de soldats.

12[116]. Mais ils furent pris de repentir devant le

désastre des Benjamites et ils s'imposèrent un jeûne à cause d'eux, bien qu'ils estimassent qu'ils avaient mérité leur châtiment pour avoir péché contre les lois. Et ils appelèrent[117] par des ambassadeurs les 600 réfugiés

qui s'étaient établis sur un rocher nommé Rhoa dans le désert. Les envoyés, déplorant un malheur qui ne frappait pas seulement les Benjamites, mais eux-mêmes, puisqu'ils étaient de la même race que ceux qui avaient péri, les exhortèrent à le supporter avec patience, à venir se joindre à eux et à ne pas décréter pour leur part la ruine totale de la tribu de Benjamin : « Nous vous accordons, dirent-ils, le sol de toute cette tribu et autant de butin que vous pourrez on emporter ». Ceux-ci, reconnaissant que leurs mal-heurs étaient dus à un décret de Dieu et à leur propre iniquité, redescendirent dans la tribu de leurs pères, dociles à ces invitations. Les Israélites leur donnèrent pour femmes les 400 vierges de Jabès. Quant aux 200 non pourvus, ils virent à leur procurer aussi des femmes, afin qu'ils en eussent des enfants. Comme ils avaient fait serment avant la guerre que leurs filles n'épouseraient point de Benjamites, quelques-uns étaient d'avis qu'on devait attacher peu d'importance à ces engagements inspirés par la colère, sans réflexion ni jugement, et qu'on ne ferait rien qui contrariât Dieu, si on pouvait conserver une tribu en danger de périr tout entière ; que les parjures n'étaient point graves ni dangereux quand ils

 

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étaient imposés par la nécessité, mais seulement quand on les commettait avec des intentions criminelles. Mais, comme les Anciens s'indignaient au mot de parjure, quelqu'un dit qu'il pouvait indiquer le moyen de leur procurer des femmes tout en tenant les serments. On lui demande quel est cet expédient. « Quand, dit-il, nous nous rendons trois fois l'an à Sélo, nos femmes et nos filles nous accompagnent à la fête. Qu'on permette aux Benjamites d'enlever pour les épouser celles qu’ils pourront prendre, sans que nous ne les encouragions ni ne les empêchions. Et si les parents se fâchent et demandent à les punir, nous leur dirons qu'ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes, parce qu'ils ne se sont pas souciés de veiller sur leurs filles, et qu'ils doivent abandonner tout ressentiment à l'égard des Benjamites, à qui on en a déjà témoigné d'une manière précipitée et excessive ». Se rangeant à cet avis, ils décident de permettre aux Benjamites ce mariage par enlèvement, et, la fête arrivée, les 200, par groupes de deux ou trois, s'embusquèrent devant la ville à épier la venue des vierges parmi les vignes et tous les endroits où ils pourraient demeurer inaperçus ; elles, tout en jouant, sans soupçonner ce qui allait se passer, cheminaient sans surveillance, et, tandis qu'elles allaient dispersées, les Benjamites, se dressant subitement, se saisirent d'elles. Ayant ainsi pris femmes, ils s'appliquèrent aux travaux des champs et firent tous leurs efforts pour revenir à leur prospérité antérieure. Voilà de quelle façon la tribu des Benjamites, en danger de périr totalement, fut sauvée par la sagesse des Israélites ; elle fut aussitôt florissante et fît de rapides progrès tant en nombre qu'en tout le reste.

Chapitre III

Comment, après ce revers, Dieu les asservit aux Assyriens à cause de leur impiété. Ils sont délivrés par Kenez, fils d’Athniel, qui gouverna quarante ans et est appelé juge chez les Grecs et les Phéniciens.

1. Établissement de la tribu de Dan. - 2. Les Israélites sous la domination des Assyriens. - 3. Keniaz les délivre.

 

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1F118]. C'est ainsi que se termina cette guerre ; mais il

advint que la tribu de Dan eut à souffrir d'épreuves analogues ; voici ce qui la mit dans cette situation. Comme les Israélites avaient déjà abandonné l'exercice de la guerre et s'étaient adonnés aux travaux agricoles, les Chananéens, les considérant avec mépris, rassemblèrent leurs forces, non qu'ils redoutassent aucun mal pour eux-mêmes, mais, ayant acquis le ferme espoir de causer du dommage aux Hébreux, ils comptaient désormais habiter leurs villes en sécurité. Aussi se mirent-ils à équiper des chars et à enrôler des troupes ; leurs villes s'accordèrent ensemble ; ils arrachèrent à la tribu de Juda Ascalon et Accaron et beaucoup d'autres villes de la plaine ; ils forcèrent les Danites à se réfugier dans la montagne et ne leur laissèrent pas dans la plaine la moindre place où poser le pied. Ceux-ciF119], incapables de faire la guerre et

n'ayant pas de territoire suffisant, envoient cinq hommes d'entre eux dans l'intérieur des terres à la découverte d'une région qu'ils puissent coloniserF120]. Les envoyés,

parvenus non loin du mont Liban et de la plus petite des sources du Jourdain, dans la grande plaine, à une journée de marche de la ville de Sidon, et ayant reconnu une terre excellente et très fertile, en informent leurs frères. Ceux-ci, s'empressant d'y aller avec une armée, y fondent une ville Dan(a), ainsi appelée du nom du fils de Jacob, qui était aussi le nom de leur tribu.

2F121]. Mais la situation des Israélites allait de mal en

pis, parce qu'ils avaient perdu l'habitude de l'effort et négligeaient le culte de la divinité ; en effet, une fois éloignés de la discipline de leur constitution, ils se laissaient entraîner à vivre selon leur plaisir et leur fantaisie individuelle ; de sorte qu'ils s'abandonnèrent entièrement aux vices qui avaient cours chez les Chananéens. Aussi Dieu se courrouce-t-il contre eux, et toute la prospérité qu'ils s'étaient acquise au prix de mille labeurs, ils la perdirent par la volupté. En effet, ChousarsathosF122], roi des AssyriensF123], ayant fait

une expédition contre eux, beaucoup périrent dans des batailles, et des sièges énergiques eurent raison de leurs villesF124]. Il y en eut qui, par crainte, se rendirent à lui

 

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spontanément ; ils furent obligés de payer des tributs au-dessus de leurs moyens et ils subirent toutes sortes d'injures durant huit ans. Mais ensuite ils furent délivrés de leurs maux de la façon suivante.

3. Un homme de la tribu de Juda, du nom de Keniaz(os)F125], plein d'activité et de noblesse d'âme,

averti par un oracle de ne pas regardez avec indifférence la détresse des Israélites, mais d'essayer de relever leur liberté, après avoir exhorté à s'associer à ses dangers quelques hommes - il ne s'en trouva qu'un petit nombre qui avaient honte de l'état de choses présent et aspiraient à en changer -, commence par massacrer la garnison de Chousarsathos qui était chez eux ; puis, comme un plus grand nombre de combattants se joignait à eux, parce que les débuts de l'entreprise n’avaient pas mal réussi, ils engagent le combat avec les Assyriens et, les ayant complètement repoussés, les obligent à repasser l'Euphrate. Keniaz, qui avait ainsi donné une preuve effective de sa vaillance, reçoit pour récompense le pouvoir de la part du peuple, afin de juger la nation. Et après un gouvernement de quarante ans, il meurt.

Chapitre IV

De nouveau notre peuple est asservi aux Moabites pendant dix-huit ans et est affranchi de la servitude par un certain Eoud, qui tint le pouvoir quatre-vingts ans.

1. Les Israélites tributaires d'Eglon, roi de Moab. - 2. Eoud tue Eglon. – 3. Les Hébreux taillent en pièces les Moabites ; gouvernements d'Eoud, de Samgar.

1F126]. Après sa mort, les affaires des Israélites furent de

nouveau en mauvais état, faute de gouvernement, et leur négligence à rendre hommage à Dieu et à obéir aux lois l'aggrava encore. Aussi, plein de mépris pour le désordre qui régnait dans leur État, Eglon, le roi des Moabites, porta la guerre contre eux, et, après avoir eu la victoire dans beaucoup de combats et soumis ceux qui montraient plus de fierté que les autres, humilia tout à fait leur puissance et leur imposa tribut. Puis, s'étant établi une résidence royale à JérichoF127], il ne négligea

 

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rien pour molester le peuple et les réduisit à la pauvreté pendant dix-huit ans. Mais Dieu, ayant pris pitié des souffrances des Israélites et exaucé leurs supplications, les arracha aux violences des Moabites. Ils furent délivrés de la façon suivante.

2F128]. Un jeune homme de la tribu de Benjamin, nommé Eoud(ès)F129], fils de Géra, rempli d'une

hardiesse virile et doué pour l'action de grandes aptitudes corporelles, avec une adresse particulière dans la main gauche, où résidait toute sa force, habitait également à Jéricho ; il devint le familier d'Eglon, le flattant par des présents et cherchant à capter sa confiance, et arriva ainsi à être très aimé aussi des gens de l'entourage du roi. Un jour qu'avec deux serviteurs il apportait des présents au roi, s'étant ceint en secret d'un poignard autour de sa cuisse droite, il pénétra auprès de lui ; on était en été et, comme midi était venu, les gardes étaient relâchées, à cause de la chaleur et parce qu'on était occupé à dîner, le jeune homme, ayant donc donné les présents à Eglon, qui se tenait dans une salle bien aménagée contre la chaleur, entra en conversation avec lui. Ils étaient seuls, le roi ayant ordonné aux serviteurs qui entraient de se retirer parce qu’il avait à causer avec Eoud. Il était assis sur un trône, et Eoud fut pris de peur de manquer son coup et de ne pas lui faire une blessure mortelle. Il le fait donc lever en lui disant qu’il a un songe à lui raconter sur l'ordre de Dieu. Le roi, dans la joie d'entendre un songe, se lève en sautant de son trône, mais Eoud, l'ayant frappé au cœur et laissé le poignard dans la blessure, sort en poussant les portes. Les serviteurs demeurèrent en repos, pensant que le roi s'était abandonné au sommeil.

3F130]. Quant à Eoud, mettant les gens de Jéricho au

courant secrètement, il les exhorta à ressaisir leur liberté. Ceux-ci l'écoutèrent avec, plaisir, coururent eux-mêmes aux armes et envoyèrent des messagers par le pays pour donner le signal à son de cornes de bélier ; car c'était ainsi qu'on avait coutume de convoquer le peuple. Les gens d'Eglon ignorèrent longtemps le sort du roi ; mais quand vint le soir, craignant qu’il ne lui fût arrivé

 

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quelque chose d'insolite, ils pénétrèrent dans la salle, et trouvant son cadavre, se virent dans un grand désarroi. Avant que la garnison pût se réunir, la foule des Israélites marchait sur eux. Les uns sont aussitôt massacrés ; les autres prennent la fuite, pensant se sauver en Moabitide ; ils étaient plus de dix mille. Mais les Israélites, qui avaient occupé d'avance les gués du Jourdain, les pourchassèrent et les tuèrent ; pendant le passage ils en massacrent une quantité et pas en n'échappa de leurs mains. C'est ainsi que les Hébreux furent délivrés de la servitude des Moabites. Eoud, qui fut pour cette raison honoré du gouvernement de tout le peuple, mourut après avoir occupé sa charge pendant quatre-vingts ans[131], homme digne d'éloges, même

indépendamment de l'exploit précité. Après lui[132],

Sanagar(os), fils d'Anath(os), élu pour gouverner, mourut la première année de son gouvernement[133].

Chapitre V

Les Chananéens les ayant asservis pendant vingt ans, ils sont délivrés par Barac et Débora, qui les gouvernent quarante ans.

1. Asservissement des Israélites par Yabin, roi des Chananéens, et son général Sisarès. - 2. La prophétesse Débora et Barac. - 3. Débora part avec Barac pour la guerre. - 4. Victoire des Israélites ; mort de Sisarès et de Yabin.

1[134]. De nouveau les Israélites, qui n'avaient pris

aucune leçon de sagesse dans leurs premiers malheurs dus à leur négligence à honorer Dieu et à obéir aux lois, avant d'avoir pu respirer un peu depuis que les Moabites les avaient asservis, tombent sous le joug de Yabin(os), roi des Chananéens[135]. Ce dernier, parti de la ville

d'Asôr(os), située sur le lac Séméchônitis[136],

entretenait une armée de 300.000 hoplites, de 40.000 cavaliers, et il possédait 3.000 chars[137]. Le général de

ces troupes, Sisarès[138], qui était au premier rang dans

la faveur du roi, fit beaucoup de mal aux Israélites qui se mesurèrent avec lui, si bien qu'il les força à leur payer tribut.

 

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2F139]. Ils passèrent vingt ans dans cette pénible

situation, incapables, quant à eux, de s'assagir dans l'adversité et Dieu voulant logiquement dompter leur insolence à cause de leur ingratitude à son égard, afin qu'à l'avenir, changeant de conduite, ils vinssent à résipiscence, sachant que ces calamités leur arrivaient pour avoir méprisé les lois. Ils supplièrent alors une certaine prophétesse appelée DéboraF140] - ce nom

signifie abeille dans la langue des Hébreux - de prier Dieu de les prendre en pitié et de ne pas les laisser anéantir par les Chananéens. Dieu leur promit le salut et choisit pour général Barac(os) de la tribu de Nephtali. Barac veut dire éclair dans la langue des Hébreux.

3F141]. Débora, ayant mandé Barac, lui ordonna de

choisir une troupe de 10.000 jeunes gens, puis de marcher contre les ennemis ; ce chiffre suffisait, Dieu l'avait prescrit et il avait prédit la victoire. Mais comme Barac déclarait qu'il ne conduirait pas ses troupes sans qu'elle les conduisît avec lui, elle s'indigne : « Quoi ! dit-elle, tu fais abandon à une femme de la dignité que Dieu t'accorde : eh bien ! je ne la récuserai pas ! » Alors, ayant rassemblé les 10.000 hommes, ils allèrent camper près du mont Itabyrion (Thabor).

4F142]. Sisarès alla à leur rencontre, sur l'ordre du roi, et

ils campent non loin de leurs ennemis. Comme les Israélites et Barac, terrifiés de la multitude des ennemis, songeaient à rentrer chez eux, Débora les retint en leur ordonnant de livrer bataille le jour même ; car ils vaincraient et Dieu leur prêterait assistance. Ils en vinrent donc aux mains et pendant la mêlée survient un grand orageF143] avec force pluie et grêle ; le vent

chassait la pluie sur le visage des Chananéens, leur obscurcissant la vue, de sorte que leurs arcs et leurs frondes leur devinrent inutiles : et les hoplites, glacés par le froid, ne pouvaient se servir de leurs épées. Quant aux Israélites, ils étaient moins incommodés par l'orage, qui les frappait dans le dos et ils prenaient confiance à la pensée du secours de Dieu ; aussi, se poussant au milieu de leurs ennemis, ils en massacrèrent beaucoup. Les uns pressés par les Israélites, les autres mis en

 

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désordre par leur propre cavalerie, tombèrent, de sorte que beaucoup périrent écrasés sous les chars. Mais Sisarès, ayant sauté à bas de son char dès qu'il vit la déroute commencée, prend la fuite et arrive chez une femme des Kénites nommée Yalé[144] : celle-ci accepte

de le cacher comme il le désire et Sisarès ayant demandé à boire, elle lui donne du lait déjà corrompu[145]. Ayant

bu trop abondamment, il tombe dans le sommeil, et Yalé, tandis qu'il dort, lui enfonce avec un marteau un clou de fer à travers la bouche et la gorge et transperce le plancher ; puis aux gens de Barac venus peu après, elle le montre cloué à terre[146]. C'est ainsi que la

victoire resta, selon la prédiction de Débora[147], aux

mains d'une femme; Barac, ayant marché contre Asôr, tua Yabin[148] dans une rencontre, et, une fois le

général abattu, après avoir ruiné la ville De fond en comble, il resta général Des Israélites pendant quarante ans[149].

Chapitre VI

Les Amalécites, ayant fait la guerre aux Israélites, les vainquent et ravagent leur pays pendant sept ans. Gédéon les délivre des Amalécites, et gouverne le peuple quarante ans.

1. Déprédations des Madianites. - 2. Mission donnée à Gédéon. - 3. Constitution de l'armée de Gédéon. - 4. Songe d'un soldat madianite. - 5. Défaite des Madianites ; mort de leurs chefs. - 6. Mécontentement de la tribu d'Ephraïm ; Gédéon l'apaise. - 7. Gouvernement et mort de Gédéon.

1[150]. Barac et Débora étant morts dans le même

temps, les Madianites, ayant convié les Amalécites et les Arabes, marchent contre les Israélites, les vainquent dans un engagement et, ayant ravagé les moissons, emportent du butin. Comme ils en usèrent ainsi pendant sept ans, la plupart des Israélites partirent pour les montagnes et désertèrent les plaines ; ils se firent des souterrains et des cavernes où ils mirent en sûreté tout ce qui avait échappé aux ennemis. Car les Madianites, qui faisaient la guerre au printemps, permettaient

 

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pendant l'hiver aux Israélites de se livrer à l'agriculture, afin qu'à la suite de leurs travaux ils eussent quelque chose à ravager. De là, famine et disette de vivres, et l'on se met à invoquer Dieu, lui demandant le salut.

2[151]. Or Gédéon[152], fils de Yôas, un des notables de

la tribu de Manassé, emportait des gerbes d'épis et les battait en cachette dans le pressoir ; car, à cause des ennemis, il appréhendait de le faire ouvertement dans l'aire. Un fantôme lui étant apparu sous l'aspect d'un jeune homme et l'ayant nommé bienheureux et cher à Dieu, aussitôt pour réponse : « En vérité, dit-il, c'est une marque considérable de sa bonté que je me serve d'un pressoir au lieu d'aire ! » Mais l'apparition l'ayant exhorté à prendre courage et à essayer de recouvrer la liberté, il lui dit que cela lui était impossible : en effet, la tribu dont il faisait partie n'avait pas assez d'hommes ; lui-même était trop jeune et trop faible pour méditer de si grands desseins. Cependant Dieu lui-même promit de suppléer à ce qui lui manquait et de procurer la victoire aux Israélites, s'il se mettait à leur tête.

3[153]. Gédéon raconta cette apparition à quelques jeunes gens et trouva créance[154] ; sur-le-champ une armée de 10.000 hommes[155] fut prête à la lutte. Mais

Dieu, étant apparu à Gédéon pendant son sommeil, lui représente que la nature humaine est égoïste et qu'elle hait les mérites éclatants, de sorte que, loin de laisser paraître la victoire comme l’œuvre de Dieu, on se l'attribue à soi-même, sous prétexte qu'on est une grande armée, capable de se mesurer avec les ennemis. Aussi pour qu’ils apprissent que c'était là le fait de l’assistance divine, il lui conseillait de mener l'armée au milieu du jour, au plus fort de la chaleur, vers le fleuve ; alors ceux qui se mettraient à genoux pour boire, il les tiendrait pour des vaillants, mais pour ceux qui boiraient hâtivement et en désordre, il devrait reconnaître en eux des lâches, saisis de peur devant les ennemis. Gédéon ayant agi conformément aux ordres de Dieu, il se trouva 300 hommes qui, par peur, se servirent de leurs mains pour porter l'eau à leur bouche dans un grand trouble ; et Dieu lui dit d'emmener ceux-là[156] pour attaquer les

 

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ennemis. Ils allèrent donc camper au dessus du Jourdain, prêts à le franchir le lendemain.

4F157]. Comme Gédéon était en proie à la crainte - car

Dieu lui avait prescrit d'attaquer de nuit -, voulant le tirer d'inquiétude, Dieu lui ordonne en s'accompagnant d'un de ses soldats de s'approcher des tentes des Madianites ; c'était chez eux-mêmes qu'il puiserait du courage et de l'assurance. Il obéit et s'en va, prenant avec lui PhouranF158], son serviteur, et, s'étant

approché d'une tente, il surprend ceux qui y logeaient tout éveillés, l'un racontant à son compagnon un songe, de manière que Gédéon put l'entendre. Voici quel était ce songe. Il lui semblait qu'une galette d'orge, trop grossière pour être mangée par des hommes, roulant à travers tout le campement, avait jeté bas la tente du roi et celles de tous les soldats. L'autre estimait que la vision présageait la ruine de l'armée et dit ce qui le lui faisait croire ; de toutes les semences l'orge était réputée par tout le monde la plus grossièreF159], « et de toutes les

races asiatiques, celle des Israélites est ce qu'on peut voir à présent de plus vil, comme la semence d'orge. Et ce qui chez les Israélites avait maintenant de hautes visées, c'était Gédéon et la troupe qui l'accompagnait. Or, puisque tu me dis que tu as vu le pain d'orge abattre nos tentes, je crains que Dieu n'ait accordé à Gédéon la victoire sur nous. »

5F160]. Quand Gédéon eut entendu ce songe, il conçut

bon espoir et prit confiance, et il ordonna aux siens de se tenir en armes, après leur avoir raconté aussi la vision des ennemis. Ceux-ci se montrèrent tout prêts à suivre ses instructions, exaltés par ce qui leur avait été révélé, et, à peu près vers la quatrième veilleF161],

Gédéon conduisit en avant son armée, qu'il avait divisée en trois fractions, chacune de cent hommes. Tous portaient des amphores vides avec des torches allumées à l'intérieur, de peur que leur arrivée ne se dénonçât aux ennemis, et ils tenaient dans la main droite une corne de bélier, dont ils se servaient en guise de trompettes. Le campement des ennemis occupait une vaste étendue - car ils se trouvaient avoir une grande quantité de

 

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chameaux, - et, répartis par peuples,              ils campaient

tous dans une même enceinte. Les Hébreux avaient été prévenus, lorsqu'ils se trouveraient à proximité des ennemis, d'avoir, au signal convenu, à sonner de leurs trompettes, à fracasser leurs amphores, puis à s'élancer avec leurs torches sur leurs ennemis en poussant de grands cris et à vaincre, Dieu devant assister Gédéon : ils exécutèrent ce plan. Un grand trouble et une vive terreur saisit les hommes encore endormis, car c'était la nuit et Dieu l'avait ainsi décidé. Peu furent tués par leurs ennemis, la plupart furent victimes de leurs alliés par suite de la diversité des langages. Une fois plongés dans le désarroi, ils tuaient tous ceux qu'ils rencontraient, les croyant ennemis. Il se fit un grand carnage, et, le bruit étant venu aux Israélites de la victoire de Gédéon, ceux-ci prennent les armes et, se mettant à la poursuite des ennemis, les joignent dans une vallée entourée de ravins qu'ils ne pouvaient franchir : les ayant cernés, il les tuent tous avec deux de leurs rois, Orèb(os) et Zèb(os). Les autres chefs emmenant les soldats survivants - il y en avait environ 18.000F162] -, établissent leur camp très loin des

Israélites. Gédéon ne renonce pas à la lutte, mais, s'étant mis à leur poursuite avec toute son armée, il livre bataille, taille en pièces tous les ennemis et emmène prisonniers les chefs restants, Zebès et SalmanaF163]. Il

périt dans ce combat environ 420.000F164] hommes des

Madianites et des Arabes qui s'étaient joints à eux. Un butin abondant, de l'or, de l'argent, des tissus, des chameaux et des bêtes de somme, fut saisi par les Hébreux. Gédéon, revenu à EphronF165], sa patrie, mit à

mort les rois des Madianites.

6F166]. Mais la tribu d'Ephraïm, mécontente des succès

de Gédéon, résolut de marcher contre lui ; elle lui reprochait de ne point les avoir prévenus de l'entreprise dirigée contre les ennemis. Gédéon, qui était modéré et possédait toutes les vertus à un degré éminent, leur dit que ce n'était pas de lui-même, méditant un dessein personnel, qu'il s'était attaqué aux ennemis sans s'adresser à eux, c'était Dieu qui le lui avait ordonné ; quant à la victoire, elle ne leur appartenait pas moins

 

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qu'à ceux qui avaient fait campagne. Et ayant ainsi apaisé leur ressentiment, il fit plus de bien aux Hébreux par ses paroles que par ses succès militaires ; il les sauva, au moment où ils allaient commencer une guerre civile. Cependant, pour son attitude injurieuse, cette tribu subit un châtiment que nous raconterons au moment voulu.

7F167]. Gédéon, qui voulait se démettre du

gouvernement, fut contraint de le garder pendant quarante ans ; il rendait la justice et connaissait des différends qu'on évoquait devant lui ; tout ce qu'il prononçait faisait autorité. Mort à un âge avancé, il fut enterré dans Ephron, sa patrie.

Chapitre VII

Après lui, beaucoup de ses successeurs guerroient longtemps avec les peuples d’alentour.

1. Meurtre des fils de Gédéon par le bâtard Abimélech. - 2. Apologue de Jôtham aux habitants de Sichem ; expulsion d'Abimélech. - 3. Hostilités contre lui. - 4. Siège de Sichem par Abimélech ; massacre des Sichémites. - 5. Mort d'Abimélech. - 6. Gouvernement de Yaïr. - 7. Les Israélites asservis par les Ammonites et les Philistins, - 8. 0n s'adresse à Jephté. – 9. Échec des pourparlers avec le roi ammonite. - 10. Vœu de Jephté ; victoire des Israélites ; sacrifice de la fille de Jephté. - 11. Guerre avec la tribu d'Ephraïm. - 12. Mort de Jephté. - 13. Gouvernement d'Ibsan. - 14. Gouvernement d'Elon. - 15. Gouvernement d'Abdon.

1F168]. Il avait soixante-dix fils légitimes - car il avait

épousé beaucoup de femmes -, et un bâtard né d'une concubine, DroumaF169], nommé Abiméléch(os) ; ce

dernier, après la mort de son père, s'était retiré à SichemF170] chez les parents de sa mère, originaire de

cet endroit, et, ayant reçu de l'argent de ces gens, ...F171]

célèbres par la multitude de leurs iniquités, il vient avec eux dans la maison de son père et massacre tous ses frères, à l'exception de Jôtham(os) ; ce dernier survit, en effet, ayant eu la bonne fortune de s'échapper. Abimélech change l'état existant en tyrannie, se proclamant maître de faire ce qui lui plaisait à l'encontre

 

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des lois et montrant une vive acrimonie à l'égard des défenseurs de la justice.

2F172]. Un jour que les habitants de Sichem célébraient

une fête publique et que tout le peuple y était rassemblé, son frère Jôtham, qui avait pu s'échapper comme nous le disions, ayant gravi le mont Garizim - qui domine la ville de Sichem -, se mit à crier à portée de voix du peuple, l'invitant à rester tranquille et à écouter ce qu’il avait à lui dire. Le silence établi, il raconta qu'un jour les arbres, se mettant à parler d'une voix humaine, se réunirent et demandèrent au figuierF173] de régner sur

eux. Comme celui-ci refusa parce qu'il jouissait de l'estime que lui valaient ses fruits, estime bien à lui et qui ne lui venait pas du dehors, les arbres ne renoncèrent pas à leur projet d'un gouvernement, mais furent d'avis d'offrir cette dignité à la vigne. Et la vigne, élue par eux, eut les mêmes arguments que le figuier pour refuser le pouvoir. Comme les oliviers firent de même, l'épine - à qui les arbres demandèrent d'accepter la royauté, elle dont le bois est très propre à la combustion - promît de prendre le pouvoir et de se montrer active. Mais il fallait que les autres vinssent s'asseoir à son ombre : que s'ils méditaient sa perte, ils seraient détruits par le feu qui était en elle : « Si je raconte tout celaF174], dit Jôtham, ce n'est pas pour

faire rire, c'est parce qu'après tant de bienfaits dus à Gédéon, on souffre qu'Abimélech ait la puissance souveraine, après l'avoir aidé à assassiner ses frères, lui qui va vous apparaître comme un véritable feu ». Ayant ainsi parlé, il se retira et vécut caché dans les

montagnes pendant trois ans, par crainte d’Abimélech.

3F175]. Mais, peu de temps après la fêteF176], les

Sichémites, se repentant du meurtre des fils de Gédéon, chassent Abimélech de leur ville et de leur tribu. Celui-ci résolut de faire du mal à la ville. L'époque de la vendange arrivée, les habitants appréhendaient de s'éloigner pour faire la récolte, de peur qu'Abimélech ne les maltraitât. Mais comme un des chefs, Gaal(ès), avait émigré chez eux avec des soldats et ses parents, les Sichémites le supplient de leur donner une escorte pendant qu'ils

 

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vendangeront. Celui-ci ayant accueilli leur requête, ils s'en vont accompagnés de Gaal à la tête de sa troupe. Ainsi les fruits furent rentrés en sécurité, et dans leurs repas en commun ils osèrent publiquement dire du mal d'Abimélech ; et les chefs, installant des embuscades autour de la ville, surprirent et tuèrent beaucoup des gens d'Abimélech.

4F177]. Un certain Zéboul(os), un chef des Sichémites,

hôte d'Abimélech, lui envoya un message pour l'avertir que Gaal excitait le peuple et l'exhorta à se mettre en embuscade devant la ville ; il se chargeait de faire faire à Gaal une sortie contre Abimélech, et dès lors celui-ci serait à même de tirer vengeance de son ennemi ; cela fait, il tâcherait de le réconcilier avec le peuple. Là-dessus, Abimélech alla se mettre en embuscade. Gaal se trouvait dans le faubourg de la ville sans prendre de précautions, en compagnie de Zéboul. Ayant aperçu des soldats qui s'avançaient, Gaal dit à Zéboul que des hommes arrivaient vers eux en armes. Celui-ci déclara que c’étaient des ombres de rochers, mais quand ils furent plus près, observant avec soin, il lui dit que ce n'étaient pas des ombres, mais une troupe d'hommes. Alors Zéboul : « N'était-ce pas toi, dit-il, qui reprochais à Abimélech sa lâcheté ? Pourquoi ne montres-tu pas ta grande valeur en engageant un combat avec lui ? » Gaal, tout troublé, en vient aux mains avec la troupe d'Abimélech ; quelques-uns des siens tombent ; lui-même s'enfuit dans la ville, en emmenant les autres. Et Zéboul intrigue en sorte qu'on expulse Gaal de la ville, en l'accusant d'avoir mollement lutté contre les soldats d'AbimélechF178]. Cependant Abimélech, informé que les

Sichémites allaient de nouveau sortir pour la vendange, dispose des embuscades tout autour de la ville ; dès qu'ils sont sortis, le tiers de l'armée occupe les portes pour empêcher les citoyens de rentrer, les autres

courent après ceux qui s'étaient dispersés et partout on se livre au carnage. Puis, ayant rasé la ville jusqu'au sol - car elle ne tint pas devant le siège -, il sema du sel sur les ruines et s'en alla ; c'est ainsi que tous les Sichémites périrent. Quant à ceux qui, s'étant dispersés dans la campagne, avaient échappé au danger, s'étant ralliés sur une rocheF179] escarpée, ils s'y installèrent et se mirent

 

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en devoir de l'entourer d'un rempart. Mais Abimélech les prévint ; informé de leur dessein, il vint sur eux avec des forces et, ayant donné l'exemple de jeter autour de ce lieu des fagots de bois sec, il invita ses troupes à en faire autant. Et comme le rocher est bientôt tout environné, ils mettent le feu au bois en y joignant les matières les plus facilement inflammables et font s'élever une grande flamme. Nul ne put se sauver du rocher ; ils périrent avec femmes et enfants, les hommes au nombre d'environ quinze cents[180], le reste en assez grande

quantité. Telle est la catastrophe qui s'abattit sur les Sichémites et qui n'eût jamais été assez déplorée, si elle n'avait été justifiée, après un si grand crime commis contre un bienfaiteur.

5[181]. Abimélech, ayant terrorisé les Israélites par le

désastre des Sichémites, laissa voir qu'il méditait de plus grands desseins et qu'il ne mettrait pas de limite à ses violences qu'il n'eût fait périr tout le monde. Il marcha donc sur Thèbas[182], prit la ville à l'improviste ; mais

comme il y avait là une grande tour où toute la foule s'était réfugiée, il se prépara à l'assiéger. Au moment où il s'élançait lui-même près des portes, une femme lui jeta un fragment de meule et l'atteignit à la tête. Abimélech, précipité à terre, pria son écuyer de le tuer, pour que sa mort ne parût pas l’œuvre d'une femme. Celui-ci exécute cet ordre, et tel fut le châtiment qu'Abimélech subit pour le crime commis contre ses frères et son entreprise contre les Sichémites. Le malheur qui accabla ces derniers réalisa la prédiction de Jôtham. Quant à l'armée d'Abimélech, dispersée à la mort de son chef, elle rentra dans ses foyers.

6[183]. Le gouvernement des Israélites fut pris alors par Yaïr(ès)[184] de Galad, de la tribu de Manassé ; ce

personnage eut toute espèce de prospérités et notamment engendra de vaillants enfants, au nombre de trente, excellents cavaliers, et qui furent chargés du gouvernement des villes de la Galadène. Lui-même, après avoir occupé le pouvoir pendant vingt-deux ans, mourut âgé et fut honoré d'une sépulture dans la ville de Kamôn en Galadène.

 

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7[185]. Cependant tout chez les Hébreux tomba dans le

désordre et la rébellion contre Dieu et les lois ; aussi, les prenant en mépris, les Ammanites et les Philistins saccagèrent avec une grande armée leur pays, et ayant occupé toute la Pérée[186], ils osèrent passer le fleuve

pour aller conquérir encore le reste. Mais les Hébreux, assagis par leurs malheurs, se mirent à supplier Dieu et lui offrirent des sacrifices en le conjurant de montrer de l'indulgence et, se laissant fléchir par leurs prières, de mettre un terme à sa colère. Et Dieu, revenant à plus de douceur, résolut de leur porter secours.

8[187]. Les Ammanites ayant pénétré en Galadène, les

gens du pays allèrent au devant d'eux sur la montagne, mais ils manquaient d'un chef qui pût se mettre à leur tête. Or il y avait un certain Jephté[188] (Jephthès)[189],

un homme puissant par son courage héréditaire et grâce à une force armée qu'il entretenait à ses frais. Ayant donc envoyé vers lui, ils le prièrent de combattre avec eux, promettant de lui assurer pour toujours le commandement en chef. Mais lui n'agrée pas leur requête, leur reprochant de ne point l'avoir assisté lui-même quand il avait été victime publiquement de l'injustice de ses frères. Comme, en effet, il n'était pas leur frère utérin, mais un étranger par sa mère, que leur père, épris d'amour, leur avait amenée, ils l'avaient chassé, méprisant sa faiblesse. Aussi vivait-il dans le pays qu'on appelle Galaditide, accueillant tous ceux qui venaient à lui d'où que ce fût, et les prenant à son salaire. Enfin, sur les vives instances des Hébreux et leurs promesses de lui conférer pour toujours le commandement, il se mit en campagne.

9[190]. Après avoir activement pris toutes les

précautions et installé l'armée dans la ville de Masphathé[191], il envoie une ambassade à l'Ammanite

pour lui reprocher sa conquête. Celui-ci par une autre ambassade reprocha aux Israélites leur sortie d'Égypte et prétendit qu'ils évacuassent l'Amorée qui appartenait à ses ancêtres originairement. Mais Jephté réplique qu'ils étaient mal fondés à incriminer leurs ancêtres au sujet de l'Amorée, et qu'ils devaient plutôt leur être

 

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reconnaissants de leur avoir laissé l'Ammanitide, dont Moïse aurait pu également s'emparer et ajoute qu'il ne leur abandonnera pas un pays bien à eux, que Dieu leur avait acquis et qu'ils occupaient depuis plus de trois cents ans[192] ; et il déclara qu'il se battrait avec eux.

10[193]. Sur ces mots, il congédia les envoyés ; puis,

ayant de son côté demandé la victoire par ses prières et promis de sacrifier, s'il revenait vivant chez lui, et d'immoler la première créature qui viendrait à sa rencontre, il engagea le combat, remporta une grande victoire et, en massacrant les ennemis, les poursuivit jusqu'à la ville de Maliathé[194] ; puis, ayant passé en

Ammanitide, il anéantit beaucoup de villes, fit du butin et délivra ses compatriotes d'une servitude qu'ils avaient endurée pendant dix-huit ans. Mais à son retour, il lui arriva une aventure qui ne ressemblait pas aux succès qu'il venait d'obtenir ; car ce fut sa fille qui vint à sa rencontre, sa fille unique, vierge encore. Alors, gémissant dans l'immensité de sa douleur, il reprocha à sa fille son empressement à accourir au devant de lui : car il l'avait consacrée à Dieu. Celle-ci apprit sans déplaisir qu'il lui était réservé de mourir pour prix de la victoire de son père et de l'affranchissement de ses concitoyens. Elle demanda seulement qu'on lui accordât deux mois pour pleurer sa jeunesse avec ses concitoyens ; alors s'accomplirait le vœu. Il lui accorda le sursis demandé ; le temps accompli, il sacrifia sa fille en holocauste, sacrifice qui n'était ni exigé par la loi ni agréable à Dieu ; il n'avait pas réfléchi assez soigneusement à l'avenir, au jugement que porteraient sur son acte ceux qui en entendraient parler[195].

11[196]. La tribu d'Ephraïm étant partie en guerre

contre lui parce qu'il ne les avait pas associés à son expédition contre les Ammanites et s'était réservé à lui seul tout le butin et la gloire des opérations, il leur déclara d'abord que ce n'était pas à leur insu que leurs frères s'étaient battus et qu'appelés à prendre part à la lutte ils ne s'étaient point présentés, alors qu'il fallait accourir résolument avant qu'on les en priât ; ensuite qu'ils se livraient à une entreprise impie, eux qui

 

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n'avaient pas osé en venir aux mains avec les ennemis, en se jetant contre leurs frères ; et il les menaçait avec l'aide de Dieu de leur infliger un châtiment s'ils ne se montraient raisonnables. Mais comme il ne réussit pas à les convaincre, il engagea la lutte avec eux lorsqu'ils arrivèrent ; avec l'armée qu'il avait rappelée de la Galadène, il fit parmi eux un grand carnage, et poursuivant les fuyards, après avoir fait occuper par une partie de l'armée envoyée en avant les gués du Jourdain, il en massacra environ 42.000.

12[197]. Après un gouvernement de six ans, il meurt et est enseveli à Sébéa[198], sa patrie, ville de la Galadène.

13[199]. Après la mort de Jephté, ce fut Apsan(ès)[200],

qui prit le pouvoir ; il était de la tribu de Juda et de la ville de Bethléem. Il eut soixante enfants, savoir trente fils et autant de filles, qu'il laissa tous vivants, après avoir donné des maris à celles-ci et des femmes à ceux-là. Sans avoir rien fait dans les sept ans de son gouvernement qui mérite une attention ou un souvenir, il mourut à un âge avancé[201] et reçut sa sépulture

dans sa patrie.

14[202]. Apsan étant mort ainsi, celui qui eut ensuite le

pouvoir, Elon de la tribu de Zabulon, le garda dix ans sans rien faire non plus de considérable.

15[203]. Abdon, fils de Hillel[204], qui appartenait à la tribu d'Ephraïm et à la ville des Pharathônites[205],

nommé chef souverain après Elon, ne mérite de mention que pour son heureuse paternité, car lui non plus n'accomplit rien de notable, grâce à l'état de paix et de sécurité où l'on se trouvait. Il eut quarante fils, dont trente laissèrent une postérité ; il parcourut le pays avec ces rejetons au nombre de soixante-dix, tous brillants cavaliers[206] ; ils les laissa tous vivants, mourut

âgé[207], et reçut une sépulture splendide à Pharathôn. Chapitre VIII

 

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Courage de Samson ; maux qu’il causa aux Philistins.

  1. Les Israélites asservis aux Philistins. - 2. Un ange annonce la naissance d'un fils à la femme de Manôchès. - 3. Nouvelle apparition de l'ange ; ses recommandations. - 4. Naissance et enfance de Samson. - 5. Il tue un lion. - 6. L'énigme de Samson. - 7. Il détruit les moissons des Philistins. - 8. Livré par les gens de Juda, il rompt ses liens et taille les Philistins en pièces. - 9. Dieu fait jaillir une source pour Samson altéré. - 10. Enfermé à Gaza, il s'échappe de nuit. - 11. Dalila le livre aux Philistins. -12. Fin de Samson.

1[208]. Après la mort de ce dernier, les Philistins

triomphent des Israélites, et reçoivent d'eux tribut pendant quarante ans. Mais ils sont affranchis de cette contrainte de la façon suivante.

  1. Un certain Manôchès[209], des plus notables Danites

et le premier sans conteste de sa ville natale, avait une femme remarquable par sa beauté et qui l'emportait sur toutes celles de l'endroit. Comme elle ne lui donnait pas d'enfants, malheureux de cette stérilité, il suppliait Dieu, durant ses promenades fréquentes dans les environs de la ville en compagnie de sa femme, de leur donner une postérité légitime ; il y avait là une grande plaine[210].

Manôchès était comme fou d'amour pour sa femme et, partant, excessivement jaloux[211]. Un jour que sa

femme était seule, un fantôme lui apparaît, envoyé par Dieu, qui ressemblait à un jeune homme beau et de grande taille et qui lui annonce l'heureuse nouvelle de la naissance prochaine d'un fils, grâce à la providence de Dieu ; ce fils serait beau et d'une force remarquable ; arrivé à l'âge d'homme, il ferait beaucoup de mal aux Philistins. L'ange recommande, en outre, de ne pas lui tondre les cheveux ; il devrait aussi avoir de l'aversion pour toute espèce de boissons, ainsi que Dieu le prescrivait, et ne s'habituerait qu'à l'eau seulement. Et l'ange venu sur l'ordre de Dieu s’en alla après ces paroles.

  1. Le mari étant arrivé, la femme lui rapporta en détail ce qui s'était passé avec l'ange, en témoignant de son admiration pour la beauté du jeune homme et sa haute

 

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taille, de sorte que son mari, dans sa jalousie, fut tout bouleversé d'entendre ces louanges et conçut les soupçons que cette passion suggère. Elle, désireuse de dissiper ce chagrin déraisonnable de son mari, supplie[212] Dieu d'envoyer de nouveau son messager

pour que son mari pût aussi le voir. Alors l'ange revient encore par la grâce de Dieu, tandis qu'ils étaient dans le faubourg et il apparaît à la femme que son mari venait de laisser seule. Celle-ci, lui ayant demandé d'attendre qu'elle amenât son mari, sur son assentiment, alla chercher Manôchès. Mais le mari, même à la vue de l'ange, ne cessa pas d'avoir des soupçons et il le pria de lui révéler à lui aussi ce qu'il avait annoncé à sa femme. L'ange ayant déclaré qu'il suffisait que la femme seule en fût instruite[213], le mari le somme de dire qui il était,

afin qu'à la naissance de l'enfant, ils puissent lui témoigner leur reconnaissance et lui faire un cadeau. Celui-ci répondit qu'il n'en avait nul besoin, car ce n'était pas par intérêt qu'il leur avait annoncé cette heureuse nouvelle de la naissance d'un enfant, et quoique Manôchès l'invitât à demeurer et à prendre les présents d'hospitalité, il n'y consentit pas. Cependant, sur ses vives instances, il se laissa persuader de demeurer pour qu'on lui offrît un présent, et Manôchès ayant sacrifié un chevreau et commandé à sa femme de le cuire, quand tout fut bien prêt, l'ange leur ordonna de déposer sur le rocher les pains et les chairs, sans vases. Quand ils l'eurent fait, il toucha les viandes avec le bâton qu'il tenait, et, un feu ayant jailli, elles furent consumées avec les pains, tandis qu'ils virent l'ange s'élever vers le ciel porté sur la fumée comme sur un véhicule. Manôchès redoutant qu'il ne leur arrivât quelque malheur pour avoir vu Dieu, sa femme l'exhorta à se tranquilliser, car c'était pour leur bien que Dieu leur était apparu.

4[214]. Elle devint enceinte et tint bon compte des

instructions reçues ; quand l'enfant naquit, ils l'appelèrent Samson (Sampsôn) : ce nom signifie vigoureux[215]. L'enfant grandissait vite et l'on voyait

clairement qu'il serait prophète à la sobriété de son régime et à la façon dont il laissait croître ses cheveux.

 

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5[216]. Venu avec ses parents dans la ville de Thamna[217] chez les Philistins au moment d'une fête, il

s'éprend d'une vierge du pays et il supplie ses parents de lui faire épouser cette jeune fille. Ceux-ci eurent beau refuser parce qu'elle n'était pas de leur race, comme Dieu avait médité ce mariage pour le bien des Hébreux, il obtint de faire sa cour à la jeune fille. Au cours de ses fréquentes visites chez les parents de celle-ci, il rencontre un lion, et, quoique sans armes, il l'attend, l'étrangle dans ses mains et jette la bête dans un taillis qui se trouvait là en dedans du chemin.

6[218]. En revenant une autre fois chez la jeune fille il

trouve un essaim d'abeilles logé dans la poitrine de ce lion et, prenant trois rayons de miel, avec les autres présents qu'il apportait, il les donne à la jeune fille. Comme les Thamnites dans le festin de noces, auquel il les avait conviés tous, craignant la force du jeune homme, lui avaient assigné les hommes les plus vigoureux, censément en qualité de compagnons, en réalité pour veiller à ce qu’il ne se livrât à aucune violence, comme le vin circulait et qu'on se livrait à des jeux selon l'habitude dans ces circonstances, Samson dit : « Je vais vous proposer une énigme : si vous la résolvez après sept jours de recherches, vous recevrez chacun de moi du linge fin et des vêtements[219] en

récompense de votre sagacité ». Très avides de s'acquérir en même temps un renom d'intelligence et un profit, ils le prièrent de parler et Samson leur dit : « De celui qui dévore tout est née une nourriture ; elle est douce, quoique née de celui qui est très rude ». Comme les Philistins au bout de trois jours ne pouvaient trouver ce que cela signifiait, ils prièrent la jeune fille de s'en informer auprès de son mari pour le leur révéler, et la menaçaient de la brûler si elle ne s'exécutait pas. Samson, devant la requête de la jeune fille, commença par résister, mais, comme elle le pressait et fondait en larmes et voyait une marque de malveillance dans son refus de lui répondre, il lui révéla comment il avait mis à mort le lion et comment, ayant trouvé des abeilles dans sa poitrine, il avait pris trois rayons de miel pour les lui apporter. Sans soupçonner aucune ruse, il lui raconte tout ; elle va rapporter ces propos aux questionneurs.

 

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C'est ainsi que le septième jour, où l'on devait lui donner l'explication de l'énigme proposée, étant venus le trouver avant le coucher du soleil, ils déclarent « qu'il n'est rien de plus rude à rencontrer qu'un lion ni rien de plus doux à goûter que du miel. » Samson ajouta : « Il n 'est rien de plus astucieux qu'une femme qui est venue vous trahir mon énigme ». Et il leur donne ce qu'il avait promis, après avoir dépouillé des Ascalonites qu'il rencontra sur son chemin - c'étaient aussi des Philistins - ; quant à son mariage, il y renonça. La jeune fille, se moquant de sa colère, s'unit à l'ami de Samson qui avait été son garçon d'honneur.

7[220]. Devant cet affront[221], Samson, furieux, résolut

de poursuivre tous les Philistins avec elle de sa vengeance. Comme on était en été, et que les moissons étaient déjà mûres pour la récolte, il rassembla trois cents renards et, leur ayant attaché aux queues des torches allumées, il les lâcha dans les champs des Philistins. Il leur détruit ainsi leurs moissons. Mais les Philistins, sachant que c'était là un tour de Samson et devinant quel motif l'avait inspiré, envoyèrent des magistrats à Thamna et brûlèrent vifs celle qui avait été la femme de Samson et ses parents comme étant la cause de ces désastres.

8[222]. Samson, après avoir tué beaucoup de Philistins dans la plaine, alla s'établir à Æta[223], roche fortifiée

de la tribu de Juda. Les Philistins marchèrent contre cette tribu. Mais comme ceux-ci prétendaient qu'on n'avait pas le droit de leur faire subir le châtiment des méfaits de Samson, à eux qui payaient tribut, les Philistins déclarèrent que, s'ils ne voulaient pas encourir cette responsabilité, ils devaient livrer Samson entre leurs mains. Ceux-ci, voulant se mettre à l'abri de tout reproche, arrivent au rocher avec 3.000 soldats, et ayant reproché à Samson ses coups d'audace contre les Philistins, ces gens qui pouvaient apporter la ruine à toute la race des Hébreux, ils déclarent qu'ils sont venus pour se saisir de lui et le livrer entre les mains des Philistins et le prient de se soumettre de bonne grâce. Celui-ci, après leur avoir fait jurer qu'ils ne feraient rien

 

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de plus que de le livrer aux mains de ses ennemis, descend de son rocher et se remet à la discrétion des hommes de la tribu ; ceux-ci, l'ayant garrotté avec deux cordes, l'emmenèrent pour le livrer aux Philistins. Quand ils furent arrivés dans un endroit qu'on appelle aujourd'hui Siagôn[224], à cause de la valeur qu'y

déploya Samson, et qui autrefois ne portait aucun nom, les Philistins, campés non loin de là, et venant à leur rencontre tout joyeux, avec des cris, croyant à l'heureuse réalisation de leur désir, Samson, après avoir rompu ses liens, se saisit d'une mâchoire d'âne qui se trouvait à ses pieds, bondit sur ses ennemis et, les frappant avec cette mâchoire, en tue un millier ; les autres, il les met en fuite dans un grand désordre.

9. Samson, plus glorieux qu'il ne fallait de cette aventure, ne dit pas que c'était grâce à l'assistance de Dieu que tout s'était passé ainsi, mais fit une inscription qui l'attribuait à sa propre valeur, se vantant d'avoir abattu avec la mâchoire une partie de ses ennemis et mis les autres en déroute grâce à la terreur qu'il leur avait inspirée. Mais pris d'une soif ardente[225],

reconnaissant que la vertu humaine n'est rien, il porta témoignage à Dieu de tous ses exploits et le supplia de ne point se fâcher de ses paroles au point de le livrer à ses ennemis, mais de lui accorder son aide dans ce moment critique et de le tirer de sa détresse. Se laissant fléchir à ses prières, Dieu fait jaillir d'un rocher une source délicieuse et abondante. C'est pourquoi Samson appela l'endroit mâchoire, nom qui s'est conservé jusqu'aujourd'hui[226].

10[227]. Après ce combat, Samson, méprisant les

Philistins, arrive à Gaza et demeure dans une hôtellerie[228]. Les chefs des Gazéens, ayant appris sa

présence dans la ville, établissent une embuscade devant les portes afin qu'il ne puisse sortir à leur insu. Mais Samson, à qui ce manège n'échappe point, s'étant levé dès le milieu de la nuit, enfonce les portes, prend les montants et les verrous et toute la boiserie qui s'y trouvait, les charge sur ses épaules et s’en va les déposer sur la montagne située au-dessus de Hébron.

 

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11[229]. Cependant il violait déjà les coutumes des

ancêtres et modifiait son propre genre de vie par l'imitation des mœurs étrangères ; ce fut l'origine de ses malheurs[230]. S'étant épris, en effet, d'une femme qui

était courtisane chez les Philistins, nommée Dalila[231],

il s'unit à elle, et les chefs de la confédération des Philistins, étant allés la trouver, lui persuadent par de grandes promesses de tâcher d'apprendre de Samson l'origine de cette force qui le rendait insaisissable à ses ennemis. Celle-ci, à table et dans d'autres rencontres de ce genre, en témoignant de son admiration pour ses exploits, s'ingénia à apprendre d'où lui venait cette valeur si extraordinaire. Mais Samson, qui avait encore toute sa force de jugement, rendit ruse pour ruse à Dalila ; il lui dit que, si on l'attachait avec sept sarments de vigne[232] encore suffisamment flexibles, il

deviendrait le plus faible des hommes. Là-dessus, elle se tint en repos, puis ayant fait son rapport aux chefs des Philistins, elle embusqua quelques soldats chez elle et, tandis que Samson dormait, ivre[233], elle le lia avec les

sarments le plus solidement possible, puis, l'ayant éveillé, elle lui dit que des gens venaient l'attaquer. Mais lui, ayant rompu les sarments, se prépara à la défense comme si on allait l'assaillir. Cette femme, comme Samson était continuellement avec elle, lui dit qu'il était cruel qu'il n'eût pas assez de confiance dans sa bonté envers lui pour lui dire exactement ce qu'elle désirait ; craignait-il qu’elle ne tût pas ce qu'elle savait qu'il ne fallait pas divulguer dans son intérêt ? Et Samson, par une nouvelle tromperie, lui ayant dit que, si on le liait avec sept cordes il perdrait sa force, comme elle essaya de ce moyen sans succès, la troisième fois, il l'avertit d'enfermer ses cheveux dans un tissu. Mais comme cette expérience ne lui découvrit pas non plus la vérité, finalement, sur ses instances, Samson, qui, aussi bien, devait être précipité dans le malheur, désirant plaire à Dalila : « Dieu, lui dit-il, prend soin de moi ; venu au monde grâce à sa providence, j'entretiens cette chevelure que Dieu m'a enjoint de ne point couper, car ma force m'est garantie par sa croissance et sa conservation ». Ainsi renseignée, l'ayant dépouillé de sa chevelure, elle le livra à ses ennemis, désormais sans force pour

 

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repousser leur assaut. Ceux-ci, après lui avoir crevé les yeux, le firent emmener enchaîné.

12[234]. Mais, avec le temps, la chevelure de Samson

repoussa. Un jour qu'il y avait fête publique chez les Philistins et que les magistrats et les plus notables célébraient un festin au même lieu - une salle dont deux colonnes supportaient le plafond -, Samson, qu'on avait fait chercher, fut amené au repas, afin qu'on l'outrageât tout en buvant. Celui-ci, estimant que le pire des malheurs, c'était de ne pouvoir se venger de telles injures, persuade à l'enfant qui le conduisait par la main, en lui disant que, fatigué, il désirait se reposer un peu, de le conduire près des colonnes. Sitôt arrivé, s'étant jeté sur elles, il fait écrouler la salle en renversant les colonnes sur trois mille hommes, qui moururent tous, y compris Samson. Telle fut sa fin ; il avait gouverné les Israélites pendant vingt ans. Cet homme mérite l'admiration pour son courage, sa force, la grandeur d'âme dont il fit preuve à la fin et la colère qu'il eut jusqu'à sa mort contre ses ennemis. S'il s'est laissé séduire par une femme, il faut l'attribuer à l'humaine nature, qui cède au péché ; mais il faut reconnaître hautement l'excellence de ses vertus dans tout le reste. Ses proches, ayant enlevé son corps, l'ensevelirent à Sariasa[235], sa patrie.

Chapitre IX

1. Noémi, devenue veuve dans le pays de Moab, revient avec Ruth à Bethléem. - 2. Accueil fait à Ruth par Boaz. - 3. Ruth va trouver Boaz la nuit dans sa grange. - 4. Boaz épouse Ruth ; leur descendance.

1[236]. Après la mort de Samson, les Israélites eurent à leur tête Éli le grand-prêtre. Sous lui[237], leur pays

étant éprouvé par une famine, Elimélech(os) de Bethléem, ville de la tribu de Juda, ne pouvant supporter ce fléau, emmène sa femme Noémi (Naamin) et les fils qu'il avait d'elle, Chelliôn et Mallôn, et émigre en Moabitide. Comme ses affaires prospéraient à souhait, il fait épouser à ses fils des femmes moabites, à Chelliôn Orpha, et Ruth (Routhé) à Mallôn. Dix ans s'étant

 

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écoulés, Elimélech et, peu après, ses fils meurent. Noémi, très affligée de ses malheurs et ne supportant pas la perspective de la solitude à laquelle la condamnait la perte des êtres bien-aimés pour lesquels elle s'était expatriéeF238], songea à retourner dans son pays, car

elle avait appris que tout maintenant y allait bien. Mais ses brus n'avaient pas le courage de se séparer d'elle et Noémi avait beau les détourner de vouloir partir avec elle, elle ne pouvait les convaincre ; comme elles la pressaient, elle leur souhaite de faire un mariage plus heureux que l'union décevante qu'elles avaient contractée avec ses fils et d'acquérir toutes sortes de biens ; elle leur représente la situation où elle se trouvait et les conjure de demeurer où elles étaient et de ne pas désirer partager sa fortune incertaine en quittant leur pays natal. Alors, convaincue, Orpha demeure, mais comme Ruth ne l'était point, Noémi l'emmena, l'associant ainsi à tout ce qui lui adviendrait.

2F239]. Quand Ruth arrive avec sa belle-mère dans la

ville de Bethléem, Boaz(os), en qualité de parent d'Elimélech, lui fait un accueil hospitalierF240]. Et

Noémi, quand on lui donnait ce nom, disait : « Appelez-moi plutôt Mara ». En effet, dans la langue des Hébreux, Noémi signifie félicité, et Mara douleur. Le temps de la moisson étant venu, Ruth sortit avec la permission de sa belle-mère pour aller glaner de quoi leur procurer de la nourriture, et elle arriva par hasard sur la terre de Boaz. Boaz, étant venu peu après et ayant aperçu la jeune femme, s'informa d'elle auprès de son fermier. Celui-ci, qui venait justement de tout apprendre d'elle-même, le révéla à son maître. Et lui, autant par amitié pour la belle-mère qu'en souvenir du fils de celle-ci, auquel Ruth avait été unie, salue la jeune femme et lui souhaite de goûter à la prospérité ; il ne voulut pas qu'elle glanât, mais lui permit de prendre tout ce qu’elle pourrait cueillir, après avoir donné l'ordre au fermier de ne l'entraver en rien et de lui offrir à manger et à boire quand il apporterait le repas des moissonneurs. RuthF241], ayant reçu de lui de la bouillie d'orge, en

garda pour sa belle-mère et elle revint au soir la lui apporter avec des épis. Noémi, de son côté, lui avait conservé sa part de quelques aliments dont l'avaient

 

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gratifiée les voisins. Ruth alors lui raconta ce que Boaz lui avait dit, et quand Noémi lui eut révélé qu'il était leur parent et que, peut-être, par pitié, il prendrait soin d'elles, elle sortit de nouveau les jours suivants pour cueillir des épis avec les servantes de Boaz.

3F242]. Boaz, étant venu lui-même quelques jours après,

quand on avait déjà vanné l'orge, s'endormit dans la grange. L'ayant appris, Noémi imagina d'aller faire reposer Ruth près de lui, espérant que Boaz leur témoignerait de la bienveillance une fois qu'il aurait eu commerce avec la jeune femme, et elle l'envoie dormir à ses piedsF243]. Celle-ci, qui se faisait un devoir de ne

rien opposer aux ordres de sa belle-mère, s'y rend, et, sur le moment, demeure inaperçue de Boaz, qui dormait profondément, mais, réveillé vers le milieu de la nuit et sentant une femme couchée près de lui, il demanda qui c'était. Elle ayant dit son nom et l'ayant prié de lui pardonner comme à sa servante, il garda momentanément le silence, mais à l'aube, avant que ses serviteurs ne commencent à se mettre à l'ouvrage, il la réveille et lui ordonne, après avoir pris autant d'orge qu'elle pourrait en emporter, d'aller chez sa belle-mère avant qu'on ait pu s'apercevoir qu'elle avait dormi là : car il était sage de se mettre en garde contre la calomnie dans un incident de ce genre, d'autant plus qu'il ne s'était rien passé. « Somme toute, dit-il, voici ce qu'il faudra faire : demander à celui qui t'est le plus proche parent s’il veut de toi pour femme ; s'il dit oui, tu le suivras ; s'il renonce, je t'emmènerai au nom de la loi pour vivre avec moi. »

4F244]. Quand elle eut raconté cet entretien à sa belle-

mère, elles éprouvèrent un grand contentement, espérant désormais que Boaz prendrait soin d'elles. Et ce dernierF245], étant descendu vers midi dans la ville,

réunit les Anciens et, ayant mandé Ruth, il appela aussi le parent ; quand celui-ci arriva, il lui dit : « Ne possèdes-tu pas les héritages d'Elimélech et de ses filsF246] ? »

Comme il l'avouait, ajoutant qu'il s'en était emparé en vertu des lois et de sa parenté : « Eh bien ! dit Boaz, il ne faut pas se souvenir des lois à moitié, mais s'y conformer

 

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complètement. La femme de Mallôn vient ici ; si tu veux être propriétaire de ses champs, il faut que tu l'épouses selon les lois ». Mais lui céda l'héritage et la femme à Boaz, qui était également parent des défunts, en alléguant qu'il avait déjà femme et enfants. Boaz donc, ayant pris les Anciens à témoin, ordonna à la femme de défaire le soulier de cet homme en s'approchant conformément à la loi et de lui cracher à la face. Cela fait, Boaz épouse Ruth, et il leur naît un enfant mâle un an après. Noémi, qui le nourrit, sur le conseil des femmes l'appela Obéd(ès), parce qu'il devait être élevé pour prendre soin de sa vieillesse. Car ôbèd dans la langue des Hébreux signifie qui sert. D'Obèd naquit Jessé(os)F247], et de ce dernier David(ès), qui fut roi et

laissa le pouvoir à ses fils jusqu'à la vingt et unième génération. Toute cette histoire de Ruth, j'ai été obligé de la rapporter, voulant montrer la puissance de Dieu et comme il lui est facile d'élever à un rang illustre les plus humbles, ainsi qu'il l'a fait pour David dont voilà l'origine.

Chapitre X

1. Le grand-prêtre Éli ; indignité de ses fils. - 2. Éli annonce à Anna la naissance d'un fils. -3. Naissance de Samuel ; il est consacré à Dieu. - 4. Révélations faites par Dieu à Samuel.

1F248]. Les Hébreux, dont les affaires avaient décliné,

portent de nouveau la guerre chez les Philistins par la raison que voici. Éli, le grand-prêtre, avait deux fils, Ophnis et Phinéès(ès). Ceux-ci, violents envers les hommes et impies envers la divinité, ne reculaient devant aucune injustice. Ils prenaient une partie des offrandes à titre d'honoraires, les autres, ils s'en emparaient comme des voleurs ; les femmes qui venaient pour le culte divin, ils les déshonoraient, en violant les unes, en séduisant les autres par des présents ; bref, leurs procédés ne différaient en rien de la tyrannie. Aussi leur père s’en montrait-il très affecté et il n'était pas loin de s'attendre à voir fondre sur eux le châtiment de Dieu à cause de leur conduite ; le peuple aussi en était fort en peine. Et lorsque Dieu dit à Éli et à Samuél(os) le prophète, qui était encore enfant, le sort

 

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qui était réservé à ses fils, alors Éli porta ouvertement le deuil de ses enfants.

2[249]. Mais je veux d'abord rapporter en détail l'histoire

du prophète, et ensuite seulement dire ce qui advint aux fils d'Éli et le désastre qui accabla tout le peuple des Hébreux. Alcanès[250], un Lévite de la classe moyenne,

de la tribu d'Ephraïm, qui habitait dans la ville

d'Armatha[251], avait deux femmes, Anna et

Phénanna[252]. De cette dernière, il eut des enfants ;

quant à l'autre, encore qu'elle fût stérile, il ne cessa pas de l'aimer. Comme Alcanès était venu avec ses femmes dans la ville de Silo pour y sacrifier – car c'était là que se dressait le tabernacle de Dieu, comme nous l'avons dit précédemment -, et que pendant le festin il avait distribué successivement les parts des viandes à ses femmes et ses enfants, Anna, apercevant les enfants de l'autre femme assis autour de leur mère, fondit en larmes et se lamentait de sa stérilité et de son isolement. Son chagrin étant plus fort que les consolations de son mari, elle alla dans le tabernacle, supplia Dieu de lui donner une progéniture et de la rendre mère, promettant que son premier-né serait consacré au service de Dieu et n'aurait pas le même genre de vie que le commun. Comme elle restait longtemps en prière, Éli, le grand-prêtre, qui était assis à l'entrée du tabernacle, la prenant pour une femme ivre, lui commanda de se retirer. Celle-ci ayant répondu qu'elle n'avait bu que de l'eau, mais que, dans son chagrin d'être stérile, elle suppliait Dieu, il l'exhorta à prendre courage, lui annonçant que Dieu lui accorderait des enfants[253].

3[254]. Revenue avec ce doux espoir auprès de son mari,

dans sa joie, elle prit de la nourriture et, quand ils furent de retour dans leur ville, elle se sentit enceinte. Et il leur naît un fils qu'ils appellent Samuel, ce qu’on pourrait rendre par demandé à Dieu[255] (Théétète). Ils revinrent

alors offrir un sacrifice à l'occasion de la naissance de ce fils, et apportèrent aussi leurs dîmes[256]. Et la femme,

se souvenant du vœu qu'elle avait formé au sujet de l'enfant, le remit à Éli, pour le consacrer à Dieu afin qu'il devînt un prophète. Aussi laissa-t-on croître sa

 

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chevelure librement et il eut pour boisson de l'eau. Samuel vécut ainsi et fût élevé dans le sanctuaire, mais Alcanès[257] eut encore d'Anna d'autres fils et trois

filles[258].

4[259]. Dès que Samuel eut douze ans[260] accomplis, il

commença à prophétiser. Et une nuit qu'il dormait, Dieu l'appela par son nom. Lui, croyant que c'était le grand-prêtre qui avait parlé, alla le trouver. Comme le grand-prêtre niait l'avoir appelé, Dieu recommença à trois reprises. Et Éli réveillé, lui dit : « En vérité, Samuel, moi, je me suis tu comme tout à l'heure, c'est Dieu qui l'appelle. Eh bien dis-lui : Je suis là ». Et Dieu ayant parlé encore une fois, Samuel, qui l'entendit, le pria de lui révéler ses oracles ; car il ne manquerait pas de le servir, quoi qu'il désirât. Dieu alors : « Puisque, dit-il, tu es là, apprends qu'un malheur va fondre sur les Israélites qui dépassera tout ce qu'on peut dire ou croire, que les fils d'Éli périront le même jour et que le pontificat passera dans la maison d'Eléazar[261], parce qu'à mon

culte Éli a préféré ses fils, et les a chéris au détriment même de leurs intérêts ». Éli ayant contraint le prophète par serments de lui révéler tout - ce dernier ne voulant pas l'affliger en lui en parlant -, il s'attendit avec plus de certitude que jamais à la perte de ses fils. Quant à Samuel, sa renommée ne fit que s'accroître, parce qu'on voyait que toutes ses prophéties étaient véridiques.

Chapitre XI

Les fils du prêtre Éli périssent dans le combat contre les Philistins. Leur père ayant appris le désastre, se jette à bas de son siège et meurt. Les Philistins, ayant vaincu les Hébreux dans cette guerre, font main basse sur l’arche. Tous ceux qui ont gouverné depuis Kenez ont reçu le nom de Juges.

1. Victoire des Philistins sur les Hébreux. - 2. Arrivée de l'arche au camp des Hébreux ; défaite de ceux-ci et capture de l'arche. - 3. Mort d'Elia' la nouvelle du désastre. - 4. Naissance de Yochabès. - 5. Transmission du sacerdoce.

 

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1F262]. Juste à cette époque, les Philistins, s'étant mis

en campagne contre les Israélites, établissent leur camp près de la ville d'Aphék(a). Les Israélites, ayant été au devant d'eux peu après, on en vient aux mains le jour suivant et les Philistins remportent la victoire ; ils tuent environ 4.000 Hébreux et poursuivent la foule des autres jusqu'au campement.

2. Craignant un désastre complet, les Hébreux envoient aux Anciens et au grand-prêtre l'ordre d'apporter l'arche de Dieu, afin que, grâce à sa présence dans leurs rangs, ils triomphent de leurs ennemis, ignorant que Celui qui avait décrété leur malheur était plus puissant que l'arche, que l'on ne révérait même qu'à cause de Lui. L'arche arrive donc, ainsi que les fils du grand-prêtre, à qui leur père avait enjoint, s'ils voulaient survivre à la prise de l'arche, de ne pas reparaître devant ses yeux. Phinéès exerçait déjà alors le sacerdoce, son père le lui ayant abandonné à cause de sa vieillesse. La confiance renaît donc pleinement chez les Hébreux, qui croient que, grâce à l'arrivée de l'arche, ils l'emporteront sur leurs ennemis ; et les ennemis étaient frappés de terreur, redoutant la présence de l'arche parmi les Israélites. Mais l'événement ne fut conforme aux prévisions ni des uns ni des autres : quand le choc se produisit, la victoire, espérée par les Hébreux, fut aux Philistins ; et la défaite que ceux-ci craignaient, les Hébreux la subirent, s'apercevant qu'ils avaient vainement mis leur confiance dans l'arche ; car sitôt qu'ils en vinrent aux mains avec l'ennemi, ils furent mis en fuite et perdirent environ 30.000 hommes, au nombre desquels tombèrent aussi les fils du grand-prêtre ; et l'arche fut emportée par les ennemis,

3F263]. Quand on annonça la défaite à Silo ainsi que la

prise de l'arche - ce fut un jeune Benjamite qui avait assisté à l'affaire qui apporta la nouvelle -, toute la ville fut plongée dans le deuil. Éli le grand-prêtre - qui était assis à l'une des deux portes sur un siège élevé -, entendant les gémissements, pensa qu'il était arrivé aux siens quelque désastre soudain, et ayant mandé le jeune homme, lorsqu'il connut l'issue du combat, il montra assez de résignation pour le sort de ses fils et ce qui

 

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s'était passé de l'armée parce qu'il savait d'avance par Dieu ce qui devait arriver et qu'il l'avait annoncé : on est surtout affecté des malheurs qui surviennent à l'improviste ; mais quand il apprit que l’arche elle-même avait été prise par les ennemis, douloureusement touché de l'imprévu d'une telle catastrophe, il tombe à bas de son siège et meurt, après avoir vécu[264] en tout quatre-

vingt-dix-huit ans, et occupé quarante ans le pouvoir[265].

4[266]. Le même jour mourut aussi la femme de son fils

Phinéès, car elle n'eut pas assez de force pour survivre au malheur de son mari. Elle était enceinte, en effet, quand on lui annonça la mort de ce dernier, et elle mit au monde un enfant de sept mois[267]. Comme il était

viable, on l'appela Jochabès[268] - ce nom signifie

ignominie - cause du désastre subi en ce temps par l'armée.

5[269]. Éli fut le premier qui gouverna de la maison d'Ithamar[270], le deuxième fils d'Aaron ; car c'était la

maison d'Éléazar qui avait eu précédemment le sacerdoce, de père en fils on se transmettait cette charge. Éléazar la transmit[271] à Phinéès son fils. Après

lui, Abiézér(ès)[272], son fils, la reçut et la laissa à son fils Bouki, de qui Ozis[273], son fils, la recueillit ; après

lui ce fut Éli qui eut le sacerdoce, celui dont il a été parlé, ainsi que toute sa postérité jusqu'aux temps de la royauté de Salomon (Solomôn)[274]. Ce furent alors les

descendants d'Éléazar qui le reprirent[275].

  1. Josué, I, 11.
  2. Ibid., II, 1.

 

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  1. Ibid., I, 12.
  2. Josèphe le déduit apparemment de la mention des « sept peuplades » qui habitaient Chanaan et qui sont énumérées dans Deutéronome, VII, 1 et Josué, III, 10. Comme l'Amorrhéen fait partie des sept, Josèphe en conclut que I'Amoritide forme la septième partie du pays entier. Voir aussi infra § 23.
  3. Hébreu et LXX : 40.000 (Josué, IV, 13)
  4. Cf. livre IV, VIII, 1 et note.
  5. Josué, II, 1.
  6. Jéricho.
  7. L'Écriture emploie pour désigner Rahab le mot zona, c'est-à-dire courtisane ; les LXX comprennent de même. Josèphe suit l'exégèse palestinienne et comprend le mot de zona comme le Targoum (sur Josué, II, 1), qui emploie l'expression de poun tekita, « aubergiste », simple transcription araméenne du grec. Sur l'origine de cette interprétation, voir livre III, VIII, 2 et note.
  8. Dans la Bible, il n’est pas question de ces signes.
  9. A la fenêtre, d'après la Bible (Josué, II, 18).
  10. Josèphe paraît avoir vu un pluriel dans le mot en hébreu (v. 21).
  11. Josèphe, comme d'habitude dans le récit des faits miraculeux de l'Écriture, en atténue l'aspect surnaturel. Le fleuve ne se divise pas complètement comme dans Josué ; le débit des eaux seulement devient assez faible pour qu'on puisse traverser sans danger.
  12. Josué, III, 2.
  13. Ibid., III, 17 ; IV, 17.
  14. Ibid., IV, 1.
  15. Ibid., V, 10

 

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  1. Ibid., VI, 1.
  2. De Pâque dont il vient d'être question. Mais ni l'Écriture ni la tradition ne placent la prise de Jéricho pendant la Pâque. Josèphe a imaginé un rapport ingénieux entre les 7 jours de sonnerie mentionnés dans la Bible et la durée de la fête de Pâque.
  3. Le texte est profondément altéré. Nous traduisons d'après l'Écriture.
  4. Josèphe oublie de mentionner ici l'airain et le fer (Josué, VII, 12), quoique plus loin il fasse au moins mention de l'airain.
  5. Josué, VI, 15.
  6. Josué, VI, 26 ; cf. I Rois, XVI, 34.
  7. Josèphe oubliera cependant d'en parler dans l'histoire d'Achab (livre VIII, XIII et suiv.), à moins qu'il n'y ait à cet endroit une lacune.
  8. Josué, VII, 1.
  9. Hébreu : Achan, fils de Kharmi, fils de Zabdi (cf. I Chroniques, II, 7 : Achar) ; au contraire des LXX, Josèphe n'a pas le nom intermédiaire. A. Mez (Die Bibel des Josephus, Bâle, 1895, p. 5 et suiv.) croit que le texte que suivait Josèphe ne portait pas ce nom du Kharmi, qui, d'ailleurs, est absent aussi au v. 18 de nos éditions des LXX.
  10. Dans l'Écriture (Josué, VII, 21), il est question de 200 sicles d'argent et d'un lingot d'or du poids de 50 sicles.
  11. Josué, V, 9.
  12. En hébreu : Guilgal.
  13. Josèphe traduit selon le sens général, mais le mot guilgal ne signifie pas « libérant », selon l'étymologie qu'en donne l'Écriture elle-même, il faut voir dans ce mot la racine « faire rouler » : « J'ai fait rouler, dit le verset, l'opprobre de l'Égypte de dessus vous ».
  14. Josué, VII, 2.

 

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  1. Cette leçon diffère beaucoup de l'hébreu Aï, mais elle est confirmée par Stéphane de Byzance.
  2. Le Talmud insiste également sur la valeur de ces combattants

dont l'Écriture ne fait que donner le nombre. Dans Sanhédrin, 44 a, et B. Batra, 121 b, R. Yehouda et R. Néhémia (fin du IIe siècle) discutent sur le sens de l'expression : « comme 36 hommes » (Josué, VII, 5). R. Néhémia estime qu'il faut laisser à la préposition comme sa valeur comparative et qu'il s'agit dans ce passage de la mort de Yaïr ben Menasché, qui valait à lui seul la majorité du Sanhédrin, c'est-à-dire 36 hommes (ce tribunal se composant de 71 membres).

  1. Josué, VII, 7.
  2. Ibid., VII, 10.
  3. Par ce détail, étranger au récit de la Bible, Josèphe veut

montrer qu'on a appliqué exactement la loi mosaïque sur la lapidation qu'il a rapportée au livre IV, VIII, 6..

  1. Josué, VIII, 3.
  2. Ibid., IX, 13.
  3. En hébreu : Kiriat-Yearim. L'Écriture mentionne encore une autre ville alliée à Gabaon, celle de Beèrot.
  4. Josué, IX, 16.
  5. Des porteurs d'eau et des fendeurs de bois, selon l'Écriture.
  6. Josué, X, 1.
  7. L'Écriture donne son nom : c'est Adoni-Çédek.
  8. En hébreu : Bet-Horon.
  9. Josué, X, 43.
  10. Ibid., XI, 1.
  11. L'Écriture indique ici, non la ville de Beèrot (qui semble

 

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désignée celle de Josèphe), mais le lac Mérous.

  1. Tous ces chiffres sont de fantaisie. L'Écriture se borne à dire que l'armée ennemie était nombreuse comme le sable des plages et qu'il y avait beaucoup de cavalerie et de chars.
  2. Josué, XVIII, 1.
  3. D'après la tradition, qui s'appuie sur Josué, XIV, 10, la conquête aurait duré sept ans.
  4. En hébreu : Schilô.
  5. L'Écriture place cet épisode après le récit de la conquête d'Aï.
  6. Josué, VIII, 30.
  7. Ibid., XIII, 1.
  8. Ibid., XVIII, 1.
  9. Ibid., XII, 1.
  10. Ibid., XXII, 1.
  11. Trois hommes par tribu, selon la Bible (Josué, XVIII, 4).
  12. Josué, XV, 1.
  13. Josèphe dans son énumération va du sud au nord, sauf pour

la tribu de Dan, mentionnée a part, et abrége considérablement les énumérations de villes du livre de Josué. Il appelle longueur la dimension la plus longue de chaque lot, quelle que soit d'ailleurs son orientation.

  1. Josué, XIX, 1-9
  2. Ibid., XVIII, 11.
  3. Ibid., XVI, 5.
  4. Hébreu : Ghézer.

 

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  1. Josué, XVII, 11.
  2. Hébreu et LXX : Dor.
  3. Hébreu : Bet-Schean.
  4. Josué, XIX, 17.
  5. Josué, XIX, 10.
  6. Ibid., XIX, 24.
  7. Ibid., XIX, 32.
  8. Le texte paraît altéré en ce passage : on ne voit pas ce que vient faire ici la mention d'Arcé. On attendrait plutôt Panias ou Kadès. [T. R.]
  9. Josué, XIX, 40
  10. Cette ville n'est pas nommée dans le livre de Josué ; on la

trouve mentionnée pour la première fois dans II Chroniques, XXVI, 6. Josèphe s'inspire de la situation géographique de son temps et commet ainsi des anachronismes. C'en est un que de parler de Jamnia a l'époque de Josué.

  1. Josué, XIII, 12.
  2. Josèphe se réfère à la liste des fils de Kenaan (Genèse, X, 15­17 ; cf. Antiquités, livre I, VI, 2). Ces fils sont au nombre de 11, les Israélites occupent les pays de sept d'entre eux (Het, Yebousi, Emori, Ghirgasi, Hivi, Sini, Çemari) : les pays des quatre autres (Sidon, Arki, Hamathi, Arvadi) doivent correspondre à peu près aux territoires énumérés dans Josué (XIII, 4-6) ; mais la Bible parle aussi des territoires philistins parmi « ce qui restait à prendre » (v. 2 et 3) : Josèphe ne les mentionne pas.
  3. Josué, XVIII, 11.
  4. Ibid., XXI, 1
  5. Ibid., XX, 1.

 

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  1. Ibid., XXII, 1.
  2. Ibid., XXII, 6.
  3. Ibid., XXII, 10
  4. Ibid., XXII, 21.
  5. Ibid., XXII, 30.
  6. Ibid., XXIV, 1.
  7. Ibid., XXXV, 29.
  8. L'Écriture ne donne pas la durée du gouvernement de Josué.

Mais le même renseignement se retrouve dans la Chronique samaritaine. Quant à la tradition rabbinique (Sèder Olam Rabba, XII), elle attribue au gouvernement de Josué une durée de 28 ans. Comme la conquête, selon la même tradition, avait duré 7 ans, l'intervalle entre l'issue de la guerre et la mort de Josué est à peu prés le même que celui que Josèphe donne plus haut (20 ans).

  1. Josèphe, comme les LXX, prend le mot Gibeath, « colline », pour un nom.

[89] Juges, I, 4.

  1. Littéralement « mon seigneur » ; Josèphe ne tient pas compte du suffixe.
  2. Soixante-dix, selon l'Écriture.
  3. Cette restriction n'est pas dans la Bible. Josèphe, en l'établissant, a voulu sans doute concilier Juges, I, 8, où il est dit que les enfants de Juda prirent Jérusalem et l'incendièrent, avec le verset 21 du même chapitre, qui porte que les Jébuséens demeurèrent dans Jérusalem, passage confirmé par Juges, XIX, 10-12, et II Samuel, V, 6.
  4. Juges, I, 10.
  5. La Bible l'appelle ici Kéni (Juges, I, 16).

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. Juges, I, 17.
  2. Josèphe est en désaccord avec la Bible, d'après laquelle (Juges, I, 18) Juda s'empara de Gaza, d'Ascalon et d'Ekron, Azôt n’étant pas nommé. Selon les LXX, Juda ne put prendre ni Gaza, ni Ascalon, ni Accaron, ni Azôtos.
  3. Juges, I, 21.
  4. Ibid., 27-34.
  5. Ibid., 22.
  6. Ibid., II, 11.
  7. Il n'y a rien de pareil dans la Bible, Josèphe, s'adressant à

des lecteurs païens et, de plus, aristocrates, substitue des motifs politiques aux motifs exclusivement religieux de l'Écriture [T. R.]

  1. Juges, XIX, 1.
  2. Josèphe a déplacé considérablement cet épisode, qui, dans

la Bible, est relégué tout à la fin du livre des Juges. Son motif, comme l'explique Whiston, était peut-être de laisser à la tribu de Benjamin un temps suffisant pour se reconstituer, et prendre l'importance que nous lui voyons sous la royauté.

  1. Josèphe fait ici une confusion. Dans la Bible (Juges, XXX, 2),

il est question d'un séjour de quatre mois fait par la femme du Lévite chez son père, auprès duquel elle est revenue.

  1. Cf. supra, chap. II, 2, et note.
  2. Hébreu : Ghibea.
  3. Juges, XX, 1.
  4. La Bible les fait s'assembler à Miçpa (Juges, XXI, 1).
  5. Cette intervention des Anciens est imaginée par Josèphe, qui

veut montrer qu'on s'est conformé à la loi mosaïque (Deutéronome, XX, 10). La Bible parle seulement d'envoyés chargés de réclamer la tête des coupables avant d'engager une guerre (Juges, XX, 12­14).

 

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  1. Juges, XXI, 1.
  2. Ibid., XX, 2.
  3. Hébreu : 26.000 hommes, plus 700 frondeurs ; LXX 23.000 (ou 25.000) plus 700 (Juges, XX, 15).
  4. Juges, XX, 29.
  5. Hébreu : Yabês-Ghilead.
  6. Juges, XXI, 8.
  7. Ibid., XXI, 6.
  8. Ibid., 13.
  9. Juges, I, 34 ; Josué, XIX, 40.
  10. Ibid., XVIII, 1, 2, 7, 8-10, 29.
  11. Josèphe laisse tout à fait de côté l'histoire de Micha, qui est contée au ch. XVII des Juges et se mêle, dans le ch. XVIII, au récit de l'expédition des Danites.
  12. Juges, III, 5.
  13. Hébreu : Kouschan-Rischathaïm.
  14. Roi d'Aram, selon la Bible.
  15. Juges, III, 9.
  16. Hébreu : Othniel. Othniel, d'après la Bible, est fils de Kenaz ;

Josèphe a nommé le père au lieu du fils. Dans l'argument du livre V on lit même Kenaz, fils d'Athniel.

  1. Juges, III, 12.
  2. Dans l'Écriture, Jéricho n'est pas nommée. On trouve l'expression « ville des palmiers ». Le Targoum traduit aussi par

 

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Jéricho. Cette interprétation est remarquable, puisqu'elle semble ignorer la destruction de Jéricho par Josué. Il est vrai que Jéricho est encore mentionnée nommément sous David (II Samuel, X, 5).

  1. Juges, III, 15.
  2. Hébreu : Ehoud. Josèphe traduit exactement les mots

benhayyemini de l’Écriture par « de Benjamin ». Les LXX font de yemini, non un adjectif, mais le nom du grand-père d'Ehoud.

  1. Juges, III, 26.
  2. La Bible dit simplement (Juges, III, 30) : Et le pays fut en repos pendant 80 ans. Il n'est pas question d'une judicature d'Aod (Eoud).
  3. Juges, III, 31.
  4. L'Écriture ne donne pas de durée pour Samgar : elle ne dit pas non plus qu'il ait été juge.
  5. Juges, IV, 1.
  6. Le Laurentianus seul a ici la leçon Iabimos, les autres mss. de Josèphe appellent le roi Abités ou Abitos.
  7. Ou lac Mérom.
  8. Ces chiffres sont à peu près les mêmes et aussi fantaisistes que plus haut (chap. I, 18). L'Écriture dit que l'ennemi possédait 900 chars de guerre.
  9. Hébreu : Sisera.
  10. Juges, IV, 3.
  11. Dans l'Écriture, Débora est plus qu' « une certaine prophétesse », elle gouverne Israël (Juges, IV, 4) et lui rend la justice.
  12. Juges, IV, 6.
  13. Ibid., 13.

 

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  1. La Bible n'en parle pas ; peut-être que cette partie du récit de Josèphe lui est inspirée par un verset du Cantique de Débora (Juges, V, 20) : « Les cieux ont pris part au combat ; les étoiles dans leurs orbites ont combattu avec Sisera ».
  2. Hébreu et LXX : Yaèl.
  3. L'Écriture ne dit pas que le lait fût corrompu.
  4. Dans la Bible, c'est à Barac seul qu'elle le montre (Juges, IV, 22).
  5. Juges, IV, 9.
  6. Ici les mss. de Josèphe portent Ioabinos ou Iabinos (Laurentianus : Iabimos) ; il semble que Josèphe n'ait pas reconnu l'identité de ce nom avec l'Abitos du § 1 de ce chapitre. C'est pourquoi il fait ici de Iabinos le général et non le roi des Chananéens [T. R.]
  7. Juges, V, 31. La Bible dit seulement que le pays fut en repos pendant quarante ans.
  8. Juges, VI, 1.
  9. Ibid., 11.
  10. Hébreu : Ghideôn.
  11. Juges, VII, 3.
  12. Josèphe ne dit rien des miracles accomplis par l'ange pour

donner confiance à Gédéon, ni de l'épisode où l'on voit Gédéon renverser pendant la nuit l'autel de Baal dans la maison de son père, ce qui lui attire les colères des gens de la ville et lui vaut le surnom de Jérubbaal (Juges, VI, 17-40). Ces lacunes ont, sans doute, un caractère tendancieux : Josèphe évite volontiers de rapporter les faits trop surnaturels et, d’autre part, il prend des précautions avec le paganisme. Voir à ce sujet livre IV, VIII, 10, note.

  1. Dans l'Écriture, cette armée de 10.000 hommes constitue

déjà un effectif réduit, après le départ des 22.000 hommes qui eurent peur d'affronter la lutte.

 

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  1. L'interprétation que donne Josèphe du passage des Juges

(VII, 4-8) est extraordinaire. Le sens naturel parait être que ceux qui se penchaient (ou plutôt s'agenouillaient pour boire) étaient des adorateurs de Baal, indignes, en conséquence, d'aller combattre avec Gédéon, tandis que ceux qui puisaient l'eau dans leurs mains hâtivement étaient les plus pressés d'aller se battre, les plus vaillants. Josèphe explique ces deux actes à l'inverse et veut sans doute donner à entendre que Dieu fait choix des plus timorés pour faire paraître la victoire plus extraordinaire. Josèphe est certainement dans le faux, puisque la première sélection des troupes de Gédéon s'est faite précisément pour éliminer ceux qui manquaient de courage : c'est même pour cette raison sans doute que Josèphe néglige d'en parler (v. note précédente).

  1. Juges, VII, 9.
  2. Hébreu : Phoura.
  3. Le Talmud aussi considère l'orge comme une chose vile. Le sacrifice de la femme adultère était une offrande d'orge. Le Talmud (Sota, 9 a, 15 b) l'appelle « aliment de bêtes ».
  4. Juges, VII, 16.
  5. Au commencement de la seconde, d'après l'Écriture.
  6. 15.000, d'après l'Écriture.
  7. Hébreu : Zébah et Çalmouna.
  8. Ce chiffre n'est pas donné dans la Bible.
  9. Hébreu : Ophra.
  10. Juges, VIII, 1.
  11. Ibid., 22.
  12. Juges, VIII, 30.
  13. L'Ecriture ne donne pas le nom de cette femme. Mais on est tenté de voir dans Drouma une altération d'Arouma, nom de la résidence d'Abimélech d’après Juges, IX, 41. Reste à savoir

 

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comment ce nom de ville a pu devenir dans Josèphe le nom de la mère d'Abimélech, alors que la Bible assigne à celle-ci Sichem pour origine. D’après A. Mez (Die Bibel des Josephus, Bâle, 1895, p. 43 et suiv.), il faudrait supposer que Josèphe avait sous les yeux dans sa Bible grecque une notice, aujourd'hui perdue, qui établissait une relation entre la mère d'Abimélech et la ville d'Arouma, contredisant ainsi Juges, VIII, 31. Selon une hypothèse que nous propose M. Israël Lévi, Josèphe a peut-être trouvé le nom de Arouma dans le Livre des Jubilés, qui parait avoir embrassé toute l'histoire des Israélites et qui s'ingénie à donner aux personnages anonymes de la Bible des noms de fantaisie.

  1. Juges, IX, 1.
  2. On a supposé avec raison qu'il y avait ici dans le grec une

lacune. D'après Juges, IX, 4, il doit manquer à peu près ceci : « Abimélech enrôla des misérables, etc. » La phrase grecque telle qu'elle nous a été transmise n'est pas même correcte.

  1. Juges, IX, 7.
  2. Dans l'Écriture, c'est à l'olivier que les arbres s'adressent d'abord.
  3. Juges, IX, 16.
  4. Ibid., 22.
  5. Dans la Bible il est bien dit qu'Abimélech fut renversé après

trois ans de règne, mais nullement que cet événement ait suivi de près la fête où Jôtham fit son discours. Ces deux renseignements seraient d'ailleurs contradictoires, et l'on peut supposer que les mots grecs sont interpolés [T. R.]

  1. Juges, IX, 30.
  2. La Bible ne donne pas de motifs à l’expulsion de Gaal.
  3. La Bible parle d'une tour.
  4. Mille seulement dans l'Écriture.
  5. Juges, IX, 50.

 

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  1. Hébreu : Thébeç.
  2. Juges, X, 3.
  3. Josèphe ne parle pas du juge Thôla que la Bible place entre Abimélech et Yaïr (Juges, X, 1-2) et à qui elle attribue un gouvernement de vingt-trois ans.
  4. Juges, X, 6.
  5. La Pérée est la partie de la Terre Sainte située à l'orient du Jourdain : il semble donc peu probable que les Philistins, habitants de la côte, aient pris une part quelconque à la conquête de ce pays. Leur mention dans la Bible (Juges, X, 7) et dans Josèphe semble donc résulter d'une erreur [T. R.]
  6. Juges, X, 17.
  7. Hébreu : Yiphtah.
  8. Juges, XI, 1
  9. Ibid., 11.
  10. Hébreu : Miçpa.
  11. Le texte est corrompu.
  12. Juges, XI, 30.
  13. Hébreu : Minnit.
  14. La tradition flétrit, en effet, le vœu imprudent de Jephté

(Gen. Rabba, LX). Cf. plus loin, chap. XI, 5, la note sur la maison d’Ithamar.

  1. Juges, XII, 1.
  2. Ibid., 7.
  3. L'Écriture ne connaît pas ce nom.

 

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  1. Juges, XII, 8.
  2. Hébreu : Ibçan.
  3. La Bible n'en dit rien.
  4. Juges, XII, 11.
  5. Ibid., 13.
  6. Les manuscrits de Josèphe donnent par erreur Abdon pour fils d'Elon [T. R.]
  7. Hébreu : Pirathônite.
  8. La Bible dit qu'ils avaient des ânons pour montures.
  9. L'Écriture dit seulement qu'il gouverna huit ans.
  10. Juges, XIII, 2.
  11. Hébreu : Manôah.
  12. Il n'y a rien de ces détails topographiques dans la Bible.
  13. Ces détails romanesques sur la jalousie de Manoé sont absolument étrangers à la Bible. Mais le Midrash, qui s'occupe assez longuement de ce chapitre des Juges (Nombres R., X), présente aussi des traits légendaires sur les rapports de Manoé et de sa femme. Ils se reprochaient, paraît-il, mutuellement la stérilité de leur union. C'est de traditions de ce genre que Josèphe s'est lait l'écho. L'histoire de la jalousie de Manoé à l'avantage d'expliquer pourquoi l'ange fait une seconde apparition, qui dans le récit biblique paraît sans objet, puisque la femme a déjà averti son mari de ce qu'il faudrait « faire pour l'enfant » et que l'ange ne peut que réitérer les mêmes prescriptions. Dans Josèphe, l'ange se fait voir à Manoé, sur la prière de sa femme, pour dissiper ses soupçons, sans d'ailleurs y réussir. Le récit biblique est, au surplus, comme on voit par la suite, notablement altéré par Josèphe.
  14. Dans l'Écriture, c'est Manoé qui supplie Dieu d'envoyer l'ange à nouveau (Juges, XIII, 8).

 

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  1. Dans la Bible, l'ange dit : (( Tout ce que j'ai désigné à la femme, elle se l'interdira ». Suivent les recommandations touchant le vin, les boissons enivrantes, etc.
  2. Juges, XIII, 24.
  3. Hébreu : Schimschôn. L’Écriture ne donne pas l'explication de ce nom. Celle que propose Josèphe lui est inspirée non par l'étymologie du nom, qui est obscure, mais par la qualité dominante du personnage.
  4. Juges, XIV, 1.
  5. Hébreu : Timna.
  6. Juges, XIV, 8.
  7. D’après l’Écriture, trente chemises et trente vêtements (Juges, XIV, 12).

[220] Juges, XV, 3.

  1. Ces mots sont peu compréhensibles chez Josèphe, parce qu'il a passé sous silence l'épisode survenu entre Samson et son ex-beau-père (Juges, XV, 1-3).
  2. Juges, XV, 8.
  3. Hébreu et LXX : Étam.
  4. Josèphe suit les LXX, qui, au lieu de reproduire le mot hébreu léhi, l'ont traduit par siagon, (( mâchoire ».

[225] Juges, XV, 18.

  1. Bible : En-hakkoré (Juges, XV, 19), nom de la source, tandis que le lieu s'appelle Ramath Léhi.
  2. Juges, XVI, 1.
  3. Cf. chap. I, 2, la note sur Rahab.
  4. Juges, XVI, 4.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. Le Talmud dit aussi que cette époque de la vie de Samson fut le commencement de sa perte (Sota, 9 b).
  2. Hébreu : Delila.
  3. Sept cordes neuves, selon la Bible.
  4. Ce détail, qui suppose que Samson a enfreint son vœu de nazir, n’est pas dans la Bible [T. R.]
  5. Juges, XVI, 22.
  6. Hébreu : Çoréa.
  7. Ruth, I, 1.
  8. La Bible ne précise pas à quel époque se place l'épisode de

Ruth ; elle dit simplement (Ruth, I, 1) « du temps des Juges ». Josèphe a fixé la date d'après le compte des générations entre Boaz et David [T. R.]

  1. Nous traduisons par à peu près : le texte parait corrompu.
  2. Ruth, I, 19.
  3. Ce détail n'est pas dans la Bible et ne s'accorde pas avec la suite du récit.
  4. Ruth, II, 2.
  5. Ruth, III, 1.
  6. Josèphe souligne brutalement ce qui est très discrètement

indiqué dans l'Écriture, à supposer même que l'idée d'un commerce charnel soit impliquée dans les paroles de Noémi (Ruth, III, 4). Le mot grec employé par Josèphe ne comporte pas ici une interprétation platonique [T. R.]

  1. Ruth, III, 16.
  2. Ruth, IV, 1.

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. La Bible n'en dit rien.
  2. Hébreu : Yischaï.
  3. I Samuel, II, 12.
  4. Ibid., I, 1.
  5. Hébreu et LXX : Elkana. Son origine lévitique ressort de I Chroniques, IV, 27.
  6. Hébreu : Ramathaïm-Çophim.
  7. Hébreu : Peninna.
  8. Selon l'Écriture, Éli dit seulement : « Que Dieu t'accorde ce que tu as demandé ! » Mais la tradition explique qu'Éli a parlé ici prophétiquement, le mot hébreu pouvant se traduire par le simple futur. C'est pourquoi le Sèder Olam compte Éli parmi les prophètes.
  9. I Samuel, I, 18.
  10. Dans le grec : « Parce que je l'ai demande au Seigneur Dieu ».
  11. La Bible dit qu’Anna offrit trois taureaux, un êpha de farine et une outre de vin (I Samuel, I, 24).
  12. I Samuel, II, 21.
  13. Trois fils et deux filles, d'après la Bible.
  14. I Samuel, III, 1.
  15. L'Écriture ne donne pas son âge.
  16. Josèphe interprète conformément à la tradition rabbinique

la prophétie contenue dans I Samuel, II, 30.36, accomplie plus tard sous Salomon, selon I Rois, II, 27, 35 (remplacement d'Ébiathar, de la souche d'Ithamar, par Zadok, de la souche d'Eléazar).

 

FLAVIUS JOSEPHE : Antiquités judaïqyues (livre 3)

  1. I Samuel, IV, 1.
  2. Ibid., 12.
  3. Ibid., 15.
  4. Conforme à l'hébreu ; les LXX ne lui attribuent que vingt ans de gouvernement.
  5. I Samuel, IV, 19.
  6. Détail étranger à la Bible.
  7. Hébreu : I-Khabôd.
  8. Cf. I Chroniques, XXIV, 3.
  9. La Bible n'en dit rien ; mais la tradition établit qu'en effet

c’est la maison d'Ithamar qui a fourni les grands-prêtres depuis la disgrâce de Pinehas, fils d'Eléazar, jusqu'à l'époque de Salomon. Le seul indice de cette disgrâce qu'on trouve dans l'Écriture, c'est le verset I Chroniques, IX, 20, où il est dit que l'« Éternel était autrefois avec Pinehas », donc il ne l'était plus actuellement. On lit dans Gen. Rabba, LX et dans le Tanna debè Elihaou diverses légendes sur les faits qui amenèrent cette disgrâce : la tradition croit que la maison de Pinehas a été frappée de déchéance à raison du rôle insuffisamment pacifique joué par ce grand-prêtre dans l'épisode de la concubine de Ghibea (Juges, XX, 28 et suiv.) ou encore à cause de sa non-intervention dans l'affaire du vœu téméraire de Jephté qu'il aurait pu et dû annuler.

  1. I Chroniques, V, 30 (I Paralip., VI, 4).
  2. Hébreu : Abischoua.
  3. Hébreu : Ouzzi.
  4. Hébreu : Schelômô.
  5. I Rois, II, 27.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

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JOSEPHE

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XIV - LIVRE XV

ANTIQUITES JUDAÏQUES
Flavius Josèphe

Traduction de Julien Weill

Sous la direction de Théodore Reinach Membre de l’Institut

1900 Ernest Leroux, éditeur - Paris

LIVRE 11 I[1]

1-2. Cyrus, ému par les prophéties, autorise les Juifs à rebâtir Jérusalem et le Temple. - 3. Restitution des vases du Temple. Lettre de Cyrus aux satrapes de Syrie.

1. La première année du règne de Cyrus, qui était la soixante-dixième depuis le jour où notre peuple avait dû

quitter sa patrie pour Babylone, Dieu prit en pitié la captivité et le misérable sort de ces malheureux[2],

suivant la prédiction qu'il leur avait faite par la bouche du prophète Jérémie[3] avant la destruction de leur ville,

à savoir qu'après soixante-dix ans de servitude et de captivité qu'ils auraient supportés sous Nabuchodonosor et ses descendants, il les ramènerait dans leur patrie ou' ils reconstruiraient le temple et retrouveraient leur ancienne prospérité. Ces promesses, il les tînt alors. Inspirant, en effet, l'âme de Cyrus, il lui fit adresser à toute l'Asie une proclamation ainsi conçue : « Cyrus roi dit ceci : Puisque le Dieu tout-puissant m’a fait roi du monde entier, je crois que ce Dieu est celui qu'adore le peuple des Israélites. Car il a prononcé d'avance mon nom par la bouche de ses prophètes, et prédit que je construirai son Temple à Jérusalem, dans le pays de Judée. »

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

  1. Cyrus connut ces prédictions en lisant le livre des prophéties qu'avait laissé Isaïe deux cent dix

auparavant : celui-ci assure que Dieu lui dit en secret : « Je veux que Cyrus, que je marquerai pour régner sur des peuples nombreux et puissants, renvoie mon peuple dans sa patrie et construise mon Temple[4] ». Voilà ce

que prophétisa Isaïe cent quarante ans avant la destruction du Temple. Cyrus lut la promesse divine, en fut émerveillé, et fut pris du désir et de l'ambition d'accomplir ce qui était écrit. Ayant donc fait rassembler les plus importants des Juifs de Babylone, il leur dit qu'il leur permettait de se mettre en route pour leur patrie et de relever leur ville et le Temple de Dieu ; il ajouta que Dieu les aiderait et qu'il allait lui-même écrire aux généraux et satrapes voisins de leur pays de leur fournir l'or et l'argent nécessaires pour la reconstruction du Temple, et, en outre, des animaux pour les sacrifices.

  1. Dès que Cyrus eut annoncé cette nouvelle aux Israélites, les chefs des deux tribus de Juda et de Benjamin, les lévites et les prêtres partirent pour Jérusalem. Mais beaucoup demeurèrent à Babylone pour ne pas abandonner leurs propriétés. A leur arrivée, tous les amis du roi leur vinrent en aide et concoururent à la construction du Temple, fournissant les uns de l'or, d'autres de l'argent, d'autres force troupeaux avec des chevaux. Les Juifs rendirent grâce à Dieu, et lui offrirent les sacrifices anciennement d'usage, pour le remercier d'avoir relevé leur ville et fait revivre leur culte d'autrefois. Cyrus leur renvoya aussi les vases sacrés que le roi Nabuchodonosor avait emportés à Babylone après le pillage du Temple. Il chargea Mithridate, son trésorier, de les leur porter, avec mission de les remettre à Abassaros[5], pour les garder jusqu'à la construction

du Temple, à l'achèvement duquel il devait les livrer aux prêtres et aux chefs du peuple qui les replaceraient dans le sanctuaire. Cyrus envoya aussi aux satrapes de Syrie la lettre suivante : « Le roi Cyrus a Sisinès et Sarabasanès, salut. J'ai permis aux Juifs établis dans mon pays de retourner, s'ils le voulaient, dans leur patrie, de relever leur ville et de rebâtir le Temple de Dieu à Jérusalem sur l'emplacement qu'il occupait jadis.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

J'ai envoyé mon trésorier Mithridate et Zorobabel, chef des Juifs[6], pour jeter les fondations du temple et bâtir

un édifice de soixante coudées de hauteur sur autant de largeur : ils feront trois rangées en pierre polie, et une en bois du pays, semblablement un autel sur lequel ils sacrifieront à Dieu. Je veux que toute la dépense faite pour ces constructions soit supportée par moi. J'ai de plus renvoyé tous les vases provenant du pillage du Temple par le roi Nabuchodonosor ; Mithridate, mon trésorier, et Zorobabel, chef des Juifs, à qui je les ai remis, doivent les reporter à Jérusalem et les replacer dans le Temple de Dieu. En voici l'énumération : 50 psyctères[7] d'or,400 d’argent ; 50 coupes

Théricléennes[8] en or, 400 en argent ; 50 jarres d'or,

500 d'argent ; 40 vases à libations en or, 300 en argent ; 30 phiales d'or, 2.400 d'argent, et mille autres grands ustensiles. Je concède aussi aux Juifs le présent honorifique auquel ils sont accoutumés depuis le temps de leurs ancêtres, à savoir deux cent cinquante mille cinq cents drachmes de bétail, de vin et d'huile, et vingt mille cinq cents artabes de blé pour la fleur de farine[9].

J'ordonne que cette dépense soit prise sur les impôts de Samarie[10]. Leurs prêtres à Jérusalem offriront ces

sacrifices suivant les lois de Moïse, et en les offrant, ils prieront Dieu pour le salut du roi et de sa race et pour la durée du royaume des Perses. Quiconque désobéira à ces ordres ou les tiendra pour nuls sera mis en croix et ses biens seront confisqués ». Tels étaient les termes de cette lettre. Ceux qui, délivrés de captivité, partirent pour Jérusalem étaient au nombre de quarante-deux mille quatre cent soixante-deux[11].

II [12]

  1. Les satrapes et les Samaritains s'opposent à la reconstruction. -
  2. Elle est arrêtée par Cambyse.

1. Les Juifs ayant jeté les fondements du Temple et s'étant mis avec ardeur à le rebâtir, les peuples voisins, et particulièrement les Chouthéens que Salmanassar, roi d'Assyrie, avait amenés de Perse et de Médie et établis à Samarie quand il eut déporté les Israélites, demandèrent

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

aux satrapes et aux fonctionnaires de s'opposer au relèvement de la ville et à la reconstruction du Temple. Ceux-ci, corrompus à prix d'or, vendirent aux Chouthéens leur indifférence et leur insouciance à l'égard des Juifs ; car Cyrus, occupé ailleurs par des guerres, ignorait ces faits et, peu après, périt dans une expédition contre les Massagètes.

Lorsque Cambyse, fils de Cyrus, eut pris le pouvoir, les habitants de Syrie, de Phénicie, d'Ammannitide, de Moabitide et de Samarie lui écrivirent une lettre ainsi conçue : « Maître, de la part de tes esclaves, Rhathymos, qui inscrit tous les événements, Sémélios, le greffier et des juges du conseil de Syrie et de Phénicie. Il faut que tu saches, ô roi, que les Juifs qu'on avait déportés à Babylone sont venus chez nous, qu'ils reconstruisent leur ville misérable et rebelle et ses places, travaillent aux murailles et relèvent le Temple. Sache cependant que, ces travaux achevés, ils ne voudront ni payer de tributs ni être des sujets obéissants : ils voudront tenir tête aux rois et aimeront mieux commander qu'obéir. En les voyant à l’œuvre et si fort occupés à leur Temple, nous avons jugé bon de t'écrire, Ô roi, au lieu de mépriser ce danger, afin que tu consultes les livres de tes pères ; tu y verras que les Juifs furent des rebelles et les ennemis des rois, et que leur ville, pour cette raison, fut changée en un désert et l'est encore. Nous avons jugé bon de te prévenir aussi, car tu l'ignores peut-être, qu'une fois la ville rebâtie et ceinte de nouveau de remparts, la route te sera fermée vers la Cœlésyrie et la Phénicie. »

2. Cambyse, ayant pris connaissance de cette lettre, comme il était d'un naturel méchant, inclina à y ajouter foi et répondit en ces termes : « Le roi Cambyse parle ainsi à Rhathymos, qui inscrit les événements, à Belsémos, à Sémélios, greffier, et à tous leurs collègues et habitants de Samarie et de Phénicie : Ayant lu la lettre que vous m’avez envoyée, j'ai fait examiner les livres de mes ancêtres ; on y a trouvé que cette ville a toujours été l'ennemie des rois, que ses habitants ont fomenté des rébellions et des guerres, et j'ai vu que leurs rois, puissants et violents, ont levé des tributs sur la

 

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Cœlésyrie et la Phénicie. En conséquence, j'ai donné l'ordre d'interdire aux Juifs de rebâtir leur ville, afin de ne pas laisser croître encore le mauvais vouloir dont ils ont été de tout temps animés à l'égard des rois ». Dès qu'ils eurent lu cette lettre, Rhathymos, Sémélios le greffier, et leurs collègues sautèrent aussitôt à cheval et partirent en toute hâte pour Jérusalem à la tête d'une troupe nombreuse ; là ils défendirent aux Juifs de bâtir la ville et le Temple. Et les travaux furent suspendus jusqu'à la deuxième année du règne de Darius, roi des Perses, pendant les neuf années suivantes : car Cambyse, après six années de règne pendant lesquelles il conquit l'Égypte, mourut à Damas, sur le retour.

IIIF13]

  1. Avènement et vœu de Darius. - 2-6. Histoire des trois gardes du corps de Darius ; Zorobabel l'emporte dans un concours d'éloquence et de sagacité. - 7-8. Darius autorise la reprise des travaux. - 9-10. Colonie conduite à Jérusalem par Zorobabel.

1F14]. Après le massacre des mages, qui, Cambyse mort,

gouvernèrent pendant un an l'empire des Perses, ceux que l'on appelait les sept maisons des Perses élurent comme roi Darius, fils d'Hystaspe. Darius, encore simple particulier, avait fait vœu à Dieu, s'il devenait roi, de renvoyer au Temple de Jérusalem tous les vases sacrés qui étaient encore à Babylone. Vers ce même temps arriva de Jérusalem auprès de Darius Zorobabel, qui avait été nommé chef des Juifs captifs. Une vieille amitié l'unissait au roi, ce qui lui valut d'être jugé digne, avec deux autres, du titre de garde du corps, obtenant ainsi un honneur qu'il souhaitait.

  1. La première année de son règne, Darius reçut magnifiquement et avec de grands apprêts ses amis, ses officiers, les chefs des Mèdes, les satrapes et toparques perses depuis l'Inde jusqu'à l'Éthiopie, les gouverneurs des cent vingt-sept satrapiesF15]. Quand ils eurent été

régalés jusqu'à la satiété, ils se séparèrent pour aller se reposer chacun chez soi ; Darius s'étendit sur son lit, et après avoir dormi quelques heures, se réveilla ; ne pouvant retrouver le sommeil, il se mit à converser avec

 

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ses trois gardes du corps. Celui qui, à sa question, ferait la réponse la plus vraie et la plus avisée, il promit de lui accorder, en récompense, de porter une robe de pourpre, de boire dans des coupes d'or, de coucher sur un lit d'or, d'avoir un char avec harnais d'or, une tiare de lin fin, un collier d'or, enfin d'occuper la première place après lui-même, en considération de sa sagesse, et, ajouta-t-il, de porter le titre de parent du roi. Leur ayant promis ces récompenses, il demanda au premier si ce qu'il y a de plus fort au monde n'est pas le vin ; au second si ce ne sont pas les rois ; au troisième si ce ne sont pas les femmes, ou si la vérité n'est pas ce qui l’emporte encore sur tout cela. Après avoir proposé ce sujet à leurs réflexions, il se reposa. Au matin, ayant fait assembler les grands, les satrapes et les toparques de Perse et de Médie, et ayant pris place sur le trône où il avait coutume de traiter les affaires de l'Etat, il ordonna à chacun de ses gardes du corps de dire en présence de tous ce qu'il pensait de la question qui lui avait été posée.

3. Le premier prit la parole sur la puissance du vin et la célébra en ces termes : « Seigneurs, dit-il, à mon avis, la preuve que la force du vin surpasse tout se peut donner de cette façon il surprend ceux qui le boivent et trouble leur jugement, il rend l'âme d'un roi pareille à celle d'un orphelin qui a besoin d'un tuteur, il donne à l'esclave la hardiesse de langage de l'homme libre, au pauvre l'humeur du riche. Il change, en effet, et transforme l'âme de l'homme dont il a pris possession ; il calme l'angoisse de ceux que le malheur accable ; il apporte aux débiteurs l'oubli de leurs dettes, leur persuade qu'ils sont les plus riches des hommes, au point que, bannissant toute modestie de leurs discours, ils ne comptent que par talents et emploient le langage qui convient aux heureux de la terre. Bien plus, il rend les hommes insensibles au prestige des gouverneurs et des rois, leur fait oublier amis et compagnons ; car il arme l'homme même contre ses meilleurs amis, et le rend en apparence aussi étranger que possible à tous. Puis, lorsqu'on a cessé de boire et, qu'une fois couché, tous les effets du vin disparaissent pendant la nuit, on se relève sans le moindre souvenir de ce qu'on a fait durant

 

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l'ivresse. Voilà pour moi la preuve que le vin est ce qu'il y a de plus puissant et de plus violent au monde. »

  1. Quand le premier eut fini ce panégyrique de la force du vin, le suivant prit la parole sur la puissance du roi, pour démontrer que cette puissance l'emporte de beaucoup sur tout ce qui parait avoir force ou intelligence. Voici quel fut le point de départ de sa démonstration : « L'homme, dit-il, est maître de l'univers, lui qui oblige la terre et la mer à se prêter à tels usages que bon lui semble : or les rois commandent aux hommes et sur eux ont toute licence ; qui donc règne sur l'être le plus puissant et le plus fort, il est vraisemblable que nul ne le surpasse en force et en puissance. On voit les rois ordonner des guerres ou des entreprises dangereuses à ceux auxquels ils commandent, les envoyer contre l'ennemi, dociles et soumis à la puissance de leurs maîtres ; ils font niveler des montagnes, renverser des murailles et des tours ; à leur ordre on tue et l'on se fait tuer volontiers afin de ne pas paraître transgresser les commandements du roi ; vainqueur, c'est au roi qu'on abandonne tout le profit de la guerre. Pour ceux qui ne sont pas à l'armée, qui travaillent et labourent la terre, lorsque, après mille peines et fatigues, ils moissonnent et récoltent leurs fruits, ils apportent au roi leur tribut. Quoi que celui-ci dise ou ordonne, cet ordre est exécuté nécessairement et sans aucun retard. Ensuite, pendant que le roi, rassasié de festins et de plaisirs, se repose, il est gardé par des soldats qui veillent sur son sommeil, comme enchaînés par la crainte, car aucun n’ose quitter le roi qui dort, ni aller s'occuper de ses propres affaires : son seul devoir, pense-t-il, c'est de garder le roi, et il s'y conforme. Comment donc le roi ne passerait-il pas pour l'emporter en puissance sur tout, lui dont une si grande multitude d'hommes exécute les commandements ? »
  2. Quand le second se fut aussi tu, le troisième, Zorobabel, parla ainsi devant l'assemblée au sujet des femmes et de la vérité : « Grande il est vrai est la force du vin et celle du roi, à qui tous obéissent, mais plus grande encore est la puissance des femmes. C'est une femme qui a mis au monde le roi, - et ceux qui plantèrent les

 

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vignes, mères du vin furent enfantés et élevés par les femmes ; en un mot il n'est rien dont nous ne soyons redevables à celles-ci. Elles tissent nos vêtements ; grâce à elles, le soin et la vigilance règnent dans notre intérieur. Et nous ne saurions nous détacher d'elles : eussions-nous acquis en grande quantité l'or, l'argent et tout ce qui est précieux et digne de recherche, quand nous voyons une belle femme, laissant là tous nos trésors, nous restons en arrêt devant cette apparition, et nous n'hésitons pas à sacrifier nos biens, pour nous assurer la possession et la jouissance de la beauté. Nous quittons père, mère, terre nourricière, nous oublions souvent nos amis les plus chers, pour les femmes ; notre vie même, nous l'immolons pour elles. Et voici qui va mieux que tout vous faire comprendre le pouvoir des femmes : quand après avoir travaillé et enduré mille fatigues sur terre et sur mer, nous retirons quelque fruit de notre peine, ne le portons-nous pas aux femmes pour le leur offrir comme à nos souveraines ? J'ai vu le roi, seigneur de tant de peuples, battu par sa maîtresse Apama, fille de Rabesacès, le Thaumasien[16] ; je l'ai vu

supporter qu'elle lui enlevât son diadème et le mit sur sa propre tête, sourire quand elle souriait, s'attrister si elle faisait la moue, flatter cette femme par ses variations d'humeur, et l'apaiser en se faisant très humble s'il la voyait mécontente.

6. Et comme les satrapes et les chefs se regardaient les uns les autres, il se mit à parler de la vérité : « Je viens de montrer, dit-il, quelle est la puissance des femmes : et cependant, aussi bien que le roi, elles ont moins de pouvoir que la vérité. Car si la terre est immense, le ciel élevé, le soleil rapide, si tout cela se meut suivant la volonté de Dieu, si Dieu est véridique et juste, il faut par la même raison que la vérité soit ce qu'il y a au monde de plus fort et que l'injustice ne puisse rien contre elle. Ajoutez que toutes les autres choses qui ont reçu quelque force en partage sont mortelles, et de brève destinée la vérité est immortelle et éternelle. Et elle nous procure, non pas une beauté que le temps flétrit, ou une richesse que la fortune peut nous ravir, mais la justice et la droiture, les distinguant de l'injustice, qu'elle

confond. »

 

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  1. Zorobabel cessa alors de parler sur la vérité.

L'assemblée s'écria qu'il avait parlé le mieux de tous, que la vérité seule a un pouvoir immuable et qui échappe à la vieillesse. Le roi lui ordonna donc de demander ce qu'il voulait en outre des récompenses promises, l'assurant qu'il l'obtiendrait parce qu'il était sage et s'était montré pins avisé que les autres : « Assieds-toi auprès de moi, ajouta Darius, et sois appelé mon

parent ». A ces paroles, Zorobabel, rappela au roi le vœu qu'il avait fait dans le cas où il obtiendrait la couronne : c'était de rebâtir Jérusalem, d'y reconstruire le Temple de Dieu, et de replacer dans le Temple les vases sacrés que Nabuchodonosor avait enlevés et apportés à Babylone. « C'est là, dit-il, ma demande, puisque tu m'autorises à t'en adresser une pour avoir paru sage et avisé. »

  1. Le roi, tout réjouit se leva, l'embrassa, et écrivit aux satrapes et aux toparques pour leur ordonner de faire escorte à Zorobabel et à ceux qui devaient partir avec lui pour aller reconstruire le Temple. Il enjoignit de plus aux gouverneurs de Syrie et de Phénicie de faire couper du bois de cèdre dans le Liban, de l'expédier à Jérusalem, et d'aider Zorobabel à rebâtir la ville. Il décréta que tous ceux des prisonniers qui étaient retournés en Judée étaient libres, interdit à ses procureurs et satrapes de commander les Juifs pour le service du roi, et exempta d'impôts tout ce que ceux-ci pourraient posséder en terres. De plus, il ordonna aux Iduméens, aux Samaritains et aux habitants de la Cœlésyrie de rendre les village s appartenant aux Juifs qu’ils détenaient, et prescrivit de verser en outre cinquante talents pour la construction du TempleF17]. Il permit aux Juifs de

sacrifier suivant leurs coutumes, voulut payer lui-même les frais des sacrifices ainsi que le costume sacré que revêtent pour honorer Dieu le grand-prêtre et les prêtres, de même que les instruments de musique dont les Lévites se servent pour célébrer Dieu ; aux gardiens de la ville et du Temple, il fit donner des terres et assigner chaque année une certaine somme pour leur subsistance ; il fit enfin renvoyer les vases sacrés, et confirma tout ce que Cyrus avant lui avait décidé au

 

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sujet du rétablissement des Juifs.

9. Après avoir obtenu du roi toutes les récompenses, Zorobabel, quittant le palais, leva les yeux au ciel et se mit à remercier Dieu de la sagesse qu'il lui avait inspirée et de la victoire remportée grâce à elle en présence de Darius : « Car, dit-il, je n'aurais jamais été jugé digne de ces faveurs, ô Seigneur, sans ton bienveillant appui ». Ayant donc remercié Dieu du présent et lui ayant demandé de continuer sa protection dans l'avenir, il alla à Babylone et annonça à ceux de sa nation les décisions heureuses du roi. Ceux-ci à cette nouvelle remercièrent Dieu de leur rendre leur terre natale ; puis, se rassemblant en des festins et libations, ils passèrent sept jours à célébrer joyeusement le relèvement et la résurrection de leur patrie. Ensuite ils choisirent dans chaque tribu des chefs pour les conduire à Jérusalem avec leurs femmes, leurs enfants et leurs bêtes de somme ; et tous, avec l'escorte donnée par Darius, firent route jusqu'à Jérusalem pleins de joie et d'orgueil, chantant, jouant de la flûte, faisant retentir les cymbales. Tout le reste du peuple juif leur fit conduite en manifestant son allégresse.

10[18]. C'est ainsi qu'ils partirent, en nombre fixe de

chaque groupe de familles. Je crois inutile de donner ici les noms de ces groupes je craindrais, en effet, en détournant la pensée de mes lecteurs de la suite des événements, de leur en rendre le récit difficile à suivre. La masse des émigrants au-dessus de douze ans, dans les tribus de Juda et de Benjamin, était de quatre millions six cent vingt-huit mille personnes[19] ; les

Lévites étaient quatre mille soixante-dix, et il y avait quarante mille sept cent quarante-deux femmes et enfants en bas âge. En outre, il y avait cent vingt-huit lévites hymnodes, cent dix portiers, trois cent quatre-vingt-douze esclaves sacrés ; et enfin six cent cinquante-deux personnes qui se disaient Israélites, sans pouvoir justifier de leur race. On enleva même leur dignité à certains prêtres qui avaient épousé des femmes dont ils ne pouvaient eux-mêmes dire la race et dont on ne retrouva pas la famille dans les généalogies des Lévites et des prêtres : ils étaient environ cinq cent vingt-cinq.

 

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La foule des serviteurs qui suivait les Juifs retournant à Jérusalem s'élevait au nombre de sept mille trois cent trente-sept ; puis deux cent quarante-cinq chanteurs et chanteuses quatre cent trente-cinq chameaux, cinq mille cinq cent vingt-cinq bêtes de somme. Les chefs de la multitude dénombrée ci-dessus étaient Zorobabel, fils de Salathiel, de la race de David et de la tribu de Juda, et Jésus, fils de Josédec, le grand-prêtre. En outre, Mardochée et Sérébée furent élus comme chefs, parmi le peuple, et fournirent une contribution aux frais du voyage, de cent mines d'or et cinq mille d'argent[20]. Les

prêtres, les Lévites et une partie du peuple juif qui était à Babylone revinrent ainsi à Jérusalem. Les autres émigrants rentrèrent chacun dans sa ville natale.

IV[21]

1-2. Achèvement du Temple ; sa médiocrité. - 3-5. Intriques des Samaritains et des satrapes. - 6-7. Darius, après avoir consulté les archives royales, assure les Juifs de sa protection. - 8. Célébration de la Pâque. - 9. Nouvelle intervention de Darius contre les menées des Samaritains.

1. Le septième mois après leur départ de Babylone, le grand-prêtre Jésus et le chef Zorobabel rassemblèrent de tous côtés à Jérusalem avec le plus grand zèle le peuple de la campagne ; puis ils rebâtirent l'autel des sacrifices à l'endroit où il s'élevait auparavant, afin d'y offrir à Dieu les sacrifices prescrits suivant la loi de Moïse, au grand mécontentement des peuples voisins qui leur étaient tous hostiles. Ils célébrèrent aussi à cette époque la fête des Tabernacles, suivant les prescriptions du Législateur à ce sujet ; ils firent ensuite les offrandes et les holocaustes, et les sacrifices des sabbats et de toutes les fêtes sacrées ; et ceux qui avaient fait des vœux les accomplirent en sacrifiant à partir de la nouvelle lune du septième mois. Ils commencèrent enfin la construction du Temple, dépensant de grosses sommes pour les tailleurs de pierre et les charpentiers, et pour la nourriture des ouvriers. Les Sidoniens envoyèrent avec plaisir et sans difficulté des bois de cèdre du Liban, qu'ils amenèrent au port de Jopé liés entre eux et assemblés en radeau : Cyrus avait le premier donné

 

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l'ordre de le faire, ordre qui fut exécuté quand Darius l'eut renouvelé.

  1. On arriva ainsi jusqu'au deuxième mois de la deuxième année du retour des Juifs à Jérusalem ; la construction du Temple était poursuivie sans interruption ; une fois les fondations achevées, à la nouvelle lune du second mois de la deuxième année, on commença les murs, et la surveillance des travaux fut confiée aux Lévites âgés de plus de vingt ans, à Jésus, à ses fils et à ses frères, à Zodmeel, frère de Juda fils d'Aminadab, et à ses fils[22]. Et tous ceux qui étaient

chargés de ce soin s'en acquittèrent avec tant de zèle, que le Temple fut terminé plus tôt qu'on n'aurait pu le prévoir. Quand le sanctuaire fut terminé, les prêtres, revêtus des vêtements traditionnels, les Lévites, et les descendants d'Asaph, au son des trompettes chantèrent un hymne à la louange de Dieu, comme David en avait le premier donné l'exemple. Les prêtres, les Lévites et les anciens des groupes de familles qui se rappelaient la grandeur et la somptuosité de l'ancien Temple, voyant combien, par suite du manque de ressources, on avait dû construire plus modestement le nouveau, et mesurant la décadence de leur prospérité à l'infériorité du nouveau Temple, se montraient tout abattus et honteux à cette pensée ; incapables de contenir leur chagrin, ils allaient jusqu'aux gémissements et aux larmes. Quant au peuple, il se trouvait satisfait du présent, content d'avoir reconstruit le Temple, et, n'ayant ni souci ni mémoire de l'ancien, il ne se tourmentait pas à faire la comparaison entre les deux pour trouver le nouveau moins riche qu'il ne s'y attendait. Le bruit des trompettes et la joie populaire étaient cependant couverts par les gémissements des anciens et des prêtres déclarant le Temple bien moins beau que celui qui avait été détruit.

  1. En entendant le son des trompettes, les Samaritains, qui haïssaient la tribu de Juda et celle de Benjamin, accoururent pour apprendre la cause de ce bruit. Quand ils surent que les Juifs jadis emmenés captifs à

Babylone reconstruisaient leur Temple, ils se rendirent auprès de Zorobabel, de Jésus, et des chefs des groupes

 

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de familles, demandant qu'on leur permit d'aider aux préparatifs et de prendre part à la reconstruction. « Nous n'adorons pas moins Dieu que les Juifs, disaient-ils, nous le prions et nous souhaitons de lui rendre un culte, depuis le jour où Salmanassar[23], roi des Assyriens,

nous a amenés de chez les Chouthéens et les Mèdes dans ce pays ». A ce discours, Zorobabel, le grand-prêtre Jésus et les chefs des familles israélites répondirent qu'il leur était impossible de partager avec d'autres le soin de la construction du Temple, car ils avaient seuls reçu l'ordre d'y procéder, d'abord de Cyrus, puis de Darius ; que les Samaritains pourraient y venir adorer Dieu, et que tout ce qu'ils auraient de commun avec les Juifs, comme d'ailleurs tous les autres hommes, serait de venir, s'ils le voulaient, rendre hommage à Dieu dans son Temple[24].

4. Les Chouthéens (car c'est le nom que portent aussi les Samaritains) furent blessés de cette réponse et persuadèrent aux populations de Syrie qu'il fallait supplier les satrapes - comme autre fois sous Cyrus, puis sous Cambyse - d'empêcher la construction du Temple, et susciter aux Juifs, qui la hâtaient, des

retards et des obstacles. Vers le même temps, Sisinès, préfet de Syrie et de Phénicie, et Sarabasanès étant montés à Jérusalem avec quelques autres, demandèrent aux chefs des Juifs qui leur avait permis de construire un temple qui ressemblait plus à une forteresse qu'à un sanctuaire, et pourquoi ils entouraient la ville de portiques et de murs aussi épais[25] : Zorobabel et le

grand-prêtre Jésus répondirent qu'ils étaient les serviteurs du Dieu tout-puissant ; que ce Temple, bâti en son honneur, par un de leurs rois, prince sage et l'emportant en vertu sur tous les autres, était demeuré longtemps debout ; mais que, leurs pères s'étant rendus coupables d'impiété envers Dieu, Nabuchodonosor, roi des Babyloniens et des Chaldéens, prit la ville de force, la détruisit, brûla le Temple après l'avoir pillé et emmena le peuple en captivité à Babylone ; Cyrus, qui avait été après lui roi de Babylone et de Perse, avait décrété la reconstruction du Temple et, confiant toutes les offrandes et tous les vases sacrés qu'en avait enlevés Nabuchodonosor, à Zorobabel[26] et au trésorier

 

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Mithridate, leur avait ordonné de les porter à Jérusalem et de les replacer dans le Temple, auquel ils appartenaient, une fois reconstruit. Il avait ordonné que tout fût fait rapidement et chargé Abassaros d'aller à Jérusalem et de s'occuper de la construction. Celui-ci, aussitôt les instructions de Cyrus reçues, avait posé les fondations : mais après ces premiers travaux, l’œuvre avait été suspendue et le Temple restait inachevé jusqu'à ce jour par la mauvaise volonté des nations ennemies. « Si vous le voulez et le jugez à propos, ajoutèrent-ils, écrivez ceci à Darius ; il examinera les archives des rois et s'assurera que nous n'avons menti sur aucun point[27]. »

  1. Sur cette réponse de Zorobabel et du grand-prêtre, Sisinès et ses compagnons décidèrent de ne pas arrêter la construction jusqu'à ce que Darius eût été informé de l'affaire ; et ils en écrivirent tout de suite au roi. Les Juifs étaient consternés et craignaient que celui-ci ne changeât d'avis sur la reconstruction de Jérusalem et du Temple ; mais deux prophètes qui se trouvaient alors au milieu d'eux, Aggée et Zacharie, les exhortaient à prendre courage et à ne rien redouter de fâcheux de la part des Perses. Dieu, disaient-ils, le leur avait prédit. Confiants en ces prophètes, ils se remirent avec acharnement à la construction du Temple sans perdre un jour[28].
  2. Les Samaritains écrivirent à Darius, accusant dans leur lettre les Juifs de fortifier leur ville et de bâtir un Temple qui ressemblait plus à une forteresse qu'à un sanctuaire, ajoutant que tout cela ne serait rien moins qu'utile au roi, et rappelant les lettres par lesquelles Cambyse avait interdit d'édifier le Temple[29] ; Darius

apprit ainsi que la reconstruction de Jérusalem pourrait être pour lui une cause de danger ; quand, de plus, il eut pris connaissance des lettres envoyées par Sisinès et ses compagnons, il ordonna de rechercher dans les archives royales ce qui concernait cette affaire. Et l'on trouva dans le palais d'Ecbatane, en Médie, un livre portant écrit ceci : « La première année du règne de Cyrus, le roi a ordonné de reconstruire le Temple et l'autel des

 

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sacrifices de Jérusalem ; le Temple aura soixante coudées de haut et autant de large ; l'édifice aura trois rangées en pierre polie et une en bois du pays. Il a commandé que les frais fussent supportés par le trésor royal, et que les vases sacrés, pillés par Nabuchodonosor et apportés à Babylone, fussent rendus aux habitants de Jérusalem ; que le soin de tout ceci fût confié à Abassaros, préfet, gouverneur de la Syrie et de la Phénicie, et à ses compagnons, qui devaient, tout en se tenant éloignés des lieux mêmes, permettre aux Juifs et à leurs chefs, esclaves de Dieu, de bâtir le Temple. Il leur a ordonné d'aider au travail, et, sur les tributs des pays qu'ils gouvernaient, de fournir aux Juifs, pour leurs sacrifices, des taureaux, des béliers, des brebis, des agneaux, du froment, de l'huile, du vin, et tout ce que demanderaient les prêtres ; ceux-ci prieront pour le salut du roi et des Perses. Il a ordonné de saisir ceux qui transgresseraient quelqu'une de ces prescriptions, de les mettre en croix, et de confisquer leur fortune au profit du trésor royal. Et il a en outre prié Dieu, si quelqu'un essayait de mettre obstacle à la construction du Temple, de le frapper pour arrêter une pareille injustice.

7. Darius, ayant trouvé ces prescriptions dans les archives de Cyrus, répondit à Sisinès et à ses compagnons en ces termes : « Le roi Darius à Sisinès, préfet, à Sarabasanès et à leurs compagnons, salut. Je vous envoie la copie de la lettre que j'ai trouvée dans les archives de Cyrus, et je veux que tout soit fait suivant les ordres qu'elle contient. Adieu ». Sisinès et ses amis, quand ils eurent appris par la lettre du roi ses sentiments, résolurent d'y conformer dorénavant leur conduite. Ils présidèrent donc aux travaux sacrés, en s'efforçant avec les anciens des Juifs et les chefs des sénateurs. Ainsi la construction du Temple fut menée à bonne fin avec beaucoup d'ardeur, grâce aux prédictions d'Aggée et de Zacharie, selon l'ordre de Dieu et avec le bon vouloir de Cyrus et de Darius[30] ; il fut achevé en

sept ans. La neuvième année du règne de Darius, le vingt-troisième jour du douzième mois, que l'on appelle chez nous Adar et chez les Macédoniens Dystros, les prêtres, les Lévites et le reste du peuple israélite offrirent des sacrifices d'actions de grâces pour célébrer leur

 

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retour de captivité, leur ancien bonheur recouvré, et la renaissance du Temple ; ils immolèrent cent taureaux, deux cents béliers, quatre cents brebis, douze chevreaux à raison de un par tribu (car les tribus des Israélites sont au nombre de douze), pour expier les fautes de chacune d'elles. Suivant les prescriptions de Moïse, les prêtres et les lévites placèrent des gardiens à chaque portail, car les Juifs avaient aussi construit des portiques tout autour du Temple intérieur[31].

8. A l'approche de la fête des Azymes, pendant le premier mois, que les Macédoniens appellent Xanthicos, et nous Nisan, une multitude de peuple accourut des bourgs vers la ville ; ils célébrèrent la fête en se purifiant avec leurs femmes et leurs enfants, suivant la coutume de leur pères. Ils offrirent le sacrifice que l'on appelle pascal, le quatorzième jour du même mois. Ils passèrent ensuite sept jours en festins, n'épargnant aucune dépense, offrant même des holocaustes à Dieu et célébrant des sacrifices d'actions de grâces pour remercier Dieu de les avoir rendus à leur patrie et à leurs lois et de leur avoir concilié la bienveillance du roi des Perses. Après avoir ainsi prodigué ces sacrifices et leur reconnaissance envers Dieu ils s'établirent à Jérusalem, sous une constitution aristocratique et oligarchique : les grands-prêtres, en effet, furent à la tête des affaires jusqu'au jour où les descendants d'Asamonée parvinrent à la royauté. Avant la captivité et le retour, ils avaient été gouvernés par des rois, qui commencèrent avec Saül et David, et durèrent cinq cent trente-deux ans[32], six mois et dix jours ; avant ces

rois, ils avaient eu des chefs qu'on appelait juges et monarques, et avaient passé sous ce régime plus de cinq cents ans, depuis la mort de Moïse et de Josué, le général. Tels furent, du temps de Cyrus et de Darius, les événements concernant les Juifs délivrés de captivité.

9[33]. Les Samaritains, animés à l'égard des Juifs de

sentiments de haine et de jalousie, leur suscitaient mille désagréments, confiants en leur richesse et affichant leur parenté avec les Perses, sous prétexte qu'ils étaient originaires du même pays que ceux-ci. Chaque fois qu'ils reçurent du roi l'ordre de fournir au Juifs une

 

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contribution pour leurs sacrifices, ils refusèrent de l'exécuter, encouragés et soutenus dans leur résistance par les préfets ; et chaque fois qu'ils purent causer aux Juifs quelque tort, soit par eux-mêmes, soit par d'autres, ils n'hésitèrent jamais à le faire. Les habitants de Jérusalem décidèrent donc d'envoyer une ambassade au roi pour se plaindre des Samaritains ; Zorobabel et quatre autres des chefs partirent en qualité d'ambassadeurs. Quand le roi eut appris des envoyés les plaintes et les accusations qu'ils portaient contre les Samaritains, il les renvoya porteurs, pour les préfets et le sénat de Samarie, d'une lettre dont voici le texte : « Darius, roi, à Tanganas et Sambabas, préfets des Samaritains, Sadracès et Bobélon, et à tous ceux de Samarie qui sont conseillers[34] avec eux. Zorobabel,

Ananias et Mardochée, envoyés des Juifs, vous ont accusés de leur susciter des obstacles dans la construction de leur Temple, et de ne pas vous acquitter des contributions que je vous ai ordonné de leur payer pour leurs sacrifices. Je veux que, après avoir pris connaissance de cette lettre, sur les fonds du trésor royal des impôts de Samarie, vous leur fournissiez tout ce qui leur est nécessaire pour les sacrifices, suivant l'appréciation des prêtres, afin qu'ils ne passent aucun jour sans sacrifier et sans prier Dieu pour moi et les Perses ». Tel était le contenu de cette lettre.

V[35]

1-2. Règne de Xerxès. Mission d'Esdras. - 3.4. Affaire des mariages prohibés. - 5. Fête des Tabernacles ; lecture de la Loi. -6­8. Mission de Néhémie. Achèvement des murs de Jérusalem.

1. Darius étant mort, son fils Xerxès, en lui succédant sur le trône, hérita aussi de sa piété et de son respect envers Dieu. Il se conforma, en effet, en tout, à ce qu'avait fait son père, en ce qui concernait le culte, et il eut les Juifs en très grande affection. A cette époque le grand-prêtre était Joachim, fils de Jésus[36]. Il y avait

aussi à Babylone un homme juste et jouissant d'une bonne renommée auprès de la multitude : c'était le premier prêtre du peuple[37] appelé Esdras ; il

connaissait bien les lois de Moïse, et devint l'ami du roi

 

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Xerxès[38]. Ayant résolu de partir pour Jérusalem en

emmenant quelques-uns des Juifs restés à Babylone, il pria le roi de lui donner pour les satrapes de Syrie une lettre qui l'introduisit auprès d'eux. Le roi écrivit donc à l'adresse des satrapes la lettre suivante : « Le roi des rois Xerxès à Esdras, prêtre et lecteur des lois de Dieu, salut. Pensant que ce serait un effet de notre humanité de laisser partir avec toi pour Jérusalem, s'ils le désirent, ceux du peuple juif et des Lévites qui se trouvent encore dans notre royaume, j'ai donné des ordres dans ce sens ; ceux qui veulent sont libres de partir, comme je l'ai décidé de concert avec mes sept conseillers, d'aller visiter la Judée conformément à la loi de Dieu, et de porter au Dieu des israélites les présents que moi et mes amis avons voué de lui offrir ; tout l'argent et l'or destinés à leur Dieu qu'on trouvera dans le pays des Babyloniens, qu'ils l'emportent à Jérusalem pour leur Dieu, en vue des sacrifices ; tous les vases que tu voudras, en or et en argent, qu'il vous soit permis à toi et à tes frères de les fabriquer. Tu consacreras les vases sacrés qu'on t’a remis et tout ce que tu jugeras bon d'y ajouter, tu le feras aux frais du trésor royal. J'ai écrit aussi aux trésoriers de Syrie et de Phénicie, afin qu'ils veillent à l'exécution de tout ce qu'ordonnera Esdras, prêtre et lecteur des lois de Dieu. Et pour que la divinité n'ait aucune colère contre moi ou mes descendants (j'autorise les trésoriers à leur fournir jusqu'à concurrence de...) cent mesures de blé[39]. Je vous ordonne, en outre, de

ne lever aucun impôt sur les prêtres, Lévites, chantres, portiers, esclaves sacrés et scribes du Temple et de ne leur faire subir aucun désagrément ni aucun ennui. Pour toi, Esdras, désigne suivant l'inspiration de Dieu, des juges pour juger ceux qui connaissent ta loi. Quant à ceux qui l'ignorent, tu la leur apprendras, afin que, si quelqu'un de ta race transgresse la loi de Dieu ou du roi, il subisse un châtiment, pour l'avoir transgressée non pas par ignorance, mais en connaissance de cause, et l’avoir audacieusement enfreinte et méprisée. La punition sera la mort ou l'amende. Adieu. »

2. Esdras, ayant reçu cette lettre, se réjouit extrêmement et se mit à adorer Dieu, pour avoir inspiré la bonté du roi à son égard ; il lui en devait, disait-il, à lui seul toute

 

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la reconnaissance. Il lut ensuite la lettre aux Juifs présents à Babylone, puis, conservant l'original, il envoya la copie à tous ceux de sa race qui habitaient la Médie[40]. Ceux-ci, en apprenant la piété du roi envers

Dieu et sa bienveillance pour Esdras, furent tous remplis de joie ; plusieurs ramassèrent leurs biens et vinrent à Babylone, désireux de retourner à Jérusalem. Mais le gros du peuple des Israélites resta dans le pays ; c'est pour cela que deux tribus seulement en Asie et en Europe sont assujetties aux Romains ; les dix autres tribus sont restées au delà de l'Euphrate comptant un nombre infini de membres qu'il a été impossible de déterminer. Un très grand nombre de prêtres, de Lévites, de portiers, de chantres, d'esclaves sacrés, vinrent rejoindre Esdras. Celui-ci réunit au delà de l'Euphrate[41] tous ces hommes échappés à la captivité,

et là, pendant trois jours[42], il leur ordonna de jeûner,

pour rendre grâce à Dieu de les avoir délivrés, et afin que rien de fâcheux ne leur arrivât pendant leur voyage, soit de la part de leurs ennemis, soit par toute autre cause d'ennui. Esdras, en effet, s'étant empressé d'assurer le roi que Dieu pourvoirait à leur sûreté, n'avait pas jugé bon de lui demander des cavaliers d’escorte. Après avoir fait leurs prières, ils quittèrent les bords de l'Euphrate le douzième jour du premier mois de la septième année du règne de Xerxès, et ils arrivèrent à Jérusalem le cinquième mois de la même année. Esdras confia aussitôt les richesses sacrées aux trésoriers, qui étaient de la race des prêtres ; il y avait six cent cinquante talents d'argent, des vases d'argent pour cent talents, des vases d'or pour vingt talents[43], des vases d'airain,

plus précieux que l’or, pesant douze talents : c'étaient les présents du roi, de ses conseillers et de tous les Israélites restés à Babylone. Esdras, après avoir remis ces richesses entre les mains des prêtres, offrit à Dieu, sous forme d'holocaustes, les sacrifices accoutumés, douze taureaux, pour le salut commun du peuple, quatre-vingt-dix béliers[44], soixante-douze agneaux,

douze chevreaux, en expiation des fautes commises. Il donna la lettre du roi aux intendants royaux et aux préfets de Cœlésyrie et de Phénicie. Et ceux-ci, obligés d’accomplir les ordres qu'il donnait, honorèrent le peuple

 

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juif et s'employèrent à lui être utiles en toute chose.

  1. Tout cela fut conduit et décidé par Esdras ; mais s'il réussit, c'est, je crois, que Dieu l'avait jugé digne de ces grands desseins à cause de son honnêteté et de sa justice. Un peu plus tard, on vint se plaindre à lui que plusieurs, parmi le peuple, les prêtres et les Lévites, avaient transgressé la constitution et violé les lois de leurs pères en épousant des femmes étrangères, souillant ainsi la pureté de la race sacerdotale ; on suppliait Esdras de venir à l'appui des lois, de peur que Dieu, irrité contre tout le peuple, ne le rejetât dans l'adversité : Esdras dans sa douleur déchira aussitôt ses habits, se frappa la tête, s'arracha la barbe, et se jeta par terre en voyant que les coupables étaient les premiers de la nation ; songeant que, s'il leur ordonnait de renvoyer leurs femmes et les enfants qu'ils en avaient eus, ils ne l'écouteraient pas, il resta étendu par terre. Toutes les honnêtes gens accoururent autour de lui, pleurant également et prenant part à sa douleur en présence de cette calamité. Enfin Esdras, se relevant et tendant les mains au ciel, dit qu'il avait honte de lever les yeux en haut, à cause des péchés commis par le peuple, qui avait chassé de sa mémoire les malheurs attirés sur nos pères par leur impiété ; il supplia Dieu, qui avait sauvé de ce malheur et de la captivité, ramené à Jérusalem et sur la terre natale un faible reste de la nation, de se montrer cette fois encore indulgent pour leur péché ; leur crime avait bien mérité la mort, mais la bonté de Dieu pouvait épargner le châtiment même à de pareils criminels.
  2. Il cessa ses prières ; et comme tous ceux qui s'étaient rassemblés autour de lui avec leurs femmes et leurs enfants gémissaient, un certain Achonios[45], qui était le

premier des habitants de Jérusalem, s'avançant, dit que ces hommes avaient, en effet, péché en introduisant dans leur maison des femmes étrangères ; il conseillait donc à Esdras de leur faire promettre sous serment de renvoyer ces femmes ainsi que les enfants nés d'elles ; ceux qui n'obéiraient pas à la loi seraient châtiés. Esdras se laissa persuader et fit jurer aux chefs des prêtres, des Lévites et des Israélites de renvoyer ces femmes et ces enfants, suivant le conseil d'Achonios. Après avoir reçu

 

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leurs serments, il quitta aussitôt le Temple pour se retirer dans la cellule de Jean, fils d'Eliasib, et il y passa la journée entière sans toucher à aucun aliment, à cause de son affliction. Il fit alors publier l'ordre, pour tous ceux qui étaient revenus de captivité, de se réunir à Jérusalem, sous peine, pour quiconque n'aurait pas répondu à cet appel dans les deux ou trois jours, d'être considéré comme ne faisant plus partie du peuple, et de voir ses biens confisqués au profit du trésor sacré, suivant le jugement des anciens ; ceux de la tribu de Juda et de Benjamin se réunirent donc dans les trois jours, le vingt du neuvième mois, qu'on appelle chez les Hébreux ChasleuF46] et chez les Macédoniens Apellaios.

Quand ils eurent pris place dans la cour du Temple, en présence des anciens, mal à leur aise et tremblant de froid, Esdras se leva et accusa les coupables d'avoir transgressé la loi en épousant des femmes qui n'étaient pas de leur race ; pour plaire à Dieu, et dans leur propre intérêt, ils devaient maintenant renvoyer ces femmes. Tous s'écrièrent qu'ils le feraient, mais que le nombre de ces femmes était considérable, que l'on se trouvait en hiver, et que ce n'était l'affaire d'un, ni même de deux jours. Il fallait que les chefs restassent là et que tous ceux qui avaient épousé des étrangères se présentassent devant eux dans un temps donné, accompagnés des anciens de chaque localité, qui compteraient le nombre de ceux qui avaient contracté de pareilles unionsF47].

L'avis prévalut et le premier jour du dixième mois on commença à rechercher ceux qui habitaient avec des étrangères, et l'enquête ayant été poursuivie jusqu’au premier jour du mois suivantF48], on trouva beaucoup

des descendants de Jésus, le grand-prêtre, des prêtres, des Lévites et des Israélites, qui, préférant l'observance des lois aux charmes de l'amour, chassèrent aussitôt leurs femmes et les enfants qui en étaient nés, et, pour apaiser Dieu, amenèrent des béliers et les lui sacrifièrent. Il ne nous a pas paru nécessaire de donner ici leurs noms. En lavant ainsi la souillure contractée par ces mariages illicites, Esdras fixa la coutume sur ce point de manière qu'elle fût immuable à l'avenir.

5. Le septième mois, lors de la célébration de la fête des Tabernacles, pour laquelle le peuple presque entier

 

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s'était rassemblé, les Juifs montèrent sur la terrasse du Temple, du côté de la porte qui regarde vers l'Orient, et prièrent Esdras de leur lire les lois de Moïse. S'étant donc placé au milieu de la foule, il lut ces lois depuis le matin jusqu'au milieu du jour. En entendant cette lecture, les Juifs apprirent à être justes dans le présent et dans l'avenir, mais en songeant au passé, ils furent attristés et en vinrent jusqu’aux larmes, car ils pensaient qu'ils n'auraient souffert aucun des maux dont ils avaient été accablés, s'ils avaient observé la loi. Esdras, les voyant dans ces sentiments, leur ordonna de rentrer chez eux et de ne pas pleurer[49] ; c'était, en effet, un

jour de fête et il ne convenait pas de gémir, car ce n'était pas chose permise ; il leur conseilla de banqueter gaiement, de ne s'occuper que de réjouissances qui fussent en rapport avec la fête ; leur repentir et leur affliction au sujet de leurs anciennes fautes seraient une garantie et une certitude qu'ils n'y retomberaient pas. Sur ce conseil d'Esdras[50], ils se mirent à célébrer la

fête, et quand ils l'eurent fait pendant huit jours sous les tentes, ils rentrèrent chez eux en chantant des hymnes à Dieu, reconnaissants à Esdras d'avoir réformé leurs manquements à la loi de l'État. Celui-ci, après avoir acquis tant de gloire auprès du peuple, mourut âgé et fut enseveli avec de grandes marques d'honneurs à Jérusalem. Vers le même temps, Joachim le grand-prêtre étant mort aussi, son fils Eliasib lui succéda dans sa haute charge.

6[51]. Un des captifs juifs, qui était échanson du roi

Xerxès, et avait pour nom Néhémie, se promenant un jour au dehors de la capitale des Perses, Suse, entendit des étrangers, qui semblaient au terme d'un long voyage et qui entraient dans la ville, parler entre eux en

hébreu ; il les aborda et leur demanda d'où ils venaient. Sur leur réponse qu'ils arrivaient de Judée, il se mit de nouveau à demander des nouvelles de leur peuple et de leur capitale Jérusalem. Ils lui dirent que tout allait mal, que les murailles étaient détruites de fond en comble et que les peuples voisins faisaient mille misères aux Juifs, le jour parcourant le pays et le mettant au pillage, la nuit s'attaquant à la ville (?)[52] de telle sorte qu'ils

 

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emmenaient de nombreux prisonniers faits dans la campagne et à Jérusalem même, et que chaque jour les routes étaient couvertes de cadavres. Là-dessus Néhémie versa des larmes, plein de pitié pour le malheur de ses compatriotes, et levant les yeux au ciel : « Jusques à quand Seigneur, dit-il, souffriras-tu que notre peuple supporte ces maux, devenu la proie et le butin de tous ? » Comme il s'attardait près de la porte à déplorer ces malheurs, on vint l'avertir que le roi allait se mettre à table. Il se hâta[53], et, sans prendre même le temps de

se laver, tel qu'il se trouvait, il courut remplir auprès du roi son office d'échanson. Le roi, après le repas, se sentant l'esprit relâché et d'humeur affable, tourna les yeux vers Néhémie, et, lui voyant l'air sombre, lui demanda la cause de son abattement. Celui-ci, après avoir prié Dieu de donner à ses paroles la grâce et la persuasion : « O roi, dit-il, comment donc pourrais-je n'avoir pas le visage triste et l'âme pleine d'affliction, quand j'apprends que Jérusalem, ma patrie, où sont les tombeaux et les monuments de mes ancêtres, a vu ses murailles jetées à terre et ses portes incendiées ? Faites-moi la grâce de me laisser aller relever ses murs et aider à terminer la reconstruction du Temple[54] ». Le roi

promit de lui accorder cette faveur et une lettre qu'il porterait aux satrapes, afin qu'ils le traitassent bien et lui fournissent tout le nécessaire pour ce qu'il désirerait. « Cesse donc, lui dit-il, d'être affligé, et sers-moi désormais avec un visage heureux ». Néhémie adora Dieu et remercia le roi de sa promesse, et le plaisir qu'il prit à ces nouvelles chassa de son visage l'abattement et l'angoisse. Le lendemain le roi le fit appeler et lui donna une lettre à porter à Adaios[55], préfet de Syrie, de

Phénicie et de Samarie, dans laquelle il commandait à celui-ci de bien traiter Néhémie, et de pourvoir à la construction du Temple.

7. Néhémie se rendit à Babylone, et, suivi de plusieurs de sa nation qui s'étaient joints volontairement à lui, il arriva à Jérusalem, la vingt-cinquième année[56] du

règne de Xerxès ; après avoir (rendu grâces à) Dieu, il remit ses lettres à Adaios et aux autres préfets. Puis, ayant convoqué à Jérusalem tout le peuple, il se leva au milieu du Temple et parla dans ces termes : « Juifs,

 

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sachez que Dieu, en souvenir de nos pères Abraham, Isaac et Jacob, ne nous a pas abandonnés, et qu'en considération de leur justice, sa providence pour nous ne s'est pas lassée. Il m'a aidé à obtenir du roi la permission de relever nos murailles et de terminer la construction du Temple. Mais comme vous connaissez bien la haine des peuples voisins contre nous, comme vous savez que, s'ils apprennent que vous travaillez avec diligence à cette reconstruction, ils s'y opposeront et vous susciteront mille obstacles, je veux d'abord que vous ayez confiance en Dieu pour résister à cette hostilité, que ni nuit ni jour vous n'interrompiez les travaux, et que vous meniez à bout en toute hâte l'entreprise, aujourd'hui que les circonstances vous sont favorables ». Sur ces mots, il enjoignit aussitôt aux magistrats de mesurer la muraille et de distribuer la besogne au peuple par bourgs et villes, suivant les forces de chacun, promettant d'en prendre sa part pour lui-même et ses serviteurs ; puis il congédia l'assemblée. Les Juifs se mirent aussitôt à l’œuvre. On les appelait ainsi du jour où revinrent de Babylone ceux de la tribu de Juda, qui, retournés les premiers dans le pays, lui donnèrent leur nom.

8. Lorsque les Ammanites, les Moabites, les Samaritains et tous les habitants de la Cœlésyrie apprirent que l'on hâtait la construction des murailles, ils en furent fort irrités ; il ne se passait pas de jour qu'ils ne tramassent contre les Juifs quelque embûche pour contrecarrer leurs desseins ; ils en tuèrent plusieurs et voulurent même se débarrasser de Néhémie, en soudoyant quelques étrangers pour l'assassiner. Puis ils essayèrent de les effrayer et de les troubler en répandant le bruit qu'une expédition de peuples coalisés se préparait contre eux : et peu s'en fallut que les Juifs épouvantés n'abandonnassent leur travail. Mais rien de tout cela ne put détourner Néhémie de son zèle ; il se contenta de s'entourer de quelques gardes, pour sa propre sécurité, et resta ferme à son poste, rendu par son désir d'accomplir son oeuvre insensible à toutes les tracasseries ; s'il prit ainsi des précautions sévères pour sa sauvegarde, ce n'était pas par crainte de la mort, mais dans la persuasion que, lui disparu, ses compatriotes

 

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cesseraient d'élever les murs. Il ordonna ensuite à ceux qui étaient employés à la construction de travailler en armes ; les ouvriers et les manœuvres avaient une épée ; il leur recommanda d'avoir leurs boucliers tout auprès d'eux, et tous les cinq cents pas il disposa des trompettes chargés de prévenir le peuple, si l'ennemi survenait, afin qu'il les trouvât là équipés pour la lutte, au lieu de les massacrer sans défense. Lui-même, pendant la nuit, faisait le tour de la ville, et rien ne le fatiguait, ni le travail, ni le régime auquel il se soumettait, ni le manque de sommeil : car il ne prenait que le strict nécessaire, sans rien accorder au plaisir. Il supporta ces fatigues deux ans et quatre mois ; c'est le temps que mirent les habitants de Jérusalem à bâtir leurs murailles : tout fut achevé le neuvième mois de la vingt-huitième année du règne de XerxèsF57]. L’œuvre

étant enfin terminée, Néhémie et le peuple sacrifièrent à Dieu en l'honneur de la construction des murailles, et passèrent huit jours en réjouissancesF58]. Les peuples

de Syrie, à la nouvelle que le travail était fini, en furent irrités. Néhémie, voyant que la ville n'était pas assez peuplée, invita les prêtres et les lévites à quitter la campagne pour venir habiter Jérusalem et y demeurer ; il leur y prépara des demeures à ses propres frais ; les cultivateurs reçurent l'ordre d'apporter à Jérusalem la dîme de leurs récoltesF59], afin que les prêtres et les

lévites ayant toujours de quoi se nourrir, le culte ne subit aucune interruption. Ils obéirent volontiers aux prescriptions de Néhémie, et c'est ainsi que Jérusalem devint une ville populeuse. Après avoir rendu aux Juifs bien d'autres services également dignes de louanges, Néhémie mourut, dans une vieillesse fort avancée. C'était un homme bon, juste, entièrement dévoué aux intérêts de sa nation, et il laissa comme un éternel souvenir les murailles de Jérusalem. Ces événements se passèrent sous le règne de Xerxès.

VIF60]

1. Règne d'Artaxerxés. Disgrâce de Vasté. - 2. Artaxerxés épouse Esther. - 3. Règlement sur les audiences royales. - 4. Complot découvert par Mardochée. - 5-6. Aman arrache au roi un édit de proscription contre les Juifs. - 7. Mardochée intervient auprès

 

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d'Esther. - 8. Prière d'Esther et de Mardochée. - 9. Esther va trouver le roi. - 10. Honneurs décernées à Mardochée. - 11. Disgrâce et supplice d'Aman. - 12. Nouvel édit d'Artaxerxés. -12. Massacre des ennemis des Juifs ; institution de la fête de Pourim.

1. Après la mort de Xerxès, la royauté échut à son fils Cyrus (?)[61], que les Grecs appellent Artaxerxés.

Pendant que ce roi gouvernait l'empire des Perses, le peuple juif faillit périr tout entier, y compris les femmes et les enfants. Je dirai bientôt pourquoi. Mais il faut auparavant que je raconte le genre de vie de ce roi, ensuite comment il épousa une Juive de race royale, qui, dit-on, sauva notre peuple. Artaxerxés, après avoir pris le pouvoir et établi, des Indes jusqu'à l'Ethiopie, des gouverneurs dans les cent vingt-sept satrapies, reçut, la troisième année de son règne, ses amis, les peuples de la Perse et leurs chefs, dans un festin somptueux, comme il convient à un roi qui veut faire montre de sa richesse ; il les traita pendant cent quatre-vingts jours. Puis il donna des fêtes, à Suse, pendant sept jours aux peuples des provinces et à leurs ambassadeurs. Voici comment était organisé ce festin : on construisit une salle en forme de tente supportée par des colonnes d'or et d'argent, réunies par des toiles de lin et de pourpre, de telle sorte qu'elle pût contenir plusieurs myriades de convives. On se servit de coupes d'or enrichies de pierres précieuses à la fois pour l'agrément et pour le charme des yeux. Le roi ordonna aux serviteurs de n'obliger personne à boire aussitôt sa coupe remplie, comme c'est l'usage chez les Perses, mais de laisser chacun des convives boire à la santé de qui il voulait[62]. En même temps il avait

envoyé des messagers et fait ordonner aux habitants de son empire de cesser tout travail et de célébrer des fêtes en l'honneur de son avènement, pendant plusieurs jours. De même, la reine Vasté réunit les femmes en un banquet dans son palais. Le roi, voulant la montrer à ses convives, parce qu'elle surpassait en beauté toutes les femmes, lui fit dire de se rendre au festin. Mais la reine, par obéissance aux lois des Perses, qui interdisent aux femmes de se montrer à des étrangers, ne se rendit pas auprès du roi ; quoique celui-ci lui eût envoyé à plusieurs reprises des eunuques, elle n'en refusa pas moins de venir, si bien que le roi, dans sa colère,

 

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interrompit le festin, se retira, et, ayant fait appeler les sept d'entre les Perses qui sont chargés chez eux de l'interprétation des lois, accusa sa femme et prétendit qu'elle l'avait outragé ; car, mandée par lui à plusieurs reprises au festin, elle n'avait pas obéi une seule fois. Il leur demanda donc de prononcer la loi qu'il devait lui appliquer. L'un d'eux, nommé Mouchaios[63], répondit

que cette insulte n'atteignait pas le roi seulement, mais tous les Perses, qui risquaient, si leurs femmes méprisaient leur autorité, d'avoir une vie insupportable ; car aucune d'elles ne respecterait désormais son mari, suivant en cela l'exemple du dédain que la reine avait montré à l'égard du roi, maître tout-puissant. Il conclut donc qu'il fallait infliger un châtiment exemplaire à celle qui avait ainsi insulté le roi, et annoncer à tous les peuples la mesure de rigueur prise contre la reine. En conséquence, il fut décidé qu'Artaxerxés répudierait Vasté et donnerait sa place à une autre femme.

2. Le roi, qui avait un très grand amour pour elle, et qui supportait difficilement la séparation, ne pouvait cependant se réconcilier avec elle à cause de la loi ; il passait donc son temps à se lamenter sur l’impuissance de ses désirs. Ses amis, voyant son chagrin, lui conseillèrent de bannir le souvenir de sa femme et un amour qui ne le conduirait à rien, et d'envoyer des messagers pour chercher sur toute la terre des jeunes filles d'une grande beauté ; celle qui serait déclarée la plus belle deviendrait sa femme. Sa passion pour la première épouse s'éteindrait quand il en aurait pris une nouvelle, et peu à peu sa tendresse pour elle, arrachée de son cœur, se reporterait sur celle qu'il aurait auprès de lui. Artaxerxés se rendit à ce conseil et envoya des messagers chargés de rassembler les jeunes filles les plus belles de son royaume et de les lui amener. Dans le nombre de celles qui furent convoquées se trouvait une jeune fille de Babylone[64], orpheline de père et de mère,

élevée auprès de son oncle appelé Mardochée ; celui-ci appartenait à la tribu de Benjamin, et comptait parmi les premiers des Juifs. Il arriva qu'Esther - c'était le nom de cette jeune fille - l'emportait en beauté sur toutes les autres, et que la grâce de son visage captivait les regards de tous ceux qui la voyaient. On la confia à un eunuque,

 

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qui l'entoura de tous les soins ; elle fut parfumée avec les aromates les plus variés et tous les onguents les plus rares que peut exiger la toilette du corps ; ce fut le régime auquel furent soumises pendant six mois[65]

toutes ces jeunes filles, qui étaient au nombre de quatre cents[66]. Lorsque l'eunuque pensa, au bout de ce

temps, que ces jeunes filles avaient été l'objet de soins suffisants, et qu'elles étaient devenues dignes de la couche royale, chaque jour il en envoya une au roi pour passer la nuit avec lui. Celui-ci aussitôt après la renvoyait à l'eunuque. Quand fut venu le tour d'Esther et qu'il l'eut connue, il devint amoureux de la jeune fille, la prit comme femme légitime, et célébra son mariage la septième aunée de son règne dans le douzième mois, appelé Adar[67]. Puis il envoya ses courriers, dits

angares, pour annoncer ses noces à tous ses peuples et les exhorter à célébrer des êtes ; lui-même convia les Perses et les premiers de ses peuples, en l'honneur de son mariage, à des banquets qui durèrent un mois entier. Il reçut Esther dans son palais, et la couronna du diadème ; elle habita ainsi avec lui, sans lui avoir révélé à quel peuple elle appartenait. L'oncle de la reine vint aussi de Babylone à Suse, et chaque jour il passait la journée devant le palais, s'informant de la jeune femme et de ce qu'elle faisait ; car il l'aimait comme sa propre enfant.

  1. Le roi établit une loi défendant à tous particuliers[68]

de se présenter devant lui sans être appelés, chaque fois qu'il siégerait sur son trône. Des hommes, armés de haches, se tenaient autour de son trône pour châtier ceux qui s'en approcheraient sans avoir été appelés. Le roi siégeait, tenant une verge d'or, et, s'il voulait sauver quelqu'un de ceux qui s'approchaient sans avoir été mandés, il la lui tendait. Et celui qui l'avait touchée était hors de danger. Sur ce point, ces explications suffiront.

  1. Quelque temps après les eunuques Bagathoos et Théodestès[69] ayant conspiré contre le roi, Barnabazos,

serviteur de l'un d'eux, et qui était Juif de naissance, pénétra le complot et le dénonça à l'oncle de la femme du roi ; Mardochée, par l'intermédiaire d'Esther, dévoila au

 

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roi la conspiration. Le roi, effrayé, fit des recherches, qui prouvèrent la vérité de l'avis. Il fit mettre en croix les eunuques. Quant à Mardochée, il ne lui donna sur le moment aucune récompense pour lui avoir sauvé la vie. Il se contenta d'enjoindre à ceux qui rédigeaient les mémoires de son règne d'inscrire son nom ; puis il lui fit dire de ne pas s'éloigner de sa résidence ; que le roi le considérait comme un ami très dévoué.

  1. Il y avait alors un certain Aman, fils d'Amadathès, Amalécite[70] de race, devant qui, lorsqu'il entrait chez le

roi, se prosternaient les étrangers et les Perses, sur un ordre d'Artaxerxés leur enjoignant de lui rendre cet honneur. Comme Mardochée, par dignité et par respect pour la loi de son peuple, ne se prosternait pas devant un homme, Aman le remarqua et s'informa d'où il était. Ayant appris que c'était un Juif, il entra en colère et lui reprocha de ne pas s'incliner, lui esclave, devant un homme qu'adoraient les Perses, hommes libres. Dans son désir de tirer vengeance de Mardochée, il trouva que c'était trop peu que de demander au roi le châtiment de cet homme seul et résolut d'anéantir son peuple entier : car il haïssait naturellement les Juifs, parce que la race des Amalécites, dont il était issu, avait été détruite par eux. Il alla donc trouver le roi et commença un réquisitoire : il y avait, disait-il, un peuple méchant, et qui, répandu sur toute la surface de la terre par lui gouvernée, restait étranger aux populations, sans commerce avec elles, n'ayant ni le même culte ni les mêmes lois que les autres, ennemi, par ses habitudes et ses mœurs, du peuple perse et de tons les hommes. « Si tu veux accorder un bienfait à tes sujets, ajouta-t-il, tu ordonneras d'arracher cette nation jusqu'aux racines, sans en laisser aucun vestige, sans en garder même ni comme esclaves, ni comme prisonniers ». Cependant, pour que le roi ne fût pas privé des impôts qu'il retirait des Juifs, Aman se fit fort de lui donner, quand il le voudrait, quarante mille talents d'argent, pris sur sa propre fortune. Il ajouta qu'il donnerait volontiers cette somme pour que le royaume fût débarrassé de ces misérables.

  1. Sur ces déclarations d'Aman le roi lui abandonna

 

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l'argent et les hommes, pour en faire ce qu'il voudrait. Aman, ayant obtenu ce qu'il désirait, envoya immédiatement à tous les peuples, au nom du roi, un ordre ainsi conçu : « Le grand roi Artaxerxés aux chefs des cent vingt-sept satrapies, depuis l'Inde jusqu'à l'Éthiopie, écrit ceci : Commandant à de nombreux peuples et maître de toute l'étendue de terre que j’ai voulue, n'ayant jamais abusé de ma puissance pour opprimer mes sujets par la violence et l'arrogance, mais m'étant toujours montré clément, doux et prévoyant pour leur assurer la paix et la justice, j'ai cherché le moyen de les en faire jouir toujours. Or, l'homme qui, par sa sagesse et son équité, est à mes yeux le mieux partagé en renommée et en considération, celui qui après moi est le premier, par sa fidélité et son inébranlable dévouement, Aman, m'a indiqué, dans sa sollicitude, qu'il existe un peuple mêlé à tous les autres, peuple hostile, étranger à nos lois, insoumis aux rois, de mœurs étranges, ennemi de la monarchie et mal disposé pour nos intérêts ; j'ordonne donc que ceux qui m'ont été désignés par Aman, mon second père, soient exterminés tous avec leurs femmes et leurs enfants, sans aucun ménagement, sans que personne, se laissant persuader par la pitié plus que par mes messagers, s'avise de désobéir aux ordres que j'envoie. Et je veux que ce soit fait le quatorzième jour du douzième mois de la présente année, afin que, nos ennemis étant détruits de tous côtés en un seul et même jour, nous puissions désormais vivre en paix ». Cet édit ayant été envoyé dans les villes et les campagnes, tous se tinrent prêts pour massacrer les Juifs au jour fixé. A Suse même on s'y prépara en diligence. Le roi et Aman passaient leur temps à banqueter et à boire, mais la ville était dans le trouble.

7. Mardochée, ayant appris ce qui se passait, déchira ses vêtements, se vêtit d'un sac, se couvrit de cendres, et parcourut la ville en s'écriant qu'on allait détruire un peuple qui n'avait fait aucun mal. En poussant ces cris il arriva jusqu'au palais, à la porte duquel il s'arrêta car il ne pouvait y entrer dans un pareil accoutrement. Tous les Juifs qui étaient dans les villes ou des ordres à ce sujet avaient été publiés, se comportaient de même,

 

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pleurant et se lamentant sur les malheurs décrétés contre eux. Quand on eut appris à la reine que Mardochée se tenait devant le palais dans un appareil aussi misérable, remplie de trouble, elle envoya des serviteurs pour changer ses vêtements. Comme on ne put le persuader de quitter ses haillons, car la raison terrible qui l'avait obligé à les revêtir subsistait, disait-il, tout entière, la reine, ayant appelé l'eunuque Achrathée, qui se trouvait attaché à sa personne, l'envoya à Mardochée afin de savoir quel malheur lui était arrivé, qui causait sa douleur, et pourquoi, ayant revêtu ce costume, il refusait de le quitter, bien qu'elle l'en priât. Mardochée raconta à l'eunuque la cause de ses lamentations, l'ordre de tuer les Juifs envoyé par le roi dans tout le royaume, et la promesse d'argent par laquelle Aman avait acheté la destruction de ce peuple. Puis ayant donné à l'eunuque une copie des ordres publiés dans Suse, pour la porter à Esther, il recommanda à celle-ci d'aller implorer le roi à ce sujet, et, pour sauver son peuple, de ne pas dédaigner de prendre un costume de suppliante, dans lequel elle essayerait de conjurer la ruine des Juifs menacés, car c'était Aman, honoré comme le premier personnage du royaume après le roi, qui avait accusé les Juifs et excité le roi contre eux. A cette nouvelle, Esther envoya de nouveau à Mardochée pour lui remontrer qu'elle n'était pas appelée chez le roi, et que quiconque se présentait devant lui sans être appelé était puni de mort, à moins que le roi, s'il voulait le sauver, ne lui tendit sa verge d'or[71]. Mardochée, quand l'eunuque lui eut transmis

cette réponse d'Esther, le chargea de dire à la reine de ne pas considérer ainsi son propre salut, mais de songer à celui de tout son peuple ; si elle se désintéressait de celui-ci, Dieu viendrait sûrement en aide à son peuple, mais elle-même et sa maison seraient détruites par ceux dont elle se serait si peu souciée. Esther envoya alors à Mardochée le même messager pour lui dire d'aller à Suse, de rassembler tous les Juifs qui s'y trouvaient et de jeûner, en s'abstenant de toute nourriture pendant trois jours et en priant pour elle : elle-même en ferait autant avec ses suivantes, puis elle promettait d'aller chez le roi, malgré la défense, et, s'il lui fallait mourir, d'accepter la mort.

 

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  1. Mardochée, suivant les instructions d'Esther, fit jeûner le peuple, et lui-même supplia Dieu, cette fois encore, de ne pas détourner les regards de son peuple en péril, mais, de même que jadis il lui avait bien des fois témoigné sa bienveillance et pardonné ses fautes, ainsi maintenant de l'arracher à la ruine décrétée contre lui ; « car ce n’est pas, ajoutait-il, pour quelques fautes que nous sommes menacés de périr sans gloire, mais c'est moi qui suis la cause de la colère d'Aman ; parce que je ne me suis pas prosterné devant lui, et parce que j’ai refusé de rendre à cet homme des honneurs qui ne sont dus qu'à toi, Seigneur, dans sa colère, voilà ce qu'il a machiné contre ceux qui ne veulent pas transgresser tes lois ». Le peuple adressa à Dieu les mêmes prières, le suppliant de pourvoir à leur salut et d'arracher les Israélites, sur toute la terre, au malheur prochain : car le péril était déjà devant leurs yeux, et comme imminent. Esther pria aussi Dieu, suivant la loi de ses pères, s'étant prosternée à terre et ayant revêtu des habits de deuil ; après s'être abstenue pendant trois jours de nourriture, de boisson et de tout plaisir, elle demanda à Dieu de prendre pitié d'elle, de rendre sa parole persuasive quand elle serait en présence du roi, de la faire paraître plus belle que jamais[72], afin que ses

discours et sa beauté lui servissent également pour apaiser la colère du roi, s'il venait à s'irriter contre elle, pour secourir ses compatriotes, qui flottaient dans les plus terribles épreuves, et pour exciter le ressentiment du roi contre les ennemis des Juifs et ceux qui, s'il se désintéressait d'eux, machineraient leur perte.

  1. Après avoir adressé ces prières à Dieu pendant trois jours, elle quitta ce vêtement de deuil et changea d'ajustement, et, s'étant parée comme devait l'être la reine, elle se rendit auprès du roi, accompagnée de deux servantes, dont l'une, sur qui elle s'appuyait légèrement, la soutenait, et dont l'autre, qui la suivait, portait la traîne de sa robe, répandue jusqu'à terre ; son visage était couvert de rougeur, sa beauté empreinte de douceur et de dignité. Elle entra pleine de crainte. Mais dès qu'elle fut face à face avec le roi, assis sur son trône, revêtu de l'appareil royal, c'est-à-dire d'un vêtement de

 

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couleurs variées, chargé d'or et de pierreries, qui le lui faisait paraître encore plus redoutable ; quand il l'eut regardée durement, le visage enflammé de colère, elle fut aussitôt prise de faiblesse et tomba sans connaissance dans les bras de ceux qui étaient à ses côtés. Le roi, obéissant, je pense, à la volonté de Dieu, changea ses dispositions d'esprit, et, craignant que sa femme ne mourut de terreur, descendit de son trône et, la prenant dans ses bras, essaya de la ranimer en la caressant, lui parlant doucement, lui disant de prendre courage, de ne rien craindre de funeste pour être venue auprès de lui sans être appelée : car cette loi était faite pour ses sujets, tandis qu'elle, régnant avec lui, avait toute liberté de l'approcher. En disant ces mots, il plaçait son sceptre entre les mains de la reine et étendit sa baguette sur son cou pour la délivrer de toute appréhension, suivant la loi. Esther revint à elle, à ces marques d'affection. « Seigneur, dit-elle, je ne puis t'expliquer facilement la crainte subite qui vient de me saisir : dès que je t'ai vu si grand, si beau, si imposant, le souffle m'a manqué et mon âme m'a abandonnée ». Comme elle n'avait prononcé ces paroles qu'avec peine et faiblesse, le roi se sentit plein d'angoisse et de trouble ; il conjura Esther de reprendre ses esprits, lui dit d'avoir bon espoir, l'assurant qu'il était prêt à lui donner, si elle le désirait, la moitié de son royaume. Esther le pria seulement de venir chez elle, avec son ami Aman, à un souper qu'elle avait, disait-elle, préparé. Le roi y consentit et les deux convives s'y rendirent : là, tout en buvant, le roi pria Esther de lui dire ce qu'elle désirait : il ne lui refuserait rien, lui demandât-elle une partie de son royaume. Mais elle renvoya au lendemain pour lui révéler son souhait, s'il voulait bien revenir souper chez elle en compagnie d'Aman.

10. Le roi lui avant donné sa parole, Aman sortit, fier d'avoir été seul jugé digne de souper avec le roi chez Esther, et de ce que personne ne jouissait d'un pareil honneur chez les souverains. Mais apercevant Mardochée dans la cour, il s'indigna plus que jamais, car bien que Mardochée l'eût vu, il ne lui rendait aucun honneur. Rentré chez lui, il appela sa femme Zarasa[73]

et ses amis. Quanti ils furent arrivés, il leur raconta la

 

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considération dont il jouissait, non seulement de la part du roi, mais encore de celle de la reine ; aujourd'hui même il avait soupé chez elle seul avec le roi, et il était invité de nouveau pour le lendemain. Il dit aussi quel déplaisir il éprouvait à voir dans la cour le juif Mardochée. Sa femme Zarasa lui répondit qu'il fallait faire couper un arbre de cinquante[74] coudées de

hauteur, et, après en avoir demandé le lendemain matin l'autorisation au roi, faire mettre Mardochée en croix ; Aman loua ce conseil et commanda à ses serviteurs de préparer la croix et de la dresser dans la cour pour le supplice de Mardochée. Voilà ce qui se préparait. Mais Dieu se rit de l'espoir méchant d'Aman, et, sachant l'avenir, se réjouit de la façon dont les choses tourneraient. Pendant cette nuit, il priva le roi de sommeil. Artaxerxés, ne voulant pas perdre inutilement ce temps d'insomnie, mais désireux de l'employer à quelqu'un des intérêts de l’État, manda son secrétaire et lui ordonna de lui lire les mémoires des rois ses prédécesseurs et le récit de ses propres actions. Le secrétaire apporta les livres et fit cette lecture ; il s'y trouva qu'un homme en récompense de son courage dans une certaine occasion avait reçu des terres, dont le nom était inscrit ; un autre pour sa fidélité avait reçu des présents ; puis le lecteur en arriva à Bagathoos et Théodestès, les deux eunuques qui avaient conspiré contre le roi, et que Mardochée avait dénoncés. Le secrétaire, ayant simplement mentionné la chose, passait au récit d’un autre fait, mais le roi l'arrêta et lui demanda s’il n'était pas écrit que Mardochée eût reçu une récompense. Le secrétaire répondit qu'il n'en était pas question ; là-dessus, le roi lui ordonna de s'arrêter et demanda à ceux qui étaient chargés de ce soin quelle heure de la nuit il était. Apprenant que c'était déjà le point du jour, il donna l'ordre que, si l'un de ses amis se trouvait déjà devant le palais, on vint l'en prévenir. Il arriva que l'on trouva Aman : il était, en effet, venu plus tôt que l'heure habituelle pour présenter au roi sa requête 252.au sujet de la mort de Mardochée. Quand ses serviteurs eurent dit au roi qu'Aman était devant le palais, il ordonna de l'appeler. Et lorsque celui-ci fut entré : « Comme je sais, lui dit-il, que tu es mon ami et que tu m'es plus que tout autre dévoué, je te prie de me

 

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donner avis sur la manière d'honorer, d'une façon digne de ma magnanimité, un homme que j'aime beaucoup ». Aman, s'imaginant qu'on le consultait à son propre sujet, car il était aimé par le roi plus que personne, donna l'avis qu'il pensait être le meilleur : « Si tu veux combler d'honneur, dit-il, l'homme que tu dis aimer, fais-le monter à cheval, revêtu du même vêtement que toi, orné d'un collier d'or, et qu'un de tes amis fidèles

marche devant lui, proclamant dans toute la ville que tels sont les honneurs rendus à celui qu'honore le roi ». Tel fut le conseil donné par Aman, persuadé que cette récompense lui était destinée à lui-même. Le roi, réjoui de cet avis : « Sors donc, dît-il, car tu as le cheval, l'habit et le collier. Va chercher le Juif Mardochée, revêts-le de ces insignes, et menant son cheval par la bride, va proclamer cela par la ville ; car tu es mon ami fidèle, et tu mettras toi-même à exécution le bon conseil que tu m'as donné. Quant à lui, ce sera la récompense qu'il recevra de nous pour m'avoir sauvé la vie ». En entendant ces paroles auxquelles il était si loin de s'attendre, Aman fut bouleversé jusqu'au fond de l'âme ; frappé d'impuissance, il sortit, avec le cheval, le vêtement de pourpre et le collier d'or. Ayant trouvé Mardochée devant le palais, revêtu d'étoffe grossière, il lui ordonna de quitter cet habit pour revêtir la robe de pourpre. Mardochée, ignorant la vérité et croyant à une raillerie : « O le plus méchant des hommes, dit-il, est-ce ainsi que tu te moques de nos malheurs ? » On lui persuada enfin que le roi lui donnait cette récompense pour l'avoir sauvé en confondant les eunuques qui conspiraient contre lui. Il revêtît alors la robe de pourpre que le roi portait à l'ordinaire, se para du collier et montant sur le cheval, fit le tour de la ville précédé par Aman qui proclamait que ces honneurs étaient rendus par ordre du roi à celui qu'il aimait et qu'il avait jugé digne de sa faveur. Quand ils eurent fini le tour de la ville, Mardochée se rendit auprès du roi ; Aman, couvert de honte, rentra chez lui et, au milieu des larmes, raconta a sa femme et à ses amis, ce qui s'était passé. Ceux-ci déclarèrent qu'on ne pouvait plus se venger de Mardochée, car Dieu était avec lui.

 

11. Comme ils s'entretenaient encore de ce sujet, les

 

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eunuques d'Esther vinrent prier Aman de se hâter de se rendre au souper. Sabouchadas[75], l'un des eunuques,

ayant vu plantée dans la maison d'Aman la croix qui avait été préparée pour Mardochée, s'informa auprès de l'un des serviteurs, demandant pour qui ces préparatifs ; quand il sut que c'était pour l'oncle de la reine, et qu'Aman devait demander au roi de le livrer à sa vengeance, il ne dit rien pour l'instant. Lorsque le roi, après avoir été traité magnifiquement avec Aman, demanda à la reine de lui dire quel présent elle désirait, l'assurance qu'elle obtiendrait de lui ce qu'elle souhaiterait, Esther éclata en sanglots au sujet du danger que courait son peuple, dit qu'elle était condamnée à périr avec toute sa nation, et que c'était là le sujet dont elle avait voulu l'entretenir ; qu'elle ne l'aurait pas importuné s'il avait ordonné qu'ils fussent vendus et réduits à une dure servitude, car ce n'aurait été qu'un malheur supportable ; mais qu'en présence d'un pareil arrêt, elle avait cru devoir implorer sa justice. Le roi lui demanda de qui venait cette décision ; elle accusa alors ouvertement Aman et lui reprocha d'avoir dans sa méchanceté ourdi ce complot contre les Juifs. Le roi, étonné par ce discours, se leva brusquement de table et s'alla promener dans les jardins ; alors Aman se mit à supplier Esther et à implorer son pardon pour ses fautes, car il comprenait qu'il était en péril. Comme il était tombé au pied du lit de la reine en la suppliant, le roi rentra ; cette vue augmenta encore sa colère : « O le plus pervers des hommes dit-il, veux-tu donc aussi faire violence à ma femme ? » Aman, stupéfait à ces mots, ne trouva plus une parole ; alors l'eunuque Sabouchadas, survenant, l'accusa d'avoir préparé dans sa maison une croix pour Mardochée : il avait vu la croix, il avait appris sa destination en interrogeant un serviteur, lorsqu’il était allé inviter Aman pour le souper. Il dit que cette croix était haute de cinquante coudées. Le roi, en entendant ce récit, jugea que nul autre châtiment ne convenait à Aman que celui qu'il avait imaginé pour Mardochée, et sur le champ il le condamna à mourir attaché à cette croix. Cet événement est propre à faire admirer la Providence et comprendre sa sagesse et son équité ; non seulement elle a châtié la perversité d’Aman, mais encore, en tournant contre lui le supplice même

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qu'il avait préparé pour un autre, elle enseigna aux hommes que le mal que l'on a machiné contre autrui retombe souvent sur la tête de son auteur.

12. Ainsi périt Aman pour avoir abusé sans limite de sa faveur auprès du roi, et sa fortune fut donnée à la reine. Le roi appela auprès de lui Mardochée - car Esther lui avait découvert quel lien de parenté les unissait - et lui fit don du même anneau qu'il avait donné à Aman. La reine fit abandon à Mardochée des biens d'Aman et pria le roi de délivrer le peuple juif de toute crainte pour son existence, en lui montrant l'ordre envoyé dans tout le royaume par Aman, fils d'Amadathès. Sa patrie, en effet, détruite, et ses compatriotes morts, elle-même ne pourrait supporter la vie. Le roi lui promit qu'il n'arriverait aucun mal ni à elle ni à ceux qui lui étaient chers ; il la chargea d'écrire elle-même, au nom du roi, ce qu'elle déciderait au sujet des Juifs, de sceller ses instructions du sceau royal, et de les envoyer dans tout le royaume. Tous ceux qui prendraient connaissance de cette lettre confirmée par le sceau du roi, n'oseraient s'opposer aux ordres qu'elle contiendrait. Esther fit donc venir les secrétaires du roi et leur ordonna d'écrire, au sujet des Juifs, aux nations, aux intendants, aux gouverneurs des cent vingt-sept satrapies, depuis l'Inde jusqu'à l'Ethiopie. Cet écrit était ainsi conçu : « Le grand roi Artaxerxés aux gouverneurs et à ceux qui ont à cœur nos intérêts, salut. Il arrive souvent qu'à la suite de grands avantages et de faveurs obtenus grâce à un excès de bienveillance chez leurs bienfaiteurs, des hommes non seulement se conduisent indignement avec leurs inférieurs, mais encore ont l'audace de porter préjudice à ceux qui les ont ainsi comblés, supprimant toute reconnaissance de la part des hommes, et que, par aveuglement, tournant contre ceux mêmes à qui ils sont redevables de tout l'insolence que leur donne une prospérité inespérée, ils croient pouvoir tromper la divinité et échapper à sa justice. Quelques-uns, qui avaient reçu de leurs bienfaiteurs la direction des affaires, animés de haines personnelles, ont trompé le souverain par de faux rapports et calomnies, lui persuadant de sévir contre des hommes qui n'avaient rien fait de mal et qui faillirent périr par suite de cette

 

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colère. Et ce n'est pas sur des faits anciens ou rapportés par la tradition que notre opinion est fondée, mais sur ce qui a été audacieusement accompli sous nos yeux, en sorte que désormais nous n'écouterons plus ni calomnies, ni accusations, ni rien de ce que d’autres essaieront de nous persuader, mais que nous examinerons nous même les actions dont chacun aura été témoin, pour châtier si le rapport se trouve exact, récompenser dans le cas contraire, en nous en rapportant aux actes mêmes et non pas aux paroles. C'est ainsi qu'aujourd'hui Aman, fils d'Amadathès, de race amalécite, étranger au sang des Perses, ayant reçu chez nous l'hospitalité, a si bien su profiter de la bienveillance accordée à tous nos sujets, qu'on l'appelait mon père, qu'on se prosternait devant lui, et qu'il recevait de tous des honneurs royaux seconds seulement aux nôtres ; il ne put supporter son bonheur ni user en sage administrateur de sa grande prospérité, mais il complota de m'enlever le trône et la vie, à moi qui avais été cause de sa fortune, en demandant méchamment, et par ruse, la perte de mon bienfaiteur et sauveur Mardochée et de notre compagne dans la vie et sur le trône, Esther, et de cette façon, une fois qu'il m'aurait privé de ceux qui me sont dévoués, il espérait faire passer le pouvoir en d'autres mains. Mais moi, considérant que les Juifs, condamnés à la mort par ce misérable, ne sont pas coupables, qu'au contraire ils se gouvernent par les meilleurs principes et honorent le Dieu qui m'a conservé à moi et à mes ancêtres la royauté ; non seulement je les délivre du châtiment indiqué dans l'ordre précédent, envoyé par Aman, auquel vous ferez bien de ne pas vous conformer, mais encore je veux qu'ils soient comblés de toutes sortes d'honneurs ; quant à l'auteur des machinations dirigées contre eux, je l'ai fait mettre en croix devant la porte de Suse avec sa famille ; c'est le châtiment que lui a infligé le Dieu qui voit tout. Et je vous ordonne de répandre les copies de cette lettre dans tout le royaume, de laisser les Juifs vivre en paix sous leurs propres lois, et de les aider à tirer vengeance de ceux qui, au temps de leurs épreuves, leur ont fait du tort, le treizième jour du douzième mois, appelé Adar, le jour même fixé pour leur massacre, car Dieu, d'un jour de ruine, a fait pour eux un jour de

 

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délivrance. Que ce soit un beau jour pour ceux qui nous sont dévoués, et qu'il rappelle le souvenir du châtiment des conspirateurs. Je veux, enfin, que chaque ville et chaque peuple sache que celui qui désobéira à ces ordres sera mis à mort par le fer et par le feu. Que ces instructions soient affichées sur toute l'étendue de notre empire et qu'ils se préparent pour le jour fixé, afin de se venger de leurs ennemis ! »

13. Les cavaliers chargés de porter ces lettres partirent aussitôt et se rendirent aux endroits fixés. Lorsque Mardochée sortit du palais revêtu d'un habit royal, portant la couronne d'or et le sceptre, en voyant les honneurs dont il était comblé par le roi, les Juifs qui habitaient Suse prirent leur part de son bonheur. La joie et la lumière de salut qu'apportaient les lettres promulguées par le roi exalta les Juifs tant de la ville que de la province, à tel point que beaucoup de gens d'autres races se firent circoncire par crainte des Juifs, afin de s'assurer ainsi la sécurité : car le treizième jour du douzième mois, que les Hébreux appellent Adar et les Macédoniens Dystros, c'est-à-dire le jour même où les Juifs devaient périr, les messagers du roi annoncèrent que les Juifs mettraient à mort leurs ennemis. Les gouverneurs des satrapies, les tyrans, les greffiers royaux[76] prodiguèrent aux Juifs les marques

d'honneur ; la crainte qu'ils avaient de Mardochée les obligea à la sagesse. La lettre du roi ayant été répandue dans toute la contrée soumise à son autorité, il arriva qu'à Suse même les Juifs tuèrent environ cinq cents de leurs ennemis. Le roi fit part à Esther du chiffre des morts ; en ce qui concernait la campagne, il se demandait ce qui s’était passé. Il s'informa de la reine si elle voulait quelque chose de plus, l'assurant qu'elle serait exaucée. Esther le pria de permettre aux Juifs de traiter de même, le jour suivant, ceux qui restaient de leurs ennemis, et de faire mettre en croix les dix fils d'Aman[77]. Le roi, qui ne pouvait rien refuser à Esther,

donna cette autorisation aux Juifs. Ils se rassemblèrent donc de nouveau le quatorzième jour du mois de Dystros, et tuèrent encore environ trois cents de leurs adversaires, sans toucher à rien de ce qui leur appartenait. De la main des Juifs habitant la province et

 

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les autres villes moururent soixante-quinze mille de leurs ennemis. Le massacre eut lieu le treizième jour du mois ; le jour suivant fut célébré comme une fête. De même, les Juifs de Suse se réunirent dans des banquets le quatorzième jour du mois et le lendemain. C'est pour cela qu'aujourd'hui encore tous les Juifs de la terre ont coutume de fêter ces jours-là en s'envoyant les uns aux autres des portions. Mardochée écrivit, en effet, à tous les Juifs du royaume d'Artaxerxés d'observer scrupuleusement ces journées, de les fêter, et d'en transmettre le récit à leurs descendants, afin que la fête subsistât toujours et que l'oubli n'en effaçât jamais le souvenir : car, ayant failli être exterminés par Aman ces jours-là, il était juste, puisqu'ils avaient, au contraire, échappé à ce danger et tiré vengeance de leurs ennemis, qu'ils célébrassent cet anniversaire par des actions de grâces à Dieu. C'est pour cela que les Juifs fêtent ces journées dont j'ai parlé et qu'ils appellent PhouraioiF78].

Quant à Mardochée, il resta en grand crédit et faveur auprès du roi ; il partageait le pouvoir avec lui et vivait en même temps dans l'intimité de la reine. Et la situation des Juifs fut, grâce à lui, bien meilleure qu'ils n'auraient jamais pu l'espérer.

VII

1. Le grand-prêtre Jean tue son frère Jésus ; persécution de Bagosès. - 2. Sanballat et Manassé.

Tels furent les événements qui se passèrent sous le règne d'Artaxerxés.

1F79]. A la mort du grand-prêtre Eliasib, son fils Judas

lui succéda dans sa charge. A la mort de celui-ci, la charge passa à son fils Jean. C'est lui qui fut cause que Bagosès, général du second Artaxerxés, souilla le temple et établit sur les Juifs un impôt de cinquante drachmes qu'ils devaient payer en commun pour chaque agneau, avant leurs sacrifices journaliers. Voici la cause de cette mesure : Jean avait un frère, nommé Jésus. Bagosès, qui était son ami, lui promit de lui faire donner la dignité de grand-prêtre. Sur cette assurance, Jésus chercha querelle à Jean dans le Temple, et irrita son frère au

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point que celui-ci le tua ; un pareil sacrilège, commis dans le Temple, était une chose d'autant plus horrible que la victime était son frère[80] ; jamais crime si féroce,

si impie, n'avait été commis ni chez les Grecs ni chez les Barbares. Mais Dieu veillait, et, pour cette raison, le peuple fut réduit en servitude et le Temple souillé par les Perses. Car Bagosès, le général d'Artaxerxés, ayant appris que le grand-prêtre des Juifs, Jean, avait tué son propre frère dans le Temple, se présenta aussitôt aux Juifs et leur dit, plein de colère : « Vous avez donc osé commettre un meurtre dans le sanctuaire ? » Comme en même temps il essayait de pénétrer dans le Temple, ils l'en empêchèrent. Mais il leur dit : « Eh ! quoi ? Ne suis-je pas plus pur que celui qui a commis un meurtre dans le Temple[81] ? », et sur ces mots, il entra. Telle fut la

raison pour laquelle Bagosès poursuivit les Juifs pendant sept ans, pour la mort de Jésus.

2[82]. Après la mort de Jean, son fils Iaddous lui

succéda dans la grande-prêtrise. Il avait lui aussi un frère, nommé Manassès ; Sanaballétès, le satrape envoyé à Samarie par Darius, le dernier roi, et qui était Chouthéen de race, comme le sont aussi les Samaritains, sachant que Jérusalem était une ville florissante, dont les rois avaient jadis donné beaucoup à faire aux Assyriens et aux habitants de la Cœlésyrie, s'empressa de marier à Manassès sa fille Nicasô, dans l'espoir que cette union lui serait une garantie des bonnes dispositions du peuple juif tout entier.

VIII[83]

1. Alexandre le Grand. - 2. Manassé émigre auprès de Sanballat. - 3. Siège de Tyr. - 4. Alexandre autorise la construction du temple du Garizim. - 5. Alexandre à Jérusalem. Alexandre et les Sichémites.

1. Vers ce temps, Philippe, roi de Macédoine, mourut à Ægæ assassiné par Pausanias, fils de Kerastès, de la race des Orestes. Son fils Alexandre lui ayant succédé, traversa l'Hellespont, battit les généraux de Darius sur les bords du Granique ; puis, ayant envahi la Lydie, soumis l'Ionie et traversé la Carie, se jeta en Pamphylie,

 

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comme cela a été raconté ailleurs[84].

  1. Cependant les anciens de Jérusalem, ne pouvant souffrir que le frère du grand-prêtre Jaddous, marié à une femme de race étrangère, partageât la dignité de grand-prêtre[85], se soulevèrent contre lui. Ils

estimaient, en effet, que son mariage servirait de précédent à ceux qui voudraient violer la loi sur le choix des femmes, et marquerait pour eux le commencement du mélange avec l'étranger. Et pourtant la cause de leur première captivité et de leurs malheurs n'avait-elle pas été la faute commise par quelques-uns qui avaient pris des femmes hors du pays ? Ils enjoignirent donc à Manassès ou de se séparer de sa femme ou de ne plus s'approcher du lieu des sacrifices. Le grand-prêtre partagea l'indignation du peuple, et éloigna son frère de l'autel. Alors Manassès se rendit auprès de son beau-père Sanaballétès, et lui déclara que, bien qu'il aimât Nicasô, il ne voulait pas à cause d’elle être privé de la dignité sacerdotale, qui était la plus haute dans sou peuple et héréditaire dans sa famille. Sanaballétès lui promit non seulement qu'il lui conserverait le sacerdoce, mais encore qu'il lui ferait avoir la puissance et la dignité de grand-prêtre, qu'il lui donnerait pouvoir sur tous les pays auxquels lui-même commandait, si Manassès voulait continuer à vivre avec sa fille ; il ajouta qu'il construirait un temple semblable à celui de Jérusalem sur la montagne de Garizim, la plus élevée du territoire de Samarie, et qu'il faisait ces promesses avec l'assentiment du roi Darius. Manassès, séduit par ces assurances, demeura auprès de Sanaballétès, pensant obtenir de Darius la charge de grand-prêtre ; car Jaddous[86] était alors déjà fort âgé. Bon nombre de

prêtres et d'Israélites ayant contracté de semblables unions, les habitants de Jérusalem furent extrêmement troublés : tous ces hommes, en effet, émigraient auprès de Manassès, et étaient défrayés de tout par Sanaballétès, qui leur distribuait de l'argent, des champs à cultiver, des maisons, favorisant par tous les moyens l'ambition de son gendre.

  1. Sur ces entrefaites, Darius, à la nouvelle

 

Zone de Texte: 4. Cependant Sanaballétès, jugeant l'occasion favorable, abandonna la cause de Darius, et prenant avec lui huitFlavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

qu'Alexandre, après avoir traversé l'Hellespont et vaincu ses satrapes à la bataille du Granique, continuait sa marche en avant, rassembla une armée de cavalerie et d'infanterie, dans l'intention de s'opposer aux Macédoniens avant qu'ils n'eussent, en s'avançant, conquis toute l'Asie. Il traversa donc le fleuve Euphrate, franchit le Taurus[87], montagne de Cilicie, et vint

attendre l'ennemi à Issus, ville de Cilicie, pour lui livrer bataille. Sanaballétès, charmé d'apprendre l'arrivée de Darius dans le bas pays, dit à Manassès qu'il accomplirait ses promesses aussitôt que Darius, après avoir battu l'ennemi, reviendrait sur ses pas : car il croyait - et tout le monde en Asie le croyait aussi - que les Macédoniens n'en viendraient même pas aux mains avec les Perses, à cause du nombre de ceux-ci. Mais l'événement trompa ces prévisions : le grand Roi, ayant livré bataille aux Macédoniens, eut le dessous, et, après avoir perdu une grande partie de son armée, s'enfuit en Perse, laissant prisonniers sa mère, sa femme et ses enfants. Alexandre arrivé en Syrie prit Damas, s'empara de Sidon et assiégea Tyr ; il envoya de là une lettre au grand-prêtre des Juifs auquel il demandait de lui expédier des renforts, de fournir des provisions à son armée et, acceptant l'amitié des Macédoniens, de lui donner les présents qu'il faisait précédemment à

Darius ; il ajoutait que les Juifs n'auraient pas à s'en repentir. Le grand-prêtre répondit aux messagers qu'il avait promis par serment à Darius de ne pas prendre les armes contre lui, et qu'il ne violerait pas la foi jurée tant que Darius serait vivant. Alexandre à cette nouvelle entra dans une grande colère. Il ne crut pas cependant devoir abandonner Tyr, qu’il craignait de ne plus pouvoir prendre ; mais, tout en poussant le siège, il menaça de marcher contre le grand-prêtre des Juifs, et d'apprendre à tous, par son exemple, à qui ils devaient garder leur serment. Après un siège des plus pénibles il prit Tyr. Quand il eut mis ordre dans cette ville, il marcha contre la ville des Gazéens et l'assiégea ainsi que le commandant de la garnison qui s'y trouvait, nommé Babémésès[88].

 

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mille de ses administrés, se rendit auprès d'Alexandre, qu'il trouva commençant le siège de Tyr ; il lui dit qu'il venait lui livrer tout le pays auquel il commandait, et le reconnaissait avec joie pour son maître, à la place du grand Roi Darius. Alexandre lui ayant fait bon accueil, Sanaballétès enhardi lui parla de ses projets, il lui dit qu'il avait pour gendre Manassès, frère de Jaddous, grand-prêtre des Juifs, et que nombre de compatriotes de son gendre, qui s'étaient joints à lui, voulaient bâtir un temple dans le pays soumis à son gouvernement. C'était, disait-il, l'intérêt du roi même de diviser la puissance des Juifs, car, une fois uni et d'accord, ce peuple, s'il se soulevait, pourrait causer aux rois de grands embarras, comme jadis aux monarques assyriens. Muni de l'autorisation d'Alexandre, Sanaballétès construisit en toute hâte son temple et installa Manassès comme prêtre, pensant assurer ainsi le plus grand honneur aux enfants qui naîtraient de sa fille. Après sept mois que dura le siège de Tyr et deux celui de Gaza, Sanaballétès mourut. Alexandre, s'étant emparé de Gaza, se hâta de monter vers Jérusalem. Le grand-prêtre Jaddous, à cette nouvelle, fut rempli d'angoisse et de crainte, ne sachant comment se présenter aux Macédoniens, dont le roi devait être fort irrité de sa récente désobéissance. Il ordonna donc au peuple des supplications et, offrant avec lui un sacrifice à Dieu, il pria celui-ci de défendre son peuple et d'écarter les dangers qui le menaçaient. Comme il se reposait après le sacrifice, Dieu lui apparut en songe et lui commanda d'avoir confiance, d'orner la ville de fleurs, d'en ouvrir les portes, et, le peuple en vêtements blancs, lui-même et les prêtres revêtus de leurs ornements sacerdotaux, d'aller à la rencontre d'Alexandre sans redouter aucun mal, protégés qu'ils seraient par la providence divine. Jaddous à son réveil se réjouit vivement et rapporta à tous la vision qu'il avait eue ; puis, après avoir fait tout ce qui lui avait été ordonné en songe, il attendit l'arrivée du roi.

5. Quand il apprit que le roi n'était plus loin de la ville, il sortit avec les prêtres et la foule des habitants, et s'avança à la rencontre d'Alexandre, en un cortège digne de ses fonctions sacrées et tel que rien n'y est

 

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comparable chez les autres peuples. Il marcha jusqu'à un lieu appelé Sapha ; ce mot, traduit en grec, signifie « observatoire » car on peut de là voir la ville de Jérusalem et le Temple. Les Phéniciens et les Chaldéens[89] qui accompagnaient le roi comptaient que

celui-ci tournerait sa colère contre les juifs, pillerait la ville et ferait périr le grand-prêtre d'une mort cruelle ; mais les choses tournèrent tout autrement. En effet, dés qu'Alexandre vit de loin cette foule en vêtements blancs, les prêtres en tête, revêtus de leurs robes de lin, le grand-prêtre dans son costume couleur d'hyacinthe et tissé d'or, coiffé de la tiare surmontée de la lame d’or sur laquelle était écrit le nom de Dieu, il s'avança seul, se prosterna devant ce nom, et, le premier, salua le grand-prêtre. Tous les Juifs alors, d'une seule voix, saluèrent Alexandre et l'entourèrent. A cette vue, les rois de Syrie[90] et les autres furent frappés de stupeur et

soupçonnèrent que le roi avait perdu l'esprit ;

Parménion, s'approchant seul d'Alexandre, lui demanda pourquoi, alors que tous s'inclinaient devant lui[91], lui-

même s'inclinait devant le grand-prêtre des Juifs ? « Ce n'est pas devant lui, répondit Alexandre, que je me suis prosterné, mais devant le Dieu dont il a l'honneur d'être le grand prêtre. Un jour, à Dion en Macédoine, j'ai vu en songe cet homme, dans le costume qu'il porte à présent, et comme je réfléchissais comment je m’emparerais de l'Asie, il me conseilla de ne pas tarder et de me mettre en marche avec confiance : lui-même conduirait mon armée et me livrerait l'empire des Perses. Aussi, n'ayant jamais vu personne dans un semblable costume, aujourd'hui que je vois cet homme et que je me rappelle l'apparition et le conseil que j'ai reçu en rêve, je pense que c'est une inspiration divine qui a décidé mon expédition, que je vaincrai donc Darius, briserai la puissance des Perses et mènerai à bien tous les projets que j’ai dans l'esprit ». Après avoir ainsi parlé à Parménion, il serra la main du grand-prêtre et, accompagné des prêtres[92] qui

couraient à ses côtés, il se dirigea avec eux vers la ville. Là, montant au Temple, il offrit un sacrifice à Dieu, suivant les instructions du grand-prêtre, et donna de grandes marques d'honneur au grand-prêtre lui-même et aux prêtres. On lui montra le livre de Daniel, où il était annoncé qu'un Grec viendrait détruire l'empire des

 

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Perses, et le roi, pensant que lui-même était par là désigné, se réjouit fort et renvoya le peuple. Le lendemain, ayant assemblé les Juifs, il les invita à demander les faveurs qu'ils désiraient. Le grand-prêtre demanda pour eux la liberté de vivre suivant les lois de leurs pères et l'exemption d'impôt tous les sept ans : le roi accorda tout. Ils lui demandèrent aussi de permettre aux Juifs de Babylone et de Médie de vivre suivant leurs propres lois, et Alexandre promit volontiers de faire à leur désir. Et comme il disait aux habitants que, si quelques-uns d'entre eux voulaient se joindre à son armée, tout en conservant leurs coutumes nationales et en y conformant leur vie, il était prêt à les emmener, un grand nombre se décidèrent volontiers à faire partie de l'expédition.

6F93]. Alexandre, après avoir ainsi tout réglé à

Jérusalem, marcha contre les villes voisines. Tous ceux chez qui il arrivait l'accueillirent avec des démonstrations d'amitié. Les Samaritains, dont la capitale était alors Sichem, située près du mont Garizim et habitée par les dissidents du peuple juif, voyant qu'Alexandre avait si magnifiquement traité les Juifs, décidèrent de se faire passer eux mêmes pour Juifs. Les Samaritains ont, en effet, le caractère que j'ai déjà décrit plus haut : quand ils voient les Juifs dans le malheur, ils nient être de la même race qu'eux, avouant alors la vérité ; mais quand ils voient que les mêmes Juifs sont favorisés de la fortune, ils se targuent immédiatement d'une parenté avec eux et prétendent être leurs proches, faisant remonter leur origine aux fils de Joseph, Ephraïm et Manassès. En pompe, avec de grandes démonstrations de dévouement pour le roi, ils allèrent donc à sa rencontre presque jusqu'aux portes de Jérusalem. Le roi les ayant loués, les habitants de Sichem s'avancèrent jusqu'à lui, accompagnés des soldats que Sanaballétès lui avait envoyés, et le prièrent d'honorer de sa visite leur ville et leur temple. Alexandre leur promit de le faire à son retour ; mais comme ils le priaient de leur remettre également l'impôt de la septième année, disant qu'eux non plus n'ensemençaient pas alors leurs champs, il demanda en quelle qualité ils lui adressaient cette requête. Sur leur réponse qu'ils

 

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étaient Hébreux, mais que les habitants de Sichem portaient le nom de Sidoniens[94], il leur demanda

ensuite s'ils étaient Juifs. Ils dirent qu'ils ne l'étaient pas. « Je n'ai, dit alors Alexandre, accordé cette grâce qu'aux seuls Juifs. Cependant, à mon retour, quand vous m'aurez plus exactement renseigné sur votre compte, je ferai ce qui me paraîtra bon ». C'est ainsi qu'il congédia les habitants de Sichem. Quant aux soldats de Sanaballétès, il leur ordonna de le suivre en Égypte où il leur donnerait des terres : ce qu'il fit peu après dans la Thébaïde, en leur confiant la garde du pays[95].

7. Après la mort d'Alexandre, son empire fut partagé entre ses successeurs ; le temple du mont Garizim subsista. Et chaque fois qu'à Jérusalem quelqu'un était accusé d'avoir mangé des aliments impurs, ou de n'avoir pas observé le sabbat, ou de quelque méfait semblable, il s'enfuyait chez les habitants de Sichem, en prétendant qu'il avait été chassé injustement. A cette époque le grand-prêtre Jaddous était déjà mort et son fils Onias investi de la grande prêtrise.

Tels furent pendant cette période les événements concernant les habitants de Jérusalem.

[1] La substance de ce chapitre est prise non pas directement dans

Esdras, i, 1-11 et vi, 3-5, mais dans la compilation apocryphe dite troisième livre d'Esdras (ii, 1-14; vi, 24-32), qui ne fait elle-même ici que reproduire, quant aux faits, l'Esdras hébreu. Josèphe a tantôt transcrit, tantôt paraphrasé l'original. Il faut mettre au compte de Josèphe : 1° l'allusion expresse aux prophéties juives qu'il met dans la bouche de Cyrus, 2° la grossière erreur qu'il a commise en contaminant l'édit de Cyrus (Esdras, vi, 3-5) avec la lettre de Darius où elle est insérée ; les §§ 16-17 appartiennent, en réalité, à ce dernier document, et c'est lui, non l'édit de Cyrus, qui est adressé aux satrapes Sisinès (Thatnaï) et Sarabasanès ou plutôt Satrabouzanès (Schathar Boznaï). L'erreur est d'autant plus impardonnable que nous retrouverons plus loin ces deux personnages (§ 89 suiv.) et la lettre

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

même que Darius leur adresse (§ 104 suiv.).

  1. xayÆw (Naber, Laurentianus), non xaÜ xayÆw.
  2. Jérémie, xxv, 11 suiv. ; xxix, 10 suiv.
  3. Deutéro-Isaïe, xliv, 28 ; xlv, 13.
  4. Scheschbassar dans le texte hébreu d'Esdras. C'était le gouverneur perse de la Judée sous Cyrus, confondu à tort avec Zorobabel.

[6] Le trésorier Mithridate est bien un contemporain de Cyrus

(Esdras, i, 8), mais Zorobabel est donné par le texte le plus précis (Esdras, v, 2) comme un contemporain de Darius et nous verrons tout à l'heure Josèphe le considérer comme tel.

  1. Vases à rafraîchir.
  2. On appelait proprement ainsi des coupes en terre noire, du nom

d'un célèbre potier. Ici le mot désigne ce que le texte hébreu (Esdras, i, 10) appelle des « coupes de second ordre ». - Les chiffres dans cette énumération varient selon les manuscrits.

  1. Chiffres imaginaires. - L'artabe, mesure égyptienne, vaut entre 30 et 40 litres. L'artabe perse en vaut 55.
  2. Rien de pareil dans le texte d'Esdras.
  3. Ce chiffre emprunté à Esdras, (ii, 64 = 3e Esdras, v, 41) et à

Néhémie, vii, 66 (le texte hébreu a 42.360) désigne, en réalité, le nombre des exilés revenus avec Josué et Zorobabel, c'est-à-dire sous Darius.

  1. Source : 3e Esdras, iv, 70-71 ; ii, 15-26. Josèphe a suivi cette

compilation comme le prouvent notamment : 1° la mention de la reconstruction du Temple dont il n'est pas question dans l'Esdras hébreu ; 2° celle( § 26) d'un prétendu fonctionnaire Belsemos (Beeltethmos), alors que dans Esdras (iv, 7 et 17)

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

signifie « gouverneur » et désigne Rehoum (Rathymos). Mais tandis qu'Esdras et le compilateur placent les événements sous Artaxerxés, Josèphe, soucieux de l'ordre chronologique, a remplacé ce nom par celui de Cambyse. Il a ajouté également les renseignements authentiques sur la fin de Cyrus et de Cambyse.

  1. La plus grande partie de ce chapitre (sections 2-9) est transcrite

du 3e Esdras, iii et iv, mais Josèphe a altéré peu heureusement le début du récit : dans l'original ce sont les trois jeunes gardes du corps qui, devisant entre eux pendant le sommeil du roi, imaginent un concours de sagesse, inscrivent chacun sur un papier l'objet « le plus puissant » à leur avis et placent leurs bulletins scellés sous l'oreiller du roi. Il semble même que dans la version la plus ancienne de ce conte, il dût y avoir quatre concurrents, car il est peu vraisemblable qu'un seul et même orateur proclame à la fois la supériorité de la femme et celle de la vérité ; ou bien, le § relatif à la vérité a été ajouté après coup. Sur tout ce chapitre, consulter Bûchler, Das apokryphische Esrabuch dans la Monatsschrift für Geschichte und Wissenschaft des Judenthums XLI, (1897), p. 1 suiv.

  1. Ce paragraphe introductif est de Josèphe, mais le détail sur le

vœu de Darius se retrouve dans le 3e Esdras, iv, 43. Pour concilier tant bien que mal ce conte avec le i, 3, Josèphe fait de Zorobabel, contre toute vraisemblance, à la fois le chef des Juifs captifs (!) et le garde du corps de Darius.

  1. Les 127 satrapies (3e Esdras, iii, 2) sont un souvenir du livre

d'Esther (i, 1) et trahissent l'époque assez tardive de ces récits : ce sont les Séleucides qui ont inauguré le système des petites provinces. Dans Daniel, vi, 2 il est question de 120 provinces.

  1. „Rayez‹xon toè YemasÛou (variantes YawmasÛou,

YanmasÛou). Dans le 3e Esdras, iv, 29 Bart‹xou toè Yaumastoè (l'admiré). Josèphe a-t-il eu sous les yeux un exemplaire altéré ?

  1. Vingt talents par an et dix pour les sacrifices d'après le 3e Esdras, iv, 51-52.
  2. 3e Esdras, ch. v, qui lui-même reproduit Esdras, ch. ii.

 

Zone de Texte: [27] Dans les deux Esdras ce ne sont pas les Juifs, mais les satrapes qui proposent au roi de consulter ses archives.Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

  1. muri‹dew tetraxñsiai ¡zhxontaòæo xaÜ ôxtaxis/Þlioi. Ce chiffre

est visiblement absurde (Esdras. ii 64 = 3e Esdras, v, 41, donne 42.360), mais nous n'osons pas le corriger. Ensuite le 3e Esdras donne 4.288 prêtres (les 4.070 lévites de Josèphe ?), 148 hymnodes (Josèphe 128), 139 portiers (Josèphe 110), 372 esclaves sacrés (Josèphe 392), 652 individus contestés (même chiffre chez Josèphe), 7.337 esclaves (même chiffre), 245 chanteurs (d°), 435 chameaux (d°), 5.525 ânes (même chiffre chez Josèphe pour les bêtes de somme). Les 4 chefs nommés par Josèphe se retrouvent dans Esdras (Sereyxåow = Seraya), mais avec d'autres.

  1. 1.000 mines d'or et 5.000 d'argent selon le 3e Esdras, v, 45.
  2. Tout ce chapitre est pris dans le 3e Esdras (v, 47 à vii, 15) à

l'exception de la section 9, qui manque aujourd'hui dans cette compilation. Le 3e Esdras lui-même reproduit en substance Esdras ch. iii : iv, 1-3 ; v et vi. Mais, tandis que le 3e Esdras (à l'exemple de l'Esdras hébreu dont le texte trouble l'a induit en erreur) place le commencement des travaux sous Jésus et Zorobabel, au temps de Cyrus, les interrompt ensuite et reprend le travail sous les mêmes chefs, l’an 2 de Darius, Josèphe a habilement supprimé tout cet épisode qu'il a reconnu pour un doublet.

  1. Dans l'Esdras hébreu (iii, 9) les préposés sont Jésus avec ses fils

et frères, Kadmiel avec ses fils, la famille de Juda (?) et celle de

Henadad. L'Esdras grec (v, 57) est également altéré. [23] Assarhaddon dans les deux Esdras.

  1. Ici se place dans le 3e Esdras (v, 70-1 = Esdras iv, 4-5) l'interruption des travaux, à la requête des Samaritains.
  2. Les portiques « autour de la ville » sont un lapsus de Josèphe.
  3. Cette mention absurde de Zorobabel se trouve dans le 3e Esdras, vi, 18.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

  1. La mention des deux prophètes se trouve dans le 3e Esdras un peu plus haut (vi, 1) et il n'est pas question de la « consternation », des Juifs, ni de leur intervention pour la calmer.
  2. Cette intervention épistolaire des Samaritains est ajoutée par Josèphe.
  3. « Et d'Artaxerxés » ajoutent les deux Esdras. Ici encore Josèphe a fait preuve de sens critique.
  4. Les mots toè ¦ndoyen Ûeroè paraissent être une glose de toè naoè.
  5. 522 selon la correction d'Ernesti, adoptée par Naber.
  6. Section de provenance inconnue, mais qui n'est certainement pas de l'invention de Josèphe.
  7. Nous lisons avec Naber (adnot. crit.) sumdoæloiw au lieu de sundoæloiw.
  8. Les sections 1-5 reproduisent en l'abrégeant le 3e Esdras, viii, 1-ix, 55, qui repose lui-même sur Esdras, vii-x et Néhémie, vii.
  9. L'indication du grand-prêtre manque dans le 3e Esdras. Mais la succession Jésus, Joachim, Eliasib est conforme à Néhémie, xii, 10.
  10. Esdras est de race sacerdotale et appelé prêtre (3e Esdras, viii, 9), même grand-prêtre (ix, 40 et 49), mais nulle part il n'est qualifié comme ici de prÇtow Üereçw toè laoè (yeoè Palatinus).
  11. L'histoire d'Esdras est placée par les sources (Esdras, 3e Esdras)

sous Artaxerxés et non sous Xerxès. Josèphe a préféré, probablement à tort, ce dernier roi parce que dans l'histoire d'Esther (ch. vi) il a identifié Assuérus avec Artaxerxés.

  1. Le texte de Josèphe est sûrement corrompu. La comparaison

avec 3e Esdras, viii, 20 suiv. (Esdras, vii, 21 suiv.) montre que le roi mettait à la disposition d’Esdras 100 talents d'argent, 100 kor de blé, 100 bath de vin et du sel a discrétion.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

  1. Détails ajoutés par Josèphe.
  2. « Au fleuve Théra » dit le 3e Esdras, viii, 41.
  3. La durée du jeûne manque dans les sources.
  4. 100 talents d'or et 20 coupes d'or (3e Esdras, viii, 56-57). En

revanche, les vases d'airain sont au nombre de 12, et non pas du poids du 12 talents.

  1. 96 béliers (3e Esdras, viii, 65).
  2. Sechanya d'après 3e Esdras, viii, 91 (Esdras, x, 2).
  3. Les mss. ont j¡niow (corrigé dans L en jeniow). Il faut lire sans

doute avec Hudson Xasleæw, nom qui a été souvent altéré par les copistes (cf. Ant., xii, 248 et 319).

  1. Nous traduisons au jugé, d'après 3e Esdras, ix, 12-13 (Esdras, x, 14). Le texte de Josèphe est horriblement corrompu.
  2. Le 1er jour du 1er mois de l'année suivante (3e Esdras, ix, 17).
  3. D'après 3e Esdras, ix, 49, ce n'est pas Esdras qui parle ainsi,

mais « Attharat » c'est-à-dire, en réalité, « le Thirschatha » ou « gouverneur » Néhémie.

  1. Ici s'arrête notre texte du 3e Esdras. La fin de la phrase reproduit

en abrégé Néhémie, viii, 12-18 ; le reste du § a été ajouté par Josèphe. Il est possible d'ailleurs qu'il avait sous les yeux un texte plus complet du 3e Esdras.

  1. Les sections 6 à 8 sont un résumé du livre de Néhémie.

Toutefois ce résumé est très libre et contient des détails étrangers à l'original ; aussi a-t-on soupçonné (H. Bloch, Die Quellen des Flavius Josephus in seiner Archeologie, p. 76) que Josèphe a utilisé, non le Néhémie du canon, mais des chapitres aujourd'hui perdu du 3e Esdras, qui auraient paraphrasé ce livre. Josèphe, conséquent avec lui-

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

même, a placé ces événements sous le règne de Xerxès (Artaxerxés selon Néhémie), mais il n'a pas remarqué que la 28e année de Xerxès était une impossibilité, ce prince n'ayant régné que 14 ans (485-472).

  1. xaxÇw Œpergazom¤nvn, texte corrompu. Herwerden insère t n pñlin.

[53] Josèphe précipite les événements. Dans Néhémie, l'entretien

avec les voyageurs juifs a lieu au mois de Kislev (i, 1), la scène devant le roi en Nisan (ii, 1),

  1. Il n'est pas question du Temple dans Néhémie, ni ici ni plus loin.
  2. On ne sait où Josèphe a pris ce nom.
  3. La 20e année selon Néhémie (i, 1 ; ii, 1).
  4. D'après Néhémie, vi, 15, tout aurait été fini en 52 jours, le 25 Eloul.
  5. Néhémie, viii, 18. C'est la même fête qui a été déjà racontée sous Esdras, plus haut v, 5.

[59] Néhémie, x, 37 ; xii, 44. Mais il n'est dit nulle part que les prêtres

et lévites se soient tous établis à Jérusalem : on tira au sort un homme sur dix pour habiter la capitale (Néhémie, xi, 1). – Après avoir rendu aux Juifs... est ajouté par Josèphe.

  1. Ce chapitre résume le livre d'Esther, non pas d'après le texte

hébreu. mais d'après la version grecque, déjà délayée et interpolée, des « Septante » (cf. B. Jakob, Zeitsch. f. Alttest. Wiss., X (1890), p. 262 et 295 suiv.). C'est ainsi qu'on y trouve, comme dans les Septante, le texte intégral de l'édit d'Aman (§ 6) et de celui de Mardochée (§ 12), les prières (abrégées) de Mardochée et d'Esther (§ 8), les détails de l'audience d'Esther (§ 9), tous morceaux que ne renferme pas la Megilla, Josèphe ignore ou supprime le songe de Mardochée et son interprétation, qui, dans les Septante, encadrent tout le récit, ainsi qu'une première conjuration d'eunuques découverte par Mardochée avant l'avènement d'Esther ; en revanche il a ajouté quelques broderies de sa façon. Pour le détail on peut consulter l'édition de Scholz (Vienne, 1892), où l'on trouve sur 4 colonnes

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

l'original hébreu, la version des Septante 1° d'après les mss. ordinaires, 2° d'après la recension dite de Lucien, enfin le texte de Josèphe.

  1. Telle est la leçon de tous les mss., que Gutschmid (suivi par

Naber) corrige en ƒAsæhron, nom que l'Esther hébreu donne au roi. Ici comme dans Esdras (iv, 6) Assuérus désigne d'ailleurs Xerxès, mais Josèphe, ayant raconté d'abord l'histoire d'Esdras et de Néhémie sous Xerxès, a naturellement placé celle d'Esther sous Artaxerxés, comme l'avait fait avant lui le rédacteur de la version grecque d’Esther.

  1. Le texte est sûrement altéré. Esther, i, 8 : « Le roi avait ordonné

à tous les gens de sa maison de se conformer à la volonté de chacun. »

  1. Il est appelé Memuchan dans Esther, i, 14, 16, 21.
  2. D'après le livre d'Esther (ii, 5) Esther et Mardochée habitent déjà

Suse. Esther n'était d'ailleurs pas la nièce de Mardochée, mais sa cousine germaine (i, 7).

  1. Douze mois (Esther, ii, 12).
  2. Le chiffre n'est pas donné dans l’original.
  3. Josèphe a confondu la date de la « rencontre » avec celle du mariage (Esther, ii, 16).
  4. mhø¡na tÇn ÛøÞvn. Peut-être ÛøivtÇn (Chamonard).
  5. Il est appelé Theresch dans Esther, ii, 21 (la confusion provient

de la ressemblance du dalet et du resch), et il n'y est pas question de l'intervention de l'esclave Barnabazos (Pharnabazos, selon Hudson). Josèphe a du avoir sous les yeux le texte hébreu ou un texte des Septante différent du nôtre, qui ne nomme pas les eunuques ici et plus haut les appelle Gabatha et Tharra.

  1. Agaguite, selon l'Esther hébreu, iii, 1. (Agag est un ancien roi amalécite, I Sam., xv)

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

  1. Suivent deux lignes oiseuses et sans doute interpolées d'après le : Le roi siégeait... (vi, 3 plus haut)
  2. eéprepest¡ran t°w t‹xion oðsan, texte corrompu.
  3. Les mss. ont Z‹rasan, G‹zasan, G‹zagan. Elle s'appelle Zeresch dans Esther.
  4. Quelques mss. ont ici et plus loin « soixante ». Esther, v, 14, donne 50.
  5. Cet eunuque est nommé Harbona dans Esther (vii, 9) (Bougay‹n dans les Septante). Plus loin les mss. l'appellent Sa¤ouä‹nhw.
  6. Nous lisons avec Bekker xaÜ oß basilixoÜ (mss. basileÝw xaÜ) grammateÝw. Le mot tæranno; est suspect.
  7. Josèphe a oublié de dire qu'ils avaient été préalablement massacrés par les Juifs (Esther, ix, 10).

[78] frour¡aw ou frouraÛaw dans les mss., pourim en hébreu. Josèphe

s'abstient de toute étymologie, trouvant sans doute contestable celle que donne le livre d'Esther.

  1. Les faits racontés dans cette section ne se trouvent que dans

Josèphe et paraissent suspects. Bagosès semble le même personnage que Bagoas, ministre non d'Artaxerxés II mais d'Artaxerxés III (Ochus),et l'histoire des deux frères ennemis dans le temple ressemble singulièrement à celle d'Onias (= Jean) et de Jason (= Jésus) que nous retrouvons sous Antiochus Epiphane (cf. xii, 5). Willrich (Juden und Griechen, p. 21 et 89) suppose que tout ce récit est pris dans le Pseudo-Hécatée. Il reste vrai que sous Artaxerxés Ochus les Juifs se soulevèrent, et furent en partie déportés en Hyrcanie (Eusèbe, ii, 112, Schône) ; il est possible que la révolte ait été étouffée par Bagoas, dont le nom sera ainsi devenu celui d'un persécuteur légendaire d'Israël. - Pour la succession des grands prêtres Eliasib, Judas (Joyada), Jean (Jonathan), Iaddous (Yaddoua) Josèphe est conforme (orthographe à part) à Néhémie, xii, 10-11 ; il a probablement suivi une Chronique pontificale.

  1. Nous suivons, faute de mieux, le texte de Naber.

 

Flavius Josephe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, XI

  1. Žnhrhñtow (Pt LE), préférable à Žnhrhm¡nou des autres mss.
  2. L'origine de cette section est peut-être Néhémie, xiii, 28 : « Un

des fils de Joyada, fils d'Eliaschib le grand-prêtre, était gendre de Sanballat le Horonite ; je le chassai loin de moi ». Josèphe, ou plutôt le document qu'il a suivi, a rajeuni cet épisode d'un siècle, imaginé le nom du frère anonyme et fait de lui non le fils, mais le petit-fils de Joyada (Judas) ; il a, en outre, transformé le Horonite Sanballat, dont il est souvent question dans Néhémie, en un gouverneur perse de Samarie et lui a donné, contre toute vraisemblance, une fille au nom grec, Nicasô. Bloch (op. cit., p. 160) croit que la section tout entière est empruntée aux « Listes sacerdotales » consultées par Josèphe ; mais cela n'est pas probable.

  1. Sur tout ce chapitre voir A. Büchler, La relation de Josèphe

concernant Alexandre le Grand, Revue des études Juives, XXXVI (1898), p. 1 suiv. L'auteur montre que le récit de Josèphe (§ 1-5) est la contamination de deux relations distinctes, concernant l'une Sanballat et les Samaritains, l'autre Iaddoua et les Juifs, et assez maladroitement enchevêtrées par un compilateur ; Josèphe y a cousu en outre certains renseignements d'origine classique sur les campagnes d’Alexandre. La première relation dérive au moins indirectement d'un écrivain samaritain, qui a voulu glorifier l'origine du temple du Garizim en la rattachant à Alexandre le Grand ; il s'adressait sans doute aux Grecs d'Égypte. La seconde relation, qui est comme la contre-partie de la première, émane d'un Juif qui a voulu, aux yeux du même public, rehausser le prestige du temple de Jérusalem. On est ainsi conduit à rattacher ces deux documents à la polémique, historiquement attestée, entre les Juifs et les Samaritains d'Égypte au sujet de la sainteté de leurs temples respectifs (Ant. XII, 1 ; XIII, 4). La valeur historique de ces deux récits est d'ailleurs égale, c'est-à-dire nulle ; Alexandre n'a jamais mis les pieds à Jérusalem et ce sont ses successeurs seulement qui se sont occupés de Samarie, dont Perdiccas fit une colonie macédonienne. Quant a l'époque de la composition de ces documents, elle ne peut être déterminée avec précision. La mention du livre de Daniel (§ 337) fournit un terminus post quem (168 av. J.-C.). Büchler pense à l'époque de César. En aucun cas on ne saurait descendre avec Willrich jusqu'à la querelle des Juifs et des Samaritains devant Cumanus en 52 ap. J.-C. L'entrée d'Agrippa à Jérusalem sous Hérode (Ant., XVI, 2) aurait servi de modèle à celle d'Alexandre ! - Le récit

 

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de l'entrevue d'Alexandre avec le grand-prêtre des Juifs (ici appelé Siméon le Juste) se retrouve dans l'haggada (scholie de Meguillat Taanit, ch. ix ; Talmud de Babylone, Yoma, 69 a) ; elle y rattache, au mépris de toute chronologie, la destruction du temple des Samaritains. Mais ce détail suffit à prouver que le groupement en un même récit de l'épisode juif et de l'épisode samaritain n'est pas l’œuvre de Josèphe. (Israël Lévi.)

  1. Ces faits ne sont point racontés dans un autre morceau des

Antiquités. Ici comme dans d'autres passages, Josèphe a reproduit par inadvertance une formule empruntée à la source qu'il copie.

  1. On ne voit pas bien en quoi le frère du grand-prêtre « partageait

» sa dignité. Il est vrai que le titre d'Œrxiereæw est pris quelquefois dans un sens large, ou il désigne les membres des familles sacerdotales les plus considérées, celles où se recrutaient les grands-prêtres. Cf. Schürer, II2, 224.

  1. Les mss. ont Sanxyall¡thn, mais pourquoi le grand âge de

Sanballat ferait-il espérer à Manassé d'obtenir bientôt le pontificat ? Nous croyons donc qu'il faut rétablir ici le nom de Jaddous.

  1. Plutôt l'Amanus.
  2. B‹tiw chez Arrien, II, 25, 4 et chez Q. Curce, IV, 6 (Betis).
  3. Schotanus corrige XaldaÛvn en XouyaÛvn mais il faut laisser au narrateur la responsabilité de ses bévues.
  4. Le narrateur a-t-il eu en vue des rois de cités phéniciennes ?
  5. Anachronisme.
  6. „Ier¡vn est la leçon de certains mss.; les autres ont „IoudaÛvn que préfère Niese.

[93] Cette section, comme l'a remarqué Büchler, ne parait pas, sauf la

fin C'est ainsi qu'il congédia..., provenir du même document que le récit sur Sanballat ; elle suppose une situation différente, et témoigne d'un sentiment hostile aux Samaritains.

 

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  1. Cf. Ant. XII, 5,5.
  2. Ce renseignement parait authentique, au moins en ce qui

concerne l'existence de colonies militaires Samaritaines dans le Haute Egypte, analogues à celles des Juifs dans le Delta (un village Samareia existait au Fayoum). Mais leur établissement ne date sûrement que du temps des Ptolémées ; cf. d'ailleurs livre XII, i, 1.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

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JOSEPHE

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LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE 12

I

Querelles successives d’Alexandre. Prise de Jérusalem par Ptolémée Sôter. Captifs et garnisaires juifs en Égypte ; disputes entres Juifs et Samaritains.

1. Alexandre, roi de Macédoine, après avoir brisé l'hégémonie des Perses et réglé de la façon qui a été dite plus haut les affaires de Judée, perdit la vie. Son empire étant tombé aux mains de nombreux successeurs, Antigone devint roi d'Asie, Séleucus de Babylone et des peuples environnants, Lysimaque gouverna l'Hellespont, Cassandre eut la Macédoine, et

Ptolémée, fils de Lagos, reçut l'Egypte. Leurs discordes et leurs ambitions rivales, au sujet du pouvoir, causèrent de continuelles et longues guerres ; les villes en souffrirent et perdirent nombre de leurs habitants dans les combats : ainsi la Syrie tout entière, du fait de Ptolémée, fils de Lagos, alors appelé Sôter (Sauveur), supporta des maux qui démentaient le surnom de son roi. Celui-ci s'empara aussi de Jérusalem par ruse et par surprise : il vint en effet le jour du Sabbat dans la ville comme pour offrir un sacrifice, et sans que les Juifs fissent la moindre opposition, car ils ne le supposaient pas leur ennemi. Profitant de ce que, sans défiance et en raison du jour même, ils étaient inactifs et insouciants, il se rendit facilement maître de la ville et la gouverna durement. Ce récit est confirmé par Agatharchidès de Cnide, qui écrivit l'histoire des diadoques, et qui nous reproche notre superstition, prétendant qu'elle nous a fait perdre notre liberté : « Il y a, dit-il, un peuple appelé le peuple juif, qui, possédant une ville forte et grande, Jérusalem, la vit avec indifférence passer au pouvoir de Ptolémée, pour n'avoir pas voulu prendre les armes, et souffrit, grâce à une intempestive superstition, un

 

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maître rigoureux[1] ». Voilà ce qu'Agatharchidès a déclaré au sujet de notre

peuple. Ptolémée fit de nombreux prisonniers dans la partie montagneuse de la Judée, dans les environs de Jérusalem, sur le territoire de Samarie et près du Garizim, et les emmena tous pour les établir en Égypte. Puis ayant appris, par leur réponse aux envoyés d'Alexandre après la défaite de Darius, que les gens de Jérusalem étaient les plus sûrs observateurs de la foi jurée et les plus fidèles, il en répartit un grand nombre dans les garnisons, leur donna à Alexandrie le même droit de cité qu'aux Macédoniens, et leur fit jurer de garder leur foi aux descendants de celui qui s'était fié à eux. Beaucoup d'autres Juifs allèrent s'établir en Égypte, tant à cause des avantages du pays qu'attirés par la bienveillance de Ptolémée[2]. Leurs

descendants eurent cependant des démêlés avec les Samaritains, parce qu’ils voulaient conserver leurs coutumes nationales ; il y eut entre eux des guerres, ceux de Jérusalem assurant que le Temple qui était chez eux était saint et qu'on devait y envoyer faire les sacrifices, les Samaritains prétendant au contraire qu'il fallait aller au mont Garizim.

II[3]

1. Ptolémée Philadelphe, sur le conseil de Démétrius de Phalère, désire se procurer pour sa bibliothèque les livres des Juifs. - 2. Aristée exhorte le roi à délivrer les prisonniers juifs. - 3. Décret conforme du roi. – 4. Rapport de Démétrius au roi. – 5. Message du roi au grand-prêtre Eléazar. - 6. Réponse du grand-prêtre. - 7. Envoi des soixante-dix interprètes de la Loi. -8-10. Présents de Ptolémée au temple de Jérusalem. - 11. Réception des interprètes à Alexandrie. - 12. Banquet des Septante. - 13. Traduction de la Loi. - 14. Pourquoi les anciens auteurs grecs n'ont pas parlé de la Bible. - 15. Renvoi des Septante.

1. Alexandre avait régné douze ans ; après lui, Ptolémée Sôter en régna quarante et un. Le royaume d'Egypte passa ensuite au Philadelphe qui le conserva trente-neuf ans. Ce roi fit traduire la loi et délivra de leur captivité ceux des habitants de Jérusalem qui étaient prisonniers en Égypte, au nombre d'environ cent vingt mille. Voici la cause de cette mesure. Démétrius de Phalère, qui était conservateur des bibliothèques royales, essayait, s'il était possible, de rassembler tous les livres de la terre ; dès qu'il entendait signaler ou voyait[4] quelque part un ouvrage intéressant, il

l'achetait, secondant ainsi les intentions du roi, qui montrait beaucoup de zèle pour collectionner les livres. Un jour que Ptolémée lui demandait combien de volumes il avait déjà réunis, Démétrius répondit qu'il y en avait environ deux cent mille, mais que bientôt il en aurait rassemblé cinq cent mille. Il ajouta qu'on lui avait signalé chez les Juifs de nombreux recueils de leurs lois, intéressants et dignes de la bibliothèque royale ; mais que ces ouvrages, écrits avec les caractères et dans la langue de ce peuple, donneraient beaucoup de peine pour être traduits en grec. Car leurs lettres,

 

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au premier abord, ressemblent aux caractères des Syriens et les sons de leur langue à ceux de ce peuple, mais en réalité il s'agit d'une langue bien distincte. Il n'y avait pourtant aucune difficulté à se procurer pour la bibliothèque la traduction des livres des Juifs, pourvu que le roi fît les frais nécessaires. Le roi trouva que Démétrius lui donnait une excellente idée pour satisfaire son désir de rassembler le plus grand nombre de livres possible, et écrivit à cet effet au grand-prêtre des Juifs.

  1. Il y avait alors parmi les meilleurs amis du roi un certain Aristée, que Ptolémée aimait à cause de sa modestie, et qui avait déjà souvent projeté de demander au roi la mise en liberté de tous les Juifs captifs dans son royaume ; il jugea alors le moment favorable pour renouveler sa prière, et en parla tout d'abord aux commandants des gardes du corps, Sosibios de Tarente et Andréas, leur demandant de joindre leurs instances à celles qu'il allait faire au roi sur ce sujet. Après avoir pris leur avis, Aristée se rendit auprès du roi et lui parla en ces termes : « Il ne faut pas, ô roi, que nous vivions dans l'erreur sans nous soucier d'en sortir : nous devons au contraire chercher à connaître la vérité. Or nous avons décidé, pour te plaire, non seulement de faire transcrire, mais encore de faire traduire les lois des Juifs ; mais de quel droit le ferions-nous quand nombre de Juifs sont esclaves dans ton royaume ? N'écoutant que ta générosité et ta bienveillance, mets fin à leur misère, puisque le Dieu qui leur a donné leurs lois t'a donné en partage ton royaume, comme je l'ai appris par de sérieuses recherches : car eux et nous adorons le Dieu qui a tout créé, et nous l'appelons proprement Zên, tirant son nom de ce fait qu'il donne la vie (tò z¸n) à tous les êtres. Aussi, en l'honneur de ce Dieu, restitue à ceux qui lui rendent un culte particulier leur patrie et la vie particulière qu'ils y mènent, biens dont les voilà privés. Sache cependant, ô roi, que si je t'adresse cette prière pour eux, ce n'est pas que des liens de race ou de nation m’unissent à ce peuple ; c'est parce que tous les hommes sont l’œuvre de Dieu, c'est parce que je sais que ceux qui font le bien lui sont agréables, que je te fais cette requête. »
  2. Ainsi parla Aristée ; le roi le regarda d'un visage souriant et enjoué : « Combien, dit-il, penses-tu qu'il y ait de prisonniers à délivrer ? » Andréas, qui se trouvait là, prit la parole et dit qu'il y en aurait un peu plus de cent dix mille[5]. « Trouves-tu, Aristée, dit le roi, que tu nous demandes là peu de

chose ? » Sosibios et ceux qui étaient là répondirent alors qu'il était digne de sa générosité de témoigner ainsi sa reconnaissance au Dieu qui lui avait donné son royaume ; et le roi, se laissant persuader par eux, leur donna l'ordre, quand ils distribueraient la solde aux soldats, d'y ajouter cent vingt drachmes[6] pour prix de chacun des prisonniers qu'ils détenaient. Quant

aux mesures qu’ils le priaient de prendre, il promit de promulguer un décret comportant des dispositions libérales et conformes au désir d'Aristée, et, avant tout, à la volonté de Dieu, à laquelle, disait-il, il obéirait en délivrant

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

non seulement ceux qui avaient été amenés par son père et par sa propre expédition, mais encore ceux qui se trouvaient auparavant déjà dans le royaume, et ceux qui pouvaient avoir été amenés depuis. Comme on lui disait que le rachat des captifs coûterait plus de quatre cents talents, il les accorda et l'on résolut[7] de conserver la copie du décret, pour bien montrer

la générosité du roi. Le voici : « Que tous ceux qui ont accompagné mon père dans ses expéditions de Syrie et de Phénicie, et qui après avoir ravagé la Judée en ont ramené des prisonniers dans nos villes et notre pays, et les ont vendus, pareillement les détenteurs de prisonniers juifs qui se trouvaient antérieurement à ces faits dans le royaume ou qui ont pu y être amenés postérieurement, rendent la liberté à ceux qu'ils possèdent, moyennant une rançon de cent vingt drachmes que les soldats toucheront avec leurs vivres, les autres au trésor royal. Car je pense que c'est contre les intentions de mon père et contre toute justice que ces hommes ont été faits prisonniers, que leur pays a été dévasté par l'arrogance des soldats, et que ceux-ci, en les amenant en Égypte, en ont tiré grand profit[8]. Considérant donc la justice

et prenant pitié de ces hommes réduits en servitude contre tout droit, j'ordonne de remettre en liberté les Juifs esclaves, contre paiement à leurs maîtres de la somme fixée plus haut ; que personne ne fasse de chicane à ce sujet, que tous obéissent à l'ordre donné. Et je veux que chacun, dans les trois jours qui suivront cette ordonnance, fasse devant les autorités la déclaration des esclaves qu'il détient et les produise en personne ; car je juge cette mesure utile à mes intérêts. Ceux qui n'exécuteront pas ce décret, pourront être dénoncés par qui voudra ; et je veux que leurs biens soient confisqués au profil du trésor royal ». Cette ordonnance fut soumise au roi elle était parfaite de tous points, mais il y manquait une mention expresse des Juifs amenés antérieurement et postérieurement aux expéditions[9] ; le

roi lui-même étendit généreusement jusqu'à eux les bénéfices de cette mesure, et, pour accélérer la distribution des indemnités[10], il ordonna de

répartir le travail entre les agents du gouvernement et les banquiers royaux. Ainsi fut fait, et en sept jours en tout les ordres du roi furent entièrement exécutés. Les rançons coûtèrent quatre cent soixante talents[11] : car les

maîtres se firent aussi payer pour les enfants les cent vingt drachmes par tête, sous le prétexte que le roi les avait désignés également en prescrivant qu'on percevrait « par tête d'esclave » la somme fixée.

4. Quand tous ces ordres eurent été exécutés, suivant la généreuse volonté du roi, celui-ci chargea Démétrius de publier aussi le décret concernant la copie des livres des Juifs car ces rois ne laissaient au hasard rien de leur gouvernement et tout était l'objet de soins minutieux. On a donc consigné[12] la copie du rapport et des lettres, la liste des présents envoyés,

le détail des ornements de chacun d'eux, afin que l'habileté de chaque ouvrier put être exactement appréciée par ceux qui le liront, et que leur admirable exécution rendît célèbre chacun des auteurs[13]. Voici la copie

du rapport : « Au grand Roi de la part de Démétrius. Sur ton ordre, ô roi, me

 

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chargeant de réunir tous les ouvrages qui manquent encore pour compléter ta bibliothèque, et de réparer avec soin ceux qui sont mutilés, je me suis activement occupé de cette tâche ; et je t'informe qu'entre autres, les livres contenant les lois des Juifs nous manquent. Ecrits en caractères hébreux et dans la langue de ce peuple, ils sont incompréhensibles pour nous. En outre, ils ont été transcrits avec moins de soin qu’ils ne méritent parce qu'ils n'ont pas encore bénéficié de la sollicitude royale. Il est cependant nécessaire que Ces livres se trouvent chez toi, dans des exemplaires corrects : car la législation qu'ils contiennent est sage et pure, puisqu’elle vient de Dieu. Aussi Hécatée d'Abdère dit-il que ni les poètes ni les historiens n'en ont fait mention, non plus que des hommes qui se gouvernent d'après ses préceptes, parce qu'elle est sainte et ne doit pas être expliquée par des bouches profanes[14]. Si donc tu le juges bon, ô roi, tu écriras au grand prêtre des

Juifs pour qu'il t'envoie six anciens de chaque tribu, ceux qui connaissent le mieux ces lois ; afin que, ayant obtenu d'eux le sens clair et concordant et une traduction exacte de leurs livres, nous arrivions avec leur concours à un résultat digne du sujet et de ton dessein. »

5. A la suite de ce rapport, le roi fit écrire au grand-prêtre Eléazar à ce sujet, l'avisa en même temps du renvoi des Juifs esclaves en Égypte, et lui envoya un poids d'or de cinquante talents pour la confection de cratères, de phiales, de vases à libation[15], ainsi qu'une prodigieuse quantité de pierres

précieuses. Il ordonna de plus à ceux qui avaient la garde des coffrets où se trouvaient ces pierres, de laisser les artistes choisir eux-mêmes les espèces qu'ils voudraient. Et il fit remettre au Temple, pour les sacrifices et les autres besoins, une somme de près de cent talents en numéraire. Je parlerai des oeuvres d'art qui furent faites et de la façon dont elles furent exécutées, quand j'aurai donné le texte de la lettre écrite au grand-prêtre Eléazar. Celui-ci avait pris la grande-prêtrise dans les conditions suivantes. A la mort du grand-prêtre Onias, son fils Simon lui succéda, qui fut surnommé le Juste à cause de sa piété envers Dieu et de sa bonté envers ses compatriotes. Simon étant mort ne laissant qu'un fils encore enfant nommé Onias, son frère Eléazar, celui-là même dont il est ici question, obtint la grande-prêtrise[16].

C'est à lui que Ptolémée écrivit en ces termes : « Le roi Ptolémée au grand-prêtre Éléazar, salut. De nombreux Juifs habitaient le royaume, amenés comme prisonniers par les Perses, du temps de leur domination; mon père les traita avec égards, plaça les uns dans son armée avec une haute solde, confia à d'autres, venus avec lui en Égypte, les places fortes, avec mission de les garder, pour inspirer la crainte aux Egyptiens. Quand j'ai pris moi-même le pouvoir, j'ai traité tout le monde avec humanité, et en particulier tes concitoyens ; j'en rendis a la liberté plus de cent mille retenus prisonniers, en payant sur mon propre trésor leur rançon à leurs maîtres. Ceux qui étaient à la fleur de l'âge, je les ai inscrits sur les rôles de mon armée ; j'ai attaché à ma personne et à ma cour quelques-uns d'entre eux, dont la fidélité me paraissait éprouvée, car j'ai pensé que c'était là une

 

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offrande agréable à Dieu et magnifique entre toutes, en retour de sa bienveillance pour moi. Voulant de plus être agréable à ces hommes et à tous les Juifs de la terre, j'ai décidé de faire traduire vos lois et de les placer dans ma bibliothèque, transcrites des caractères hébreux en caractères grecs. Tu feras donc bien de choisir dans chaque tribu six hommes sages et déjà âgés, qui, grâce à leur expérience, connaissent bien vos lois et soient capables d'en donner l'exacte interprétation ; car je crois que lorsqu'ils auront terminé, cette oeuvre, nous en retirerons la plus grande gloire. Je t'envoie pour traiter de ces choses Andréas, chef de ma garde, et Aristée, que je tiens tous deux en haute estime ; je les charge de porter des prémices d'offrandes au Temple, et, en vue de sacrifices et autres usages, cent talents d'argent. Quant à toi, en réponse, tu nous feras plaisir de nous informer de tes désirs. »

  1. Lorsqu'il eut reçu la lettre du roi, Eléazar y fit une réponse pleine d'empressement : « Le grand- prêtre Eléazar au roi Ptolémée, salut. Puisque toi, la reine Arsinoé et les enfants êtes en bonne santé, tout est bien pour nous. En recevant ta lettre, nous avons ressenti une grande joie de ton dessein ; ayant alors réuni le peuple, nous lui en avons donné connaissance et nous lui avons rendu manifeste ta piété envers Dieu. Nous lui avons aussi montré les vingt phiales d'or et les trente d'argent, les cinq cratères et la table à offrandes que tu as envoyés et les cent talents destinés à offrir des sacrifices et à subvenir à tous les besoins du Temple, qu'ont apportés Andréas et Aristée, les plus estimés de tes amis, hommes excellents, d'une instruction supérieure, et dignes de La haute valeur. Sache que de notre côté nous ferons tout ce qui peut t'être utile, dût-il dépasser l'ordre naturel des choses ; car nous te devons beaucoup, en retour des bienfaits de toutes sortes que tu as dispensés à nos concitoyens. Nous avons donc offert immédiatement des sacrifices pour toi, pour ta sœur, pour tes enfants et tes amis, et le peuple a fait des vœux pour que tes affaires marchent à ton gré, que la paix règne dans ton royaume, et que la traduction de nos lois ait pour toi le bon résultat que tu souhaites. Nous avons choisi dans chaque tribu six hommes déjà âgés, et nous les envoyons porteurs de la loi. Nous comptons sur ta piété et ta justice pour que, la loi une fois traduite, tu nous la renvoies avec ceux qui te l'apportent, en veillant à leur sûreté. Adieu. »
  2. Telle fut la réponse du grand-prêtre. Je ne crois pas nécessaire de donner les noms des soixante-dix[17] anciens envoyés par Eléazar, qui apportèrent

la loi, bien qu'ils fussent énumérés à la fin de la lettre. Mais il n'est pas inutile, je pense, de décrire les riches et admirables présents envoyés à Dieu par le roi, afin que tous connaissent le zèle du roi envers Dieu : car il dépensa sans compter, et sans cesse auprès des artistes, inspectant leur ouvrage, il ne souffrit dans l'exécution ni négligence ni mollesse. Bien que mon récit ne demande peut-être pas cette description, je passerai cependant toutes ces oeuvres en revue, décrivant, dans la mesure de mes forces, leur

 

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magnificence ; j'espère ainsi faire comprendre à mes lecteurs le goût et la générosité du roi.

  1. Je commencerai par la table. Le roi songea d'abord à la faire colossale ; il fit prendre la dimension de celle qui était à Jérusalem, et demanda si l'on pouvait en fabriquer une plus grande. Quand il sut comment était celle qui se trouvait dans le Temple, et que rien n'empêchait d'en faire une plus grande, il déclara qu'il en aurait volontiers fait faire une de dimensions quintuples, mais qu'il craignait qu'elle ne fût inutilisable pour le culte à cause de ses proportions exagérées : or il désirait faire des présents, non seulement dignes d'être admirés, mais d'un bon service dans les cérémonies. Considérant donc que c'était pour cette raison, et non par économie d'or, qu'on avait donné à l'ancienne table une proportion médiocre, il décida de ne pas surpasser en grandeur celle qui existait déjà, mais il voulut que la nouvelle l'emportât par le décor et la beauté des matériaux. Comme il avait l'esprit prompt à saisir la nature de toutes choses et capable de deviser des oeuvres neuves et originales, il inventa lui-même, avec beaucoup d'ingéniosité, et fournit aux artistes, pour toutes les parties non décrites (dans la Bible)[18], des modèles qu'il les chargea d'exécuter ; quant aux

parties dont on avait la description, il leur ordonna de se conformer rigoureusement aux indications du texte et de faire une copie exacte.

  1. Les ouvriers chargés de confectionner la table, qui mesurait deux coudées et demie de long, une de large[19] et une et demie de haut, firent en or

massif tout le gros de l’œuvre. Elle était couronnée d'une corniche large d'une palme, ornée d'une cymaise entrelacée, dont le relief en forme de corde était ciselé merveilleusement sur les trois faces à l'imitation de la nature. La table étant, en effet, triangulaire, on reproduisit sur les trois côtés la même disposition, afin que, en quelque sens qu'on la tournât, elle présentât toujours un seul et même aspect. Pour la corniche, la partie tournée vers la table reçut une exécution soignée, mais la face externe l'emportait de beaucoup par la beauté et le fini du travail, car c'était la partie exposée au regard et à l'attention. C'est pourquoi aussi l'arête des deux versants (de la corniche) était à angle vif[20], et qu'aucun des angles, qui

étaient au nombre de trois, comme nous l'avons dit, ne paraissait, si l'on déplaçait la table, plus petit que les autres[21]. Dans les entrelacs de la

corde ciselée étaient enchâssées symétriquement des pierres précieuses, fixées par des agrafes d'or qui les traversaient. Les rampes de la corniche, exposées au regard, reçurent une décoration d'oves faites de pierres de toute beauté, assez semblables dans leur relief à une ligne de rais serrés, et qui faisaient le tour de la table. Au dessous de cette rangée d'oves, les artistes ciselèrent une guirlande de fruits de toutes sortes : grappes de raisins pendantes, épis dressés, grenades fermées. Les pierres furent assemblées suivant les différentes espèces de fruits que nous avons cités, de façon à en reproduire la couleur naturelle, et fixées dans l'or tout autour de la table. Au

 

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dessous de cette guirlande, on fit une nouvelle rangée d'oves et de rais en relief ; la table, dans les deux sens[22], présentait ainsi à la vue la même

variété et le même fini de travail ; fût-elle retournée, ni la disposition de la cymaise ni celle de la corniche ne changeaient. Jusqu'aux pieds l'exécution était également soignée : on disposa, en effet, une lame d'or, de quatre doigts d'épaisseur, sur toute la largeur de la table ; on y inséra les pieds, qui furent ensuite fixés vers la corniche, par des clous et des attaches, de façon que, dans quelque sens qu'on plaça la table, la nouveauté et la richesse du travail parussent les mêmes. Sur le plateau, on sculpta un méandre, dans le milieu duquel furent enchâssées des pierres admirables, brillantes comme des astres, de différentes espèces, telles que des escarboucles et des émeraudes, qui frappent, entre toutes, l’œil par leur éclat, et d'autres pierreries de toutes sortes, races et universellement recherchées pour leur valeur. Autour du méandre, était ciselée une tresse enfermant des espaces libres en forme de losanges, incrustés de morceaux de cristal de roche et d'ambre, dont le rapprochement en dessin régulier était pour l’œil un véritable enchantement. Les pieds avaient des chapiteaux en forme de lis dont les feuilles étaient repliées sous la table, tandis que la floraison interne surgissait toute droite. Ils reposaient chacun sur une base d'escarboucle, de la hauteur d'une palme, large de huit doigts, en forme de stylobate, qui supportait toute la charge du pied. Chacun des pieds reçut une fine et délicate décoration en relief représentant du lierre et des sarments de vigne portant leurs grappes, imités avec une étonnante vérité les feuilles étaient si légères et si effilées qu'elles tremblaient au souffle du vent et donnaient l'illusion de la réalité plutôt que l'impression d'une oeuvre d'art. Les artistes s'ingénièrent à donner à l'ensemble de la table l'aspect d'un triptyque, et la liaison des différentes parties entre elles était si admirablement faite, qu'il était impossible de voir, et même de soupçonner les joints. Le plateau de la table n'avait pas moins d’une demi-coudée d'épaisseur. Telle était cette offrande, témoignage de la libéralité du roi, oeuvre remarquable par la

richesse     de la matière, la variété de l'ornementation, l'exactitude de
l'imitation qu'apportèrent les artistes dans la ciselure ; le roi avait mis ses soins à ce que, tout en reproduisant par ses dimensions la table consacrée auparavant à Dieu, elle fût, par l'art, la nouveauté et la beauté du travail, de beaucoup supérieure et digne de l'admiration générale.

10. Parmi les cratères, il y en avait deux en or, ornés de la base à la ceinture d'imbrications ciselées ; entre les écailles étaient serties des pierres variées, au dessus était un méandre haut d'une coudée[23], et fait d'un assemblage

de pierres de toutes sortes, puis une rangée de rais, surmontée elle-même d'un lacs de losanges, semblables aux mailles d'un filet, et couvrant le vase jusqu'à l'orifice. Les intervalles furent remplis de très belles pierres de quatre doigts en forme de cabochons. Tout autour des bords du cratère étaient des enroulements de tiges et de fleurs de lis, des sarments de vigne disposés en cercle. Telle était la structure des deux cratères d'or, dont

 

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chacun avait la capacité d'une amphore. Les cratères d'argent avaient beaucoup plus d'éclat que des miroirs, l'image de ceux qui s'en approchaient s'y réfléchissait plus nettement. Le roi fit encore faire trente phiales où toutes les parties d'or qui n'étaient pas ornées de pierres précieuses reçurent une décoration de guirlandes de lierre et de feuilles de vignes ciselées. Voilà les oeuvres qui furent exécutées et dont la perfection était due sans doute à l'habileté des artistes admirables qui en furent les auteurs, mais bien plus encore au goût et à la générosité du roi. Car non seulement il donna aux ouvriers sans compter et libéralement tout l'argent nécessaire, mais encore, négligeant le soin des affaires publiques, il était souvent auprès d'eux et surveilla toute l'exécution : ce qui fut cause du soin qu'y apportèrent les artistes, car voyant l'intérêt qu'y prenait le roi, ils mirent à leur ouvrage un bien plus grand zèle.

11[24]. Telles furent les offrandes envoyées à Jérusalem par Ptolémée. Le

grand-prêtre Éléazar les consacra dans le Temple, puis, après avoir comblé d'honneurs ceux qui les avaient apportées et les avoir chargés de présents pour le roi, il les renvoya. Quand ils furent revenus à Alexandrie, Ptolémée, ayant appris leur retour et l'arrivée des soixante-dix anciens, fit appeler ses envoyés Andréas et Aristée. Ceux-ci vinrent aussitôt, lui remirent les lettres qu'ils lui apportaient de la part du grand-prêtre et répondirent de vive voix à toutes ses questions[25]. Dans sa hâte de voir les vieillards venus de

Jérusalem pour interpréter la loi, il fit renvoyer tous ceux qui se trouvaient là pour affaires de service, chose de sa part extraordinaire et inusitée ; car ceux qu'amenaient des motifs de ce genre étaient d’ordinaire reçus dans les cinq jours, et les ambassadeurs dans le mois. Ayant donc congédié tous ceux qui avaient affaire à lui, il attendit les envoyés d'Éléazar. Quand les vieillards eurent été introduits, avec les présents que le grand-prêtre les avait chargés de porter au roi, et les membranes sur lesquelles la loi était écrite en lettres d'or, il les interrogea sur leurs livres. Et lorsqu'ils les eurent sortis de leurs étuis et les lui eurent montrés, le roi admira combien les membranes étaient minces et les coutures invisibles (tant était parfait le mode d'assemblage des feuilles). Après les avoir longtemps contemplées, il leur dit qu'il les remerciait d'être venus, plus encore Eléazar qui les avait envoyés, et par dessus tout Dieu, dont ces livres contenaient la loi. Et comme les vieillards et les assistants s'écrièrent tout d'une voix qu'ils souhaitaient au roi toutes sortes de prospérités, l'excès de bonheur lui fit verser des larmes, signe naturel des grandes joies comme des grandes douleurs. Puis il commanda qu'on remît les livres à ceux qui en avaient la garde[26], embrassa les envoyés et leur dit qu'il avait cru juste de les

entretenir d'abord de l'objet de leur mission ; ensuite, de les saluer eux-mêmes. Il ordonna que ce jour où il les avait reçus fût célébré et marqué entre tous dans l'année pour tout le reste de sa vie car il se trouva que c'était l'anniversaire même de celui où il avait battu Antigone dans un combat naval[27]. Il les fit manger avec lui et recommanda qu'on leur donnât les

 

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meilleurs logements près de la citadelle.

  1. L'officier chargé de recevoir les étrangers[28], Nicanor, appela

Dorothéos, l'intendant de ce service, et lui commanda de préparer pour chacun des envoyés tout ce qui était nécessaire à sa subsistance. Voici quel était le système adopté par le roi. Pour les envoyés de chaque ville, ayant un régime de vie spécial, il y avait un fonctionnaire chargé de s'en

occuper[29] ; à leur arrivée il leur fournissait, suivant leurs coutumes, tout

ce qu'il fallait pour que, bien traités, vivant de leur genre de vie ordinaire, ils fussent plus à leur aise, et n'eussent aucun ennui provenant d'un changement d'habitudes. C'est ce qui fut fait pour les envoyés d'Eléazar ; Dorothéos, maître d'hôtel fort exact, avait été préposé à cette tâche. Il régla tout ce qu'il fallait pour des réceptions de ce genre[30] et prépara pour eux

deux rangées de places à table, comme l'avait ordonné le roi : celui-ci, en effet, voulant leur prodiguer tous les honneurs, fit placer la moitié d'entre eux à côté de lui, les autres à une table placée derrière la sienne. Après qu'ils eurent pris place, il ordonna à Dorothéos de les servir suivant les habitudes de tous ceux qui lui arrivaient de Judée. C'est pourquoi il congédia les hérauts sacrés, les sacrificateurs et tous ceux qui disaient d'ordinaire les prières, et comme parmi les envoyés se trouvait un prêtre, nommé Elisée[31], le roi le pria de faire les prières. Elisée, debout au milieu

de tous, pria pour la prospérité du roi et de ses sujets ; puis tous avec joie poussèrent une bruyante acclamation ; après quoi ils ne songèrent plus qu'à festoyer et à manger les mets préparés pour eux. Le roi, après un intervalle qu'il jugea suffisamment long, se mit à causer philosophie et posa à chacun quelque question sur un problème naturel ; et comme les convives donnaient des explications claires et précises sur tout sujet qui leur était proposé[32], le roi, enchanté, prolongea le festin pendant douze jours ; si

l'on veut savoir en détail ce qui fut dit dans ce banquet, on peut se renseigner dans le liste qu'Aristée écrivit à ce sujet[33].

  1. Le roi les admira fort, et le philosophe Ménédémos lui-même dit que la Providence gouvernait tout, ce qui expliquait l'éloquence et la beauté de leurs discours. Puis ils cessèrent de les interroger. Le roi déclara que leur présence seule lui avait fait déjà le plus grand bien, puisqu'il avait appris d'eux comment il fallait régner ; puis il commanda de leur donner à chacun trois talents, et de les conduire à leurs logements pour les faire reposer[34].

Au bout de trois jours, Démétrius les emmena, leur fit traverser la jetée de sept stades, passa le pont, puis remonta au nord, et les réunit dans une maison bâtie au bord de la mer, et dont la solitude était bien propre à l'étude. Quand il les eut amenés là, il les pria, comme ils étaient pourvus de tout ce dont ils avaient besoin pour traduire la loi, de procéder sans relâche à cette besogne. Ils mirent toute leur attention et tout leur zèle à la traduction de la loi. Ils s'en occupaient jusqu’à la neuvième heure ; puis ils la laissaient pour s'occuper des soins du corps : tout le nécessaire leur était

 

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abondamment fourni, et Dorothéos leur donnait de plus beaucoup de choses préparées pour le roi, par ordre de celui-ci. Le matin, ils venaient à la cour saluer Ptolémée, puis retournaient au même endroit, et, après s'être lavé les mains dans la mer et avoir fait leurs ablutions, ils se remettaient à la traduction de la loi.

Quand la loi fut traduite et le travail de traduction terminé, ce qui dura soixante-douze jours, Démétrius rassembla tous les Juifs dans le lieu où les lois avaient été traduites, et, en présence également des interprètes, donna lecture de celles-ci. La multitude applaudit les vieillards qui avaient traduit la loi, et loua l’idée qu'avait eue Démétrius à qui ils étaient redevables ainsi de grands biens ; elle demanda qu'on donnât aussi la loi à lire à ses chefs. Et le prêtre[35], les anciens[36] et les chefs de la communauté, trouvant que la

traduction était parfaite, demandèrent qu'elle restât telle, sans que rien y fût changé. Tous furent de cet avis, et l'on décida que si jamais quelqu'un découvrait quelque passage ajouté ou retranché à la loi, après nouvel examen et démonstration faite, il le corrigerait ; sage mesure, grâce à laquelle ce qui aurait été une fois jugé bon serait maintenu pour toujours[37].

  1. Le roi se réjouit vivement de la réalisation et des bons résultats de son projet. Mais quand les lois lui eurent été lues, sa satisfaction grandit de toute son admiration pour l'intelligence et la sagesse du législateur ; et il se mit à demander à Démétrius comment il se faisait qu'aucun des historiens ou des poètes n'avait parlé de ces lois si admirables. Démétrius répondit que personne n'avait osé en aborder la description à cause de leur origine divine et de leur sainteté, et que quelques-uns pour l'avoir tenté avaient été frappés par Dieu. Il cita Théopompe, qui, ayant voulu en parler, avait eu l'esprit troublé pendant plus de trente jours, puis avait apaisé Dieu pendant ses intervalles de lucidité, jugeant bien que c'était là l'auteur de sa folie ; il fut averti, d'ailleurs, en songe que ce malheur lui était arrivé parce qu'il avait touché à des choses divines et voulu les mettre à la portée du vulgaire ; quand il renonça à son projet, il reprit tout son bon sens. Démétrius dit encore au roi que l'on rapportait du poète tragique Théodecte qu'ayant voulu dans un de ses drames mentionner quelques paroles des livres saints, il avait été atteint de glaucome aux yeux et qu'après avoir reconnu la cause de ce mal, il en avait été délivré, une fois Dieu apaisé.
  2. Le roi instruit de ces faits par Démétrius, comme on vient de le raconter, vénéra profondément ces livres et ordonna qu'on en prit le plus grand soin afin qu'ils demeurassent intacts. Il invita les traducteurs à revenir souvent de Judée pour le voir : leur visite leur serait profitable, tant pour les honneurs que pour les présents qu'elle leur rapporterait de sa part[38]. Il lui paraissait,

en effet, juste, pour le moment, de leur rendre leur liberté, mais s'ils revenaient d'eux-mêmes, ils trouveraient un accueil aussi empressé que le

 

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méritait leur sagesse et que sa propre générosité serait capable de le leur faire. Il les congédia donc après avoir donné à chacun trois très beaux vêtements, deux talents d'or, une coupe d'un talent et la couverture de leur lit de banquet. Tels furent les présents qu'ils reçurent de lui. Au grand-prêtre Éléazar il envoya par leur entremise dix lits à pieds d'argent avec leur garniture, une coupe de trente talents, et de plus dix vêtements, une robe de pourpre, une riche couronne, cent pièces de toile de lin, et enfin des phiales, des plats, des vases à libation et deux cratères d'or destinés à être déposés dans le Temple. Il le pria par lettre, si quelques-uns des envoyés voulaient revenir le voir, de les y autoriser, car il attachait le plus grand prix au commerce des hommes instruits, et se trouvait heureux de dispenser ses dons à de tels personnages. Tels furent les honneurs et la gloire que reçurent les Juifs de Ptolémée Philadelphe.

III[39]

  1. Séleucus Ier. Privilèges des Juifs d'Antioche, maintenus par Vespasien. -
  2. Antiochus II. Les Juifs d'Ionie et Agrippa. – 3-4. Antiochus III conquiert la Palestine. Ses rescrits favorables aux Juifs.

1. Ils reçurent aussi des marques d'honneur des rois d'Asie, en récompense du concours qu'ils leur prêtèrent à la guerre. Séleucus Nicator, dans les villes qu'il fonda en Asie et dans la basse Syrie, et dans sa capitale même d’Antioche, leur donna droit de cité ; il les déclara égaux en droits aux Macédoniens et aux Grecs établis dans ces villes, et ce régime dure encore. En voici la preuve : comme les Juifs ne veulent pas employer d'huile étrangère, ils touchent des gymnasiarques une certaine somme déterminée pour acheter de l'huile. Ce privilège, dont l'abolition fut demandée par le peuple d'Antioche dans la dernière guerre, leur fut conservé par Mucien, qui gouvernait alors la Syrie[40]. Puis, quand Vespasien et son fils Titus furent

devenus les maîtres du monde, les habitants d'Antioche et d'Alexandrie ne purent obtenir, malgré leurs démarches, que le droit de cité fût enlevé aux Juifs. C'est là un bel exemple de l'équité et de la générosité des Romains, et surtout de Vespasien et de Titus, qui, malgré tout le mal que leur avait donné la guerre contre les Juifs, malgré le ressentiment qu'ils leur conservaient pour leur refus de rendre leurs armes et la résistance acharnée qu'ils opposèrent jusqu'à la dernière extrémité, ne leur enlevèrent aucun des droits que leur conférait le régime dont je viens de parler ; ils imposèrent au contraire silence à leur colère et aux réclamations de peuples aussi importants que ceux d'Antioche et d'Alexandrie, et ne cédèrent ni à leur bienveillance pour les uns, ni à leur rancune contre leurs adversaires, pour enlever aux Juifs aucun de leurs anciens privilèges ; ils répondaient, en effet, que ceux qui avaient pris les armes et combattu contre eux, avaient reçu leur châtiment, et qu'ils trouvaient injuste de priver de leurs droits ceux qui n'étaient en rien coupables[41].

 

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  1. Nous savons que Marcus Agrippa témoigna des sentiments analogues envers les Juifs. Comme les Ioniens s'agitaient contre eux, sollicitant d'Agrippa pour eux seuls la jouissance du droit de cité que leur[42] avait

donné Antiochus, petit-fils de Séleucus, que les Grecs appellent Théos (Dieu), et demandaient que les Juifs s'ils étaient leurs compatriotes, adorassent aussi leurs dieux, un procès eut lieu, et les Juifs obtinrent de conserver leurs usages, sur le plaidoyer de Nicolas de Damas ; Agrippa déclara, en effet, qu'il n'avait pas le droit de ne rien innover. Si l'on veut se renseigner exactement sur cette affaire, il faut lire les livres CXXIII et CXXIV de Nicolas[43]. Du jugement d’Agrippa, il n'y a peut-être pas lieu

de s'étonner, car notre peuple n'était pas alors en lutte contre les Romains ; mais on peut à bon droit admirer la générosité de Vespasien et de Titus et la modération dont ils firent preuve, après des guerres et des combats comme ceux qu'ils avaient soutenus contre nous. Je reprends mon récit au point où je l'avais laissé.

  1. Sous Antiochus le Grand, roi d'Asie, les Juifs et les habitants de la Cœlésyrie eurent beaucoup à souffrir du ravage de leur territoire. Ce prince, en effet, étant en guerre avec Ptolémée Philopator et avec le fils de celui-ci, Ptolémée surnommé Epiphane, ses victoires comme ses défaites furent désastreuses pour ces peuples, dans les deux cas aussi maltraités ; semblables à un navire ballotté par la tempête et battu par le flot des deux côtés, ils se trouvaient placés entre les succès d'Antiochus et les retours en sens contraire de sa fortune. Antiochus cependant, ayant battu Ptolémée, gagna la Judée à sa cause[44]. Mais, à la mort de Ptolémée Philopator, son

fils envoya contre les habitants de la Cœlé-Syrie une forte armée commandée par Scopas, qui s'empara de plusieurs de leurs villes et obtint par la force la soumission de notre peuple. Peu de temps après, Antiochus, rencontrant Scopas près des sources du Jourdain, le vainquit et détruisit une grande partie de son armée[45]. Plus tard, Antiochus s'étant emparé des

villes de la Cœlé-Syrie que Scopas avait occupées et de Samarie, les Juifs se donnèrent à lui d'eux-mêmes, le reçurent dans leur ville, lui fournirent tout le nécessaire pour son armée et ses éléphants, et se joignirent à lui avec ardeur pour assiéger et combattre la garnison laissée par Scopas dans la citadelle de Jérusalem. Antiochus, jugeant donc juste de reconnaître le zèle et l'empressement que lui montraient les Juifs, écrivit à ses préfets et à ses amis, pour rendre témoignage aux Juifs des services qu'ils lui avaient rendus, et annoncer quels présents il avait résolu de leur faire en retour. Je citerai la lettre écrite à ce sujet aux préfets ; mais auparavant je veux indiquer comment Polybe de Mégalopolis confirme notre récit : en effet, dans le XVIe livre de son Histoire, voici ce qu'il dit[46] : « Le général de

Ptolémée, Scopas, remonta vers le haut pays, et soumit, pendant l'hiver, le peuple juif ». Dans le même livre, il dit que, Scopas ayant été battu par Antiochus, « celui-ci s'empara de la Batanée, de Samarie, d'Abila et de

 

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Gadara, et peu après se donnèrent à lui ceux des Juifs qui habitent autour du sanctuaire qu'on appelle Jérusalem. Ayant beaucoup de choses à dire là-dessus, ajoute-t-il, et surtout en raison de la célébrité de ce sanctuaire, j'en remets le récit à un autre moment ». Tel est le langage de Polybe. Je reviens à mon propre récit après avoir mis tout d'abord sous les yeux du lecteur les lettres du roi Antiochus :

« Le roi Antiochus à Ptolémée[47], salut. Comme les Juifs, dès que nous

sommes entrés dans leur territoire, nous ont témoigné leurs bonnes dispositions à notre égard, comme à notre arrivée dans leur ville ils nous ont reçus magnifiquement et sont venus à notre rencontre avec leur sénat, ont abondamment pourvu à la subsistance de nos soldats et de nos éléphants et nous ont aidé à chasser la garnison égyptienne établie dans la citadelle, nous avons jugé bon de reconnaître de notre côté tous ces bons offices, de relever leur ville ruinée par les malheurs qu'entraîne la guerre, et de la repeupler en y faisant rentrer les habitants dispersés. Tout d'abord nous avons décidé, en raison de leur piété, de leur fournir pour leurs sacrifices une contribution de bestiaux propres à être immolés, de vin, d'huile, et d'encens, pour une valeur de vingt mille drachmes, ... artabes sacrées de fleur de farine de froment, mesurées suivant la coutume du pays, quatorze cent soixante médimnes de blé[48], et trois cent soixante-quinze médimnes de sel. Je veux que toutes

ces contributions leur soient remises, suivant mes instructions, que l'on achève les travaux du Temple, les portiques, et tout ce qui pourrait avoir besoin d'être réédifié. Les bois seront pris en Judée même ou chez les autres peuples, et au Liban, sans être soumis à aucune taxe ; de même les autres matériaux nécessaires pour enrichir l'ornementation du Temple. Tous ceux qui font partie du peuple juif vivront suivant leurs lois nationales ; leur sénat, les prêtres, les scribes du Temple, les chanteurs sacrés, seront exemptés de la capitation, de l'impôt coronaire et des autres taxes. Et pour que la ville soit plus vite repeuplée, j'accorde à ceux qui l'habitent actuellement et à ceux qui viendront s'y établir jusqu'au mois d'Hyperberotaios une exemption d'impôts pendant trois ans. Nous les exemptons en plus pour l'avenir du tiers des impôts, afin de les indemniser de leurs pertes. Quant à ceux qui ont été enlevés de la ville et réduits en esclavage, nous leur rendons la liberté à eux et à leurs enfants, et nous ordonnons qu'on leur restitue leurs biens[49].

4. Tel était le contenu de cette lettre. De plus, dans sa vénération pour le Temple. Antiochus publia dans tout le royaume un décret ainsi conçu : « Aucune personne étrangère ne pourra pénétrer dans l'enceinte du Temple interdite aux Juifs eux-mêmes, sauf à ceux qui se sont purifiés selon l'usage et leur loi nationale[50]. Défense est faite d'introduire dans la ville ni chair

de cheval, ni chair de mulet, d'âne sauvage ou apprivoisé, de panthère, de renard, de lièvre, et en général d'animaux interdits aux Juifs ; on ne pourra ni introduire les peaux de ces animaux, ni en élever aucun dans la ville.

 

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Seuls sont autorisés les sacrifices offerts suivant les rites traditionnels et qui doivent rendre Dieu favorable. Quiconque transgressera ces ordres, paiera

aux prêtres une amende de trois mille drachmes d'argent[51].

Le roi nous donna aussi un témoignage de bienveillance et de confiance, lorsque, au moment où il se trouvait dans les satrapies de la Haute Asie, il eut connaissance d’un soulèvement en Phrygie et en Lydie ; il ordonna alors à Zeuxis, son général et l'un de ses amis intimes, de transporter quelques-uns des nôtres de Babylone en Phrygie[52]. Il lui écrivit en ces termes :

« Le roi Antiochus à Zeuxis son père, salut[53]. Si tu es en bonne santé,

c'est bien ; moi-même, je me porte bien. Ayant appris que les habitants de Lydie et de Phrygie se livraient à des mouvements séditieux, j'ai pensé que le fait méritait une grande attention de ma part ; j'ai pris conseil de mes amis sur ce qu'il convient de faire, et j'ai décidé de tirer de Mésopotamie et de Babylone, pour les envoyer dans les garnisons et les places les plus importantes, deux mille familles juives avec leur équipement. Je suis persuadé, en effet, qu'ils seront de bons gardiens de nos intérêts à cause de leur piété envers Dieu, et je sais que mes ancêtres ont éprouvé leur fidélité et leur prompte obéissance aux ordres reçus. Je veux donc, bien que la chose soit difficile, qu'on les transporte, avec la promesse de les laisser vivre suivant leurs propres lois. Quand tu les auras amenés dans les lieux indiqués, tu donneras à chaque famille un emplacement pour bâtir une maison, un champ pour labourer et planter des vignes, et tu les laisseras pendant dix ans exempts de tout impôt sur les produits de la terre. Et jusqu'à ce qu'ils récoltent les produits de la terre, qu'on leur distribue du blé pour la nourriture de leurs esclaves. Que l’on donne aussi tout ce qui est nécessaire à ceux qui pourvoient à ce service (?)[54] afin qu'en reconnaissance de

notre bonté ils montrent plus de zèle pour nos intérêts. Veille aussi avec tout le soin possible sur ce peuple, afin qu'il ne soit molesté par personne[55] ». -

Ces témoignages suffiront, je pense, pour établir l'amitié d’Antiochus le Grand envers les Juifs[56].

IV[57]

1. La Judée rendue à l'Égypte. Le grand-prêtre Onias II. - 2-5. Histoire du fermier d'impôts Joseph, neveu d'Onias. - 6-9. Histoire d'Hyrcan, fils de Joseph. - 10. Les grands-prêtres Simon II et Onias III. Lettre du roi de Sparte Areios. - 11. Fin d'Hyrcan.

1. Antiochus fit ensuite amitié avec Ptolémée et traita avec lui ; il lui donna en mariage sa fille Cléopâtre, et lui abandonna à titre de dot la Cœlé-Syrie, Samarie, la Judée, la Phénicie[58]. Le produit des impôts ayant été partagé

entre les deux souverains[59], les principaux de chaque pays affermèrent la levée des taxes, chacun dans leur patrie, et payèrent aux souverains la

 

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somme fixée. Vers ce même temps, les Samaritains, que la fortune favorisait, firent beaucoup de tort aux Juifs, dévastant leur territoire, et enlevant des prisonniers[60] ; ces événements se passèrent sous le grand-

prêtre Onias. Après la mort d'Eléazar, en effet, son oncle Manassès lui avait succédé dans la charge de grand-prêtre ; celui-ci mort, elle passa à Onias, fils de Simon surnommé le Juste[61]. Simon était le frère d'Eléazar, comme

je l'ai dit plus haut. Cet Onias était d'intelligence courte et dominé par l'amour de l'argent ; aussi, comme il n'avait pas acquitté l'impôt de vingt talents d'argent que ses pères payaient aux rois, sur leurs propres revenu', au nom du peuple, il fût cause que le roi Ptolémée[62] entra dans une grande

colère. Ptolémée envoya un messager à Jérusalem, reprochant à Onias de n'avoir pas payé l'impôt, et menaçant, s'il ne recevait pas cette somme, de partager le territoire juif en lots et d'y envoyer des soldats en guise de colons. Les Juifs, en entendant ces menaces du roi, furent épouvantés, mais rien ne put émouvoir Onias, aveuglé par son avarice.

2. Il y avait alors un certain Joseph, jeune encore, mais jouissant déjà auprès des habitants de Jérusalem de la réputation d'un homme grave, prudent et juste ; il était le fils de Tobie et d'une sœur du grand-prêtre Onias. Sa mère lui avait fait savoir la présence de l'envoyé - car il se trouvait alors en voyage à Phichola[63], village auquel il appartenait, - il revint à la ville et

reprocha à Onias de ne pas se soucier du salut de ses concitoyens, et de vouloir mettre le peuple en danger, par son refus de payer les sommes en considération desquelles il avait été placé à la tête du peuple et nommé grand-prêtre[64]. S'il était attaché à l'argent, au point de supporter, par

avarice, de voir sa patrie en danger et ses compatriotes exposés à n'importe quelles souffrances, il n'avait qu'à se rendre auprès du roi et lui demander la remise soit du tout, soit de partie de la somme. Onias répondit qu'il ne tenait pas au pouvoir et qu'il était prêt, si la chose était possible, à déposer la grande-prêtrise, refusant d'ailleurs de se rendre auprès du roi, car il ne se souciait nullement de cette affaire ; Joseph lui demanda alors la permission de partir en ambassade auprès de Ptolémée au nom de la nation ; Onias l'accorda. Joseph monta donc au Temple, appela le peuple à l'assemblée et pria les citoyens de ne se laisser ni troubler ni effrayer par l'indifférence de son oncle Onias à leur égard; mais, tout au contraire1 d'avoir l'esprit tranquille et de bannir leurs tristes prévisions[65] ; il promettait, en effet, de

se rendre en ambassade auprès du roi et de le persuader qu'ils n'avaient rien fait de mal. La foule, à ces paroles, remercia Joseph ; celui-ci, descendant du Temple, donna chez lui l'hospitalité à l'envoyé de Ptolémée, le combla de riches présents, et après l'avoir généreusement traité pendant plusieurs jours, le renvoya au roi, ajoutant qu'il le suivrait de près lui-même. Car il était d'autant plus disposé à ce voyage auprès du roi que l'envoyé l'y poussait et l'encourageait à aller en Égypte, l'assurant qu'il obtiendrait de Ptolémée tout ce qu il demanderait : cet homme en effet s'était épris de la droiture et de la dignité de caractère de Joseph.

 

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  1. L'envoyé, de retour en Egypte, raconta au roi l'entêtement d'Onias, et lui parla de la haute valeur de Joseph qui allait venir pour excuser le peuple, dont il était le patron[66], des fautes qu'on lui reprochait ; il fit du jeune

homme tant d'éloges, qu'il disposa le roi et sa femme Cléopâtre à la bienveillance pour Joseph, avant même que celui-ci fût arrivé. Joseph envoya auprès de ses amis de Samarie[67] pour emprunter de l'argent, et

après avoir préparé tout ce qu'il fallait pour son voyage, vêtements, vaisselle, bêtes de somme, ce qui lui coûta environ vingt mille drachmes, il se rendit à Alexandrie. Il se trouva qu'à ce même moment tous les principaux citoyens et les magistrats des villes de Syrie et de Phénicie s'y rendaient aussi pour la ferme des impôts, que chaque année le roi vendait aux plus puissants, dans chaque ville. Ceux-ci, lorsqu'ils virent Joseph sur la route, raillèrent sa pauvreté et sa simplicité. Mais Joseph, à son arrivée à Alexandrie, ayant appris que Ptolémée était à Memphis, s'avança à sa rencontre. Le roi était assis dans son char avec sa femme et son ami Athénion, celui-là même qui avait été envoyé à Jérusalem et hébergé par Joseph ; quand Athénion vit ce dernier, il le fit aussitôt connaître au roi, disant que c'était là le jeune homme dont, à son retour de Jérusalem, il lui avait vanté la bonté et la générosité. Ptolémée l'embrassa alors le premier, le fit monter dans son char, et, dès que Joseph fut assis, se répandit en reproches sur les procédés d'Onias. « Pardonne-lui, dit alors Joseph, en considération de sa vieillesse ; car tu sais certainement que vieillards et enfants ont souvent pareille intelligence. Mais nous, les jeunes, nous te donnerons pleine satisfaction, et tu n'auras aucun reproche à nous faire ». Le roi, charmé de la grâce et de l'enjouement du jeune homme, se prit pour lui d'affection comme s'il le connaissait déjà depuis longtemps ; il l'invita à s'installer dans son palais et à partager chaque jour son repas. Quand le roi fut revenu à Alexandrie, les grands de Syrie, voyant Joseph assis à ses côtés, en conçurent un vif dépit.

  1. Lorsque le jour fut venu où l'on devait affermer aux enchères les impôts des villes, ceux qui par leurs dignités occupaient le premier rang dans leur patrie se présentèrent pour les acheter. Les offres s'élevèrent à huit mille talents pour les impôts de la Cœlé-Syrie, de la Phénicie, de la Judée avec Samarie ; Joseph s'approchant alors reprocha aux acheteurs de s'être concertés pour offrir au roi un prix aussi faible des impôts il déclara que lui-même se faisait fort de donner le double, et en outre de livrer au roi les biens de ceux qui auraient manqué envers sa maison ; en effet, ces biens étaient adjugés avec les impôts. Le roi l'écouta avec plaisir et se déclara prêt à lui adjuger la ferme des impôts, puisqu'il y gagnerait une augmentation de revenus, mais demanda s'il avait des garants à lui fournir. Joseph répondit avec beaucoup d'esprit : « Je vous fournirai de braves gens dont vous ne pourrez pas vous défier ». Le roi l'ayant prié de dire qui ils étaient : « Je vous donne comme garants, ô roi, toi-même et ta femme, chacun pour la part qui revient à l'autre ». Ptolémée rit, et lui permit de prendre les impôts

 

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sans caution. Cette faveur chagrina vivement ceux qui étaient venus des villes en Egypte, car ils se sentirent relégués au second rang. Et ils

retournèrent chacun dans leur patrie, avec leur courte honte.

  1. Joseph obtint du roi deux mille soldats d'infanterie, car il avait demandé de la force pour mettre à la raison ceux qui dans les villes mépriseraient son autorité ; et après avoir emprunté à Alexandrie, aux amis du roi, cinq cents talents, il partit pour la Syrie. Arrivé à Ascalon, il réclama le paiement de l'impôt aux habitants ; ceux-ci refusèrent de rien donner et même l'insultèrent ; alors il s'empara des principaux d'entre eux, en tua une vingtaine, saisit leurs biens, environ mille talents, et les envoya au roi en lui faisant savoir ce qui était arrivé. Ptolémée admira sa décision, loua sa conduite et lui donna carte blanche. Les Syriens, à cette nouvelle, furent épouvantés, et, ayant sous les yeux, comme un exemple bien fait pour décourager la désobéissance, le sort des victimes d'Ascalon, ils ouvrirent leurs portes, reçurent Joseph avec empressement et payèrent les tributs. Les habitants de Scythopolis cependant essayèrent de l'insulter et de lui refuser les impôts, qu'ils payaient auparavant sans difficulté ; là aussi il fit mettre à mort les principaux et envoya leurs biens au roi. Quand il eut rassemblé beaucoup d'argent et fait de gros bénéfices sur la ferme des impôts, il en usa pour affermir la puissance qu'il possédait, jugeant prudent de faire servir les biens qu'il avait acquis à conserver ce qui avait été la source et l'origine de sa présente fortune ; il envoya donc sous main de nombreux présents au roi, à Cléopâtre, à leurs amis, et à tous ceux qui étaient puissants à la cour, achetant ainsi leur bienveillance.
  2. Il jouit de cette prospérité pendant vingt-deux ans, et devint père de sept fils, d'une première femme, et, de la fille de son frère Solymios, d'un fils appelé Hyrcan. Voici à quelle occasion il épousa sa nièce. Il vint un jour à Alexandrie en compagnie de son frère et de la fille de celui-ci qui était en âge d'être mariée, et que Solymios voulait faire épouser par quelque Juif occupant une haute situation. A un souper chez le roi, une danseuse entra dans la salle du banquet, si belle que Joseph s'en éprit et fit part de son amour à son frère, le priant, puisque la loi interdisait aux Juifs de s'unir à une femme étrangère, de l'aider à cacher sa faute et de se faire son complice pour lui permettre de satisfaire sa passion. Le frère accepta volontiers cette mission ; puis, ayant paré sa fille, il la conduisit la nuit venue à Joseph et lui fit partager sa couche. L'ivresse empêcha Joseph de reconnaître la vérité, il passa donc la nuit avec la fille de son frère ; et la chose s'étant renouvelée plusieurs fois, sa passion ne fit que croître. Il déclara alors à son frère que son amour pour cette danseuse risquait de lui faire perdre la vie, car peut-être le roi ne voudrait pas la lui céder. Son frère lui répondit de ne pas se mettre en peine : il pouvait posséder en toute sécurité celle qu'il aimait et la prendre pour femme ; et il lui révéla la vérité, ajoutant qu'il avait mieux aimé voir sa propre fille déshonorée que de regarder d'un oeil indifférent

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

Joseph tomber dans la honte. Joseph le loua de son amour fraternel et épousa sa nièce, dont il eut un fils appelé Hyrcan, comme nous l'avons dit plus haut. A peine âgé de treize ans, cet enfant montra un courage et une intelligence naturels tels que ses frères conçurent contre lui une violente jalousie, car il était très supérieur à eux et bien digne d'exciter l'envie. Joseph, voulant savoir lequel de ses fils était bien doué, les envoya successivement aux maîtres qui passaient alors pour les meilleurs : tous les aînés, par suite de leur paresse et de la mollesse qu'ils apportaient au travail, lui revinrent bornés et ignorants. Après cela, il envoya le plus jeune de tous, Hyrcan, avec trois cents paires de bœufs, à deux jours de marche dans le désert, pour ensemencer un terrain ; il avait auparavant caché les courroies d'attelage. Hyrcan, arrivé à l'endroit désigné et n'ayant pas les courroies, refusa de suivre l'avis des toucheurs de bœufs, qui lui conseillaient de les envoyer chercher auprès de son père : il jugea qu'il ne devait pas perdre son temps à attendre les envoyés, et imagina un coup de maître, bien au-dessus de son âge. Il tua dix paires de bœufs, distribua les chairs aux ouvriers, puis, découpant les peaux, en fit des courroies avec lesquelles il lia les jougs ; ayant ainsi ensemencé le terrain, comme l'en avait chargé son père, il revint auprès de celui-ci. A son retour, son père, charmé de sa présence d'esprit, loua son intelligence éveillée et sa hardiesse, et l'aima encore davantage, comme s'il était seul véritablement son fils, au grand dépit des frères d'Hyrcan.

7. Vers ce temps Joseph apprit qu'un fils était né au roi Ptolémée[68], et que

tous les grands de Syrie et du pays soumis au roi, voulant célébrer par des fêtes le jour de la naissance de l'enfant, se rendaient en grand appareil à Alexandrie. Retenu lui-même par la vieillesse, il pressentit ses fils pour savoir si l'un d'entre eux voulait se rendre auprès du roi. Les aînés refusèrent, alléguant qu'ils se trouvaient trop sauvages pour paraître en pareille compagnie, et lui conseillèrent d'envoyer leur frère Hyrcan. Le conseil plut à Joseph ; il fit appeler Hyrcan et lui demanda s'il pouvait se rendre auprès du roi et s'il y était disposé. Hyrcan promit d'y aller et assura qu'il ne lui faudrait pas beaucoup d'argent pour le voyage : il vivrait si économiquement que deux mille drachmes lui suffiraient ; Joseph se réjouit de l'esprit de modération de son fils. Peu après le jeune homme conseilla à son père de ne pas envoyer au roi des présents de Jérusalem même, mais de lui donner seulement une lettre pour son intendant à Alexandrie, afin que celui-ci lui remit de l'argent pour acheter ce qu'il trouverait de plus beau et de plus riche. Joseph, estimant la dépense nécessaire pour les présents du roi à dix talents, et louât le sage conseil de son fils, écrivit à son intendant Arion, qui avait à Alexandrie la gestion de tous ses biens, dont le montant n'était pas moindre de trois mille talents ; car Joseph envoyait à Alexandrie l'argent qu'il gagnait en Syrie, et, quand arrivait le terme fixé pour payer au roi les impôts, il écrivait à Arion de faire le versement. Hyrcan, muni de la lettre qu'il avait demandée à son père pour Arion, se mit donc en route pour Alexandrie. Dès qu'il fut parti, ses frères écrivirent à tous les amis du roi de

 

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le tuer.

  1. Arrivé à Alexandrie, Hyrcan remit à Arion sa lettre et celui-ci lui demanda combien de talents il voulait, pensant qu'il allait lui en demander dix ou au peu plus ; mais Hyrcan répondit qu'il lui en fallait mille. Arion s'emporta, lui reprocha de vouloir mener une vie de prodigue, lui remontra comment son père avait amassé cette fortune, aux prix de quelles peines et de quelle résistance à ses convoitises, et l'adjura d'imiter celui auquel il devait le jour ; il ajouta qu'il ne lui donnerait pas plus de dix talents, et encore devaient-ils être employés aux présents du roi. Le jeune homme se mit en colère et fit jeter Arion aux fers. La femme d'Arion raconta la chose à Cléopâtre, auprès de qui Arion était en grande faveur, et la pria de faire des remontrances au jeune homme ; Cléopâtre rapporta tout au roi. Ptolémée dépêcha alors un messager à Hyrcan pour lui dire qu'il s'étonnait qu'envoyé auprès de lui par son père, il ne se fût pas encore présenté devant lui, et de plus qu'il eût fait enchaîner son intendant ; il lui ordonnait de venir s'expliquer. Hyrcan répondit, assure-t-on, à l'envoyé du roi qu'il y avait dans son pays une coutume défendant à celui qui célèbre une fête de naissance[69] de goûter aux viandes avant d'être allé au Temple et d'avoir

sacrifié à Dieu ; par analogie, s'il ne s'était pas encore rendu auprès du roi, c'est qu'il attendait de pouvoir porter les présents de son père à celui qui l'avait comblé de bienfaits. Quant à l'esclave, il l'avait châtié pour n'avoir pas exécuté ses ordres ; car peu importait qu'un maître fût grand ou petit : « Si nous ne châtions pas les gens de cette sorte, ajouta-t-il, prends garde toi-même de voir ton pouvoir méprisé par tes sujets ». Cette réponse fit rire Ptolémée, qui admira la fierté du jeune homme.

  1. Arion, ayant appris les dispositions du roi pour Hyrcan et comprenant qu'il n'avait plus de secours à en espérer, donna les mille talents au jeune homme et fut délivré de ses chaînes. Trois jours après Hyrcan vint saluer les souverains. Ceux-ci le virent avec plaisir et l'invitèrent gracieusement à leur table en l'honneur de son père. Mais Hyrcan, s'étant rendu secrètement chez les marchands d'esclaves, leur acheta cent jeunes hommes instruits, à la fleur de l'âge, au prix d'un talent chacun, et cent jeunes filles au même prix. Quand il fut invité à dîner chez le roi, il s'y trouva avec les premiers du pays, et fut relégué au bout de la table, traité comme un enfant sans importance par ceux qui distribuaient les places suivant le rang de chacun. Et tous ceux qui assistaient au repas se plurent à accumuler devant lui les os de leurs portions, après en avoir enlevé les chairs, au point d'en remplir sa table ; Tryphon, qui était le bouffon du roi chargé d'égayer les banquets par les rires et les facéties, s'approche alors de la table du roi, à l'instigation des convives, et lui dit : « Tu vois, ô maître, tous les os amoncelés devant Hyrcan ? Cela peut te donner une idée de ce que son père a fait de la Syrie ; il l'a dépouillée tout entière, comme celui-ci les os de leur chair ». Le roi rit de la boutade de Tryphon et demanda à Hyrcan pourquoi il avait tant d'os

 

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devant lui ? « Rien de plus naturel, seigneur, répondit Hyrcan, car les chiens mangent les os avec la chair, comme ont fait ceux-ci (et il désignait les convives qui n'avaient rien devant eux), tandis que les hommes mangent la chair et rejettent les os, ce que je viens de faire, en ma qualité d'homme ». Le roi admira l'habileté de cette réponse et voulut que tous, à son exemple, applaudissent tant d'esprit. Le lendemain, Hyrcan s'étant rendu chez tous les amis du roi et les hommes importants de la cour, les salua, et s'informa auprès de leurs serviteurs du présent que chacun d'eux avait l’intention de faire au roi pour fêter la naissance de son fils. Les serviteurs répondirent que les uns devaient donner dix talents par tête, les gens en place plus ou moins, suivant la fortune de chacun d'eux ; Hyrcan feignit d'avoir un vif chagrin de ne pouvoir apporter un présent aussi considérable : car il n'avait pas plus de cinq talents, disait-il. Les serviteurs s'empressèrent de rapporter ce propos à leurs maîtres, et ceux-ci se réjouirent à la pensée que Joseph allait être mal vu et tomber en disgrâce auprès du roi pour l'insuffisance de son présent. Au jour fixé, tous apportèrent au roi leur offrande : ceux qui croyaient faire un très beau présent n'apportèrent pas plus de vingt talents ; Hyrcan prit les cent jeunes gens et les cent jeunes filles qu'il avait achetés, leur donna à chacun à porter un talent et les conduisit, les garçons au roi, les filles à Cléopâtre. Tous furent émerveillés, et les souverains eux-mêmes, de la richesse de ce présent qui dépassait toute attente ; Hyrcan fit aussi aux amis et aux domestiques du roi des présents d'une valeur de plusieurs talents, afin d'échapper au périt qui le menaçait de leur part : car ses frères leur avaient mandé de le faire périr. Ptolémée, ayant admiré la générosité du jeune homme, l'invita à choisir la récompense qu'il voudrait. Hyrcan ne lui demanda que d'écrire à son sujet à son père et à ses frères. Après l'avoir comblé d'honneurs et de riches présents, Ptolémée écrivit donc à son père, à ses frères, à tous ses généraux et intendants, et le congédia. Quand les frères d'Hyrcan apprirent comment il avait été traité par le roi, et qu'il revenait couvert d'honneurs, ils allèrent à sa rencontre pour le tuer, à la connaissance de leur père. Car Joseph, irrité des dépenses qu'il avait faites pour les présents, ne se souciait pas de le sauver ; il cachait sa colère cependant contre son fils, par crainte du roi. Ses frères l'avant donc attaqué, Hyrcan tua plusieurs de ceux qui les accompagnaient, et deux d'entre eux ; les autres se sauvèrent à Jérusalem auprès de leur père. Mais quand il arriva à la ville, voyant que personne ne venait le recevoir, il prit peur et se retira au delà du Jourdain, où il s'établit, et vécut des taxes qu'il levait sur les barbares.

10. A cette époque régnait en Asie Séleucus, surnommé Sôter (le Sauveur), fils d'Antiochus le Grand[70]. C'est alors que le père d'Hyrcan, Joseph,

mourut ; c'était un homme honnête, de grand caractère, qui avait retiré le peuple juif de la pauvreté et d'une situation précaire[71] et l'avait élevé à

une plus brillante fortune, en percevant pendant vingt-deux ans les impôts de la Syrie, de la Phénicie et de Samarie. Son oncle Onias mourut aussi, laissant la grande-prêtrise à son fils Simon.

 

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A la mort de ce dernier, son fils Onias hérita de sa charge ; c'est à lui que le roi des Lacédémoniens Areios envoya une ambassade et une lettre, dont voici la copie[72] : « Le roi des Lacédémoniens, Areios, à Onias, salut.

Nous avons par hasard trouvé un écrit d'après lequel les Juifs et les Lacédémoniens seraient de même race et de la famille d'Abraham. Il est donc juste qu'étant nos frères vous envoyiez vers nous pour nous faire connaître vos désirs. Nous en ferons autant nous-mêmes, nous confondrons désormais vos intérêts avec les nôtres, nous considérerons nos affaires comme les nôtres. Démotelès, le courrier, vous transmettra cette lettre. L'écriture est carrée : le cachet représente un aigle enserrant un

serpent[73]. »

11[74]. Tel était le contenu de la lettre envoyée par le roi des

Lacédémoniens. Après la mort de Joseph, ses fils provoquèrent la discorde dans le peuple. Les aînés ayant déclaré la guerre à Hyrcan, qui était le plus jeune fils de Joseph, le peuple se divisa. Le plus grand nombre des citoyens prirent le parti des aînés, avec le grand-prêtre Simon, que décida sa parenté avec eux[75]. Hyrcan renonça à revenir jamais à Jérusalem ; il s'établit donc

au delà du Jourdain et guerroya sans trêve contre les Arabes, dont il tua ou fit prisonniers un grand nombre. Il se bâtit une forteresse fort solide, tout en marbre blanc jusqu'au toit, la décora d'énormes figures sculptées et l'entoura d'un fossé large et profond. Dans la montagne située en face, il ménagea, en creusant les rochers qui faisaient saillie, des cavernes de plusieurs stades de longueur : dans ces cavernes, il disposa des chambres, les unes pour les repas, les autres pour dormir et habiter, et amena des eaux courantes qui faisaient le charme et l'ornement de cette résidence. Il fit cependant l'entrée de ces cavernes assez petite pour ne livrer passage qu'à un homme seulement à la fois, sans plus ; il prit toutes ces précautions en vue de sa propre sûreté, pour n'être pas en danger d'être pris par ses frères s'ils l'assiégeaient. Il construisit aussi des fermes de grandes dimensions, qu'il orna de vastes parcs. Ayant ainsi disposé cet endroit, il l'appela Tyr. Ce lieu se trouve entre l'Arabie et la Judée, au delà du Jourdain, non loin de l'Hesbonitide[76]. Il resta le maître de cette région pendant sept ans, tout le

temps que Séleucus régna en Syrie[77]. A la mort de ce roi, son frère

Antiochus, surnommé Epiphane, lui succéda sur le trône. Ptolémée, roi d'Égypte, surnommé aussi Epiphane, mourut également[78], laissant deux

enfants encore en bas âge, dont l'aîné était surnommé Philométor et le plus jeune Physcon. Hyrcan, voyant la puissance d'Antiochus et craignant, s'il était fait prisonnier par lui, d'être puni pour sa conduite à l’égard des Arabes, se donna la mort de ses propres mains. Sa fortune entière fut confisquée par Antiochus[79].

V [80]

 

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1. Les grands-prêtres Jason et Ménélas. Hellénisation de Jérusalem. - 2. Antiochus Épiphane et l'Égypte. - 3. Premier pillage de Jérusalem. - 4. Deuxième pillage. Abolition du culte juif. - 5. Le temple des Samaritains consacré à Zeus Hellénios.

1[81]. Vers le même temps, Onias, le grand-prêtre, étant mort aussi, son

frère reçut d'Antiochus la grande-prêtrise ; car le fils que laissait Onias était encore en bas âge. Nous raconterons en temps voulu tout ce qui a trait à cet enfant[82]. Jésus, - c'était le frère d'Onias, - fut bientôt privé de la grande-

prêtrise : le roi, s'étant irrité contre lui, donna la charge à son plus jeune frère, qui s'appelait Onias ; Simon avait eu, en effet, trois fils, et tous trois furent grands-prêtres, comme je l'ai montré. Jésus changea son nom en celui de Jason, et Onias fut appelé Ménélas. Jésus, le précédent grand-prêtre, se révolta contre Ménélas, qui avait été nommé après lui ; le peuple s'étant divisé entre les deux, les fils de Tobie embrassèrent le parti de Ménélas, mais la plus grande partie de la nation prit fait et cause pour Jason. Ménélas et les fils de Tobie, maltraités par Jason, se réfugièrent auprès d'Antiochus et lui déclarèrent qu'ils étaient décidés à abandonner leurs lois nationales et leur propre constitution, pour suivre les volontés du roi et adopter une constitution grecque. Ils lui demandèrent donc de leur permettre de construire un gymnase à Jérusalem ; l'autorisation obtenue, ils se mirent aussi à dissimuler leur circoncision, afin que, même nus, ils ressemblassent aux Grecs ; et en tout, renonçant à leurs usages nationaux, ils se mirent à imiter les autres peuples[83].

2[84]. Antiochus, voyant les affaires de son royaume marcher à souhait,

résolut de faire une expédition contre l'Egypte, dont il convoitait la possession, méprisant les fils de Ptolémée, encore trop faibles, et incapables de gouverner un pareil royaume. Il marcha donc avec des forces considérables contre Péluse, et, après avoir circonvenu par la ruse Ptolémée Philométor, envahit l'Egypte ; arrivé dans les environs de Memphis, il prit la ville et marcha sur Alexandrie pour l'assiéger, s'en emparer et mettre la main sur Ptolémée qui y régnait. Mais il fut repoussé non seulement d'Alexandrie, mais de l'Egypte entière, les Romains l'ayant averti d'avoir à quitter le pays, comme je l'ai déjà rapporté ailleurs[85]. Je raconterai en

détail ce qui concerne ce roi, et comment il s'empara de la Judée et du Temple, car, ayant déjà parlé de ces faits sommairement dans mon premier ouvrage[86], je trouve bon d'en reprendre maintenant le récit plus exact.

3. Revenu d'Egypte, par crainte des Romains, Antiochus marcha contre la ville de Jérusalem; il y arriva la cent-quarante-troisième année du règne des Séleucides, et s'empara de la ville sans combat, les portes lui ayant été ouvertes par ses partisans. Devenu ainsi maître de Jérusalem, il fit mettre à mort beaucoup de ceux qui lui étaient opposés, et, chargé de richesses, produit du pillage, revint à Antioche[87].

 

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4[88]. Deux ans après, la cent-quarante-cinquième année, le vingt-

cinquième jour du mois appelé chez nous Chasleu et chez les Macédoniens Apellaios, la cent cinquante troisième olympiade, le roi marcha sur Jérusalem à la tête d'une forte armée, et, en simulant des intentions pacifiques, s'empara de la ville par ruse[89]. Séduit par les richesses

enfermées dans le Temple, il n’épargna même pas ceux qui l'avaient reçu. Par convoitise, voyant l'or prodigué dans le Temple et la masse des offrandes précieuses qui l'ornaient, afin de pouvoir tout piller, il n'hésita pas à violer les conventions faites avec eux. Il dépouilla donc le Temple jusqu'à emporter les ustensiles sacrés, les chandeliers d'or, l'autel d'or, la table, les encensoirs, sans oublier même les voiles, qui étaient de lin et d'écarlate, vida les trésors cachés, ne laissa absolument rien. Ce désastre jeta les Juifs dans le plus grand désespoir. Antiochus interdit, en effet, les sacrifices qu'ils offraient chaque jour à Dieu, suivant la loi, et, après avoir livré au pillage la ville entière, fit mettre à mort une partie des habitants, emmena les autres prisonniers avec les femmes et les enfants, si bien que le nombre des captifs fut d'environ dix mille. Il mit le feu aux plus beaux quartiers de la ville, jeta bas les remparts et construisit la citadelle de la ville basse ; elle était fort élevée et dominait le Temple ; en raison de cette situation, il la ceignit de hautes murailles et de tours, et y plaça une garnison macédonienne[90]. La citadelle n'en resta pas moins le refuge do tous ceux

du peuple qui étaient impies ou méchants, et qui firent endurer aux citoyens bien des souffrances cruelles. Après avoir élevé un autel sur l'emplacement de l'ancien autel des sacrifices, le roi y immola des porcs, offrande interdite par la loi et les coutumes du culte des Juifs. Il obligea ceux-ci, abandonnant le culte de leur Dieu, à adorer les divinités auxquelles il croyait lui-même, à leur bâtir dans chaque ville et dans chaque village des sanctuaires, à leur ériger des autels où ils leur sacrifieraient chaque jour des porcs. Il leur interdit aussi de circoncire leurs enfants, menaçant de châtiment quiconque serait surpris à transgresser cette défense. Il établit des inspecteurs chargés de veiller à l'exécution de ses ordres. Beaucoup de Juifs, les uns spontanément, les autres par crainte du châtiment annoncé, se soumirent aux ordres du roi ; mais les plus considérés et les plus fiers méprisèrent son autorité, et, tenant plus grand compte de leurs coutumes nationales que du châtiment dont il les menaçait en cas de désobéissance, durent à leur courage d'être tous les jours en butte aux mauvais traitements, et périrent après avoir passé par les plus dures épreuves. Frappés à coups de fouet, mutilés, ils étaient mis en croix vivant et respirant encore ; leurs femmes, leurs fils, qu'ils avaient circoncis malgré la défense du roi, étaient étranglés ; on pendait les enfants au cou de leurs parents crucifiés. Tout livre sacré, tout exemplaire de la loi qu'on découvrait était détruit, et les malheureux chez qui il avait été trouvé périssaient eux aussi misérablement.

5[91]. Les Samaritains, voyant le traitement infligé aux Juifs, cessèrent de

 

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se donner pour leurs parents et de prétendre que le temple du Garizim était celui du Dieu tout-puissant, en quoi ils suivaient leur naturel, que j'ai décrit déjà ; mais ils se dirent descendants des Mèdes et des Perses, ce qu'ils sont en effet. Ils envoyèrent donc à Antiochus des ambassadeurs avec une lettre, et voici les déclarations qu'ils lui firent : « Mémoire des Sidoniens de Sichem[92] au roi Antiochus Théos Epiphane. Nos ancêtres, à la suite de

sécheresses qui désolèrent le pays, obéissant à une vieille superstition, adoptèrent la coutume de célébrer le jour que les Juifs appellent sabbat ; ils élevèrent sur la montagne appelée Garizim un temple sans dédicace et y offrirent les sacrifices prescrits. Aujourd'hui que tu traites les Juifs comme le méritait leur méchanceté, les officiers du roi, pensant que c'est par suite de notre parenté avec eux que nous suivons les mêmes pratiques, portent contre nous les mêmes accusations, alors que, depuis l'origine, nous sommes Sidoniens, comme le démontrent clairement nos annales publiques. Nous te supplions donc, toi le bienfaiteur et le sauveur, d'ordonner à Apollonios, sous-préfet, et à Nicanor, agent royal[93], de ne pas nous faire

de tort en nous accusant des mêmes crimes que les Juifs, qui nous sont étrangers par la race comme par les coutumes, et de consacrer notre temple anonyme au culte de Zeus Hellénios : ainsi nous ne serons plus molestés, et pouvant désormais vaquer en toute sécurité à nos travaux, nous te paierons des tributs plus considérables ». A cette requête des Samaritains, le roi fit la réponse suivante : « Le roi Antiochus à Nicanor. Les Sidoniens de Sichem nous ont adressé le mémoire ci-inclus. Puisque leurs envoyés, devant nous et nos amis réunis en conseil, ont établi qu'ils n’ont rien fait de ce qui est reproché aux Juifs, mais qu'ils désirent vivre suivant les coutumes des Grecs, nous les tenons quittes de toute accusation, et ordonnons que leur temple, comme ils l'ont demandé, soit consacré à Zens Hellénios ». Il envoya également cette lettre au sous-préfet Apollonios, la [cent] quarante-sixième année, le dix-huitième jour du mois d'Hécatombéon Hyrcanios[94].

VI

1. Mattathias et ses fils. - 2. Révolte et succès de Mattathias. - 3-4. Sa mort. Judas Macchabée lui succède.

1[95]. Vers le même temps, habitait au bourg de Modéï, en Judée, un certain Mattathias, fils de Jean, fils de Siméon, fils d'Asamonée[96], prêtre

de la classe de Joarib, de Jérusalem. Il avait cinq fils, Jean, appelé Gaddès, Simon, appelé Thatis, Judas, appelé Macchabée, Eléazar, appelé Auran, et Jonathas, appelé Apphous. Ce Mattathias déplorait devant ses enfants l'état des affaires, le pillage de la ville et du Temple, les malheurs du peuple, en leur disait qu'il valait mieux pour eux mourir fidèles aux lois nationales que de vivre dans une pareille ignominie.

 

2[97]. Les agents chargés par le roi de forcer les Juifs à accomplir ses

 

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ordres vinrent au bourg de Modéï, et ordonnèrent aux habitants de sacrifier, suivant les prescriptions royales. Comme Mattathias était fort considéré pour plusieurs raisons et notamment pour sa belle famille, ils l'invitèrent à offrir le premier un sacrifice ; ils assuraient qu'il serait aussitôt imité par ses concitoyens, et que le roi l'en honorerait. Mattathias refusa, déclarant que, quand bien même tous les autres peuples. par crainte ou par complaisance, obéiraient aux ordres d'Antiochus, jamais on ne le persuaderait, lui ni ses enfants, d'abandonner le culte de leurs pères. A peine s'était-il tu, qu'un autre Juif s'avança et sacrifia suivant les prescriptions d'Antiochus ; Mattathias furieux se jeta sur lui avec ses enfants armés de coutelas et le tua ; il mit à mort aussi le général du roi, Apellès[98], qui voulait les forcer

à sacrifier, et quelques-uns de ses soldats, puis, jetant bas l'autel, s'écria : « Que tous ceux qui sont attachés aux coutumes de nos pères et au culte de Dieu me suivent ! » A ces mots, accompagné de ses fils, il s'enfuit dans le désert, abandonnant dans le bourg tous ses biens. Beaucoup d'autres en firent autant, et s'enfuirent aussi avec leurs femmes et leurs enfants dans le désert où ils s'établirent dans les cavernes. A cette nouvelle, les généraux du roi, prenant dans la citadelle de Jérusalem tout ce qui s'y trouvait de troupes, se mirent à la poursuite des Juifs dans le désert ;quand ils les eurent rejoints, ils essayèrent d'abord de les faire changer d'avis et de les persuader de se guider sur leur intérêt, afin de ne pas forcer les soldats à leur appliquer les lois de la guerre. Les Juifs refusèrent et persistèrent dans leur résistance ; on les attaqua donc le jour du Sabbat, et on les brûla dans les cavernes, comme ils s'y trouvaient, sans qu'ils se défendissent ou qu'ils eussent même essayé de fermer les issues : la solennité du jour leur interdisait de se défendre, et ils ne voulurent pas, même en si critique circonstance, transgresser la loi de la sanctification du Sabbat ; car il nous est prescrit de ne rien faire ce jour-là. Ils moururent donc étouffés dans les cavernes avec leurs femmes et leurs enfants, au nombre d'environ un millier[99]. Beaucoup cependant se

sauvèrent, vinrent rejoindre Mattathias et le prirent pour chef. Celui-ci les instruisit à combattre même le jour du Sabbat, assurant que s'ils ne le faisaient pas, pour se conformer à la loi, ils seraient leurs propres ennemis ; leurs adversaires, en effet, choisissant ce jour pour les attaquer, s'ils ne se défendaient pas, rien n'empêcherait qu'ils ne périssent ainsi tous sans combattre. Cet argument les convainquit, et jusqu'aujourd'hui, l'usage subsiste chez nous de combattre même le jour du Sabbat, s'il est nécessaire[100]. Mattathias, ayant donc réuni une troupe assez nombreuse,

renversa les autels, tua tous ceux des coupables dont il put s'emparer (car beaucoup, par prudence, s'étaient dispersés chez les peuples voisins); puis il ordonna que tous les enfants qui n'avaient pas été circoncis le fussent, et chassa ceux qui avaient été chargés de s'opposer à cette mesure.

3[101]. Après avoir exercé le commandement pendant un an, Mattathias

tomba malade ; il fit alors venir ses fils, et quand il les vit réunis autour de lui : « Mes enfants, leur dit-il, je pars pour le voyage fixé par le destin ; je

 

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vous laisse dépositaires de ma pensée, et vous prie de ne pas en être les gardiens infidèles, mais d'avoir toujours devant les yeux le but poursuivi par celui qui vous a engendrés et élevés : sauver les coutumes nationales, restaurer notre vieille constitution menacée de disparaître, et ne pas faire cause commune avec ceux qui, de gré ou de force, la trahissent. En dignes fils de votre père, restez au dessus de toute violence et de toute contrainte, préparez vos âmes à mourir pour nos lois, s'il le faut ; songez que la divinité, vous voyant tels, ne vous oubliera pas, mais que, admirant votre courage, elle saura le récompenser, et vous rendra la liberté, dans laquelle vous vivrez enfin, jouissant en toute sécurité de vos coutumes, Car notre corps est mortel et périssable, et c'est par le souvenir de nos actions que nous conquérons l'immortalité ; je veux qu'épris d'elle vous en recherchiez la gloire, vous attachant aux plus nobles desseins, et n'hésitant pas à y sacrifier votre vie. Je vous conjure surtout de rester unis, et si l'un de vous se trouve avoir sur les autres quelque supériorité en un point, de le seconder volontiers, de manière a utiliser vos talents respectifs. Vous choisirez pour père votre frère Simon, le plus intelligent d'entre vous, et vous suivrez ses conseils ; vous prendrez comme général Macchabée, pour son courage et sa vigueur ; car il défendra le peuple et écartera l'ennemi, Admettez auprès de vous les hommes justes et pieux, et vous augmenterez ainsi votre force. »

4[102]. Après avoir ainsi parlé à ses fils et prié Dieu de combattre avec eux

et de rendre à son peuple ses coutumes, il mourut ; il fut enterré dans le bourg de Modéï et l'affliction du peuple fut profonde. Son fils Judas, appelé aussi Macchabée, prit la direction des affaires : c'était en l'année cent quarante-six[103]. Avec l'aide dévouée de ses frères et des autres citoyens,

il chassa l'ennemi du pays, fit périr ceux de ses compatriotes qui avaient violé la loi et purifia la terre de toute souillure.

VII

1. Judas Macchabée bat Apollonios, puis Séron. - 2-4. Lysias régent. Victoire de Judas à Emmaüs. - 5. Lysias battu à Bethsoura. – 6-7. Restauration du culte du Temple. Institution de la fête de Hanoucca.

1[104]. A ces nouvelles, Apollonios, gouverneur de Samarie[105], marcha

contre Judas avec ses forces. Judas vint à sa rencontre, l'attaqua et tua un grand nombre d'ennemis, parmi lesquels le général Apollonios lui-même, auquel il enleva l'épée dont celui-ci se servait d'ordinaire[106] ; il en blessa

un plus grand nombre et revint chargé d'un important butin provenant du pillage de leur camp. Séron, gouverneur de Cœlé-Syrie[107], ayant appris

que nombre d'habitants s'étaient ralliés à Judas, et que celui-ci avait rassemblé des forces considérables pour livrer bataille et soutenir la guerre, résolut de faire une expédition contre lui ; car il convenait, pensait-il, d'essayer de châtier ceux qui transgressaient les ordres du roi. Il réunit donc

 

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toutes les troupes qu'il avait à sa disposition, et s'étant adjoint les Juifs fugitifs et renégats, marcha contre Judas ; il s'avança jusqu'à Baithora, bourg de Judée, où il campa[108]. Judas, qui s'était porté à sa rencontre

dans l'intention d'en venir aux mains, vit ses soldats peu disposés au combat, à cause de leur petit nombre et de l'abstinence que venait de leur imposer un jeûne[109] ; il les encouragea en leur disant que la victoire et la

supériorité sur l'ennemi ne dépendent pas du nombre, mais de la piété et de la confiance dans la divinité ; leurs pères en avaient donné la plus éclatante preuve, eux qui, combattant pour la justice et pour leurs lois et leurs enfants, avaient souvent vaincu des armées de plusieurs myriades d'hommes, car l'innocence est une grande force. Il parvint ainsi à persuader ses compagnons de mépriser le nombre de leurs adversaires et de marcher contre Séron ; il livra le combat, et mit en fuite les Syriens leur général étant en effet tombé[110], ils se débandèrent, comme si leur salut avait

résidé en lui seul. Judas les poursuivit jusqu'à la plaine, et en tua environ huit cents ; le reste se sauva du côté de la mer.

2[111]. A ces nouvelles le roi Antiochus, vivement irrité de ce qui s'était

passé, réunit toutes les troupes de son royaume, leva de nombreux mercenaires dans les îles, et se prépara à envahir la Judée au commencement du printemps. Mais lorsque, après avoir payé la solde, il vit ses trésors vides et qu'il manquait d'argent (car tous les impôts n'avaient pas été payés à cause des soulèvements de certains peuples[112], et d'autre part

les générosités et largesses du roi rendaient ses ressources insuffisantes), il résolut tout d'abord de marcher vers la Perse et de lever les impôts de ce pays. Il laissa à la tête des affaires un certain Lysias, qui avait beaucoup de crédit auprès de lui et [lui confia] le territoire s'étendant jusqu'aux frontières de l'Egypte et de l'Asie inférieure à partir de l'Euphrate, avec une partie des troupes et des éléphants ; il lui recommanda de veiller attentivement à l'éducation de son fils Antiochus jusqu'à son retour, et le chargea de dévaster la Judée, de réduire en esclavage les habitants, de raser Jérusalem et de faire disparaître la race juive. Ces instructions données à Lysias, le roi Antiochus partit pour la Perse, la cent quarante-septième année[113],

traversa l'Euphrate, et marcha vers les satrapies du haut pays.

3[114]. Lysias choisit Ptolémée, fils de Doryménès, Nicanor et Gorgias,

personnages puissants parmi les amis du roi, leur donna quarante mille hommes d'infanterie, sept mille de cavalerie, et les envoya contre la Judée. Arrivés à la ville d'Emmaüs[115], ils établirent leur camp dans la plaine. Il

leur arriva encore des renforts de Syrie et de la contrée environnante, beaucoup de Juifs transfuges, et de plus des marchands qui venaient pour acheter les futurs prisonniers, apportant des entraves pour lier les captifs, de

l'or et de l'argent pour       en payer le prix. Judas, quand il eut reconnu le
camp et le nombre de ses adversaires[116], exhorta ses soldats au courage,

 

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leur dit de mettre en Dieu l'espoir de la victoire, et de le prier, suivant les usages de leurs pères, recouverts de cilices, en sorte que cette supplication démonstrative, dans le costume usité pour les cas de grands dangers, le persuadât de leur donner la force contre leurs ennemis. Puis, suivant la vieille coutume nationale, il les rangea sous les ordres des chiliarques et des taxiarques, et renvoya ceux qui étaient mariés depuis peu, qui avaient fait récemment fortune, dans la crainte que, trop attachés à la vie par le désir de ces jouissances, ils ne combattissent trop mollement ; il exhorta alors ses soldats en ces termes : « Jamais meilleure occasion, camarades, ne se présentera de montrer votre grandeur d'âme et votre mépris du danger aujourd'hui, en effet, si vous combattez avec ardeur, vous pouvez conquérir cette liberté, qui est précieuse à tous pour elle-même, et que nous rend encore plus désirable, à nous, le droit qu'elle nous donnera d'adorer Dieu. Les circonstances sont telles que vous pouvez ou la recouvrer et reconquérir la vie honorée et heureuse, c'est-à-dire conforme aux lois et coutumes nationales, ou, tout au contraire, si vous vous montrez lâches dans le combat, subir les pires malheurs et voir disparaître notre nation jusqu'à la racine. Courez à l'ennemi dans ces dispositions, et sachant que, même si vous ne combattez pas, vous êtes voués à la mort, soyez persuadés que la mort pour de pareils objets, - la liberté, la patrie, les lois, la religion, - vous procurera une gloire éternelle. Préparez donc vos âmes à vous jeter sur l'ennemi demain, au point du jour. »

4[117]. Tel fut le discours de Judas pour exhorter sou armée. Les ennemis

envoyèrent Gorgias avec cinq mille hommes d'infanterie et mille cavaliers pour tomber de nuit sur Judas, et Gorgias prit pour guides quelques-uns des Juifs transfuges ; le fils de Mattathias, comprenant leur plan, résolut d'attaquer lui- même les ennemis restés dans le camp au moment où leurs forces seraient divisées. Ayant donc soupé en temps opportun, il partit laissant de nombreux feux allumés dans son camp, et marcha toute la nuit vers ceux des ennemis qui étaient campés à Emmaüs. Gorgias, ne trouvant pas les Juifs dans leur camp et supposant qu'ils s'étaient retirés dans les montagnes pour s'y cacher, résolut de partir à leur découverte. Au point du jour cependant Judas arriva en présence des ennemis restés à Emmaüs ; il n'avait que trois mille hommes mal armés, à cause de la pénurie où ils se trouvaient. Lorsqu'il vit les ennemis bien fortifiés dans un camp savamment tracé, il exhorta les siens, leur disant qu'il fallait combattre, fût-ce sans armes ; que Dieu en pareil cas avait déjà souvent donné à des vaillants, par admiration pour leur courage, la victoire sur des ennemis plus nombreux et bien armés ; puis il ordonna aux trompettes de donner le signal. Tombant alors à l'improviste sur les ennemis, il les frappa de terreur, jeta le trouble parmi eux, en tua un grand nombre qui essayaient de résister, et poursuivit le reste jusqu'à Gazara et aux plaines d'Idumée[118], à Azotos et à Iamnée ;

il y eut environ trois mille morts. Judas défendit à ses soldats de chercher à faire du butin, car ils avaient encore à combattre Gorgias et ses troupes :

 

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quand ils auraient aussi triomphé de cette armée, ils pourraient alors, dit-il, piller à leur aise, puisqu'ils n'auraient plus rien à faire, ni aucun péril nouveau à redouter. Tandis qu'il haranguait ainsi ses soldats, les troupes de Gorgias virent des hauteurs la déroute des forces qu'elles avaient laissées dans le camp et l'incendie du camp lui-même, car la fumée leur apporta à distance la nouvelle des événements. Quand ils reconnurent la situation et virent les compagnons de Judas prêts à livrer bataille, les soldats de Gorgias prirent peur à leur tour et s'enfuirent. Judas, ayant ainsi vaincu sans combat les forces de Gorgias, revint s'emparer du butin, et rentra chez lui chargé d'or, d'argent, d'étoffes de pourpre ou d'hyacinthe, plein de joie et remerciant Dieu de son succès; car cette victoire ne contribua pas peu à leur rendre la liberté.

5[119]. Lysias, confondu de la défaite des troupes qu'il avait envoyées, réunit l'année suivante[120] soixante mille hommes d'élite et cinq mille

cavaliers avec lesquels il envahit la Judée ; il remonta vers la montagne et campa à Bethsoura, bourg de Judée[121]. Judas avec dix mille hommes se

porta à sa rencontre, et, à la vue de la multitude des ennemis, pria Dieu de combattre avec lui ; puis il attaqua l'avant-garde des ennemis, la vainquit, tua environ cinq mille hommes et jeta la terreur parmi les autres, Lysias comprit aussitôt la résolution des Juifs, prêts à mourir s'ils ne pouvaient vivre libres ; il eut peur de leur désespoir, et, sans insister, avec ce qui restait de son armée, il revint à Antioche, où il s'occupa à recruter des mercenaires et se prépara à envahir la Judée avec des forces supérieures.

6[122]. Après avoir vaincu si souvent les généraux du roi Antiochus, Judas

réunit une assemblée et déclara que, à la suite de toutes les victoires que Dieu leur avait accordées, il fallait monter à Jérusalem, purifier le Temple et offrir les sacrifices ordonnés par la loi. Il se rendit donc à Jérusalem avec tout le peuple ; il trouva le Temple vide, les portes brûlées, le sanctuaire envahi par les plantes qui, par suite de l'abandon, y avaient poussé spontanément ; et couvert de confusion à la vue du Temple, il se mit à gémir avec les siens. Il choisit alors quelques-uns de ses soldats, et les chargea d'attaquer la garnison de la citadelle[123] pendant que lui-même

purifierait le Temple. Il l'appropria soigneusement, y plaça de nouveaux objets sacrés, chandelier, table, autel, tout en or, suspendit de nouveau des voiles aux portes, et remit en place les portes elles-mêmes ; renversant l'autel aux sacrifices, il en construisit un nouveau, en pierres assemblées sans aucun lien de fer entre elles. Et le vingt-cinquième jour du mois de Chasleu, que les Macédoniens nomment Apellaios, le chandelier fut allumé, l'encens brûlé sur l'autel, les pains placés sur la table, un holocauste offert sur le nouvel autel aux sacrifices. Il se trouva que ces cérémonies eurent lieu le jour anniversaire de celui où les Juifs avaient changé leur culte saint pour un culte impur et adopté les mœurs des autres peuples, trois ans auparavant ; le Temple, dévasté par Antiochus, était en effet resté trois

 

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ans[124] dans cet abandon : car ces événements s'étaient passés la cent

quarante-cinquième année, le vingt-cinquième jour du mois Apellaios, en la cent cinquante-troisième olympiade, et le Temple fut remis en état le même vingt-cinquième jour du mois Apellaios, la cent quarante-huitième année, en la cent cinquante-quatrième olympiade[125]. Le Temple avait été

dévasté suivant la prophétie faite par Daniel quatre cent huit ans

auparavant : il avait, en effet, prédit que les Macédoniens le détruiraient[126].

7. Les fêtes célébrées par Judas et ses concitoyens, en l'honneur du rétablissement des sacrifices dans le Temple, durèrent huit jours ; il n'omit aucune sorte de réjouissance ; il traita ses compatriotes avec de riches et magnifiques sacrifices, fit chanter des hymnes et des psaumes destinés à la fois à exalter la gloire de Dieu et à réjouir le peuple. Ils furent si heureux de pouvoir reprendre leur coutumes, et de recouvrer après un aussi long temps et d’une manière aussi inespérée la liberté de leur culte, qu'ils firent une loi pour que leurs descendants célébrassent chaque année pendant huit jours la restauration du Temple. Et depuis ce temps jusqu'aujourd’hui, nous célébrons cette fête, que nous appelons fête des Lumières, d'un nom qui lui fut, je pense, donné parce que cette liberté avait lui pour nous d'une manière inespérée[127]. Judas entoura la ville[128] d'une enceinte de murailles,

construisit des tours élevées pour surveiller les incursions de l'ennemi, et y plaça des gardiens ; puis il fortifia la ville de Bethsoura, pour servir de boulevard contre les agressions de l'ennemi.

VIII

1. Guerre contre les Iduméens et les Ammonites. - 2. Expédition de Simon en Galilée. 3-5. Campagne de Judas et de Jonathan en Galaad. - 6. Echec contre Iamnée.

1[129]. Ces événements indisposèrent les peuples voisins ; mécontents de

voir les Juifs se relever et retrouver leur force, ils s'unirent contre eux et en tuèrent un certain nombre dont ils s'emparèrent dans des embuscades et des guets-apens. Judas dirigea contre eux des expéditions continuelles et essaya de mettre un terme à leurs incursions et à leurs vexations à l'égard des Juifs. Il tomba dans l’Acrabatène[130] sur les Iduméens, fils d'Esaü, en tua un

grand nombre et rapporta leurs dépouilles. Ayant ensuite bloqué les fils de Baanos[131], qui dressaient des embûches aux Juifs, il les assiégea,

incendia leurs tours et détruisit les hommes. Puis il marcha contre les Ammonites, qui avaient une armée puissante et nombreuse, commandée par Timothée. Il les battit, s'empara de leur ville d'Iazoron[132], fit prisonniers

leurs femmes et leurs enfants, brûla la ville et revint en Judée. Les peuples voisins, à la nouvelle de son retour, réunirent leurs forces dans le pays de

 

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Galaad, contre les Juifs établis sur leur territoire. Ceux-ci se réfugièrent dans la place forte de Dathema[133] et firent avertir Judas que Timothée

essayait de s'emparer de la place où ils s'étaient enfermés. Au moment où Judas prenait connaissance de cette lettre, survinrent aussi des messagers de Galilée, annonçant une ligue des habitants de Ptolémaïs, de Tyr, de Sidon, et des autres étrangers de Galilée.

2[134]. Judas examina le parti qu’il convenait de prendre pour faire face

aux difficultés signalées ainsi de deux côtés à la fois. Il chargea son frère Simon, à la tête de trois mille hommes d'élite, de se porter aux secours des Juifs de Galilée. Lui-même et Jonathas, son autre frère, avec huit mille soldats, marchèrent sur le pays de Galaad. Il laissa à la tête du reste de ses forces Joseph, fils de Zacharie, et Azarias, avec ordre de veiller avec soin sur la Judée, et de n'attaquer personne jusqu'à son retour. Simon, arrivé en Galilée, rencontra les ennemis, qu'il mit en fuite ; il les poursuivit jusqu'aux portes de Ptolémaïs, leur tua environ trois mille hommes, et chargé les dépouilles des morts, ramenant les Juifs prisonniers[135] et leurs bagages, il

revint chez lui.

3[136]. Judas Macchabée et son frère Jonathas traversèrent le Jourdain, et à

trois jours de marche de là trouvèrent les Nabatéens, qui venaient à leur rencontre avec des intentions pacifiques. Ils leur donnèrent des nouvelles des Juifs de Galaad, rapportèrent qu'un grand nombre de ceux-ci, emmenés dans les forts et les villes du pays, subissaient de mauvais traitements[137],

et conseillèrent à Judas de marcher en toute hâte contre les étrangers et d'essayer de délivrer de leur joug ses compatriotes. Judas, persuadé par eux, se tourna vers le désert, tomba d'abord sur les habitants de Bosorra[138],

dont il s'empara, mit à mort toute la population ma,le en état de combattre, et brûla la ville. La nuit venue, il ne s'arrêta pas, mais profita de l'obscurité pour marcher contre la forteresse[139], où les Juifs étaient enfermés,

assiégés par Timothée et son armée, Il y arriva au matin, juste au moment où les ennemis donnaient l'assaut, approchant des murailles les uns des échelles pour les escalader, les autres des machines de siège ; il ordonne au trompette de donner le signal, exhorte ses soldats à risquer courageusement leur vie pour leurs frères et leurs parents, partage son armée en trois corps et fond sur l'ennemi par derrière. Les troupes de Timothée, comprenant que c'était Macchabée, dont elles avaient déjà éprouvé le courage et l'audace à la guerre, se débandèrent. Judas les poursuivit avec son armée et en tua environ huit mille, Puis il se tourna vers la ville étrangère appelée Maapha[140], s'en empara, mit à mort toute la population mâle et brûla la

ville elle-même. De là il conquit Chasphotha, Maked, Bosor[141] et bien d'autres villes de Galaad et les mit à sac.

4[142]. Peu de temps après, Timothée, ayant rassemblé des forces

 

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importantes et soudoyé à prix d'argent divers auxiliaires, notamment des Arabes, fit traverser à son armée le torrent qui est en face de Raphon[143]

(c'était une ville) ; il recommanda à ses soldats, s'ils engageaient le combat contre les Juifs, de se défendre courageusement et de les empêcher de passer le torrent[144], car s'ils le passaient, disait-il, on serait vaincu. Judas,

à la nouvelle que Timothée se préparait au combat, marcha en toute hâte, avec toutes ses forces, sur l'ennemi, traversa le torrent, tomba sur eux, tua ceux qui résistaient, et jeta la panique parmi les autres qui prirent la fuite en abandonnant leurs armes. Quelques-uns s'échappèrent, et, s'étant réfugiés dans le sanctuaire appelé En Karnaïn[145], crurent être sauvés, mais Judas

s'empara de la ville, les tua, brûla le sanctuaire, et consomma par tous les moyens la ruine de l'ennemi.

5[146]. Après Cet exploit, il se mit en route pour la Judée, emmenant tous

les Juifs de la Galaaditide avec leurs femmes, leurs enfants et tout ce qu'ils possédaient. En arrivant à une certaine ville appelée Ephrôn[147], qui se

trouvait sur sa route, comme il ne pouvait pas se détourner pour l'éviter et ne voulait pas, d'autre part, revenir sur ses pas, il envoya des messagers aux habitants pour les prier d’ouvrir les portes et de lui permettre de traverser leur ville ils avaient, en effet, barricadé les portes avec des rochers et coupé le passage. Sur leur refus, il exhorta ses hommes, développa son armée en cercle et investit la ville ; il s'en empara après un jour et une nuit de siège, tua toute la population mâle, brûla la ville et s'ouvrit ainsi un passage. Le carnage fut si grand que les Juifs marchaient sur des cadavres. Après avoir traversé le Jourdain, ils arrivèrent à la grande plaine en face de la ville de Bethsané, appelée chez les Grecs Scythopolis. De là ils rentrèrent en Judée, au son des instruments et des chants, avec toutes les réjouissances usitées pour célébrer les victoires ; ils offrirent à Dieu des sacrifices d'actions de grâces pour leurs succès et le salut de l'armée ; car, dans toute cette campagne, il n'y eut pas un seul Juif tué.

6[148]. Cependant Joseph, fils de Zacharie, et Azarias - auxquels Judas

avait laissé le commandement pendant que Simon était en Galilée, occupé à combattre les habitants de Ptolémaïs, et Judas lui-même en Galaad avec son frère Jonathas, - voulurent de leur côté s'acquérir une réputation de généraux valeureux, et partirent avec leurs troupes pour Iamnée. Gorgias, qui commandait à Iamnée, s'étant porté à leur rencontre, le combat s'engagea ; ils perdirent deux mille hommes et s'enfuirent, poursuivis par l'ennemi jusqu'à la frontière de la Judée. Ce revers fut le résultat de leur désobéissance aux instructions que leur avait laissées Judas, de n'attaquer personne avant son retour ; car, outre les talents militaires déployés par lui en d'autres circonstances, on peut admirer chez Judas la perspicacité avec laquelle il avait prévu la défaite de Joseph et d'Azarias, s'ils s'écartaient de ses instructions. Cependant Judas et ses frères combattirent sans relâche les Iduméens ; ils les pressèrent de tous côtés, s'emparèrent de la ville de

 

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Hébron, en détruisirent les fortifications, brûlèrent les tours, ravagèrent le territoire étranger et la ville de Marissa[149] ; puis, arrivés devant Azôtos,

ils la prirent et la pillèrent. Ils revinrent en Judée chargés de dépouilles et de butin.

IX

1. Mort d'Antiochus Épiphane. Avènement d'Antiochus Eupator. – 3. Siége de la citadelle de Jérusalem par Judas. - 4. Combat de Bethzacharia, mort héroïque d’Eléazar. - 5-6. Siège du Temple par Lysias. - 7. Antiochus traite avec les Juifs. Alkimos grand-prêtre.

1[150]. Vers le même temps, le roi Antiochus, au cours de son expédition

dans le haut pays, apprit qu'il y avait en Perse une ville extrêmement riche, appelée Elymaïs[151], dans laquelle se trouvait un temple magnifique

d'Artémis, plein d'offrandes de toutes sortes, et un dépôt d'armes et de cuirasses que l'on croyait avoir été laissées par le fils de Philippe, Alexandre, roi de Macédoine. Alléché par cette nouvelle, il marcha sur Elymaïs, l'attaqua et en fit le siège. Mais les habitants ne se laissèrent effrayer ni par son arrivée ni par le siège ; ils se défendirent courageusement et le roi fut frustré dans son espoir : ils repoussèrent, en effet, ses attaques contre la ville, firent une sortie et le poursuivirent, si bien qu'il dut s'enfuir jusqu'à Babylone et perdit beaucoup de monde. Il était encore sous le coup de cet échec quand on vint lui annoncer la défaite des généraux qu'il avait laissés pour faire la guerre aux Juifs, et la force acquise déjà par ceux-ci. Cette déception venant s’ajouter à la précédente, il se laissa abattre par le découragement et tomba malade. La maladie se prolongeant et ses souffrances augmentant, il comprit qu'il allait mourir ; il appela alors ses amis, leur dit combien sa maladie était douloureuse et donna à entendre qu'il souffrait tous ces maux pour avoir maltraité les Juifs, pillé le Temple et méprisé Dieu ; à ces mots il expira. Aussi je m’étonne de voir Polybe de Mégalopolis, qui était un honnête homme, dire qu'Antiochus mourut pour avoir voulu piller en Perse le temple d'Artémis ; car une simple intention, non suivie d'exécution, ne mérite aucun châtiment. Si Polybe croit qu'Antiochus est mort pour une raison de ce genre, il est beaucoup plus vraisemblable de penser que c'est le pillage sacrilège du temple de Jérusalem qui causa la mort du roi. Mais sur ce point je ne veux pas engager de discussion avec ceux qui croient l'explication de l'historien mégalopolitain plus proche que la nôtre de la vérité[152].

2[153]. Antiochus, avant de mourir, appela Philippe, un de ses compagnons,

et lui confia la garde du royaume ; il lui remit son diadème, ses vêtements royaux et son anneau, et le chargea de les emporter et de les remettre à son fils Antiochus, dont il le pria de surveiller l'éducation et de conserver le trône. Antiochus mourut la cent quarante-neuvième année[154]. Lysias

 

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annonça sa mort au peuple, et proclama son fils Antiochus, dont il avait lui-même la garde, roi sous le surnom d'Eupator.

3[155]. Cependant la garnison de la citadelle de Jérusalem et les Juifs

transfuges molestèrent beaucoup les Juifs. Ceux qui montaient au Temple et qui voulaient sacrifier étaient aussitôt poursuivis par les soldats, qui les tuaient ; car la citadelle dominait le Temple. Judas, voyant cela, résolut de chasser la garnison, et, réunissant tout le peuple, il assiégea résolument la citadelle. C'était la cent cinquantième année du règne des Séleucides[156].

Il prépara donc des machines, éleva des terrassements, et mit tous ses efforts à s'emparer de la citadelle. Mais plusieurs des transfuges qui s'y trouvaient s'échappèrent de nuit dans la campagne, et, réunissant quelques renégats comme eux, se rendirent auprès du roi Antiochus ; ils lui demandèrent de ne pas regarder d'un oeil indifférent les mauvais traitements dont les accablaient leurs compatriotes, alors qu'ils les supportaient à cause de son père, pour avoir abandonné leur culte national et l'avoir changé contre celui qu'il leur avait imposé. La citadelle risquait d'être prise par Judas et ses soldats, de même que la garnison placée par le roi, à moins qu'Antiochus n'envoyât quelque secours. A cette nouvelle, le jeune Antiochus se mit en colère, fit venir ses généraux et ses amis, et ordonna de lever des mercenaires et ceux qui, dans le royaume, étaient en âge de porter les armes. On réunit ainsi une armée d'environ cent mille hommes d'infanterie, vingt mille de cavalerie et trente-deux éléphants[157].

4[158]. A la tête de ces troupes, il partit d'Antioche avec Lysias, qui avait le

commandement en chef de l'armée. Arrivé en Idumée, il marcha sur Bethsoura, ville bien défendue et difficile à prendre, l'investit, et en commença le siège. Les habitants de Bethsoura résistèrent vigoureusement et incendièrent, dans des sorties, ses machines de guerre, en sorte que beaucoup de temps fut perdu à ce siège. Judas, à l'annonce de l'arrivée du roi, interrompit le siège de la citadelle, se porta à sa rencontre et posa son camp à l'entrée des défilés, en un endroit appelé Bethzacharia, distant des ennemis de soixante-dix stades[159]. Le roi, quittant Bethsoura, dirigea son

armée vers le défilé et le camp de Judas, et dès le point du jour disposa ses troupes pour le combat. Il plaça les éléphants les uns derrière les autres, à cause de l'étroitesse des lieux, qui ne permettait pas de les mettre sur une seule ligne[160]. Autour de chaque éléphant s'avançaient mille fantassins et

cinq cents cavaliers ; les éléphants portaient des tours élevées et des archers. Quant au reste des troupes, le roi les fit monter de chaque côté sur les collines, en plaçant les troupes légères au premier rang[161]. Puis il donna à

l'armée l'ordre de pousser des cris, et s'élança contre l'ennemi, en faisant enlever les enveloppes des boucliers d'or et d'airain[162], afin qu'il en partit

des reflets éblouissants ; les montagnes renvoyaient l'écho des clameurs. Cette mise en scène ne troubla nullement Judas ; il reçut les ennemis de

 

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pied ferme et tua environ six cents hommes de l'avant-garde. Son frère Eléazar, qu'on appelait Auran, voyant que le plus grand des éléphants était armé de cuirasses d'un luxe royal, et pensant que le roi le montait, se jeta de ce côté plein d'ardeur, tua plusieurs de ceux qui entouraient l'éléphant, dispersa les autres, et s'étant glissé sous le ventre de l'animal, le frappa à mort. L'éléphant en tombant sur lui l'écrasa sous son poids. C'est ainsi que mourut Eléazar après avoir vaillamment tué un grand nombre d'ennemis.

5[163]. Judas, voyant la force des ennemis, se retira à Jérusalem et se prépara à soutenir un siège[164]. Antiochus envoya une partie de son armée

contre Bethsoura pour s'en emparer et vint lui-même à Jérusalem avec le reste. Les habitants de Bethsoura, effrayés de la force de l'ennemi et voyant leurs ressources s'épuiser, se rendirent sur le serment qu'ils n'auraient à supporter aucun mauvais traitement de la part du roi. Antiochus, une fois la ville prise, se borna à les chasser désarmés de la ville, où il mit garnison. Mais le siège du Temple de Jérusalem l'arrêta longtemps, grâce à la vigoureuse résistance des Juifs qui y étaient enfermés. A chaque machine par laquelle le roi essayait de les surprendre, ils en opposaient une de leur côté. Cependant la nourriture leur faisait défaut : leurs approvisionnements de blé étaient épuisés, et la terre cette année-là n'avait pas été labourée, car c'était la septième année, pendant laquelle la loi nous prescrit de laisser reposer le sol, et l'on n'avait pas ensemencé. Beaucoup des assiégés s'enfuirent donc parce qu'ils manquaient du nécessaire, en sorte qu'il n'en resta plus qu'un petit nombre dans le Temple.

6[165]. Telle était la situation des Juifs assiégés dans le Temple. Mais

Lysias, le général en chef, et le roi Antiochus, à la nouvelle que Philippe arrivait de Perse avec l'intention manifeste de s'emparer du pouvoir pour lui-même, résolurent d'abandonner le siège et de marcher contre lui ; ils ne voulurent[166] cependant pas dévoiler leur projet aux soldats et aux chefs.

Le roi ordonna donc à Lysias de prendre la parole en sa présence et devant les chefs assemblés, et, sans rien dire de Philippe, de déclarer que le siège menaçait de traîner en longueur, que le Temple était bien fortifié, que les vivres allaient manquer à l'armée ; que, d'autre part, il y avait bien des choses à régler dans le royaume ; qu'il paraissait donc préférable de traiter avec les assiégés, de faire amitié avec tout le peuple juif et de lui permettre le libre usage de ses lois nationales, dont la privation l'avait entraîné dans cette guerre ; puis de rentrer à Antioche. Ce discours de Lysias reçut l'assentiment de l'armée et des chefs.

7[167]. Le roi envoya donc auprès de Judas et des assiégés, et leur offrit la

paix avec la liberté de vivre conformément à leurs coutumes nationales. Les Juifs accueillirent ces propositions avec joie, et, les serments échangés et les garanties reçues, sortirent du Temple. Antiochus y entra alors, et voyant combien la place était forte, viola son serment et ordonna aux troupes qui

 

Zone de Texte: 2[174]. Démétrius irrité envoya Bacchidès, ami du roi Antiochus Epiphane,Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

l'accompagnaient de détruire les murs jusqu'aux fondations. Après quoi il retourna à Jérusalem, emmenant le grand-prêtre Onias, qu'on appelait aussi Ménélas. Lysias, en effet, lui avait conseillé de faire mourir Ménélas s'il voulait que les Juifs se tinssent tranquilles et ne lui créassent plus de difficultés ; car le grand-prêtre avait été seul cause de tout, pour avoir persuadé au père du roi de forcer les Juifs à quitter le culte de leurs pères. Le roi envoya donc Ménélas à Béroia, en Syrie, et le fit tuer. Il avait été grand-prêtre dix ans ; c'était un homme méchant et impie, qui, pour exercer lui-même le pouvoir, avait forcé le peuple à violer ses lois traditionnelles. Après Ménélas, Alkimos, qu'on appelait aussi Iakim, devint grand-prêtre. Le roi Antiochus cependant trouva Philippe déjà maître du pouvoir ; il lui déclara la guerre, le fit prisonnier, et le mit à mort. Lorsque le fils du grand-prêtre Onias - qui, comme nous l'avons déjà dit[168], avait été, en raison de

son bas âge, laissé de côté après la mort de son père, - vit que le roi, après avoir tué son oncle Ménélas, avait donné la grande-prêtrise à Alkimos, qui n'était pas de la famille des grands-prêtres, suivant en cela le conseil de Lysias de transférer la charge de cette famille à une autre, ce jeune homme s'enfuit auprès de Ptolémée, roi d'Égypte. Celui-ci et sa femme Cléopâtre lui prodiguèrent les honneurs, et il obtint dans la province d'Héliopolis un emplacement où il bâtit un temple semblable à celui de Jérusalem. Mais nous aurons une meilleure occasion d'en parler[169].

X

1-2. Avènement de Démétrius Soter. Mission de Bacchidès en Judée. - 3. Lutte d'Alkimos et de Judas. - 4-5. Expédition de Nicanor. Bataille d'Adasa. - 6. Mort d'Alkimos. Judas grand-prêtre. Son alliance avec Rome.

1[170]. Vers ce même temps[171], Démétrius, fils de Séleucus, s’étant enfui de Rome et s'étant emparé de Tripolis de Syrie[172], ceignit le

diadème ; puis, à la t~te de quelques mercenaires, il pénétra dans le royaume, partout bien reçu par les habitants, qui lui faisaient leur soumission. Ils s'emparèrent même du roi Antiochus et de Lysias et les lui livrèrent vivants. Sur l'ordre de Démétrius, ils furent immédiatement mis à mort. Antiochus avait régné deux ans, comme il a été déjà dit ailleurs[173].

Beaucoup de Juifs renégats et transfuges se rassemblèrent autour de Démétrius, entre autres le grand prêtre Alkimos, et portèrent des accusations contre le peuple entier, Judas et ses frères. Ils prétendaient que ceux-ci avaient tué tous les amis de Démétrius, et que tous ceux qui dans le royaume étaient de son parti et l'attendaient avaient été détruits par eux ; eux-mêmes avaient été chassés de leur patrie, réduits à l'exil ; ils demandaient au roi d'envoyer un de ses amis qui le renseignerait sur tout ce qu'avait osé faire Judas.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

homme de mérite[175], qui avait le gouvernement de toute la

Mésopotamie ; il lui donna une armée, lui confia le grand-prêtre Alkimos, et lui ordonna de tuer Judas et les siens. Bacchidès quitta Antioche avec ses troupes, et, arrivé en Judée, envoya à Judas et à ses frères un messager porteur de paroles de paix et d'amitié, car il voulait s'emparer de lui par la ruse. Mais Judas se méfia : il voyait, en effet, que Bacchidès était venu avec une armée comme on en amène pour faire la guerre et non la paix. Cependant quelques-uns du peuple, ajoutant foi aux promesses qu'avait fait proclamer par héraut Bacchidès et pensant qu'ils n'avaient rien à redouter de la part d'Alkimos leur compatriote, se rendirent auprès d'eux, et après avoir reçu de tous les deux le serment qu'ils n'auraient aucun mal, ni eux-mêmes, ni ceux qui étaient du même parti, firent leur soumission. Mais Bacchidès, sans se soucier de son serment, fit mettre à mort soixante d'entre eux et détourna par ce manque de parole à l'égard des premiers tous ceux qui avaient l'intention de se rallier à lui. Puis, après s’être éloigné de Jérusalem et établi au bourg appelé Bethzetho[176], il envoya chercher et

arrêta plusieurs transfuges et quelques uns du peuple, les tua tous, et ordonna à tous les habitants de la région d'obéir à Alkimos ; après cela, laissant à celui-ci quelques troupes pour assurer sa domination sur le pays, il retourna à Antioche auprès du roi Démétrius.

3[177]. Alkimos, voulant consolider son pouvoir et comprenant qu'en

gagnant la bienveillance du peuple il gouvernerait avec plus de sécurité, s'efforçait de rallier tout le monde à sa cause par d'habiles discours, propres à flatter et à plaire. Bientôt il eut autour de lui une troupe nombreuse de partisans et une armée considérable ; mais elle était surtout composée de Juifs renégats et transfuges, à la fois ses serviteurs et ses soldats, à la tête desquels il parcourait la contrée en tuant tous les partisans de Judas qu'il rencontrait. Judas, voyant qu'Alkimos devenait puissant et avait mis à mort nombre d'honnêtes et pieux citoyens, se mit lui-même en campagne, tuant les partisans d'Alkimos. Alkimos sentait qu'il ne pourrait pas résister à Judas, auquel il était inférieur en force ; il résolut de faire appel à l'alliance de Démétrius. Il se rendit donc à Antioche, et là il excita le roi contre Judas, qu'il accusait de lui avoir déjà fait beaucoup de mal ; il lui en ferait, disait-il, encore davantage si l'on ne prenait les devants en envoyant une forte armée pour le châtier.

4[178]. Démétrius, jugeant qu'il y aurait danger pour ses propres intérêts à

laisser Judas devenir aussi puissant, envoya Nicanor, le plus dévoué et le plus fidèle de ses amis (celui-là même qui s'était enfui avec lui de Rome), et lui confia les forces qu'il pensait devoir suffire contre Judas ; il lui ordonna de n'avoir pour le peuple aucun ménagement. Nicanor, arrivé à Jérusalem, résolut de ne pas attaquer Judas tout de suite ; dans l'intention de s'emparer de lui par ruse, il lui envoya des assurances pacifiques, déclarant qu'il ne voyait pas la nécessité d'en venir aux mains et de s'exposer au péril, et qu'il

 

Zone de Texte: 6[187]. Le grand-prêtre Alkimos ayant voulu jeter bas le mur du sanctuaire, qui était vieux et bâti par les anciens prophètes, Dieu le frappa subitement :Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

était prêt à lui garantir par serment qu'il n'avait rien à craindre il n'était venu avec des amis que pour faire connaître les dispositions du roi Démétrius à l'égard de la race juive. Tel fut le message de Nicanor ; Judas et ses frères le crurent, et, sans soupçonner aucune trahison, lui donnèrent des sûretés et le reçurent avec ses troupes. Nicanor embrassa Judas et, tout en causant avec lui, donna à sa suite un signal convenu pour s'emparer de la personne de Judas. Mais l'autre comprit le guet-apens, s'élança dehors et s'enfuit auprès des siens. Nicanor, voyant son intention et sa ruse découvertes, résolut d'attaquer Judas ; celui-ci ramassa son armée, se prépara au combat, l'attaqua près du bourg de Kapharsalama[179], le battit et le contraignit à se

réfugier dans la citadelle de Jérusalem[180].

5[181]. Un jour qu'il descendait de la citadelle pour aller au Temple,

quelques-uns des prêtres et des anciens rencontrèrent Nicanor, le saluèrent et lui montrèrent les sacrifices qu'ils allaient, disaient-ils, offrir à Dieu pour le roi. Nicanor leur répondit par des blasphèmes et les menaça, si le peuple ne lui livrait Judas, de raser le Temple à son retour. Sur ces menaces, il quitta Jérusalem, et les prêtres, affligés par ses paroles, se mirent à verser des larmes et supplièrent Dieu de les arracher aux mains des ennemis. Nicanor, une fois sorti de Jérusalem, s'établit auprès du bourg de Béthoron[182], et y campa. pour attendre une autre armée qui lui arrivait de

Syrie. Judas, qui avait environ mille[183] soldats en tout, s'en fût camper à Adasa[184], autre bourg, distant de 30 stades de Béthoron. Il exhorta les

siens à ne pas se laisser effrayer par la multitude de leurs adversaires, à ne point calculer contre combien d'hommes ils allaient combattre, mais bien qui ils étaient et pour quelle noble cause ils risquaient leur vie, puis à marcher courageusement contre l'ennemi ; cela dit, il les mena au combat. Il attaqua Nicanor ; le combat fut violent, mais Judas eut le dessus, tua à l'ennemi beaucoup de monde ; finalement Nicanor lui-même tomba après s'être vaillamment battu. Lui mort, son armée ne résista même plus ; les soldats, ayant perdu leur général, s'enfuirent en jetant leurs armes. Judas les poursuivit, les massacra, et fit annoncer au son de la trompette dans tous les bourgs environnants sa victoire sur l'ennemi. Les habitants à cette nouvelle sortirent en armes, se portèrent au devant des fugitifs et les tuèrent un à un, en sorte qu'il n'échappa de ce combat pas un seul des neuf mille hommes de l'armée. Cette victoire fut remportée le treizième jour du mois appelé chez les Juifs Adar et chez les Macédoniens Dystros[185]. Chaque année on la

célèbre dans ce même mois et l'anniversaire est regardé comme une fête[186]. Ce fut le commencement d'une courte période, pendant laquelle

le peuple juif fut épargné par la guerre et put jouir de la paix ; puis il fut entraîné dans de nouvelles luttes et de nouveaux périls.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

il fut terrassé, perdit la parole, et après plusieurs jours de souffrances ininterrompues, il mourut, ayant été grand-prêtre quatre ans[188]. Après sa

mort, le peuple donna la grande-prêtrise à Judas. Celui-ci, ayant appris la puissance des Romains, leurs conquêtes de la Gaule[189], de l'Ibérie, de

Carthage en Libye, et de plus leurs victoires sur la Grèce, et sur les rois Persée, Philippe et Antiochus le Grand, résolut de faire amitié avec eux. Il envoya donc à Rome ses amis Eupolémos, fils de Jean, et Jason, fils d'Eléazar, et les chargea de demander aux Romains de s’allier aux Juifs et d’écrire à Démétrius de ne pas leur faire la guerre. Les ambassadeurs de Judas, arrivés à Rome, furent reçus par le Sénat qui, lorsqu'il connut le but de leur mission, consentit à l'alliance. Il fit un décret à ce sujet, en envoya une copie en Judée, et plaça l'original au Capitole, gravé sur des tables d'airain[190]. Il était conçu en ces termes : « Décret du Sénat au sujet de

l'alliance et de l'amitié avec le peuple des Juifs. Aucun des sujets de Rome ne fera la guerre au peuple juif et ne fournira à ses ennemis des vivres, des navires ou de l'argent[191]. Si quelqu'un attaque les Juifs, les Romains leur

porteront secours dans la mesure de leurs moyens, et, par contre, si quelqu'un attaque le territoire des Romains, les Juifs combattront avec eux. Si le peuple juif veut ajouter ou retrancher quelque clause à ce traité d'alliance, ce ne sera que d'un commun accord avec le peuple romain, et toute addition nouvelle fera autorité. » Ce décret fut rédigé par Eupolémos, fils de Jean, et Jason, fils d'Eléazar, Judas étant grand-prêtre de la nation, et Simon, son frère, général[192]. Tel fut le premier traité d'alliance et d'amitié

entre les Romains et les Juifs. XI

1. Nouvelle campagne de Bacchidès. - 2. Combat de Berzetho ; défaite et mort de Judas Macchabée.

1[193]. Démétrius, à la nouvelle de la mort de Nicanor et de la perte de son

armée, renvoya Bacchidès en Judée avec de nouvelles troupes. Bacchidès partit d'Antioche, et, arrivé en Judée, campa à Arbèles[194], ville de

Galilée : dans les cavernes se trouvaient de nombreux réfugiés, qu'il assiégea et fit prisonniers ; puis il quitta ces lieux et se dirigea en toute hâte sur Jérusalem. Ayant appris que Judas était campé dans un bourg appelé Berzetho[195], il marcha contre lui avec vingt mille fantassins et deux mille

cavaliers. Judas avait en tout (trois) mille[196] hommes. Ceux-ci, à la vue

des forces considérables de Bacchidès, prirent peur, et, quittant leurs rangs, s'enfuirent tous à l'exception de huit cents. Judas, abandonné par ses propres soldats, pressé par l'ennemi, qui ne lui laissait pas le temps de rassembler de nouvelles troupes, n'en était pas moins prêt à combattre Bacchidès avec ses huit cents hommes ; il exhorta donc ceux-ci à braver courageusement le danger, et leur donna l'ordre de marcher au combat. Mais ils lui répondirent

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

qu'ils ne pouvaient tenir tête à une telle multitude, et lui conseillèrent pour l'instant de faire retraite et de les sauver, puis de revenir attaquer l'ennemi quand il aurait rallié les siens. « Puisse le soleil, dit-il, ne lamais me voir montrer le dos à l'ennemi. Et quand bien même les circonstances actuelles m'annoncent la fin et qu'il faille absolument périr si je combats, le resterai à mon poste, résolu à supporter courageusement tout ce qui peut m'arriver, plutôt que de ternir aujourd'hui, par la honte de la fuite, mes succès et ma gloire. » Après avoir encouragé en ces termes les soldats qui lui restaient, il leur dit de marcher à l'ennemi, pleins de mépris pour le danger.

2[197]. Bacchidès conduisit ses troupes hors du camp et se disposa au

combat ; il plaça la cavalerie sur les deux ailes, les troupes légères et les archers sur tout le front de la phalange ; lui-même resta à l'aile droite. Avant ainsi rangé son armée, quand il fut près du camp ennemi, il ordonna au trompette de donner le signal et à l'armée de s'avancer en poussant des cris. Judas fit de même et attaqua l'ennemi. Des deux côtés on combattit avec acharnement et la bataille se prolongea jusqu'au coucher du soleil. A ce moment Judas, voyant que Bacchidès et le plus fort de ses troupes étaient à l'aile droite, prit les plus résolus de ses soldats, s'élança de ce côté, attaqua ceux qui s'y trouvaient et dispersa leur phalange. Puis il enfonça leur centre, les obligea à la fuite, et les poursuivit jusqu'à la montagne appelée Aza[198]. Mais l'aile gauche, voyant la déroute de l'aile droite, se mit à la

poursuite de Judas, le cerna et l'enferma en le prenant à revers. Judas, ne pouvant fuir et enveloppé par les ennemis, combattit sur place avec les siens. Après avoir tué nombre de ses adversaires, enfin, épuisé, il succomba lui-même, et mourut ; sa fin ne fut pas moins glorieuse que tous ses précédents exploits. Judas mort, ses soldats, n'ayant plus personne sur qui se guider, et privés d'un pareil chef, s'enfuirent. Simon et Jonathas, ses frères, obtinrent de l'ennemi, par traité, son corps, l'emportèrent au bourg de Modéï, où leur père avait été aussi enterré, et l'ensevelirent après que le peuple eut mené pendant plusieurs jours de suite son deuil et l'eut honoré par les rites usuels. Telle fut la fin de Judas ; c'était un homme courageux, audacieux dans ses entreprises, et qui, fidèle aux instructions de son père Mattathias, avait tout fait et tout souffert pour la liberté de ses compatriotes. Doué de la plus haute valeur, il laissa la plus grande renommée et le plus grand souvenir, pour avoir rendu la liberté à son peuple en l'arrachant au joug des Macédoniens. Il était grand-prêtre depuis trois ans quand il mourut[199].

[1] Agatharchidès florissait vers le milieu du iie siècle av. J.-C. La citation

ci-dessus est reproduite plus complètement dans le Contre Apion, i, 22, § 205-211. La date exacte de l'occupation de Jérusalem par Ptolémée Ier n'est pas connue.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. Pour les §§ 8-9, comparer la Lettre d'Aristée, § 12 suiv. (Wendland), qui

mentionne également la transplantation de captifs et de colons juifs par Ptolémée et leur emploi comme garnisaires. Mais Josèphe ne paraît pas avoir eu ici le document sous les yeux : il indique avec plus de précision l'origine des captifs, parle d'émigrants volontaires (d'accord avec Hécatée, fr. 44 = Textes, p. 229), ne reproduit pas les chiffres fabuleux d'Aristée et mentionne un serment que celui-ci passe sous silence ; nous croyons donc qu'il a combiné ici des renseignements de source diverse et de valeur inégale. Ni la réponse des Juifs aux envoyés d'Alexandre (cf. liv. XI, viii, 3), ni l'octroi du droit de cité macédonien aux Juifs (quoique cette assertion soit répétée à satiété : C. Ap., II, 4 ; Ant., XIX, v, 2) ne peuvent être acceptés comme des faits historiques ; mais l'existence de garnisons juives dans le Delta est certaine et confirmée notamment par l'inscription d'Athribis (Ret. et. juives, XVII, 235).

  1. Ce chapitre est un résumé fidèle de la fameuse Lettre d'Aristée à

Philocrate, ouvrage qui parait dater du Ier siècle av. J.-C. Comme ce document lui même, il est dénué de toute réalité historique ; en réalité la traduction des Septante est née des besoins religieux de la communauté juive d'Alexandrie. Le texte de ce chapitre a été reproduit et révisé dans l'édition d'Aristée par Wendland (1900), p. 96 suiv.

  1. Nous suivons la leçon de Wendland (mss. FLE, •jion ° Üyoi)
  2. Cent mille d'après Aristée, § 19.
  3. Vingt d'après Aristée, § 20, 22 et 27.
  4. ¦gnvsan ou ¦gnv (W). Niese soupçonne une corruption. Whiston traduit comme s'il y avait ¦gnvn « I have determined ».

[8] Josèphe n'a pas bien compris le texte d'Aristée (§ 23) qui oppose le

profit tiré du ravage des terres au profil tiré de l'asservissement des hommes.

  1. En d'autres termes, les mots correspondants, cités plus haut Quand aux mesures..., ont été ajoutés après coup par le roi. Aristée, § 26, est plus clair.
  2. Texte incertain.
  3. Six cent soixante d'après Aristée, § 27. Mais les deux chiffres sont

également impossibles, car 110.000 captifs (§ 24) à 120 dr. par tête (§ 25) l'ont 33.200.00 dr. ou 2.200 talents. On n'obtient pas un meilleur résultat

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

avec le chiffre de 20 dr. par tête donné par Aristée (366 talents).

  1. xatat¡taxto corrigé en xatat¡taxtai, L. Whiston traduit « I have subjoined », mais Josèphe copie sans réflexion la Lettre d’Aristée.
  2. Texte corrompu et inintelligible.
  3. Cette citation provient sûrement du Pseudo-Hécatée. Cf. Textes, p. 235.
  4. Aristée, § 33, ajoute 70 talents d'argent.
  5. Cette phrase ne provient pas du pseudo-Aristée, mais d'une source

inconnue, sans doute une chronique des grands-prêtres. L'existence de Simon le Juste est attestée par l'Ecclésiastique, c. 50, et d'autres textes (Pirké Aboth, 2 ; Para, iii, 5; Tosepha Nazir, iv, 7 ; Sota, xiii, 6-7) ; toutefois Herzfeld et d'autres commentateurs croient que Josèphe s'est trompé et entendent par Simon le Juste Simon II, fils d'Onias (fin du iiie siècle). Cf. Schürer, II3, p. 356.

  1. En réalité 72. Les noms sont donnés par Aristée, § 47-50.
  2. Exode, xxv, 23 suiv.
  3. La largeur manque dans Aristée, § 57, et dans le texte hébreu de l'Exode.
  4. Nous ne comprenons pas ce détail, qui se lit dans Aristée.
  5. Addition peu intelligible de Josèphe.
  6. Kautzsch suppose que la table avait deux plateaux éloignés d'environ

un pied et qu'il s'agit ici de la décoration du plateau inférieur ; mais cela ne résulte clairement ni du texte de Josèphe, ni de celui d'Aristée.

  1. Un pied dans Aristée, § 74.
  2. Pour ce qui suit, cf. Aristée, § 172 suiv. Wendland.
  3. Sens incertain, soit qu'on lise avec les mss. ¤pæyeto ou avec Niese æp¡yeto.
  4. Aristée, § 179 : eÞw tŒjin Œpodoènai, « déposer en ordre ». Josèphe

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

n'a pas compris cet alexandrinisme.

  1. La guerre maritime entre ces deux rois se place aux environs de 265 av. J.-C. La tradition grecque n'y mentionne qu'une victoire d'Antigone, à Cos (Athénée, V, 209 E ; Plut. De se ipso, etc., 16, p. 545 B.) ; cf. Niese, Makedonische Stuaten, II, 130 suiv.
  2. C'est ainsi que Josèphe rend le terme Žrxed¡atrow (mss. Žrxihtrñw) d'Aristée, § 182. Cf. Letronne, J. des savants, 1828, p. 105.
  3. xatŒ gŒr pdlin ¤x‹sthn, ösai (quelques mss. ont ösai oœ) toÝw aœtoÝw xrÇntai perÜ thn dÛaitan etc. Le texte est incertain, mais le sens résulte d'Aristée, § 182.
  4. Texte altéré.
  5. Eléazar d'après nos mss. d'Aristée, § 184. Les deux noms figurent dans la liste des envoyés, § 47 suiv.
  6. Les mots pròw s¯n tÇn zhtoum¡nvn yevrÛan sont altérés ou inutiles.
  7. Voir Aristée, § 188-292.
  8. Josèphe parait avoir mal compris Aristée, § 294, dont le texte est d'ailleurs douteux.
  9. Chez Aristée, § 310, « les prêtres ».
  10. Nous supprimons les mots absurdes tÇn ¡rmhn¡vn, quoique Josèphe les ait trouvés déjà dans Aristée.
  11. Josèphe a très mal paraphrasé le texte d'Aristée (§ 311), qui mentionne une malédiction contre quiconque toucherait au texte de la loi.
  12. Josèphe a lu dans Aristée, § 318, poluòvrÛaw teœjesyai par€aétoè, mais le texte original portait sans doute poluvrÛaw, « considération » (Mahaffy, CLass. Review, VIII, 349).
  13. Pour la période de plus d'un siècle embrassée par ce chapitre, Josèphe, faute de sources juives, a utilisé les historiens grecs (notamment Polybe) et un recueil d'actes officiels d'une authenticité douteuse.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. Sur l'aversion des Juifs de Syrie pour l'huile étrangère, cf. Guerre, II, §

591 ; Vie, § 74. - A l'époque de Josèphe les privilèges des Juifs d'Antioche sont consignés sur des tables de bronze (Guerre, VII, 5, 2), mais ces privilèges remontaient-ils, comme on te prétend ici, jusqu'à Séleucus Nicator ? On peut en douter en présence du texte (Guerre, VII, § 44) qui nous apprend que ce furent les derniers rois de la dynastie, les successeurs d'Antiochus Epiphane, qui accordèrent aux Juifs ¤j ásou t°w pñlevw toÝw †Ellhsi met¡xein. Même cette formule n'implique pas précisément le « droit de cité » affirmé ici et dans le C. Apion, II, § 39.

  1. Pour la clémence de Titus envers les Juifs d'Antioche, cf. Guerre, VII,

5, 2 ; pour les rapports des Juifs d'Alexandrie avec Vespasien, ibid., VII, 10­11 (il n'est pas dit qu'il ait confirmé leurs privilèges).

  1. t°w politeÞaw µn aétoÝw ¦ùvaen. Le mot aétoÝw est équivoque ;

désigne-t-il les Juifs ou les Grecs ? Les libertés des villes d'Ionie avaient été confirmées ou rétablies par les premiers Séleucides (cf. Schürer, III3, 81), mais aucun texte ne vient confirmer l'affirmation du C. Apion, II, § 39, suivant laquelle les Juifs d'Ionie auraient reçu le droit de cité des successeurs d'Alexandre.

  1. Cf. Ant. jud., XVI, 2, 3-5. Le procès eut lieu l'an 14 av. J.-C.
  2. On ne sait où Josèphe a trouvé ce renseignement, dans sa première

campagne contre l'Égypte (221) Antiochus ne dépassa pas les abords du Liban (Polybe, V, 45). Dans la seconde (219-7), il occupa la vallée du Jourdain et la Galilée (Polybe, V, 70-1), mais non la Judée, et toutes ces conquêtes furent abandonnées à la suite de la défaite de Raphia. La troisième guerre se place après la mort de Philopator.

  1. En 201 Antiochus se jette sur la Cœlé-Syrie et s'en empare. Pendant

l'hiver 201-200 l'armée égyptienne, commandée par Scopas l'Etolien, reconquiert le pays. La défaite de Scopas (200 ?) eut lieu près d'un sanctuaire de Pan, pròw tò P‹nion (Polybe, XVI, 18), plus tard la ville de Césarée Panias.

  1. Polybe, XVI. fr. 39 (Didot). Il faut noter que le texte de Polybe ne «

confirme » que la partie du récit de Josèphe relative aux opérations militaires d'Antiochus et à la soumission des Juifs, mais nullement les autres faits énumérés ici (réception d'Antiochus à Jérusalem, rescrit en faveur des Juifs). Ces derniers faits n'ont d'autre garants que les documents suspects cités ci-après (Le roi Antiochus à Ptolémée...). En invoquant in globo le témoignage de Polybe, Josèphe a voulu jeter de la poudre aux yeux du lecteur, selon un procédé dont nous voyons plusieurs exemples dans le

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

Contre Apion.

  1. Très probablement Ptolémée, fils de Thraséas, qui, après avoir été au

service de Ptolémée Philopator (Polybe, V, 65), passa ensuite au parti d'Antiochus et devint gouverneur de Cœlé-Syrie et de Phénicie, comme l'atteste l'inscription suivante de Soli en Cilicie (Michel, Recueil, n° 1229 = Bull. cor. hell., XIV, 1890, p. 587) : PtolemaÝow Yras¡a stratagôw xaÞ ‹rxiereçw SmrÛaw KoÛlaw xaÜ FoinÞxaw ƒErm•i xaß „PtaxleÝ xaÞ basileá meg‹lvii ƒAntiñxvi.

  1. Texte altéré, la distinction entre la farine (semÛdaliw) et le blé (puroÛ)

est peu probable : les deux chiffres devaient se correspondre celui des artabes manque (Grotius a suppléé Jj). La mention d'artabes indique un rédacteur égyptien, non moins que le chiffre 1460 = 365 x 4, qui suppose une année solaire (Büchler).

  1. L'authenticité de ce rescrit est très contestée ; cf. Willrich, Juden und

Griechen, p. 40 ; Judaica, p. 58 ; Büchler, Tobiaden und Oniaden, p. 143. Les arguments de détail invoqués (mention de la colonnade du Temple, omission du grand-prêtre, scribes et chantres privilégiés etc.,) ne sont pas très convaincants, mais il reste singulier que Josèphe n'indique pas la source où il a puisé ce document. Büchler a supposé sans grande vraisemblance qu'il aurait été forgé sous Jules César et visait Samarie, non Jérusalem (?).

  1. Sur cette enceinte interdite, cf. les textes réunis par Schürer, II2, 272.
  2. Il paraît inadmissible qu'à aucune époque on ait interdit d’introduire à

Jérusalem des chevaux, des mulets et des ânes. Ici encore Büchler croit que le faussaire avait en vue le temple des Samaritains.

  1. Antiochus III a fait deux expéditions dans la Haute Asie : l'une dès les

premières années de son règne (221-220), l'autre après la ruine d'Achéus (210-204). Il s'agit sûrement ici de la seconde, car, lors de la première, Zeuxis était avec le roi et l'Asie mineure appartenait à Achéus. Zeuxis est mentionné comme satrape de Lydie depuis 201 au moins (Polybe XVI, 1, 8 etc.). Quant à la révolte des Lydiens et des Phrygiens, elle n'est pas connue d'ailleurs et paraît assez peu vraisemblable.

  1. Cette expression de « père » adressée par le roi à un haut fonctionnaire

se retrouve dans un autre document Séleucide, I Macchabées, xiii, 32. Cf. Strack, Rheinisches Museum, 1900, p. 170.

  1. oÛ eÜw tŒw xreÛaw êphretoèntew, sens très douteux.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. La transplantation par Antiochus en Asie mineure de Juifs de

Babylonie serait un fait très intéressant pour l'histoire de la diaspora si l'authenticité du rescrit pouvait être tenue pour certaine. Elle est malheureusement très contestable, et les mesures analogues prêtées à Ptolémée Sôter par le Pseudo-Aristée et le Pseudo-Hécatée ne peuvent être alléguées en sa faveur. Les deux phrases plus haut (Je suis persuadé, ...) sont particulièrement suspectes. Le document pourrait avoir été forgé à l'époque de César, pour appuyer les prétentions des colons juifs d'Asie mineure.

  1. Il faut rappeler ici que d'après Josèphe lui-même (Ant. jud., XIV, §

287) beaucoup de Grecs contestaient l'authenticité des actes judéophiles attribués aux Perses et aux Macédoniens, parce qu'ils n'étaient conservés

que chez les Juifs eux-mêmes et « chez d'autres barbares ».

  1. La plus grande partie de ce chapitre, consacrée à l'histoire de Joseph

fils de Tobie et de son fils Hyrcan, est la reproduction d'une chronique aujourd'hui perdue, dans le genre de la Lettre d'Aristée, et dont certains traits semblent attester l'origine samaritaine. Nous croyons avec Wellhausen (Jüdische Gechichte, 3e éd., p. 239), Mahaffy et Willrich que la valeur historique de cette chronique est à peu près nulle ; les impossibilités chronologiques dont elle fourmille, le caractère romanesque ou puéril des faits rapportés la condamnent. Il est certain qu'il y a eu à Jérusalem, dans la première moitié du iie siècle, une puissante famille des Tobiades, qui a joué un rôle important dans les querelles qui amenèrent l'intervention d'Antiochus Epiphane. L'un de ces fils de Tobie s'appelait Hyrcan et avait déposé des sommes considérables au temple de Jérusalem (II Maccabées, 3, 11) ; c'est à lui que se rapporte évidemment la section 11 de notre chapitre, qui raconte sa fin et doit être considérée comme historique. Mais si Hyrcan et ses frères sont fils de Tobie, comme le dit II Maccabées, ils ne peuvent pas être fils de Joseph et ce dernier personnage a tout l'air d’être entièrement imaginaire. Büchler, qui a étudié longuement tout notre chapitre (Die Tobiaden und die Oniaden, Vienne, 1899, p. 43-106), a tenté vainement de sauver l'historicité de Joseph en le transportant sous Ptolémée Philopator.

  1. Appien (Syr. 5) ne nomme que la Cœlé-Syrie : la clause ne fut

d'ailleurs jamais exécutée. Les fiançailles eurent lieu selon Jérôme (sur Daniel, 11) l'an 7 de Ptolémée Epiphane ; malheureusement la date exacte de l'avènement d'Epiphane est discutée. Le canon alexandrin parait la fixer entre oct. 205 et 204 av. J.-C. tandis que l'inscription de Roscite et les fragments de Polybe conduisent à novembre 203. Cf. Holleaux, Rev. et. grecques, XIII, 190.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. Il faut entendre par « les deux souverains » (Žmfot¡row toçw

basileÝw) non pas comme on l'a fait longtemps - et comme le fait peut-être Josèphe lui même - Antiochus et Ptolémée, mais Ptolémée et Cléopâtre, qui sont appelés plus loin (section 9) toçw basileÝw. Ce point a été démontré par M. Holleaux. Revue des études juives, 1899, XXXIX p. 161. Quant au fait même de l'attribution à l'Égypte des impôts de la Cœlé-Syrie, etc., il n'est confirmé par aucun texte et n'a été imaginé que pour rendre possible à l'époque indiquée (sous Ptolémée Epiphane) la présence d'un fermier d'impôts juif à la cour d'Alexandrie.

  1. On ne voit pas bien ce que vient faire ici ce renseignement, emprunté

peut-être également à une chronique samaritaine. L’explication de Büchler (op. cit., p. 88) est peu vraisemblable.

  1. Nous croyons utile de dresser ici le tableau de la généalogie et de la

succession des grands-prêtres juifs tel qu'il résulte de notre § combiné avec les §§ 44, 224 et 237 du livre XII, et XI § 121, 158, 297 sq., 302 sq., 347.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

Le chiffre de 15 grands-prêtres depuis le retour de la captivité est également donné Ant., XX, § 234. Ce tableau, dérive en majeure partie d'une source unique, fourmille d'invraisemblances. Il faut noter en particulier ce qui est dit ici de la succession Eléazar, Manassès, Onias II. Büchler (op. cit., p. 41) a supposé avec vraisemblance qu'Eléazar, le pontife de la lettre d'Aristée, a été intercalé dans la série par Josèphe, et que, dans le document primitif, c'était Manassès qui figurait comme frère et successeur de Simon Ier, pendant la minorité d'Onias II.

  1. Quelques mss. intercalent ici la glose absurde Eéerg¡thn öw ¸n pat¯r toè FilopŽtorow.
  2. Localité inconnue.
  3. Le texte est probablement fautif ; nous suivons à peu près Whiston.
  4. Texte altéré.
  5. IIrost‹thw. Ce mot n'a pas ici un sens officiel (malgré l'emploi de

prostateÝn dans l’Ecclésiastique, 45, 24) et l'on ne saurait admettre avec Büchler que Joseph ait été nommé gouverneur des Juifs à la place d'Onias. Ces fonctions étaient alors inséparables de la grande-prêtrise (Hécatée ap. Diodore, XL, 3).

  1. Cette phrase est une de celles qui trahissent l'origine samaritaine du récit.

[68] Le fils aîné de Ptolémée Epiphane - Ptolémée Philométor - est né vers

186 ; son fils cadet - Ptolémée Evergète II ou Physcon - entre 185 et 181. Comment peut-on admettre que Joseph, dont les débuts se placent après 196, et qui meurt sous Séleucus IV (187-175), eût avant 181 huit enfants en âge de voyager seuls ?

  1. Les mss ont tòn gennhy¡nta. Nous lisons avec Herwerden tòn geneyli‹zonta mais rien n'est moins certain.
  2. Le fils d’Antiochus III, Séleucus IV (187-175), s’appelait en réalité Philopator ; Sôter est le surnom de Séleucus III (C. I. G. 4458).

 

Zone de Texte: [801 A partir d'ici jusqu'à chapitre XIII, Josèphe a pour source principale leFlavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

[711 Ceci encore sent le rédacteur samaritain.

[721 ...Areiow est une faute pour ...Areuw (cf. XIII, v, 8). Les deux rois Lacédémoniens de ce nom appartiennent à la première moitié du iiie siècle, Josèphe s'est donc trompé en identifiant Onias avec Onias III ; il s'agirait plutôt d'Onias Ier (Schürer, I2, 237). Mais quoique la lettre d'Areus se retrouve en substance dans I Maccabées, 12, 20-23, on ne peut y voir qu'un faux à rapprocher du décret de Pergame (Ant. XIV, 10, 22) qui fait remonter au temps d'Abraham les relations entre Pergaméniens et Juifs.

[731 Ces derniers détails (depuis « Démotelès ») manquent dans I Maccabées et sont extrêmement bizarres. Le nom Démotelès parait emprunté à Xénophon (Hell., VII, i, 32, où il désigne précisément un héraut lacédémonien. Mais que faut-il entendre par « l'écriture carrée » ? Whiston parait avoir songé à la forme du pli.

[741 La section 11 parait avoir un caractère historique. La source en est inconnue.

[751 Cette indication est en contradiction avec le récit précédent, d'après lequel Simon est le cousin paternel de tous les fils de Joseph, et non pas seulement des aînés. Si, au contraire, Joseph est un personnage fictif, et que les Tobiades sont les fils de Tobie (les uns par la sœur d'Onias II, Hyrcan par une autre femme), l'observation du texte s'explique fort bien.

[761 On l'a identifié avec les ruines d'Arak el Emir, au N.-O. d'Hesbon, où se trouvent, en effet, de grandes figures de lions (Vogüé, Temple de Jérusalem, pl. 34-35 ; Schürer, II3, p. 49). M. L. Gautier y a découvert une inscription hébraïque (Au delà du Jourdain, 1896) où M. Clermont-Ganneau reconnaît de nom le Tobie (Archaeol. research in Palestine, II, 261 ; Rev. critique, 1897, II, p. 505), mais on ne saurait admettre avec ce savant que dans II Maccabées, 3, 11 „Urxanoè toè TvöÛou doive s'interpréter « Hyrcan dit aussi Tobie ». Il faudrait toè xaÞ

[771 En réalité Séleucus IV a régné 12 ans (187-175). [781 En 181 av. J.-C.

[791 La fortune « d'Hyrcan fils de Tobie » était déposée dans le Trésor du Temple (II Maccabées, 3, 11). Nous ignorons à quelle date précise elle fut confisquée par Antiochus.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

Ier livre des Macchabées, qu'il n'a connu que jusqu'à 13, 42, mais sous la forme qui nous est familière, et qu'il a suivi très fidèlement en général. Pour compléter les données de cet ouvrage il a utilisé : 1° une chronique sacerdotale (seulement pour la succession des grands-prêtres) ; 2° pour les événements de l'histoire générale de Syrie, les historiens grecs, c'est-à-dire Polybe et Posidonius, ou peut-être un compilateur (Nicolas de Damas ?) qui les avait résumés ; enfin 3° pour l'histoire du pontificat de Simon, il parait avoir consulté un document grec, le même peut-être auquel il a puisé plus largement dans la Guerre des Juifs. (Les événements compris dans toute cette partie des Antiquités avaient déjà été racontés plus brièvement dans la Guerre, I, § 1-53) ; nous renvoyons à la traduction de cet ouvrage pour l'indication détaillée des divergences.) Josèphe n'a pas connu le 2e livre des Macchabées (Jason de Cyrène). Pour la critique des sources, on consultera, outre les ouvrages généraux de Bloch et de Destinon et les commentaires de Grimm et de Keil sur les livres des Macchabées, Nussbaum, Observationes in Fl. Josephi Antiq. libros. XII, 3-XIII, 14 (1875); Büchler dans la Rev. ét. juives, XXXII (1896), p. 179 suiv., et XXXIV (1897), p. 69 suiv., et dans Jewish Quarterly Review, tome IX ; Niese, Kritik der beiden Makkabäerbüchen (1900, t. à part de l'Hermes, tome XXXV).

  1. Les détails ici donnés sur la succession des grands-prêtres ne sont pas

empruntés à I Macchabées mais probablement à la Chronique pontificale déjà plusieurs fois mentionnée. Ces détails diffèrent complètement de ceux de II Maccabées, 4, où l'on voit : 1° que Jason supplanta à prix d'argent Onias III, au lieu de lui succéder pacifiquement ; 2° que Ménélas n'était pas le frère d'Onias III et de Jason, mais un Benjaminite, frère de Simon le ~ du Temple. (Dans la Guerre, I, § 31 suiv., tout se réduit à une querelle entre les fils de Tobie et Onias « l'un des grands-prêtres »). Les renseignements de II Maccabées méritent incontestablement la préférence. Il est invraisemblable que Simon III ait eu deux fils appelés Onias et l'on comprend que le rédacteur de la Chronique pontificale ait retouché les faits pour donner à toute la succession des grands-prêtres un aspect légitime.

  1. Voir plus loin Livre XIII, iii, 1 suiv.
  2. Pour le gymnase, les faux prépuces etc., cf. I Maccabées, 1, 11-15, qui

ne précise pas les dates. D'après II Maccabées, 4, 10-17, toutes ces tentatives d'hellénisation se placeraient déjà sous Jason (173-171?).

  1. Cette section est empruntée à des historiens grecs, mais Josèphe ne fait

qu'un bloc des deux expéditions d'Antiochus en Egypte (170 et 168) que distinguent d'autres sources et notamment II Maccabées - I Maccabées ne parait également connaître qu'une expédition (1, 16.20).

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. Josèphe emprunte cette formule au document grec qu'il copie. Sur cette étourderie, fréquente chez lui, cf. Destinon, p. 27 suiv.
  2. Guerre, I, § 31-40.
  3. Ce premier pillage de Jérusalem correspond pour la date à celui qui est

raconté dans I Maccabées, 1, 20-28 sous l’an 143 Sél. (170-169 av. J.-C.), mais il faut remarquer que dans I Maccabées il n'est question que du pillage du temple (que Josèphe place deux ans après) et dans Josèphe seulement de celui de la ville. De plus, Josèphe fait une allusion évidente à des partisans et à des adversaires (égyptisants) de la domination d'Antiochus, ce qui rappelle Guerre, I, § 32, où le massacre porte sur les partisans de Ptolémée. On ne saurait donc douter que Josèphe n'ait abandonné ici son guide habituel (I Maccabées) pour suivre le document grec, mal informé, qu'il avait déjà utilisé dans la Guerre. Son récit renferme, en outre, un anachronisme évident en attribuant la première retraite d'Antiochus à l'intervention des Romains ; celle-ci ne se produisit qu'en 168.

  1. Cette section correspond en gros à I Maccabées, 1, 20-28 ; la date 143

Sél. = 168-7 av. J.-C. (deux ans après le premier pillage, § 29 Maccabées) concorde ; Ol. 153 = 168-4 av. J.-C. Toutefois il faut noter d’importantes différences entre les deux récits : 1° le jour donné par Josèphe pour l'entrée d'Antiochus à Jérusalem, 25 Chislev, est en réalité celui où fut célébré le premier sacrifice païen sur l'autel d'Antiochus (§ 59 Maccabées, cf. 4, 52) ; 2° Josèphe a mal compris le texte I Maccabées, 1, 29 d'où il résulte que toute cette opération ne fut pas exécutée par Antiochus en personne, mais par son lieutenant (sans doute l'Apollonios de II Maccabées, 5, 16) chargé de prélever les tributs dans les villes de Judée ; 3° le pillage du temple n'eut pas lieu à cette occasion, mais lors de la première entrée des Syriens à Jérusalem en 170-169 (I Maccabées, 1, 21 suiv.). Dans le détail des supplices infligés aux Juifs récalcitrants (§ 255 suiv.), Josèphe ajoute aussi au texte de I Maccabées et se rencontre en partie avec II Maccabées, 6, 18 et Guerre, I, 1, 2, (Büchler).

  1. Et non pas de force comme Josèphe le dit ailleurs, XIII, § 215, et Guerre, I, § 32.
  2. L'Acra était située sur la colline orientale, au sud du Temple, dont la séparait un ravin.

[91] Cette section ne dérive pas de I Maccabées, mais probablement d'un

pamphlet hostile aux Samaritains, né dans les milieux juifs d'Egypte. Le mémoire et le rescrit eux-mêmes ont pu, à l'origine, être forgés dans l’intérêt des Samaritains ; la rédaction en est habile et tout à fait conforme

 

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au style de chancellerie que nous font connaître les papyrus égyptiens du iie siècle. Quant au fond historique, tout ce qu'on sait d'ailleurs (II Maccabées, 6,2) c'est qu'Antiochus fit consacrer le temple du Garizim à Zeus Xénios (Hospitalier) xayÆw ¡tægxanon oÛ tòn tñpon oÞxoèntew (déjà les bons Samaritains !). L'authenticité de nos documents est défendue par Niese, op. cit., p. 107.

  1. Cf. XI, viii, 6.
  2. Apollonios est probablement le mns‹rxhw (merid‹rxhw ?) de II

Maccabées, 5, 24. Nicanor est inconnu (cf. vii, 3) ; il ne saurait être

identifié au confident de Démétrius Soter dont il sera question plus loin, x, 3.

  1. L'an 146 (cette correction s'impose) Sél. correspond à 167-6 av. J.-C.

Le mois attique Hécatombéon (juillet) est étranger au calendrier macédonien, qui était celui de la chancellerie séleucide ; Hyrcanios est un nom de mois (?) totalement inconnu.

  1. I Maccabées, 2, 1-14.
  2. toè ƒAsamvnaÞou. Ces mots manquent dans notre texte de I

Maccabées. On n'oubliera pas que Josèphe appartenait lui-même à cette ramille (Vie, § 2). Nous n'insistons pas sur les variantes assez nombreuses que présentent les mss. de Josèphe pour les surnoms des fils de Mattathias (GaddÛw, MayyÞw, etc.).

  1. I Maccabées, 2, 15-48.
  2. Ce nom ne se trouve pas dans le texte de I Maccabées, § 25 (Guerre, I,

§ 35 et 37 nomme le phrourarque Bacchidès !) et celui que Josèphe appelle strathgñw (général ou préfet) y est simplement qualifié de « homme du roi ».

  1. I Maccabées n'indique pas que les Juifs aient été asphyxiés. Josèphe s'accorde sur ce détail avec II Maccabées, 6, 11.

[100] Remarquez comment Josèphe insiste sur cet épisode et amplifie le

texte de I Maccabées (où l'initiative en question n'est point attribuée à Mattathias). Est-ce parce que le reproche de ne pas combattre le jour du sabbat jouât un grand rôle dans la polémique païenne contre les Juifs, ou peut-être Josèphe voulait ici se justifier auprès de ses coreligionnaires d'avoir violé cette pratique pendant la guerre contre les Romains ?

 

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  1. I Maccabées, 2, 49-68. Le texte de Josèphe est une paraphrase très libre et très banale de l'original, d'où toute la couleur biblique est effacée.
  2. I Maccabées, 2, 69-3, 9. Josèphe abrége ce texte poétique.
  3. 167-6 av. J.-C.
  4. I Maccabées, 3, 10-26.
  5. Probablement le même que le Apollonios de II Maccabées, 5, 24, que nous avons déjà rencontré plus haut.
  6. Josèphe a mal compris le texte de Maccabées, 3, 12 : c'est Judas qui désormais se sert constamment de l'épée d'Apollonios.
  7. Dans Maccabées, § 13, il est appelé fi ‘rxvn t°w dun‹mevw SurÞaw.
  8. A 18 kilomètres au N.-O. de Jérusalem.
  9. Maccabées, § 17, dit simplement qu'ils étaient à jeun.
  10. Le texte de Maccabées (§ 23) ne dit pas que Séron ait péri.
  11. I Maccabées, 3, 29-37.
  12. Josèphe généralise ce qui dans Maccabées § 29 ne parait s’appliquer qu'au soulèvement de la Judée.
  13. 166-5 av. J.-C.
  14. I Maccabées, 3, 38.59. Josèphe a abrégé les scènes de deuil et amplifié les discours de Judas.
  15. Emmaüs-Nicopolis, à 3 milles à l'ouest de Jérusalem.
  16. Dans Maccabées toute la scène suivante se passe à Mispah.
  17. I Maccabées 4, 1-25.
  18. €IdoumaÛaw est la leçon de la plupart des mss. de Josèphe et de I Maccabées 4, 15 ; d'autres ont €IoudaÛaw. Gazara (Gadara des mss.) est

 

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l'ancienne Gezer (auj. Tell Djezer), à 4 milles au N. O. d'Emmaüs.

  1. I Maccabées, 4, 26-35.
  2. 165-4 av. J.-C.
  3. A 20 milles au S. de Jérusalem, sur la route d'Hébron.
  4. I Maccabées, 4, 36-54.
  5. D'après Guerre, § 39, il commença par la chasser de la ville haute

(colline de l'O.) pour la refouler dans la ville basse (colline de l'E. dont faisait partie l'Acra).

[124] Trois ans et 6 mois d'après Guerre, § 32.

  1. Décembre 165 av. J.-C. La 154e olympiade ne commence qu’en juillet 164. La date olympique a été d'ailleurs ajoutée par Josèphe.
  2. Daniel, xi, 31. On voit que Josèphe place Daniel en 573 av. J..C.
  3. I Maccabées, 4, 55-61. Josèphe ajoute le nom de la fête instituée par

Judas, dont il donne d'ailleurs une explication fantaisiste. La fête des Lumières (Hanoucca) tire son nom des lumières qu'on y allume en signe de réjouissance (Baba Kamma, VI, 6 etc.).

  1. Non pas la ville, mais le mont Sion (Maccabées, 4, 60), c'est-à-dire la

colline E. et spécialement la partie N. de cette colline, où s'élevait le Temple.

  1. I Maccabées, 5, 1-16.
  2. Au Sud de la Judée.
  3. uÛÇn Bai‹n dans Maccabées Ce peuple est inconnu.
  4. Ville du territoire de Gad. Le texte de Maccabées (§ 8) dit : les villes

qui en dépendaient (métaphore biblique). Josèphe a fait un contresens et ajouté de son cru le détail de l'incendie.

  1. Localité inconnue.

 

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  1. I Maccabées, 5, 17-23.
  2. Il ne s'agit pas, en réalité, de Juifs prisonniers (des païens), mais de Juifs établis dans la Galilée supérieure, qui ne pouvaient plus se maintenir au milieu je populations hostiles.
  3. I Maccabées, 5, 24-36.
  4. Josèphe lisait déjà le texte évidemment altéré de Maccabées § 26. La vérité parait être que les habitants des villes païennes (Bosorra, etc.) s'étaient coalisés pour assiéger les Juifs dans une forteresse unique, Dathema. Cf. Wellhausen, Jud. Geschichte, p. 212, note 1.
  5. Maccabées, 5, 28 donne Bosñr, c'est-à-dire Bezer dans le pays de Ruben, mais Josèphe paraît avoir lu Bossra (comme dans Maccabées, 5, 26) c'est-à-dire Bosra de Moab (Jérémie, 48, 24).
  6. Dathema ; cf. supra, section 1, la note.
  7. D'autres mss. ont Mell‹ ; ceux de Maccabées, 5, 35 ont Masf‹ ou Maaf‹. C'est Mispah de Galaad (Juges, xi, 29),
  8. Le texte de Josèphe porte Xasfom‹ah aaÜ Bosñr. Il faut rétablir, avec Maccabées, 5, 36, XasfÅy (ou XasfÅn), Maa¡ø, Bosñr. Les deux premières villes sont inconnues. Sur Bosñr, cf. plus haut la note sur Bosorra.
  9. I Maccabées, 5, 37-44.
  10. Localité inconnue. Le torrent parait être le Yarmouk.
  11. Le texte de Maccabées 41 est plus clair ; Timothée dit que ce sont les Ammonites qui doivent prendre l'offensive et franchir le torrent.
  12. La ville paraît s'être appelée Karnaýn (Maccabées 5, 44). C'est la Karnaïm d'Amos, vi, 13.
  13. I Maccabées, 5, 45-54.
  14. Peut-être la Gefroèw de Polybe, V, 70, 12, aujourd'hui Ouad el-Ghafr (?).
  15. I Maccabées, 5, 55-68.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. Marescha, dans la plaine de Juda, entre Hébron et Asdod. Les mss. de

Maccabées, 5, 66, ont ici Sam‹reian, qui est impossible. Maris‹ est d'ailleurs la leçon de II Maccabées, 12, 35.

  1. I Maccabées, 6, 1-13. Vers la fin, Polybe, peut-être à travers Nicolas. Le nom de la déesse Artémis provient déjà de Polybe.

[151] L'Elymaïde (Susiane) est une province et non une ville. Josèphe

reproduit la grossière erreur de I Maccabées, 6, 1, alors qu'il lui eût été facile de se renseigner dans Polybe. De même, un peu plus loin, il fait mourir Antiochus à Babylone, tandis que Polybe (XXXI, 11) indiquait Tabae en Perse comme lieu de sa mort.

  1. Texte altéré ; nous traduisons au jugé. - Ces réflexions de Josèphe

coïncident presque textuellement avec celles de saint Jérôme sur Daniel, xi, 36, qui a dû s'en inspirer.

  1. I Maccabées, 6, 14-17 (transcription presque littérale).
  2. 164-3 av. J.-C. (165-4 d'après Eusèbe. Ces deux dates ne sont pas

nécessairement contradictoires, car il est probable que dans I Maccabées, l'année macédonienne commence en avril. Antiochus parait être mort dans le deuxième trimestre de 164).

  1. I Maccabées, 6, 18-30.
  2. 163-2 av. J.-C.
  3. Les chiffres de Guerre sont 50.000 fantassins, 5.000 chevaux, 80 éléphants.
  4. I Maccabées, 6, 31-46.
  5. Ruines a une lieue au sud de Bethlehem. La distance entre ce lieu et l'ennemi (Bethsoura) est ajoutée par Josèphe.
  6. Ce détail est de Josèphe.
  7. toçw filoçw est une ingénieuse et vraisemblable correction de Naber

(les mss. ont filoçw, « les amis de Roi ». Mais pourquoi ne seraient-ils qu'aux ailes ?).

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. Le détail des enveloppes ôtées est de Josèphe, mais parfaitement conforme à la pratique militaire de l'époque. Cf. Plutarque, Lucullus, 27.
  2. I Maccabées, 48-54.
  3. Guerre est plus explicite : Judas est battu et se retire, non à Jérusalem,

mais dans la toparchie de Gophna. Ce dernier renseignement résulte

d'ailleurs peut-être d'une confusion avec les évènements racontés plus loin, x, 5.

  1. I Maccabées, 5, 55-59,
  2. Josèphe a eu sous les yeux un ms. de I Maccabées, qui donnait

(comme le ms. A) le pluriel aat¡speudon, (au lieu de aat¡speuden) et il en a conclu que le roi était d'accord avec Lysias. D'après Guerre, c'est réellement à cause de la pénurie de vivres que le roi lève le siège.

  1. I Maccabées, 5, 60-63, seulement pour le début jusqu’à

« ...fondations. » et la phrase « Le roi Antiochus cependant... ». Ce qui concerne les grands-prêtres n'est pas emprunté à I Maccabées et ne s'accorde pas avec cet ouvrage, d'après lequel (7, 9) Alkimos n'aurait été nommé grand-prêtre que sous Démétrius. Telle est aussi la version de II Maccabées, (14, 13), qui ajoute toutefois (14, 3) qu'Alkimos avait déjà été grand-prêtre. Sur l'exécution de Ménélas à Béroia Josèphe s'accorde avec II Maccabées, 13, 4 suiv., sans qu'il en résulte qu'il ait connu ce livre.

  1. Supra, v, 1.
  2. Livre XIII, iii, 1.
  3. I Maccabées, 7, 1-7.
  4. 162/1 av. J.-C. (151 Sél.). Démétrius (I Soter), fils de Séleucus IV

Philopator (frère et prédécesseur d'Antiochus Epiphane), était l'héritier légitime du trône des Séleucides. Il était retenu en otage à Rome.

  1. I Macchabées indique simplement « une ville maritime » ; en revanche II Maccabées, 14, 1, nomme Tripolis.
  2. Cela n'a été dit nulle part.
  3. I Maccabées, 7, 8-20.

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

  1. Ni cet éloge inattendu de Bacchidès (•nöra xrhstñn) ni le détail qu'il était un ami d'Epiphane ne se lisent dans I Maccabées.

[176] Bez¡y dans I Maccabées. Cette localité pourrait être la même que

celle qui est plusieurs fois nommée dans la Guerre (II et V) sous le nom de Bezey‹ et qui était un faubourg de Jérusalem. Voir cependant Schlatter, Zeitschrift des deutschen Palästina Vereins, XIX, 225.

  1. I Maccabées, 7, 21-25.
  2. I Maccabées, 7, 26-32.
  3. Site inconnu. Peut-être Carvasalim près de Ramleh, mentionnée au xie siècle.

[180] Le texte des mss. de Josèphe attribue la victoire à Nicanor, qui force

Judas a se réfugier dans la citadelle. Mais ce texte est à la fois en contradiction avec I Maccabées et absurde, car la citadelle était encore aux mains des Syriens. Plusieurs corrections ont été proposées ; nous suivons la leçon de Naber.

  1. I Maccabées, 7, 33-50.
  2. Cf. vii, 1.
  3. 3.000 selon Maccabées, 7, 40.
  4. Au N.-E. de Beth-horon, près de Gophna (Eusèbe, Onomasticon, p.

220, Lagarde). La distance entre Adasa et Beth-horon n'est pas indiquée par Maccabées.

[185] Mars 161 av. J.-C.

  1. Le « jour de Nicanor » est également mentionné par II Maccabées, 15, 36, et par Magillath Taanith, § 30.
  2. I Maccabées, 8.
  3. Cet événement est placé par I Maccabées (9, 54-56) sous le

gouvernement du Jonathan et naturellement il n'y est pas question de l'élévation de Judas au pontificat. Josèphe affirmera de nouveau ce dernier détail, mais il se contredit, Ant., XX, 10, où il déclare qu'après la mort

 

Flavius Josephe : Antiquités judaïques, XII

d'Alkimos, la grande-prêtrise vaqua pendant 7 ans. Josèphe a dû avoir sous les yeux un exemplaire de I Maccabées falsifié dans un intérêt hasmonéen. Le mur du sanctuaire que veut abattre Alkimos est probablement le mur d'enceinte qui séparait la cour accessible aux païens du vestibule intérieur, réservé aux Israélites. Cf. Schürer, I3, p.225, note6.

  1. thn IƒalatÛan ; I Maccabées toÝw Gal‹taiw. S'agit-il des Gaulois (d'Italie ou de Provence) ou de la Galatie d'Asie Mineure ? La mention de la conquête de la Grèce (empruntée à I Maccabées) est un anachronisme ; celle de Carthage ne se trouve que chez Josèphe.
  2. Josèphe rectifie ici Maccabées d'après lequel c'est l'original sur bronze qui est envoyé à Jérusalem.
  3. Ici encore Josèphe améliore le texte très obscur de Maccabées. De même à la fin de la citation.
  4. Cette phrase (fait-elle encore partie du décret ?) manque dans I Maccabées. Elle est d'ailleurs absurde. Willrich en a conclu que le traité avait été signé sous Juda Aristobule (Judaica, p. 71).
  5. I Maccabées, 9, 1-10.
  6. Aujourd'hui Irbid ? (Wellhausen a retiré sa conjecture €Arö®doiw). Au lieu de la Galilée, I Maccabées nomme G‹lgala.
  7. Lieu inconnu (la plupart des mss. de I Maccabées ont Ber¡an). Peut-être Bir ez-Zeit au N. O. de Gophna. Dans Guerre, le combat où périt Judas a lieu à ƒAx¡øasa (= Adasa du x, 5 ?).
  8. Les mss. ont xÛlioi qui est inadmissible d'après la suite ; Maccabées donne 3.000.
  9. I Maccabées, 9, 11-22.
  10. ...Azvtow dans Maccabées.
  11. 161 av. J.-C. (le 1er mois de l'an 152 Sél. d'après I Maccabées, 9, 3).

 

ANTIQUITES JUDAÏQUES

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JOSEPHE

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XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
ANTIQUITES JUDAÏQUES

Flavius Josèphe

Traduction de Julien Weill

Sous la direction de

Théodore Reinach

Membre de l’Institut

1900

Ernest Leroux, éditeur - Paris

LIVRE 13

I

1. Jonathan choisi pour général des Juifs insurgés. - 2. Jonathan dans le désert. Massacre de son frère Jean par les Nabatéens. - 3. Combat des bouches du Jourdain. Forteresses élevées par Bacchidés. - 4. Vengeance de Jonathan et de Simon sur les Nabatéens. - 5. Trêve de deux ans. Bacchidés vient assiéger Béthalaga. - 6. Traité entre Jonathan et Bacchidés.

1[1]. Comment le peuple juif, réduit en servitude par les

Macédoniens, recouvra sa liberté ; après combien de combats et de quelle importance leur général Judas mourut en luttant pour eux, c'est ce que nous avons raconté dans le livre précédent. Après la mort de Judas, tout ce qu'il y avait encore de renégats, tous ceux qui avaient transgressé les lois nationales, surgirent de nouveau contre les Juifs

 

ANTIQUITES JUDAÏQUES

et, foisonnant de tous côtés, les persécutèrent. À leur perversité s'ajouta la famine, qui s'abattit sur le pays, si bien que beaucoup, à cause de la disette de vivres et de l'impossibilité où ils étaient de résister ensemble à la famine et à leurs ennemis, passèrent aux Macédoniens. Bacchidès rassembla ceux des Juifs qui avaient renié leurs coutumes nationales et choisi le genre de vie des autres peuples, et leur confia l'administration du pays ; ils s'emparèrent des amis de Judas et de ses partisans et les livrèrent à Bacchidès. Celui-ci les fit périr après des tortures et des mauvais traitements qu'il leur infligea par plaisir. Devant une semblable calamité, telle que les Juifs n'en avaient pas éprouvé depuis le retour de Babylone, ceux qui restaient des compagnons de Judas, voyant que le peuple périssait misérablement, allèrent trouver son frère Jonathas et le supplièrent d'imiter l'exemple de son frère et sa sollicitude pour ses compatriotes, qu'il avait poussée jusqu'à mourir pour la liberté commune; il ne pouvait laisser le peuple sans défenseur dans un moment où le malheur s'abattait sur lui. Jonathas répondit qu'il était prêt à mourir pour eux, et comme on ne le jugeait en rien inférieur à son frère, il fut élu général des Juifs.

2[21. Bacchidès, à cette nouvelle, craignant que Jonathas ne créât des

difficultés au roi et aux Macédoniens comme auparavant Judas, chercha à s'en débarrasser par ruse. Mais il ne put cacher son dessein à Jonathas et à son frère Simon, qui, l'ayant appris, s'enfuirent en toute hâte, avec tous leurs compagnons, dans le désert le plus rapproché de la ville[31 ; arrivés sur les bords de l'eau qu'on appelle la

citerne d'Asphar[41, ils s'y établirent. Bacchidès, quand il sut qu’ils

étaient partis et se trouvaient en cet endroit, marcha contre eux avec toutes ses forces, et arrivé au delà du Jourdain[51, campa pour faire

reposer ses troupes. Jonathas, à la nouvelle que Bacchidès marchait sur lui, envoya son frère Jean, appelé aussi Gaddin, aux Arabes Nabatéens pour déposer chez eux les bagages de l'armée jusqu'à ce qu'il eut fini de combattre Bacchidès : ces Arabes étaient, en effet, ses amis. Mais comme Jean se rendait chez les Nabatéens, les fils d'Amaraios[61 lui dressèrent une embuscade au sortir de la ville de

Médaba, s'emparèrent de lui et de son escorte, et après avoir pillé le convoi, tuèrent Jean et tous ses compagnons. Cependant les frères de leur victime leur infligèrent bientôt le châtiment qu'ils méritaient, comme nous le raconterons.

3[71. Bacchidès, à la nouvelle que Jonathas campait dans les marais du Jourdain, choisit le jour du Sabbat pour l'attaquer, persuadé qu'il

 

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ne combattrait pas ce jour-là, pour obéir à la loi. Mais Jonathas, après avoir exhorté ses compagnons et leur avoir dit qu'il y allait de leur vie, puisque, pris entre le fleuve et l'ennemi[8], ils ne pouvaient fuir

(car l'ennemi était devant eux et le fleuve derrière), pria Dieu de lui accorder la victoire et engagea la bataille. Il avait déjà tué beaucoup d'ennemis, quand il vit Bacchidès se précipiter furieusement sur lui ; il étendit alors la main droite comme pour le frapper. Mais Bacchidès aperçut le geste et évita le coup ; Jonathas sauta dans le fleuve avec ses compagnons, le traversa à la nage, et se mit ainsi en sûreté au delà du Jourdain ; les ennemis ne traversèrent plus le fleuve et Bacchidès revint aussitôt à la citadelle de Jérusalem. Cette bataille lui coûta environ deux mille hommes de son armée[9]. Bacchidès se rendit

ensuite maître de plusieurs villes de Judée et les fortifia Jéricho, Emmaüs, Béthoron, Bethèla, Thamnatha, Pharatho, Tochoa[10],

Gazara ; il construisit dans chacune d'elles des tours, bâtit une enceinte de murailles hautes et solides, et y établit des garnisons destinées à faire des sorties pour dévaster le territoire juif. Il fortifia surtout la citadelle de Jérusalem. Et prenant comme otages les enfants des premiers de la Judée, il les enferma dans la citadelle et la garda ainsi.

4[11]. Vers ce même temps un messager vint annoncer à Jonathas et

à son frère Simon que les fils d'Amaraios allaient célébrer un mariage, et amener de la ville de Nabatha[12] la fiancée, fille d'un

haut personnage arabe ; le cortège de la jeune fille serait riche et brillant. Jonathas et Simon jugèrent qu'une occasion favorable se présentait de venger leur frère, et qu'ils auraient là toutes les facilités pour tirer des fils d'Amaraios le châtiment de la mort de Jean ; ils marchèrent sur Médaba, et, s'embusquant dans la montagne, attendirent leurs ennemis. Quand ils les virent arriver conduisant la jeune fille et le fiancé, accompagnés du cortège d'amis usité dans les noces, ils s'élancèrent de leur embuscade, les tuèrent tous et s'en retournèrent après avoir pris toutes les parures et fait main basse sur tout le bagage des hommes. Telle fut la vengeance qu'ils tirèrent des fils d'Amaraios pour le meurtre de leur frère Jean : les coupables eux-mêmes, les amis qui les accompagnaient, leurs femmes et leurs enfants, périrent, au nombre d'environ quatre cents[13].

5[14]. Simon et Jonathas retournèrent aux marais du Jourdain et y

demeurèrent. Bacchidès, après avoir assuré la tranquillité de la Judée en mettant partout des garnisons, retourna auprès de roi. Et pendant deux ans les Juifs eurent la paix. Les transfuges et les renégats,

 

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voyant que Jonathas et ses compagnons parcouraient le pays en toute liberté, à la faveur de la paix, firent demander à Démétrius de leur envoyer Bacchidès pour s'emparer de Jonathas ; ils assuraient que cette capture serait facile, et qu'en tombant une nuit sur eux sans qu'ils s'y attendissent, on les tuerait tous. Le roi envoya donc Bacchidès ; celui-ci, aussitôt arrivé en Judée, écrivit à tous ses amis, aux Juifs, à ses alliés, de lui livrer Jonathas. Tous essayèrent de s'emparer de Jonathas, mais en vain, car il se gardait bien, se doutant du complot tramé contre lui. Bacchidès entra alors dans une violente colère contre les Juifs transfuges, prétendant qu>ils l'avaient trompé, lui et le roi, et s'emparant de cinquante des plus importants d'entre eux, il les mit à mort[15]. Jonathas avec son frère et ses compagnons

se retira à Béthalaga, bourg du désert[16], par crainte de Bacchidès ;

il y construisit des tours et une enceinte de murailles, et s'y tint en sûreté, sous bonne garde. Bacchidès, à cette nouvelle, marcha contre Jonathas, avec ses troupes et ceux des Juifs qui étaient ses alliés, vint attaquer ses retranchements et l'assiégea pendant de longs jours. Mais Jonathas ne céda pas à l'effort du siège. Après une vigoureuse résistance, il laissa son frère Simon dans la place pour tenir tête à Bacchidès, et lui-même gagna secrètement la campagne, réunit une troupe considérable de ses partisans, tomba pendant la nuit sur le camp de Bacchidès, et lui tua beaucoup de monde, en sorte que son frère Simon sut bientôt lui-même qu'il avait attaqué les ennemis. Comprenant que c'était Jonathas qui les massacrait, Simon fit une sortie contre eux, brûla les machines de siège des Macédoniens et en fit un assez grand carnage. Quand Bacchidès se vit cerné par ses adversaires et attaqué de front et à revers il tomba dans le découragement et l'indécision, consterné de la façon imprévue dont se dénouait le siège. Il tourna donc sa fureur contre les Juifs transfuges qui avaient prié le roi de l'envoyer, les accusant de l'avoir trompé, et ne songea plus qu'à terminer le siège sans trop de déshonneur et à rentrer chez lui.

6[17]. Jonathas, ayant eu connaissance de ses dispositions, lui envoya

proposer un traité de paix et d'amitié, et l'échange des prisonniers faits de part et d'autre[18]. Bacchidès, trouvant que c'était là une

retraite très honorable, fit amitié avec Jonathas, échangea avec lui le serment qu'ils ne marcheraient plus l'un contre le territoire de l'autre, puis, après avoir rendu les prisonniers juifs et recouvré les siens, il rentra à Antioche auprès du roi ; une fois de retour, il n'envahit plus jamais la Judée. Jonathas, désormais libre, s'établit dans la ville de Machma[19], où il jugea la population et purgea la nation des

 

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méchants et renégats en les châtiant.

II

1-3. Invasion d'Alexandre Bala. Concessions des deux prétendants aux Juifs ; Jonathan grand-prêtre. - 4. Défaite et mort de Démétrius.

1[20]. La cent soixantième année[21], Alexandre, fils d'Antiochus Épiphane[22], remonta en Svrie et s'empara de Ptolémaïs grâce à la

trahison des soldats de la garnison, qui en voulaient à Démétrius de sa fierté et de la difficulté qu'il y avait à l'aborder. Il s'était, en effet, enfermé dans un palais défendu par quatre tours, qu'il s'était fait bâtir non loin d'Antioche, et ne laissait approcher de lui personne ; il était de plus négligent et insouciant des affaires, ce qui redoublait la haine de ses sujets, comme nous l'avons déjà raconté ailleurs[23]. A la

nouvelle de l'entrée d’Alexandre dans Ptolémaïs, Démétrius marcha contre lui avec toute ses forces. Il envoya aussi à Jonathas des messagers pour faire avec lui alliance et amitié ; il voulait devancer Alexandre, de peur que celui-ci ne le prévint et n'obtint l'aide de Jonathas, car il avait lieu de craindre que Jonathas, se souvenant du mal que Démétrius avait fait, ne se laissât facilement persuader de se déclarer contre lui. Il l'invita donc à réunir ses forces, à préparer ses armes, et à reprendre les otages prélevés sur les Juifs et enfermés par Bacchidès dans la citadelle de Jérusalem. Jonathas1 au reçu de ces ouvertures de la part de Démétrius, se rendit à Jérusalem, et lut la lettre du roi en présence du peuple et des soldats qui gardaient la citadelle. A cette lecture, les Juifs transfuges et apostats de la citadelle furent saisis de crainte, voyant que le roi permettait à Jonathas de réunir une armée et de reprendre les otages. Jonathas rendit chacun de ceux-ci à leurs parents. Et c'est ainsi qu'il se fixa à Jérusalem ; il fit d'importants remaniements dans la ville et régla tout à sa volonté. Il fit construire notamment les murailles de la ville[24]

en pierres carrées pour qu'elles résistassent mieux aux attaques de l'ennemie. En présence de ces faits, les soldats des garnisons de Judée abandonnèrent tous leur poste et s'enfuirent à Antioche, à l'exception de ceux de Bethsoura et de la citadelle de Jérusalem[25] : ceux-ci

étaient, en effet, pour la plus grande partie des Juifs transfuges et apostats ; c'est pour cela qu'ils n'abandonnèrent pas leurs garnisons.

2[26]. Alexandre, ayant su les promesses faites par Démétrius et Jonathas, et ayant appris la vaillance de celui-ci, les exploits qu'il

 

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avait accomplis en luttant contre les Macédoniens, tout ce qu'il avait eu à souffrir de Démétrius et de Bacchidès, le général de Démétrius, déclara à ses amis qu'il ne pouvait, dans les circonstances présentes, trouver un meilleur allié que ce Jonathas, si courageux contre l'ennemi et nourrissant une haine personnelle contre Démétrius qui lui avait fait et avait éprouvé de lui beaucoup de mal. Si donc ils étaient d'avis de se l'attacher contre Démétrius, rien ne pouvait être plus utile que de solliciter maintenant son alliance[27]. Ses amis et lui

décidèrent donc d'envoyer un messager à Jonathas et lui écrivirent en ces termes : « Le roi Alexandre à Jonathas, son frère, salut. Nous avons entendu depuis longtemps vanter ta valeur et ta fidélité, et c'est pourquoi nous t'envoyons demander ton amitié et ton alliance. Nous te nommons dès aujourd'hui grand-prêtre des Juifs et te donnons le titre de notre ami. Je t'envoie en présent un habit de pourpre et une couronne d'or, et je te prie d'avoir pour nous la considération que nous avons pour toi. »

3[28]. Jonathas, au reçu de cette lettre, revêtit l'habit de grand-prêtre, à l'occasion de la fête des Tabernacles, quatre ans[29] après la mort

de son frère Judas : pendant ces quatre années il n'y avait pas eu de grand prêtre. Il réunit une armée considérable et forgea une grande quantité d'armes. Quand Démétrius apprit ces faits, il en fut vivement contrarié ; il se reprocha sa lenteur et de n'avoir pas gagné par de bons procédés Jonathas, et devancé ainsi Alexandre, au lieu de lui laisser le temps d'agir. Il écrivit donc lui aussi une lettre à Jonathas et au peuple, ainsi conçue : « Le roi Démétrius à Jonathas et au peuple juif, salut. Puisque vous avez conservé votre amitié pour nous et que vous n'avez pas passé à nos ennemis, malgré leurs tentatives pour vous débaucher, je loue votre fidélité et vous prie de rester dans les mêmes sentiments, dont vous recueillerez de notre part fruit et récompense. Je vous libérerai, en effet, de la plupart des tributs et des redevances que vous payiez aux rois mes prédécesseurs et à moi-même, et dès maintenant je vous exempte des tributs permanents. Outre cela, je vous fais la remise du sel et des couronnes que vous m'apportiez ; la part qui me revenait en remplacement du tiers de la moisson et de la moitié de la récolte des arbres fruitiers[30], je vous

l'abandonne, à dater de ce jour. Je vous exempte également à partir d'aujourd'hui et pour toujours de la taxe que devaient me payer par tête les habitants de la Judée et des trois toparchies annexes, Samarie, Galilée et Pérée[31]. Je veux que la ville de Jérusalem soit sacrée,

inviolable, et exempte, jusqu'à ses limites, de la dîme et des droits de douane. Je remets la citadelle aux mains de votre grand-prêtre

 

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Jonathas il pourra y placer, comme garnison, ceux de ses fidèles et amis qu’il voudra, qui la garderont pour nous. Je remets en liberté tous les Juifs prisonniers et esclaves sur notre territoire. J'interdis la réquisition des bêtes de somme des Juifs ; ceux-ci seront exempts de toutes corvées les jours de Sabbat ou de fête, et trois jours avant[32]

chaque fête. De même, je renvoie libres et indemnes de tout dommage tous les Juifs habitant mon royaume, et j'autorise ceux qui le désirent à entrer dans mon armée, jusqu'à concurrence de trente mille ; et partout où ils iront, ils recevront la même solde que mes propres soldats. J'en placerai une partie dans les garnisons, quelques-uns dans ma garde personnelle, et je leur donnerai des commandements à ma cour. Je vous[33] permets aussi d'observer et

de conserver vos lois nationales, et de réduire à votre obéissance les trois préfectures annexées à la Judée ; j'autorise le grand-prêtre à veiller à ce qu'aucun Juif n'ait d'autre temple où adorer Dieu, que le Temple de Jérusalem[34]. Je donnerai sur mon trésor chaque année,

pour les frais des sacrifices, cent cinquante mille (drachmes)[35], et je veux que tout l'excédent des sommes[36] vous appartienne. Quant aux dix mille drachmes[37] que les rois retiraient du Temple, je vous

en fais la remise parce qu'elles reviennent aux prêtres qui desservent le Temple. Et tous ceux qui se réfugieront dans le Temple de Jérusalem ou dans ses dépendances, soit parce qu'ils devaient de l'argent au trésor royal, soit pour toute autre cause, seront libérés et n'auront rien a craindre pour leurs biens. Je permets aussi de restaurer le Temple et de le rebâtir à mes frais ; j'autorise la reconstruction des murailles de la ville, et l'édification de tours élevées, également à mes frais, et s'il est quelque place forte qu'il importe à la sécurité du territoire des Juifs de fortifier, que ces travaux soient faits à ma charge. »

4[38]. Telles furent les promesses et les marques de bienveillance que

Démétrius prodigua aux Juifs dans sa lettre. Le roi Alexandre de son côté réunit une armée considérable de mercenaires et des troupes de Syrie qui s'étaient ralliées à lui et marcha contre Démétrius. La bataille s'engagea ; l'aile gauche de Démétrius mit en fuite ses adversaires, les poursuivit fort loin, en tua un grand nombre et pilla leur camp ; mais l'aile droite, où se trouvait Démétrius, fut vaincue. Tous les soldats s'enfuirent ; Démétrius combattit bravement, tua beaucoup d'ennemis, et se mit à la poursuite des autres ; mais il se lança dans un marais profond et difficile à traverser ; son cheval étant tombé, il ne put s'enfuir et fut tué : les ennemis, en effet, à la vue de sa chute, firent volte-face, l'entourèrent et l'accablèrent de leurs

 

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javelots. Démétrius, quoique démonté, résista courageusement ; mais enfin, couvert de blessures, incapable de tenir davantage, il tomba. Telle fut la fin de Démétrius ; il avait régné onze ans, comme nous l'avons raconté ailleurs[39].

III

1-3. Onias fonde le temple de Léontopolis en Égypte. - 4. Querelle des Juifs et des Samaritains à Alexandrie.

1[40]. Cependant le fils du grand-prêtre Onias, qui portait le même

nom que son père, et qui s'était réfugié à Alexandrie, où il vivait auprès du roi Ptolémée, surnommé Philométor, comme nous l'avons dit plus haut[41], voyant la Judée maltraitée par les Macédoniens et

leurs rois, et désireux de s'acquérir une gloire et une renommée impérissables, fit demander au roi Ptolémée et à la reine Cléopâtre la permission de construire en Egypte un temple semblable à celui de Jérusalem, et d'y installer des Lévites et des prêtres de la race voulue. Il s'appuyait surtout dans son dessein sur une prophétie du prophète Esaïe, qui vivait plus de six cents ans auparavant et avait prédit qu'il fallait absolument qu'un temple fût bâti en Egypte au Dieu tout-puissant par un Juif[42]. Onias, enflammé par cette prophétie, écrivît

la lettre suivante à Ptolémée et à Cléopâtre : « Après vous avoir rendu de nombreux et importants services à la guerre, avec l'aide de Dieu[43], après avoir parcouru la Cœlé-Syrie et la Phénicie, je suis

arrivé avec les Juifs à Léontopolis, dans le nome d'Héliopolis[44], et

en divers autre lieux habités par notre peuple ; j'ai trouvé presque partout des sanctuaires élevés contre toute convenance, ce qui indispose les fidèles les uns contre les autres[45] ; c'est ce qui est

arrivé aussi aux Egyptiens, parce qu'ils ont trop de temples et ne s'entendent pas sur le culte. Ayant donc rencontré, dans la forteresse qui porte le nom de la Boubastis Sauvage, un endroit à souhait, foisonnant de bois de toutes sortes, plein d'animaux sacrés, je vous prie de me permettre de nettoyer et purifier le temple abandonné et écroulé qui s'y trouve, et de le relever en l'honneur du Dieu tout-puissant, à l'image de celui de Jérusalem et sur les mêmes mesures, sous l'invocation de toi, de ta femme et de tes enfants ; de cette façon, les Juifs qui habitent l'Egypte, trouvant là un lieu où ils pourront se réunir dans une mutuelle concorde1 serviront tes intérêts. Car le prophète Esaïe a prédit ceci : il y aura en Egypte un autel de sacrifices consacré au Dieu notre maître ; et cet endroit lui a inspiré

 

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beaucoup d'autres prophéties pareilles. »

  1. Voilà ce qu'écrivit Onias à Ptolémée. On jugera de la piété du roi ainsi que de sa sœur et épouse Cléopâtre d'après la lettre qu'ils lui répondirent : ils rejetèrent, en effet, sur la tête d'Onias la faute et la violation de la loi ; voici leur réponse :

« Le roi Ptolémée et la reine Cléopâtre à Onias, salut. Nous avons lu la supplique par laquelle tu nous demandes la permission de relever à Léontopolis, dans le nome d'Héliopolis, un temple ruiné, appelé temple de Boubastis Sauvage. Nous nous demandons si ce temple bâti dans un lieu impur et plein d'animaux sacrés sera agréable à Dieu. Mais puisque tu dis que le prophète Esaïe a prédit cet événement depuis longtemps, nous te donnons cette permission, si elle ne doit avoir rien de contraire à la loi : car nous ne voulons paraître coupables d'aucune faute envers Dieu. »

  1. Onias prit donc possession de ce lieu, et y construisit à Dieu un temple et un autel semblable à celui de Jérusalem, mais plus petit et moins riche. Je ne crois pas utile d'en décrire ici les dimensions et le mobilier, car je l'ai fait dans mon septième livre des Guerres des Juifs[46]. Onias trouva, de plus, des Juifs semblables à lui, des

prêtres et des lévites pour célébrer le culte. Mais ces détails suffisent au sujet de ce temple.

4[47]. Il arriva que la division se mit à Alexandrie entre les Juifs et

les Samaritains, qui honoraient le temple du mont Garizim, bâti du temps d'Alexandre ; ils portèrent leur différend au sujet de leurs temples devant Ptolémée lui-même, les Juifs prétendant que le temple construit suivant les lois de Moïse était le Temple de Jérusalem, les Samaritains celui du mont Garizim. Ils prièrent le roi de tenir un conseil avec ses amis pour y écouter leurs discours sur ce point, et de punir de mort ceux qui auraient le dessous. Sabbaios parla pour les Samaritains, avec Théodosios ; Andronicos, fils de Messalamos, pour les habitants de Jérusalem et les Juifs. Ils jurèrent par Dieu et par le roi de donner des preuves tirées de la loi, et prièrent Ptolémée, si l'un d’eux était pris à violer son serment, de le faire mourir. Le roi réunit donc en conseil un grand nombre de ses amis et prit place pour entendre les orateurs. Les Juifs qui se trouvaient à Alexandrie s'agitaient fort au sujet des hommes qui attaquaient le temple de Jérusalem[48] ; car il leur aurait été pénible que l'on détruisit ce

Temple si ancien, le plus illustre de toute la terre. Sabbaios et

 

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Théodosios cédèrent à Andronicos le droit de parler en premier. Celui-ci commença à tirer ses arguments de la loi, et de l'ordre de succession des grands-prêtres, qui de père en fils s'étaient transmis la charge et l'administration du Temple ; il rappela que tous les rois d'Asie avaient honoré le Temple d'offrandes et de dons magnifiques, tandis que, pour ce qui était du temple de Garizim, personne n'en avait pris souci ni cure, comme s'il n'existait même pas. Par ces arguments et bien d'autres du même genre, Andronicos persuada le roi de décider que le temple construit suivant la loi de Moïse était le Temple de Jérusalem, et de faire mettre à mort Sabbaios et Théodosios. Telles furent les événements relatifs aux Juifs d'Alexandrie qui se passèrent sous Ptolémée Philométor.

IV

1. Alexandre Bala épouse la fille du roi d'Égypte. - 2. Faveur de Jonathan auprès de lui. - 3-4. Invasion de Démétrius Nicator. Victoire de Jonathan sur Apollonios à Azot. – 5-7. Conquête de la Syrie par Ptolémée Philométor. - 8. Mort d'Alexandre et de Ptolémée. - 9. Démétrius roi ; son rescrit en faveur des Juifs.

1[49]. Après la mort de Démétrius, tué dans la bataille, comme nous l'avons raconté plus haut[50], Alexandre, devenu maître du royaume

de Syrie, écrivit à Ptolémée Philométor pour lui demander sa fille en mariage ; il était juste, disait-il, que Ptolémée s'alliât ainsi à un prince qui avait recouvré le pouvoir paternel, guidé par la protection divine, qui avait vaincu Démétrius, et qui ne serait d'ailleurs nullement indigne d'une alliance avec lui. Ptolémée accueillit favorablement sa proposition ; il répondit qu'il était heureux de le voir recouvrer une puissance qui avait appartenu à son père et promit de lui donner sa fille ; il le priait de venir au devant de lui jusqu’à Ptolémaïs, où il allait la conduire lui-même ; il l'accompagnerait, en effet, d'Égypte jusqu'à cette ville et là l'unirait à Alexandre. Après avoir écrit cette lettre, Ptolémée s'empressa de se rendre à Ptolémaïs en emmenant sa fille Cléopâtre. Il y trouva Alexandre qui était venu à sa rencontre, suivant ses instructions, et lui donna sa fille avec une dot en argent et en or, digne d'un roi.

2[51]. Pendant les fêtes du mariage, Alexandre écrivit au grand-prêtre

Jonathas pour l'inviter à venir à Ptolémaïs. Jonathas se rendit auprès des souverains, leur offrit des présents magnifiques et fut traité par tous deux avec la plus grande distinction. Alexandre l'obligea à

 

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quitter son vêtement habituel pour en prendre un de pourpre, puis après l'avoir fait asseoir à ses côtés sur l'estrade, il ordonna à ses officiers d'aller avec lui dans la ville et de faire déclarer par un héraut défense de parler contre lui, de lui susciter des difficultés. Les officiers accomplirent leur mission ; et, quand on vit les honneurs rendus publiquement à Jonathas par ordre du roi, tous ceux qui s'apprêtaient à porter des accusations coutre lui ou qui le haïssaient s'enfuirent, dans la crainte d'être eux-mêmes victimes de quelque malheur. Et le roi Alexandre poussa la bienveillance pour Jonathas jusqu'à l'inscrire parmi ses « premiers amis[521 ».

3[531. La cent soixante-cinquième année[541, Démétrius, fils de

Démétrius, avec un nombre considérable de mercenaires que lui fournit Lasthénès le Crétois, s'embarqua en Crète pour la Cilicie[551.

Cette nouvelle jeta dans l'inquiétude et le trouble Alexandre, qui rentra précipitamment de Phénicie à Antioche afin d'y prendre toutes les mesures de sûreté avant l'arrivée de Démétrius. Il laissa, pour gouverner la Cœlé-Syrie, Apollonios Daos[561. Celui-ci, à la tête

d'une armée importante, vint à Iamnée et fit dire au grand-prêtre Jonathas qu'il était injuste que seul il vécut en pleine sécurité et à sa guise, sans obéir au roi; que de tous côtés on lui reprochait de ne pas se soumettre au roi. « Tranquillement établi dans les montagnes, ajoutait-il, ne te fais pas l'illusion de te croire fort ; si tu as confiance en ta puissance, descends donc dans la plaine, viens te mesurer avec notre armée et la victoire montrera quel est le plus courageux. Sache cependant que les meilleurs de chaque ville sont dans mon armée ; et ce sont les hommes qui ont toujours vaincu tes ancêtres. Viens donc te battre avec nous sur un terrain où l'on puisse lutter non à coups de pierres, mais avec les armes, et où le vaincu n'ait pas de retraite. »

4[571. Cette provocation irrita Jonathas, qui prit dix mille soldats

d'élite et partit de Jérusalem avec son frère Simon. Arrivé à Jopé, il campa hors de la ville, les habitants lui ayant fermé leurs portes ; car ils avaient une garnison établie par Apollonios. Comme Jonathas se disposait à les assiéger, effrayés à l'idée que leur ville pourrait être prise de force, ils lui ouvrirent les portes. Apollonios, à la nouvelle que Jopé était tombé au pouvoir de Jonathas, vint à Azotos, à la tête de trois mille cavaliers et huit mille hommes d'infanterie[581, et de là

continua sa route tranquillement et lentement ; arrivé près de Jopé, il attira par une feinte retraite Jonathas dans la plaine, plein d'une confiance aveugle dans sa cavalerie sur laquelle reposaient toutes ses espérances de victoire. Jonathas s'avança et poursuivit Apollonios

 

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jusqu'à Azotos. Celui-ci, dès que l'ennemi se trouva en plaine, fit volte-face et l'attaqua. Il avait disposé mille cavaliers en embuscade dans un ravin pour se montrer sur les derrières de l'ennemi ; Jonathas s'en aperçut et ne se laissa pas effrayer. Il fit former le carré par son armée et prit ses dispositions pour recevoir l'ennemi des deux côtés, prêt à résister aux assaillants qui se présenteraient de front et à revers. Le combat se prolongea jusqu'au soir. Jonathas donna alors à son frère Simon une partie de ses troupes avec ordre d'attaquer la phalange des ennemis ; lui-même ordonna à ses gens de se retrancher sous leurs armures et d'y recevoir les traits lancés par les cavaliers. Les soldats exécutèrent cet ordre ; les cavaliers ennemis lancèrent sur eux leurs traits, jusqu'au dernier, sans leur faire aucun mal, car les traits n'atteignaient pas les hommes ; ceux-ci protégés par leurs boucliers fortement unis, grâce à cette épaisse carapace arrêtaient facilement les projectiles qui retombaient inoffensifs. Lorsque les ennemis eurent passé la journée depuis le matin jusqu'an soir à cribler de traits les troupes juives, Simon profita de leur fatigue pour attaquer la phalange, et grâce à l'ardeur de ses soldats, milles ennemis en fuite. Les cavaliers, voyant fuir l'infanterie, lâchèrent pied à leur tour, et, harassés pour avoir combattu jusqu'à la nuit, perdant d'autre part tout espoir de secours du côté de l'infanterie, ils s'enfuirent en désordre, les rangs mêlés, et se dispersèrent, débandés, à travers toute la plaine. Jonathas les poursuivit jusqu'à Azotos, en tua un grand nombre et força les autres, désespérant de se sauver, à se réfugier dans le temple de Dagon, qui était à Azotos. Il emporta la ville d'assaut et l'incendia ainsi que les villages environnants. Il n'épargna même pas le temple de Dagon, auquel il mit le feu, faisant ainsi périr ceux qui s'y étaient réfugiés. Les ennemis tombés dans le combat et brûlés dans le temple étaient, au total, au nombre de huit mille. Après avoir vaincu des forces aussi importantes, Jonathas partit d'Azotos pour Ascalon ; comme il campait en dehors de la ville, les habitants vinrent à sa rencontre portant les présents d'hospitalité et lui rendant honneur. Jonathas les remercia de leurs bonnes dispositions, et de là retourna à Jérusalem avec un butin considérable, fruit de sa victoire sur les ennemis. Alexandre, à la nouvelle que son général Apollonios avait été battu, feignit de s'en réjouir, parce que celui-ci avait attaqué contre sa volonté Jonathas qui était son ami et son allié[59] ; il

envoya à Jonathas l'assurance de sa satisfaction, et le combla d'honneurs et de présents, entre autres une agrafe d'or, comme il est coutume d'en donner aux parents du roi ; enfin il lui concéda Accaron[60] à titre héréditaire avec la toparchie qui en dépend.

5[61]. A ce même moment, le roi Ptolémée, surnommé Philométor,

 

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arriva en Syrie avec une flotte et des troupes pour prêter assistance à Alexandre, qui était son gendre. Sur l'ordre d'Alexandre, toutes les villes le reçurent avec empressement et lui firent escorte jusqu'à la ville d'Azotos ; là tous l'assaillirent de leurs réclamations au sujet de l'incendie du temple de Dagon ; ils accusaient Jonathas qui avait détruit ce temple, ravagé le pays et tué un grand nombre des leurs. Ptolémée ne se laissa pas troubler par ces plaintes ; et Jonathas, venu à sa rencontre à Jopé, reçut de lui de riches présents et toutes sortes d'honneurs[621. Après avoir accompagné le roi jusqu'au fleuve appelé

Éleuthéros[631, il revint à Jérusalem.

6[641. Arrivé à Ptolémaïs, Ptolémée, contre toute attente, faillit périr

victime des embûches d'Alexandre, de la main d'Ammonios, ami de celui-ci. Le complot ayant été découvert, Ptolémée écrivit à Alexandre pour demander qu'on lui livrât Ammonios, disant que celui-ci avait conspiré contre lui, et qu'en conséquence, il méritait un châtiment. Alexandre refusant de le livrer, Ptolémée comprit qu'il était lui-même l'auteur du complot, et fut vivement irrité contre lui. Déjà auparavant Alexandre était mal vu des habitants d'Antioche à cause d'Ammonios, qui les avait souvent maltraités. Ammonios porta cependant la peine de ses méfaits et fut égorgé honteusement comme une femme, car il essaya de se cacher sous des vêtements féminins, comme nous l’avons raconté ailleurs[651.

7[661. Ptolémée, se reprochant d'avoir uni sa fille à Alexandre et de

s'être allié à lui contre Démétrius, rompit ses liens de parenté avec ce prince. Il lui enleva sa fille, et écrivit aussitôt à Démétrius pour faire avec lui alliance et amitié, promettant de lui donner sa fille en mariage et de le rétablir dans le pouvoir paternel. Démétrius, heureux de ces offres, accepta l'alliance et le mariage. Il restait à Ptolémée à persuader les gens d'Antioche de recevoir Démétrius, qu'ils haïssaient à cause de toutes les injustices commises envers eux par son père Démétrius. Il réussit dans cette tâche ; car les gens d'Antioche détestaient Alexandre, à cause d'Ammonios, comme je l'ai raconté, et le chassèrent de leur ville sans se faire prier. Alexandre, expulsé d'Antioche, passa en Cilicie. Ptolémée, à son arrivée à Antioche, fut choisi comme roi par les habitants et l'armée, et, malgré lui, ceignit deux couronnes, celle d'Asie et celle d'Égypte. Mais honnête et juste de nature, nullement désireux de s'emparer du bien d'autrui, et, de plus, capable de prévoir l'avenir, il résolut d'éviter de donner prise à la jalousie des Romains. Il réunit donc les habitants d'Antioche en assemblée et leur persuada de recevoir Démétrius, alléguant que celui-

 

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ci, bien accueilli, ne leur garderait pas rancune de ce qu'ils avaient fait à son père ; lui-même, Ptolémée, proposait d'être son maître et son guide dans la voie du bien, et promettait de ne pas le laisser commettre de mauvaises actions ; quant à lui, le royaume d'Égypte lui suffirait. Par ce discours il décida les habitants d'Antioche à recevoir Démétrius.

8[67]. Cependant Alexandre, avec une armée considérable et un

matériel important, repassa de Cilicie en Syrie et vint incendier et piller le territoire d'Antioche ; Ptolémée marcha contre lui avec son gendre Démétrius ; il avait, en effet, déjà donné à celui-ci sa fille en mariage. Ils battirent Alexandre et le mirent en fuite. Alexandre se réfugia en Arabie. Dans le combat, le cheval de Ptolémée, effrayé par le barrissement d'un éléphant, se cabra et désarçonna le roi ; les ennemis, s'en étant aperçus, se précipitèrent sur lui, lui firent de nombreuses blessures à la tête et le mirent en danger de mort ; arraché de leurs mains par ses gardes du corps, Ptolémée était dans un état si grave que pendant quatre jours il ne recouvra ni la con naissance ni la parole. Le prince des Arabes, Zabélos[68], coupa la

tête d'Alexandre et l'envoya à Ptolémée, qui, revenant de ses blessures le cinquième jour et recouvrant ses sens, jouit d'un récit et d'un spectacle réconfortants : la nouvelle de la mort d'Alexandre et la vue de sa tête. Il mourut lui-même peu après, plein de joie de savoir Alexandre mort. Alexandre surnommé Balas avait régné sur l'Asie cinq années, comme nous l'avons dit ailleurs[69].

9[70]. Démétrius, surnommé Nicanor[71], devenu maître du pouvoir,

commença, dans sa méchanceté, par détruire les troupes de Ptolémée[72], oubliant que ce roi lui avait porté secours et était

devenu son beau-père et son parent, par le mariage de Démétrius avec Cléopâtre. Les soldats, pour échapper à ses mauvais desseins, s'enfuirent à, Alexandrie, mais Démétrius resta maître des éléphants. Cependant le grand-prêtre Jonathas leva une armée dans la Judée entière et alla mettre le siège devant la citadelle de Jérusalem, occupée par une garnison macédonienne et par quelques-uns des juifs apostats qui avaient abandonné les coutumes de leurs pères. Les assiégés tout d'abord méprisèrent les machines que dressait Jonathas pour s’emparer de la citadelle, confiants qu'ils étaient dans la force des lieux ; quelques-uns de ces misérables s'échappèrent de nuit et vinrent rejoindre Démétrius, auquel ils annoncèrent le siège de la citadelle. Démétrius, irrité par cette information, partit d'Antioche avec ses troupes contre Jonathas. Arrivé à Ptolémaïs, il lui manda de

 

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se rendre aussitôt auprès de lui dans cette ville. Jonathas n'interrompit pas le siège, mais à la tête des anciens du peuple et des prêtres, chargé d'or, d'argent, de vêtements et de nombreux présents, il se rendit auprès de Démétrius, et grâce à ces cadeaux apaisa si bien la colère du roi, que celui-ci l'honora et lui confirma la sûre possession de la grande prêtrise telle qu'il la tenait des rois ses prédécesseurs. Démétrius n'ajouta aucune foi aux accusations portées contre lui par les transfuges ; tout au contraire, sur la proposition que lui fit Jonathas de payer trois cents talents pour la Judée tout entière et les trois toparchies de Samarie, Pérée et Galilée[73], Démétrius lui

donna à ce sujet une lettre dont voici le contenu : « Le roi Démétrius à son frère Jonathas et au peuple juif, salut. Nous vous envoyons copie de la lettre que j'ai écrite à Lasthénès notre parent, afin que vous en preniez connaissance. - Le roi Démétrius à Lasthénès son père, salut. J'ai résolu de reconnaître la bienveillance du peuple juif, qui est mon ami et qui respecte à mon égard la justice. Je leur abandonne avec leurs dépendances les trois districts d'Aphereima, de Lydda, et de Rhamatha[74], qui furent détachés de la province de

Samarie pour être réunis à la Judée ; je leur fais, de plus, remise de toutes les taxes que les rois mes prédécesseurs prélevaient sur les sacrifices offerts à Jérusalem, de toutes les redevances sur les fruits de la terre ou des arbres ou autres produits, des marais salants, des couronnes qu'on nous apportait ; à dater de ce jour et à l'avenir ils ne seront plus contraints à payer aucune de ces taxes. Veille donc à ce qu'une copie de cette lettre soit faite, remise à Jonathan, et déposée à une place d'honneur dans le Temple saint. » Telle était cette lettre. Puis Démétrius, voyant que la paix régnait et qu'il n'y avait ni danger ni crainte de guerre, licencia son armée et diminua la solde, ne payant plus que les troupes étrangères qui étaient venues avec lui de Crête et des autres îles. Il s'attira ainsi l'inimitié et la haine des soldats auxquels il ne donnait plus rien, tandis que les rois ses prédécesseurs les payaient même en temps de paix afin de s’assurer leur fidélité et leur dévouement dans les combats, si jamais il était nécessaire.

V

1. Complot de Tryphon. - 2-3. Jonathan aide Démétrius à réprimer la révolte d'Antioche. Défaite de Démétrius par Tryphon. - 4. Jonathan s'allie avec Antiochus Dionysos. - 5-6. Il soumet Gaza et s'empare de Bethsoura. - 7. Sa victoire sur les généraux de Démétrius à Asor. - 8. Renouvellement de l’alliance avec Rome et Sparte. - 9. Sectes juives. - 10. Nouvelle victoire de Jonathan. Prise de Jopé. - 11. Restauration

 

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des murs de Jérusalem. Captivité de Démétrius.

1[75]. Ces mauvaises dispositions des soldats contre Démétrius

furent aperçues par un ancien général d'Alexandre, Diodotos, d'Apamée, surnommé Tryphon. Il se rendit auprès de l'Arabe Malchos[76], qui élevait le fils d'Alexandre, Antiochus, révéla à ce

chef le mécontentement de l'armée a' l'égard de Démétrius, et le pressa de lui confier Antiochus, voulant, disait-il, le faire roi et lui rendre le trône de son père. Malchos résista d’abord, par défiance ; beaucoup plus tard, sur les insistances prolongées de Tryphon, il se laissa convaincre et amener à ce que celui-ci lui demandait. Tels étaient les mouvements de ce côté.

2[77]. Cependant le grand-prêtre Jonathas, désireux d'expulser les

soldats établis dans la citadelle de Jérusalem avec les Juifs transfuges et apostats, et de chasser toutes les garnisons du pays, envoya à Démétrius des ambassadeurs chargés de présents pour lui demander de retirer les troupes des places fortes de Judée. Démétrius lui promit non seulement ce retrait des troupes, mais de bien plus importantes faveurs encore, une fois terminée la guerre où il était engagé[78] ; car

celle-ci absorbait en ce moment ses loisirs. Il lui demanda, en outre, de lui envoyer du renfort, lui révélant la défection de ses soldats ; et Jonathas lui envoya trois mille hommes de choix.

3[79]. Les habitants d'Antioche, qui détestaient Démétrius pour tout

ce qu'ils avaient souffert de sa part, et lui en voulaient, de plus, de toutes les injustices commises à leur égard par son père Démétrius, guettaient l'occasion de l'attaquer. A la nouvelle de l'arrivée des renforts que lui envoyait Jonathas, ils comprirent que le roi allait réunir une armée considérable s'ils ne se hâtaient de le prévenir ; ils prirent donc les armes, cernèrent son palais comme dans un siège, et, maîtres des issues, cherchèrent à s'emparer de sa personne. Démétrius, voyant le peuple d'Antioche insurgé contre lui et sous les armes, rassembla ses mercenaires et les Juifs envoyés par Jonathas et attaqua les habitants ; mais il fut accablé par le nombre - il y en avait plusieurs myriades - et vaincu. Quand les Juifs virent que les habitants d'Antioche l'emportaient, ils montèrent sur les toits du palais, d'où ils tirèrent sur eux ; hors d'atteinte eux-mêmes en raison de leur position, ils firent beaucoup de mal à leurs adversaires, qu'ils attaquaient d'en haut, et les repoussèrent des maisons voisines. Aussitôt ils mirent le feu à celles-ci, et la flamme s'étendant sur toute la ville, où les maisons étaient très serrées et pour la plupart bâties en

 

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bois, la ravagea tout entière. Les habitants d'Antioche, ne pouvant organiser des secours ni se rendre maîtres du feu, prirent la fuite. Les Juifs en sautant de maison en maison les poursuivirent de la façon la plus singulière. Le roi, quand il vit les habitants occupés à sauver leurs enfants et leurs femmes et pour cette raison rompant le combat, les rejoignit par d'autres ruelles, les attaqua, en tua un grand nombre et finit par les obliger à jeter leurs armes et à se rendre. Puis leur ayant pardonné leur audacieuse agression, il arrêta la révolte. Après avoir récompensé les Juifs avec le produit du butin et les avoir remerciés comme les principaux auteurs de sa victoire, il les renvoya vers Jonathas, à Jérusalem, avec ses remerciements pour l'aide reçue. Plus tard cependant il se montra fourbe à l'égard du grand-prêtre, manqua à ses promesses et le menaça de la guerre s'il ne s'acquittait de tous les tributs que le peuple juif payait aux premiers rois. Et il aurait accompli sa menace si Tryphon ne l'en avait empêché en l'obligeant de consacrer à sa propre sûreté les préparatifs faits contre Jonathas. Revenu, en effet, d'Arabie en Syrie avec le jeune Antiochus, qui était encore un enfant, il lui fit ceindre le diadème. Toutes les troupes qui avaient abandonné Démétrius, parce qu'il ne payait pas de solde, se rallièrent à Tryphon ; il fit la guerre à Démétrius, l'attaqua, le vainquit en bataille rangée et s'empara de ses éléphants ainsi que de la ville d'Antioche.

4[80]. Démétrius battu se retira en Cilicie[81]. Le jeune Antiochus

envoya à Jonathas des ambassadeurs avec une lettre, en fit son ami et son allié, lui confirma la grande-prêtrise et évacua quatre districts[82]

qui avaient été réunis au territoire des Juifs. Il envoya encore à Jonathas, en lui permettant de s'en servir, des vases d'or, des coupes, un vêtement de pourpre, lui fit présent d'une agrafe d'or et l'autorisa à se compter parmi ses premiers amis, Il nomma Simon, frère de Jonathas, gouverneur de la côte depuis l'échelle des Tyriens[83]

jusqu'à l’Égypte. Jonathas, heureux des avances que lui faisait Antiochus, lui envoya, ainsi qu'à Tryphon, des ambassadeurs, se déclara son ami et son allié, prêt à combattre avec lui contre Démétrius ; il rappela que celui-ci ne lui avait pas su gré de tous les services qu'il avait reçus de lui dans le besoin, et n'avait répondu que par l'injustice aux bienfaits.

5[84]. Antiochus l'ayant autorisé à lever une armée considérable en

Syrie et en Phénicie pour combattre les généraux de Démétrius, Jonathas marcha sans tarder sur les villes de ces provinces. Elles le reçurent magnifiquement, mais ne lui donnèrent pas de troupes[85].

 

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De là, il se rendit à Ascalon, et les habitants étant venus à sa rencontre avec des démonstrations d’amitié et des présents, il les exhorta, ainsi que chacune des villes de Cœlé-Syrie, à quitter Démétrius pour se rallier à Antiochus et combattre avec lui afin d'essayer de se venger sur Démétrius des injustices qu'il leur avait faites ; car elles avaient bien des raisons pour prendre ce parti. Après avoir décidé les villes[86] à convenir de s'allier à Antiochus, il se

rendit à Gaza pour gagner aussi les habitants à la cause d’Antiochus. Mais il les trouva beaucoup plus hostiles qu'il ne s'y attendait : ils lui fermèrent leurs portes, et, tout en abandonnant Démétrius, refusèrent de se rallier à Antiochus. Cette attitude détermina Jonathas à faire le siège de la ville et à ravager le territoire ayant donc établi une partie de ses troupes autour de Gaza, il alla lui-même avec le reste dévaster et incendier la campagne. Les habitants de Gaza voyant les maux dont ils souffraient sans qu'aucun secours leur vint de Démétrius, considérant d'ailleurs que les inconvénients de leur attitude étaient bien actuels tandis que le profit en était fort éloigné et incertain, jugèrent sage de renoncer au rêve pour remédier à la réalité. Ils envoyèrent donc assurer Jonathas de leur amitié et de leur alliance ; car les hommes, avant d'avoir fait l'expérience du malheur, ne comprennent pas leur intérêt ; puis lorsqu'ils se trouvent dans une mauvaise situation, changeant d'avis, ils prennent, une fois éprouvés, le parti auquel ils auraient pu, sans ressentir le moindre dommage, s'arrêter d'abord. Jonathas fit donc amitié avec les habitants de Gaza et prit des otages qu'il envoya à Jérusalem ; lui-même s'enfonça dans le pays jusqu'à Damas.

6[87]. Il apprit bientôt que les généraux de Démétrius s'avançaient

avec une nombreuse armée vers Kédasa, ville située entre le territoire de Tyr et la Galilée[88] ; ils pensaient, en effet, l'attirer de Syrie en

Galilée pour secourir cette province, persuadés qu'il ne resterait pas indifférent à une attaque contre les Galiléens qui dépendaient de lui[89]. Il marcha à leur rencontre, laissant en Judée son frère Simon.

Celui-ci leva aussi dans le pays une armée aussi forte que possible et alla mettre le siège devant Bethsoura, place très forte de Judée qu'occupait une garnison de Démétrius, comme nous l'avons dit plus haut[90]. Simon éleva des terrassements, dressa des machines, et

mena si énergiquement les préparatifs du siège de Bethsoura que la garnison craignant, si le bourg était enlevé de force, d'être passée au fil de l'épée, lui fit proposer, moyennant le serment de ne pas être inquiétée, d'abandonner la place et de se retirer auprès de Démétrius. Simon leur donna l'assurance demandée, les fit sortir de la ville et y

 

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plaça lui-même une garnison.

7[91]. Jonathas, parti de Galilée, des bords du lac dit de Génésara, où il campait alors, s'avança jusqu'à la plaine nommée Asôr[92],

ignorant que les ennemis s'y trouvaient. Informés, un jour à l'avance, que Jonathas allait marcher de leur côté, les généraux de Démétrius placèrent une embuscade dans la montagne, et eux-mêmes avec leur armée vinrent à sa rencontre dans la plaine. Jonathan les voyant prêts au combat prépara, comme il put, ses propres soldats à la bataille. Mais les troupes postées en embuscade par les généraux de Démétrius survinrent sur les derrières des Juifs, et ceux-ci, dans la crainte de périr enveloppés, prirent la fuite. Presque tous abandonnèrent Jonathas ; quelques-uns seulement, au nombre d'environ cinquante[93], restèrent, avec Mattathias, fils d'Absalomos,

et Judas, fils de Chapsaios[94], qui étaient les chefs de toute l'armée ;

avec l'intrépidité et l'audace du désespoir, ils s'élancèrent sur les ennemis, les effrayèrent par leur hardiesse, et par leur vigueur les mirent en fuite. Lorsque les soldats de Jonathas qui avaient fait retraite virent l'ennemi en déroute, ils se rallièrent, se mirent à sa poursuite et poussèrent ainsi jusqu'à Kédasa, où se trouvait le camp des ennemis. Jonathas, après cette brillante victoire où il tua deux mille[95] ennemis, revint à Jérusalem.

8[96]. Voyant que, par la providence divine, tout lui réussissait, il

envoya des ambassadeurs aux Romains pour renouveler l'amitié que son peuple avait faite auparavant avec eux. Il ordonna à ces mêmes ambassadeurs, en revenant de Rome, de se rendre auprès des Spartiates et de leur rappeler l'amitié et la parenté qui les liaient aux Juifs. Les ambassadeurs, arrivés à Rome, se présentèrent devant le Sénat et déclarèrent qu'ils venaient de la part du grand-prêtre Jonathas, pour resserrer l'alliance ancienne ; le Sénat confirma ses décisions précédentes relatives à l'amitié avec les Juifs, et leur donna des lettres pour tous les rois d'Asie et d'Europe et pour les magistrats des villes, qui devaient leur servir de sauf-conduit jusqu'à leur patrie. Ils repartirent donc et allèrent à Sparte, où ils remirent la lettre que leur avait donnée Jonathas. En voici la copie : « Jonathas, grand-prêtre du peuple des Juifs, l'assemblée des anciens et la communauté juive[97], aux éphores, à la gérousie et au peuple des Lacédémoniens,

leurs frères, salut. Si vous êtes en bonne santé, si vos affaires publiques et privées vont à votre gré, c'est tout ce que nous souhaitons ; nous-mêmes nous allons bien. Jadis, quand Démotélès apporta à notre grand-prêtre Onias de la part de votre roi Areios une

 

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lettre sur la parenté qui nous unit à vous, - lettre dont la copie se trouve ci-dessous[98] - nous l'avons reçue avec joie et avons

témoigné nos bonnes dispositions à Démotélès et à Areios ; nous n'avions cependant pas besoin de cette démonstration, car le fait nous était appris par nos livres saints[99]. Nous n'avons pas voulu prendre

l'initiative de cette reconnaissance, pour ne pas paraître courir après la gloire que nous recevrions de vous. Bien des années se sont écoulées depuis le jour où fut proclamée à nouveau (?) la parenté qui nous unit dès l'origine[100], et toujours, dans nos fêtes sacrées et nos

anniversaires, en offrant à Dieu des sacrifices, nous le prions pour qu'il vous donne la sécurité et la victoire. Nous avons eu à soutenir bien des guerres nées de la convoitise de nos voisins ; mais nous n’avons voulu être un embarras ni pour vous ni pour aucun de nos parents. Cependant après avoir battu nos ennemis, comme nous envoyions aux Romains Nouménios, fils d'Antiochus, et Antipater, fils de Jason, qui sont des hommes honorés appartenant à notre Sénat, nous leur avons aussi donné des lettres pour vous, afin de renouveler l'amitié qui nous unit ensemble. Vous ferez donc bien de nous écrire de votre côté et de nous mander ce que vous pourriez désirer, assurés que nous sommes prêts à agir conformément à vos souhaits. » Les Lacédémoniens firent un cordial accueil aux envoyés, rendirent un décret d'alliance et d'amitié, et l'envoyèrent aux Juifs[101].

9[102]. A cette époque, il y avait parmi les Juifs trois sectes qui

professaient chacune une doctrine différente sur les affaires

humaines : l'une était celle des Pharisiens, l'autre celle des Sadducéens, la troisième celle des Esséniens. Les Pharisiens disent que certaines choses, mais non pas toutes, sont fixées par le destin et que l'accomplissement ou le non accomplissement de certaines autres dépend de notre propre volonté. Les Esséniens déclarent que le destin est maître de tout et que rien n'arrive aux hommes qui n'ait été décrété par lui. Les Sadducéens mettent de côté le destin, estimant qu'il n'existe pas et qu'il ne joue aucun rôle dans les affaires humaines, que tout dépend de nous-mêmes, en sorte que nous sommes la cause du bien qui nous arrive, et que, pour les maux, notre seule imprudence nous les attire. Mais sur ce sujet j'ai donné d'assez exacts éclaircissements dans le second livre de mon histoire judaïque[103].

10[104]. Les généraux de Démétrius, voulant prendre leur revanche

de leur défaite, rassemblèrent une armée plus considérable que la première et marchèrent contre Jonathas. Lorsque celui-ci apprit leur approche, il se porta rapidement à leur rencontre dans le pays

 

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d'Hamath[105] ; il ne voulait pas en effet leur laisser le temps

d'envahir la Judée. Il campa à cinquante stades des ennemis, et envoya des éclaireurs pour reconnaître leur situation et comment ils étaient campés. Ces éclaireurs lui donnèrent tous les renseignements et firent des prisonniers qui avouèrent que l'ennemi devait pendant la nuit[106] attaquer les Juifs. Jonathas prévenu se tint sur ses gardes,

mit des avant-postes hors du camp et tint tous ses soldats sous les armes pendant la nuit entière ; il les exhorta à se montrer courageux et à se tenir prêts à combattre au besoin de nuit, afin que le projet de l'ennemi ne les surprit pas. Les généraux de Démétrius, ayant su que Jonathas connaissait leur dessein, perdirent leur assurance, et furent troublés à la pensée qu'ils avaient été déjoués par l'ennemi ; il n'y avait plus à espérer de pouvoir le vaincre d'une autre manière, leur ruse ayant échoué ; car en bataille rangée, ils ne croyaient pas être de force à lutter contre Jonathas. Ils résolurent donc de s'enfuir, et, après avoir allumé de nombreux feux, dont la vue persuaderait à l'ennemi qu'ils étaient toujours là, ils battirent en retraite. Jonathas vers le matin, s'étant approché de leur camp et le trouvant désert, comprit qu'ils fuyaient et se mit à leur poursuite. Mais il ne put les atteindre, car ils avaient déjà traversé le fleuve Eleuthéros[107] et se trouvaient

en sûreté. Il revint donc sur ses pas jusqu'en Arabie, guerroya contre les Nabatéens[108], fit sur eux un butin considérable et des

prisonniers, et alla à Damas où il vendit tout[109]. Pendant ce temps, son frère Simon parcourut toute la Judée et la Palestine[110] jusqu'à

Ascalon, assurant la défense des places qu'il renforça par des travaux et l'établissement de postes ; il marcha ensuite sur Jopé, l'occupa et y plaça une forte garnison ; il avait appris, en effet, que les habitants voulaient livrer la ville aux généraux de Démétrius.

11[111]. Après ces opérations, Simon et Jonathas revinrent à

Jérusalem. Jonathas réunit tout le peuple dans le Temple, et mit en délibération le projet de restaurer les murailles de Jérusalem, de reconstruire la partie détruite de l'enceinte du Temple, et d'en défendre les abords par des tours élevées ; de plus, il proposa de construire un autre mur au milieu de la ville, pour couper les arrivages à la garnison de la citadelle, et l'empêcher ainsi de se ravitailler ; enfin, de fortifier les postes du pays et de les rendre beaucoup plus sûrs encore qu’ils ne l'étaient. Le peuple approuva ces plans ; Jonathas s'occupa alors lui-même des constructions dans la ville, et envoya Simon pour fortifier les places de la campagne. Démétrius cependant, ayant traversé (l'Euphrate), vint en Mésopotamie avec l'intention de s'en emparer ainsi que de Babylone,

 

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et, une fois maître des satrapies de l'intérieur, de partir de là pour recouvrer tout son royaume. En effet, les Grecs et les Macédoniens qui habitaient ces contrées lui envoyaient constamment des ambassades, promettant, s'il venait chez eux, de lui faire leur soumission, et de combattre avec lui Arsace, roi des Parthes. Exalté par ces espérances, il se dirigea de leur côté, dans l'intention, s'il battait les Parthes et réunissait des forces suffisantes, de s'attaquer à Tryphon et de le chasser de Syrie. Reçu avec empressement par les habitants du pays, il réunit des troupes et attaqua Arsace ; mais il perdit toute son armée et fut lui-même pris vivant, comme on l'a raconté ailleurs[112].

VI

1-2. Tryphon s'empare par trahison de Jonathan. - 3-4. Simon prend le commandement des Juifs et chasse les habitants de Jopé. - 5. Négociations avec Tryphon. - 6. Mort de Jonathan. Mausolée de Modéïn. - 7. Simon grand-prêtre. Prise de la citadelle de Jérusalem.

1[113]. Tryphon, quand il eut appris le sort de Démétrius, cessa d'être

fidèle à Antiochus et médita de le tuer pour s'emparer lui-même de la royauté. Mais il était arrêté dans ses projets par la peur que lui inspirait Jonathas, ami d'Antiochus ; aussi résolut-il de se débarrasser d'abord de Jonathas avant de s'en prendre à Antiochus. Il décida de se défaire de Jonathas par surprise et par ruse. A cet effet il se rendit d'Antioche à Bethsané, ville que les Grecs appellent Scythopolis, et près de laquelle Jonathas vint à sa rencontre avec quarante mille hommes de troupes choisies, car il soupçonnait que Tryphon venait pour l'attaquer. Tryphon, voyant Jonathas prêt pour le combat, le circonvint par des présents et des protestations et ordonna à ses propres généraux de lui obéir, espérant par ces moyens le persuader de ses bonnes dispositions et écarter tout soupçon, puis de s'emparer de lui sans qu'il fût sur ses gardes et à l'improviste. Il l'engagea à licencier son armée, amenée, disait-il, sans nécessité, puisqu'on n'était pas en guerre et que la paix régnait partout ; il le pria de garder cependant quelques troupes avec lui et de l'accompagner à

Ptolémaïs : il voulait, en effet, lui livrer la ville et lui remettre tous les forts qui se trouvaient dans le pays ; il était venu dans ce dessein.

2[114]. Jonathas, sans aucun soupçon, convaincu que Tryphon lui

donnait ces conseils dans de bonnes intentions et avec une entière bonne foi, licencia son armée, ne garda que trois mille hommes en

 

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tout, dont il laissa deux mille en Galilée, et partit avec les mille autres pour Ptolémaïs, en compagnie de Tryphon. Mais les habitants de Ptolémaïs fermèrent leurs portes, sur un ordre donné par Tryphon, et celui-ci s'empara de Jonathas vivant et massacra tous ses compagnons. Il envoya ensuite des troupes contre les deux mille hommes laissés en Galilée avec ordre de les faire aussi périr ; mais ceux-ci, informés par la rumeur publique du sort de Jonathas, eurent le temps, en se couvrant de leurs armes, de quitter le pays avant l'arrivée des soldats envoyés par Tryphon. Et les troupes détachées contre eux, les voyant prêts à défendre chèrement leur vie, revinrent auprès de Tryphon sans les avoir inquiétés.

3[115]. Les habitants de Jérusalem, à la nouvelle de la capture de

Jonathas et du massacre des soldats qui l'accompagnaient, déplorèrent vivement son sort et furent dans l'angoisse à son sujet ; de plus ils furent tourmentés par la crainte justifiée que, les voyant privés de ce chef vaillant et prudent, les peuples voisins qui les détestaient et que la crainte seule de Jonathas maintenait en paix, ne se soulevassent contre eux, les engageant ainsi dans une guerre qui les mettrait dans le plus extrême péril. Ce qu'ils redoutaient leur arriva en effet ; car au bruit de la mort de Jonathas ces peuples commencèrent à guerroyer contre les Juifs, qu'ils croyaient sans chef ; et Tryphon lui-même, ayant réuni ses troupes, médita de marcher sur la Judée et d'en attaquer les habitants. Mais Simon, quand il vit les habitants de Jérusalem effrayés de ces préparatifs, voulant leur parler et leur rendre courage pour soutenir vaillamment l'attaque de Tryphon, réunit le peuple dans le Temple, et se mit à l'exhorter en ces termes : « Vous n'ignorez pas, chers compatriotes, avec quelle joie mon père, mes frères et moi nous avons risqué notre vie pour votre liberté. Les grands exemples que j'ai sous les yeux, ma conviction que la destinée des membres de notre famille est de périr pour la défense du nos lois et de notre religion[116] font que nulle crainte ne sera capable de

chasser de mon âme cette résolution, et de l'y remplacer par l'amour de la vie et le mépris de la gloire. Ne croyez donc pas qu'il vous manque un chef capable de supporter pour vous et de faire de grandes choses, mais suivez-moi avec ardeur contre qui je vous conduirai ; car je ne suis ni meilleur que mes frères, pour vouloir épargner ma vie, ni pire pour vouloir fuir et refuser l'honneur qu'ils ont regardé comme le plus grand, celui de mourir pour nos lois et pour le culte de notre Dieu. Ce qu'il faut faire pour montrer que je suis bien leur frère, je le ferai. J'ai bon espoir de tirer vengeance de l'ennemi, de vous arracher vous tous, vos femmes et vos enfants à leurs outrages, de préserver, avec l'aide de Dieu, le Temple de tout pillage. Car je vois

 

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que les nations, pleines de mépris pour vous, parce qu'elles vous

croient sans chef, se préparent à vous faire la guerre. »

4[117]. Ce discours de Simon rendit courage au peuple ; abattu

naguère par la crainte, il reprit alors bon espoir ; d'une seule voix il décerna par acclamation le commandement à Simon et le prit comme chef, pour remplacer ses frères Judas et Jonathas ; tous promirent d'être dociles à ses ordres. Simon ayant donc réuni tous ceux de la nation qui étaient en état de combattre, hâta la reconstruction des murs de la ville, la fortifia de tours élevées et solides, et envoya un de ses amis, Jonathas, fils d'Absalomos[118], à la tête d'une armée à

Jopé, avec ordre d'en chasser les habitants il craignait en effet que ceux-ci ne livrassent leur ville à Tryphon. Lui-même resta pour garder Jérusalem[119].

5[120]. Tryphon, parti de Ptolémaïs avec une armée nombreuse,

arriva en Judée amenant son prisonnier Jonathas. Simon, à la tête de ses troupes, vint à sa rencontre à Addida[121], ville située sur la

hauteur et au pied de laquelle s'étend la plaine de Judée. Tryphon, à la nouvelle que les Juifs avaient pris pour chef Simon, lui envoya des messagers, espérant le circonvenir lui aussi par surprise et par ruse ; il lui faisait dire, s'il voulait délivrer son frère Jonathas, d'envoyer cent talents d'argent, et deux des fils de Jonathas, comme otages, afin qu'une fois relâché celui-ci ne soulevât pas la Judée contre le roi ; car s'il était retenu prisonnier, c'était à cause des sommes qu'il avait empruntées au roi[122] et lui devait encore. Simon ne fut pas dupe de

l'artifice de Tryphon ; comprenant bien qu'il perdrait son argent sans obtenir pour cela la délivrance de son frère, et qu'il aurait avec celui-ci livré à l'ennemi ses fils, mais craignant d'autre part d'être accusé auprès du peuple d'avoir causé la mort de son frère, pour n'avoir voulu donner en échange ni de l'argent, ni les fils de Jonathas, il réunit son armée et lui fit part du message de Tryphon ; il ajouta que ce message cachait un piège et une trahison ; que cependant il croyait préférable d'envoyer l'argent et les enfants plutôt que de s'exposer, en refusant d'écouter les propositions de Tryphon, à l'accusation de n'avoir pas voulu sauver son frère[123]. Il envoya donc les fils de

Jonathas et l'argent. Tryphon prit le tout, mais ne tint pas sa parole et ne délivra pas Jonathas ; au contraire, à la tête de son armée, il contourna le pays, et résolut de remonter par l'Idumée pour gagner finalement Jérusalem ; il partit donc et vint à Adôra[124], ville

d'Idumée. Simon, avec son armée, se porta à sa rencontre, et campa constamment en face de lui.

 

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6[125]. La garnison de la citadelle ayant fait parvenir un message à

Tryphon pour le prier de venir en hâte à leur secours et de leur envoyer des vivres, il fit préparer sa cavalerie comme s'il devait être la nuit même à Jérusalem. Mais pendant la nuit la neige tomba en abondance, cachant les chemins et rendant, à cause de son épaisseur, la route impraticable pour les chevaux. Tryphon fut par suite empêché d'aller à Jérusalem. Il leva donc le camp, arriva en Cœlé-Syrie, envahit rapidement la Galaaditide, et là fit mettre à mort et ensevelir Jonathas, puis il rentra à Antioche. Simon envoya à Basca[126] chercher les restes de son frère et les ensevelit à Modéï sa

patrie ; le peuple entier fit pour lui de grandes démonstrations de deuil. Simon construisit à son père et à ses frères un vaste monument de marbre blanc et poli. Il lui donna une hauteur remarquable, l'entoura de portiques, et y dressa des colonnes monolithes, d'un admirable aspect ; il éleva de plus sept pyramides, une pour chacun de ses parents et de ses frères, étonnantes par leur hauteur et leur beauté, et qui existent encore aujourd'hui[127]. On voit donc le soin

qu'apporta Simon à la sépulture de Jonathas et à l'érection des monuments consacrés aux siens. Jonathas mourut après avoir été grand-prêtre pendant [dix] ans et chef de la nation [pendant dix-huit][128].

7[129]. Telle fut la fin de Jonathas. Simon, nommé grand-prêtre par

le peuple, délivra les Juifs, dès la première année de sa grande-prêtrise, de la servitude des Macédoniens et de l'obligation de leur payer des tributs. La liberté et l'exemption des tributs furent acquises aux Juifs la cent soixante-dixième année du règne des Assyriens[130]

à compter du jour où Séleucus, surnommé Nicator, s'empara de la Syrie. Et telle était la considération du peuple pour Simon, qu'on datait les contrats privés et les actes publics de la première année de Simon, bienfaiteur des Juifs et ethnarque. Ils furent, en effet, très heureux sous son gouvernement et vainquirent les ennemis qui les environnaient. Simon détruisit la ville de Gazara, Jopé et Iamnée ; puis, ayant assiégé et pris la citadelle de Jérusalem, il la rasa jusqu'au sol afin qu'elle ne redevint pas pour les ennemis, s'ils s'en emparaient de nouveau, une place d'armes d'où ils pourraient les molester comme autrefois. Après quoi, il jugea bon et utile de niveler la colline elle-même sur laquelle la citadelle se trouvait, afin que le Temple la dominât. Il convoqua le peuple en assemblée et l'amena à son projet en lui rappelant tout ce qu'ils avaient souffert de la garnison et des Juifs transfuges, et en démontrant tout ce qu'ils auraient à souffrir si

 

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quelque étranger s'emparait encore du pouvoir et plaçait là une garnison. Par ces arguments il convainquît le peuple dans l'intérêt duquel il parlait. Tous se mirent à l'ouvrage pour abaisser la colline et, sans s'interrompre ni nuit ni jour, en trois ans, la rasèrent jusqu'à la base et jusqu'au niveau de la plaine. Désormais le Temple domina toute la ville, la citadelle et la colline sur laquelle elle était bâtie ayant été détruite. Tels furent les actes du gouvernement de Simon.

VII[131]

1. Usurpation de Tryphon. - 2-3. Antiochus Sidétès et Simon. - 4. Mort de Simon.

  1. Peu après que Démétrius eut été fait prisonnier, Tryphon mit à mort son pupille, le fils d'Alexandre, Antiochus, surnommé Théos, qui avait régné quatre ans[132]. Il raconta que ce prince était mort

des suites d'une opération ; puis il envoya ses amis et ses familiers auprès des soldats, pour leur promettre de leur donner beaucoup d'argent s'ils l’élisaient roi : Démétrius, disait-il, était prisonnier des Parthes, et son frère Antiochus, s'il parvenait au pouvoir, les traiterait durement, pour se venger de leur défection. Les soldats, dans l'espoir de vivre grassement s'ils donnaient la royauté à Tryphon, le proclamèrent souverain. Mais Tryphon, dès qu'il fut le maître, laissa voir son naturel pervers. Simple particulier, il flattait la foule, feignait la modération et amenait par ce moyen le peuple à ses fins ; une fois roi, il jeta le masque et fut le véritable Tryphon. Par là il renforça ses ennemis : l'armée, en haine de lui, se rangea du côté de Cléopâtre, femme de Démétrius, alors enfermée à Séleucie avec ses enfants. Et comme le frère de Démétrius, Antiochus, surnommé Sôter[133],

errait sans qu'aucune ville le reçut, à cause de Tryphon, Cléopâtre l'appela auprès d'elle en lui offrant sa main et la royauté. Elle faisait à Antiochus ces propositions en partie sur le conseil de ses amis, en partie dans la crainte que quelques habitants de Séleucie ne livrassent la ville à Tryphon.

  1. Antiochus, arrivé à Séleucie, vit ses forces augmenter de jour en jour. Il partit donc en guerre contre Tryphon, le vainquit dans un combat, le chassa de la haute Syrie en Phénicie, et l'ayant poursuivi jusque là, l'assiégea dans Dôra, place forte difficile à prendre, où il s'était réfugié. Il envoya aussi des ambassadeurs à Simon, le grand-prêtre des Juifs, pour faire alliance et amitié avec lui. Simon accueillit avec joie ses propositions, et, après avoir rendu une ambassade à

 

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Antiochus, envoya force argent et vivres aux troupes assiégeant Dôra, de manière à leur assurer l'abondance. Aussi fut-il pendant quelque temps compté parmi les plus intimes amis d'Antiochus[134]. Tryphon

s'enfuit de Dôra à Apamée, y fut assiégé, pris et mis à mort après avoir régné trois ans[135].

  1. Antiochus, par avarice et méchanceté, oublia les secours que lui avait apportés Simon dans des circonstances difficiles. Il donna une armée à l'un de ses amis, Kendebaios, et l'envoya piller la Judée et s'emparer de Simon[136]. Simon, à la nouvelle de la déloyauté

d'Antiochus, bien qu'il fût déjà vieux, s'indigna cependant de l'injustice d'Antiochus à son égard ; montrant une résolution qu'on n'eut pas attendue de son âge, il entreprit la guerre avec l'ardeur d'un jeune général[137]. Il envoya en avant ses fils avec les plus intrépides

de ses soldats, et lui-même s'avança d'un autre côté avec le gros de l'armée ; il plaça de nombreux détachements en embuscade dans les défilés des montagnes, et, sans avoir jamais éprouvé d'échec, battit l'ennemi sur toute la ligne ; il put ainsi finir sa vie en paix, après avoir, lui aussi, fait alliance avec les Romains[138].

  1. Il gouverna les Juifs huit années en tout[139], et mourut dans un

banquet, victime d'un complot ourdi contre lui par son gendre Ptolémée ; celui-ci s'empara aussi de la femme de Simon et de deux de ses fils, qu'il jeta dans les fers ; puis, il envoya contre le troisième, Jean, qu'on appelait aussi Hyrcan, des émissaires chargés de le tuer. Mais le jeune homme, prévenu de leur arrivée, put échapper au danger dont ils le menaçaient, et se réfugier dans la ville, se fiant à la reconnaissance du peuple pour les services rendus par son père et à l'impopularité de Ptolémée. Et le peuple, après avoir reçu Hyrcan, repoussa Ptolémée qui essayait d'entrer par une autre porte.

VIII

1. Avènement de Jean Hyrcan ; sa lutte contre son beau-frère Ptolémée. - 2-3. Siége et prise de Jérusalem par Antiochus Sidétès. - 4. Hyrcan l'accompagne contre les Parthes.

1. Ptolémée se retira dans une des forteresses situées au-dessus de Jéricho, appelée Dagôn[140]. Hyrcan, qui avait hérité de la charge de

grand-prêtre que remplissait son père, offrit d'abord à Dieu des sacrifices, puis marcha contre Ptolémée, et mit le siège devant la

 

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place. Il avait sur tous les points l'avantage, mais sa piété pour sa mère et ses frères le paralysait, car Ptolémée les faisait amener sur le rempart et les maltraitait à la vue de tous, menaçant de les précipiter des murailles si Hyrcan ne levait pas le siège. Hyrcan, pensant que moins on mettrait de hâte à la prise de la place, plus il épargnerait de souffrances à ceux qu'il aimait le plus, se relâcha un peu de son ardeur. Cependant sa mère, lui tendant les mains, le suppliait de ne pas fléchir à cause d'elle ; tout au contraire, donnant un bien plus libre cours à sa colère, il devait hâter la prise de la forteresse et venger, une fois maître de son ennemi, ses plus chers parents : elle-même trouverait douce la mort dans les supplices Si l'ennemi, coupable envers eux d'une telle perfidie, en subissait la peine. Hyrcan, quand sa mère parlait ainsi, se sentait plein d'ardeur pour la prise de la place ; mais lorsqu'il la voyait frappée et déchirée, il faiblissait et se laissait vaincre par la pitié que lui inspiraient ses souffrances. Le siège traîna ainsi en longueur, et l'on arriva à l'année pendant laquelle les Juifs doivent rester inactifs : c'est en effet leur coutume tous les sept ans, comme tous les sept jours[141]. Ptolémée,

profitant de la suspension de la guerre qui en résulta, fit mettre à mort les frères et la mère d'Hyrcan, et ce meurtre accompli, s'enfuit auprès de Zénon, surnommé Cotylos, tyran de la ville de Philadelphie[142].

2. Cependant Antiochus, vivement irrité des échecs que lui avait infligés Simon, envahit la Judée la quatrième année de son règne, qui était la première du gouvernement d'Hyrcan, dans la cent soixante-deuxième Olympiade[143]. Après avoir ravagé le pays, il enferma

Hyrcan dans Jérusalem même, qu'il entoura de sept camps. Tout d'abord il ne fit aucun progrès, tant à cause de la solidité des murailles, que de la valeur des assiégés et du manque d'eau, auquel remédia cependant une pluie abondante qui tomba au coucher des Pléiades[144]. Du côté du mur nord, au pied duquel le terrain était

plat, il éleva cent tours à trois étages, dans lesquelles il plaça des détachements de soldats. Il livra des assauts journaliers, et ayant creusé un double fossé d'une grande largeur, il bloqua les habitants. Ceux-ci de leur côté firent des sorties nombreuses ; quand ils pouvaient sur quelque point tomber à l'improviste sur l'ennemi, ils le maltraitaient fort ; s'ils le trouvaient sur ses gardes, ils se retiraient facilement. Mais lorsque Hyrcan s'aperçut que l'excès de population était nuisible, que les vivres se consommaient trop rapidement, et que, comme de juste, tant de mains gâtaient la besogne, il renvoya, après avoir fait son choix, toutes les bouches inutiles et ne garda que les hommes d'âge et de force à combattre. Antiochus empêcha le départ des expulsés, et nombre de ces malheureux, errant entre les

 

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deux lignes fortifiées, épuisés par la faim, périrent misérablement. Enfin, à l'approche de la fête des Tabernacles[145], les assiégés pris

de pitié les firent rentrer. Hyrcan cependant ayant fait demander à Antiochus une trêve de sept jours pour célébrer la fête, Antiochus, par respect pour la divinité, l'accorda et envoya de plus un magnifique sacrifice, des taureaux aux cornes dorées et des coupes d'or et d'argent pleines de parfums de toutes sortes. Les gardiens des portes reçurent cette offrande des mains de ceux qui l'apportaient et la conduisirent au Temple ; Antiochus pendant ce temps donna un festin à son armée[146], bien différent d'Antiochus Epiphane, qui, après

avoir pris la ville, sacrifia des porcs sur l'autel et arrosa le Temple de leur graisse, au mépris des coutumes des Juifs et de leur religion nationale, sacrilège qui poussa le peuple à la guerre et le rendit intraitable. Cet Antiochus au contraire, pour son extrême piété, fut surnommé par tous Eusébès (le Pieux)[147].

  1. Hyrcan, charmé de l'équité d'Antiochus et ayant appris son zèle à l'égard de la divinité, lui envoya une ambassade pour lui demander de rendre aux Juifs leur constitution nationale. Antiochus repoussa sans examen le conseil de ceux qui le poussaient à exterminer ce peuple, comme refusant de partager le genre de vie des autres[148] ; et résolu

de conformer tous ses actes à sa piété, il répondit aux envoyés qu'il mettrait fin à la guerre aux conditions suivantes : les assiégés livreraient leurs armes, paieraient un tribut pour Jopé et les autres villes limitrophes de la Judée qu'ils occupaient, et recevraient une garnison. Les Juifs acceptèrent toutes ces conditions, à l'exception de la garnison, repoussant tout commerce avec d'autres peuples. ils offraient en compensation des otages et cinq cents talents d'argent; le roi ayant consenti, ils payèrent aussitôt trois cents talents et remirent les otages, parmi lesquels était le frère[149] d’Hyrcan. Antiochus

détruisit de plus l'enceinte de la ville[150]. A ces conditions il leva le siège et se retira.

  1. Hyrcan ayant ouvert le tombeau de David, qui surpassait en richesses tous les rois d'autrefois, en retira trois mille talents d'argent, et, grâce à ces ressources, se mit, ce que n'avait encore jamais fait un Juif, à entretenir des mercenaires[151]. Il fit amitié et alliance avec

Antiochus, le reçut dans la ville, et fournit abondamment et généreusement à tous les besoins de son armée. Et quand Antiochus fit son expédition contre les Parthes[152], Hyrcan l'accompagna.

Nous en avons également pour garant Nicolas de Damas, qui raconte le fait suivant[153] : « Antiochus, après avoir dressé un trophée sur

 

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les bords du fleuve Lycos, en souvenir de sa victoire sur Indatès, général des Parthes, y demeura deux jours à la demande d'Hyrcan le juif, à cause d'une fête nationale pendant laquelle la loi interdisait aux Juifs de marcher. » Nicolas ne dit là rien que de vrai : car la fête de la Pentecôte devait être célébrée le jour après le Sabbat[154], et il ne

nous est pas permis de cheminer ni le jour du Sabbat ni les jours de fête. Antiochus livra bataille au Parthe Arsace, perdit une grande partie de son armée et périt lui-même. Le royaume de Syrie passa aux mains de son frère Démétrius, qu'Arsace avait délivré de captivité au moment où Antiochus envahit le pays des Parthes on l'a raconté ailleurs[155].

IX

1. Conquêtes d'Hyrcan. Ruine du temple du Garizim. Conversion forcée des Iduméens. - 2. Senatusconsulte romain en faveur des Juifs. - 3. Mort de Démétrius II. Usurpation et mort d'Alexandre Zébina.

1. Hyrcan, à la nouvelle de la mort d'Antiochus, marcha aussitôt sur les villes de Syrie, pensant les trouver, ce qui était exact, dépourvues de combattants et de défenseurs. Après six mois de siège il s'empara de Médaba au prix de dures fatigues supportées par son armée ; ensuite il occupa Samega[156] et les localités voisines, puis

Sikima[157], Garizim et le pays des Chouthéens ; ceux-ci habitaient

autour du temple bâti à l'image de celui de Jérusalem, et qu'Alexandre avait permis au gouverneur Sanaballétès de construire pour son gendre Manassès, frère du grand-prêtre Jaddous, comme nous l'avons raconté plus haut[158]. Ce Temple fut dévasté après

deux cents ans d'existence. Hyrcan prit aussi les villes d'Idumée, Adora et Marissa[159], soumit tous les Iduméens et leur permit de

rester dans le pays à la condition d'adopter la circoncision et les lois des Juifs. Par attachement au sol natal, ils acceptèrent de se circoncire et de conformer leur genre de vie à celui des Juifs. C'est à partir de cette époque qu'ils ont été des Juifs véritables.

2[160]. Le grand-prêtre Hyrcan, désirant renouveler l'amitié qui liait

son peuple aux Romains, leur envoya une ambassade. Le Sénat reçut sa lettre et fit amitié avec lui dans les termes suivants : « ... Fannius, fils de Marcus, préteur a réuni le Sénat au Comitium le huit avant les ides de février[161], étant présents Lucius Manlius, fils de Lucius, de

la tribu Mentina, Caïus Sempronius, fils de Cnæus, de la tribu

 

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Falerna,.... pour délibérer sur l'objet de l'ambassade de Simon, fils de Dosithéos, d’Apollonios, fils d'Alexandre, et de Diodore, fils de Jason, hommes de bien envoyés par le peuple des Juifs. Ceux-ci nous ont entretenus de l'amitié et de l'alliance qui existe entre eux et les Romains, et de leurs affaires publiques ; ils ont demandé que Jopé, les ports[162], Gazara, Pegæ[163], et toutes les autres villes et places

leur appartenant et qu'Antiochus a prises de force contrairement au décret du Sénat, leur fussent restitués ; qu'il fût interdit aux soldats du roi de traverser leur territoire et celui de leurs sujets ; que toutes les mesures prises par Antiochus pendant cette guerre, à l'encontre du décret du Sénat, fussent infirmées ; que les Romains envoyassent des commissaires chargés de faire rendre aux Juifs tout ce que leur a enlevé Antiochus et d'estimer les ravages faits pendant la guerre ; qu'enfin on donnât aux envoyés juifs des lettres pour les rois et les peuples libres, assurant la sécurité de leur retour dans leur patrie.

Sur ces points voici ce qui a été décidé : renouveler l'amitié et l'alliance avec des hommes de bien, envoyés par un peuple honnête et ami.[164] » Quant aux lettres(?)[165], les Romains répondirent qu'ils

en délibéreraient lorsque leurs affaires particulières laisseraient du loisir au Sénat[166] ; qu’ils prendraient soin à l'avenir que les Juifs ne

fussent plus en butte à des injustices de ce genre ; et que le préteur Fannius donnerait aux envoyés, sur le trésor public, l'argent nécessaire pour leur retour. Fannius renvoya ainsi les ambassadeurs des Juifs après leur avoir donné de l'argent, sur le trésor public, et remis le décret du Sénat, à l'adresse de ceux qui devaient les escorter et assurer leur retour en Judée.

3. Telle était la situation du grand-prêtre Hyrcan. Le roi Démétrius désirait faire une expédition contre lui, mais il n'en eut ni l'occasion ni le moyen, car les Syriens et ses soldats, qui le détestaient à cause de sa méchanceté, envoyèrent des ambassadeurs à Ptolémée surnommé Physcon[167], pour lui demander de leur donner

quelqu'un de la race de Séleucus qui pût prendre la couronne. Ptolémée envoya Alexandre, surnommé Zébinas1 à la tête d'une armée ; celui-ci livra bataille à Démétrius, qui, vaincu, s'enfuit à Ptolémaïs au près de sa femme Cléopâtre ; mais sa femme ayant refusé de le recevoir, il partit pour Tyr, fut pris et mourut après de longues souffrances que lui firent subir ses ennemis[168]. Alexandre,

devenu maître du pouvoir, lit amitié avec le grand-prêtre Hyrcan. Puis, attaqué par Antiochus, fils de Démétrius, surnommé Grypos, il fut battu et périt dans le combat[169].

 

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X

1. Rivalité d'Antiochus Grypos et d'Antiochus Cyzicène. - 2-3. Conquête de Samarie et de Scythopolis. - 4. Cheikias et Ananias généraux de Cléopâtre. - 5-6. Brouille d'Hyrcan avec les Pharisiens. - 7. Sa mort, son caractère.

  1. Antiochus, devenu ainsi roi de Syrie, s'apprêtait à marcher vers la Judée, quand il apprit que son frère utérin, qui s'appelait aussi Antiochus, rassemblait contre lui une armée[170]. Il resta donc sur

son propre territoire, et résolut de se préparer à soutenir l'invasion de son frère, qui avait été surnommé Antiochus Cyzicène parce qu’il avait été élevé à Cyzique, et qui avait pour père Antiochus, surnommé Sôter[171], mort chez les Parthes, et frère lui-même de

Démétrius, père de Grypos. Les deux frères avaient épousé successivement la même femme, Cléopâtre, comme nous l’avons raconté ailleurs[172]. Antiochus de Cyzique, arrivé en Syrie, fit

pendant plusieurs années la guerre à son frère. Hyrcan passa tout ce temps en paix[173]. Après la mort d'Antiochus[174], il s'était, en

effet, lui aussi détaché des Macédoniens, ne se conduisant avec eux ni en sujet, ni en ami. Sous Alexandre Zébinas et surtout sous les deux frères, ses affaires progressèrent et prospérèrent de plus en plus : la guerre qu'ils se faisaient entre eux lui donna le loisir d'exploiter la Judée en toute sécurité et d'amasser d'énormes sommes d'argent. Cependant quand Antiochus Cyzicène dévasta ouvertement son territoire[175], Hyrcan montra lui aussi ses intentions[176] ; et

comme il voyait Antiochus privé de ses alliés d'Égypte, et l'un et l'autre frère souffrir beaucoup dans les combats qu'ils se livraient, il les méprisait également tous deux.

  1. Il fit une expédition contre Samarie, ville extrêmement forte ; nous dirons ailleurs comment elle porte maintenant le nom de Sébasté, ayant été rebâtie par Hérode. Il l'attaqua et l'assiégea avec vigueur, plein de ressentiment contre les Samaritains, pour tout le mal qu’ils avaient fait, à l'instigation des rois de Syrie, aux gens de Marissa, colons et alliés des Juifs[177]. Il entoura donc de tous côtés la ville

d'un fossé et d'un double mur, d'un développement d'environ quatre-vingts stades, et confia les opérations à ses fils Antigone et Aristobule. Pressés par ceux-ci, les Samaritains furent réduits par la famine à une telle extrémité, qu'ils durent se nourrir des aliments les plus insolites et appeler à leur secours Antiochus Cyzicène[178].

 

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Antiochus se porta volontiers à leur aide, mais vaincu par Aristobule, il dut s'enfuir, poursuivi jusqu'à Scythopolis par les deux frères. Ceux-ci, revenant contre les Samaritains, les bloquèrent de nouveau dans leurs murailles, et les réduisirent à appeler une seconde fois à leur secours ce même Antiochus. Antiochus fit demander environ six mille hommes à Ptolémée Lathouros[179] : celui-ci les lui envoya

malgré sa mère, qui faillit le détrôner. Avec ces troupes égyptiennes, Antiochus envahit d'abord le territoire d'Hyrcan et se mit à le ravager comme un brigand, n'osant pas, à cause de l'insuffisance de ses forces, attaquer Hyrcan en face, mais dans l'espoir qu'en dévastant le pays, il le forcerait à lever le siège de Samarie. Cependant, quand il eut perdu beaucoup d’hommes dans les embuscades, il se retira à Tripolis, après avoir confié à Callimandros et à Epicratès la conduite de la guerre contre les Juifs.

  1. Callimandros, s'étant porté avec trop de hardiesse contre les ennemis, fut mis en déroute et périt aussitôt. Epicratès, par avidité, livra ouvertement aux Juifs Scythopolis et d'autres places[180], mais

ne put faire lever le siège de Samarie. Hyrcan, au bout d'un an de siège s'empara de la ville, et non content de ce succès la détruisit entièrement en l'inondant à l'aide des torrents : par des affouillements il la fit ébouler dans des ravines et disparaître toutes traces indiquant qu'une ville s'élevait jadis en cet endroit. - On raconte aussi du grand-prêtre Hyrcan un fait extraordinaire, comment Dieu eut un entretien avec lui. On dit que le jour où ses fils livrèrent bataille à Antiochus Cyzicène, comme il faisait lui-même seul brûler de l'encens dans le sanctuaire, le grand-prêtre entendit une voix lui disant que ses enfants venaient de vaincre Antiochus. Sortant du Temple, il annonça à tout le peuple la nouvelle, que l'événement confirma[181]. Telles étaient

les affaires d'Hyrcan.

  1. En ce temps là, la fortune ne souriait pas seulement aux Juifs de Jérusalem et de son territoire, mais encore à ceux qui habitaient Alexandrie, l'Egypte et Chypre. En effet la reine Cléopâtre étant en lutte avec son fils Ptolémée, surnommé Lathouros, prit pour généraux Chelkias et Ananias, fils de cet Onias qui avait construit dans le nome d'Héliopolis un temple semblable à celui de Jérusalem, comme nous l'avons raconté plus haut[182]. Cléopâtre leur confia le

commandement de son armée et ne fit rien sans prendre leur avis, comme en témoigne le passage suivant de Strabon de Cappadoce : « La plupart de ceux qui vinrent alors et de ceux qui furent ensuite envoyés à Chypre par Cléopâtre faisaient aussitôt défection pour se

 

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rallier à Ptolémée ; seuls les Juifs du pays dit d'Onias restèrent fidèles, à cause de la grande faveur dont jouissaient auprès de la reine leurs compatriotes Chelkias et Ananias. » Voilà ce que dit Strabon[183].

  1. Les succès d'Hyrcan et de ses fils excitèrent l'envie chez les Juifs ; il était surtout mal vu des Pharisiens, l'une des sectes des Juifs, comme nous l'avons dit plus haut[184]. Ces hommes ont une telle

influence sur le peuple, que même s'ils parlent contre le roi ou le grand-prêtre, ils trouvent aussitôt créance[185]. Hyrcan avait

cependant été leur disciple et était très aimé d'eux. Un jour il les invita à un banquet et les festoya magnifiquement ; quand il les vit dans de bonnes dispositions, il se mit à leur parler, disant qu'ils connaissaient sa volonté d'être juste et ses efforts pour être agréable à Dieu et à eux-mêmes : les Pharisiens, en effet, se piquent de philosophie. Il les priait donc, s'ils voyaient quelque chose à reprendre dans sa conduite et qui fût hors de la bonne voie, de l'y ramener et de le redresser. L'assemblée le proclama vertueux en tout point, et il se réjouit de leurs louanges ; mais l'un des convives, nommé Éléazar, homme d'un naturel méchant et séditieux, prit la parole en ces termes : « Puisque tu désires connaître la vérité, renonce, si tu veux être juste, à la grande-prêtrise et contente-toi de gouverner le peuple. » Hyrcan lui demanda pourquoi il devait dépose la grande-prêtrise. « Parce que, dit l'autre, nous avons appris de nos anciens que ta mère fut esclave sous le règne d'Antiochus

Epiphane. » C'était un mensonge, Hyrcan fut vivement irrité contre lui, et tous les Pharisiens fort indignés.

  1. Mais un homme de la secte des Sadducéens - qui ont des idées opposées à celles des Pharisiens, - un certain Jonathas, qui était des meilleurs amis d'Hyrcan, prétendit qu'Eléazar n'avait insulté celui-ci que de l'assentiment général des Pharisiens : Hyrcan s’en convaincrait facilement s'il leur demandait quel châtiment Eléazar avait mérité par ses paroles. Hyrcan invita donc les Pharisiens à lui dire quelle punition avait méritée Eléazar ; il reconnaîtrait que cette injure ne lui avait pas été faite de leur aveu, s'ils fixaient la peine à la mesure de l'offense. Ceux-ci répondirent : « les coups et les

chaînes », car une insulte ne leur paraissait pas mériter la mort ; et d'ailleurs les Pharisiens sont par caractère indulgents dans l'application des peines. Hyrcan fut très irrité de leur sentence et conclut que le coupable l'avait insulté d'accord avec eux. Jonathas surtout l'excita vivement et l'amena à passer à la secte des

 

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Sadducéens, abandonnant celle des Pharisiens ; il abrogea les pratiques imposées au peuple par ceux-ci et punit ceux qui les observaient. De là vint la haine du peuple contre lui et ses fils. Mais nous reviendrons sur ce point[186]. Je veux maintenant dire

simplement que les Pharisiens avaient introduit dans le peuple beaucoup de coutumes qu'ils tenaient des anciens, mais qui n'étaient pas inscrites dans les lois de Moïse, et que, pour cette raison, la secte des Sadducéens rejetait, soutenant qu'on devait ne considérer comme lois que ce qui était écrit, et ne pas observer ce qui était seulement transmis par la tradition. Sur cette question s'élevèrent des controverses et de grandes disputes, les Sadducéens ne parvenant à convaincre que les riches et n'étant pas suivis par le peuple, les Pharisiens, au contraire, ayant la multitude avec eux. Mais de ces deux sectes et de celle des Esséniens il a été longuement parlé dans le second livre de mes Judaica[187].

7. Hyrcan, après avoir apaisé la sédition[188], vécut heureux ; il

occupa le pouvoir avec le plus grand succès pendant trente et un an[189] et mourut, laissant cinq fils. Il avait été jugé par Dieu digne

des trois plus hautes faveurs le pouvoir sur le peuple, la charge de grand-prêtre, le don de prophétie. L'esprit divin, en effet, était en lui et lui permit de connaître et d'annoncer l'avenir, si bien qu'il prédit de ses deux fils aînés qu'ils ne resteraient pas longtemps maîtres du pouvoir[190]. Il nous faut raconter leur chute, qui nous apprendra

combien ils ont été loin du bonheur de leur père.

XI

1-2. Aristobule, grand-prêtre, prend le titre de roi. Meurtre de sa mère et de son frère Antigone. - 3. Remords et mort d'Aristobule. Conquête de l'Iturée.

1. Après la mort de leur père, l'aîné, Aristobule jugea à propos de transformer de sa propre autorité le pouvoir en royauté, et le premier ceignit le diadème quatre cent quatre-vingt-un ans et trois mois après le retour du peuple, délivré de la captivité de Babylone[191]. De ses

frères, il n'aimait que son puîné Antigone, qu'il jugea digne de partager ses honneurs ; quant aux autres, il les jeta dans les fers. Il mit aussi en prison sa mère, qui lui disputait le pouvoir, car Hyrcan l'avait laissée maîtresse de tout ; et il poussa la cruauté jusqu'à la laisser mourir de faim dans des chaînes. Puis il fit subir le même sort à son

 

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frère Antigone, qu'il paraissait aimer tendrement et qu'il avait associé à sa royauté. Il fut éloigné de lui par des accusations, auxquelles il ne crut pas tout d'abord, soit que son affection l'empêchât d'y prêter attention, soit qu'il supposât ces calomnies inspirées par la jalousie. Mais un jour qu'Antigone était revenu couvert de gloire d'une expédition militaire, à l'époque de la fête dans laquelle on dresse des tentes en l'honneur de Dieu, il arriva qu'Aristobule tomba malade. Antigone, pour célébrer la fête, monta au Temple, en brillant équipage, entouré de ses hommes d'armes, et fit les plus ardentes prières pour le salut de son frère. Les méchants, qui désiraient détruire la concorde régnant entre les deux frères, saisirent l'occasion que leur fournissaient l'éclat du cortège d'Antigone et ses succès. Ils se rendirent auprès du roi, exagérant dans de mauvaises intentions la pompe déployée par Antigone pendant la fête, prétendant que chacun de ses actes, loin d'être d'un simple particulier, révélait des visées à la royauté ; sans doute, à la tête d'une troupe en armes, il allait venir mettre à mort son frère, pensant qu'il serait sot, pouvant être roi, de se croire suffisamment avantagé par le simple partage des honneurs souverains[192].

2. Aristobule, entendant ces propos et persuadé contre son gré, désireux à la fois de ne pas éveiller les soupçons de son frère et d'assurer son propre salut, plaça ses gardes du corps dans un souterrain obscur - il couchait dans la forteresse appelée d'abord Bans, plus tard Antonia[193], - avec ordre de ne pas toucher

Antigone s'il se présentait sans armes, mais de le tuer s'il voulait pénétrer armé auprès de lui. Il envoya cependant lui-même un messager à Antigone pour le prier de venir sans armes. Mais la reine et ceux qui avec elle conspiraient contre Antigone persuadèrent l'envoyé de dire le contraire, à savoir que son frère, ayant appris qu'il s'était fait faire une belle armure et un appareil de guerre[194], le

priait de se rendre auprès de lui tout armé, afin de voir son équipage. Antigone, sans soupçonner rien de mal, confiant dans les bonnes dispositions de son frère, se rendit dans l'accoutrement où il se trouvait, revêtu de son armure, auprès d’Aristobule, pour lui montrer ses armes. Mais lorsqu'il arriva au pied de la tour dite de Straton, où le passage était très obscur, les gardes du corps le tuèrent. Sa mort prouva bien que rien n'est plus fort que la haine et la calomnie, et que rien n'est plus propre que ces passions à détruire la bienveillance et les affections naturelles. Il arriva à ce sujet une chose étonnante à un certain Judas, de race essénienne, dont les prédictions avaient toujours été conformes à la vérité. Cet homme, voyant Antigone passer près du Temple, s'écria au milieu de ses compagnons et des

 

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familiers, qui l'entouraient comme des élèves pour apprendre à prédire l'avenir : « Je mérite de mourir pour avoir menti puisqu'Antigone est vivant » : il avait annoncé, en effet, qu'Antigone mourrait ce jour même à l'endroit appelé tour de Straton ; or, il le voyait passer sous ses yeux, alors que le lieu où, selon sa prédiction, devait être commis le meurtre était éloigné d'environ six cents stades, et que le jour était déjà fort avancé[195] ; il y avait donc chance que

sa prédiction fût fausse. Comme il parlait ainsi, tout confus, on annonça qu'Antigone venait d'être tué dans le souterrain, qui s'appelait aussi tour de Straton, comme la ville maritime de Césarée. Le devin en fut bouleversé.

3. Aristobule, pris de remords du meurtre de son frère, en devint malade, l'esprit torturé par la pensée de son crime, au point que, la violence de la douleur ayant corrompu ses organes, il vomit du sang. Un des pages qui le servaient, - et je pense qu'il faut voir là le doigt de Dieu - emportant ce sang, glissa à l'endroit même où se trouvaient encore les traces du sang d'Antigone égorgé, et répandit son fardeau. Les spectateurs se récrièrent que l'esclave l'avait fait exprès. Aristobule, les ayant entendus, demanda la cause de ce bruit, et, comme on ne lui répondait pas, brûla plus encore de la connaître, car les hommes en semblable circonstance sont portés à soupçonner que ce qu'on leur tait est pire que la réalité. Et lorsque, devant ses menaces et contraints par la terreur, ils lui eurent dit la vérité, écrasé par la conscience de ses crimes, il versa d'abondantes larmes, et, avec de profonds gémissements, s'écria : « Je ne pouvais donc cacher à Dieu des actions si impies et scélérates ; le châtiment du meurtre de mon frère est vite survenu. Jusqu'à quand, Ô corps misérable, retiendras-tu une âme due aux mânes[196] de mon frère et de ma

mère ? Pourquoi ne pas la rendre tout d'un coup au lieu de répandre goutte à goutte mon sang en libations à mes victimes ? » Il mourut en prononçant ces paroles mêmes, après un an de règne[197]. On

l'appelait Philhellène, et il avait rendu de grands services à sa patrie : il avait fait la guerre aux Ituréens[198], et annexé une partie

considérable de leur territoire à la Judée, forçant les habitants, s'ils voulaient demeurer dans le pays, à se circoncire et à vivre suivant les lois des Juifs. Il était d'un naturel équitable et très modeste, comme en témoigne Strabon, d'après Timagène : « C'était un homme équitable, et qui fut d'une grande utilité aux Juifs ; il agrandit, en effet, leur territoire, et leur annexa une partie du peuple des Ituréens, qu'il leur unit par le lien de la circoncision[199]. ».

 

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XII

1. Avènement d'Alexandre Jannée. - 2. Ptolémaïs assiégée appelle Ptolémée Lathyre. - 3-4. Campagne de Ptolémée en Palestine - 5-6. Bataille d'Asophon.

  1. Après la mort d'Aristobule, Salomé, sa femme, que les Grecs appelaient Alexandra, délivra les frères d'Aristobule, que celui-ci avait emprisonnés, comme nous l'avons dit plus haut, et donna la royauté à Jannée, appelé aussi Alexandre, l'aîné et le plus modéré[200]. Jannée, dès sa naissance, était devenu un objet de haine

pour son père, lequel jusqu'à sa mort refusa de le voir. La cause de cette haine était, dit-on la suivante : Hyrcan qui, de ses enfants, aimait surtout les deux aînés, Antigone et Aristobule, demanda à Dieu qui lui était apparu en songe lequel de ses enfants serait son successeur. Dieu lui ayant tracé les lettres du nom[201] de Jannée,

Hyrcan, affligé à l'idée qu'il serait l’héritier de tous ses biens, le fit élever en Galilée. Dieu ne l'avait cependant pas trompé. Jannée ayant pris le pouvoir après la mort d'Aristobule, fit périr l'un de ses frères qui aspirait à la royauté, et traita avec honneur l’autre, qui préférait vivre sans se mêler aux affaires[202].

  1. Après avoir constitué le pouvoir de la manière qu'il pensait la plus utile, il marcha contre Ptolémaïs ; il remporta la victoire et enferma les vaincus dans la ville, dont il fit le siège. Sur toute la côte il ne lui restait alors à soumettre que Ptolémaïs, Gaza, et le tyran Zoïle, qui occupait la Tour de Straton et Dora. Antiochus Philométor[203] et

son frère Antiochus surnommé Cyzicène combattant l'un contre l'autre et détruisant ainsi leurs propres forces, il n'y avait, pour les habitants de Ptolémaïs, aucune aide à attendre d'eux. Eprouvés par le siège, ils obtinrent cependant un faible secours de Zoïle, qui occupait la Tour de Straton et Dora, entretenait un corps de troupes et aspirait à profiter des discordes des rois pour s'emparer de la tyrannie. Car les rois n'étaient pas assez bien disposés à leur égard pour qu'on pût rien espérer d'eux : ils étaient, en effet, tous deux comme des athlètes qui, leurs forces épuisées, mais retenus par la honte de céder, retardaient, dans l'inaction et le repos, la reprise du combat. Il ne restait aux habitants d'autre espoir que dans les souverains d'Égypte et dans Ptolémée Lathouros, qui occupait Chypre, où, chassé du pouvoir par sa mère Cléopâtre, il s'était réfugié. Les habitants de Ptolémaïs envoyèrent donc auprès de lui, le suppliant de s'allier à eux pour les arracher des mains d'Alexandre, où ils risquaient de tomber. Les

 

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envoyés lui firent espérer que, s'il passait en Syrie, il trouverait comme alliés, avec les gens de Ptolémaïs, ceux de Gaza et Zoïle ; les Sidoniens et bien d'autres se joindraient à lui. Soulevé par ces assurances, il se hâta d'apprêter sa flotte pour le départ.

  1. Pendant ce temps Démainètos, qui avait alors la confiance des habitants de Ptolémaïs et gouvernait le peuple, les fit changer d'avis, en leur remontrant qu'il était préférable de courir le risque d'une lutte incertaine contre les Juifs, plutôt que d'accepter une servitude assurée en se donnant un maître ; que par surcroît ils s'attireraient ainsi, outre la guerre présente, une guerre beaucoup plus grave, de la part de l'Égypte. Cléopâtre, en effet, ne verrait pas d'un oeil indifférent Ptolémée rassembler des forces chez ses voisins ; elle marcherait contre eux avec une armée considérable, car elle s'efforçait de chasser son fils de Chypre même. Ptolémée, si les choses tournaient contrairement à ses espérances, aurait encore Chypre comme refuge ; eux-mêmes, au contraire, seraient réduits à la dernière extrémité. Ptolémée apprit pendant la traversée le changement d'attitude des habitants de Ptolémaïs ; il n'en continua pas moins sa navigation, et ayant abordé à l'endroit appelé Sycaminos[204], il y débarqua ses

troupes. Son armée comptait au total, infanterie et cavalerie, environ trente mille hommes ; il la conduisit sous les murs de Ptolémaïs, et campa en cet endroit, fort soucieux, car les habitants refusaient de recevoir ses envoyés et d'écouter ses propositions.

  1. Cependant Zoïle et les habitants de Gaza vinrent solliciter son alliance, car leur territoire était ravagé par les Juifs et Alexandre. Celui-ci, craignant Ptolémée, leva alors le siège, ramena l'armée dans ses foyers et désormais eut recours à la ruse, appelant secrètement Cléopâtre contre Ptolémée, tandis qu'il proposait ouvertement à ce roi son amitié et son alliance. Il lui promit même quatre cents talents d'argent, s'il voulait faire disparaître le tyran Zoïle et attribuer ses possessions aux Juifs. Ptolémée conclut volontiers amitié avec Alexandre et s'empara de Zoïle ; mais ayant par la suite appris les négociations secrètes d'Alexandre avec sa mère Cléopâtre, il rompit les serments échangés avec lui et alla mettre le siège devant Ptolémaïs, qui avait refusé de le recevoir. Laissant pour faire le siège ses généraux et une partie de ses forces, il se tourna lui-même avec le reste vers la Judée qu'il envahit. Alexandre, à la nouvelle des projets de Ptolémée, rassembla de son côté environ cinquante mille des habitants du pays – quatre-vingt mille même, suivant quelques historiens - et à la tête de ces troupes se porta à la rencontre de Ptolémée. Ptolémée étant tombé à l'improviste sur Asôchis, ville de

 

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Galilée[205], un jour de sabbat, s'en empara par la force, et fit environ dix mille prisonniers et un riche butin.

  1. Il fit aussi une tentative sur Sepphoris, située non loin de la ville qu'il venait de dévaster ; mais il y perdit un grand nombre de soldats. De là, il partit pour aller combattre Alexandre. Alexandre vint à sa rencontre sur les bords du Jourdain, en un lieu appelé Asophôn[206],

non loin du fleuve, et planta son camp près des ennemis. Il avait comme combattants de première ligne, huit mille hommes, qu'il appelait « champions de cent hommes », armés de boucliers recouverts d'airain. Les soldats de première ligne de Ptolémée avaient aussi des boucliers pareils; mais inférieurs sur tous les autres points, les soldats de Ptolémée allaient au danger plus timidement. Cependant le tacticien Philostéphanos leur inspira une grande confiance en leur faisant traverser le fleuve qui séparait les deux camps[207]. Alexandre ne jugea pas à propos de s'opposer à leur

passage : il pensait, en effet, que, s’ils avaient le fleuve à dos, il écraserait plus facilement les ennemis, qui auraient la retraite coupée. Quand on en vint aux mains, au commencement, mêmes exploits des deux côtés, même ardeur ; les deux armées éprouvaient de grandes pertes ; puis les soldats d'Alexandre ayant pris le dessus, Philostéphanos, divisant habilement ses troupes, vint renforcer les rangs qui faiblissaient. Comme personne ne vint au secours du corps juif ébranlé, il finit par prendre la fuite, sans trouver d'aide dans les troupes voisines qu'il entraîna au contraire dans sa déroute. Les soldats de Ptolémée firent tout le contraire : ils se mirent à la poursuite des Juifs, qu'ils taillèrent en pièces, puis, enfin, ayant mis en déroute l'armée entière, ils les pourchassèrent et les massacrèrent jusqu'à ce que leurs épées fussent émoussées et leurs mains lasses de tuer. On dit qu'il périt trente mille juifs, cinquante mille d'après Timagène[208] ; les autres furent pris ou se sauvèrent dans leurs

bourgades respectives.

  1. Ptolémée, après la victoire, parcourut le pays et, le soir venu, s’arrêta dans certains villages de Judée ; il les trouva pleins de femmes et d'enfants, qu'il ordonna à ses soldats d'égorger, de couper en morceaux, et de jeter ainsi démembrés dans des marmites d'eau bouillante, avant de partir. Il donna ces ordres pour que les Juifs échappés au combat qui rentreraient chez eux s'imaginassent que les ennemis se nourrissaient de chair humaine et fussent, à ce spectacle, encore plus terrifiés. Strabon et Nicolas rapportent que les soldats de Ptolémée exécutèrent l'ordre que je viens de raconter. Il prit ensuite

 

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de force Ptolémaïs, comme je l'ai dit ailleurs[209].

XIII

1-2. Lutte de Ptolémée Lathyre et de Cléopâtre. - 3. Alexandre Jannée conquiert Gaza. - 4. Discordes des derniers Séleucides. 5. Séditions en Judée.

  1. Cléopâtre, voyant que son fils avait accru ses forces, qu'il ravageait la Judée à son gré, et avait assujetti la ville de Gaza, ne put rester indifférente en le sentant aux portes de son royaume et convoitant de reprendre l'empire de l'Egypte[210]. Aussi, sans tarder, réunissant des

forces de terre et de mer, dirigea-t-elle contre lui une expédition dont elle donna le commandement en chef aux Juifs Chelkias et Ananias ; en même temps elle envoya à Cos en dépôt la plus grande partie de ses richesses, ses petits-fils et son testament. Après avoir donné à son fils Alexandre l'ordre de faire voile pour la Phénicie avec une flotte considérable, elle vint elle-même à la tête de toutes ses forces, à Ptolémaïs, et, les habitants ayant refusé de la recevoir, assiégea la ville. Ptolémée, partant de Syrie, se dirigea en toute hâte sur l'Égypte, pensant la trouver dégarnie de troupes et s'en emparer par surprise. Mais son espoir fut déçu. Vers le même temps, Chelkias, l'un des deux généraux de Cléopâtre, mourut en Cœlé-Syrie en poursuivant Ptolémée.

  1. Cléopâtre, à la nouvelle de la tentative de son fils et de la déconvenue qu'il avait éprouvée en Egypte, envoya une partie de ses troupes pour le chasser du pays. Ptolémée, se retirant d'Egypte, passa l'hiver à Gaza, Cléopâtre, pendant ce temps, s'empara, après un siège en règle, de la garnison de Ptolémaïs et de la ville elle-même. Alexandre se présenta à elle avec des cadeaux et des flatteries qui convenaient à un homme maltraité par Ptolémée et n'ayant plus d'autre refuge ; quelques-uns des amis de la reine lui conseillèrent d'accepter tout, puis d'envahir le pays, de s'en emparer, et de ne pas souffrir que tant de richesses appartinssent à un seul homme[211].

Mais Ananias lui donna un conseil contraire, disant que ce serait une injustice que de déposséder de son bien un allié, « et de plus notre compatriote, ajouta-t-il, car je ne veux pas que tu ignores que si tu commets cette injustice à son égard, tu feras de nous tous, Juifs, tes ennemis. » Ces représentations d'Ananias détournèrent Cléopâtre de faire aucun tort à Alexandre ; elle fit même, au contraire, alliance avec lui à Scythopolis, en Cœlé-Syrie.

 

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  1. Alexandre, délivré de la crainte de Ptolémée, marcha aussitôt sur la Cœlé-Syrie. Il s'empara de Gadara[212], après un siège de dix mois,

et prit Amathonte[213], le grand boulevard des populations au delà

du Jourdain, où Théodore, fils de Zénon, avait enfermé ses richesses les plus grandes et les plus précieuses. Mais Théodore tomba à l'improviste sur les Juifs, leur tua dix mille hommes et pilla les bagages d'Alexandre[214]. Cet échec ne troubla nullement

Alexandre, qui alla guerroyer contre les villes maritimes, Raphia et Anthédon[215] - plus tard dénommée Agrippias par le roi Hérode - et

dont il s’empara par force. Puis voyant que Ptolémée était retourné de Gaza à Chypre et sa mère Cléopâtre en Égypte, plein de colère contre les habitants de Gaza qui avaient appelé Ptolémée à leur aide, il mit le siège devant leur ville et pilla leur territoire. Apollodotos, général des Gazéens, à la tête de deux mille mercenaires et de dix mille

citoyens[216], attaqua de nuit le camp des Juifs ; tant que dura

l'obscurité, il conserva la supériorité, donnant à l'ennemi l'illusion que c'était Ptolémée qui était revenu à la charge ; mais le jour venu et l'illusion dissipée, les Juifs, avertis de la réalité, se rallièrent, attaquèrent les troupes de Gaza et leur tuèrent environ mille hommes. Les habitants de Gaza résistèrent sans se laisser abattre par les privations ou le nombre des morts, prêts à tout supporter plutôt que de subir la domination ennemie ; leur courage fut encore soutenu par l'espoir qu'Arétas, roi des Arabes, allait arriver à leur secours. Mais la mort d'Apollodotos survint auparavant : son frère Lysimaque, en effet, jaloux de sa popularité auprès de ses concitoyens, l'assassina, réunit un corps de troupes et livra la ville à Alexandre. Celui-ci, une fois entré, se conduisit d'abord avec douceur, puis il lâcha ses soldats sur les habitants en leur permettant de se venger. Les soldats, se répandant de tous côtés, massacrèrent les gens de Gaza. Les habitants, qui n'étaient point lâches, se défendirent avec ce qui leur tombait sous la main et tuèrent autant de Juifs qu'ils étaient eux-mêmes. Quelques-uns, à bout de ressources, incendièrent leurs maisons pour que l'ennemi ne pût faire sur eux aucun butin. D'autres mirent à mort de leur propre main leurs enfants et leurs femmes, réduits à cette extrémité pour les soustraire à l'esclavage. Les sénateurs, au nombre de cinq cents en tout, s'étaient réfugiés dans le temple d'Apollon : la prise de la ville les avait surpris en séance. Alexandre les mit à mort, et les ensevelit sous les ruines de leur ville ; puis il revint à Jérusalem. Le siège avait duré un an.

  1. Vers ce même temps, Antiochus, surnommé Grypos, mourut

 

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assassiné par Héracléon, à l'âge de quarante-cinq ans, après vingt neuf ans de règne[217]. Son fils Séleucus, qui lui succéda sur le

trône, eut à combattre le frère de son père, Antiochus, surnommé Cyzicène ; il le vainquit, le fit prisonnier, et le mit à mort[218]. Peu

après, le fils d'Antiochus Cyzicène, Antiochus surnommé Eusèbe, vint à Arados et ceignit le diadème ; il déclara la guerre à Séleucus, le vainquit, et le chassa de toute la Syrie. Séleucus s'enfuit en Cilicie. Arrivé à Mopsueste il recommença à extorquer de l'argent. Le peuple de Mopsueste irrité incendia son palais et le tua avec ses amis. Antiochus, fils d'Antiochus Cyzicène, continua à régner en Syrie. Antiochus[219], frère de Séleucus, l'attaqua, mais fut vaincu et périt

avec son armée. Après lui, son frère Philippe prit la couronne et régna sur une partie de la Syrie. Mais Ptolémée Lathouros ayant fait venir de Cnide son quatrième[220] frère, Démétrius, appelé l'Intempestif

(Acairos)[221], l'établit roi à Damas. Antiochus résista

énergiquement à ces deux frères, mais mourut peu après : étant allé porter secours à Laodice, reine des Saméniens[222], en guerre contre

les Parthes, il tomba en combattant courageusement[223]. Les deux

frères Démétrius et Philippe régnèrent en Syrie, comme on l'a raconté ailleurs[224].

5. Cependant Alexandre vit ses compatriotes se révolter contre lui ; le peuple se souleva pendant la fête (des Tabernacles) ; comme le roi était devant l'autel, sur le point de sacrifier, il fut assailli de citrons : c'est, en effet, la coutume chez les Juifs que le jour de la fête des Tabernacles chacun porte un thyrse composé de rameaux de palmiers et de citrons ; c'est ce que nous avons déjà exposé ailleurs[225]. Ils

l'injurièrent, lui reprochant d'être issu de captifs[226], et indigne de l'honneur d'offrir les sacrifices[227]. Alexandre, irrité, en massacra

environ six mille; puis il entoura l'autel et le sanctuaire jusqu'au chaperon d'une barrière de bois que les prêtres seuls avaient le droit de franchir[228], et il empêcha ainsi l'accès du peuple jusqu'à lui. Il

entretint, en outre, des mercenaires de Pisidie et de Cilicie ; il ne se servait pas, en effet, de Syriens, étant en guerre avec eux. Après avoir vaincu les populations arabes de Moab[229] et de Galaad, qu'il

contraignit à payer un tribut, il détruisit de fond en comble Amathonte, sans que Théodore osât l'attaquer[230]. Mais ayant

engagé le combat contre Obédas, roi des Arabes, il tomba dans une embuscade, en un lieu escarpé et d'accès difficile ; précipité par un encombrement de chameaux dans un ravin profond, près de Garada[231], bourg de la Gaulanitide, il s'en tira à grand'peine, et

 

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s'enfuit de là à Jérusalem. Cet échec lui ayant attiré l'hostilité du peuple, il le combattit pendant six ans et ne tua pas moins de cinquante mille Juifs. Il pria alors ses compatriotes de mettre un terme à leur malveillance à son égard ; mais leur haine, au contraire, n'avait fait que croître à la suite de tout ce qui s’était passé ; comme il leur demandait ce qu'ils voulaient, ils répondirent d'une seule voix : « Ta mort » et envoyèrent des députés à Démétrius l'Intempestif pour solliciter son alliance.

1. Alexandre battu à Sichem par Démétrius Acairos. - 2. Cruelle répression des séditions. - 3. Guerre civile de Démétrius et de Philippe.

  1. Démétrius avec son armée, grossie de ceux qui l'avaient appelé, vint camper aux environs de la ville de Sichem. Alexandre, à la tête de dix mille deux cents mercenaires et d'environ vingt mille Juifs de son parti[232], vint à sa rencontre. Démétrius avait trois mille

hommes de cavalerie et quarante mille d'infanterie. Les deux adversaires firent chacun des tentatives pour essayer de provoquer la défection, l'un, des mercenaires d'Alexandre en leur qualité de Grecs, l'autre, des Juifs qui s'étaient joints à Démétrius. Ils ne purent réussir ni l'un ni l'autre, et durent engager le combat. Démétrius fut vainqueur ; tous les mercenaires d'Alexandre périrent, donnant un bel exemple de fidélité et de courage ; beaucoup de soldats de Démétrius furent aussi tués.

  1. Alexandre s'enfuit dans la montagne, et dix mille Juifs environ se réunirent autour de lui par compassion pour ce changement de fortune. Démétrius alors prit peur et se retira. Les Juifs, après son départ, continuèrent la lutte contre Alexandre, mais furent vaincus et périrent en grand nombre dans les combats. Alexandre enferma les plus puissants d'entre eux dans la ville de Béthomé[233] et l'assiégea.

Devenu maître de la ville et de ses ennemis, il les ramena à Jérusalem ou il les traita de la manière la plus cruelle : dans un banquet qu'il donna à la vue de tous, avec ses concubines, il fit mettre en croix environ huit cents d'entre eux, puis, pendant qu'ils vivaient encore, fit égorger sous leurs yeux leurs femmes et leurs enfants. C'était se venger de tout le mal qu'ou lui avait fait, mais une vengeance trop inhumaine, même pour un homme qui avait été poussé à bout par les guerres qu'il avait soutenues et qui avait couru les plus grands

 

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dangers de perdre la vie et son royaume; car ses ennemis, non contents de le combattre avec leurs propres forces, avaient fait appel à l'étranger et l'avaient finalement réduit à la nécessité d'abandonner au roi des Arabes, pour qu'il ne s'alliât pas à eux dans la guerre dirigée contre lui, ses conquêtes de Galaad et de Moab et les places fortes de cette région ; en outre, ils l'avaient abreuvé d'outrages et de calomnies de toute sorte. Il semble bien cependant qu'il n'agit pas en ceci conformément à ses intérêts, et l'excès de sa cruauté lui valut de la part des Juifs le surnom de Thracidas[234]. La masse des rebelles,

au nombre d'environ huit mille, s'enfuirent dans la nuit et restèrent en exil tant que vécut Alexandre. Celui-ci, délivré de tout souci de leur côté, termina son règne en paix.

3. Démétrius, ayant quitté la Judée pour Béroia, y assiégea son frère Philippe, à la tête de dix mille hommes d'infanterie et mille de cavalerie. Straton, tyran de Béroia et allié de Philippe, appela à son aide Azizos[235], chef d'une tribu arabe, et Mithridate Sinacès,

gouverneur parthe[236]. Ils arrivèrent avec des forces considérables

et assiégèrent Démétrius dans ses retranchements, où ils le continrent par une pluie de flèches; enfin, par la soif, ils forcèrent son armée à se rendre. Après avoir pillé la région et pris Démétrius, ils envoyèrent leur prisonnier à Mithridate, alors roi des Parthes, et rendirent sans rançon aux habitants d'Antioche tous les captifs qui se trouvaient être leurs concitoyens. Mithridate, roi des Parthes, témoigna à Démétrius les plus grands égards, jusqu’au jour ou celui-ci mourut, emporté par une maladie. Philippe, aussitôt après le combat, marcha sur Antioche, s'en empara, et régna sur la Svrie.

1. Antiochus Dionysos en Palestine. - 2. Alexandre Jannée battu par Arétas. - 3. Ses conquêtes dans la Pérée. - 4. Étendue des possessions d'Alexandre. - 5. Sa mort et ses derniers conseils.

1. Peu après, son frère Antiochus, surnommé Dionysos, aspirant au pouvoir, vint à Damas, et, s'en étant rendu maître, prit le titre de roi. Comme il faisait une expédition contre les Arabes, son frère Philippe, informé de son absence, marcha sur Damas. Milésios, à qui avait été laissée la garde de la citadelle et des habitants, lui livra la ville ; mais Philippe se montra ingrat à l'égard du traître et ne lui donna rien de ce qu'il avait espéré pour prix de son accueil il voulait faire croire qu'il

 

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s'était emparé de la ville par la crainte qu'il inspirait et non par les bons offices de Milésios, ce qui serait arrivé s’il les avait récompensés selon leur du. Devenu suspect, il fut de nouveau chassé de Damas : un jour qu'il était sorti pour aller à l'hippodrome, Milésios ferma les portes et garda Damas à Antiochus. Celui-ci, informé de la tentative de Philippe, revint d'Arabie ; il se remit aussitôt en campagne vers la Judée avec huit mille hoplites et huit cents cavaliers[237]. Alexandre, dans la crainte de cette invasion, creusa un

large fossé, depuis Chabarzaba, qu'on appelle aujourd'hui Antipatris[238], jusqu'au bord de la mer, à Jopé, seul point où

l'attaque fût facile ; puis il éleva un mur, des tours de bois reliées par des courtines sur une longueur de cent cinquante[239] stades, et

attendit Antiochus. Mais celui-ci incendia tous ces ouvrages et fit par cette brèche passer ses troupes en Arabie. Le roi des Arabes se retira d'abord, puis reparut tout à coup avec dix mille cavaliers. Antiochus marcha à leur rencontre et combattit courageusement ; vainqueur, il fut tué en se portant au secours d'une partie de son armée qui faiblissait. Antiochus mort, ses soldats se réfugièrent dans le bourg de Cana, où le plus grand nombre moururent de faim.

  1. Après lui régna en Cœlé-Syrie Arétas[240], appelé au pouvoir par

ceux qui occupaient Damas, en haine de Ptolémée, fils de Mennaios[241]. De là Arétas marcha sur la Judée, vainquit Alexandre

aux environs de la place forte d'Addida[242], et se retira de Judée, après avoir traité.

  1. Alexandre marcha de nouveau sur la ville de Dion[243], et s'en empara, puis se dirigea sur Gerasa[244], où se trouvaient les richesses

les plus précieuses de Zénon, entoura la place d'un triple mur et la prit sans combat. Il se tourna ensuite vers Gaulana et Séleucie. Il s'empara également de ces villes, et réduisit encore le « ravin d'Antiochus » et la forteresse de Gamala. Comme il avait à se plaindre de Démétrius, gouverneur de ces localités, il le dépouilla[245]. Après cette expédition, qui dura trois longues années,

il revint à Jérusalem où les Juifs, à cause de ses succès,, le reçurent avec empressement.

4[246]. A ce moment tes Juifs possédaient les villes suivantes de

Syrie, d'Idumée et de Phénicie. Sur la mer, la Tour de Straton, Apollonia, Jopé, Iamnée, Azotos, Gaza, Anthédon, Raphia, Rhinocoroura. Dans l'intérieur : en Idumée, Adora et Marisa, l’Idumée entière ; Samarie, le mont Carmel, le mont Itabyrion,

 

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Scythopolis, Gadara ; en Gaulanitide, Séleucie et Gamala ; en Moabitide, Hesbon, Médaba, Lemba, Oronas[247], Telithon, Zara, le

val des Ciliciens. Pella, qui fut détruite parce que les habitants refusaient d'adopter les coutumes nationales des Juifs ; nombre d'autres villes parmi les plus importantes de Syrie leur furent soumises.

5. Après tous ses succès, le roi Alexandre tomba malade des suites d’une ivresse. Pendant trois années, bien que souffrant de la fièvre quarte, il ne renonça pas à ses expéditions, jusqu'au jour où, épuisé par les fatigues, il mourut, dans le territoire de Gérasa, en assiégeant la place forte de Ragaba[248], au delà du Jourdain. Quand la reine le

vit sur le point de mourir, sans qu'aucun espoir subsistât de le sauver, elle se mit à verser des larmes et à se frapper la poitrine, gémissant sur l'isolement où elle allait rester avec ses enfants. « A quel sort nous laisses-tu ainsi, lui disait-elle, moi et ces enfants qui ont besoin du secours d'autrui ? Tu sais combien le peuple est mal disposé pour toi. » Alexandre lui conseilla d'obéir à ses recommandations pour conserver avec ses enfants le pouvoir en toute sécurité : il fallait cacher sa mort aux soldats jusqu'à la prise de la place ; puis, comme au retour d'une brillante victoire, elle rentrerait à Jérusalem et donnerait aux Pharisiens une part au pouvoir ; ceux-ci la loueraient de ces égards, et en retour lui concilieraient la bienveillance du peuple ; c'était, dit-il, des hommes influents auprès des Juifs, capables de nuire à ceux qu'ils haïssaient et de servir ceux qu'ils aimaient ; ils rencontraient grand crédit auprès de la foule, même pour les calomnies que leur dictait l'envie ; lui-même, s'il avait été mal avec le peuple, c'était, dit-il, parce que les Pharisiens, outragés par lui, l'avaient noirci. « Quand donc tu seras à Jérusalem, dit-il, fais venir leurs chefs, et leur montrant mon cadavre, permets-leur, en toute sincérité, de le traiter à leur guise : soit qu'ils veuillent, pour tout ce qu'ils ont souffert de ma part, faire à mes restes l'insulte de les laisser sans sépulture, soit que leur colère leur inspire contre ma dépouille quelque autre injurieux traitement. Promets-leur enfin de ne rien faire dans le royaume sans demander leur avis. Quand tu leur auras tenu ce discours, ils me feront de plus somptueuses funérailles que tu n'aurais fait toi-même, car dés qu'ils auront le pouvoir de maltraiter mon cadavre, ils ne voudront pas en user, et toi tu régneras en toute sécurité. » Après avoir donné ces conseils à sa femme, il mourut, ayant régné vingt-sept ans[249], et âgé de quarante-neuf.

 

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1. Avènement d'Alexandra. Caractère de ses fils. - 2-3. Domination et excès des Pharisiens. Sédition des grands. - 4. Ambassade des Juifs à

Tigrane. - 4-5. Révolte d'Aristobule. Fin d'Alexandra.

  1. Alexandra, après s'être emparée de la place, suivant les recommandations de son mari, parla aux Pharisiens et leur laissa toute liberté pour disposer du cadavre et de la royauté ; elle apaisa ainsi leur colère contre Alexandre et se concilia leur bienveillance et leur amitié. Ils se répandirent dans la foule, discoururent en public, passant en revue les actes d'Alexandre, disant qu'ils avaient perdu un roi juste ; ils amenèrent ainsi par leurs éloges le peuple au deuil et aux regrets, si bien qu'on fit à Alexandre des funérailles plus somptueuses qu'à aucun des rois qui l'avaient précédé. Alexandre cependant laissa deux fils, Hyrcan et Aristobule ; mais il avait légué la couronne à Alexandra. De ces deux fils, l'un, Hyrcan, était peu capable de gouverner et préférait une vie paisible ; le plus jeune, Aristobule, était actif et entreprenant. La reine était aimée du peuple, parce qu'elle paraissait déplorer les fautes qu'avait commises son mari[250].
  2. Elle nomma grand-prêtre Hyrcan, parce qu'il était l'aîné, mais surtout à cause de son indifférence pour les affaires, et elle donna tout le pouvoir aux Pharisiens ; elle ordonna au peuple de leur obéir, et rétablit toutes les coutumes que les Pharisiens avaient introduites d'après la tradition des ancêtres et qui avaient été supprimées par son beau-père Hyrcan. Elle eut en titre la royauté, mais en fait les Pharisiens en eurent l'exercice. Ils rappelaient les exilés, délivraient les prisonniers, bref, agissaient en tout comme s'ils avaient été les maîtres. La reine aussi cependant s'occupait du royaume. Elle rassembla de nombreux mercenaires, et accrut du double ses forces, en sorte qu'elle effraya les tyrans voisins et reçut d'eux des otages. Dans le pays, tout était tranquille, à l'exception des Pharisiens : ceux-ci, en effet, tourmentaient la reine pour obtenir qu'elle fît mettre à mort ceux qui avaient conseillé [à Alexandre] de tuer les huit cents. Ils commencèrent par égorger eux-mêmes un de ces conseillers, Diogène, puis d’autres et d'autres encore, tant qu'un jour les grands se rendirent au palais, en compagnie d'Aristobule, qui semblait désapprouver ce qui se passait et qui, visiblement, si l'occasion se présentait, ne laisserait pas faire sa mère. Là ils rappelèrent au prix de quels dangers ils avaient autrefois remporté des succès, montrant ainsi combien avait été inébranlable leur fidélité à leur maître, qui les avait, en retour, jugés dignes des plus hautes récompenses. Ils

 

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demandaient qu'on ne les frustrent pas à tout jamais de leurs espérances : échappés aux dangers du côté des ennemis publics, ils étaient maintenant massacrés chez eux par leurs ennemis privés, comme des bestiaux, sans aucun secours. Ils ajoutaient que si leurs adversaires se contentaient des meurtres déjà commis, eux-mêmes, par loyauté à l'égard de leurs maîtres, se résigneraient à ce qui s'était passé mais que si les mêmes faits devaient se reproduire, ils suppliaient la reine de leur rendre leur liberté, car ils n'étaient pas hommes à accepter aucun moyen de salut qui ne leur vint pas d'elle et ils mourraient volontiers aux portes du palais plutôt que de se charger la conscience d'une infidélité. Ce serait une honte pour eux-mêmes et pour la reine si, abandonnés par elle, ils trouvaient l'hospitalité chez les ennemis de son mari : car l'Arabe Arétas et les autres princes attacheraient le plus grand prix à prendre à leur service de pareils hommes, dont autrefois le seul nom prononcé leur donnait aussitôt un frisson d'effroi. Si la reine refusait, si elle était bien décidée à favoriser les Pharisiens, ils demandaient comme grâce subsidiaire qu'elle leur assignât à chacun comme séjour une forteresse : pendant que quelque mauvais génie s'acharnait ainsi sur la famille d’Alexandre, eux-mêmes, vivant dans une humble condition (pourraient lui rester fidèles)[251].

  1. Ils ajoutèrent bien d'autres choses encore, implorant la pitié des mânes d'Alexandre sur leurs amis morts, sur eux-mêmes en péril ; tous les assistants fondirent en larmes, et Aristobule surtout montra clairement sa pensée par les reproches qu'il fit à sa mère : car, disait-il, ces hommes étaient bien eux-mêmes cause de leurs propres malheurs, pour avoir, contre toute raison, confié le pouvoir à une femme dévorée de l'ambition de régner, alors qu'elle avait des fils adultes. La reine, ne sachant que faire pour s'en tirer à son honneur, leur confia la garde des places fortes à l'exception de Hyrcania, Alexandreion et Machairous, où se trouvaient ses richesses les plus précieuses. Et peu après elle envoya son fils Aristobule avec une armée à Damas, contre Ptolémée, fils de Mennaios, qui était un voisin incommode pour la ville. Mais il revint sans avoir rien fait d'important.
  2. Vers ce même temps on annonça que Tigrane, roi d’Arménie, à la tête d'une armée de trois cent mille hommes[252] avait envahi la

Syrie et allait arriver en Judée. Cette nouvelle, comme de juste, épouvanta la reine et le peuple. Ils envoyèrent donc de nombreux et riches présents et des ambassadeurs à Tigrane qui assiégeait alors

 

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Ptolémaïs : car la reine Séléné, appelée aussi Cléopâtre[253], qui

gouvernait alors la Syrie, avait persuadé les habitants de fermer leurs portes à Tigrane. Les envoyés se rendirent donc auprès de Tigrane et le prièrent d'accorder sa faveur à la reine et au peuple. Tigrane les reçut avec bienveillance, flatté d'un hommage apporté de si loin, et leur donna les meilleures espérances. Mais à peine s'était-il emparé de Ptolémaïs qu'il apprit que Lucullus, à la poursuite duquel Mithridate venait d'échapper en se réfugiant chez les Ibères[254],

avait ravagé l'Arménie et assiégeait (sa capitale). Et Tigrane, aussitôt

cette nouvelle connue, reprit la route de son royaume.

5. Peu après, la reine étant tombée dangereusement malade, Aristobule trouva le moment opportun pour s'emparer du pouvoir ; il quitta la ville de nuit avec un de ses serviteurs et se rendit dans les places fortes où les amis de son père avaient été relégués. Irrité, en effet, depuis longtemps de tout ce que faisait sa mère, ses craintes s'accrurent encore à ce moment dans l'appréhension que, la reine morte sous la dépendance des Pharisiens, toute sa famille ne tombât au pouvoir de ceux-ci ; car il voyait bien l'impuissance de son frère qui devait recueillir la royauté. Sa femme seule, qu'il laissa à Jérusalem avec ses enfants, fut mise dans la confidence de son départ. Il se rendit d'abord à Agaba[255], où se trouvait un des grands

nommé Galaistès, par qui il fut accueilli. Le lendemain la reine eut connaissance de la fuite d'Aristobule, et pendant quelque temps elle ne pensa pas que cette absence eût pour objet une révolution ; mais quand on vint lui annoncer coup sur coup qu'il s'était emparé de la première forteresse, puis de la seconde, puis de toutes - car dès que l'une eut donné l'exemple, toutes se hâtèrent de faire leur soumission à Aristobule - alors la reine et le peuple furent profondément troublés. Ils voyaient en effet qu'Aristobule n'était pas loin de s'emparer du pouvoir, et ils craignaient surtout qu'il ne les châtiât pour tous les affronts commis contre sa maison. Ils décidèrent donc d'enfermer sa femme et ses enfants dans la forteresse qui dominait le Temple[256].

Aristobule cependant, en raison de la foule qui se pressait autour de lui, était entouré d'un véritable cortège royal ; en quinze jours environ il avait pris vingt-deux places fortes, dont il avait tiré les ressources nécessaires pour lever une armée dans le Liban, la Trachonitide, et chez les princes. Les hommes, en effet, cédant au nombre, lui obéissaient volontiers. Ils espéraient, d'ailleurs, qu'en aidant Aristobule, ils retireraient autant de profit de son règne que ses proches[257], puisqu'ils auraient été pour lui l'instrument de la

victoire. Les anciens des Juifs et Hyrcan se rendirent alors auprès de

 

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la reine et lui demandèrent son avis sur les événements. Aristobule, disaient-ils, était déjà presque le maître de tout, puisqu'il s'était emparé de tant de places fortes ; il ne convenait pas que, bien qu'elle fût fort malade, ils prissent cependant à eux seuls une résolution, puisqu'elle vivait encore ; or le danger était menaçant et proche. La reine leur ordonna de faire ce qu'ils jugeraient utile ; ils avaient encore de nombreuses ressources, un peuple vaillant, le pouvoir, et l'argent des gazophylacies fortifiées ; quant à elle, ses forces l'ayant déjà abandonnée, elle ne se souciait plus guère des affaires.

6. Telle fut la réponse de la reine. Peu après elle mourut ; elle avait régné neuf ans[258] et vécu soixante-treize ans. Ce fut une femme

qui ne montra en rien la faiblesse de son sexe ; ambitieuse entre toutes, elle prouva par ses actes à la fois l'énergie de son caractère et la folie coutumière des mâles dans l'exercice du pouvoir[259].

Estimant le présent plus que l'avenir, faisant passer tout après le pouvoir absolu, elle ne rechercha ni le bien ni la justice pour eux-mêmes. Aussi amena-t-elle les affaires de sa maison à ce degré de misère que ce pouvoir, acquis au prix de mille dangers et de dures épreuves, grâce à une ambition déplacée chez une femme, fut détruit au bout de peu de temps ; elle eut, en effet, le tort de se ranger au parti de ceux qui étaient mal disposés pour sa famille, et elle priva le pouvoir de l'aide de ceux qui lui étaient dévoués. Les mesures prises par elle pendant sa vie remplirent même après sa mort le palais de malheurs et de troubles. Cependant, si mal qu'elle ait ainsi régné, elle garda la nation en paix. - Telle fut la fin du règne de la reine Alexandra. Je raconterai dans le livre suivant ce qui arriva, après sa mort, à ses fils Aristobule et Hyrcan.

  1. I Maccabées, 9, 23-31.
  2. I Maccabées, 9, 32-36.
  3. Au désert de Thekoa, à 2 lieues au S. de Bethléem (Maccabées, 9, 33).

 

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  1. Localité inconnue.
  2. Josèphe suit le récit de Maccabées, mais en réalité il faut admettre

que non seulement le guet-apens des Nabatéens, mais encore la razzia vengeresse de Jonathan se placent avant le départ de Bacchidès c'est parce que Jonathan est parti en guerre au delà du Jourdain que Bacchidès lui aussi franchit le fleuve.

  1. oß ußoÜ ƒAmörÞ ou ƒIamörÞ (Maccabées, 9, 36). Tribu

inconnue. Medaba ou Madeba, a 25 kilomètres au S. E. de l'embouchure du Jourdain dans la mer Morte.

  1. I Maccabées, 9, 43-53.
  2. Ce récit n'est pas clair et le texte de I Maccabées ne l'éclaircit

guère. Si Bacchidès a franchi le fleuve (Maccabées, 9,34) - c'est à dire passé sur la rive E. du Jourdain - on ne voit pas bien comment Jonathas peut avoir ce fleuve à dos et surtout comment il peut se sauver « au-delà du Jourdain » que les ennemis « ne traversent plus ». Les commentateurs admettent que le combat eut lieu sur la rive E. et que Jonathas se réfugia à l'ouest dans le désert de Juda.

[9] 1.000 seulement d'après Maccabées.

  1. TefÅn Maccabées. Emplacement inconnu. Pharatho est dans le pays d'Ephraïm, au S. O. de Sichem.

[11] I Maccabées, 9, 37-42. Dans nos manuscrits de I Maccabées cet

épisode est placé avec raison avant le combat des bouches du Jourdain.

  1. Un ms. a Gaöay•, un autre Bayan• (Maccabées Naùa÷‹y). Site

inconnu. D'après I Maccabées la fiancée était Cananéenne, non Arabe.

[13] Ce chiffre n'est point donné par I Maccabées.

  1. I Macabées, 9, 57-69 (après avoir raconté la mort d'Alkimos, 153 Sél. = 160-159 av. J.-C.).

 

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  1. Dans Maccabées, 9, 61, il semble que c'est Jonathan qui rait périr ces 50 traîtres.
  2. BaiyöasÛ Maccabées. Site inconnu.
  3. I Maccabées, 9, 70-73.
  4. Maccabées ne parle que des prisonniers juifs.
  5. A 9 milles romains au nord de Jérusalem (aujourd'hui Makhmas près de Rama).
  6. I Maccabées, 10, 1-14 (certaines parties du début proviennent d'une autre source).
  7. 160 Sél. – 153/2 av. J.-C.
  8. Alexandre Bala se donnait pour fils d'Antiochus Epiphane, mais tout fait croire que c'était un enfant supposé.
  9. Encore un lapsus de plagiaire ; Josèphe n'a encore rien dit de cela.
  10. Autour de la colline de Sion (Maccabées, 10, 11).
  11. Maccabées ne mentionne que Bethsoura, mais évidemment l'Akra ne fut pas évacuée.
  12. I Maccabées, 10, 15-20.
  13. Texte altéré.
  14. I Maccabées, 10, 21-45. Contre l'authenticité du rescrit de Démétrius, cf. Willrich, Judaica, p. 52 suiv., qui considère à tort le texte de Josèphe comme l'original du « faux ».
  15. Ce chiffre est erroné ou altéré ; il faudrait huit ans. La date donnée par Maccabées est le 7e mois de l'an 160 Sél., automne 153 av. J.-C. (Ce texte est un de ceux qui prouvent que l'année séleucide

 

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de I Maccabées commence au printemps.)

  1. Texte suspect.
  2. Josèphe a mal compris Maccabées, 10, 30 où il est question de 3

nomes détachés de la Samarie et de la Galilée (Kautzsch supprime ce dernier nom).

  1. « Et après » ajoute Maccabées, 10, 34.
  2. Maccabées, 10, 37, dit « je leur permets ».
  3. Clause ajoutée par Josèphe. En revanche il omet la donation de Ptolémaïs (10, 39).
  4. 15.000 sicles d'argent d'après Maccabées, 10, 40.
  5. Cette phrase obscure est à peine éclaircie par Maccabées, 10,41, où l'on voit qu'il s'agit d'arriérés dus au Temple par le trésor royal.
  6. 5.000 sicles (Maccabées, 10, 42), somme équivalente.
  7. I Maccabées, 10, 46-50. Tous les détails relatifs à la bataille

proviennent d'une autre source. En revanche, Josèphe a omis de signaler que les Juifs repoussèrent les avances de Démétrius et restèrent attachés au parti d'Alexandre.

  1. Toujours la même formule copiée sur la source grecque. Comme

Polybe (III, 5) attribuait à Démétrius 12 ans de règne, on voit que cette source n'est pas Polybe.

  1. La source des sections 1-3 est inconnue, mais doit être un

document hostile à la création d'Onias. Ni la lettre d'Onias ni la réponse du roi ne sont authentiques. Il faut rapprocher le récit parallèle de la Guerre, VII, x, 3, qui diffère de celui-ci par plusieurs détails. Cf. sur ces textes Büchler, Tobiaden und Oniaden, p. 239 suiv. dont les hypothèses sont toutefois invraisemblables.

  1. Livre XII, ix, 7.

 

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  1. Isaïe, xix, 19 : « En ce jour-là il y aura un autel à l'Éternel au

milieu du pays d’Egypte et un monument dressé sur sa frontière. » On sait que ce texte est suspect d'interpolation.

  1. Cette phrase semble prouver qu'il faut identifier notre Onias IV

avec Onias, général de Ptolémée Philométor et de Cléopâtre, mentionné dans le C. Apion, II, 5.

  1. La seule ville connue du nom de Léontopolis était le chef-lieu

d'un nome distinct ; il semble donc qu'il s'agisse ici d'une autre ville du même nom, qui n'est pas autrement connue. Toute la phrase est d'ailleurs suspecte d'altération. - Sur l’emplacement présumé du temple d'Onias, cf. Schürer, III3, p. 97 suiv. Josèphe indique ailleurs (Guerre, VII) qu'il était à 180 stades de Memphis.

  1. S'agit-il ici de synagogues ou bien de lieux de sacrifices, dont il n'est question nulle part ailleurs ? S'agit-il même des Juifs ?
  2. Guerre, VII, x, 3.
  3. Source inconnue. La querelle, qui était chronique (livre XII, i,

1), et peut-être les noms des orateurs (ou des pamphlétaires ?) semblent authentiques, mais le reste est du roman. Cf. Büchler, op. cit., p. 252 suiv. dont nous n'acceptons pas, d'ailleurs, l'interprétation plus que téméraire.

[48] Le texte parait altéré.

  1. I Maccabées, 10, 51-58, qui donne la date du mariage, 162 Sél. = 151/2 av. J.-C.
  2. Supra, iii, 1.
  3. I Maccabées, 10, 59-66.
  4. Josèphe omet un fait capital (Maccabées, 10, 65), la nomination de Jonathan comme straÝhgòw aaÜ meri÷‹rxhw de Judée.
  5. I Maccabées, 10, 67-73.

 

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  1. 165 Sél. = 148/7 av. J.-C.
  2. La mention de la Cilicie est ajoutée par Josèphe. Bevan (House

of Seleucus, II, 301) propose à tort de lire eÛw Seleæaeian (Séleucie de Piérie).

  1. Josèphe a eu sous les yeux un exemplaire mutilé de I

Maccabées. En réalité, c'est Démétrius qui nomme (ou confirme ?) Apollonios comme commandant de la Cœlé-Syrie aaÜ aat¡sthsw Dhm®triow ƒApollÅnion tòn (?) ÷nta ¡pÜ KoÛlhw SurÛaw (Maccabées, 10, 69). On voit aussi que le surnom de Dañw (latin : taum) ne se trouve que dans Josèphe.

  1. I Maccabées, 10, 74-89.
  2. Ce chiffre n'est pas donné par Maccabées.
  3. Josèphe, poursuivant son erreur initiale, imagine cette explication de fantaisie pour justifier les félicitations d'Alexandre.
  4. Ekron, la plus septentrionale des cités philistines.
  5. I Maccabées, 11, 1-7.
  6. Il n’en est point question dans Maccabées.
  7. Le Nahr el Kebir, au N. de Tripolis, qui sépare la Phénicie de la

Syrie propre. Mais il est invraisemblable, d'après la suite, que Jonathan ait accompagné Ptolémée aussi loin : il a dû s'arrêter au Kison, avant Ptolémaïs (Acre).

  1. Source inconnue (Nicolas de Damas ?). Dans I Maccabées, 11,

10, il n'y a qu'une allusion peu compréhensible au complot d'Alexandre contre Ptolémée, auquel l'auteur ne paraît pas croire.

  1. Nouvel et incroyable lapsus.
  2. I Maccabées, 11, 8-13. Mais le récit de Josèphe est plus détaillé

et notamment la fin de la section (Mais honnête et...) provient d’une autre source.

 

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  1. I Maccabées, 11, 14-18. Les détails sur la mort de Ptolémée sont puisés ailleurs.
  2. Zadùi®l d'après Maccabées.
  3. Toujours la même étourderie. - La mort d'Alexandre eut lieu en 157 Sél. (146/5 av. J.-C.).
  4. I Maccabées, 11, 19-38.
  5. La forme officielle est Nicator.
  6. C'est-à-dire qu'il laisse massacrer les garnisons égyptiennes par les villes (Maccabées, 11, 18).
  7. Même erreur (?) que supra, ii, 3. Dans Maccabées, 11, 28, on lit t•w treÝw toparxÛaw aaÜ SamareÝtin (Grimm : t°w SamarÛtiøow).
  8. Aphereima paraît être l'Ephraïm de II Samuel, 13, 13, dont le site

exact n'est pas connu. Rhamatha ou Rhamathaïm, au N. E. de Modéïn.

  1. I Maccabées, 11, 39.40. Mais ce récit est plus abrégé que celui de Josèphe : il omet le vrai nom et la patrie de Tryphon, les hésitations de Malchos, etc.
  2. En réalité     , Iamblique, comme l'appelle Diodore
    (EÛmalaouaÛ Maccabées).
  3. I Maccabées, 11, 41-44.
  4. Quelle guerre ? La défection des soldats de Démétrius

(Maccabées, 11, 43) ne peut pas être qualifiée ainsi, et ni la révolte d'Antioche, ni celle de Tryphon n'avaient encore éclaté.

  1. I Maccabées, 11, 45-56. Ici encore le récit de Josèphe est plus développé : la manœuvre des toits, la réclamation des tributs juifs manquent dans Maccabées.

 

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  1. I Maccabées, 11, 57-59.
  2. Renseignement spécial à Josèphe.
  3. Nous n'en avons vu mentionner que trois, plus haut dans la lettre du roi Démétrius à son père. Josèphe parait avoir mal compris Maccabées, 11, 57 : aayÛsthmÛ se ÞpÜ tÇn tess‹rvn nomÇn, où la Judée est sans doute comprise dans le chiffre de 4.
  4. Cap situé entre Tyr et Ptolémaïs.
  5. I Maccabées, 11, 60-62. Le récit de Josèphe, plus délayé, ne renferme guère de faits précis nouveaux.
  6. Rien de pareil dans Maccabées.
  7. Si Jonathan a gagné « les villes », la résistance de Gaza devient inexplicable.
  8. I Maccabées, 11, 63-68. Ici encore Josèphe enjolive.
  9. Kédès, dans la tribu de Nephtali, au N. 0. du lac de Mérom.
  10. Anachronisme.
  11. Supra, § 42.
  12. I Maccabées, 11, 67-74.
  13. Ou Hazor, Juges, iv, 2, etc., à l'O. du lac de Mérom et tout près de Kédès.
  14. Maccabées, 11, 70, dit qu'il ne resta que les deux chefs, pas un

de plus. Josèphe rationalise et, chose plus curieuse, supprime la prière caractéristique de Jonathan.

  1. XalfÛ dans Maccabées.
  2. Trois mille d'après Maccabées.

 

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  1. I Maccabées, 12, 1-18 (les versets 19-23 renferment le texte de l'ancienne lettre d'Areios = Josèphe, livre XII, iv, 10).
  2. La plupart des mss. ont ßer¡vn, « le corps des prêtres ». Dans Maccabées, 12, 8, figurent à la fois les prêtres et le reste du peuple.
  3. Voir livre XII, iv, 10.
  4. Josèphe a mal compris Maccabées, 12, 9, où il est dit simplement que les Juifs n'ont pas besoin de l'alliance des Spartiates parce qu'ils trouvent une consolation suffisante (parŽalhsin) dans leurs livres saints.
  5. Texte altéré (ni ŽnapolhyeÛshw ni ŽnaplhrvyeÛshw ne

donnent un sens satisfaisant). Maccabées, 12, 10, dit simplement : « beaucoup d'années se sont passées depuis que vous avez député vers nous ».

  1. Ceci est ajouté par Josèphe.
  2. On ne comprend pas ce que vient faire ici ce hors-d'oeuvre que

Josèphe a tiré de son cru. Ici comme ailleurs il transforme en écoles philosophiques à la grecque les sectes religieuses des Juifs, qui avaient un tout autre caractère.

  1. Guerre, II, viii. Remarquer l'expression ƒIoudaáa¯ pragmateÛa pour désigner cet ouvrage.
  2. I Maccabées, 12, 24-34.
  3. Ramath (Épiphanie), sur le haut Oronte. Il n'est pas probable que Jonathan se fût avancé si loin.
  4. Le mot nuatôw doit être déplacé.
  5. Le Nahr el Kebir.
  6. Zaöe÷aÛouw Maccabées. Peut-être BatanaÛouw ?

 

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  1. Singulier détail, ajouté par Josèphe.
  2. C'est-à-dire le pays des Philistins.
  3. I Maccabées, 12, 35-38. Les passages, relatifs à la campagne de Démétrius contre les Parthes, proviennent d'une autre source.
  4. Pas dans cet ouvrage.
  5. I Maccabées, 12, 39-45.
  6. I Maccabées, 12, 46-51.
  7. I Maccabées, 12, 52 - 13, 6.
  8. Texte altéré.
  9. I Maccabées, 13, 7-11.
  10. Est-ce le même que celui qui était appelé plus haut (v, 7)

MattayÛaw ƒAcalÅmou ? Quelques mss. de I Maccabées ont ici MattayÛan.

  1. Contresens de Josèphe. I Maccabées dit : il (Jonathas) resta à Jopé pour la garder.
  2. I Maccabées, 13, 12-20.
  3. El-Hadilé, à l'est de Lydda.
  4. Plus exactement (Maccabées, 15) de l'argent qu'il devait au roi en raison de ses gouvernements.
  5. Tout ce discours est imaginé par Josèphe. Ce procédé de Simon est extrêmement suspect.
  6. Les mss. de Josèphe ont DÇra, Maccabées ...Advra. C'est peut-

être cette dernière ville (infra, x, 1) que Mnaséas appelait DÇra dans le fragment cité par Josèphe, C. Apion, II, § 116. (Notons au passage

 

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que le verset 20 de Maccabées est omis dans la traduction de Kautzsch). Adora est à une dizaine de kil. à l’O. de Hébron.

  1. I Maccabées, 13, 24-30.
  2. Basxam‹ dans Maccabées. Site inconnu (en Galaad).
  3. Comme cette phrase est prise dans Maccabées on peut se

demander si le monument subsistait encore vraiment au temps de Josèphe. La même observation s'applique à la remarque identique d'Eusèbe (Onamast., p. 281 Lag.).

  1. Cette phrase, ajoutée par Josèphe, est incomplète ou altérée ; on

lit : Žrxurateævn (ou Žrxierateæsaw) ¨th t¡ssara prostŒw toè g¤nouw. La mort de Jonathas se place en 143 (Maccabées, 13, 41) ; il avait pris la robe de grand-prêtre en 153 (Maccabées, 10, 21) ; Josèphe avait donc probablement écrit ø¡xa, d'où le copiste aura fait ÷ c'est-à-dire 4.

  1. I Maccabées, 13, 41-42 (= Josèphe jusqu'à ...environnaient.). A

partir de là Josèphe paraît suivre une autre source, quoique I Maccabées mentionne la prise de « Gaza » (Gazara) (43-48) et celle de la citadelle de Jérusalem (49-51), mais non sa démolition.

  1. Josèphe prend ici Assyriens comme synonyme de Syriens.

L'ère des Séleucides (équinoxe d'automne 312 av. J.-C.) a d'ailleurs pour origine l'occupation par Séleucus Nicator de Babylone et non de la Syrie. L'an 170 Sél. correspond à 143/2 av. J. C.

  1. A partir d'ici Josèphe n'a certainement pas connu la suite de I

Maccabées, dont il s'écarte notablement dans son récit, d'ailleurs très abrégé, du principat de Simon. L'observation en a déjà été faite par Whiston et Ewald ; elle est longuement développée par Destinon, Die Quellen des Flavius Josephus, p. 80 suiv. Il semble d'ailleurs que le dernier chapitre de I Maccabées (depuis xiv, 16) soit une addition

postérieure, comme l'a vu Destinon. Pour la fin du XIIIe livre, Josèphe parait avoir combiné, comme précédemment, un ou plusieurs historiens hellénistiques (Posidonius, Strabon, Nicolas) et des documents spécialement juifs, consistant principalement en anecdotes édifiantes ou miraculeuses, avec un goût pour les détails atroces ; plusieurs de ces anecdotes sont conservées indépendamment dans la

 

Zone de Texte: [138] Voir pour les détails I Maccabées, 14, 16 suiv., 24 ; 15, 15 suiv.ANTIQUITES JUDAÏQUES

tradition rabbinique. Cf. Destinon, op. cit. p. 40 suiv. Il n'y a pas lieu d'admettre, avec Bloch et Nussbaum, que Josèphe ait consulté les Annales de Jean Hyrcan (I Maccabées, 16, 23) ou d'autres chroniques semblables. - Le récit parallèle de la Guerre (I) est puisé aux mêmes sources ; il est un peu plus sommaire, mais entièrement d'accord avec les Antiquités. Nous ne signalerons que les divergences.

  1. 146/5 à 143/2 d'après le témoignage des monnaies. Tite Live et

Diodore s'accordent avec Josèphe pour placer le meurtre d'Antiochus VI pendant la captivité de Démétrius II ; au contraire I Maccabées raconte d'abord le meurtre (13, 31, immédiatement après la mort de Jonathan), donc probablement en 170 Sél. = 143/2, ensuite (14, i) l'expédition de Démétrius contre les Parthes en 172 Sél. = 141/0 av. J.-C. Ce dernier arrangement paraît préférable. - Les titres complets d’Antiochus VI sont Théos Epiphanès Dionysos ; Josèphe n'a retenu que le premier, qui est insignifiant.

  1. Ce titre n'apparaît pas sur les monnaies, où Antiochus VII

(vulgo Sidétès) s'intitule Evergète ; il n'est pas donné par d'autres historiens.

  1. I Maccabées présente les choses autrement. C'est avant

d’entreprendre son expédition en Syrie qu'Antiochus Sidétès sollicite l'alliance de Simon (xv, 1 suiv.). Au contraire pendant le siège de Dora il refuse les troupes et les subsides de celui-ci (xv, 26 suiv.).

  1. Plutôt quatre ans (143/2-139/8). Les monnaies de Tryphon ne

sont pas datées de l'ère des Séleucides, mais d'une ère nouvelle partant de son usurpation ; or, il en existe avec le chiffre 4 (Babelon, Séleucides, p. cxxxviii).

  1. Récit très incomplet. En réalité, Antiochus commença par

demander aux Juifs la restitution de leurs conquêtes récentes (la citadelle, Jopé, Gazara) ou une indemnité pécuniaire ; on ne put s'entendre sur la somme (I Maccabées, 15).

  1. D'après I Maccabées, 16, Simon ne prit aucune part à la campagne.

 

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  1. 142-135 av. J.-C. La mort de Simon est placée par I Maccabées, 16, 14 du mois de Schebat 177 Sél. = février 135.
  2. DÅa dans Maccabées, 16, 15. Aujourd'hui Ayn Douk, à une lieue au N. O. de Jéricho.
  3. D'après cela l'année 135/4 aurait été sabbatique. Or, en partant de l'année sabbatique à peu près assurée 38/7 av. J.-C. (Ant., XIV, vi, 2), on trouve comme sabbatique l'année précédente 136/5. Il est probable que Josèphe a été induit en erreur par une source païenne ; le siège fut levé non pas parce que l'année sabbatique commençait (elle n'a jamais suspendu les opérations militaires), mais parce que, en raison de l'année sabbatique précédente, on n'avait pas d'approvisionnements. Cf. Schürer, I3, p. 36.
  4. L'ancienne Rabbath Ammon, hellénisée par Ptolémée Philadelphe.
  5. Ce synchronisme est inexact. La 162e olympiade va de juillet 132 à 128 av. J.-C. ; la 4e année d'Antiochus Sidétès est 136/5 d'après les monnaies, 135/4 d'après Porphyre ; la 1ère année d'Hyrcan est, strictement parlant, 136/5 (puisque Simon est mort en février 135). Schürer place l'invasion d'Antiochus en 135/4.
  6. Novembre 135 ? Pour la date du coucher des Pléiades dans l'antiquité, cf. Pline, II, 47, 125.
  7. Octobre 134 ? Le siège aurait donc déjà duré un an.
  8. t¯n stratian eÛstÛa. Je ne puis croire qu'il s'agisse de l’armée juive.
  9. Ce titre ne figure pas sur ses monnaies, où il s'intitule Evergète,

Josèphe le cite encore Ant., VII. Remarquez le contraste de cet éloge d'Antiochus avec le jugement sévère du vii, 3, ou Josèphe suit une autre source.

  1. Ce détail est confirmé par le fr. de Diodore XXXIV, 1, qui reproduit sûrement le récit de Posidonius (Textes, p. 56 suiv.). Rapproché de plusieurs autres traits concordants, il permet de croire

 

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que tout le récit du siège de Jérusalem dans Josèphe dérive directement ou indirectement de Posidonius.

  1. Quel frère, puisque Hyrcan n'en avait que deux et que tous deux (toçw Ždelfoæw) avaient été massacrés par Ptolémée ?
  2. La muraille fut rétablie plus tard par Hyrcan, I Maccabées, 16, 23.

[151] D'après un autre passage de Josèphe (Ant., VII) les sommes

extraites par Hyrcan « d'une des chambres du tombeau de David » auraient servi, au moins en partie, à payer l'indemnité. de guerre exigée par Antiochus « 1300 ans après la mort de David ».

  1. En 130/29 av. J.-C.
  2. Fr. 74 Didot = Textes, p. 81. Le Lycos est le grand Zab.
  3. L'explication de Josèphe n'est qu'une conjecture ; mais il

semble en résulter que dans son opinion la Pentecôte était toujours (et non pas seulement cette année là) célébrée un dimanche, conformément à l'interprétation littérale que les Sadducéens donnaient à Lévitique, 23, 11. Sur la controverse soulevée par ce texte voir Adler, Monatschrift, 1878, p. 522, et Purves, art. Pentecost, p. 740 b, dans le dictionnaire de Hastings.

  1. Dans l'ouvrage grec extrait par Josèphe. - Démétrius II remonte sur le trône en 129/8 av. J.-C.
  2. Ou Samoga, Samaia ; ville inconnue de la Pérée (?).
  3. Sichem.
  4. Cf. livre XI, viii, 4.
  5. Sur Adora cf. supra, vi, 5. Marissa était à mi-chemin entre Hébron et Asdod.
  6. Sur cette section on peut lire une dissertation de Mendelssohn, De senati consultis Romonorum ab Jobepho Antiq., XIII, 9, 2 ; XIV,

 

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10, 22 relatis commentatio, Leipzig, 1879 (réimprimée dans Ritschl, Acta Societatis philologae Lipsiensis, V, 123 suiv.), qui a donné lieu à toute une littérature consignée dans Schürer, I3, 262. Je ne puis que maintenir les conclusions (adoptées par Willrich et Bevan) de mon article de la Revue des Études juives, XXXVIII, 1899, p. 161-171. Josèphe s'est trompé en rapportant notre SC. à l'époque d'Antiochus Sidétès ; il concerne, en réalité, son fils Antiochus Cyzicène, et le décret antérieur auquel il fait plusieurs fois allusion est celui dont le texte se lit plus loin XIV, x, 22 : le roi y est appelé €AntÛoxow ò basileçw €Antiñxou ußñw, désignation qui ne convient qu'à Antiochus Cyzicène ; le Sénat lui enjoint de restituer aux Juifs les ports et forteresses qu'il leur a enlevés et de retirer sa garnison de Jopé.

  1. Le 6 février (probablement 105 av. J.-C.).
  2. Sans doute les « marines » de la côte philistine entre Iamnée et

Gaza (Is. Lévy, Revue des Études juives, XLI, 177), qui encore aujourd'hui s'appellent en arabe El-Mina (lim®n).

  1. Peut-être le canton du Ras el ’Ain, où prend sa source

l'Aoudjeh et où s'éleva la forteresse d'Antipatris au N. E. de Jopé (Is. Lévy).

  1. Il est singulier que ni ici ni au début de la lettre il ne soit question du grand-prêtre.

[165] Les mss. ont les uns gramm‹tvn, les autres pragm‹tvn. Il s'agit

probablement des lettres demandées pour arrêter Antiochus. En somme, le Sénat répond par une fin de non-recevoir polie.

[166] On était en pleine guerre des Cimbres.

  1. Ptolémée Evergète (Physcon), frère de Philométor, régna en Egypte de 146 à 117 av. J.-C.
  2. 126/5 av. J.-C. (187 Sél.)
  3. 123/2 av. J.-C.

 

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  1. Les mots Œpõ KuzÞaou me paraissent interpolés.
  2. Voir plus haut la note de la section vi, 1.
  3. Cela a été indiqué vaguement à la section vi, 1, mais très probablement Josèphe, ici encore, copie étourdiment son guide.
  4. L'invasion d'Antiochus Cyzicène se place en 114 ou 113 av. J.-

C. (On croirait à lire Josèphe qu'elle eut lieu immédiatement après l'avènement de Grypos). La lutte des deux frères aboutit à une sorte de partage en 111/110, Cyzicène obtenant la Cœlé-Syrie.

[174] Antiochus Sidétès.

  1. Cette phrase vague paraît désigner par anticipation les faits qui seront racontés en détail plus bas dans le la section 2.
  2. Je ne comprends pas bien le sens de cette phrase.
  3. On a peine à comprendre comment les Samaritains pouvaient molester les gens de Marissa, en pleine Idumée.
  4. D'après la Guerre, I, § 65, c'est Antiochus d'Aspendos (c’est-à-dire Grypos) que les Samaritains appellent à leur secours. Si cette version est exacte l'événement doit être placé avant 113.
  5. Ou Sôter II. Il avait succédé en titre à son père Evergète II : sa mère Cléopâtre était associée au trône et vraiment régente.
  6. D'après Guerre, I, § 66, les Juifs auraient pris Scythopolis de vive force après la chute de Samarie et occupé tout le pays en deçà du Carmel.
  7. Ce récit se lit aussi dans le Talmud, Sota, Jér. 24 b = Bab. 32 a, et dans Midrash Rabba sur Cantique, VIII, 7.
  8. Voir iii, 1.
  9. Ptolémée Lathyre, détrôné par sa nièce Cléopâtre. s'était réfugié dans le royaume de Chypre en 107 av. J.-C. Cléopâtre l'y relança. Un

 

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fils de Chelkias parait être mentionné en qualité de stratège (?) dans l’inscription que j'ai essayé de restituer Rev. ét. juives, XL (1900), p. 50 suiv.

  1. Voir v, 9.
  2. La distinction faite ici entre le roi et le grand-prêtre indique une source contemporaine d'Hérode (Nicolas).

[186] L'anecdote rapportée par Josèphe se lit également dans une

baraïta du Talmud de Babylone, Kiddouschin, 66 a ; seulement le prince est appelé Jannée et non Hyrcan, et l'insulte est proférée par Juda ben Guadidiah : Eléazar (fils de Poéra) joue le rôle du Jonathas de Josèphe. Sur ce texte, qui semble extrait d'une Chronique pharisienne, voir Derenbourg, Essai, p. 79 ; Israël Lévi, Rev. ét. juives, XXXV, 1897, p. 218 suiv.

[187] Guerre, II, viii, 2-14.

  1. Il n'a pas encore été question de « sédition » proprement dite. Guerre, I, ii, est plus explicite.
  2. 135 à 105 ou 104 av. J.-C. - La Guerre, I, ii, lui prête 33 ans de pontificat.
  3. On a vu plus haut (x, 3) un autre exemple du don de prophétie attribué à Hyrcan.

[191] 481 ans à compter de 105 nous feraient remonter à 586. C'est la

date, non du retour de Babylone, mais de la captivité elle-même (ruine du Temple, 10 Ab 586). Le chiffre donné par la Guerre, I, - 471 ans - n'est pas plus acceptable.

  1. Texte incertain et embrouillé.
  2. Cette forteresse avait été érigée par Hyrcan, au dessus et au N.

du Temple (Ant., XVIII). Schürer croit (I3, 198) qu'elle s'élevait sur le même emplacement que la citadelle déjà mentionnée par Néhémie, ii, 8 ; vii, 2.

 

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  1. Guerre (I, iii) ajoute « fabriqué en Galilée ».
  2. Guerre (I, iii) « il est déjà quatre heures ».
  3. øaÛmosi. Cet hellénisme semble indiquer une source païenne (Nicolas ?).
  4. 104-103 av. J.-C.
  5. Peuplade du Liban. On a supposé sans raison suffisante qu'il s'agit de la Galilée, dont la judaïsation serait l'oeuvre d'Aristobule. Mais voir plus bas et v, 6.
  6. Josèphe ne s'aperçoit pas de la ridicule contradiction entre ce

jugement de Timagène et le reste de sa biographie d'Aristobule. On remarquera aussi comment le Il mourut en..., plus haut, n'est que la paraphrase de la citation textuelle de Strabon.

  1. Josèphe oublie de dire que Salomé-Alexandra épousa Jannée, comme cela résulte de la suite (ch. 16).
  2. toçw toætou xaraat°raw ùeÛjantow. Le sens est très douteux. Plus loin le mot genñmenon est inintelligible.
  3. Il s'appelait Absalômos (cf. livre XIV, ix, 4).
  4. Surnom officiel d'Antiochus Grypos.
  5. Havre à l'est du promontoire Carmel.
  6. A l'ouest du lac de Tibériade, dans la plaine du même nom (Sahel el-Battôf). Le site exact de la ville n'est pas connu.
  7. Site inconnu.
  8. oæ metajç. ·san ¤stratopeöeuañtew, nous traduisons au jugé.
  9. Josèphe cite évidemment Timagène à travers Strabon, comme plus haut.

 

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  1. Formule copiée, comme si souvent, dans le document original.
  2. Texte incertain. Les mots meizv geinñmenon me paraissent être une glose de açjanñenon.
  3. Texte douteux. On ne sait que faire de ƒIouöaÛvn (Naber: ƒIouöaÛÄ) ; je le supprime comme une glose de °m¡teron qui se lit quelques lignes plus loin.
  4. Au S. -E. du lac de Tibériade.
  5. Ruines à Amatha, au N. du Yabbok.
  6. Dans Guerre (I, iv) il est dit que Théodore reprit aussi ses propres trésors.
  7. Raphia est la première ville de la côte syrienne en venant d'Egypte. Anthédon était située entre Gaza et Ascalon.
  8. Lire oÞaeÛvn au lieu de oÞaetÇn des mss.
  9. 96 av. J.-C.
  10. D'après Eusèbe, le Cyzicène se tua lui-même (95 av. J.-C.).
  11. Antiochus (XI) Épiphane Philadelphe.
  12. Lapsus pour troisième ; Josèphe veut dire le 4e fils de Grypos.
  13. Tous les mss. ici et dans la Guerre ont ...Aaairow. Eëaairow est une « correction » des sommaires, que rien ne justifie.
  14. Tribu arabe nomade (Etienne de Byzance).
  15. D'après Appien, Antiochus Eusèbe vivait encore lors de l'invasion de Tigrane (83).
  16. La bévue coutumière.

 

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  1. Livre III, § 245.
  2. C'est-à-dire que l'aïeule d'Alexandre avait été une captive (supra, x, 5).
  3. Une histoire analogue est racontée dans le Talmud de Babylone, Soukka, 48 b, mais sans le nom d'Alexandre ; on y retrouve le détail du bombardement à coups de citrons.
  4. Cette disposition existait déjà, selon Josèphe lui-même (VIII, § 95), dans le Temple de Salomon.
  5. Moab et Galaad avaient donc été occupés (depuis 400 ?) par les Arabes.
  6. Amathonte a été déjà prise au xiii, 3. Il faut en conclure

qu'Alexandre l'avait reperdue. La Guerre, § 89, dit expressément qu'Alexandre s'empala de la forteresse qu'il trouva abandonnée.

  1. Au lieu de Garada la plupart des mss. ont Gadara. Nous écrivons la Gaulanitide d'après Guerre, I, § 90 (aata t¯n Gaul‹nhn). Dans Antiquités les mss. ont GalaadÛtidow ou ƒIoud‹ndow : cette dernière forme se ramène facilement à Gaul‹nidow (Niese). La Gaulanitide est au N.-E. du lac de Tibériade.
  2. Guerre, I, § 93 compte 1.000 cavaliers, 8.000 fantassins

mercenaires, 10.000 Juifs pour Alexandre ; 3.000 chevaux et 14.000 hommes de pied pour Démétrius.

  1. Bem¡seliw d'après Guerre, I, § 96. Aucune des deux villes n'est connue.
  2. Le sens de ce surnom n'est pas clair. Les Thraces étaient célèbres par leur férocité.
  3. Conjecture de Niese. Les mss. ont ZÛzon.
  4. De la Mésopotamie.
  5. Le but de cette expédition était, non pas la Judée, mais l'Arabie

 

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; Antiochus demandait seulement le passage. C'est ainsi d'ailleurs que les choses sont présentées dans la Guerre, I, § 99.

  1. Au N-E. de Jopé.
  2. Quelques mss. ont 160.
  3. C'est le roi des Arabes dont il vient d'être question.
  4. Dynaste de Chalcis etc., dans le Liban.
  5. Haditheh, à l'E. de Lydda.
  6. Dans la Pérée, ainsi que les villes suivantes. Au lieu de Dion, Guerre, § 104, a Pella.
  7. Leçon de Guerre, § 104. Dans les Antiquités on lit ...Essa.
  8. Dans Guerre, § 105, il est dit au contraire que le roi acquitta

Démétrius (gouverneur de Gamala) des nombreuses accusations

portées contre lui (paralæsaw au lieu de peri¡dusen).

  1. Une énumération analogue est donnée par le chroniqueur

Syncelle (I, 558 Dind.) et paraît remonter en dernière analyse à Juste de Tibériade. On y trouve plusieurs villes qui manquent dans Josèphe (Abila, Hippos, Philoteria, etc.). Cf. Tuch, Quaestiones de Flavii Josephi libris historicis (Lips., 1859), p. 12 suiv. Les villes enlevées aux Arabes, énumérées plus loin, XIV, § 18, complètent cette liste.

  1. Lemba est sans doute identique à Libba, ville enlevée aux

Arabes (XIV, 18). Les quatre localités suivantes sont inconnues et la lecture des trois premiers noms fort incertaine.

  1. Probablement le Regeb de la Mishna (Menahoth, VIII, 3), fameux par son huile.

[249] 103 à 76 av. J.-C. - Les recommandations d'Alexandre à sa

femme, rapportées par le Talmud (Sota, 22 b), sont assez différentes de celles que lui prête Josèphe ou Nicolas : il l'aurait surtout mise en garde contre les hypocrites, les faux dévots.

 

ANTIQUITES JUDAÏQUES

  1. Et aussi (Guerre, I, § 108) parce qu'elle observait scrupuleusement le code pharisien.
  2. Texte mutilé et obscur.
  3. Quelques mss. donnent 500.000 !
  4. La fille cadette de Ptolémée Physcon et de Cléopâtre, Séléné, avait épousé successivement Ptolémée Lathyre et Antiochus Grypus. On ne sait s’il faut l'identifier avec la Séléné qui fut la femme d'Antiochus Cyzicène et d'Antiochus Eusèbe (Appien, Syr., 69).
  5. Mithridate, après la déroute de Cabira (71), se réfugia, non chez les Ibères, mais en Arménie.
  6. Agaba est inconnue. Faut-il lire Gaba, place voisine du Carmel ? La traduction latine donne Gabatha.
  7. La forteresse appelée alors Bans (plus tard Antonia). Cf. Guerre, I, § 118.
  8. Je lis tÇn prosÄaeivm¡nvn oéx htton. Les mss. ont tÇn m± prosdoavm¡nvn. Herwerden a proposé prosÄaeivm¡nvn mais en conservant m± ce que je ne comprends pas.
  9. 76 à 67 av. J.-C.
  10. Je ne comprends pas cette phrase, sûrement altérée.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

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JOSEPHE

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XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
ANTIQUITES JUDAÏQUES
Flavius Josèphe
Traduction de Julien Weill

Sous la direction de

Théodore Reinach

Membre de l’Institut

1900

Ernest Leroux, éditeur - Paris

LIVRE 14

A partir du livre XIV jusqu'à la mort d'Hérode (XVII, 8, 4) la source principale de Josèphe est le grand ouvrage de Nicolas de Damas, qui pour cette période, avait une valeur de premier ordre. Nicolas était un peu suspect de partialité envers Hérode (dont il avait été secrétaire) et envers le père de celui-ci, Antipater, mais son récit était d'ailleurs exact et très détaillé ; Josèphe paraît l'avoir suivi de très près, en se bornant à corriger de temps à autre ses appréciations trop favorables aux Iduméens et en ajoutant quelques anecdotes édifiantes empruntées à la tradition rabbinique. Les chapitres correspondants de la Guerre dérivent de la même source et présentent quelquefois des détails omis dans les Antiquités. Voir sur tous ces points Destinon. op. cit., p. 91 suiv. - Le livre XIV des Antiquités correspond, dans la Guerre, à I, § 120-357.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

I

1. Préambule. - 2. Guerre civile entre Hyrcan II et Aristobule II. Aristobule roi - 3-4. Intrigues de l'Iduméen Antipater auprès d'Hyrcan et d'Arétas.

  1. Nous avons rapporté dans le livre précédent l'histoire de la reine Alexandra et sa mort nous raconterons maintenant les évènements qui suivirent et s’y rattachent, attentifs avant tout à n'en omettre aucun, soit par ignorance, soit par paresse. Car si le récit et l'explication de faits inconnus de la plupart, en raison de leur ancienneté, réclament, dans l'exposition, tout le charme qui peut résulter du choix des mots, de leur arrangement, et de ce qui peut ajouter au style quelque ornement, afin que le lecteur trouve à s'instruire agrément et plaisir, toutefois les historiens doivent avant tout viser à l'exactitude et considérer comme leur premier devoir de dire la vérité à ceux qui, ignorant les faits, s'en rapportent entièrement à eux[1].
  2. Hyrcan monta sur le trône la troisième année de la 177e Olympiade, sous le consulat de Quintus Hortensius et de Quintus Metellus, surnommé Creticus[2]. Aristobule lui fit aussitôt la guerre

et, au cours d'une bataille livrée près de Jéricho, nombre des soldats d'Hyrcan passèrent dans le camp de son frère. Hyrcan se réfugia dans la citadelle, où la femme et les enfants d'Aristobule avaient été enfermés par sa mère, comme nous l'avons dit[3]. Il attaqua et fit

prisonniers ceux de ses adversaires qui s'étaient enfuis dans l'enceinte du temple[4]. Puis il entra en pourparlers avec son frère et traita avec

lui : il s'engageait à cesser les hostilités et consentait qu'Aristobule fût roi et que lui-même vécût sans se mêler aux affaires, en jouissant tranquillement de sa fortune. Ce traité fut juré sur les objets sacrés conservés dans le sanctuaire et confirmé par des serments qu'ils prêtèrent la main dans la main ; puis, après s'être embrassés en présence de tout le peuple, ils se retirèrent, Aristobule, dans le palais, Hyrcan, devenu simple particulier, dans l'ancienne maison d'Aristobule.

  1. Il y avait alors un ami d'Hyrcan, Iduméen, appelé Antipater, possesseur d'une grande fortune, homme entreprenant par nature et remuant, mal disposé pour Aristobule et brouillé avec lui à cause de son dévouement pour Hyrcan. Nicolas de Damas dit qu'il appartenait à l'une des premières familles juives revenues de Babylone en Judée :

 

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mais il le dit pour plaire au fils d'Antipater, Hérode, devenu roi des Juifs à la suite d'événements que nous raconterons le moment venu[5]. Cet Antipater s'était appelé d'abord Antipas ; c'était là aussi

le nom de son père[6], qui, nommé par le roi Alexandre et sa femme

gouverneur de toute l'Idumée, avait, dit-on, fait amitié avec les Arabes limitrophes et les habitants de Gaza et d'Ascalon, gagnés par ses riches présents. Antipater le jeune, voyant donc d'un mauvais oeil Aristobule, devenu le maître, et craignant que la haine qu'il avait pour celui-ci ne lui attirât des ennuis, conspira secrètement contre ce roi et s'aboucha avec les plus influents des Juifs ; il était injuste, disait-il, qu'on supportât qu’Aristobule gardât injustement le pouvoir, après l'avoir arraché à son frère, plus âgé que lui, auquel le trône appartenait par droit d'aînesse. Et constamment il tenait ces mêmes propos à Hyrcan lui-même, ajoutant que la vie de celui-ci était en danger s'il ne se gardait et ne se mettait à l'abri ; car les amis d'Aristobule, disait-il, ne laissaient passer aucune occasion de lui conseiller de tuer son frère, l'assurant qu'il affermirait ainsi son pouvoir. Hyrcan n'ajoutait pas foi à ces discours, car il était d'un naturel honnête, et sa loyauté n'admettait pas facilement la calomnie. Son éloignement des affaires et sa douceur le faisaient même regarder comme dégénéré et dépourvu de virilité. Aristobule, d'un tempérament tout opposé, était actif et d'esprit éveillé.

4. Lorsqu'Antipater vit qu'Hyrcan ne prêtait aucune attention à ses discours, il ne laissa plus passer un seul jour sans calomnier auprès de lui Aristobule, qu'il accusait de vouloir tuer son frère ; enfin, à force de le presser, il le décida par ses conseils à se réfugier auprès d'Arétas, roi des Arabes : il lui promettait, s'il l'écoutait, d'être lui-même son allié. Hyrcan, sur ces assurances, pensa qu'il était de son intérêt de s'enfuir auprès d'Arétas[7] : l'Arabie est, en effet,

limitrophe de la Judée. Il envoya d'abord Antipater auprès du roi des Arabes, pour recevoir des assurances qu'il ne le livrerait pas à ses ennemis s'il venait auprès de lui en suppliant. Antipater, dès qu'il eut reçu ces garanties, revint à Jérusalem, auprès d'Hyrcan. Puis, peu de temps après, il sortit avec lui de la ville pendant la nuit, et l'amena, après un long voyage, à Pétra : c'est le nom de la ville où se trouvait le palais d'Arétas. Comme il était grand ami du roi, il lui demanda de ramener Hyrcan en Judée ; et grâce à ses instances, qu'il renouvelait chaque jour sans se lasser, grâce aussi à ses présents, il décida Arétas. Hyrcan cependant promit à celui-ci, s'il le ramenait et lui rendait la royauté, de lui restituer le territoire et les douze villes que son père Alexandre avait enlevées aux Arabes : c'étaient Médaba, Libba, Nabalôth, Rabatha, Agalla, Athôné, Zôara, Oronas, Marissa, Rhydda,

 

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Lousa, Oryba[8].

II

1-2. Arétas ramène Hyrcan en Judée et assiège Aristobule dans le Temple. - 3. Scaurus, lieutenant de Pompée, l'oblige à lever le siège.

  1. Arétas, fort de ces promesses, marcha contre Aristobule avec cinquante mille cavaliers et de l'infanterie, et le vainquit en bataille rangée. A la suite de cette victoire, il y eut de nombreuses défections en faveur d'Hyrcan, et Aristobule abandonné s'enfuit à Jérusalem. Mais le roi des Arabes, à la tête de toutes ses troupes, vint attaquer le Temple et l'y assiégea, avec l'aide du peuple, qui s'était prononcé pour Hyrcan, tandis que les prêtres seuls restaient fidèles à Aristobule. Arétas, ayant réuni les forces des Arabes et des Juifs, poussa vivement le siège. Gomme ces événements se passaient vers le temps de la fête des Azymes, que nous appelons la Pâque, les plus considérables des Juifs, abandonnant le pays, s'enfuirent en Egypte. Un certain Onias, homme juste et pieux, qui, jadis, au moment d’une sécheresse, avait prié Dieu d'y mettre fin, et dont les prières exaucées avaient amené la pluie, s'était caché en voyant que la rébellion continuait toujours aussi violente ; amené au camp des Juifs, on l'invita, de la même façon qu'il avait autrefois par ses prières fait cesser la sécheresse, à prononcer des imprécations contre Aristobule et ses partisans. Comme il s'y refusait et comme son refus lui attirait les violences de la foule, se dressant au milieu des Juifs, il s'écria : « Ô Dieu, roi de tout l'Univers, puisque ceux qui m’entourent sont ton peuple, et que ceux qui sont assiégés sont tes prêtres, je te demande de ne pas écouter ce que demande ton peuple contre tes prêtres, et de ne pas exaucer les prières de tes prêtres contre ton peuple. » Quand il eut prié de la sorte, les plus méchants des Juifs qui étaient autour de lui le lapidèrent[9].
  2. Mais Dieu les châtia sur le champ de leur cruauté et vengea le meurtre d'Onias de la manière suivante. Pendant qu'Aristobule et les prêtres étaient assiégés, le moment approcha de la fête appelée Pâque[10] à l'occasion de laquelle nous avons coutume d'offrir à Dieu

de nombreux sacrifices. Comme ils manquaient de victimes, Aristobule et les siens demandèrent à leurs compatriotes de leur en fournir, offrant de les payer aussi cher que l'on voudrait. Les assiégeants leur demandèrent mille drachmes par tête de bétail

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

Aristobule et les prêtres acceptèrent avec empressement et, au moyen d'une corde, firent descendre l'argent le long du mur. Les assiégeants prirent l'argent mais ne donnèrent pas les victimes, poussant la méchanceté jusqu'à violer leur serment et commettre un sacrilège, en refusant à ceux qui en avaient besoin ce qui leur était nécessaire pour les sacrifices. Les prêtres ainsi trompés prièrent Dieu de les venger de leurs compatriotes, et le châtiment ne se fit pas attendre, car Dieu envoya un vent violent qui détruisit la récolte dans tout le pays, si bien que l'on dut payer le boisseau de blé onze drachmes[11].

3. A ce moment Pompée, qui se trouvait alors en Arménie, encore en guerre contre Tigrane, envoya Scaurus en Syrie. Celui-ci, arrivé à Damas, trouva cette ville aux mains de Lollius et de Métellus, qui venaient de s'en emparer ; lui-même se dirigea alors rapidement sur la Judée. Dès qu'il y fut arrivé, des envoyés vinrent le joindre de la part d'Aristobule et d'Hyrcan, demandant les uns et les autres son alliance. Aristobule promit de lui donner quatre cents talents[12], Hyrcan offrit

la même somme. Scaurus accepta les offres d'Aristobule ; car celui-ci était riche et généreux et ne demandait que des choses raisonnables, tandis qu'Hyrcan, pauvre et avare, exigeait davantage en retour d’une promesse incertaine. Il était, en effet, autrement difficile de s'emparer par la force d'une ville fortifiée et bien défendue. que de chasser une troupe de transfuges et la foule des Nabatéens, peu propres à la guerre. Pour ces raisons, il prit le parti d'Aristobule, reçut l'argent et fît lever le siège, en donnant à Arétas l'ordre de se retirer s'il ne voulait pas être déclaré ennemi des Romains. Puis Scaurus revint à Damas, et Aristobule, à la tête de forces nombreuses, marcha contre Arétas et Hyrcan, les attaqua près de l'endroit appelé le Papyrôn, les vainquit, et tua environ six mille ennemis, au nombre desquels Phallion, frère d'Antipater.

III

1. Vigne d'or offerte à Pompée par Aristobule. - 2. Pompée à Damas. Les princes juifs plaident leur cause devant lui. - 3.4. Marche de Pompée. Négociations avec Aristobule.

1. Peu de temps après, Pompée arriva à Damas ci. entra dans la Cœlé-Syrie ; il reçut des envoyés de toute la Syrie, de l'Égypte et de la Judée. Aristobule lui envoya un riche présent, une vigne d'or de la valeur de cinq cents talents. Strabon le Cappadocien mentionne ce présent en ces termes : « Il reçut aussi d'Égypte une députation et une

 

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couronne de la valeur de quatre mille pièces d'or, et de Judée une vigne ou un jardin : les Juifs donnaient à ce travail le nom de “charme des yeux”. Nous avons pu voir nous-même ce présent à Rome dans le temple de Jupiter Capitolin ; il porte l'inscription “d'Alexandre, roi des Juifs”. Il est estimé cinq cents talents. On dit que ce présent fut envoyé par Aristobule, chef des Juifs. »[13]

2. Peu après[14], Pompée reçut de nouveaux ambassadeurs, Antipater

de la part d'Hyrcan, et Nicodémos de celle d'Aristobule. Celui-ci porta plainte contre Gabinius et contre Scaurus, pour lui avoir extorqué de l'argent, l'un d'abord trois cents, l'autre quatre cents talents ; c'était se créer deux nouveaux ennemis en plus des anciens[15]. Pompée ordonna aux plaignants de se présenter en

personne ; puis, au commencement du printemps, il concentra son armée, quitta ses quartiers d'hiver et marcha vers le territoire de Damas. Sur sa route, il détruisit la citadelle d'Apamée, qu'Antiochus Cyzicène avait bâtie, et dévasta le territoire de Ptolémée fils de Mennaios : cet homme cruel ne valait pas mieux que Dionysios de Tripolis, son allié par mariage, lequel périt sous la hache ; Ptolémée échappa au châtiment que méritaient ses crimes moyennant mille talents qui servirent à Pompée à payer ses troupes. Pompée détruisit ensuite la forteresse Lysias[16], dont le Juif Silas était maître. Puis il

traversa les villes d'Héliopolis et de Chalcis, et, franchissant la montagne qui sépare la Cœlé-Syrie du reste de la Syrie[17], vint à

Damas. Là il écouta les doléances des Juifs et de leurs chefs : Hyrcan et Aristobule ne s’entendaient pas entre eux, et le peuple n'était d'accord ni avec l'un ni avec l'autre, demandant à ne pas avoir de rois car la tradition était, disaient-ils, d'obéir aux prêtres du Dieu qu'ils honoraient, et ces hommes, qui descendent des prêtres, avaient voulu amener le peuple à changer de gouvernement, pour le réduire en servitude. Hyrcan se plaignait d'avoir été, lui le plus âgé, privé de son droit d'aînesse par Aristobule, et de ne posséder plus qu'une petite étendue de territoire. Aristobule s'étant emparé du reste par la force ; il accusa mensongèrement celui-ci d'être l'auteur des incursions chez les peuples voisins, des actes de piraterie sur mer, assurant que jamais le peuple ne se serait soulevé sans sa violence et sa turbulence. Ses plaintes étaient appuyées par plus de mille des Juifs les plus considérables, à l'instigation d'Antipater. Aristobule répondait que, si son frère était tombé du pouvoir, c'était la faute de son caractère, dont l'indolence le rendait méprisable ; lui-même n'avait pris le pouvoir que par crainte de le voir passer en d'autres mains ; quant à son titre, c'était celui qu'avait porté son père Alexandre. Comme témoins, il

 

Zone de Texte: IVFlavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

citait des jeunes gens insolents, que rendaient odieux leurs vêtements de pourpre, leur coiffure apprêtée, leurs bijoux et tous les ornements dont ils étaient couverts, on eût dit qu'ils ne venaient pas comparaître en justice, mais figurer dans quelque cortège.

  1. Pompée, après avoir entendu les deux adversaires, condamna la violence d'Aristobule ; pour l'instant il les renvoya avec de bonnes paroles, promettant, une fois dans leur pays, de tout arranger, dès qu'il aurait examiné les affaires des Nabatéens. Jusque-là, il les invita à rester tranquilles, tout en flattant Aristobule de peur qu'il ne soulevât le pays et ne lui coupât ses communications. C'est ce que fit cependant Aristobule : sans attendre l'effet d'aucune des promesses de Pompée, il se rendit à Dion[18] et de là passa en Judée.
  2. Pompée, irrité, rassembla les troupes qu'il allait diriger contre les Nabatéens, leur adjoignit les auxiliaires de Damas et du reste de la Syrie, et les réunissant aux légions romaines qu'il avait déjà, marcha contre Aristobule. Mais quand il eut dépassé Pella et Scythopolis et eut parvenu à Corées[19], qui est la première ville de Judée, quand on

vient de l'intérieur, Aristobule se réfugia dans la magnifique place forte d'Alexandreion, située sur le sommet de la montagne[20].

Pompée lui envoya l'ordre de se rendre auprès de lui. Aristobule, sur le conseil que lui donnèrent nombre de ses amis de ne pas faire la guerre aux Romains, descendit de son asile, et, après avoir plaidé contre son frère la question du pouvoir, remonta dans sa citadelle, avec la permission de Pompée. Il recommença une seconde, puis une troisième fois, flattant Pompée dans l'espoir d'obtenir de lui le trône, et promettant d'obéir à tout ce qu'ordonnerait celui-ci, mais toutefois se retirant toujours dans sa place forte afin de ne pas se laisser désarmer, et se préparant des ressources en cas de guerre, dans la crainte que Pompée ne donnât le pouvoir à Hyrcan. Pompée lui avant ordonné de livrer ses châteaux forts et d'envoyer aux chefs des garnisons les instructions nécessaires écrites de sa propre main - ils avaient défense d'exécuter toute autre espèce d'ordre -, il dut obéir, mais, irrité, il se retira à Jérusalem et se prépara à la guerre. Peu de temps après, comme Pompée partait en expédition contre lui, des messagers arrivant du Pont lui apprirent en route que Mithridate venait de périr de la main de son fils Pharnace[21].

 

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1. Pompée à Jéricho. Aristobule mis aux fers. - 2. Siège de Jérusalem. - 3-5. Prise du Temple. Règlement de la Judée par Pompée.

  1. Après avoir campé autour de Jéricho - canton où pousse le palmier et où l'on récolte l'opobalsamon, le plus précieux des parfums, qui coule, comme un suc, des troncs (de baumier) entaillés avec une pierre tranchante -, Pompée marcha dès l’aube sur Jérusalem. Aristobule changea alors de tactique, se rendit auprès de lui et promit de lui donner de l'argent et de le recevoir à Jérusalem, le suppliant de mettre lin à la guerre et d'arranger pacifiquement les choses à sa guise. Pompée, touché par ses prières, lui pardonna, et envoya Gabinius avec des troupes pour s'emparer de l'argent et de la ville. Mais rien ne s'accomplit : Gabinius revint sans avoir pu prendre ni l'argent ni la ville, dont les portes avaient été fermées devant lui ; les soldats d'Aristobule avaient refusé d'exécuter les clauses du traité. Pompée, irrité de cet insuccès, jeta Aristobule en prison, et marcha lui-même sur la ville, qui était forte de tous les côtés, sauf sur le flanc Nord, mal défendu : elle est, en effet, entourée d'un large et profond ravin[22], en deçà duquel se trouve le Temple solidement fortifié

d'une enceinte de pierre.

  1. A l'intérieur de la ville régnait la sédition, les habitants ne s'entendant pas sur la situation : les uns voulaient livrer la ville à Pompée ; les partisans d'Aristobule étaient d'avis de fermer les portes et de résister, puisque Pompée retenait Aristobule prisonnier. Ces derniers, prenant les devants, s'emparèrent du Temple et coupèrent le pont qui le reliait à la ville, se préparant à soutenir un siège. Les autres ouvrirent les portes à l'armée et livrèrent à Pompée la ville et le palais[23]. Pompée envoya son lieutenant Pison avec des troupes

mettre garnison dans la ville et dans le palais, et fortifier les maisons voisines du Temple, ainsi que les lieux environnants. Il n'eut d'abord pour les défenseurs que des paroles conciliantes ; puis, comme ils refusaient de l'écouter, il fortifia tous les lieux d'alentour, activement secondé en tout par Hyrcan. Pompée alla au point du jour camper au nord du Temple, côté le plus accessible. Mais de ce côté aussi se dressaient de hautes tours ; on avait creusé un fossé, et un ravin profond entourait l'édifice[24]. Du côté de la ville les

communications étaient impossibles, le pont ayant été coupé[25].

Cependant les Romains, avec de grands efforts, élevèrent jour par jour une terrasse d'approche, en abattant les forêts des environs. Quand elle fut suffisamment haute, et une fois le fossé, qui était extrêmement profond, comblé à grand'peine, Pompée amena des

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

machines et des engins de guerre, qu'il fit venir de Tyr, les dressa et battit les murs du Temple avec des balistes. Sans la tradition qui nous oblige au repos tous les sept jours, la terrasse n'aurait pu être élevée ; les assiégés s'y seraient opposés : mais si la loi permet de se défendre au cas où l'ennemi engagerait le combat et porterait des coups, elle l'interdit hors ces cas, quoi que fasse l'adversaire.

  1. Les Romains, qui le savaient bien, se gardèrent, les jours que nous appelons sabbat, de tirer sur les Juifs et d'en venir aux mains, se contentant d'apporter de la terre, d'élever des tours, d'avancer leurs machines, afin que tout fût prêt pour le lendemain. Et le fait suivant montrera à quel point nous poussons la piété envers Dieu et le respect de la loi : les Juifs ne furent jamais détournés par les terreurs du siège de l'accomplissement des rites ; deux fois par jour, le matin et vers la neuvième heure, on les accomplissait sur l'autel, et quelles que fussent les difficultés provenant des attaques de l'ennemi, on n'interrompit jamais les sacrifices. Bien plus, quand la ville fut prise le troisième mois (du siège), le jour du jeûne, en la cent soixante-dix-neuvième Olympiade, sous le consulat de Calus Antonius et de Marcus Tullius Cicéron[26], quand les ennemis envahirent le Temple

et égorgèrent ceux qui s'y trouvaient, ceux qui offraient des sacrifices n'en continuèrent pas moins les cérémonies, sans que la crainte pour leur vie ni les massacres qui se multipliaient autour d'eux pussent les décider à s'enfuir : mieux valait, pensaient-ils. s'ils devaient subir un sort funeste, l'attendre à l'autel, que de transgresser quelque précepte de la loi. Et la preuve que ce n'est pas la une légende destinée à exalter une piété imaginaire, mais bien la vérité, se trouve dans les livres de tous ceux qui ont écrit l'histoire de Pompée, entre autres Strabon, Nicolas de Damas, et, de plus, Tite-Live, auteur de l'histoire romaine.

  1. Dès que, sous l'effort des machines de guerre, la plus élevée des tours se fut écroulée et eut ouvert une brèche, les ennemis s'y précipitèrent. Cornélius Faustus, fils de Sylla, le premier, à la tête de ses soldats, escalada le rempart ; après lui, le centurion Furius et ceux qui l'accompagnaient pénétrèrent du côté opposé ; par un point intermédiaire entra Fabius, centurion lui aussi, avec une forte troupe. Partout régnait le carnage. Les Juifs étaient massacrés par les Romains ou se massacraient entre eux ; quelques-uns se jetèrent dans les précipices d'autres mirent le feu à leurs maisons et se brûlèrent vifs, incapables de supporter leur sort. Il périt environ douze mille Juifs, mais fort peu de Romains. Absalon, oncle et beau-père d'Aristobule, fut fait prisonnier[27]. De graves sacrilèges furent

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

commis dans le sanctuaire, dont l'accès était jusque-là interdit et où nul ne pouvait porter les yeux : Pompée, avec une suite nombreuse, y pénétra ; ils virent tout ce qu'il est interdit de voir aux autres hommes, hors les seuls grands-prêtres. Il y avait là la table d'or, les chandeliers sacrés[28], des vases à libations, des quantités de parfums, sans

compter, dans les caisses, environ deux mille talents composant le trésor sacré : Pompée ne toucha à rien, par piété, en quoi aussi il agit d'une manière digne de sa vertu. Le lendemain, après avoir fait nettoyer le Temple parles serviteurs et offrir à Dieu les sacrifices prescrits par la loi, il conféra la grande-prêtrise à Hyrcan, en reconnaissance de tous les services que celui-ci lui avait rendus, et notamment parce qu'il avait empêché les Juifs de la campagne de faire cause commune avec Aristobule ; puis il fit trancher la tête aux promoteurs de la guerre. Faustus et les autres qui étaient courageusement montés à l'assaut des murailles reçurent les récompenses dues à leur valeur. Pompée rendit Jérusalem tributaire des Romains ; il enleva aux Juifs les villes de Cœlé-Syrie dont ils s'étaient rendus maîtres et soumit celles-ci à l'autorité du gouverneur romain[29] ; ainsi il ramena dans ses anciennes frontières ce peuple

juif naguère si ambitieux. Pour faire plaisir à Démétrius de Gadara, son affranchi, il rebâtit Gadara, récemment détruite[30] ; et il rendit à

leurs habitants les autres villes, Hippos, Scythopolis, Pella, Dion, Samarie, Marissa, Azotos, Iamnée, Aréthuse[31]. Outre toutes ces

villes de l'intérieur, et sans compter celles qui avaient été détruites, Pompée déclara libres et rattacha à la province les villes maritimes de Gaza, Jopé, Dôra, Tour de Straton, qui, plus tard, rebâtie par Hérode et magnifiquement dotée de ports et de temples, prit le nom de Césarée.

5. Jérusalem fut redevable de tous les maux aux dissensions d'Hyrcan et d'Aristobule. Nous perdîmes, en effet, la liberté et devînmes sujets des Romains ; nous dûmes rendre aux Syriens tout le territoire que nous leur avions enlevé par les armes ; de plus, les Romains, en peu de temps, levèrent sur nous plus de dix mille talents, et la royauté, autrefois héréditaire dans la famille des grands-prêtres, devint l'apanage d'hommes du peuple. Nous reparlerons de tout cela le moment venu. Pompée, après avoir confié à Scaurus toute la Cœlé-Syrie (et le reste de la Syrie) jusqu'à l'Euphrate et à l'Égypte, avec deux légions romaines, partit pour la Cilicie, ayant hâte de rentrer à Rome. Il emmenait Aristobule prisonnier avec ses enfants, deux filles et deux fils ; l'un, Alexandre, put s'échapper, tandis que le plus jeune, Antigone, fut conduit a Rome avec ses soeurs.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

V[32]

1. Scaurus soumet Arétas. - 2-4. Révolte et défaite d'Alexandre, fils d’Aristobule. Gabinius réorganise la Judée.

  1. Scaurus fit une expédition contre Pétra, en Arabie. La ville étant d'un accès très difficile, il se mit à piller le pays environnant. Comme l'armée souffrait de la famine, Antipater, sur l'ordre d'Hyrcan, lui fournit du blé, pris en Judée, et tous les approvisionnements dont il avait besoin. Envoyé par Scaurus comme ambassadeur à Arétas, en raison de leurs relations d'hospitalité, il persuada celui-ci de payer une indemnité pour éviter le ravage de son territoire et se porta lui-même garant pour trois cents talents. A ces conditions Scaurus mit fin à la guerre, ce qu'il désirait lui-même autant qu’Arétas.
  2. Quelque temps après, comme Alexandre, fils d'Aristobule, faisait des incursions en Judée, Gabinius vint de Rome en Syrie comme gouverneur[33]. Entre autres exploits remarquables, il fit la guerre à

Alexandre, auquel ne pouvait plus résister Hyrcan. Alexandre[34]

avait même essayé de relever les murs de Jérusalem, détruits par Pompée ; mais les Romains qui se trouvaient dans la ville l'en empêchèrent. Il parcourut alors tout le pays à l'entour, arma nombre de Juifs, et réunit promptement dix mille hoplites et quinze cents cavaliers, puis il fortifia Alexandreion, place voisine de Corées, et Machairous, prés des monts d'Arabie. Gabinius marcha donc contre lui, après avoir envoyé en avant Marc Antoine et d'autres officiers ; ceux-ci armèrent les Romains qui les suivaient, ainsi que les Juifs soumis que commandaient Peitholaos et Malichos, et renforcés des gardes d’Antipater ils se portèrent à la rencontre d'Alexandre. Gabinius les suivait avec la grosse infanterie. Alexandre se retira près de Jérusalem ; on en vint aux mains, et dans le combat, les Romains tuèrent environ trois mille ennemis, et en firent autant prisonniers.

  1. Cependant Gabinius marcha sur Alexandreion[35] et invita la garnison à se rendre, avec promesse d'amnistie[36]. Comme un corps

nombreux d'ennemis campait sous les murs de la place, les Romains s'avancèrent contre eux ; Marc Antoine se distingua dans le combat et en tua un grand nombre, au point qu'il parut remporter le prix de la valeur. Gabinius laissa une partie de son armée pour achever de réduire la place, et parcourut lui-même le reste de la Judée ; chaque fois qu'il rencontrait sur sa route quelque ville détruite, il en

 

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ordonnait la reconstruction. Ainsi furent relevées Samarie, Azôlos, Scythopolis, Anthédon, Raphia, Adora[37], Marissa, Gaza et

beaucoup d'autres villes[38]. Et comme les populations obéissaient

aux ordres de Gabinius, des villes restées longtemps désertes purent être repeuplées eu toute sécurité.

4. Après avoir pris ces mesures dans le pays, Gabinius revint à Alexandreion ; et comme il poussait activement le siège, il reçut un envoyé d'Alexandre qui faisait implorer le pardon de ses torts et lui livra les places fortes d'Hyrcania, de Machairous et enfin d'Alexandreion. Gabinius rasa ces places ; puis, comme la mère d'Alexandre était venue auprès de lui - elle avait pris parti pour les Romains, qui détenaient à Rome son mari et ses enfants -, il lui accorda ce qu'elle demandait[39], et quand il eut réglé cette affaire, il

ramena Hyrcan à Jérusalem pour lui confier la garde du Temple. Il établit ensuite cinq Conseils[40]. et partagea le peuple en cinq

fractions égales ces Conseils siégeaient respectivement à Jérusalem, à Gazara[41], à Amathonte, à Jéricho, et à Sepphoris en Galilée. C'est

ainsi que les Juifs, délivrés du gouvernement monarchique, furent organisés en aristocratie.

VI[42]

1. Révolte et défaite d'Aristobule. -2-3. Gabinius en Égypte. Nouvelle tentative d'Alexandre fils d'Aristobule. - 4. Derniers règlements de Gabinius.

1. Aristobule s'échappa de Rome en Judée et tenta de relever Alexandreion de ses ruines récentes. Gabinius envoya contre lui des troupes commandées par Sisenna, Antoine et Servilius[43] pour

l’empêcher d'occuper la place et s'emparer de lui. Nombre de Juifs se déclarèrent pour Aristobule, tant en souvenir de son ancienne renommée que par leur goût constant pour les révolutions. Un certain Peitholaos, sous-gouverneur à Jérusalem, fit défection en sa faveur avec mille hommes. Cependant beaucoup de ses partisans étaient sans armes. Aristobule, qui avait résolu de se retirer à Machairous, renvoya ces désarmés qui ne pouvaient lui être d'aucune utilité pour agir, et partit à la tête de ceux qui étaient armés, au nombre d'environ huit mille. Mais les Romains les ayant attaqués vigoureusement, les Juifs, après s'être vaillamment et hardiment battus, furent défaits, et les ennemis les obligèrent à prendre la fuite. Ils eurent environ cinq

 

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mille hommes de tués ; les autres, dispersés de tous côtés, essayèrent de se sauver comme ils purent[44]. Aristobule, avec plus de mille

hommes, s’enfuit a Machairous et fortifia la place ; bien que fort éprouvé, il n'en gardait pas moins bon espoir. Après une résistance de deux jours, pendant lesquels il reçut plusieurs blessures, il fut fait prisonnier avec son fils Antigone, qui s'était enfui de Rome avec lui, et conduit devant Gabinius. Tel fut le sort d'Aristobule. On le renvoya à Rome, où il fut mis aux fers et gardé en prison. Il avait été roi et grand-prêtre trois ans et six mois. C'était un homme de nature brillante et généreuse. Le Sénat délivra ses enfants, Gabinius avant écrit qu'il l'avait promis à leur mère, en échange des places fortes qu'elle livra ; ils revinrent alors en Judée[45].

  1. Gabinius marchait contre les Parthes et avait déjà traversé l'Euphrate, quand il changea de dessein, et se tourna vers l'Égypte, voulant y rétablir Ptolémée[46]. Ces événements ont été racontés

ailleurs[47]. Antipater, pendant toute l'expédition que Gabinius dirigea contre [Archélaüs][48], lui fournit du blé, des armes et de

l'argent ; il lui gagna l'amitié et l'alliance des Juifs qui, au-dessus de Péluse ,gardent les 400 passages qui commandent l'entrée de

l'Égypte. A son retour d'Égypte, Gabinius trouva la Syrie en proie aux soulèvements et aux troubles : car Alexandre, fils d'Aristobule, s'était emparé de nouveau du pouvoir par la force, avait soulevé un grand nombre de Juifs, et parcourant le pays à la tête d'une forte armée, tuait tous les Romains qu'il rencontrait ; beaucoup se réfugièrent sur le mont appelé Garizim, où il les assiégea.

  1. Gabinius, trouvant la Syrie dans cet état, envoya aux rebelles Antipater, comptant sur son intelligence pour essayer de les guérir de leur folie et les ramener à la raison. Antipater partit, en raisonna un bon nombre et les fit rentrer dans le devoir, mais ne put arrêter Alexandre. Celui-ci, à la tête de trente mille Juifs, marcha à la rencontre de Gabinius, l'attaqua, et essuya près du mont Itabyrion[49]

une défaite qui lui coûta dix mille des siens.

  1. Gabinius, après avoir tout réglé à Jérusalem, conformément aux désirs d'Antipater[50], marcha contre les Nabatéens, les battit et

l'envoya les exilés Parthes, Mithridate et Orsanès, qui s'étaient réfugiés auprès de lui: on raconta qu'ils s'étaient évadés[51].

Gabinius, s'étant ainsi couvert de gloire pendant son gouvernement, rentra à Rome, après avoir remis ses pouvoirs à Crassus. Le récit des expéditions de Pompée et de Gabinius contre les Juifs a été écrit par

 

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Nicolas de Damas et Strabon le Cappadocien; on ne trouve aucune divergence dans leurs exposés[52].

VII[53]

1. Pillage du Temple par Crassus. - 2. Digression sur les Juifs d'Asie et de Cyrène. - 3. Révolte de Peitholaos. Puissance d'Antipater – 4. Mort d'Aristobule et d'Alexandre.

  1. Crassus, sur le point de faire une expédition contre les Parthes[54],

vint en Judée ; il enleva du Temple l'argent monnayé que Pompée y avait laissé - deux mille talents - et fit mine de dépouiller le sanctuaire de tout l'or qui s'y trouvait ; il y en avait pour huit mille talents[55]. Il emporta d'abord une poutre d'or forgée d'un seul bloc

massif pesant trois cents mines : notre mine vaut deux livres et demie[56]. Ce fut un prêtre, nommé Éléazar, chargé de la garde des

trésors, qui lui donna cette poutre, non pas d'ailleurs par méchanceté, car c'était un homme honnête et juste ; mais, préposé à la garde des voiles du sanctuaire, admirables de beauté, de richesse et de travail, et qui étaient suspendus à cette poutre, lorsqu'il vit que Crassus se disposait à faire main basse sur tous les objets d'or, il conçut des craintes pour la décoration entière du sanctuaire ; il lui donna donc, comme rançon de tout le reste, cette poutre, après lui avoir fait jurer de ne rien emporter d'autre du sanctuaire, et de se contenter du présent qu'il allait lui faire et qui valait beaucoup de myriades de drachmes[57]. Cette poutre était cachée dans une autre poutre de bois

creuse ; personne ne s'aperçut donc de sa disparition, que seul Eléazar connut. Crassus donc la prit, assurant qu’il ne toucherait à rien d'autre dans le Temple : puis il viola son serment et emporta tout l'or qui se trouvait dans le sanctuaire.

  1. Il ne faut pas s'étonner qu'il y eût autant de richesse dans notre Temple ; tous les Juifs de la terre et tous ceux qui honorent notre Dieu[58]. aussi bien en Asie qu'en Europe, contribuaient depuis

longtemps à l'enrichir. Et les témoins ne manquent pas pour affirmer l'importance des richesses dont j'ai parlé plus haut ; que l'on ne croie donc pas qu'en les estimant à une telle valeur, nous cédions à un désir de vantardise et de gloriole. Nous avons pour nous le témoignage de nombre d'écrivains, entre autres Strabon le Cappadocien, qui s'exprime en ces termes : « Mithridate envoya à Cos des émissaires qui s'emparèrent des richesses que la reine Cléopâtre y avait

 

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déposées, et des huit cents talents des Juifs. » Or nous n'avons d'autres richesses publiques que celles qui sont consacrées à Dieu, et il est évident que ces sommes avaient été transportées par les Juifs d'Asie à Cos par crainte de Mithridate : car il est peu vraisemblable que les Juifs de Judée, qui avaient une ville fortifiée et le sanctuaire, eussent envoyé de l'argent à Cos ; d'autre part, il est difficile de croire que la chose ait été faite par les Juifs habitant Alexandrie, lesquels n'avaient rien à craindre de Mithridate[59]. Le même Strabon, dans

un autre passage, témoigne qu'au temps où Sylla passa en Grèce pour aller combattre Mithridate et envoya Lucullus réprimer la révolte de ses compatriotes à Cyrène[60], les Juifs remplissaient le monde.

Voici ce qu'il dit : « Il y avait à Cyrène quatre (classes) : les citoyens, les laboureurs, les métèques et les Juifs. Ceux-ci ont déjà envahi toutes les cités, et l'on trouverait difficilement dans le monde un endroit où ce peuple n'ait été accueilli et ne soit devenu le maître[61].

La Cyrénaïque, placée sous la même domination que l'Egypte, a suivi son exemple sur bien des points et notamment en accueillant avec faveur les colonies juives, qui s'y sont multipliées en observant leurs lois nationales. En Egypte, on assigne aux Juifs une résidence à part. et tout un quartier d'Alexandrie est réservé à ce peuple. Ils ont même à leur tête un ethnarque, qui gouverne la nation, décide les contestations, et s'occupe des contrats et des ordonnances, comme s'il était le chef d'un gouvernement autonome. Si ce peuple a pris en Égypte une pareille importance, c'est que les Juifs étaient à l'origine des Égyptiens et se sont établis dans le voisinage du pays qu'ils quittaient ; et s'ils se répandirent en Cyrénaïque, c'est qu'elle aussi était limitrophe de l'Égypte, comme la Judée, ou plutôt faisait autrefois partie de ce royaume. » Voilà ce que dit Strabon.

3. Crassus, après avoir tout réglé à son gré, marcha contre les

Parthes ; mais il fut défait et périt avec toute son armée, comme on l'a raconté ailleurs[62]. Cassius put s'enfuir en Syrie, s'en arrogea le

gouvernement et tint tête aux Parthes qui voulaient l'envahir, enhardis par leur victoire sur Crassus. Ensuite, étant revenu à Tyr, il passa de là en Judée. Il attaqua aussitôt Tarichées[63], s'en empara, fit environ

trente mille esclaves, et mit à mort Peitholaos, qui avait succédé à Aristobule comme chef de la rébellion ; il le fit à l'instigation d'Antipater, qui avait sur lui une très grande influence, et qui était alors en grande considération aussi auprès des Iduméens (?) ; il épousa une femme de cette nation, une Arabe d'une naissance distinguée[64], nommée Cypros, et en eut quatre fils Phasaël,

Hérode, qui fut roi plus tard, Joseph et Phéroras, ainsi qu'une fille,

 

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Salomé. Antipater noua aussi des relations d'amitié et d'hospitalité avec les princes voisins, notamment celui des Arabes, auquel il confia ses enfants lorsqu'il était en guerre contre Aristobule. - Après cela Cassius leva le camp[65] et marcha en toute hâte vers l'Euphrate,

pour s'opposer aux ennemis qui arrivaient de ce côté, comme d'autres historiens l'ont raconté.

4. Quelque temps après, César, resté maître de Rome, par la fuite de Pompée et du sénat au delà de la mer Ionienne[66], rendit la liberté à

Aristobule et résolut de l'envoyer en Syrie avec deux légions, pour y rétablir l'ordre, comme il en était capable. Mais Aristobule ne put réaliser aucune des espérances qu’il avait conçues en recevant le pouvoir des mains de César : les partisans de Pompée le prévinrent en l'empoisonnant. Les amis de César l'ensevelirent, et le cadavre resta longtemps conservé dans du miel[67], jusqu'au jour où Antoine le

renvoya en Judée et le fit déposer dans les tombeaux royaux. Scipion[68], sur l'ordre que lui envoya Pompée de mettre à mort

Alexandre, fils d'Aristobule, reprocha au jeune homme tous ses anciens torts à l'égard des Romains, et le fit décapiter à Antioche. Les autres enfants d'Aristobule[69] furent recueillis par Ptolémée fils de

Mennaios, qui régnait à Chalcis, au pied du mont Liban[70]. Ce

prince envoya son fils Philippion à Ascalon auprès de la veuve d'Aristobule et l'invita à lui confier son fils Antigone et ses filles, dont l'une, Alexandra, devint la femme de Philippion, qui s'en était épris. Plus tard, Philippion fut tué par son père Ptolémée[71], qui

épousa alors Alexandra, et resta le protecteur du frère et de la soeur de celle-ci.

VIII[72]

1-3. Secours prêtés à César en Égypte par Antipater et les Juifs. - 4. Antigone accuse Antipater devant César. - 5. Décrets des Romains et des Athéniens pour Hyrcan.

1. Après sa victoire sur Pompée et la mort de celui-ci[73], César dans

sa guerre d'Égypte eut fort à se louer des bons offices d'Antipater, administrateur de Judée, agissant par ordre d'Hyrcan[74]. Comme

Mithridate de Pergame, qui amenait des renforts à César, ne pouvait forcer le passage de Péluse, et s'arrêtait auprès d'Ascalon, Antipater vint à la tête de trois mille hoplites Juifs, et détermina les chefs d'Arabie à fournir également leur concours. Ce fut aussi grâce à lui

 

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que de toutes les parties de la Svrie arrivèrent des renforts, personne ne voulant se laisser distancer en empressement à l'égard de César : tels le dynaste Jamblique. Ptolémée, fils de Soaimos, qui habitait le Liban[75], et presque toutes les villes. Mithridate, parti de Syrie,

arriva à Péluse, et comme les habitants refusaient de le recevoir, il mit le siège devant la ville, Antipater se distingua entre tous il put faire une brèche dans la muraille, et ouvrit ainsi le chemin aux troupes pour envahir la ville. C'est ainsi que Péluse fut prise. Cependant les Juifs habitant le territoire dit d'Onias voulurent empêcher Antipater et Mithridate de rejoindre César. Antipater arriva à les persuader de se rallier à la cause de l'envahisseur, à l'exemple de leurs compatriotes. surtout en leur montrant les instructions du grand-prêtre Hyrcan, qui les priait d'être les amis de César, d'accueillir son armée et de lui fournir tout le nécessaire. Quand les Juifs virent qu'Antipater et le grand-prêtre étaient d'accord, ils obéirent ; les habitants de Memphis[76], apprenant qu'ils s'étaient ralliés à César,

appelèrent à leur tour Mithridate ; celui-ci se rendit à leur appel et se les adjoignit également.

  1. Il avait déjà parcouru toute la région qu'on appelle le Delta, quand il rencontra l'ennemi près de l'endroit appelé le camp des Juifs[77].

Mithridate commandait l'aile droite et Antipater l'aile gauche. Une fois le combat engagé, l'aile de Mithridate faiblit, et eût couru les plus grands dangers si Antipater, qui avait déjà vaincu l'ennemi de son côté, n'était accouru parles bords du fleuve avec ses soldats, et n'avait tiré Mithridate de ce mauvais pas et mis en déroute les Égyptiens vainqueurs. Il les poursuivit avec ardeur, s'empara de leur camp et rappela Mithridate, qui avait été repoussé fort loin : Mithridate perdit huit cents hommes, Antipater quarante[78]. Mithridate écrivit à César

à ce sujet, déclarant qu'il devait la victoire et son propre salut à Antipater ; aussi César envoya-t-il à celui-ci des éloges et l'employa-t-il pendant toute la guerre dans les missions les plus périlleuses; Antipater fut même blessé en différents combats.

  1. Avec le temps, César termina la guerre et fit voile pour la Svrie. Il combla d'honneurs Hyrcan, auquel il confirma la grande prêtrise, et Antipater, auquel il accorda le titre de citoyen à Rome et l'exemption d'impôts en tout pays. Beaucoup prétendent qu'Hyrcan prit part à l'expédition et alla en Égypte, et je trouve dans Strabon de Cappadoce la confirmation de cette assertion ; il s'exprime, en effet, sur la foi d'Asinius[79], en ces termes : « Après que Mithridate et Hyrcan,

grand-prêtre des Juifs, eurent envahi l'Égypte ». Ce même Strabon

 

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s'exprime ailleurs comme il suit, sur l'autorité d'Hypsicratès[80] :

« Mithridate partit seul, mais Antipater, administrateur de Judée, appelé par lui à Ascalon, lui amena trois mille soldats de renfort et lui gagna les autres dynastes ; le grand-prêtre Hyrcan prit aussi part à l'expédition. » Tel est le récit de Strabon.

  1. Antigone, fils d'Aristobule, se rendit alors auprès de César, déplorant le sort de son père et de son frère, l'un empoisonné, l'autre décapité par Scipion, par la faute de César, et il demandait pitié pour lui-même, qui avait été chassé du pouvoir ; il incriminait aussi Hyrcan et Antipater, qu'il accusait de gouverner le peuple par la violence et d'avoir à son égard violé la loi[81]. Antipater, qui était

présent, réfuta l'accusation sur les points qui le concernaient ; il dénonça Antigone et les siens comme agitateurs et fauteurs de troubles, rappela toutes ses peines, l'aide donnée à César dans ses campagnes, mentionnant des faits d'armes dont celui-ci avait été témoin. Il dit qu'Aristobule avait été à bon droit déporté à Rome, car il avait toujours été l'ennemi des Romains et ne s'était jamais montré bien disposé pour eux ; que le frère d'Antigone n'avait reçu de Scipion que le châtiment qu'il méritait par ses brigandages, et n'avait été en cela victime ni de la violence ni de l'injustice.

  1. Après ce discours d'Antipater, César nomma Hyrcan grand-prêtre, et permit à Antipater de choisir le gouvernement qu'il voudrait. Celui-ci s'en étant remis à lui sur ce point, César le nomma procurateur de Judée. Il permit aussi à Hyrcan, qui lui demanda cette faveur[82], de

relever les murs de sa patrie : car ils étaient encore en ruines depuis que Pompée les avait jetés bas. Puis il manda aux consuls à Rome d'avoir à inscrire ces dispositions au Capitole[83]. Le décret rendu

par le sénat est conçu en ces termes[84] : « Lucius Valerius, fils de Lucius, préteur[85], a proposé cette décision au sénat, aux ides de décembre, dans le Temple de la Concorde[86]. Etaient présents,

quand fut rédigé le décret, Lucius Coponius, fils de Lucius, de la tribu Collina, et ... Papirius fils de ... de la tribu Quirina. Au sujet des choses dont nous ont entretenus Alexandre[87], fils de Jason,

Numenius, fils d'Antiochus, et Alexandre, fils de Dorothéos, ambassadeurs des Juifs, hommes justes et fidèles alliés, lesquels ont renouvelé l'assurance déjà donnée jadis de leur reconnaissance et de leur amitié pour les Romains, apporté, en signe d'alliance, un bouclier d'or du poids de cinquante mille pièces d'or[88], et demandé qu'on

leur donnât des lettres pour les villes indépendantes et pour les rois, afin que leur territoire et leurs ports aient toute sécurité et n'aient à

 

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souffrir aucune injustice[89], - Nous avons décidé de faire amitié et

alliance avec eux, de leur accorder tout ce qu'ils demandaient, et d'accepter le bouclier qu'ils apportaient. » Cela se passa sous le grand-prêtre et ethnarque Hyrcan, l'an 9, au mois de Panémos[90].

Hyrcan reçut aussi de grandes marques d'honneur du peuple athénien, auquel il s'était également rendu très utile. Les Athéniens lui envoyèrent un décret conçu en ces termes[91] : « Dionysios, fils

d'Asclépiadès, étant prytane et prêtre, le cinquième jour avant la fin

du mois Panémos, fut remis aux stratèges ce décret des Athéniens[92]. - Sous l’archontat d’Agathoclès[93] ... Euclès, fils de

Xenandros[94], du dème d'Aithalé, remplissant les fonctions de

greffier, le onzième jour du mois de Munychion, [le onzième jour] de la prytanie, dans l'assemblée tenue au théâtre, les suffrages ayant été recueillis par Dorothée fils de..., d'Erkhia, président des proèdres et ses collègues, voici la décision prise par le peuple. Dionysios, fils de Dionysios, du dème de..., a proposé : Attendu que Hyrcan, fils d'Alexandre[95], grand-prêtre et ethnarque (des Juifs), fait preuve

d'une constante bienveillance pour tout notre peuple en général et pour chacun des citoyens en particulier, montrant pour eux toute la sollicitude possible; qu'il reçoit avec amitié ceux des Athéniens qui se rendent chez lui, soit en ambassade, soit pour leurs affaires personnelles, et les renvoie après avoir pris soin que leur retour s'effectue en toute sécurité : attendu que nombre de témoignages ont déjà établi ces faits quand nous fûmes saisis[96] de la question par

Théodotos[97], fils de Diodoros, de Sunium, qui a rappelé au peuple

le mérite de cet homme et son désir de nous servir de son mieux, - Plaise maintenant au peuple de lui décerner une couronne d'or comme récompense, suivant la loi[98], et de dresser sa statue en

bronze dans le sanctuaire du Peuple et des Charites ; la couronne sera proclamée dans le théâtre aux Dionysies, lors de la représentation des nouvelles tragédies, et dans les concours gymniques des Panathénées, des Éleusinies et des (Ptolémaia)[99] ; les stratèges, tant qu'Hyrcan

continuera et persévérera à notre égard dans ses bonnes dispositions, veilleront à ce qu'il éprouve tous les sentiments de déférence et de reconnaissance que nous inspirent sa bienveillance et son zèle : en sorte que ces démonstrations fassent voir que notre peuple réserve le meilleur accueil aux gens de bien, qu'il est prêt à reconnaître comme il convient leurs bons offices, et que tous, en voyant ces marques d'honneur rivalisent de bienveillance à notre endroit[100]. On

choisira enfin parmi tous les Athéniens [trois] envoyés pour porter à Hyrcan ce décret, et le prier d'accepter ces marques d'honneur et de

 

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s'efforcer de toujours faire quel que bien a notre ville.» Ces documents en disent assez sur les marques d'honneur décernées par les Romains et le peuple athénien à Hyrcan.

IX[101]

1-2. Puissance d'Antipater et de ses fils. - 3-5. Procès et fuite d'Hérode.

  1. César, avant réglé les affaires de Syrie, reprit la mer. Antipater, après avoir reconduit César, revint de Syrie en Judée et se mit aussitôt à relever les murs renversés par Pompée ; puis il parcourut tout le pays et réprima partout les troubles, rétablissant la tranquillité par menace ou par persuasion. Les partisans d'Hyrcan, assurait-il, vivraient heureux, jouissant en toute sécurité de leurs biens : quant à ceux qui mettraient encore leur espoir dans une révolution et dans les profits qu'ils compteraient en tirer, ils trouveraient en lui, au lieu d'un patron, un maître, en Hyrcan, au lieu d'un roi, un tyran, en César et les Romains de cruels ennemis et non des chefs, car ils ne supporteraient pas qu'on ébranlât le pouvoir qu'ils avaient eux-mêmes établi. En tenant ces discours Antipater se soumit le pays.
  2. Voyant qu'Hyrcan était indolent et lourd, il désigna l'aîné de ses propres fils, Phasaël, comme préfet de Jérusalem et du territoire environnant, et confia la Galilée au suivant, Hérode, encore extrêmement jeune : il n'avait en effet que quinze ans[102]. Sa

jeunesse ne lui fit pourtant aucun tort : comme il avait un caractère énergique, le jeune homme trouva tout de suite l'occasion de montrer ce qu'il valait. Ayant appris qu'Ezéchias, chef de brigands, parcourait à la tête d’une forte bande les frontières de Syrie, il l'attaqua et le tua avec bon nombre des brigands qui l'accompagnaient. Cet exploit lui valut l'attachement des Syriens, car il exauça leur désir d'être débarrassés du brigandage. Aussi dans les villages et dans les villes les habitants célébraient ses louanges, pour leur avoir rendu la paix et la paisible jouissance de leurs biens. C'est ce qui attira aussi sur lui l'attention de Sextus César, parent du grand César, et gouverneur de Syrie. Les hauts faits d'Hérode excitèrent l'émulation de son frère Phasaël, qui, stimulé par cette renommée, s'efforça de ne pas rester en arrière et d'en acquérir une semblable ; il se concilia l'affection des habitants de Jérusalem : maître de la ville, il la gouverna sans se comporter durement et sans abus de pouvoir. Antipater y gagna, de la part du peuple, le respect qu'on témoigne aux rois, et des honneurs

 

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comme en reçoit un maître tout-puissant. Et cependant, malgré toute la gloire qu'il en retirait, jamais, contrairement à ce qui arrive souvent, il ne se départit de son attachement et de sa fidélité à l'égard d'Hyrcan.

  1. Quand les principaux des Juifs virent que le pouvoir d'Antipater et de ses fils allait grandissant grâce à l'affection que leur portait le peuple, aux revenus de la Judée et aux richesses d'Hyrcan, ils furent fort indisposés contre lui. Antipater avait fait amitié avec les généraux romains, et, après avoir persuadé Hyrcan de leur envoyer de l'argent, il avait détourné le présent à son honneur en l'envoyant comme son don personnel, et non celui d'Hyrcan. Hyrcan, lorsqu'il apprit le fait, ne s'en inquiéta pas et témoigna même sa satisfaction, mais les premiers des Juifs étaient remplis de crainte, en voyant Hérode, violent et audacieux, aspirer à la tyrannie. Ils se rendirent donc auprès d'Hyrcan et accusèrent ouvertement Antipater. « Jusqu'à quand, dirent-ils, supporteras-tu sans t'émouvoir ce qui se passe ? ne vois-tu pas qu'Antipater et ses fils possèdent en réalité le pouvoir et que tu n'as plus de la royauté[103] que le titre ? Il ne faut pas que tu

l'ignores, ni que tu t’imagines que ton insouciance pour tes propres affaires et pour la royauté ne présente aucun danger ; car Antipater et ses fils ne sont plus maintenant les simples administrateurs de tes affaires, - ne te livre pas à cette illusion - on les reconnaît ouvertement pour maîtres. Ainsi, son fils Hérode a tué Ezéchias et plusieurs de ses compagnons, en violation de notre loi, qui interdit de donner la mort à un homme, fût-il un criminel, s'il n'a été auparavant condamné à cette la peine par le Conseil[104] ; et il a osé le faire sans

t'en avoir demandé permission. »

  1. Hyrcan se laissa convaincre par ces discours. Sa colère fut encore excitée par les mères des victimes d'Hérode : celles-ci, en effet, venaient tous les jours au Temple, demandant au roi et au peuple qu'Hérode vint rendre compte de ses actes devant le Conseil. Hyrcan, ébranlé par leurs plaintes, cita Hérode pour répondre aux accusations portées contre lui. Hérode vint. Son père lui conseilla de se présenter, non comme un simple particulier, mais avec des sûretés et une garde du corps. Aussi, après avoir arrangé les affaires de Gaulée de la manière qu'il jugeait utile à ses intérêts, Il se fit accompagner d'une escorte suffisante pour le voyage, de telle sorte qu'il n'effrayait pas Hyrcan, en se faisant suivre d'une troupe trop nombreuse, et qu'il n'arrivât cependant ni désarmé ni sans gardes, pour comparaître en justice. Cependant Sextus (César), gouverneur de Syrie, écrivit à Hyrcan pour l'inviter à absoudre Hérode, ajoutant des menaces pour

 

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le cas où on lui désobéirait. Cette lettre de Sextus fournissait à Hyrcan un bon prétexte pour renvoyer Hérode sans qu'il fût inquiété par le Conseil car il l'aimait comme un fils. Quand Hérode se présenta au Conseil avec son escorte, il en imposa d'abord à tous, et aucun de ceux qui le décriaient avant son arrivée n'osa plus soutenir l'accusation personne ne bougea, on ne savait à quoi se résoudre. Telle était la situation, lorsqu’un certain Saméas, homme juste et par conséquent au-dessus de toute crainte, se leva et dit : « Conseillers et vous, roi, jamais je n'ai vu aucun des hommes appelés par vous en justice avoir pareille attitude, et je ne suppose pas que vous puissiez de votre côté citer un tel exemple. Quiconque arrive devant cette assemblée pour être jugé se présente humble, dans l'attitude d'un homme craintif, implorant notre pitié, la chevelure longue, revêtu de vêtements noirs. Et cet excellent Hérode, prévenu de meurtre, et cité sous ce chef d'accusation, comparait drapé dans la pourpre, la tête ornée d'une coiffure savante, entouré de soldats, afin que, si, obéissant à la loi, nous le condamnons, il puisse nous tuer et se sauver en violant le droit. Je ne fais aucun reproche à Hérode s'il met ainsi son propre intérêt au-dessus de la légalité ; c'est à vous que j'en fais, et au roi, pour lui avoir donné pareille licence. Sachez cependant que Dieu est grand, et que cet homme, que vous voulez aujourd'hui absoudre par égard pour Hyrcan, vous châtiera un jour, vous et le roi lui-même. » Sa prédiction se réalisa. Car Hérode, quand il se fut emparé de la royauté, fit mettre à mort tous les membres du Conseil, et Hyrcan lui-même ; il fit exception pour Saméas, car il l'estimait fort pour son honnêteté et pour avoir conseillé aux habitants, plus tard, lors du siège de la ville par Hérode et Sossius, de lui ouvrir les portes, assurant qu'en raison de leurs fautes, ils ne pouvaient lui échapper. Nous parlerons de ces événements en temps utile[105].

5. Quand Hyrcan vit les membres du Conseil pencher vers la condamnation à mort d'Hérode, il renvoya le jugement à un autre jour. Puis il dépêcha secrètement un messager à Hérode pour lui conseiller de s'enfuir de la ville, seul moyen d'échapper au danger[106]. Hérode se réfugia à Damas, comme s'il fuyait le roi, se

rendit auprès de Sextus César, et, une fois en sûreté, décida, si le Conseil le citait encore en justice, de ne pas obéir. Les membres du Conseil, vivement irrités, essayèrent de persuader Hyrcan que tout cela était dirigé contre lui. Hyrcan s'en rendit bien compte, mais ne sut prendre aucune décision tant par faiblesse que par sottise. Sextus nomma Hérode préfet de la Cœlé-Syrie[107], charge qu'il lui vendit à

prix d’argent ; Hyrcan fut alors saisi de la crainte qu’Hérode ne partît en guerre contre lui. Ses craintes ne tardèrent pas à se réaliser :

 

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Hérode vint à la tête d'une armée, irrité d'avoir été l’objet de poursuites et convoqué pour se justifier devant le Conseil. Cependant son père Antipater et son frère vinrent à sa rencontre et l'empêchèrent d'attaquer Jérusalem ; ils calmèrent son élan[108], le suppliant de ne

se porter à aucune extrémité, et de se contenter de frapper de terreur ses ennemis par ses menaces, sans pousser plus loin les choses contre un homme auquel il devait la situation qu'il occupait. S'il s'indignait au sujet de sa citation en justice, il ne devait pas oublier sa mise hors de cause, qui lui imposait de la reconnaissance ; il n'était pas juste d'en vouloir à Hyrcan de sa rigueur et de ne pas lui savoir gré de l'avoir sauvé : il devait considérer que, si les chances de la guerre sont dans les mains de Dieu, l’injustice emporte la balance sur le talent militaire[109], et qu’il ne pouvait trop compter sur la victoire,

attaquant un homme qui était son roi, son ami, son bienfaiteur, qui ne lui avait jamais fait aucun mal ; quant aux griefs d'Hérode, c'étaient les mauvais conseillers d'Hyrcan et non Hyrcan lui-même à qui il devait s'en prendre de ce qui n'était qu’une ombre et un soupçon d'hostilité. Hérode se laissa persuader, prouvant qu'il suffisait, en vue de ses espérances secrètes, d'avoir montré au peuple sa puissance. Telle était la situation en Judée.

X[110]

1. Ambassade d'Hyrcan à Rome. - 2-7. Décrets de César en faveur des Juifs. - 8. Lettre d'un proconsul aux Pariens en faveur des Juifs. - 9-10. Sénatus-consulte ratifiant un décret posthume de César en leur faveur. - 11-12. Décret de Dolabella exemptant les Juifs d'Asie du service militaire. - 13-19. Décrets de Lentulus et des villes grecques dans le même sens (15. Lettre du préteur Fannius aux gens de Cos). – 20. Décret de Laodicée. 21. Lettre du proconsul Galba aux Milésiens. - 22-25. Décrets de Pergame, Halicarnasse, Sardes et Milet. - 26. Conclusion.

1. Comme César, revenu à Rome, s'apprêtait à s'embarquer pour l'Afrique, où il devait combattre Scipion et Caton[111], Hyrcan lui

envoya demander de resserrer les liens d'amitié et d'alliance qui l'unissaient à lui[112]. Je crois nécessaire d'enregistrer ici toutes les

marques d'honneur et d'alliance accordées par les Romains et leurs chefs à notre peuple, afin que nul n'ignore que les rois tant d'Asie que d'Europe nous eurent en haute estime, et firent grand cas de notre valeur et de notre fidélité[113]. Beaucoup de gens mal disposés pour

 

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nous refusent de croire les décrets des Perses et des Macédoniens à notre sujet, attendu que ces témoignages ne se trouvent pas partout et dans tous les lieux publics, mais ne sont conservés que chez nous et chez quelques autres peuples barbares ; au contraire, il est impossible d'opposer aucun démenti aux décrets des Romains, car ils se trouvent dans des endroits publics des villes, et sont gravés encore maintenant[114] sur des tables de bronze déposées au Capitole, et

même Jules César fit dresser pour les Juifs d'Alexandrie une stèle en bronze, publiant qu’ils étaient citoyens dans cette ville[115]. Je

citerai donc les décrets rendus par le Sénat et par Jules César en faveur d'Hyrcan et de notre peuple.

  1. (I) « Caïus Julius César, général en chef, grand pontife, dictateur pour la seconde fois[116], aux magistrats, au Conseil et au peuple de

Sidon, salut[117]. Si vous allez bien, à merveille ; moi et l'armée

sommes en bonne santé. Je vous envoie, pour la placer dans vos archives publiques, la copie du décret gravé sur une table (de bronze), concernant Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs. Je veux qu'il soit inscrit, en grec et en latin, sur une table de bronze. Le voici. Moi, Jules César, général en chef, grand pontife, [dictateur] pour la seconde fois[118], voici ce que j'ai décidé, avec

l'assentiment de mon Conseil[119] : Attendu qu'Hyrcan, fils

d'Alexandre, Juif, actuellement et dans le passé, dans la paix comme dans la guerre, a toujours fait preuve à notre égard de fidélité et de zèle, comme en ont témoigné nombre de généraux : que tout récemment dans la guerre d'Alexandrie il vint, à mon secours avec quinze cents soldats[120], et envoyé par moi auprès de

Mithridate[121], surpassa tous les chefs (?)[122] en bravoure : pour

ces raisons je veux qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, et ses descendants soient ethnarques des Juifs et détiennent à perpétuité la grande-prêtrise des Juifs, suivant les coutumes de leur nation : qu'ils soient comptés, lui et ses enfants, au nombre de nos alliés et de nos amis nominativement désignés ; que lui et ses enfants conservent tous les privilèges sacerdotaux et pécuniaires[123] établis par leurs lois

nationales ; et si quelque dissentiment s'élève sur la coutume des Juifs, je veux qu'ils en soient juges. J'interdis que les troupes prennent chez eux leurs quartiers d'hiver ou qu’on exige d'eux de l'argent. »

  1. (II). « Voici les décisions, autorisations, concessions, de Caïus César, général en chef et consul : [Hyrcan fils d'Alexandre et] ses descendants régneront sur le peuple juif et jouiront de tous les territoires à eux concédés ; le grand-prêtre et ethnarque sera le

 

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protecteur de ceux des Juifs qui seront lésés[124]. On enverra à

Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre des Juifs, des ambassadeurs, porteurs de paroles d'amitié et d'alliance. Une table de bronze contenant ces dispositions, gravées en latin et en grec, sera déposée dans le Capitole, et à Sidon, à Tyr, à Ascalon dans les temples[125].

Ce décret sera porté à la connaissance de tous les trésoriers et gouverneurs des villes' et de tous nos amis. Les envoyés recevront les présents d'hospitalité, et ces dispositions seront notifiées partout[126]. »

  1. (III). « Caïus César, général en chef, dictateur, consul, en raison de l'estime dont jouit Hyrcan, fils d'Alexandre, fie son mérite, de son humanité, lui concède pour lui et ses descendants, dans l'intérêt du Sénat et du peuple romain, la dignité de grand-prêtre [et ethnarque][127] de Jérusalem et du peuple Juif, avec les droits et les

prérogatives sous lesquels leurs ancêtres ont détenu la grande-prêtrise[128]. »

  1. (IV) « Caïus César, consul pour la cinquième fois[129], a décidé qu'ils[130] posséderaient et entoureraient de murailles la ville de Jérusalem[131] ; qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et

ethnarque des Juifs, l'occuperait comme il l'entendrait. Les Juifs, la seconde (?) année de la ferme de l'impôt, seront dispensés...[132] ;

personne ne pourra (alors) les prendre à entreprise ni leur faire payer les mêmes impôts. »

  1. (V). « Caïus César, général en chef, [dictateur] pour la seconde fois[133], a décidé que chaque année les Juifs[134] paieront un tribut

pour la ville de Jérusalem [et le reste de leur territoire] excepté Jopé, sauf tous les sept ans, en l'année que les Juifs appellent sabbatique, puisqu'ils ne cueillent pas cette année-là les fruits des arbres et ne font pas de semailles. Ils payeront le tribut à Sidon le deuxième [mois][135], le quart de ce qui aura été semé ; ils payeront, en outre,

à Hyrcan et à ses descendants la dîme qu'ils ont payée à ses ancêtres. Personne, magistrat ou promagistrat[136], préteur ou légat, ne pourra

lever sur le territoire juif des troupes auxiliaires ; il est interdit aux soldats de demander aux Juifs des contributions, soit pour les quartiers d’hiver, soit sous tout autre prétexte ; les Juifs resteront indemnes de toute exigence... (V bis)[137] Et tous les biens qu'après

cette date ils ont pu posséder, détenir, acheter, leur appartiendront. La ville de Jopé, que les Juifs possédaient dès le début de leur alliance

 

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avec les Romains[138], leur appartiendra comme auparavant, c’est notre volonté ; Hyrcan, fils d'Alexandre, et ses fils payeront[139]

pour cette ville et prélèveront sur les habitants, à titre de droits d'exportation du port et du pays, vingt mille six cent soixante quinze boisseaux, payables tous les ans à Sidon, sauf chaque septième année, l'année dite sabbatique où les Juifs ne labourent pas et ne cueillent pas les fruits des arbres. Quant aux villages situés dans la grande plaine[140] et qu'Hyrcan et ses ancêtres avant lui occupaient, la

volonté du Sénat[141] est qu'ils appartiennent à Hyrcan et aux Juifs

dans les conditions où ils les ont possédés autrefois. Les anciens droits réglant les rapports des Juifs et de leurs grands-prêtres et prêtres subsisteront> ainsi que les bienfaits qu'ils tiennent d'un vote du peuple et du Sénat. Outre (?) ces droits ils pourront se servir de...[142]. Et tous les territoires, localités, villages, dont les rois de

Syrie et de Phénicie[143], alliés des Romains, ont eu par concession

gratuite la jouissance, appartiendront, par décision du Sénat, à l'ethnarque Hyrcan et aux Juifs. Il est accordé à Hyrcan et à ses descendants et aux ambassadeurs envoyés par lui le privilège d'assister aux luttes de gladiateurs et aux combats de bêles assis parmi les sénateurs ; s'ils adressent au dictateur ou au maître de la cavalerie une demande pour comparaître devant le Sénat, ils seront introduits, et réponse leur sera donnée dans un délai de dix jours, à partir du vote du décret. »

  1. (VI)[144]. « Caïus César, général en chef, dictateur pour la

quatrième fois, consul pour la cinquième fois, dictateur désigné à vie, a parlé en ces termes au sujet des droits d'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs : Les généraux qui m'ont précédé dans les provinces ayant porté bon témoignage à Hyrcan, grand-prêtre des Juifs et aux Juifs, devant le peuple et le Sénat, et le peuple et le Sénat leur ayant manifesté leur reconnaissance, nous croyons bon à notre tour de nous souvenir d'eux et de pourvoir à ce que Hyrcan, le peuple juif et les enfants d'Hyrcan reçoivent du Sénat et du peuple romain un témoignage de gratitude digne de leurs bonnes dispositions à notre égard et des services qu'ils nous ont rendus. »

  1. (VII). « N...[145], préteur proconsul[146] des Romains. aux magistrats, au Conseil et au peuple des Pariens[147], salut. Les Juifs

de Délos sont venus me voir, avec quelques-uns des Juifs domiciliés chez vous, et, en présence de vos envoyés, m'ont exposé que vous leur interdisiez par décret l'usage de leurs coutumes et de leur religion nationales. Il ne me plait pas que de semblables décrets soient rendus

 

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contre nos amis et alliés, qu'on leur interdise de vivre suivant leurs coutumes, de réunir de l'argent pour des repas en commun et des cérémonies, alors qu'à Rome même on ne les empêche pas de le faire. Car lorsque Caïus César, notre général en chef[148], a interdit par

ordonnance la formation d'associations à Rome, les Juifs sont les seuls qu'il n'ait pas empêchés de réunir de l'argent ou de faire des repas en commun. De même moi aussi, interdisant toutes les autres associations, j'autorise les Juifs seuls à vivre suivant leurs coutumes et lois nationales, et à se réunir dans des banquets. Quant à vous, si vous avez pris quelque décret contre nos amis et alliés, il est opportun que vous le rapportiez, en raison des services qu'ils nous ont rendus et de leurs bonnes dispositions à notre égard. »

  1. Après la mort de César[149], Marc Antoine et Publius Dolabella,

qui étaient consuls, réunirent le Sénat, et ayant introduit les envoyés d'Hyrcan, prirent la parole sur leurs demandes, et firent amitié avec eux ; le Sénat vota qu'on leur accordât tout ce qu'ils désiraient. Je cite également ce décret afin que les lecteurs de cette histoire aient sous les yeux la preuve de ce que j'avance. Le voici :

  1. (VIII)[150]. « Sénatus-consulte tiré du trésor, copié sur les tables

publiques de la questure ; Quintus Rutilius, Quintus Cornélius étant

questeurs urbains; table deuxième, première tablette.

« Trois jours avant les ides d'avril[151], dans le Temple de la

Concorde. Étaient présents à la rédaction Lucius Calpurnius Pison, [fils de Lucius], de la tribu Menenia, Servius Papinius....[152]

Quintus, de la tribu Lemonia, Caïus Caninius Rebilus, [fils de Caïus], de la tribu Teretina, Publius Tidetius[153], fils de Lucius, de la tribu

Pollia, Lucius Apuleius, fils de Lucius, de la tribu Sergia, [Lucius], Flavius, fils de Lucius, de la tribu Lemonia, Publius Plautius [Hypsaeus], fils de Publius, de la tribu Papiria, Marcus Asellius[154],

fils de Marcus, de la tribu Mæcia, Lucius Erucius[155], fils de

Lucius, de la tribu Stellatina, Marcus Quintius Plancillus (?), fils de Marcus, de la tribu Pollia, Publius Sergius...

« Publius Dolabella et Marc Antoine, consuls, ont pris la parole. - Sur les décisions relatives aux Juifs prises par Calus César de l'avis du Sénat, qu'il n'a pas eu le temps de déposer aux archives du trésor public, notre volonté est qu’il soit fait suivant l'opinion des consuls Publius Dolabella et Marc Antoine : que ces décisions soient portées sur les tables et communiquées aux questeurs urbains afin qu'eux

 

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aussi prennent soin de les porter sur les diptyques.

La date en est[156] cinq jours avant les ides de février, dans le temple

de la Concorde. Les envoyés du grand-prêtre Hyrcan étaient : Lysimaque, fils de Pausanias, Alexandre, fils de Théodore, Patrocle, fils de Chæréas, Jonathas, fils d'Onias.

  1. Hyrcan envoya aussi l'un de ces ambassadeurs auprès de Dolabella, alors gouverneur d'Asie, pour le prier de dispenser les Juifs du service militaire, et de leur permettre de conserver leurs coutumes nationales et d'y conformer leur vie. Il l'obtint sans peine, car Dolabella, au reçu de la lettre d'Hyrcan, sans même délibérer, donna ses instructions à tous les habitants de la province, et écrivit à la ville d'Éphèse, première de l'Asie, une lettre au sujet des Juifs conçue en ces termes :
  2. (IX)[157]. « Artémon étant prytane, le premier du mois Lénœon[158]. Dolabella, général en chef, aux magistrats, au Conseil

et au peuple d'Éphèse, salut. Alexandre, fils de Théodore, ambassadeur d'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs, m'a déclaré que ses compatriotes ne pouvaient faire de service militaire parce qu'ils ne peuvent porter les armes, ni faire de marches les jours de sabbat, ni s'approvisionner des aliments que commandent leurs lois et leurs coutumes[159]. Je leur accorde donc,

comme l'ont fait mes prédécesseurs, l'exemption de service et je les autorise à observer leurs coutumes nationales, ainsi qu'à se réunir pour célébrer leur culte et leurs cérémonies comme leur loi le leur prescrit, et pour recueillir les contributions destinées aux sacrifices. Et je désire que vous transmettiez aux autres villes cette lettre. »

  1. Telles furent les faveurs accordées par Dolabella à nos compatriotes, à la suite de l'ambassade d'Hyrcan. (X) Et Lucius Lentulus, consul[160], dit : « J'ai exempté du service militaire, à

Éphèse, devant le tribunal, pour motif d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains[161], qui observent et célèbrent le culte juif ; le

douzième jour avant les Calendes d'octobre (?), Lucius Lentulus et Calus Marcellus étant consuls[162]. Etaient présents Titus

Ampius[163] Balbus, fils de Titus, de la tribu Horatia, légat, Titus Tongius, fils de Titus, de la tribu Crustumina, Quintus Cæsius[164],

fils de Quintus, Titus Pompeius Longinus, fils de Titus, Caïus Servilius Bracchus, fils de Caïus, de la tribu Teretina, tribun militaire,

 

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Publius Clusius Gallus, fils de Publius, de la tribu Veturia, Caïus Sentius, fils de Caïus...., de la tribu Sabbatina. »

(X bis) Titus Ampius Balbus, fils de Titus, légat propréteur, aux magistrats, au Conseil et au peuple d'Éphèse, salut. Lucius Lentulus, consul, sur mon intervention, a exempté les Juifs d'Asie[165] du

service militaire. Ayant ensuite adressé la même demande d'exemption à Fannius, propréteur, et à Lucius Antonius, proquesteur, j'ai obtenu satisfaction ; et je désire que vous preniez vos mesures pour que personne ne leur suscite d'embarras. »

  1. (XI) Décret des Déliens[166] : « Sous l'archontat de Bœotos, le 20 du mois de Thargélion[167], motion des stratèges. Marcus Pison,

légat, résidant dans notre ville et préposé au recrutement, nous ayant convoqués avec des citoyens de marque, nous a enjoint, s'il y a parmi nous des Juifs citoyens romains, de ne point les tracasser au sujet du service militaire, attendu que le consul Lucius Cornélius Lentulus, pour des motifs d'ordre religieux, a exempté les Juifs du service. Nous devons donc obéir au général. » (XII) Les habitants de Sardes ont rendu à notre sujet un décret analogue.

  1. (XIII). « Caïus Fannius, fils de Caïus, préteur, proconsul[168],

aux magistrats de Cos, salut. Je veux que vous sachiez que des ambassadeurs des Juifs se sont présentés à moi et m'ont demandé de leur remettre les décrets rendus a leur sujet par le Sénat. Les dispositions en sont ci-jointes. Je veux donc que vous preniez soin de ces hommes conformément aux décisions du Sénat, afin qu'ils puissent rentrer dans leur pays sans difficulté en traversant votre territoire[169]. »

  1. (XIV) Lucius Lentulus, consul, a dit : « J'exempte du service, pour motifs d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains qui m'ont paru observer et pratiquer les rites juifs à Éphèse. Fait le douzième jour avant les Calendes de Quintilis[170]. »
  2. (XV). « Lucius Antonius, fils de Marcus, proquesteur et propréteur[171], aux magistrats, au Conseil et au peuple de Sardes,

salut. Les Juifs citoyens romains[172] sont venus me remontrer qu'ils

ont eu, de tout temps, leur association particulière, conformément à leurs lois nationales, et leur lieu de réunion particulier, dans lequel ils jugent leurs affaires et leurs contestations ; ils m'ont demandé l'autorisation de conserver cette coutume, et j'ai décidé de le leur

 

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permettre. »

  1. (XVI). Marcus Publius, fils de Spurius, Marcus Lucius, fils de Marcus Publius, disent[173] : « Nous étant rendus auprès de

Lentulus, consul[174], nous lui avons soumis la requête de

Dosithéos, d'Alexandrie, fils de Cléopatridès, en vue d'exempter du service, pour motifs d'ordre religieux, s'il le juge bon, les Juifs citoyens romains qui célèbrent le culte juif : il a accordé cette exemption le douzième jour avant les calendes de Quintilis[175]. »

  1. (XVII)[176]. « Lucius Lentulus et Calus Marcellus étant consuls.

Etaient présents Titus Ampius Balbus, fils de Titus, de la tribu Horatia, questeur, Titus Tongias, de la tribu Crustumina, Quintus Cœsius, fils de Quintus, Titus Pompeius Longinus, fils de Titus, de la tribu Cornelia, Caïus Servilius Bracchus, fils de Caïus, de la tribu Teretina, tribun militaire, Publius Clusius Gallus, fils de Publius, de la tribu Veturia, Caïus Sentius[177], fils de Calus, tribun militaire, de

la tribu Æmilia, tribun militaire, Sextus Atilius Serranus, fils de Sextus, de la tribu Emilia, Calus Pompeius, fils de Caius, de la tribu Sabatina, Titus Ampius Menander, (affranchi) de Titus (Ampius)[178], Publius Servilius Strabon, fils de Publius, Lucius

Paccius Capito, fils de Lucius, de la tribu Couina, Aulus Furius Tertius, fils d'Aulus, Appius (?) Menas. En leur présence Lentulus a décrété : J'exempte, à Éphèse devant le tribunal, de tout service, pour motifs d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains qui pratiquent la religion juive. »

  1. (XVIII)[179]. « Les magistrats de Laodicée à Caïus Rabirius, fils de Caïus, proconsul, salut[180]. Sopater, envoyé du grand-prêtre Hyrcan[181], nous a remis ta lettre, dans laquelle tu nous faisais

savoir que certains envoyés étaient venus de la part d'Hyrcan, grand-prêtre des Juifs, t’apporter une décision écrite[182] concernant leur

peuple, enjoignant qu'on leur permette de célébrer le sabbat et de pratiquer leurs autres rites suivant leurs lois nationales ; qu'en raison de leur amitié et alliance avec nous (Romains), ils n'aient à recevoir d'ordre de personne et n'aient rien à souffrir de personne dans notre province ; ladite lettre ajoutait que, les habitants de Tralles t'ayant déclaré en face leur désapprobation des décisions prises au sujet des Juifs, tu leur avais formellement prescrit de s'y conformer, et que (les Juifs) t'ont prié de nous écrire aussi à ce propos. En obéissance à tes prescriptions, nous avons reçu cette lettre, nous l'avons placée dans

 

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nos archives publiques, et sur tous les autres points de tes instructions, nous prendrons nos mesures pour n'encourir aucun blâme[183]. »

  1. (XIX). « Publius Servilius Galba, fils de Publius, proconsul[184],

aux magistrats, au Conseil et au peuple de Milet, salut. Prytanis, fils d'Hermas, votre concitoyen, est venu me voir à Tralles où je tenais les assises, et m'a appris que contrairement à notre décision vous attaquez les Juifs, que vous les empêchez de célébrer le sabbat et de pratiquer leurs rites nationaux, de préparer leurs récoltes[185] suivant

leurs coutumes, et que lui-même avait rédigé le décret conformément aux lois[186]. Je veux donc que vous sachiez que, les deux parties

entendues contradictoirement, j'ai décidé qu'on ne doit pas interdire aux Juifs de vivre suivant leurs coutumes. »

  1. (XX)[187]. Décret des Pergaméniens. « Cratippos étant prytane,

le premier du mois Daisios, sur la motion des stratèges Attendu que les Romains, suivant l'exemple de leurs ancêtres, affrontent tous les dangers pour la sécurité commune de tous les hommes, et se font gloire d'assurer à leurs alliés et amis la prospérité et une paix solide ; - Attendu que le peuple juif et Hyrcan, son grand-prêtre[188], leur

ayant envoyé en ambassade Straton, fils de Théodotos, Apollonios, fils d'Alexandre, Enée, fils d'Antipater, Aristobule, fils d'Amyntas, Sosipater, fils de Philippe[189], hommes justes et honnêtes, après un

exposé détaillé de leurs griefs, le Sénat a rendu le décret suivant sur les points qui en faisaient l'objet : Le roi Antiochus, fils d'Antiochus[190], ne doit faire aucun tort aux Juifs, alliés des

Romains ; s'il leur a pris des places fortes, ports, territoires, ou quelque autre chose, il le leur rendra[191] ; ...et personne peuple ni

roi, à l'exception du seul Ptolémée, roi d'Alexandrie, en raison de son amitié et de son alliance avec nous[192], n'exportera rien du territoire

et des ports des Juifs sans payer de droits ; la garnison de Jopé sera retirée, comme ils l'ont demandé ; - Attendu que Lucius Pettius, homme juste et honnête[193], a recommandé à notre Conseil[194] de

prendre des mesures pour que ces décisions soient exécutées, suivant le décret du Sénat romain[195], et de veiller à ce que le retour des

ambassadeurs dans leur patrie ait lieu sans danger, - Nous avons reçu Théodore[196] devant notre Conseil et notre assemblée ; il nous a

remis la lettre et le sénatus-consulte, et après qu'il nous eut parlé avec beaucoup de chaleur, vantant la valeur et la grandeur d'âme

d’Hyrcan, sa bienveillance pour tous en général, et en particulier pour

 

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ceux qui arrivent auprès de lui[197], nous avons placé la lettre dans

nos archives publiques et décrété de tout faire nous-mêmes pour les Juifs, conformément au sénatus-consulte, en notre qualité d'alliés des Romains. Théodore, après nous avoir remis la lettre, a demandé aussi à nos stratèges d'envoyer à Hyrcan la copie du décret, avec des ambassadeurs chargés d'affirmer les bonnes dispositions de notre peuple et de prier Hyrcan de conserver et d'accroître encore son amitié pour nous et de nous faire incessamment quelque bien, dont il sera payé de retour, comme il convient, se souvenant que du temps d'Abraham, qui fut le père de tous les Hébreux, nos ancêtres étaient leurs amis, ainsi que nous le trouvons consigné dans les actes publics[198]. »

  1. (XXI). Décret des Halicarnassiens. « Sous la prêtrise de Memnon, fils d'Aristide, et par adoption d'Euonymos, le ... du mois d'Anthestérion[199], décret du peuple, sur la proposition de Marcus,

fils d'Alexandre : Attendu que de tout temps nous avons respecté les sentiments pieux et saints envers la divinité, à l'exemple du peuple romain, bienfaiteur de tous les hommes, et conformément à ce qu'il a écrit à notre ville touchant son amitié et son alliance avec les Juifs[200], à savoir que ceux-ci doivent pouvoir célébrer leurs

cérémonies et leurs fêtes et tenir leurs réunions habituelles. Nous avons décidé que tous les Juifs, hommes et femmes, qui le désiraient, pourraient célébrer le sabbat, offrir des sacrifices suivant la loi juive, faire des prières au bord de la mer, selon leur coutume nationale[201]. Et si quelqu'un, magistrat ou particulier, y met

empêchement, qu’il soit frappé de cette amende[202] au profit de la ville. »

24. (XXII). Décret des habitants de Sardes[203] : « Le Conseil et le

peuple, sur la proposition des stratèges, ont décidé : Attendu que les Juifs citoyens (?)[204], qui habitent notre ville, et qui ont toujours été

traités avec la plus grande humanité par le peuple, se sont présentés maintenant au Conseil et au peuple, rappelant que leurs lois et leur liberté leur ont été rendues par le Sénat et le peuple romain[205], et

demandent qu'ils puissent se réunir, se gouverner, se juger entre eux, suivant leurs coutumes[206], et qu'on leur donne un lieu où ils

puissent se rassembler avec leurs femmes et leurs enfants pour offrir leurs prières et leurs sacrifices traditionnels[207] à Dieu ; en

conséquence, le Conseil et le peuple ont décidé de les autoriser à se réunir aux jours fixés, pour se conformer à leurs lois ; les stratèges

 

Zone de Texte: 1. Vers ce même temps, il y eut en Syrie des troubles, dont voici la cause : Bassus Cæcilius, un des partisans de Pompée, conspira contreFlavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

leur assigneront, pour bâtir et habiter[208], l'emplacement qu'ils

jugeront convenable à cet effet, et les agoranomes de la cité auront soin de faire introduire dans la ville tout ce qui sera nécessaire pour leur subsistance.

  1. (XXIII)[209]. Décret des Éphésiens : « Ménophilos étant prytane, le premier du mois d'Artémision[210], décret du peuple, motion de

Nicanor, fils d'Euphémos, introduite par les stratèges. Attendu que les Juifs qui habitent la ville, ayant obtenu audience de Marcus Junius... Brutus... proconsul[211], la permission de célébrer le sabbat et de

suivre en tout les prescriptions de leurs lois nationales, sans que personne les en empêche, le préteur a accordé cette autorisation ; en conséquence, le Conseil et le peuple ont décidé, la chose intéressant les Romains, que personne ne sera empêché de célébrer le jour du sabbat, ni passible d'amende pour l'avoir fait, et que les Juifs seront autorisés à se conformer en tout a leurs lois particulières.

  1. Il existe encore bon nombre de décrets analogues du Sénat et des généraux romains en faveur d'Hyrcan et de notre nation, de décrets des villes, d'actes des magistrats en réponse aux lettres des gouverneurs relatives à nos droits. De tous ces documents le lecteur impartial peut se faire une idée d'après ceux que nous avons cités. Car, maintenant que nous avons fourni des preuves évidentes et frappantes de l'amitié des Romains pour nous et montré ces preuves inscrites sur des tables de bronze et dans des actes qui existent encore et resteront au Capitole, je m'abstiens d'en reproduire toute la série, ce qui serait inutile et fastidieux ; je ne crois pas, en effet, que personne soit d'assez mauvaise foi pour refuser de croire à la bienveillance des Romains à notre égard, alors qu'ils l'ont témoignée par de nombreux décrets, et pour nous soupçonner de n'avoir pas dit la vérité après les preuves que nous avons fournies. J'ai donc démontré que les Romains à cette époque avaient été pour nous des amis et des alliés.

XI[212]

1. Guerre civile en Syrie. - 2. Exactions de Cassius. - 3-4. Meurtre d'Antipater. - 5-6. Vengeance d'Hérode sur Malichos. - 7. Nouveaux désordres en Judée.

 

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Sextus César et l'assassina[213] ; puis, ralliant les troupes de celui-ci,

il s'empara du pouvoir. La guerre éclata aussitôt aux environs d'Apamée, les généraux de César avant marché contre Cæcilius avec de la cavalerie et de l'infanterie. Antipater leur envoya des renforts avec ses fils, en souvenir des bienfaits de (Sextus) César, et trouvant donc juste de le venger et de châtier le meurtrier. La guerre traînant en longueur, Murcus[214] vint de Rome pour remplacer Sextus dans

son gouvernement. César à ce moment fut assassiné par Cassius et Brutus en plein sénat, après avoir gardé le pouvoir trois ans et six mois[215]. Ces événements ont été racontés ailleurs[216].

  1. La mort de César déchaîna la guerre ; tous les personnages importants se dispersèrent de côté et d'autre pour rassembler des troupes. Cassius arriva de Rome en Syrie afin de s'assurer celles qui campaient autour d'Apamée. Après avoir fait lever le siège, il se concilia les deux adversaires, Bassus et Murcus, et parcourut les villes, rassemblant des armes et des soldats, et imposant partout de forts tributs. La Judée surtout fut éprouvée : il l'imposa de sept cents talents d'argent[217]. Antipater voyant partout la terreur et le trouble,

résolut de diviser cette somme, pour la lever, en plusieurs parts ; il chargea chacun de ses deux fils d'en percevoir une partie ; Malichos, qui était mal disposé pour lui, eut le soin d'en rassembler une autre portion ; d'autres celui de réunir le reste[218]. Hérode, qui eut le

premier tiré de la Gaulée tout l'argent qu'il était chargé de lever, entra très avant dans les bonnes grâces de Cassius ; il trouva prudent, en effet, de flatter dès ce moment les Romains, et de s'assurer leur bienveillance, aux dépens d'autrui. Les commissaires de plusieurs (?) villes furent vendus corps et biens, et Cassius réduisit en esclavage quatre villes entières, dont les deux plus importantes étaient Gophna et Emmaüs, les deux autres Lydda et Thamna. Emporté par la colère, il fut sur le point de mettre aussi à mort Malichos ; il l'aurait fait, si Hyrcan ne l'avait retenu en lui envoyant par Antipater cent talents pris sur ses propres richesses[219].

  1. Dès que Cassius se fut retiré de la Judée, Malichos conspira contre Antipater, dont la mort, pensait-il, consoliderait le pouvoir d'Hyrcan. Il ne put cacher ses projets à Antipater, qui, les ayant découverts, se retira au delà du Jourdain et rassembla une armée composée d'Arabes et d'indigènes. Malichos, en homme avisé, désavoua le complot ; il protesta, jurant à Antipater, et à ses fils que, du moment que Phasaël tenait garnison à Jérusalem et qu'Hérode avait la garde de l'arsenal, personne n'aurait même pu concevoir l'idée d'un pareil projet, le

 

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sachant inexécutable. Il se réconcilia donc avec Antipater et tous deux s'unirent. Murcus était alors préteur de Syrie : quand il apprit que Malichos méditait une révolution en Judée, peu s'en fallut qu'il ne le fit mettre à mort ; il ne l'épargna que sur les instances d'Antipater.

  1. Antipater, sans s’en douter, sauva ainsi la vie à son meurtrier Malichos. Sur ces entrefaites, en effet, Cassius et Murcus avaient rassemblé une armée et en avaient confié tout le soin à Hérode ; ils le nommèrent gouverneur de Cœlé-Syrie[220], lui donnèrent des

navires, de la cavalerie et de l'infanterie, et lui promirent de le faire roi de Judée après la guerre qui venait d'éclater contre Antoine et le jeune César[221]. Malichos cependant, qui craignait alors plus que

jamais Antipater, résolut de s'en débarrasser : il gagna à prix d'argent l'échanson d'Hyrcan, chez lequel tous deux dînaient, et empoisonna son rival ; puis, avec ses hommes d'armes, il prit possession de la ville. Hérode et Phasaël, à la nouvelle de l'attentat commis contre leur père, ayant montré une vive irritation, il nia de nouveau et se déclara innocent de ce meurtre. Telle fut la fin d'Antipater, homme véritablement supérieur par sa piété, sa justice, son patriotisme. De ses deux fils, Hérode résolut aussitôt de venger son père, en marchant à la tête d'une armée contre Malichos ; mais Phasaël, l'aîné, pensa qu'il fallait jouer avec lui au plus fin, pour n'avoir pas l'air de déchaîner une guerre civile. Il accepta donc la justification de Malichos, feignit de croire qu'il n'était nullement coupable du meurtre d'Antipater et s'occupa d'élever un somptueux tombeau à son père[222]. Hérode, arrivé à Samarie, s'en empara, releva la ville, qu'il

trouva dévastée, et apaisa les discordes des habitants.

  1. Peu de temps après, à l'approche de la fête de Jérusalem[223], il se

dirigea vers la ville avec ses soldats. Malichos prit peur et conjura Hyrcan de ne pas le laisser entrer. Hyrcan y consentit et donna comme prétexte de cette interdiction l'impossibilité d'admettre une troupe d'étranger, au milieu du peuple occupé à se purifier. Hérode, sans se soucier de cette défense, entra de nuit dans la ville, à la grande terreur de Malichos. Celui-ci cependant ne jeta pas le masque ; il pleurait Antipater, évoquait publiquement son souvenir, comme celui d'un ami, tandis qu'en secret il se constituait une garde du corps. Hérode ne crut pas le moment venu de dénoncer sa fausseté ; il résolut même, pour ne pas éveiller ses soupçons, de répondre à ses démonstrations d'amitié.

  1. Hérode envoya cependant la nouvelle de la mort de son père à

 

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Cassius. Celui-ci, qui connaissait bien le caractère de Malichos, répondit à Hérode par le conseil de venger son père, et envoya secrètement aux tribuns militaires qui se trouvaient à Tyr l'ordre d'aider Hérode à accomplir un acte de justice. Lorsque Cassius eut pris Laodicée[224], les habitants du pays vinrent à sa rencontre avec

des couronnes et de l'argent. Hérode s'attendait à ce que Malichos vint aussi et reçut son châtiment ; mais celui-ci, arrivé à Tyr de Phénicie, conçut des soupçons et forma de son côté un projet plus hardi : son fils étant retenu comme otage à Tyr, il projeta d'entrer dans la ville, de l'enlever, puis de partir pour la Judée, et pendant que Cassius marcherait en Égypte contre Antoine, de soulever le peuple et de s'emparer du pouvoir. Mais la Providence déjoua ses desseins et le rusé Hérode pénétra ses calculs ; celui-ci envoya d'avance un serviteur, sous couleur de veiller aux préparatifs d'un banquet qu'il avait annoncé leur offrir à tous[225], en réalité pour parler aux

tribuns militaires, qu'il persuada d'aller à la rencontre de Malichos avec des poignards. Ils sortirent et, l'ayant rencontré près de la ville, sur le rivage, ils le poignardèrent. Hyrcan fut tellement ému de cet événement qu'il en perdit la parole ; puis, revenu à lui à grand'peine, il demanda aux gens d'Hérode ce qui s'était passé et quel était le meurtrier de Malichos. Quand on lui eut dit que l'ordre était venu de Cassius, il approuva tout, ajoutant que Malichos était un méchant, qui conspirait contre sa patrie. C'est ainsi que Malichos expia sa déloyauté à l'égard d'Antipater[226].

7. Lorsque Cassius eut quitté la Syrie, des troubles s'élevèrent en Judée. Hélix, qui avait été laissé à Jérusalem avec des troupes[227],

marcha contre Phasaël, et le peuple prit les armes. Hérode était en route pour rejoindre Fabius, qui commandait à Damas[228] ; il voulut

aller au secours de son frère, mais la maladie l'en empêcha. Phasaël put enfin avec ses seules forces avoir raison d'Hélix, qu'il enferma dans une tour, puis relâcha après avoir traité avec lui. Il reprocha vivement à Hyrcan, n'ayant reçu que des bienfaits de son frère et de lui, de faire cause commune avec leurs ennemis. Le frère de Malichos venait, en effet, de faire défection et occupait quelques places fortes, et la mieux défendue de toutes, Masada[229]. Hérode, revenu à la

santé, marcha contre lui, s'empara de toutes les forteresses qu'il possédait, et lui rendit la liberté après avoir traité.

 

XII[230]

 

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  1. Hérode bat Antigone et Marion. Ses fiançailles avec Mariamme. -
  2. Antoine vainqueur fait bon accueil à Hérode. - 3. Rescrit d'Antoine aux Juifs. - 4.6. Edits aux Tyriens.
  1. Cependant Antigone, fils d'Aristobule, qui avait rassemblé une armée et s'était concilié Fabius à prix d’argent, revint, ramené par Ptolémée fils de Mennaios, auquel l’unissaient des liens de famille[231]. Il avait aussi pour allié Marion, que Cassius avait laissé

comme tyran à Tyr ; car celui-ci, après s'être emparé de la Syrie, y avait établi des tyrans comme gardiens. Marion attaqua aussi la Galilée, qui était limitrophe de son territoire, s’empara de trois forteresses et y mit garnison. Hérode marcha contre lui, lui enleva toutes ses conquêtes[232], mais laissa généreusement libres les

soldats Tyriens, donnant même à quelques-uns des présents par bienveillance pour leur ville[233]. Cela fait, il marcha contre

Antigone, l’attaqua, le battit et le mit en déroute au moment où il allait franchir les frontières de la Judée. Quand il revint à Jérusalem, Hyrcan et le peuple lui décernèrent des couronnes. Il était déjà par ses fiançailles allié à la famille d’Hyrcan, aussi n'en défendait-il que mieux celui-ci ; il devait épouser la fille d'Alexandre[234], fils

d'Aristobule, et petite-fille d'Hyrcan par sa mère. Il eut d'elle trois fils et deux filles. Il avait eu une première femme, du nom de Doris, prise dans le peuple, et qui fut la mère de son fils aîné, Antipater.

  1. Antoine et César défirent Cassius à Philippes[235], comme l'ont

raconté d'autres historiens. Après sa victoire, César revint en Italie, Antoine se rendit en Asie. Arrivé en Bithynie, il reçut de tous côtés des ambassades. Les principaux des Juifs vinrent aussi pour se plaindre de Phasaël et d'Hérode, assurant qu’Hyrcan ne possédait que l'apparence de la royauté, et que ceux-ci avaient tout le pouvoir. Hérode vint se justifier de ces accusations ; Antoine le reçut avec les plus grands honneurs et ses adversaires ne purent même obtenir la parole : Hérode s'était ménagé cet accueil d'Antoine, à prix d'argent. Puis, lorsqu'Antoine vint à Éphèse, le grand-prêtre Hyrcan et le peuple lui envoyèrent une ambassade pour lui porter une couronne d'or et le supplier d'écrire aux gouverneurs des provinces de faire remettre en liberté les Juifs que Cassius, contre le droit de la guerre, avait réduits en esclavage ; ils redemandaient aussi les territoires dont ils avaient été dépossédés du temps de Cassius. Antoine, estimant justes les réclamations des Juifs, écrivit aussitôt à Hyrcan et au peuple : il donna en même temps des ordres aux Tyriens et leur envoya un décret en ce sens[236] :

 

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  1. « Marc Antoine, général en chef, à Hyrcan, grand-prêtre et ethnarque, et au peuple juif, salut. Si vous allez bien, c'est à

merveille : l'armée et moi sommes en bonne santé. Vos envoyés Lysimaque, fils de Pausanias, Joseph, fils de Mennaios, et Alexandre, fils de Théodore, sont venus me trouver à Ephèse ; ils ont renouvelé auprès de moi la mission précédemment remplie par eux à Rome[237] se sont acquittés avec zèle de leur mission actuelle en ton

nom et au nom du peuple, manifestant tes bonnes dispositions à notre égard. Persuadé donc, tant par les faits que par vos protestations, que vous avez pour nous les sentiments de la plus réelle amitié, et connaissant d'autre part la fermeté de vos moeurs et votre piété, je regarde votre cause comme la mienne[238]. Des bandes hostiles à

nous-même et au peuple romain se sont répandues dans toute l'Asie, n'épargnant ni les villes, ni les temples, parjures à tous les serments qu'ils avaient faits ; considérant que nous ne combattions pas pour nous-mêmes, mais dans l'intérêt de tous, nous avons repoussé ceux qui se rendaient ainsi coupables envers les hommes de déloyauté, envers les dieux de sacrilèges, capables, croyons-nous, de faire reculer le soleil, qui a vu avec horreur le crime commis sur la personne de César. Ces complots hostiles aux dieux, qui avaient cherché en Macédoine le seul air respirable à leur audacieuse impiété, ce ramassis de méchanceté forcenée qu'ils avaient formé à Philippes, en Macédoine, occupant des positions favorables, défendues par les montagnes jusqu'à la mer, de façon à ne ménager d'accès que par un seul passage, nous les avons écrasés avec l'aide des dieux, qui les avaient condamnés pour leur criminelle entreprise. Brutus, qui s'était enfui à Philippes, fut cerné par nous et enveloppé dans la ruine de Cassius. Ceux-là châtiés, nous espérons pouvoir désormais jouir de la paix et délivrer l'Asie du fléau de la guerre. Nous faisons donc partager à nos alliés la paix que Dieu nous a donnée. L'Asie se relève d'une maladie grave, grâce à notre victoire. Me souvenant donc de toi et de ton peuple, je m'occuperai de vos intérêts[239]. J'ai affiché des

instructions dans les villes pour que ceux qui, libres ou esclaves, ont été vendus à l'encan par Caïus Cassius ou ceux qui étaient sous ses ordres, soient remis en liberté ; et je veux que vous jouissiez des bienfaits accordés par moi et Dolabella[240]. J'interdis aux Tyriens

d'user de violence à votre égard, et je leur ordonne de restituer tout ce qu'ils ont pris aux Juifs. J'accepte la couronne que tu m'as envoyée. »

  1. « Marc Antoine, général en chef, aux magistrats, au Conseil et au peuple de Tyr, salut. Les envoyés du grand-prêtre et ethnarque Hyrcan, venus à ma rencontre à Éphèse, m'ont appris que vous

 

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occupiez une partie de leur territoire, envahie par vous sous la domination de nos adversaires. Maintenant que nous avons combattu pour l’empire, et que, guidés par la piété et la justice, nous avons repoussé ces hommes oublieux des bienfaits reçus et parjures à tous leurs serments, je veux que nos alliés trouvent auprès de vous la paix ; rien de ce que vous avez reçu de nos adversaires ne doit vous rester ; je vous ordonne de le restituer à ceux qui en ont été dépouillés. Ce n'est pas en effet du Sénat qu'aucun de ces hommes a obtenu ses provinces ou ses troupes : c'est à la violence qu'ils devaient ces possessions, et c'est par la violence qu'ils ont récompensé ceux qui leur avaient été utiles dans leurs injustes entreprises. Aussi, maintenant que ces usurpateurs ont été châtiés, nous trouvons bon que nos alliés rentrent sans difficulté en possession de tout ce qui a été jadis leur propriété ; et vous-mêmes, si vous détenez actuellement quelques places ayant appartenu à Hyrcan, ethnarque des Juifs, à la veille du jour où Caïus Cassius, entreprenant une guerre non autorisée a mis le pied dans notre province[241],

j'ordonne que vous le lui restituiez, et que vous ne fassiez aux Juifs nulle violence, en vue de les rendre trop faibles pour se maintenir dans leurs possessions[242]. Et si vous avez quelque réclamation à

présenter contre Hyrcan, lorsque nous arriverons sur les lieux, vous pourrez vous en prévaloir, car nous examinons avec une égale attention les réclamations de tous nos alliés. »

5. « Marc Antoine, général en chef, aux magistrats, au Conseil et au peuple de Tyr, salut. Je vous envoie un édit rendu par moi ; je veux que vous preniez soin de l'insérer dans vos actes publics, en grec et en latin, et qu'il soit affiché dans l'endroit le plus apparent, afin que tous puissent en prendre connaissance. - Marc Antoine, général en chef, l'un des triumvirs chargés du gouvernement, a décidé : Attendu que Caïus Cassius, au cours de la présente rébellion, a pillé une province qui ne lui appartenait pas, l'a occupée avec des troupes, a saccagé nos alliés et mis à feu et à sang le peuple juif, ami du peuple romain ; nous, après avoir eu raison par les armes de sa folle témérité, voulons, par des édits et des jugements, rétablir l'ordre dans les territoires ravagés par lui et rendre à nos alliés ce qui leur est dû. Et tout ce qui chez les Juifs a été vendu, biens ou personnes, sera restitué ; les personnes seront libres, comme elles l'étaient auparavant, et les biens seront rendus aux anciens propriétaires. Quiconque enfreindra cet édit s'exposera à être poursuivi, et s'il est condamné, j'aurai soin qu'il soit châtié, suivant l'importance de sa faute.

 

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6. Il écrivit la même chose aux habitants de Sidon, d'Antioche et d'Arados. Nous avons, puisque l'occasion s'en présentait, cité ces nouveaux témoignages de la bienveillance, dont nous parlions, des Romains pour notre peuple.

XIII[243]

1-2. Antoine en Syrie. Ambassades des Juifs châtiées par lui – 3. Les Parthes et Antigone envahissent la Judée. – 4-5. Les Parthes à Jérusalem. Capture d'Hyrcan et de Phasaël. - 6-9. Fuite d'Hérode. - 10. Hyrcan mutilé, Phasaël se tue.

  1. Antoine passa ensuite en Syrie[244] ; Cléopâtre vint à sa rencontre

en Cilicie, et le rendit passionnément épris. Cent des plus notables parmi les Juifs, qui s'étaient adjoint les orateurs les plus capables de plaider leur cause, se rendirent de nouveau auprès de lui pour accuser Hérode et ses partisans. Messala leur répondit au nom des jeunes gens[245], en présence d'Hyrcan, qui était déjà devenu le beau-père

d'Hérode. Antoine, après avoir entendu les deux partis à Daphné, demanda à Hyrcan lesquels des antagonistes seraient les mieux placés à la tête du peuple. Sur la réponse d'Hyrcan que c'était Hérode et son frère, Antoine, qui avait pour eux des sentiments anciens d'amitié, en souvenir des relations d'hospitalité qu'il avait nouées avec leur père, du temps où il se trouvait en compagnie de Gabinius, les nomma tous deux tétrarques, leur confia le gouvernement des Juifs, rédigea des instructions..., et jeta dans les chaînes quinze de leurs adversaires ; il allait même les mettre à mort, mais Hérode obtint leur grâce.

  1. Même après cela ils ne restèrent pas tranquilles à leur retour d'ambassade. Mille hommes, en effet, vinrent encore au devant d'Antoine, à Tyr, où l'on supposait qu'il allait arriver. Mais Antoine, gagné au prix de sommes considérables par Hérode et son frère, ordonna au commandant de l'endroit de châtier les envoyés des Juifs, qui désiraient une révolution, et de consolider le pouvoir d'Hérode. Comme ils étaient campés sur la plage, devant la ville, Hérode alla aussitôt les trouver et leur conseilla de partir - Hyrcan était avec lui -, car s'ils entraient en contestation ils seraient cause d'un grand malheur. Ils refusèrent. Aussitôt les Romains se précipitant sur eux avec des poignards tuèrent les uns, en blessèrent quelques autres ; le reste s'enfuit chez soi et, pris de terreur, se tint coi. Puis, comme le peuple injuriait Hérode, Antoine exaspéré fit massacrer ses

 

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prisonniers[246].

  1. Deux ans après[247], Pacoros, fils du roi, et Barzapharnès, satrape

des Parthes, occupèrent la Syrie. Ptolémée, fils de Mennaios, mourut, et son fils Lysanias, qui hérita de son pouvoir, fit amitié avec Antigone, fils d'Aristobule, grâce aux bons offices du satrape qui avait sur lui beaucoup d'influence. Antigone[248] promit de donner

aux Parthes mille talents et cinq cents femmes s'ils enlevaient le pouvoir à Hyrcan pour le lui donner et tuaient Hérode. Mais il ne devait pas tenir sa promesse. Les Parthes, ramenant Antigone, marchèrent donc vers la Judée, Pacoros le long de la côte, et le satrape Barzapharnès par l'intérieur. Les Tyriens fermèrent leurs portes à Pacoros, mais les habitants de Sidon et de Ptolémaïs le reçurent. Pacoros envoya vers la Judée, pour explorer la région et agir de concert avec Antigone, un détachement de cavalerie commandé par un échanson qui portait le même nom que le roi[249]. Aux

environs du mont Carmel, quelques Juifs ayant rejoint Antigone[250], prêts à faire invasion avec lui, Antigone espérait,

grâce à leur aide, s'emparer d'une partie du pays ; l'endroit se nomme Drymoi (les Chênaies). Ils rencontrèrent un parti ennemi qu'ils poursuivirent dans la direction de Jérusalem. Des nouveaux venus vinrent grossir leur nombre, et ils marchèrent tous sur le palais, qu'ils assiégèrent. Mais Phasaël et Hérode vinrent le défendre ; une bataille s'engagea dans l'agora, et les jeunes gens vainquirent leurs adversaires ; ils les contraignirent à se réfugier dans le temple et envoyèrent des soldats[251] occuper les maisons voisines ; mais le

peuple soulevé brûla avec les maisons les malheureux qui ne reçurent aucun secours. Peu de temps après Hérode tira vengeance de cette injuste agression ; il attaqua les rebelles et leur tua beaucoup de monde.

  1. Chaque jour avaient lieu des escarmouches ; les ennemis attendaient la foule qui devait, de tout le pays, venir pour la fête appelée Pentecôte. Ce jour arrivé, des myriades d'hommes, avec ou sans armes, s'agglomérèrent autour du Temple. Ceux qui se trouvaient là occupèrent le Temple et la ville, sauf le palais qu'Hérode tenait avec quelques soldats. Pendant que Phasaël gardait les murailles, Hérode avec un détachement attaqua l'ennemi dans le faubourg, combattit vigoureusement et mit en fuite des myriades d'insurgés, dont les uns s'enfuirent dans la ville, les autres dans le Temple, quelques-uns dans le retranchement extérieur qui se trouvait en cet endroit ; Phasaël le soutint. Pacoros[252], général des Parthes,

 

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marcha alors sur la ville avec quelques cavaliers[253] à la demande

d'Antigone, sous prétexte d'apaiser le soulèvement, en réalité pour aider Antigone à s'emparer du pouvoir. Phasaël vint à la rencontre de Pacoros, et le reçut comme un hôte ; celui-ci, pour lui tendre un piège, lui conseilla d'envoyer une ambassade à Barzapharnès. Phasaël, sans défiance, accepta, bien que cette démarche fût désapprouvée par Hérode, qui redoutait la déloyauté des barbares, et lui conseillait plutôt d'attaquer Pacoros et les nouveaux arrivants.

  1. Hyrcan et Phasaël partirent donc en ambassade ; Pacoros, laissant à Hérode deux cents cavaliers et dix des guerriers appelés éleuthères (libres), les escorta. Quand ils arrivèrent en Galilée, les révoltés de ce pays[254] vinrent en armes à leur rencontre. Barzapharnès, après les

avoir d'abord reçus avec empressement et comblés de présents, conspira contre eux. Phasaël et ses compagnons furent amenés à Ecdippa, au-dessus de la mer[255] ; là ils apprirent qu'Antigone avait

promis aux Parthes mille talents et cinq cents femmes, promesses dirigées contre eux, et commencèrent à se défier des barbares. Enfin on leur fit savoir que ceux-ci préparaient contre eux un complot qu'on devait exécuter de nuit, et qu'on les gardait secrètement à vue ; ils auraient été déjà enlevés si l'on n'avait attendu que les Parthes laissés à Jérusalem se fussent emparés d'Hérode : car on craignait que si l'on commençait par s'assurer d'eux, Hérode ne l'apprit et ne pût s'échapper. Ce rapport était exact ; et ils étaient visiblement gardés. Certains conseillaient à Phasaël de monter à cheval et de s'enfuir sans plus tarder ; il y était poussé surtout par Ophellios, qui était renseigné par Saramallas, l'homme le plus riche de Syrie, et qui promettait de fournir des bateaux pour la fuite, car la mer était assez proche. Mais Phasaël ne voulait pas abandonner Hyrcan, ni mettre son frère en danger. Il alla donc trouver Barzapharnès, lui dit qu'il avait tort de nourrir de semblables projets à leur égard : car s'il avait besoin d'argent, il en aurait de lui bien plus qu'Antigone ne lui en donnait ; que d'ailleurs il serait honteux de mettre à mort des ambassadeurs innocents, venus confiants en sa loyauté. Le barbare, à ce discours, jura à Phasaël qu'il n'y avait rien de vrai dans ses conjectures, et qu'il était troublé par de faux soupçons. Puis il alla rejoindre Pacoros[256].

  1. Dès qu'il fut parti, quelques-uns des Parthes enchaînèrent Hyrcan et Phasaël, qui leur reprochèrent durement de violer leur serment. - L'échanson[257] envoyé à Hérode avait pour instructions de l'attirer

hors des murailles et de s'emparer de lui. Mais Phasaël avait expédié des messagers à son frère pour lui dévoiler la conduite déloyale des

 

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Parthes. Hérode, à la nouvelle que les ennemis avaient capturé ces courriers, se rendit auprès de Pacoros[258] et des chefs des Parthes,

qui avaient tout pouvoir sur les autres. Bien qu'au courant de tout, ils montrèrent une dissimulation pleine de perfidie et lui dirent qu'il fallait qu'il vint avec eux, hors des murs, au devant des courriers qui apportaient les lettres car ces messagers n'avaient pas été pris par les rebelles et arrivaient certainement avec l'annonce des succès de Phasaël, Hérode ne se fia point à eux : il avait appris d'un autre côté que son frère avait été fait prisonnier ; et les conseils de la fille d'Hyrcan[259], à la fille de laquelle il était fiancé, ne firent

qu'accroître ses soupçons à l'égard des Parthes. Bien que les autres n'eussent pas grande confiance en elle, il crut cette femme, qui était d'un grand sens.

  1. Les Parthes tinrent conseil sur ce qu'ils devaient faire, car ils n'osaient s'attaquer ouvertement à un pareil homme, et remirent leur décision au lendemain. Hérode, profondément troublé, et plus porté à croire les nouvelles relatives à son frère et aux complots des Parthes que les assurances contraires, résolut, la nuit venue, de profiter de l'obscurité pour s'enfuir, sans tarder davantage, comme s'il y avait doute sur les dangers qui le menaçaient de la part des ennemis. Il partit donc avec tout ce qu'il avait de soldats, chargea sur des bêtes de somme les femmes, sa mère, sa soeur, sa fiancée, fille d'Alexandre fils d'Aristobule, la mère de celle-ci, fille d'Hyrcan, avec son plus jeune frère, tous leurs serviteurs et toute leur suite et se dirigea vers l'Idumée, sans que l'ennemi s'en aperçût. Et nul, assistant à ce départ, n'aurait en le coeur assez dur pour ne pas prendre en pitié le sort des fugitifs : les femmes emmenant leurs enfants en bas âge, abandonnant avec des larmes et des gémissements leur patrie et leurs amis captifs, sans garder pour elles-mêmes grand espoir de salut.
  2. Hérode sut élever son âme au-dessus du malheur qui le frappait. Non seulement il endurait lui-même avec fermeté ce malheur, mais encore, allant de l'un à l'autre pendant le voyage, exhortait chacun à reprendre courage et à ne pas s'abandonner à l'affliction : l'abattement ne pouvait que nuire à leur fuite, qui restait leur seule chance de salut. Ses compagnons essayèrent, suivant ses conseils, de supporter leur triste sort. Quant à lui, son char avant versé et sa mère avant été en danger de mort, peu s’en fallut qu’il ne se tuât, tant par suite des inquiétudes qu'il eut au sujet de sa mère, que dans la crainte que les ennemis qui le poursuivaient, profitant du retard causé par cet accident, ne s'emparassent de sa personne. Il avait déjà tiré son épée et allait se frapper quand ses compagnons l’en empêchèrent ; ils

 

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eurent raison de lui grâce à leur nombre et en lui remontrant qu'il ne pouvait les abandonner ainsi à l’ennemi ; car il n'était pas généreux de se soustraire lui-même au danger sans se soucier de ses amis qui y restaient exposés. Hérode fut donc forcé de renoncer à sa tentative de suicide, tant par la honte que lui causèrent ces discours, que par le nombre de ceux qui arrêtèrent sa main. Puis sa mère ayant recouvré la santé et obtenu les soins que permettaient les circonstances, il continua son voyage, en hâtant sa marche vers la forteresse de Masada[260]. Il eut à subir de nombreuses attaques de la part des

Parthes, qui le harcelaient et le poursuivaient, mais il en sortit toujours vainqueur.

  1. Il ne fut pas non plus dans sa fuite épargné par les Juifs. Ceux-ci l'attaquèrent à soixante stades de la ville et le long de la route engagèrent le combat. Hérode les battit et les mit en fuite, non point en homme qui se trouvait en proie au dénuement et aux difficultés, mais comme s'il avait eu à sa disposition de nombreuses et importantes ressources pour faire la guerre. Plus tard, devenu roi, il bâtit à l'endroit où il avait vaincu les Juifs un magnifique palais, autour duquel il fonda une ville qu'il appela Hérodion. Quand il arriva à la place forte d'Idumée nommée Thressa, son frère Joseph vint à sa rencontre, et il tint conseil sur la conduite à tenir. Le nombre des fugitifs qui l'accompagnaient, en dehors même des mercenaires, était considérable, et la forteresse de Masada, qu'Hérode avait choisie comme refuge, se trouvait trop petite pour recevoir une pareille cohue. Hérode en renvoya donc la plus grande partie, plus de neuf mille, après leur avoir recommandé de se mettre en sûreté de côté et d'autre en Idumée, et leur avoir donné un viatique. Conservant avec lui les plus lestes et ses familiers les plus intimes il arriva à la forteresse. Là il laissa les femmes et leur suite, environ huit cents personnes ; la place était bien pourvue de vivres, d'eau et de ressources de tout genre. Lui- même alors marcha vers Pétra, en Arabie. Le jour venu, les Parthes pillèrent Jérusalem et le palais, ne respectant que les trésors d'Hyrcan, qui montaient à environ trois cents talents. Une grande partie des richesses d'Hérode échappèrent au pillage, notamment tout ce que par prudence il avait déjà fait passer d'avance en Idumée. Les Parthes ne se contentèrent pas du butin qu'ils firent dans la ville ; ils se répandirent dans tout le pays environnant, qu'ils pillèrent, et ils détruisirent la ville considérable de Marissa.
  2. Antigone, ramené ainsi en Judée par le roi des Parthes, reçut Hyrcan et Phasaël mis aux fers. Mais il était fort embarrassé par la

 

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fuite des femmes, qu'il avait l'intention de donner aux ennemis, car il les avait promises comme paiement outre l'argent. Dans la crainte que le peuple n'arrachât Hyrcan aux mains des Parthes qui le gardaient et ne le rétablît sur le trône, il lui fit couper les oreilles[261], afin que

cette mutilation l'empêchât de jamais redevenir grand-prêtre, la loi réservant cette charge aux seuls hommes exempts de toute infirmité[262].

Il faut admirer le courage de Phasaël, qui, à la nouvelle qu'il devait être égorgé, ne recula pas devant l'idée de la mort, mais trouvant trop d'amertume et de déshonneur à la recevoir d'un ennemi, et n'ayant pas, dans ses fers, les mains libres pour se la donner, se tua en se brisant la tête contre une pierre : par cette fin, la plus belle, à son gré, que lui laissait son dénuement, il enleva à son ennemi la possibilité de disposer de lui selon son plaisir. Il se blessa grièvement et l'on dit qu’Antigone envoya des médecins, sous prétexte de le soigner, mais qui l'achevèrent avec des poisons mortels appliqués sur sa blessure. Avant cependant de rendre le dernier soupir, Phasaël apprit par une femme que son frère Hérode avait échappé aux Parthes ; alors il supporta courageusement la mort, sachant qu’il laissait quelqu'un qui saurait le venger et châtier ses ennemis[263].

XIV[264]

1. Hérode repoussé par Malchos. - 2. Son séjour en Égypte. - 3-5. Il vient à Rome, persuade Antoine et obtient du Sénat le titre de roi. - 6. Siège de Masada. Ventidius se laisse acheter par Antigone.

1. Hérode ne se laissa pas abattre sous le poids des maux qui l'accablaient ; il n'en devint que plus ingénieux à chercher des occasions de tentatives hardies. Il se rendit auprès de Malchos, roi des Arabes, qui lui avait d'anciennes obligations ; il voulait, maintenant qu'il en avait grand besoin, se faire payer de retour et lui demander de l'argent à titre de prêt ou de don, en invoquant tous les services rendus. Ignorant, en effet, le sort de son frère, il avait hâte de l'arracher aux ennemis moyennant rançon, prêt à payer une somme allant jusqu'à trois cents talents. C'est pourquoi il emmenait le fils de Phasaël, âgé de sept ans, pour le remettre en gage aux Arabes[265].

Mais il rencontra des messagers venant de la part de Malchos, chargés de lui donner l'ordre de s'éloigner, car les Parthes lui avaient interdit de recevoir Hérode. Malchos saisissait ce prétexte pour ne

 

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pas acquitter ses dettes, poussé d'ailleurs par les principaux des Arabes, désireux de s'approprier les dépôts qu'ils tenaient d'Antipater. Hérode répondit qu'il venait, non pour leur créer des difficultés, mais seulement pour conférer avec Malchos de choses de la dernière importance.

  1. Puis, jugeant sage de s'éloigner, il prit prudemment la route d'Égypte. Il s'arrêta ce jour-là dans un sanctuaire où il avait laissé quelques-uns de ceux qui le suivaient ; le lendemain, arrivé à Rhinocouroura, il apprit le sort de son frère. Malchos, revenu sur sa détermination, courut après Hérode, mais sans résultat : Hérode était déjà loin, hâtant sa marche vers Péluse. Arrivé là, les navires mouillés dans le port refusèrent de l'emmener à Alexandrie[266] ; il alla voir

les commandants, qui l'accompagnèrent avec de grandes marques d'honneur et de respect à la capitale, où Cléopâtre voulut le retenir. Celle-ci ne put le persuader de rester auprès d'elle ; il avait hâte de se rendre à Rome, malgré la mauvaise saison et le trouble et l'agitation où étaient les affaires d'Italie.

  1. Il s'embarqua donc pour la Pamphylie, fut assailli par une tempête terrible et put à grand'peine se sauver à Rhodes, après avoir dû jeter une partie de la cargaison par dessus bord. Deux de ses amis y vinrent à sa rencontre, Sapphinias et Ptolémée. Il trouva la ville encore toute ruinée par la guerre contre Cassius ; son propre dénuement ne l'empêcha pas de s'employer pour elle, et il contribua, au delà de ses forces, à la relever. Puis, ayant équipé une trirème, il s'embarqua avec ses amis pour l'Italie et débarqua à Brindes. De là il gagna Rome, où son premier soin fut d'informer Antoine de tout ce qui s'était passé en Judée : son frère Phasaël pris et mis à mort par les Parthes ; Hyrcan retenu prisonnier par eux ; Antigone par eux rétabli sur le trône, après avoir promis de leur donner mille talents et cinq cents femmes, qui devaient être des premières familles et de race juive ; comment lui-même avait emmené de nuit toutes ces femmes, et échappé aux mains des ennemis au prix de mille fatigues ; les dangers, enfin, que couraient ses parents et amis, qu'il avait dû laisser assiégés, pour s'embarquer en plein hiver, au mépris de tous les périls, et accourir auprès d'Antoine, désormais tout son espoir et son seul secours.
  2. Antoine eut pitié du changement de la fortune d'Hérode et fit la réflexion commune que ceux qui sont le plus haut placés sont aussi plus exposés aux coups du sort ; partie en souvenir de l'hospitalité d'Antipater, partie à cause de l'argent qu'Hérode promettait de lui donner, s'il devenait roi, comme auparavant lorsqu'il avait été nommé

 

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tétrarque, surtout, enfin, en raison de sa haine contre Antigone, qu'il regardait comme un factieux et un ennemi des Romains, il fut tout disposé à soutenir les revendications d'Hérode. César, de son côté, en souvenir des campagnes d'Egypte où son père avait été aidé par Antipater, de l'hospitalité qu'il en avait reçue, de la bonne volonté témoignée par Hérode en toutes circonstances, aussi pour plaire à Antoine, qui s'intéressait vivement à lui, se montrait prêt à écouter la requête d'Hérode et à lui donner l'aide qu'il réclamât. Le Sénat fut donc réuni ; Messala, et après lui Atratinus[267], ayant présenté

Hérode, dirent tous les services rendus par son père et rappelèrent les bonnes dispositions dont il avait fait preuve lui-même à l'égard des Romains ; ils accusèrent en même temps et dénoncèrent comme ennemi Antigone, non seulement à cause de la première offense dont il s'était rendu coupable envers eux, mais aussi pour avoir reçu le pouvoir des mains des Parthes, et montré ainsi son dédain pour les Romains. Le Sénat témoigna son irritation de ces insultes, et Antoine intervint pour faire remarquer qu'il importait aussi au succès de la guerre contre les Parthes qu'Hérode fût roi. La motion fut approuvée et votée à l'unanimité.

  1. Le plus important effet du zèle d'Antoine pour Hérode ne fut pas seulement d'assurer à celui-ci la couronne sans qu'il l'espérât : ce n'était pas, en effet, pour lui-même qu'il était venu la demander, - il ne pouvait supposer qu'il l'obtiendrait des Romains dont la coutume était de la réserver à la famille légitime - mais pour le frère de sa femme[268], qui se trouvait être le petit-fils d'Aristobule par sa mère

et d'Hyrcan par son père ; il y gagna encore, au bout de sept jours en tout, de pouvoir repartir d'Italie, après un succès bien inattendu. - Ce jeune prince fut, d'ailleurs, tué par Hérode, comme nous le raconterons le moment venu. - La séance du Sénat levée, Antoine et César, ayant entre eux deux Hérode, sortirent escortés des consuls et des autres magistrats, pour aller offrir un sacrifice et déposer le décret au Capitole. Antoine fêta par un banquet ce premier jour du règne d'Hérode. C'est ainsi que celui-ci fut nommé roi, dans la cent quatre-vingt-quatrième olympiade, sous le consulat de Cnæus Domitius Calvinus, consul pour la seconde fois, et de Caïus Asianus Pollion[269].

  1. Pendant tout ce temps, Antigone assiégeait les fugitifs enfermés à Masada ; ils étaient abondamment pourvus de tout, seule l'eau était rare, ce qui décida le frère d'Hérode, Joseph, à projeter de s'enfuir chez les Arabes avec deux cents de ses compagnons ; il avait appris,

 

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en effet, que Malchos se repentait de sa conduite à l'égard d'Hérode. Une pluie que Dieu envoya pendant la nuit le fit renoncer à son dessein ; car les citernes s'étant remplies d'eau, il n'était plus besoin de fuir. Les assiégés, reprenant, au contraire, courage, moins encore parce qu'ils avaient désormais en abondance ce qui leur avait manqué que parce qu'ils voyaient là une marque de la sollicitude divine, firent des sorties, et attaquant les troupes d'Antigone, tuèrent beaucoup de monde à l'ennemi, soit ouvertement, soit en cachette. Sur ces entrefaites, Ventidius, le général romain envoyé de Syrie pour repousser les Parthes[270], vint à leur suite en Judée, sous prétexte de

porter secours à Joseph, mais dans l'unique dessein de se faire donner de l'argent par Antigone ; il campa donc tout près de Jérusalem et extorqua à Antigone une somme assez importante. Puis il se retira avec la plus grande partie de ses forces et, pour que sa perfidie ne fut pas trop manifeste, il laissa, avec quelques-uns de ses soldats, Silo[271] Antigone sut aussi gagner cet officier pour qu’il ne lui

causât pas d'embarras, en attendant que les Parthes lui envoyassent de nouveaux secours.

XV[272]

1. Retour d'Hérode en Judée. Délivrance de Masada. - 2-3. Première attaque de Jérusalem ; inaction de Silo ; prise de Jéricho ; quartiers d'hiver. - 4-6. Soumission de la Galilée. Guerre des cavernes. – 7. Machaeras en Judée. - 8-9. Hérode à Samosate. - 10. Défaite et mort de Joseph. - 11-13. Nouvelle campagne d'Hérode. Bataille et massacre d’Isana. Préservation miraculeuse d'Hérode. – 14. Investissement de Jérusalem. Noces d'Hérode.

1. Cependant Hérode, déjà revenu d'Italie, débarqua à Ptolémaïs ; il réunit une assez forte armée, composée d'hommes de sa nation et de mercenaires, et la mena, à travers la Galilée, contre Antigone. Il reçut l'aide de Silo et de Ventidius, que Dellius, envoyé par Antoine, avait persuadés de ramener l'érode. Ventidius était alors occupé à apaiser les troubles soulevés dans les villes par les Parthes ; Silo se trouvait en Judée, gagné par l'argent d’Antigone. Hérode cependant, à mesure qu'il avançait, voyait chaque jour ses forces augmenter, et toute la Galilée, à peu d'exceptions près, s'était déclarée pour lui. Mais en avançant sur Masada, - dont il était nécessaire de délivrer les assiégés, qui étaient ses parents, - il fut arrêté par Jopé ; comme cette ville lui était hostile, il fallait commencer par s’en emparer, afin de ne pas laisser sur ses derrières, dans sa marche sur Jérusalem, une

 

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forteresse aux mains de l'ennemi. Silo, ayant trouvé là un prétexte pour s'éloigner, les Juifs le poursuivirent : Hérode les assaillit avec une troupe peu nombreuse, mit les Juifs en déroute et délivra Silo, qui se défendait péniblement ; puis, après avoir pris Jopé, il courut au secours de ses amis de Masada. Les indigènes se joignaient à lui, les uns en souvenir de l’amitié qui les avait liés à son père, les autres attirés par sa renommée, d'autres encore en reconnaissance de services reçus de son père ou de lui, la plupart à cause des espérances qu'ils fondaient sur lui, comme devant être certainement roi.

  1. Il réunit ainsi des forces imposantes. Sur sa route, Antigone avait occupé, en y dressant des embuscades, les points favorables des passages ; mais toutes ses dispositions ne causèrent aucun dommage à l'ennemi, ou peu s'en faut. Hérode, après avoir enfin délivré ses compagnons de Masada et pris la forteresse de Thressa, marcha sur Jérusalem. Ses troupes s'étaient grossies de celles de Silo et de beaucoup de gens venus de la ville, que sa puissance avait vivement frappés. Comme il avait posté son camp sur la colline située à l'ouest de la ville, les gardes placés de ce côté lançaient des flèches et des javelots sur ses soldats ; quelques-uns même firent des sorties en troupe et attaquèrent ses avant-postes. Hérode alors ordonna tout d'abord de proclamer autour des remparts qu'il était venu pour le bien du peuple et le salut de la ville, sans intention de se venger même de ses ennemis déclarés, et décidé à oublier les torts qu'avaient envers lui ses pires adversaires. Antigone, en réponse aux proclamations d'Hérode, déclara à Silo et aux troupes romaines qu'ils violaient leurs propres traditions de justice en donnant le trône à Hérode, simple particulier et Iduméen, c'est-à-dire seulement demi Juif, alors qu'ils devraient le réserver, suivant leur coutume, à ceux qui étaient de race royale. S'ils étaient irrités contre lui, Antigone, et avaient résolu de lui enlever la royauté parce qu'il la tenait des Parthes, il y avait nombre d'hommes de sa race qui devaient, suivant la loi, recueillir la couronne, et qui, sans reproche à l'égard des Romains et nés prêtres, seraient victimes d'une injustice, s'ils étaient privés de leur dignité. Telles étaient les discussions engagées entre les deux adversaires. On en vint aux injures, et Antigone[273] permit aux siens de repousser

les ennemis du haut des murailles. Mais ceux-ci, en les criblant de flèches et grâce à leur action vigoureuse, les obligèrent vite à quitter les tours.

  1. C'est alors que Silo montra visiblement qu'il s'était laissé acheter : il lâcha un assez grand nombre de ses soldats, qui vinrent crier famine, réclamer de l'argent pour acheter des vivres, et demander

 

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qu'on les menât hiverner dans des lieux favorables, les environs de la ville n'offrant aucun moyen de subsistance parce qu'ils avaient été dévastés par les soldats d'Antigone ; là-dessus il leva son camp et fit mine de partir. Hérode supplia les officiers de Silo et les soldats de ne pas l'abandonner, lui l'envoyé de César, d'Antoine et du Sénat ; il promettait de veiller à ce que rien ne leur manquât, de leur donner en abondance tout ce qu'ils désireraient. Il fit suivre aussitôt ses instances d'une incursion dans le pays, et ne laissa plus à Silo aucun prétexte de départ : car il rapporta une quantité d'approvisionnements dépassant toutes les espérances, et il donna l'ordre aux gens de Samarie, qui étaient ses amis, d'envoyer du blé, du vin, de l'huile, du bétail et tout le nécessaire à Jéricho, afin que désormais rien ne manquât aux soldats pour leur entretien. Cette démarche n'échappa point à Antigone, qui envoya aussitôt des hommes dans le pays pour arrêter les fourrageurs et leur dresser des embuscades. Suivant ces ordres, ils réunirent autour de Jéricho une forte troupe armée et, s'établissant sur les montagnes, guettèrent l'arrivée des convois. Hérode, en présence de ces dispositions, ne resta pas inactif ; il prit dix cohortes, dont cinq romaines et cinq juives, et une troupe mêlée de mercenaires, auxquels il adjoignit quelques cavaliers, et marcha sur Jéricho. Il trouva la ville abandonnée, et fit prisonniers, puis relâcha, cinq cents hommes qui avaient occupé les hauteurs avec leurs femmes et leurs enfants ; les Romains se répandirent dans la ville, qu'ils pillèrent, ayant trouvé les maisons remplies de richesses de toutes sortes. Le roi, laissant une garnison à Jéricho, revint, et envoya l'armée romaine prendre ses quartiers d'hiver dans les pays voisins, l'Idumée, la Galilée, Samarie. Antigone obtint cependant de Silo, à prix d'argent, la faveur de recevoir une partie de l'armée romaine à Lydda : il voulait par là flatter Antoine. Les Romains vécurent ainsi dans l'abondance et débarrassés du service de guerre.

4. Hérode cependant ne crut pas devoir rester en repos ; il envoya en Idumée son frère Joseph avec deux mille hommes d'infanterie et quatre cents chevaux ; lui-même alla à Samarie, y installa sa mère et ses parents, extraits de Masada, et partit pour la Galilée, afin de s'emparer de certaines places occupées par les garnisons d'Antigone. Il arriva à Sepphoris par la neige, et comme la garnison d'Antigone venait de quitter secrètement la ville, il se trouva abondamment approvisionné. Informé que des brigands habitaient aux environs dans des cavernes, il envoya contre eux un détachement de cavalerie et trois compagnies d'infanterie, décidé à mettre fin à leurs déprédations : c'était tout près du bourg d'Arbèles. Vers le quarantième jour, il arriva lui-même, avec toute son armée ; sous

 

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l'effort d'une attaque audacieuse des ennemis, l'aile gauche de son corps de bataille fléchit ; mais Hérode survint avec du renfort, mit en déroute ses adversaires vainqueurs, et rallia ses troupes en fuite. Il poursuivit jusqu'au Jourdain l'ennemi, qui fuyait par diverses routes, et soumit toute la Galilée, à l'exception des habitants des cavernes. Les troupes reçurent des distributions d'argent ; les hommes touchèrent cent cinquante drachmes par tête, les officiers beaucoup plus ; après quoi il les renvoya dans leurs quartiers d'hiver. A ce moment il fut rejoint par Silo et les chefs des troupes qui avaient déjà pris leurs quartiers d'hiver : Antigone refusait, en effet, de leur donner des vivres ; il les avait nourris pendant un mois, pas davantage, puis il avait envoyé à toutes les populations des environs l'ordre d'enlever tout dans la région et de s'enfuir dans la montagne, afin que les Romains, dénués de toutes ressources, mourussent de faim. Hérode confia le soin de les nourrir à Phéroras, son plus jeune frère, et le chargea en même temps de fortifier Alexandreion. Phéroras ramena promptement l’abondance dans les camps et releva Alexandreion, qui avait été dévasté[274].

5. Pendant ce temps, Antoine séjournait à Athènes. Ventidius manda Silo en Syrie contre les Parthes[275] ; il lui ordonna d'assister d'abord

Hérode dans sa guerre, ensuite de convoquer les alliés pour celle que les Romains avaient à conduire[276]. Hérode cependant, tout à la

poursuite des brigands qui habitaient les cavernes, renvoya Silo à Ventidius, mais partit lui-même contre ses adversaires. Ces cavernes étaient situées dans des montagnes complètement abruptes[277] ;

elles avaient à mi-hauteur des entrées d’accès difficile et entourées de roches escarpées. Les brigands y vivaient cachés avec tous leurs biens. Le roi fit construire des coffres, les suspendit avec des chaînes de fer, et, à l'aide d'une machine, les fit descendre du sommet de la montagne ; car il n'y avait nul moyen, d'en bas, de monter jusqu’aux brigands, à cause de l'âpreté des rochers, ni, du haut, de ramper jusqu'à eux. Les coffres étaient remplis de soldats, armés de longs crocs, avec lesquels ils devaient harponner ceux des brigands qui leur résisteraient, et les tuer en les précipitant dans l'abîme. La descente des coffres fut rendue dangereuse par la très grande profondeur : les soldats cependant avaient, à l'intérieur, tout ce qui était nécessaire. Une fois les coffres descendus, aucun des brigands n'osa assaillir. L'ennemi arrivé au niveau de leurs cavernes, pris de peur, ils ne bougèrent pas. Alors l'un des soldats ceignit son glaive, et, s'accrochant des deux mains à la chaîne où le coffre était suspendu, se laissa glisser jusqu'aux ouvertures, irrité de la lenteur que les brigands effrayés mettaient à sortir. Arrivé à l'une des entrées, il commença

 

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par repousser à coups de javelots la plupart de ceux qui s'y tenaient ; puis, avec son croc, il attira à lui ceux qui résistaient, les poussa dans le précipice, pénétra au fond de la caverne, égorgea nombre de ceux qui s'y trouvaient, et revint se reposer dans le coffre. Les autres, en entendant les gémissements, furent frappés de terreur et se sentirent perdus ; mais la nuit survint, qui empêcha de tout terminer. Beaucoup, avec la permission du roi, et après avoir envoyé des parlementaires, firent leur soumission et se rendirent[278]. Le

lendemain les soldats d'Hérode recommencèrent l'attaque de la même façon ; de leurs coffres, ils assaillirent leurs adversaires plus vigoureusement encore, attaquèrent les portes et mirent le feu. L'incendie se propagea dans les cavernes, où se trouvait beaucoup de bois. Un vieillard, cerné à l'intérieur avec ses sept enfants et sa femme, qui le suppliaient de les laisser se rendre à l'ennemi, vint se placer à l'entrée et là égorgea ses fils, à mesure qu’ils sortaient, jusqu'au dernier ; puis ce fut le tour de sa femme ; et, après avoir jeté les cadavres dans l'abîme, il s'y précipita lui-même, préférant la mort à la servitude. Avant de mourir il accabla de reproches Hérode sur la bassesse de sa condition, bien que le roi, qui pouvait voir toute la scène, lui tendît la main et lui promit grâce entière. C'est ainsi que les cavernes de ces brigands furent toutes prises.

  1. Le roi, après avoir nommé Ptolémée gouverneur de cette région, partit pour Samarie avec six cents cavaliers et trois mille hoplites, espérant trancher par une bataille sa contestation avec Antigone. Ptolémée ne réussit pas dans son gouvernement. Ceux qui avaient déjà auparavant troublé la Galilée l'attaquèrent et le tuèrent, après quoi ils se réfugièrent dans les marais et les cantons d'accès difficile, pillant et dévastant tout le pays. Hérode revint sur ses pas et les châtia : il tua quelques-uns des révoltés, assiégea ceux qui s'étaient réfugiés dans des places fortes, les prit, les mît à mort et détruisit les repaires. Après avoir mis ainsi un terme à la sédition, il frappa les villes d'une amende de cent talents.
  2. Cependant, Pacoros avant succombé dans une bataille et les Parthes ayant été défaits[279], Ventidius envoya comme renfort à

Hérode, sur les instances d'Antoine, Machoeras avec deux légions et mille cavaliers. Mais Machoeras, appelé (à Jérusalem) par Antigone, malgré les protestations d'Hérode, s'éloigna, gagné à prix d'or, sous prétexte d'examiner les affaires d'Antigone[280]. Toutefois celui-ci,

qui se défiait de ses intentions, prit assez mal son arrivée, le repoussa à coups de fronde, et jeta le masque. Machoeras comprit alors que les

 

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conseils d'Hérode étaient les meilleurs et qu'il avait eu tort de ne pas les écouter ; il se retira dans la ville d'Emmaüs, et tous les Juifs qu'il rencontra sur sa route, amis ou ennemis, il les massacra, fort irrité de sa mésaventure. Le roi en conçut une vive colère et se rendit à Samarie, résolu d'aller voir Antoine à ce sujet ; il n'avait, en effet, nul besoin d'alliés de ce genre qui lui feraient plus de mal qu'à ses ennemis : il suffirait seul pour avoir raison d'Antigone. Machoeras, qui l'accompagnait, le suppliait de rester ; s'il avait tant de hâte de partir, qu'il laissât tout au moins son frère Joseph pour concourir avec l'armée romaine à battre Antigone. Hérode, sur les prières instantes de Machoeras, se réconcilia avec lui et laissa Joseph avec une armée, en lui recommandant de ne rien risquer et de vivre en bonne intelligence avec Machoeras.

8. Lui-même marcha en toute hâte vers Antoine, qui assiégeait la place forte de Samosate, sur l'Euphrate ; il avait avec lui des renforts de cavalerie et d'infanterie. Arrivé à Antioche, il trouva réunis nombre de gens qui désiraient aller rejoindre Antoine, mais que la crainte empêchait de partir, car les barbares attaquaient les passants sur les routes et tuaient beaucoup de monde. Il les rassura et se mit à leur tête pour le voyage. A l'avant-dernière étape, avant d'arriver à Samosate, un guet-apens des barbares était dressé contre ceux qui passaient journellement pour se rendre auprès d'Antoine. Comme d’épais taillis empêchaient en cet endroit l'accès de la plaine, les Parthes y avaient placé en embuscade un fort détachement de cavaliers, avec ordre de ne pas bouger jusqu'à ce que la colonne fût arrivée dans un terrain praticable pour les chevaux. Dès que les premiers eurent passé - Hérode veillait à l'arrière-garde -, les cavaliers embusqués, au nombre d'environ cinq cents, tombèrent sur eux à l'improviste et mirent en fuite la tête de la colonne ; mais le roi, se précipitant sur eux, repoussa les assaillants par sa seule impétuosité, releva le courage de ses amis et leur rendit de la résolution ; les fuyards se rallièrent et engagèrent le combat, et les barbares furent tués de tous côtés. Le roi s'acharna au massacre, puis, après avoir recouvré tout le convoi dispersé - il y avait beaucoup de bagages et d'esclaves - il poursuivit sa marche. Les Juifs eurent encore à supporter de nombreuses attaques des ennemis postés dans les taillis, près de l'entrée de la plaine ; Hérode les assaillit à leur tour avec une troupe aguerrie, les mit en fuite, en tua un grand nombre, et rendit la route libre pour ceux qui le suivaient. Ceux-ci le proclamèrent leur sauveur et protecteur.

 

9. Quand Hérode fut arrivé près de Samosate, Antoine envoya à sa

 

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rencontre un corps de troupes en grande tenue, tant pour lui rendre honneur que comme renfort ; car il avait appris l'attaque des barbares. Il témoigna beaucoup de plaisir à le voir, le félicita en apprenant les incidents de sa route et admira sa valeur. Lui-même, il le serra dans ses bras, et lui témoigna tous les honneurs, comme à un homme qu'il avait dernièrement proclamé roi. Peu après, Antiochus[281] rendit la

place, et la guerre se trouva ainsi terminée. Antoine confia [la Syrie] à Sossius, et après l'avoir invité à assister Hérode, partit pour l'Égypte. Sossius dépêcha en avant, pour la Judée, deux légions de renfort destinées à Hérode, et suivit lui-même avec le gros de l'armée.

  1. Joseph venait de périr en Judée dans les circonstances suivantes. Il oublia les recommandations que lui avait faites son frère, en partant pour rejoindre Antoine, et alla camper dans les montagnes ; car Machoeras lui avait donné cinq cohortes, avec lesquelles il courait vers Jéricho, dans l'intention de couper les moissons des habitants. L'armée romaine était composée de recrues, sans expérience de la guerre, la plupart des soldats ayant été levés en Syrie ; aussi, à la première attaque de l'ennemi, Joseph, cerné dans une position difficile, ne put que mourir courageusement les armes à la main et perdit toute son armée : six cohortes furent détruites. Antigone s'empara des cadavres et coupa la tête de Joseph, que son frère Phéroras voulait racheter pour cinquante talents. A la suite de cet échec, les Galiléens se soulevèrent contre les grands et jetèrent dans le lac les partisans d'Hérode ; sur plusieurs points de la Judée il y eut aussi des révoltes. Quant à Machoeras, il fortifia la place de Gittha[282].
  2. Des messagers portèrent au roi la nouvelle de ces événements vinrent à Daphné d'Antioche lui apprendre le sort de son frère ; il s'y attendait, certaines apparitions en songe lui ayant prédit clairement la mort de Joseph. Il hâta donc sa marche, arriva au pied du mont Liban, joignit huit cents habitants de la région à la légion romaine qu'il avait déjà, et parvint à Ptolémaïs ; il en repartit de nuit avec son armée et traversa la Galilée. Les ennemis vinrent à sa rencontre, furent battus et bloqués dans la forteresse d'où ils étaient partis la veille. Il les y attaqua, le matin venu ; mais une violente tempête éclata, qui l'empêcha de rien faire, et il conduisit son armée dans les villages voisins. Une seconde légion, envoyée par Antoine, le rejoignit alors, sur quoi les défenseurs de la place, effrayés, l'abandonnèrent pendant la nuit. Le roi les poursuivit rapidement vers Jéricho, dans l'intention de venger la mort de son frère. Quand il eut campé, il réunit à dîner les magistrats, puis, après le repas, il renvoya les assistants et se retira

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

dans sa chambre. C'est ici qu'on peut juger de la bienveillance de Dieu pour le roi : le toit de la salle du festin s'écroula, mais sans tuer personne ; aussi tous furent-ils persuadés qu'il fallait qu'Hérode fût aimé de Dieu, pour avoir échappé à un danger aussi grand et aussi inattendu.

  1. Le lendemain les ennemis, au nombre de six mille, descendirent des sommets pour livrer bataille, au grand effroi des Romains. Les troupes armées à la légère assaillirent de traits et de pierres les soldats de l'entourage du roi qui s'étaient avancés : Hérode lui-même fut blessé au flanc par un javelot. Antigone envoya contre Samarie un général du nom de Pappos, avec quelques troupes, afin de faire croire à l'ennemi qu’il avait un excès de forces. Mais Machæras vint se poster près de ce général[283] et Hérode, s'étant emparé de cinq

villes, fit mettre a mort tous les prisonniers, au nombre d'environ deux mille, brûla les villes, puis revint contre Pappos, qui était campé près du bourg nommé Isana[284]. De Jéricho et du reste de la Judée

les renforts affluèrent en masse. Quand il fut proche, les ennemis, pour payer d'audace, tirent une sortie contre lui : il tomba sur eux, les défit, et, désireux de venger son frère, poursuivit les fuyards jusque dans le bourg, en les massacrant. Les maisons étaient remplies de soldats, quelques-uns même s'étaient réfugiés sur les toits ; il s'empara de ceux-ci, et en soulevant les toitures, on aperçut l'intérieur plein de soldats, entassés en groupes compacts. Ces malheureux furent lapidés du haut des murs et écrasés en masse, et ce fut le plus terrible spectacle de toute cette guerre que celui de ces cadavres innombrables, entassés les uns sur les autres, à l'intérieur des murs. Ce massacre ébranla fortement l'assurance des ennemis et les inquiéta sur l'avenir ; on pouvait les voir en bandes nombreuses, accourus de loin, tout autour du bourg. Ils prirent alors la fuite, et si une violente tempête ne l'en avait empêchée, l'armée du roi, enhardie par sa victoire, serait arrivée jusqu'à Jérusalem et tout aurait été terminé car Antigone envisageait déjà la nécessité de la fuite définitive et de l'abandon de la ville.

  1. Le roi, comme il était tard, ordonna à ses soldats d'aller dîner, et lui-même, épuisé de fatigue, entra dans une chambre et se disposa à prendre un bain. C'est alors qu'il courut un grand danger, auquel il échappa, grâce à la protection divine. Comme il avait déposé ses armes et se baignait, n'ayant auprès de lui qu'un esclave, quelques ennemis qui, de peur, s'étaient réfugiés là avec leurs armes, sortirent de leur retraite : un premier, le glaive nu, franchit la porte, puis un second, puis un troisième, également armés, et ils partirent sans faire

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

de mal au roi, tant était grande leur frayeur, heureux de pouvoir s'échapper sans avoir eux-mêmes été inquiétés. Le lendemain Hérode fit couper la tête de Pappos, qui avait péri dans la bataille, et l'envoya à Phéroras, en représailles du malheureux sort de son frère, que Pappos avait tué.

14. La mauvaise saison finie, Hérode partit, se rapprocha de Jérusalem et campa tout près de la ville ; c'était la troisième année depuis qu'il avait été proclamé roi à Rome[285]. Levant le camp pour

se rapprocher encore, il s'établit du côté le plus favorable à l'attaque, devant le Temple, décidé à donner l'assaut, comme autrefois Pompée. Il investit la place de trois terrassements, et employa de nombreux soldats à élever des tours, en coupant le bois des forêts environnantes. Puis, laissant à la tète de ces travaux des hommes entendus, une fois son armée bien installée, il alla lui-même à Samarie pour y épouser la fille d’Alexandre, fils d'Aristobule, à laquelle il était fiancé, comme je l'ai dit plus haut.

XVI[286]

1. Arrivée de Sossius. - 2-3. Siége et prise de Jérusalem par Sossius et Hérode. – 4. Supplice d'Antigone. Fin de la dynastie hasmonéenne.

  1. Après son mariage, il vit arriver par la Phénicie Sossius, qui avait envoyé le gros de ses troupes par l'intérieur ; le général lui-même amenait bon nombre de chevaux et d'infanterie[287]. Le roi revint de

son côté de Samarie avec des forces considérables - environ trente mille hommes - qui renforcèrent les anciennes. Toutes ces troupes furent réunies devant Jérusalem et campèrent au pied du mur nord de la ville : il y avait onze légions d'infanterie, six mille cavaliers, sans compter des auxiliaires venus, de Syrie ; les deux chefs étaient Sossius, envoyé par Antoine en qualité d'allié, et Hérode, qui combattait pour son propre compte, afin d'enlever le pouvoir à Antigone, déclaré ennemi à Rome, et de le remplacer sur le trône, conformément au décret du Sénat.

  1. C'est avec beaucoup d'ardeur et d'acharnement - comme on pouvait l'attendre de tout un peuple réuni - que les Juifs, enfermés dans leurs murailles, résistaient à Hérode ; ce n'étaient au sujet du Temple que prédictions favorables, assurances de bon augure pour le peuple, que Dieu allait délivrer du danger. On avait enlevé tout ce qui se trouvait

 

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hors de la ville, afin de ne même pas laisser de quoi nourrir les hommes ou les bêtes, et par de secrets brigandages on affamait l'ennemi. Hérode s'en rendit compte. Pour arrêter les déprédations, il établit des embuscades dans les endroits les plus favorables ; pour se procurer des ressources, il envoya des détachements armés, qui lui ramenèrent de loin des vivres ; en peu de temps l'armée fut fournie en abondance de tout ce dont elle avait besoin. En même temps, les trois terrassements, auxquels de nombreux soldats travaillaient sans relâche, s'élevaient sans encombre ; c'était l'été, et aucun obstacle ne vint, ni de la saison, ni des travailleurs, retarder leur achèvement. On y installa les machines, on ébranla les murs, et on mit en oeuvre tous les moyens. Les assiégés ne se laissaient cependant pas effrayer ; à toutes les tentatives des assiégeants ils ripostaient de leur côté, incendiant dans des sorties les ouvrages à moitié terminés ou même achevés, et dans les engagements faisant preuve d'autant d’audace que les Romains, mais inférieurs par la science de la guerre. Contre les machines, ils élevaient de nouveaux murs, quand les premières constructions étaient renversées ; ils se glissaient sous terre à la rencontre de l'ennemi et combattaient ses mineurs. Par une lutte désespérée plutôt que méthodique, ils résistèrent ainsi jusqu'au bout, bien qu'investis par une armée considérable, et souffrant de la faim et du manque de toutes les choses nécessaires : car c'était précisément l'année sabbatique[288]. Le mur fut enfin escaladé d'abord par vingt

hommes choisis, puis par les centurions de Sossius : le premier mur fut pris en quarante jours, le second en quinze[289]. Quelques-uns

des portiques qui entouraient le Temple furent incendiés, et Hérode, pour attirer sur Antigone la haine des Juifs, l'accusa faussement d'y avoir mis le feu. Quand les abords du Temple et la ville basse furent aux mains de l'ennemi, les Juifs se réfugièrent dans l'intérieur du Temple et dans la ville haute[290] ; et craignant d'être empêchés par

les Romains d'offrir à Dieu les sacrifices quotidiens, ils leur firent demander par des envoyés l'autorisation d'introduire des victimes seulement. Hérode, persuadé qu'ils allaient se rendre, la leur accorda. Mais quand il vit que la soumission attendue ne se faisait pas, que, tout au contraire, les assiégés résistaient vigoureusement pour défendre la royauté d'Antigone, il attaqua la ville et la prit de force. Ce fut alors un carnage général : les Romains étaient irrités des lenteurs du siège, et les Juifs de l'armée d'Hérode ne voulaient laisser vivant aucun de leurs adversaires. On égorgea les malheureux entassés dans d'étroites ruelles, dans les maisons ou réfugiés dans le Temple ; il n'y eut ni pitié pour les enfants et les vieillards, ni ménagement pour la faiblesse des femmes. Quoique le roi eût envoyé de tous côtés l'ordre de faire preuve de modération, personne ne

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

voulut s'arrêter de frapper ; les soldats, comme des furieux, massacrèrent tout, sans distinction d'âge. Antigone, perdant tout sentiment de sa situation passée et présente, descendit de la tour Bans et vint se jeter aux pieds de Sossius ; celui-ci, sans pitié pour l'infortune où il était tombé, l'insulta sans retenue, l'appelant Antigona ; mais au lieu de le renvoyer libre comme une femme, il le fit enchaîner et mettre en prison.

  1. Hérode se préoccupa, une fois ses ennemis vaincus, de se faire respecter aussi par ses alliés étrangers, qui se précipitaient en foule pour voir le Temple et les objets sacrés qu'il renfermait. Le roi, par ses prières ou ses menaces, au besoin même par la force, parvint à les contenir ; car il jugeait que sa victoire serait plus regrettable qu'une défaite, s'ils voyaient quelqu'une des choses qu'il leur était interdit de voir. Il empêcha le pillage de la ville, par ses réclamations énergiques auprès de Sossius, demandant si les Romains, en vidant la ville d'hommes et d'argent, voulaient le faire roi d'un désert, et déclarant que l'empire même du monde ne serait qu'une faible compensation pour le meurtre de tant de citoyens. Sossius lui répondit que le pillage était pour les soldats un juste dédommagement des fatigues du siège. Hérode se déclara alors prêt à les indemniser tous sur ses propres biens. Il racheta ainsi ce qui restait de la ville et tint sa pro messe : les soldats furent récompensés brillamment, les officiers à proportion ; Sossius lui-même reçut un cadeau vraiment royal ; tous ainsi purent partir comblés de richesses.
  2. Cette catastrophe s'abattit sur Jérusalem sous le consulat de Marcus Agrippa et de Caninius Gallus, en la cent quatre-vingt-cinquième olympiade, le troisième mois, pendant la fête du jeûne comme une sorte de retour anniversaire du malheur qui avait frappé les Juifs sons Pompée : car la ville fut prise par Hérode le même jour, vingt-sept ans plus tard[291]. Sossius, après avoir consacré à Dieu une couronne

d'or, partit de Jérusalem, emmenant vers Antoine Antigone prisonnier. Mais Hérode craignit qu'Antigone, s'il était gardé par Antoine el emmené par lui à Rome, ne plaidât sa cause devant le Sénat, faisant valoir qu'il était le descendant des rois, tandis qu'Hérode n'était qu'un simple particulier ; que, par suite, le trône, par droit de race, revenait à ses enfants, même s'il avait été lui-même coupable envers les Romains. Redoutant ces réclamations, il décida Antoine, à prix d'argent, à tuer Antigone et fut alors délivré de souci. Ainsi finit la domination de la race d'Asamonée, qui avait duré cent vingt-six ans[292]. Cette famille avait jeté un vif éclat ; elle devait

son illustration tant à la noblesse de sa race, qu'à la grande-prêtrise

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

dont ses membres étaient revêtus et à toutes les grandes choses que ses ancêtres avaient accomplies pour la nation. Elle perdit le pouvoir par ses dissensions intestines, et la royauté passa à Hérode, fils d'Antipater, qui appartenait à une famille d'origine populaire, simples particuliers, sujets des rois. Telle fut, d'après ce qui nous a été transmis, la fin de la race des Asamonéens.

  1. La solennité un peu ridicule de cet exorde semble bien indiquer

que Josèphe aborde ici une nouvelle division de son histoire,

caractérisée par l'emploi presque exclusif d'un seul auteur, Nicolas de Damas.

  1. Cette date consulaire correspondrait, en effet, à 69 av. J.-C. (Ol.

177.3 = 70-69), mais elle est inconciliable avec la suite du récit qui montre qu'entre l'avènement d'Hyrcan et la déposition d'Aristobule par Pompée (63) il ne s'est écoulé que 3 ans et 9 mois (XV, 180 et XIV, 97). Niese (Hermes, XXVIII, 216 suiv.) suivi par Schürer (I2, 257) en a donc conclu que la date consulaire, peut-être empruntée au manuel de Castor, est fausse et doit être remplacée par 67 av. J.-C.

  1. Livre XIII, xvi, 5.
  2. Ce renseignement parait bien suspect. Guerre, § 121, dit avec plus

de vraisemblance qu'Hyrcan prit comme otages la femme et les enfants d'Aristobule et s'en servit pour traiter.

  1. Dans la Guerre, § 124, Josèphe parlait au moins de la « noblesse » d'Antipater (progñnvn yƒ¦neaa etc.)
  2. D'après Jules Africain il s'appelait Hérode et était hiérodule d'Apollon à Ascalon.
  3. Le texte est corrompu.
  4. Des douze villes ici nommées, quatre figurent dans l'énumération

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

des conquêtes d'Alexandre Jannée (XIII, 396) en Moabitide : Médaba, Lemba (= Libba), Oronas, Zara (= Zôara). En outre Athôné est probablement identique à Telithôna de ce dernier texte. Le reste est inconnu sauf Marissa qui ne saurait être la ville iduméenne bien connue. Voir sur ces questions difficiles Tuch, Quaestiones de Fl. Josephi libris historicis, p. 15 suiv.

  1. Cette anecdote ne parait pas empruntée à Nicolas, mais à la

tradition rabbinique. L’histoire de la prière d'Onias pour la pluie se retrouve dans la Mishna, Taanith, III, 8.

  1. Probablement la Pâque de 65 av. J.C.
  2. Il y a aussi trace de cet épisode dans la tradition rabbinique. Voir

Derenbourg, Essai, p. 113. On a remarque, avec raison que Josèphe en combinant ces deux anecdotes s'est embrouillé. Le cyclone est le châtiment de la perfidie envers les assiégés et non pas, comme il l'avait annoncé, du meurtre d’Onias.

  1. Trois cents d'après Guerre.
  2. Cet épisode n'est pas inséré à sa place chronologique car Pompée

n'arrivera réellement à Damas que plus bas (Cf. Niese, Hermes, xi, 471). On peut en conclure avec certitude que Josèphe l'a emprunté directement à Strabon, et non pas à travers Nicolas. Mais il n'est pas facile de savoir où s'arrête la citation de Strabon. Naber la termine avec le ...charme des yeux, Niese (et sans doute Schürer) la prolonge jusqu'aux mots “500 talents”. Mais nous croyons que la dernière phrase On dit que... y appartient encore, car les mots tòn ƒIouøaÛvn dun‹sthn ne sont pas dans la manière de Josèphe ni dans celle de Nicolas. On ne comprend pas très bien pourquoi les informateurs de Strabon attribuaient à Aristobule l'envoi de cet objet qui portait la dédicace d'Alexandre (Jannée) (La correction ƒAristoyoælou au lieu ƒAlej‹nörou n'est qu'une conjecture du ms. E). On peut se demander s'il ne faut pas distinguer deux vignes, émanant l'une d'Alexandre, l'autre d'Aristobule (cette dernière pourrait être celle qui figura au triomphe de Pompée, Pline, XXXVIII, 2, 14). Cf. Revue des ét. juives, XXXVIII (1899), p. 170. Mais j'ai eu tort d'identifier la vigne d'Aristobule avec le présent de 400 talents offert à Scaurus et touché par celui-ci (voir plus haut).

 

[14] Hiver 64-63 av. J.-C.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Il n'a pas été question encore de l'extorsion de Gabinius.
  2. Strabon mentionne également cette place, dont le site exact n'est pas connu.

[17] L'excellente correction de Niese (d'après P) t¯n aoÛlhn... SurÛan

Œpò t°w llhw (P¡llhw dans les autres mss.) s'impose. Cf. Niese, préface du tome III, p. xxii.

  1. La version de la Guerre, Œpò DÛou (mss. Diñw) pñlevw

xvrÞzetai supposerait que Pompée avait amené les princes rivaux de Damas à Dion, ce qui est en contradiction avec la suite du récit.

  1. Un peu au sud de Scythopolis, sur la route de Jéricho, et à l'O.

du Jourdain, comme le prouve la mosaïque de Médaba. Aujourd'hui Karaoua sur le Ouadi Faria.

  1. Peut-être le mont Sartaba, à 2 lieues au S. de Karaoua.
  2. D'après Guerre, la nouvelle lui parvint à Jéricho même.
  3. Il avait selon Strabon (XVI, 2, 40) 60 pieds de profondeur et 250

de largeur. Ce que Josèphe dit ici de la ville ne parait bien s'appliquer qu'à la colline sur laquelle s’élevait le Temple (cf. plus bas), la

colline E. séparée de la colline O. (ville haute) par le ravin du Tyropoion. Mais il semble que les partisans d'Aristobule se retranchèrent uniquement dans le Temple même, évacuant ainsi la partie S. (ville basse) de la colline E. où s'était élevée autrefois l'Acra. Le pont rompu par eux doit être celui qui reliait le flanc O. du temple à la ville haute (colline O.). Cf. Guerre, VI, 6, 2 taæth gar (à l'0. du Temple extérieur) æp¥r tõn Eustõn (une grande place) ±san pælai xaÜ g¡rura sun‹ptousa tÇ ÞerÒ t¯n nv pñlin.

  1. Le palais des Hasmonéens était prés du Xystos. Cf. Guerre, II.
  2. Ces derniers mots, quoique confirmés par Guerre, sont un peu

suspects. Si un « ravin profond », ceignait le Temple même au nord,

on ne peut pas dire qu'il fût « accessible » de ce côté.

 

Zone de Texte: [34] D'après la construction et peut-être dans la pensée de Josèphe c'est Hyrcan qui aurait tenté de relever les murs de Jérusalem, mais ilFlavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Les mots Øo€oæ d2 (ou øi°ge) Homp±ioû sont incompréhensibles. Il semble qu'il y ait une lacune.

[26] La 179ème Olympiade (première année) va de juillet 64 à juillet

63 ; le consulat de Cicéron et d'Antoine correspond à l'année 63 ; la prise de la « ville » (ou plutôt du Temple) aurait donc eu lieu, d'après ce synchronisme, encore dans le premier semestre de 63 (contrà, Schürer, I3, 299). En tout cas, le « jour de jeûne » chez Josèphe (il entend par là sûrement le Kippour) résulte d'une interprétation erronée du document païen copié par lui : les Grecs et les Romains désignaient par là le sabbat qu'ils prenaient à tort pour un jeûne. Strabon (XVI, 2, 40) dit formellement que Jérusalem fut prise : t2n t°w nhsteiaw hm¡ran hnÞaa •peßxonto oÞ ƒIouùaÝoi pantòw §rgou, et Dion Cassius, XXXVII, 16, qu'elle fut prise Øn t» toè Krñnou ±m¡ra ; c'est la même chose en d'autres termes. Cf. Herzfeld dans Monatsschrift f. Geschichte u. Wissensch. d. Judenthums. 1855, p. 109 suiv.

  1. Il s'agit probablement d'un oncle paternel, du dernier survivant

des fils d'Hyrcan I, épargné par Alexandre Jannée à cause de ses goûts paisibles (XIII).

  1. Remarquer le pluriel luxnÛaw, qui paraît inexact.
  2. Le légat de Syrie : la Palestine n'eut pas de gouverneur spécial.
  3. On a vu que la ville avait été prise par Jannée (XIII), mais il n'a pas encore été question de sa destruction.
  4. Ce dernier nom paraît corrompu. On ne connaît pas d'autre Aréthuse en Syrie que la ville située tout au Nord, près d'Émèse.
  5. Ce chapitre correspond à Guerre, I, § 159-170.
  6. 57 av. J.-C., dans l'intervalle la Syrie avait eu pour gouverneur

Marcius Philippus et Lentulus Marcellinus (Appien, Syr., 51). C’est à tort que dans la Guerre Gabinius est donné pour successeur immédiat (ùi‹doxow) de Scaurus.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

s'agit sûrement d’Alexandre. On voit plus bas qu'Hyrcan avait été chassé de Jérusalem.

  1. Pour Alexandreion voir le chapitre iii, 4, la note sur Corées.

Machairous, aujourd'hui Mkaour, à l'E. de la mer Morte. avait déjà été fortifiée par Alexandre Jannée (Guerre, VII, 6, 2 ; basileéw €Al¡jandrow ne peut désigner que Jannée). A moins d'admettre que ces deux places eussent été démantelées par Pompée lorsqu'Aristobule lui livra toutes ses forteresses ; on voit donc que Josèphe se trompe ici en attribuant leur fortification à Alexandre. Outre ces deux forteresses, Guerre nomme Hyrcaneion, dont le site est inconnu et dont il sera parlé sous le nom d'Hyrcania au § 4 ci-dessous.

  1. Josèphe oublie de dire qu’Alexandre s’était réfugié dans la place (Guerre).

[37] Les mss. ont Dora, mais la leçon Adora (Niese) est justifiée : 1°

par €AøÉreow de Guerre ; 2° par le rapprochement avec Marissa, qui se retrouve dans le livre XIII, x, 1. Il s'agit de la ville d'Idumée à l'O. d'Hébron. aujourd'hui Doura.

  1. Guerre ajoute à la liste Apollonia, Iamnée et Gamala, mais omet Gaza.

[39] C'est-à-dire sans doute la grâce d'Alexandre. On peut

soupçonner que Gabinius se laissa convaincre par des raisons sonnantes.

  1. sun¤øria. Le sens de ce mot a été bien vu par Unger, Sitzungsb.

de Munich, 1897, p. 191 suiv. Guerre a sænodoi, qui est moins clair. Schürer croit qu’il s'agit de simples circonscriptions judiciaires : en réalité, Gabinius brisa l'unité politique de la Judée ; c'est ce qui explique les insurrections répétées qui se produisirent.

  1. Les mss. ont GŽdara, mais il s'agit sûrement de Gazara (Gezer) au S.-O, de la Judée ; cf. livre XII, vii, 4.
  2. Guerre, I, 171-178.
  3. Servianus d'après Guerre. Sisenna était fils de Gabinius.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Deux mille hommes se réfugièrent sur une colline (Guerre).
  2. La révolte d'Aristobule se place en 56 av. J.-C.
  3. Ptolémée Aulète, chassé par les Alexandrins révoltés.
  4. Josèphe emprunte étourdiment cette phrase à l'auteur grec qu'il copie.

[48] Les mss. ont ¢fƒ •Uoaanñn qui n'a point de sens. La correction

€Arx¡laon est due à Hudson. Archélaüs, fils d'un général de Mithridate Eupator, avait épousé Bérénice, fille d'Aulète, proclamée reine par les Alexandrins.

  1. Le Thabor.
  2. Dion Cassius (XXXIX, 56) attribue à Gabinius l'imposition du

tribut aux Juifs, alors que nous avons vu que Josèphe fait remonter cette mesure à Pompée (XIV, iv, 4).

  1. Mithridate est le roi des Parthes (fils et successeur de Phraale)

qui, chassé par les grands en 55, se réfugia dans le camp de Gabinius. Orsanès est inconnu. Ce petit détail, isolé du contexte, est peu intelligible et sans intérêt pour l'histoire juive : on voit que Josèphe extrait hâtivement une histoire générale.

  1. La concordance générale entre les récits de Strabon et de

Josèphe peut encore être contrôlée par la comparaison des renseignements historiques épars dans la Géographie de Strabon avec les Antiquités (cf. Bloch, Quellen des Josephus, p. 105). Toutefois nous sommes d'accord avec Destinon pour croire que dans cette partie des Antiquités Josèphe a eu pour guide principal Nicolas, et l'a seulement complété ou rectifié sur certains points à l'aide de l'ouvrage historique de Strabon.

  1. Guerre, I, § 179-186.
  2. 54 av. J-C.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Il ne s'agit pas d'un poids d'or de 8.000 talents, mais d'un poids

d'or équivalent à 8.000 talents d'argent, soit une valeur intrinsèque de 48 millions de francs.

  1. 2 1/2 livres romaines, savoir 818 grammes. Cette évaluation est

grossièrement approximative ; la mine hébraïque, identique (à cette époque) à la mine phénicienne, ne vaut que 728 grammes.

  1. 300 mines d'or valaient 3.000 mines d'argent ou 150.000

drachmes phéniciennes. Tout ce récit est singulièrement suspect et dérive peut-être d'une source légendaire. Cf. Destinon, p. 105.

  1. Par seöñmenoi ton yeñn Josèphe entend les païens convertis au

monothéisme juif, sans être devenus complètement juifs. L'expression synonyme fodoæmenoi ton yeñn se retrouve dans les Actes des Apôtres. Cf. Bernays, Gesammelte Abhandlungen, II, 74; Schürer, III, 123.

  1. Le fait rapporté par Strabon se place en 88 ou 87 av. J.-C.

pendant l'occupation de l'Asie romaine par Mithridate Eupator. ou a vu plus haut (XIII, 34Y) que Cléopâtre (mère de Ptolémée Lathyre et d'Alexandre), sur le point de partir en campagne contre son fils, avait déposé ses trésors à Cos. Il est fort probable que les généraux juifs Helkias et Ananias en avaient fait autant et que ce sont là « 800 talents des Juifs » mentionnés par Strabon. L'explication toute gratuite de Josèphe est sans vraisemblance, car 800 talents sont une somme beaucoup trop forte pour représenter les contributions des Juifs d'Asie Mineure au trésor du Temple. Cf. Revue ét. juives, XVI, 204.

  1. D'après le récit de Plutarque, Lucullus, c. 2, Lucullus trouva la

Cyrénaïque agitée par des guerres civiles, mais il n'est pas question d'une sédition des Juifs. Aussi Niese croit-il notre texte altéré.

  1. Ces derniers mots me paraissent suspects.
  2. Dans l'Histoire copiée par Josèphe. La mort de Crassus se place en 53 av. J.-C, Cassius était son questeur.
  3. Sur le lac de Tibériade.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Si Cypros était Arabe (les mots ¡j ƒArayÛaw se lisent aussi dans

Guerre), on ne comprend pas qu'elle soit qualifiée d'Iduméenne ; aussi les mots me paraissent-ils suspects, d'autant plus que (dans Guerre il est dit qu'Antipater se concilia le roi des Arabes (Nabatéens) diŒ t¯n ¢pigamÛan. Josèphe a dû mal comprendre son auteur, ou les copistes l'ont altéré.

  1. Guerre ajoute ce détail qu’il imposa d'abord à Alexandre (fils

d’Aristobule) un traité par lequel celui-ci s'engageait à rester tranquille.

  1. Printemps 49 av. J.-C.
  2. A rapprocher de la relation du Talmud (Baba Batra, 3 b), d'après

laquelle Hérode conserva le corps de Mariamme dans du miel pendant sept années. (Note de M. Israël Lévi.)

  1. Q. Metellus Scipio, beau-père de Pompée et gouverneur de Syrie.

[69] Nous traduisons ainsi les mots toêw Œdelfoéw açtoè

(d'Alexandre), faute d'un mot français équivalant à l'allemand Geschwister. Aristobule n'avait que deux fils et deux filles (supra, iv, 5). Guerre dit nettement : ƒAntÛgonon xaÜ tŒw ‹delfŒw aætoè.

[70] Au sud d'Héliopolis (Baalbek).

  1. Guerre dit que ce fut par amour pour Alexandra que Ptolémée tua son fils. Quel sujet de tragédie pour le xviiie siècle !
  2. Guerre, I, §§ 187-200.
  3. Le texte dit bizarrement : « Après la mort de Pompée et sa victoire sur lui ».

[74] Il est difficile de savoir quelles fonctions exactes se cachent sous

le titre de ¢pimelht±w ƒIoudaÞvn que Josèphe emprunte à Strabon ; peut-être renferme-t-il un anachronisme. César est en Égypte depuis octobre 48 av. J.-C. Les évènements qui suivent se placent au printemps 47.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Le texte des mss. est très incertain. Guerre nomme simplement

Ptolémée et Iamlichos. Ces dynastes ne sont pas autrement connus, mais le nom Iamlichus reparaît parmi les soldats ituréens (Wilmanns, n° 1530) et celui de Sohémus est porté par plusieurs princes de la même région.

  1. Whiston interprète oÛ perÜ M¡mfin par « les Juifs de Memphis ».

[77] Judeich (Cäsar im Orient, p. 92) identifie cette localité avec le

castra ludocarum mentionné par la Noticia dignitatum, c. 25, dans l'Augustamnica (au S. E. du Delta). Schürer, III, 98, croit, au contraire, qu'il s'agit d'une localité située au N. O. de Memphis.

  1. 50 d'après quelques mss., 80 d'après Guerre.
  2. Asinius Pollion, auteur d'Historiae, qui commençaient avec la

constitution du premier triumvirat. Ce fragment (omis par Peter), figure dans nos Textes, p. 243.

  1. Hypsicratès d'Amisos, compatriote et contemporain de Strabon,

qui le cite plusieurs fois. Textes, p. 77. Josèphe paraît avoir voulu, en citant ces témoignages, relever le rôle d'Hyrcan trop effacé dans le récit de Nicolas (Destinon, p. 104).

  1. Guerre ajoute des insinuations sur les motifs intéressés qui leur

auraient dicté leur intervention en Égypte. De même la réponse d'Antipater y est plus développée : il déchire sa robe, montre ses cicatrices, etc.

  1. D'après Guerre, qui suit sans doute le récit de Nicolas, c'est

Antipater qui demande la permission de relever les murs de Jérusalem

  1. Le véritable texte du décret de César se trouve plus loin, x, 2. Il

en résulte que Hyrcan fût non seulement confirmé dans la grande prêtrise, mais institué ¤yn‹rxhw héréditaire des Juifs, sans que nous sachions toutefois quelle était l'étendue territoriale de sa domination. Il est probable que la division en 5 cités inaugurée par Gabinius fut alors abandonnée ; cela parait certain pour Jérusalem et pour la Galilée (infra, ix, 2).

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Josèphe s'est sûrement trompé en rapportant le sénatus-consulte

qu'on va lire à l'époque de Hyrcan II. Il est plus ancien et se rapporte soit à l'époque de Jonathan (livre XIII ; I Maccabées, 12, 14 et 16), soit à celle de Simon (XIII, I Maccabées, 14, 24 ; 15, 15-21), soit (Scaliger) à celle de Hyrcan Ier (XIII). L'attribution à l'époque de Simon a été soutenue par Ewald, Grimm, Mendelssohn (Acta Societatis philologae Lipsiensis, V, 1875) etc. Elle est fondée sur la remarquable analogie de notre SG. avec la circulaire du consul Lucius dans I Maccabées 15, 16 suiv., où Simon est nommé deux fois. Cf. pour l'abondante bibliographie de cette question Schürer, I2, p. 251 suiv.

  1. Ce préteur Lucius Valerius a été identifié par Mendelssohn avec

le consul Lucius dont on lit (I Maccabées, 15, 16 suiv.) une circulaire en faveur des Juifs et de Simon adressée au roi d’Égypte et aux autres alliés de Rome.

  1. Quoiqu'il y ait eu à Rome plusieurs temples successifs de la

Concorde depuis Camille. Mommsen estime (Hermes, IX, 281 suiv.) que le seul où le sénat ait tenu séance est celui d'Opimius, bâti en 121 av. J.-C., ce qui exclurait l'attribution de notre SG. à l'époque de Simon.

  1. Dans I Maccabées, 14, 22, les deux ambassadeurs envoyés par

Simon aux Spartiates s'appellent Noum®niow ƒAntiñxou (comme le second dans notre texte) et €AniÛpatrow ƒI‹sonow (ici €Al¡janrow ƒI‹sonow). Ritschl a en conséquence proposé d'écrire ici aussi €AntÞxatrow (Rh. Museum, 28, 516).

  1. Le bouclier d'or que Numenius apporte à Rome de la part de

Simon (I Maccabées, 14, 24), pèse 1.000 mines, c'est-à-dire 50.000 statères d'or : il y a donc concordance absolue. Toutefois dans la circulaire I Maccabées, 15, 18, l'expression Œpò mnÇn xilÛvn signifierait plutôt « valant 1.000 mines d'argent ».

  1. Cf. I Maccabées, 15, 19 (circulaire de Lucius).
  2. Cette dernière phrase est singulièrement embarrassante. Si,

comme il est probable, Josèphe l'a trouvée dans sa source - quelque recueil de décrets en faveur des Juifs – il semble que le rédacteur ait

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

eu en vu Hyrcan Ier plutôt que Hyrcan II. Car la 9e année de Hyrcan

Ier (126 av. J.-C.), qui tombe en pleine lutte de Démétrius II et d'Alexandre Zébina, est une date assez plausible pour une ambassade à Rome ; au contraire, en l'an 9 de Hyrcan II (54 av. J.-C.), en plein proconsulat de Crassus, les Juifs ne pouvaient avoir l’idée de renouveler l'alliance n avec Rome au prix d'un million. La date admise par Spanheim et Mommsen - 47av. J.-C., 9 ans à compter de la réorganisation de Gabinius - nous paraît indéfendable, malgré l’approbation de Willrich et de Kautzsch. Nous ne sommes d'ailleurs pas forcés d'accepter (comme Scaliger et autres) la date proposée par le rédacteur (on a vu que les circonstances indiquent plutôt l'époque de Simon), mais on peut se demander comment il y est arrivé. Cela est d’autant plus énigmatique que le mois de Panémos correspond à peu prés à juin et que le SG. est daté de décembre !

  1. Sur ce document voir mon article dans la Revue des Etudes

juives XXXIX (1899), p. 16 suiv. Mais de récentes découvertes épigraphiques ne me permettent pas de maintenir les conclusions de ce travail Il semble actuellement démontré (voir Ferguson, The athenian archonts of the IIId and IId century B. C., Corneil studies X. 1899. p. 82) que l'archonte Agathoclès dont nous avons deux autres décrets (CIA., II, 470) appartient à la fin du Ier siècle av. J.-C., probablement à l'an 106/5, et dès lors notre décret vise Hyrcan 1er, et non pas comme l'a cru Josèphe (ou sa source) Hyrcan II. Déjà M. Homolle avait montré (Bull. corr. hell., X, 25 et XVII, 145) que l’auteur des décrets CIA., II, 470, figure comme épimélète dans une inscription délienne de 101 av. J.-C.

  1. Cette première phrase ne fait pas partie du décret athénien : c’est

l'enregistrement de la remise de ce décret à une ville amie (Ascalon

?) chargée probablement de le transmettre à Jérusalem.

  1. Suivaient le numéro de la prytanie (sûrement la 10e) et le nom de la tribu prytane.

[94] Dans le second décret de Théodotos rendu la même année (CIA.,

II, 470) le greffier (qui restait alors en fonctions toute l’année) est appelé Eéal°w SenŽndrou AÞyalÛöhw. Il faut donc sûrement corriger d'après cela le texte de Josèphe qui porte Eéxl°w Mex‹ndrou „Alimoæsiow. La première faute s’explique sans peine, la seconde peut provenir d’une abréviation mal résolue.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Cette dénomination ne convient qu'à Hyrcan II : si donc, comme

on est porté à le croire le décret vise Hyrcan Ier (fils de Simon), il faut admettre un véritable faux de la part de Josèphe, ou plutôt de sa source.

  1. Je propose aujourd’hui de déplacer les mots dedñxyai dØ xai nèn qui, placés avant Yeodosiou - Žgauñn sont plus qu'embarrassants.

[97] Les mss. ont Yeodosiou (P. Dionusiou) YeodÅrou, mais on doit

accepter la correction de Dumont (Essai sur la chronologie des archontes athéniens, p. 29), les deux autres décrets de la même année ayant pour auteur Yeñdotow DiodÅrou Sounieéw.

  1. C'est-à-dire de la valeur de 1.000 drachmes.
  2. Je supplée ce nom après le xaÛ (inintelligible autrement) des

mss. Les IItolemaÝa sont presque toujours à cette époque associées aux deux autres agones gymniques : toutefois elles manquent dans CIA., II, 470, I.26, contemporain de notre décret.

  1. Le texte est ici profondément corrompu, j’en fait une lecture au hasard.
  2. Guerre, I, § 201-215.
  3. Casaubon et d'autres corrigent 15 en 25. En effet, au moment

de sa mort (4 av. J.-C.) Hérode est dit près de septuagénaire (Ant. XVII, 6, 1 = Bell., I, 33, 1) : né vers 73, il avait donc en 47 vingt-cinq ou vingt-six ans. Mais alors on ne comprend guère qu'il soit qualifié de n¡ow pant‹pasin ; dans les idées des anciens un homme de vingt-cinq ans n’était pas un « tout jeune homme ». Le texte de la Guerre ne nous donne aucun secours.

  1. Terme singulièrement impropre, puisque Hyrcan n'avait que le titre d'ethnarque. De même plus loin, il est qualifié à tort de roi.

[104] toè sunedrÛou. C’est la première fois que le Conseil ou Sénat

de Jérusalem est désigné sous ce nom. Il est probable qu'il l'avait reçu au temps de Gabinius, qui organisa cinq synedria en Judée (supra, v, 4). Après la réorganisation césarienne, les synedria provinciaux auront été supprimés et celui de Jérusalem sera devenu la cour

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

suprême de l'Etat. Schürer, après avoir adopté cette opinion, l'a abandonnée (II3, 194).

  1. Cf. Ant. XV, i, 1, où l'on voit qu'il épargna aussi Pollion, maître

de Saméas. On croit que Saméas est le célèbre docteur Schemaya, qui aurait été avec Abtalion (Pollion) à la tête du Sanhédrin (Pesahim, 66 a ; 70 b). Reland et après lui Derenbourg (Essai, p. 146 suiv.) ont rapproché de notre épisode (probablement d’origine légendaire, cf. Destinon, p. 105) un récit du Talmud (Sanhédrin, 19 a) où « un esclave du roi Jannée » ayant commis an meurtre, Siméon ben Schétah invite son maure à comparaître, lui aussi, devant le tribunal. Cf. J. Lehmann, Revue des Etudes juives, XXIV, 68.

  1. Guerre présente les choses un peu autrement. Hyrcan prononce

l'acquittement d'Hérode, mais celui-ci, croyant qu’il a été acquitté malgré Hyrcan, s'enfuit.

  1. Et de Samarie (Guerre).
  2. Herwerden lit òrg®n, mais ñrmhn se trouve aussi dans le texte parallèle de la Guerre.

[109] pl¡on ¤stÜ t°w strateÛaw (? strati•w? strathgiaw?) tõ dixon.

Nous ne comprenons pas bien cette phrase qui se retrouve textuellement dans Guerre ; elle confirme la leçon dixon de P, V, contre dhlon, des autres mss.

  1. Ce chapitre n'est pas représenté dans la Guerre. Les documents

d'archives d'un intérêt capital que Josèphe a réunis ici et ailleurs (XIII, 9 ; XIV, 8 et 12 ; XIV, 6 ; XIX, 5 ; XX, 1) ont été souvent étudiés, notamment par Mendelssohn (Acta soc. phil. Lipsiensis, V), Niese (Hermes, XI, 483 suiv.), Judeich (Cäsar im Orient, p. 119 suiv.), Viereck (Sermo graecus quid SPQR usi sunt, p. 93 suiv.). Voir une bibliographie complète dans Schürer, I3, p. 105 et 345. On ignore où Josèphe a trouvé ces documents ; il est peu probable qu'il les ait copiés lui-même soit dans les archives du Capitole, soit dans celles de villes grecques ou de communautés juives, quoiqu'il semble vouloir le faire croire (plus bas). On a soupçonné que la collection avait été formée soit par Nicolas de Damas qui, dans le procès des Juifs d'Asie Mineure devant M. Agrippa, se réfère à des documents de ce genre (XVI, 2, 4), soit par le roi Agrippa 1er lorsqu'il plaida la cause des

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

Juifs devant Caligula. Mais ces deux opinions soulèvent de graves objections (voir Schürer, I2, 86). En tout cas, les documents, dont l'authenticité est indiscutable, n'étaient pas classés dans un ordre chronologique exact et Josèphe s'est souvent trompé en les datant. En outre, le texte en est extrêmement fautif et lacuneux.

  1. 46 av. J.-C.
  2. Cette ambassade d'Hyrcan paraît en réalité se placer plus tard, vers la fin de l'année 45.

[113] Cette phrase est peu compréhensible. En quoi les témoignages

émanant des Romains prouvent-ils que les rois d’Asie et d’Europe ont fait cas des Juifs ?

  1. Cet « encore maintenant » pourrait être emprunté à un historien

antérieur. Toutefois les Archives du Capitole, incendiées en 69, furent reconstituées tant bien que mal par Vespasien (Suétone, Vie de Vespasien, 8).

  1. Il est encore question de cette stèle, C. Apion, II, 4, où il est dit

seulement qu'elle contenait les dixaiÅmata des Juifs. Si elle avait été aussi explicite sur leur qualité de citoyens, il serait singulier que Claude ne l'est pas mentionnée dans son édit si favorable aux Juifs d'Alexandrie (XIX, 5, 2).

  1. La deuxième dictature de César va d’octobre 48 à avril (?) 46

av. J.-C. Puisqu'il ne prend pas ici le titre de consul qu'il porta en 48 et 46, le décret doit être de 47 (Schürer). Comme César y parle de son armée, le décret a sans doute été rendu en Syrie.

  1. Cet intitulé prouve que notre décret a été recueilli dans les archives de Sidon.

[118] Les mss. ont ici autoxoŽtvo th deæteron xai Žrxieroæw. Niese

corrige, d'après l'ancienne traduction latine (imperator pontifex secundo dictator) : aêtoxratvo xaÜ Žrxiereêw, diat‹tvr to deæteron.

  1. Ex consilii sententia. Chaque gouverneur, chaque magistrat

supérieur prenait l'avis de son conseil dans les questions contentieuses. C'est le germe de l'institution impériale dite Consilium

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

principis.

  1. On a vu plus haut que d'après Josèphe (Nicolas ?) Antipater amena 3.000 hoplites juifs. Il semble qu'on touche ici du doigt l'exagération tendancieuse de Nicolas. En outre, le décret de César vint à l'appui des témoignages de Pollion et d'Hypsicratès (voir plus haut) sur la présence d'Hyrcan lui-même dans le corps de secours.
  2. Mithridate de Pergame.
  3. p‹ntaw toçw ¤n tà tŽjei. Sens et texte douteux. Peut-être faut-il corriger ¤n tú para tŽjei, « dans la bataille ».
  4. Tel nous paraît être le sens (alexandrin) de filŽnyrvpa.
  5. Texte très suspect.
  6. Texte altéré et incompréhensible.
  7. Ce document (sect. 3) qui n'ajoute rien d'essentiel au précédent, serait, d'après Mendelssohn, un fragment d'un SC. ratifiant le décret proprio motu de César. Comme César y est qualifié de consul, mais non de dictateur, le document serait postérieur à avril 46 ; mais l'omission du mot dictateur peut-être accidentelle. Niese place le SC. en 44.
  8. xai ÜereÝw des mss. nous paraît impossible.
  9. Mendelssohn voit également dans ce document un fragment du SC. confirmatif de 46. Je suis porté à croire que le document III n'est qu'une phrase accidentellement tombée du document (II).
  10. 44 av. J.-C.
  11. toætow ¦xein, texte altéré. Il semble que Josèphe ait pris pour un texte officiel le résumé de Nicolas.
  12. On a vu plus haut (viii, 4) que cette permission fut accordée par César à Hyrcan lors de son passage en Syrie, en 47. Il y a contradiction entre cette date et celle de l'intitulé de notre document

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

(44 av. J.-C.). Mendelssohn se prononce pour la date 47, ce qui obligerait à supprimer les mots èpatow tò p¡mpton.

  1. Le xñrow, mesure de capacité, vaut environ 360 litres. Mais il

est impossible que ce nom hébreu figure dans un décret de César. Il semble qu'il soit question, comme dans le document V, d'une exemption de tribut dont bénéficieront les Juifs pendant l'année

sabbatique. Cette année tombait (voir Schürer, I2, 36) en 45 av. J.-C. Comme le nouveau régime du tribut commence en 46, c'est bien la seconde année de la le!me. Mendelssohn voit dans la dernière phrase de ce document le débris d'un édit de César sur les tributs des Juifs.

  1. Entre octobre 48 et avril 46. Probablement en 47.
  2. Mendelssohn interprète (et corrige en conséquence) : les habitants de Jopé.
  3. Nous lisons m®nÛ au lieu de §tei qui n'a pas de sens et a pu naître sous l’influence de la dernière phrase du document IV.
  4. rxvn m®te Žnt‹rxvn (ces deux derniers mots manquent dans la plupart des mss.).
  5. Ici parait commencer le texte d'un sénatus-consulte peut-être celui de l'an 44 (9 février) cité dans le document VIII.

[138] Sur l'occupation définitive de Jopé par les Juifs sous Jonathan,

voir livre XIII, vii, 1. On pourrait invoquer notre texte pour prouver que l'alliance des Juifs avec les Romains ne remonte pas au delà de Jonathan.

  1. Nous suppléons teleÞn, le verbe manque dans les mss. (sauf V qui a l'absurde §xein).
  2. Celle de Jezréel.
  3. Tandis que la première partie du décret est rendue au nom de

César, nous voyons ici apparaître le Sénat. Mendelssohn en a conclu que notre document V est un fragment du sénatus-consulte de l'an 44 dans lequel le Sénat a inséré (?) un décret de César de l'an 47.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Les mots ¤n Læddoiw nous paraissent altérés. Peut-être s'agit-il d'un palais situé à Lydda.
  2. C'est-à-dire les Séleucides. Schürer pense aux petits dynastes gratifiés par Pompée.

[144] 44 av. J.-C. Nous avons ici l'oratio introductoire d'un sénatus-

consulte, probablement celui du 9 février 44. Hyrcan avait envoyé une ambassade à Rome pour solliciter de nouvelles faveurs. Sur ce texte et le précédent, cf. Mendelssohn, op. cit., p. 229 suiv. ; Viereck, p. 99 suiv.

  1. Le texte est corrompu. Les mss. ont ƒIoæliow (F : odliow)

G‹iow (P ajoute uÛòw d), nom impossible. On a proposé Junius, Vibius, Servilius Vatia. Sur ce document cf. Mendelssohn, Acta, etc., V, p. 212-216 ; Viereck. p. 101.

  1. Lire strathgòw [Žny]æpatow comme dans les inscriptions BCH, IX, 380 ; Revue ét. gr., V, 204.

[147] Si la leçon des mss. (IIarianÇn) est exacte, il s'agit de la ville de

Parium en Troade et le proconsul est un gouverneur d'Asie. Mais on peut se demander alors ce que les Juifs de Délos vinrent faire dans cette affaire. Nous aimons donc mieux corriger et lire IIarÛvn, l'île de Paros, avec Schürer et autres.

  1. L'expression strathgõw èpatow (les mss. ont s. xaÜ èpatow)

pour désigner le dictateur César est plus que singulière. Il s'agit bien d'ailleurs d'un édit de César. Cf. Suétone, Vie de Jules César, 42 : Cuncta collegia praeter antiquitus constituta distraxit (César fit dissoudre toutes les associations, hormis celles dont l'institution remontait aux premiers âges de Rome).

[149] 15 mars 44 av. J.-C.

  1. Cf. Mendelssohn, op. cit., p. 238 suiv., où les noms des témoins sont longuement identifiés.

 

[151] 11 avril 44.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Nom impossible. Mendelssohn propose S. Sulpicius (Rufus).

Quintus parait être le prénom (ou le nom du père ?) d'un 3e témoin dont le nom a disparu.

  1. Titius ? (Mendelssohn).
  2. Les mss. ont S¡lliow, ƒAs¡lliow, Sas¡lliow. On a conjecturé ƒAxæliow (Aquilius).
  3. Roscius ? (Mendelssohn).
  4. C'est-à-dire (si le texte est intact) que le premier sénatus-

consulte autorisant (ou ratifiant ?) le proprio motu de César était en date du 9 février 44. Il semble bien que tout ce § soit emprunté au récit de Nicolas.

  1. Mendelssohn, Acta, V, 247-250.
  2. Cette date initiale ne fait pas partie de la lettre de Dolabella.

C'est la date d'enregistrement de la lettre dans les archives municipales d'Éphèse. Elle prouve que Dolabella avait pris possession de sa province dès le mois de janvier 43 (1er Lénœon = 24 janvier).

  1. Cf. Mishna Schabbath, VI, 2, 4.
  2. Il s'agit de L. Lentulus Crus, consul en 49 av. J.-C., l'année où

éclata la guerre civile entre César et Pompée. Lentulus fut chargé par le Sénat de recruter dans la province d'Asie deux légions de citoyens romains (César, Bell. civ., III, 4). Le document qu'on va lire est la décision rendue in consilio par Lentulus exemptant les Juifs citoyens romains du service militaire à cette occasion ; cette décision est insérée (?) dans une lettre d'avis adressée aux Éphésiens par son légat Ampius Balbus, et c'est dans les archives municipales d'Éphèse que l'aura recueillie l'auteur du Recueil reproduit par Josèphe ; celui-ci ne se doute d'ailleurs pas de la date et des circonstances du décret. Cf. sur ce document et les décisions connexes (sections 14, 16, 18, 19) Mendelssohn, Acta, V, 167-188.

  1. Sur l'acquisition du droit de cité romaine par les Juifs, cf. Schürer, III3, 84 suiv. ; Mendelssohn, SC. etc., 175.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. 20 septembre 49 av. J.-C. Mais il v a des doutes sérieux sur

l'exactitude de cette date ; les documents suivants semblent indiquer que la décision de Lentulus fut rendue au mois de mai. Mendelssohn corrige au contraire la date des n°s XIV et XVI en 19 septembre (a. d. XIII kal. oct.) et croit que le document X est un second décret du consul étendant à tous les Juifs citoyens romains en Asie la décision prise la veille en faveur de ceux d'Éphèse : rien de plus arbitraire.

  1. ...Appiow mss. La correction est due à Borghesi.
  2. K‹siow, K‹ssiow, „R‹siow dans les mss. (Raecius d'après Mendelssohn).

[165] D'après la rédaction du document XIV, Lentulus n'aurait visé

que les Juifs d'Éphèse ; mais cette rédaction écourtée est probablement erronée.

  1. Il semble résulter de ce décret qu'à l'époque où il fut rendu

Délos avait été rattachée (temporairement ?) à la province romaine d'Asie. Il a déjà été question des Juifs de Délos, document VII.

  1. Ce mois correspond à mai - juin (49) Même en admettant un

grand désordre dans le calendrier romain, on voit qu'il n'est pas possible que la décision de Lentulus, à laquelle notre décret se réfère, date de septembre.

  1. Je lis Žnyæpatow au lieu de èpatow.
  2. Ce document a été inséré par Josèphe dans un dossier auquel il

n'appartient peut-être pas. Il s'agit là d'une ambassade juive revenant de Rome via Cos et qui a demandé à un préteur proconsul communication de la copie officielle du SC. qui doit servir de sauf-conduit. Pour déterminer la date, nous n'avons que le nom du magistrat, C. Fannius C. f. On a identifié notre « préteur proconsul » avec le propréteur Fannius du document X bis qui pourrait être le C. Fan(nius) pont(ifex) pr(aetor?) des cistophores éphésiens de 49/8. Est-il plutôt identique au consul de 122 av. J.-C. qui a pu devenir ensuite gouverneur de Macédoine ou d'Asie ? On pourrait encore croire avec Mendelssohn qu'il s'agit du préteur Fannius M. f. mentionné dans le SC. de l'an 105 (?), livre, XIII, ix, 2. Mais il faudrait alors admettre

 

Zone de Texte: [179] Sur ce texte cf. mes observations dans la Revue des Etudes juives, XXXVIII (1899), 165. Voir aussi Mendelssohn, Acta, V, 221Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

ici une double erreur : l'addition fautive du mot proconsul et le patronymique C. f. pour M. f.

  1. 21 mai 49. Cette décision n'est que la reproduction abrégée de celle du document X ; elle parait en donner la vraie date.

[171] Probablement le même personnage que le proquesteur L.

Antonius du X bis. La date est donc 49 av. J.-C, époque où les

Sardiens ont rendu un décret en faveur des Juifs (XI).

  1. En admettant la leçon polÞtai ®m¡teroi de la plupart des mss, si

on lisait çm¡teroi avec P, il s'agirait de Juifs jouissant du droit de cité de Sardes, ce qui est tout différent. L'intervention du proquesteur romain se comprend mieux dans le premier cas.

  1. Ces noms sont irrémédiablement altérés. Publius et Lucius ne

sauraient être des gentilices et l'on ne comprend pas que M. Lucius soit fils de M. Publius. Certains mss. donnent M. Sp. f. Publius, M. M. f., L. P. f., ce qui n'est pas moins absurde.

  1. Les mss. ont Œnyup‹tÄ, mais la décision visée est sûrement celle du 21 mai 49, époque où Lentulus était consul.

[175] 21 mai 49, date concordante avec celle du document XIV. La

nature de ce document est difficile à déterminer. Mendelssohn y voit un édit des recruteurs romains d’Éphèse, qui, sur la plainte des Juifs qu'ils voulaient enrôler, ont dû en référer au consul et communiquent sa décision aux intéressés. Cette décision, résumée dans la section 18, est transcrite tout au long dans la section 19.

  1. Ce document n'est qu'un doublet du n° X (= XIV), peut-être

annexé à l’édit précédent. La date est mutilée, mais la liste du consilium est plus complète.

  1. Les mss. ont Teætiow ou T¡ttiow, nous suivons le texte parallèle du document X.
  2. Cet affranchi est mentionné par Cicéron, Ad fam. XIII, 70.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

suiv.

  1. Les mss. ont „RaöellÞÄ, „RaöillÞÄ, „RagillÞÄ : mais le

véritable nom parait être C. Rabirius, comme dans l'inscription délienne BCH, VI, 608. Ce personnage était proconsul (d'Asie), non consul, d'où la correction nécessaire de êp‹tÄ en Žnyup‹tÄ. Ici encore Mendelssohn introduit le nom de P. Servilius Vatia.

  1. Ce personnage est en toute probabilité identique à Sosipatros,

l’un des ambassadeurs à Rome du n° XX. Comme cette dernière ambassade se place sûrement sous Hyrcan Ier, plus exactement entre 113 et 105 av. J.-C.. il en est de même des faits mentionnés ici.

  1. Entendez : une décision du Sénat romain. Les ambassadeurs

juifs, envoyés à Rome au sujet des usurpations d’Antiochus Cyzicène, avaient profité de leur séjour pour obtenir des garanties en faveur de leurs coreligionnaires d'Asie Mineure.

  1. Ce document extrêmement remarquable (extrait des archives de

Laodicée ?) nous montre la résistance que soulevait dans les cités grecques d'Asie Mineure le particularisme des Juifs déjà nombreux établis chez elles. Il fallut l'intervention énergique du gouvernement romain pour protéger le libre exercice de la religion juive. Cette intervention s'exerce presque immédiatement après l'occupation de l'ancien royaume de Pergame et non pas seulement, comme le veulent Mendelssohn, Schürer, etc., à l'époque de César à laquelle ils rapportent ce document et les suivants.

  1. Ce gouverneur d'Asie n'est pas connu d'ailleurs (Waddington,

Fastes, p. 75). La conjecture de Bergmann, Vatia pour Galba, est arbitraire. Il est probable que ce rescrit est à peu prés de la même date que le document précédent (vers 100 av. J.-C.).

  1. toêw xarpoêw metaxeirßzesyai sens douteux. Il s’agit peut-être de la dîme envoyée à Jérusalem ?
  2. Quel décret ? le sens est obscur et le texte sans doute altéré. Au lieu de teyeix¡nai, quelques mss. ont eçyonx¡nai.
  3. Sur ce texte cf. Revue des Etudes juives, XXXVIII (1899), p. 163 suiv. ; Mendelssohn, SC Romana etc., p. 135 et 217 ; Viereck,

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

Sermo graecus... p. 94.

  1. Jean Hyrcan Ier.
  2. Probablement le même que le Sopater du document XVIII.
  3. Antiochus Cyzicène, fils d'Antiochus Sidétès. Le décret se

place entre l'avènement de ce prince (113) et la mort d'Hyrcan (105). Mendelssohn et autres le placent sous Sidétès.

  1. Ces places, etc., sont énumérées dans le décret ultérieur du

Sénat qu'on a vu dans le livre XIII, ix, 2 (Jopé, les ports, Gazara. les Sources). - Les mots qui suivent dans notre texte, xaÜ ¤j» aétoÝw ¤x tÇn lim¡nvn mhdƒ ¢jagageÝn, sont incompréhensibles.

  1. Probablement Ptolémée Alexandre, roi depuis 107.
  2. Peut-être un légat du proconsul d'Asie.
  3. Nous lisons t» boul» au lieu de t°w boul°w.
  4. On ne voit pas en quoi les Pergaméniens pouvaient concourir à l'exécution des décisions énumérées.
  5. L'avant-coureur de l'ambassade juive, chargé de la lettre de Pettius.
  6. Cf. le décret des Athéniens, supra, viii, 5 : Attendu que Hyrcan...

[198] La rédaction ambiguë de cette phrase n’indique pas très

nettement si c'est dans les archives de Jérusalem ou celles de Pergame qu'on prétendait trouver la preuve de cette antique alliance ; le décret ne fait, ce semble, que reproduire le boniment de Théodore. Cette invention est à rapprocher de la légende analogue sur la parenté des Juifs avec les Spartiates, livre XII, iv, 10.

  1. Février - mars.
  2. Allusion à la circulaire du sénat mentionnée dans la lettre des

 

Zone de Texte: [208] Encore une singularité. Les Juifs demandent une synagogue et on leur désigne un ghetto !Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

Laodicéens, document XVIII. Notre document est donc de la même époque (vers 105).

  1. Les mots taw proseuxaw poieÝsyai ne doivent pas, si tentant

que ce soit, s’interpréter « bâtir leurs synagogues ». Le voisinage de la mer (ou des fleuves, Actes des Apôtres, 16, 13) était recherché pour les prières à cause de la facilité des ablutions rituelles (cf. Aristée, p. 66 = livre XII, ii, 13) ; spécialement le jour du grand jeûne,

Tertullien, De ieiunio, 16 ; Ad nationes, I, 13. Cf. Schürer, II3, p. 444 et 447.

  1. Quelle amende ? le texte est mutilé.
  2. Ce décret ne peut pas être celui auquel il est fait allusion plus

haut, document XII, et qui se rapportait à l'exemption du service militaire. C’est une question beaucoup plus délicate de savoir s’il faut le rattacher au rescrit ci-dessus du propréteur L. Antonius (document XV). Dans le présent décret, les Juifs, appuyés par les Romains, demandent la concession d'un lieu de réunion ; dans le rescrit d'Antonius ils déclarent avoir été de tout temps, Žpƒ Žrx°, en possession d'un pareil lieu.

  1. Le mot polÝtai est très embarrassant. On s'est appuyé sur ce

texte pour affirmer qu'à Sardes les Juifs avaient droit de cité (Schürer, III3, 82), et c’est au même résultat que conduirait au document XV la leçon polÝtai æm¡teroi. Toutefois nous croyons ces conclusions très hasardées et le mot polÝtai pourrait bien n'être qu'une faute, née sous l'influence du pollŽ qui suit. Ou bien il faudrait suppléer polÝtai („RvmaÝoi).

  1. A quelque époque qu'on place notre texte, ces mots font difficulté.
  2. La leçon de FL conduirait à un sens tout différent « et que nous cessions de leur faire des chicanes », qui est également acceptable.
  3. Cette mention de « sacrifices » est bien extraordinaire ; elle est sans doute imputable à l'ignorance du rédacteur grec.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Sur ce texte cf. Mendelssohn, Acta, V, 251-254.
  2. Avril.
  3. M‹rxÄ ƒIoulÛÄ (sic) IIomphÞÄ (leçon de FLAM, IIontÛou uÛÑ R) Broætou (sic, BroætoÄ, R). Beaucoup de corrections ont été proposées : M. Iunius M. F. Brutus (Bergmann), M Iunius M. F. Caepio (Ritschl) etc. Mendelssohn croit qu'il s'agit du célèbre Brutus, qui séjourna en Asie Mineure en 42 av. J.-C. Nous penserions plutôt à un gouverneur plus ancien, peut-être M. Iuncus, gouverneur d'Asie et de Bithynie en 74.
  4. Guerre, I, § 216-238.
  5. 46 av. J.-C.
  6. L. Statius Murcus. Sa nomination est de l'an 44.
  7. Depuis la bataille de Pharsale (9 août 44) jusqu'aux « ides de mars » 44. La Guerre compte plus justement 3 ans et 7 mois.
  8. Phrase empruntée à Nicolas ?
  9. 800 d'après le Syncelle, I, 576 Dindorf (Jules Africain).
  10. Le texte est sûrement altéré ; le sens est indiqué par Guerre, § 221.
  11. On remarquera que dans Guerre c'est à Antipater qu'il est fait honneur de cette démarche.
  12. Guerre dit qu'Hérode fut nommé « administrateur » (¢pimelht®w) de toute la Syrie.
  13. Printemps 43 av. J.-C.
  14. Dans Guerre, c'est Hérode, persuadé par Phasaël, qui agit ainsi.
  15. Sans doute la fête des Tabernacles.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Dolabella, gouverneur d'Asie pour les triumvirs, avait envahi la

Syrie. Il fut assiégé dans Laodicée par Cassius et s'y donna la mort (été 43).

  1. D'après Guerre, Hyrcan était du nombre des invités.
  2. On ne peut s'empêcher de concevoir quelques doutes sur la

réalité des crimes et desseins attribués par Hérode - et d'après lui, par Nicolas- à Malichos.

  1. Sans doute par Hyrcan lorsqu'il s'était rendu à Tyr.
  2. Damas était le chef-lieu de la Cœlé-Syrie ; on ne voit pas bien

comment Fabius (inconnu d'ailleurs) pouvait y être gouverneur si Hérode avait reçu ce titre (xi, 4). Fabius serait-il le neveu de Cassius que celui-ci laissa avec une légion en Syrie (Appien, Civ., IV, 63) ?

[229] Aujourd'hui Sebbeh, sur le rivage O. de la mer Morte.

  1. Guerre, §§ 238-242. Les décrets, qui contredisent le récit de Nicolas, pourraient être empruntés à un autre ouvrage.
  2. On se rappelle que Ptolémée avait épousé la soeur d’Antigone (vii, 4).
  3. Ceci est contredit par le rescrit de Marc Antoine, xii, 4.
  4. La phrase du texte n’est intelligible que par le rapprochement avec Guerre, § 238.
  5. Elle s’appelait Mariamme (Guerre).
  6. Automne 42 av. J.-C.
  7. Sur ces documents du printemps 41, cf. Mendelssohn, Acta, etc., V, p. 254-263.
  8. Sans doute l'ambassade envoyée par Hyrcan à Rome dans les derniers temps de la vie de César (x, 9) : on croit que c'étaient les

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

mêmes ambassadeurs.

  1. Texte mutilé.
  2. Ici encore le texte est altéré.
  3. On ne sait pas de quels bienfaits il s'agit. Dolabella n'avait fait que paraître en Syrie (juin - juillet ? 43), où il trouva la mort.
  4. Peut-être faut-il lire æmÇn au lieu de ±mÇn la Syrie n’avait jamais été attribuée comme gouvernement à Antoine.
  5. Texte suspect.
  6. Guerre, I, § 243-272.
  7. Automne 41 av. J..C.
  8. Singulière façon de désigner Hérode et Phasaël.
  9. Sans doute les quinze ambassadeurs qu'il avait arrêtés plus haut.
  10. 40 av. J.-C.
  11. D'après Guerre, la promesse fut faite par Lysanias.
  12. Non pas que le roi, qui s'appelait Orodès, mais que Pacoros (Guerre).
  13. Texte corrompu. On voit dans Guerre, que le détachement de l'échanson ravagea les environs du Carmel. C'est alors que les Juifs, se présentent et s'offrent à faire cause commune avec Antigone.
  14. Soixante (Guerre).
  15. L'échanson ou le prince royal ? Schürer se prononce pour l'échanson.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. Cinq cents (Guerre).
  2. Texte incertain. Je lis •festÇtew (au lieu de ¤festÇtew, æfestÇtew) d'après Guerre.
  3. Ecdippa, entre Tyr et Ptolémaïs. Le texte a été corrigé par Niese d'après Guerre.
  4. Sans doute le prince de ce nom.
  5. oÛnoxdow, Guerre ; eænoèxow, Ant., mais l'ancienne traduction latine a pincerna (échanson) et il s'agit sûrement de l'échanson Pacoros. S'il a escorté Hyrcan et Phasaël, il faut admettre qu'il est ensuite retourné à Jérusalem.
  6. L'échanson, comme il résulte clairement de Guerre.
  7. Alexandre, fils d'Aristobule, avait épousé Alexandra, fille d'Hyrcan.
  8. Sur la rive O. de la mer Morte.
  9. Guerre prétend qu'Antigone coupa les oreilles d'Hyrcan avec ses dents !
  10. Lévitique, xxi, 17 suiv. Guerre dit que les Parthes emmenèrent Hyrcan prisonnier en Parthyêne (?).
  11. On voit par Guerre qu'il y avait deux versions : l'une suivant laquelle Phasaël serait mort sous les coups, l'autre qui racontait l'empoisonnement. Il y en avait même une troisième, d'après laquelle il aurait péri dans une bataille (Jules Africain, ap. Syncelle, I, 581, Dindorf).
  12. Guerre, I, § 273-289.
  13. Il avait aussi pour garants des Tyriens (Guerre).
  14. Tel paraît être (d’après Guerre) le sens de cette phrase altérée.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. L. Sempronius Atratinus, le futur consul suffect de l'an 34. Il était alors augure.
  2. Ce prince, fils d'Alexandre, s'appelait Aristobule comme il sera dit plus loin, livre XV, ii, 5. Les mss. ont ici ƒAlej‹ndrÄ. Josèphe avait peut-être écrit ƒAlej‹ndru mØn uÞÒ, etc.
  3. 40 av. J.-C., à la fin de l'année. L'OI. 184 se termine en juillet

40 ; la concordance est donc inexacte. – D’après Appien. Civ., V, 75, il semble qu'Hérode fut seulement nommé roi ƒIdoumaÛvn dØ xaÜ SamarÛvn.

  1. P. Ventidius, envoyé par Antoine à la fin de l'an 40, chassa les Parthes d'Asie Mineure et de Cilicie, puis entra en Syrie (39).
  2. Dion, XLVIII, 41 l'appelle Poup®diow (sans doute

Popp®diow) SÛlvn. Il était de la même famille que le célèbre chef des Marses dans la guerre sociale.

  1. Guerre, I, § 290-344.
  2. La comparaison avec Guerre montre que Josèphe a mal

compris ici sa source. Il fallait dire : « Hérode permit aux siens de chasser ces défenseurs des murailles » etc. Peut-être €AntÞgonow est-il un lapsus pour „HrÅdhw.

  1. Dans Guerre il n'est point question ici des Romains ; ce sont les troupes d'Hérode que Phéroras est chargé d'approvisionner.
  2. Printemps 38 av. J.-C.
  3. Le sens de cette phrase est très douteux.
  4. Ce sont probablement les cavernes qu'on voit encore près d'Irbid (Arbèla ?), au N.-O. de Tibériade, dans le flanc du Ouad-el-Ammâm.
  5. D'après Guerre, au contraire, pas un ne voulut capituler !
  6. 9 juin 38 av. J.-C.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

  1. D'après Guerre Machoeras n'aurait jamais eu sérieusement l'intention de s'entendre avec Antigone.
  2. Le roi de Commagène Antiochus Ier, assiégé dans Samosate.
  3. Nom et site incertains.
  4. Je lis Maxair•w au lieu de Maxair.
  5. Cette localité, nommée ailleurs (Ant. VIII, 11, 3 = II Chron. 13,

19), était près de Béthel ; aujourd'hui Airi Sinia. La leçon Kan• de Guerre ne convient pas au contexte topographique.

  1. Cette date fait difficulté s'il est vrai, comme l'a dit Josèphe, que

Hérode ait été nommé roi en 40 av. J.-C , car « la troisième année » (romaine) depuis lors serait 38 av. J.-C. et nous sommes maintenant au printemps 37. Il faut admettre que Josèphe compte par années juives (macédoniennes), commençant en octobre. La 1ère année d'Hérode est alors 40/39, la seconde 39/38, la troisième octobre 38 à 37.

  1. Guerre, I, § 345-357.
  2. Texte très douteux.
  3. Ainsi l'année octobre 38-37 était sabbatique. Le manque de

vivres ne dut se faire sentir qu'après le premier semestre de 37, lorsque la récolte de 38 était consommée. Cf. Schürer, I3, p. 35.

[289] Quel est le terminus a quo ? l'achèvement des terrassements ?

  1. Rappelons que le Temple et la ville basse formaient la colline E., la ville haute la colline O.

[291] Nous avons vu (iv, 3) que la ville fût prise par Pompée l'an 63,

« le troisième mois, le jour du jeûne » ; l'an 37 est bien la 27e année après 63. Mais ici comme là, Josèphe parait avoir été induit en erreur par sa source païenne qui a pris le sabbat pour un jour de jeûne ; Dion Cassius, XLIX, 22, dit formellement que Sossius prit la ville ¥n t° toè

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 14.

Krñnou ®m¡r&. Pour l'année, le témoignage de Josèphe doit

sûrement être préféré à celui de Dion, qui place l'évènement encore sous les consuls de l'an 38 (XLIX, 23). Quant au « 3e mois » on ne peut faire que des conjectures ; on serait tenté d'entendre le 3e mois du siège si nous ne savions par ailleurs (Guerre) qu'il a duré 5 mois, probablement de février à juin 37. Voir la discussion et la bibliographie abondante de cette question dans Schürer, I3, p. 358 suiv.

[292] 126 ans à remonter de 37 av. J.-C. mènent à l'année 163 ou 162

av. J.-C., un ou deux ans avant la mort de Judas Macchabée. On ne

voit pas bien quel événement précis Josèphe a en vue.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

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JOSEPHE

AVANT-PROPOS - LIVRE I - LIVRE II - LIVRE III - LIVRE IV - LIVRE V - LIVRE XI - LIVRE XII - LIVRE XIII - LIVRE

XIV - LIVRE XV

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
ANTIQUITES JUDAÏQUES
Flavius Josèphe
Traduction de Julien Weill

Sous la direction de

Théodore Reinach

Membre de l’Institut

1900

Ernest Leroux, éditeur - Paris

LIVRE 15

I

1. Vengeances d'Hérode ; faveur de Pollion et de Saméas. – 2. Exactions : supplice d’Antigone[1].

1. Comment Sossius et Hérode s'emparèrent par force de Jérusalem, et, de plus, tirent Antigone prisonnier. le livre précédent l'a montré ; nous passons maintenant à la suite des événements. Lorsque Hérode eut soumis à son pouvoir la Judée entière, il récompensa ceux du peuple qui, dans la ville, alors qu'il n'était que simple particulier, s'étaient montrés ses partisans; quant à ceux qui avaient pris le parti de ses adversaires, il ne laissait pas passer de jour sans les poursuivre de ses châtiments et de ses vengeances. Le Pharisien Pollion et son disciple Saméas furent surtout en honneur auprès de lui pendant le

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

siège de Jérusalem, ils avaient en effet conseillé à leurs concitoyens d'ouvrir les portes à Hérode, et ils reçurent de celui-ci le retour de leurs bons offices. Ce (Saméas[2]) était le même qui, lorsqu'Hérode

autrefois avait passé en jugement sous une accusation capitale, avait prédit à Hyrcan et aux juges, en leur reprochant leur lâcheté, qu’Hérode, s'il était acquitté, chercherait un jour à se venger d'eux tous : c'est, en effet, ce qui arriva alors, Dieu ayant permis que les prédictions de Saméas se réalisassent.

2. Une fois maître de Jérusalem, Hérode ramassa tout ce qu'il trouva de richesses de toutes sortes dans le royaume ; de plus, en spoliant les riches, il put réunir de fortes sommes d'argent et d'or qu'il distribua entièrement en présents à Antoine et à son entourage. Il fit mettre à mort les quarante-cinq chefs les plus importants du parti d'Antigone et plaça des gardes aux portes de la ville pour que rien ne fût emporté avec les morts. Les cadavres étaient fouillés, et tout ce qu'on trouvait en or, argent ou objets précieux était porté au roi. Les maux de la nation étaient sans bornes : d'une part, l'avidité du maître, fort dépourvu, faisait main basse sur tout: de l'autre, l'année du sabbat, pendant laquelle il nous est défendu de faire des semailles, était survenue et empêchait de cultiver le sol[3]. Cependant Antoine, qui

avait reçu Antigone prisonnier, voulait le garder dans les fers jusqu'au triomphe; mais quand il apprit que le peuple s'agitait et, en haine d'Hérode, restait favorable à Antigone, il décida de lui faire trancher la tête à Antioche; car les Juifs ne pouvaient pour ainsi dire rester en repos. Strabon de Cappadoce confirme mon récit, et s'exprime en ces termes : « Antoine fit décapiter le Juif Antigone, qui avait été amené à Antioche. Ce fut, ce semble, le premier Romain qui fit décapiter un roi. Il ne voyait pas d'autre moyen d'amener les Juifs à accepter Hérode, qui avait remplacé Antigone; les supplices mêmes ne pouvaient, en effet, les décider à le reconnaître comme roi, tant ils avaient gardé haute opinion du roi précédent. Antoine pensa que le supplice ignominieux d'Antigone obscurcirait le souvenir qu'il avait laissé et atténuerait la haine qu'on avait pour Hérode. » Ainsi s'exprime Strabon[4].

II

1-3. Hyrcan renvoyé à Jérusalem par le roi des Parthes. – 4. Ananel ci grand-prêtre. – 5-6. Intrigues d'Alexandre auprès d'Antoine. – 7. Réconciliation apparente d'Hérode avec Alexandre. Aristobule III grand-prêtre[5].

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

  1. Le grand-prêtre Hyrcan, qui était prisonnier chez les Parthes, à la nouvelle qu'Hérode s'était emparé de la royauté, vint le rejoindre: il avait recouvré la liberté de la manière suivante. Barzapharnès et Pacoros, généraux des Parthes, après s'être emparés d'Hyrcan, d'abord grand-prêtre, puis roi, et de Phasaël, frère d'Hérode, les emmenèrent chez les Parthes, Phasaël, ne pouvant supporter la honte de la captivité et préférant à la vie une mort glorieuse, se tua lui-même, comme je l'ai dit plus haut[6].
  2. Quant à Hyrcan, Phraate, roi des Parthes, auprès duquel il fut conduit, le traita avec douceur, car il avait appris à quelle noble race appartenait son captif. Il le délivra de ses chaînes et lui permit de se fixer à Babylone, où se trouvaient beaucoup de Juifs. Ceux-ci, ainsi que tous les Juifs habitant le pays jusqu'à l'Euphrate, témoignèrent à Hyrcan les égards qui lui étaient dus comme grand-prêtre et roi, à sa grande satisfaction. Lorsqu'il apprit qu'Hérode s'était emparé de la royauté, il reporta sur lui ses espérances, car il lui avait toujours témoigné de l'affection et il pensait qu'Hérode se rappellerait avec reconnaissance que, traduit en jugement et sur le point d'être condamné à mort, c'est à lui, Hyrcan, qu'il avait dû d'échapper au danger et au châtiment. Il en parla donc aux Juifs et témoigna un vif désir de se rendre auprès d'Hérode. Les Juifs le retenaient et le suppliaient de rester, faisant valoir le dévouement et la considération qu'il trouvait parmi eux, lui remontrant qu'ils lui prodiguaient tous les honneurs dus aux grands prêtres et aux rois, et, sérieux argument, qu’il ne pourrait plus en obtenir de pareils à Jérusalem, par suite de la mutilation qu'Antigone lui avait fait subir ; qu'enfin les rois ne rendent pas les services reçus par eux, simples particuliers, car le changement de fortune n’apporte pas en eux un changement médiocre.
  3. Malgré ces représentations faites dans son intérêt même, Hyrcan souhaita partir. Hérode lui écrivit de prier Phraate et les Juifs de Babylone de ne pas lui envier le plaisir de partager la royauté[7] ; le

moment était venu pour lui, Hérode, de s'acquitter envers Hyrcan, qui l'avait toujours bien traité, l'avait élevé, lui avait même sauvé la vie, et pour Hyrcan de recevoir le prix de ces services. En même temps qu'il écrivait à Hyrcan, Hérode envoya Saramallas en ambassade auprès de Phraate, avec de nombreux présents pour le prier de ne pas mettre obstacle à ce qu'il témoignât sa reconnaissance à son bienfaiteur en lui rendant à son tour les services qu'il en avait reçus.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

Ce n'était cependant pas là son véritable motif ; mais comme il ne devait pas le trône à son rang, il craignait des changements trop vraisemblables, et avait hâte de voir Hyrcan en son pouvoir, en attendant de se débarrasser complètement de lui, ce qu'il fit plus tard[8].

  1. Hyrcan céda donc à ses sollicitations ; mis en liberté par le Parthe et pourvu d'argent par les Juifs, il arriva à Jérusalem. Hérode le reçut avec les plus grands égards, lui donna dans toutes les assemblées la première place, et, dans les festins, le lit d'honneur, l'appelant son père, sut enfin le tromper et lui enlever tout soupçon de ses projets contre lui. Mais en même temps, il prenait dans l'intérêt de son pouvoir différentes mesures qui amenèrent le trouble dans sa propre maison ; entre autres, pour éviter que le grand-prêtre ne fût choisi parmi les hommes de marque, il fit venir de Babylone un prêtre obscur, nommé Ananel, auquel il donna le sacerdoce suprême.
  2. Cette injure parut insupportable à Alexandra, fille d'Hyrcan. Veuve d'Alexandre, fils du roi Aristobule, elle était mère de deux enfants : un fils appelé Aristobule, dans tout l'éclat de la jeunesse, et une fille, Mariamme, unie à Hérode, d'une beauté remarquable. Elle fut soulevée d'indignation à l'affront fait à son fils : lui vivant, un individu appelé de l'étranger être jugé digne de la grande-prêtrise ! Elle écrivit donc à Cléopâtre, à qui elle fit parvenir sa lettre par l'entremise d'un chanteur, la priant de demander à Antoine la prêtrise pour son fils.
  3. Antoine fit quelques difficultés pour se laisser convaincre : mais son ami Dellius, venu en Judée pour certaines affaires, vit Aristobule, fut séduit par le charme du jeune homme et vivement frappé de sa taille et de sa beauté, non moins que de celle de Mariamme, femme d'Hérode ; il ne se cacha pas pour féliciter Alexandra d'avoir de si beaux enfants. Dans un entretien qu'elle eut avec lui, il lui persuada de faire peindre les portraits de l'un et de l'autre et, de les envoyer à Antoine, car dès que celui-ci les aurait vus, il ne refuserait plus aucune de ses demandes. Alexandra, encouragée par ces assurances, envoya les portraits à Antoine[9]. Dellius, de son côté, déclara avec

enthousiasme que ces enfants lui paraissaient nés non de mortels, mais de quelque dieu. Son but était qu'Antoine, par son entremise, les fit venir pour servir à ses plaisirs. Antoine n'osa pas se faire envoyer la fille, parce qu'elle était mariée à Hérode et qu'on lui en ferait un crime auprès de Cléopâtre. Mais il demanda qu'on lui envoyât le

 

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garçon sous quelque honnête prétexte, si toutefois, ajoutait-il, la chose ne lui faisait point de peine. Hérode averti ne jugea pas prudent d'envoyer Aristobule, qui était alors brillant de tout le charme de la jeunesse - il avait seize ans - et qui appartenait à une famille illustre, auprès d'Antoine, le plus puissant de tous les Romains à ce moment, tout disposé à abuser de l'enfant, et libre, en raison de sa puissance, de se livrer sans mystère à tous ses désirs. Il répondît donc que, pour peu que le jeune homme quittât seulement le pays, tout serait plein de guerre et de désordre, parce que les Juifs concevraient l'espoir d'un changement et d'une révolution sous un autre roi.

7. Après s'être ainsi excusé auprès d'Antoine, Hérode résolut cependant ne pas tenir à l'écart de tous les honneurs l'enfant et Alexandra ; d'ailleurs, sa femme Mariamme le priait instamment de donner la grande-prêtrise à son frère, et lui-même jugeait conforme à son propre intérêt de mettre Aristobule, retenu par sa charge, dans l'impossibilité de quitter le pays. Il réunit donc un conseil de ses amis et commença par accuser vivement Alexandra, déclarant qu'elle aspirait secrètement à la royauté et intriguait par l'intermédiaire de Cléopâtre, pour que le pouvoir lui fût enlevé à lui-même et qu'Aristobule reçût d'Antoine sa succession : desseins injustes, ajoutait-il, puisqu'elle déposséderait du même coup sa fille de son haut rang et déchaînerait des troubles dans le royaume, qu'il avait conquis au prix de mille fatigues et de périls peu communs. Cependant, oubliant tous les torts qu'elle avait envers lui, il ne cesserait pas d'être juste pour elle et son fils ; il déclara donc qu'il donnait en ce jour la grande-prêtrise au jeune homme, et que s'il avait auparavant nommé Ananel à cette charge, c'est qu'Aristobule était encore tout à fait enfant. Il prononça ce discours non pas à la légère, mais après mûre réflexion et avec une habileté capable de tromper les deux femmes et les amis qu'il avait réunis. Transportée par la joie de ce bonheur inespéré, craignant en même temps d'avoir donné prise au soupçon, Alexandra se justifia tout en larmes : en ce qui concernait la grande-prêtrise, elle avouait avoir tout fait pour effacer l'injure faite à son fils, mais, quant à la royauté, elle n'y aspirait nullement, et lui fût-elle même offerte, elle ne l'accepterait pas ; elle se déclarait désormais suffisamment honorée par le pouvoir de son gendre et par la sécurité que donnait à toute sa famille le mérite qui l'avait désigné parmi tous pour le rang suprême. Vaincue par ses bienfaits, elle acceptait l'honneur fait à son fils, assurait qu'elle serait désormais un modèle de docilité et demandait qu'on l'excusât si son attachement à sa race et sa franchise naturelle l'avaient entraînée, dans son dépit de l'injustice commise, à quelque témérité. Après cet échange de

 

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paroles, ils se touchèrent dans la main[10] ... et tout soupçon parut banni entre eux.

III

1. Déposition du grand-prêtre Ananel. - 2. Nouvelles intrigues d'Alexandra. - 3-4. Meurtre du jeune Aristobule. -5-8. Hérode, dénoncé par Cléopâtre, se justifie devant Antoine, - 9. Soupçons contre Mariamme. Exécution de Joseph.

  1. Le roi Hérode enleva donc aussitôt la grande prêtrise à Ananel, qui était, comme nous l'avons dit, non pas un prêtre du pays, mais un des Juifs transportés par delà l'Euphrate car plusieurs myriades de ce peuple avaient été transportées en Babylonie. Ananel, qui venait de là, appartenait à la race des grands-prêtres[11], et depuis longtemps

était intimement lié avec Hérode. Celui-ci l'avait comblé d'honneurs en montant sur le trône, puis il le déposa pour mettre un terme à des troubles domestiques : mesure illégale, car jamais grand-prêtre, une fois investi de sa charge, n'en avait été dépossédé. Le premier qui avait transgressé la loi sur ce point avait été Antiochus Epiphane, en déposant Jésus, pour le remplacer par son frère Onias[12], le second

Aristobule, qui déposa son frère Hyrcan[13], le troisième Hérode, qui destitua le titulaire pour donner la charge au jeune Aristobule.

  1. Hérode paraissait ainsi avoir porté remède à ses dissensions domestiques. Cependant, après la réconciliation, il ne s'abandonna pas, comme on pourrait le supposer, à la confiance ; il crut devoir, en raison des tentatives antérieures d'Alexandra et pour le cas où elle trouverait une occasion de nouveauté, se garder d'elle. Il lui ordonna donc de vivre dans son palais, lui interdit de faire acte d'autorité et la fit surveiller si jalousement qu’il n'ignorait rien des faits de sa vie journalière. Toutes ces précautions aigrirent peu à peu Alexandra et firent germer sa haine : son orgueil féminin se révoltait contre la surveillance soupçonneuse d'Hérode ; mieux valait n'importe quoi, pensait-elle, que de se voir privée de liberté et, sous apparence d'honneurs, condamnée à une vie de servitude et de crainte. Elle envoya donc à Cléopâtre pour se plaindre longuement de l'existence qu'on lui infligeait et la conjurer de faire tout son pouvoir pour lui venir en aide. Cléopâtre lui répondit de s'enfuir secrètement avec son fils et de se réfugier en Égypte auprès d'elle. Ce projet lui plut, et elle en prépara l'exécution de la façon suivante : elle fit préparer deux

 

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coffres, semblables à ceux dans lesquels on transporte les morts, et s'y enferma avec son fils, après avoir ordonné à ceux de ses serviteurs qui étaient du complot de les emporter pendant la nuit. Les fugitifs devaient gagner la côte, où un navire se tenait prêt à lever l'ancre pour l'Égypte. Mais un de ses serviteurs, Esope, ayant rencontré Sabbion, ami d'Alexandra, lui raconta tout, croyant avoir affaire à un complice. Sabbion était jusque-là fort mal vu d'Hérode, car il passait pour avoir trempé dans l'empoisonnement d'Antipater : il pensa qu'une dénonciation changerait la haine du roi en bienveillance et courut lui dévoiler les projets d'Alexandra. Hérode laissa celle-ci aller jusqu'à l'exécution et la surprit en flagrant délit d'évasion ; cependant il lui fit grâce, n'osant, malgré le vif désir qu'il en avait, prendre contre elle aucune mesure de rigueur, car Cléopâtre ne l'eût pas souffert, en raison de la haine qu'elle nourrissait contre lui ; il se donna donc les apparences de la générosité en paraissant pardonner par bonté. Il résolut cependant de se débarrasser du jouvenceau à tout prix, mais il lui sembla plus sûr, pour cacher son projet, de l'ajourner quelque peu après ce qui venait de se passer.

3. Comme la fête des Tabernacles approchait, qui est une de nos fêtes les plus solennelles, Hérode différa pendant tous ces jours l'exécution de ses plans et se livra avec tout le peuple à la joie. Mais dans ces fêtes mêmes sa haine grandissante trouva une raison de hâter l'accomplissement de son dessein. Lorsque le jeune Aristobule, qui avait dix-sept ans, monta à l'autel, suivant la loi, pour offrir les sacrifices, revêtu des ornements des grands-prêtres et accomplissant les cérémonies du culte, sa beauté, sa taille au-dessus de celle de son âge, ses traits respirant toute la noblesse de sa race, firent naître dans le peuple un élan de sympathie pour lui ; le souvenir des exploits de son grand-père Aristobule se présenta vivant à l'esprit de tous les assistants conquis et ils donnèrent peu à peu libre cours à leurs sentiments, à la fois joyeux et émus, poussant des acclamations mêlées aux prières, en sorte que l'affection si manifeste de la foule et cette unanimité à célébrer les services autrefois reçus pouvaient paraître un peu trop libres sous un roi. Pour toutes ces raisons, Hérode résolut d'en finir avec le jeune homme. La fête passée, il se rendit à Jéricho pour assister à un banquet que leur offrit Alexandra ; là il témoigna à l'enfant la plus grande amitié, le poussa à boire[14]

sans réserve, prêt à partager ses jeux, retrouvant sa jeunesse pour plaisanter avec lui. Comme l'endroit était excessivement chaud, les convives sortirent tous ensemble en flânant et vinrent chercher au bord des piscines - il y en avait de fort grandes autour de la cour - un peu de fraîcheur contre les ardeurs du soleil de midi. Tout d'abord ils

 

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regardèrent nager leurs familiers et leurs amis ; puis le jeune homme se joignit aux baigneurs, excité par Hérode ; alors certains des amis du roi, auxquels il avait donné ses instructions, à la faveur de l'obscurité croissante, pesant sans cesse sur le nageur et le faisant plonger comme par manière de jeu, le maintinrent sous l'eau jusqu'à ce qu'il fut asphyxié. Ainsi périt Aristobule, à peine âgé de dix-huit ans[15], il était depuis un an grand-prêtre, et Ananel recueillit de

nouveau la charge après lui[16].

  1. Dès que cette catastrophe eut été annoncée aux femmes, toutes bouleversées elles se répandirent en lamentations sur le cadavre, et leur chagrin fut sans bornes ; la ville, aussitôt la nouvelle connue, fut plongée dans la désolation, et à chaque foyer ce malheur fut déploré comme un deuil particulier. Alexandra fut surtout éprouvée par cette mort, dont elle comprit la nature ; sa douleur s'avivait de savoir comment les choses s’étaient passées ; mais il lui fallait supporter ce coup sans faiblir, dans la crainte d'un mal plus grand encore. Plusieurs fois elle fut sur le point de se donner elle-même la mort ; elle fut retenue par l'espoir que, vivante, elle pourrait peut-être venger son fils, victime de l'injustice et de la trahison ; cette idée l'encourageait à vivre, et elle pensa utile, pour faire naître une occasion favorable de revanche, de ne pas même laisser soupçonner qu'elle savait que la mort d'Aristobule était un meurtre. Elle dissimula donc avec fermeté ses soupçons. Hérode, de son côté, faisait tout pour persuader aux personnes du dehors que la mort du jeune homme n'avait pas été préméditée ; il ne se bornait pas aux manifestations de deuil, il versait des larmes, semblait vraiment ému jusqu'au fond de l'âme ; peut-être fut-il vraiment vaincu par la douleur, à la vue de tant de jeunesse et de beauté, bien qu'il regardât la mort du jeune homme comme assurant sa sécurité personnelle ; il était, en tout cas, évident qu'il cherchait à se justifier de tout soupçon. Cette préoccupation éclata surtout dans la magnificence des funérailles : il déploya un grand luxe dans le choix des cercueils, prodigua les parfums, ensevelit avec le cadavre nombre de précieux ornements, pour étourdir la douleur des femmes et l'adoucir un peu en lui offrant du moins cette satisfaction.
  2. Aucune de ces démonstrations ne put cependant donner le change à Alexandra[17] ; le souvenir toujours présent et chaque jour plus

vivant de son malheur rendait sa douleur farouche et impatiente de vengeance. Elle écrivit à Cléopâtre le guet-apens d'Hérode et le meurtre de son fils. Cléopâtre, qui depuis longtemps souhaitait d'exaucer ses prières et compatissait à son infortune, fit sienne

 

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l'affaire et ne cessa de presser Antoine de venger le meurtre du jeune homme : il n'était pas admissible qu'Hérode, qui devait à Antoine une royauté à laquelle il n'avait nul droit, pût commettre ouvertement de pareils méfaits envers ceux qui étaient vraiment de race royale. Antoine se laissa persuader et, lorsqu'il se rendit à Laodicée[18],

envoya à Hérode l'ordre de venir se justifier des accusations relatives à Aristobule : car s'il était vraiment l'auteur de ce complot, il était sans excuse. Hérode, craignant les suites de cette accusation et la malveillance de Cléopâtre1 qui ne cessait d'exciter Antoine contre lui, résolut d'obéir - il ne pouvait d'ailleurs faire autrement - ; mais, en confiant à son beau-frère[19] Joseph la garde du pouvoir et le

gouvernement de son royaume, il lui recommanda secrètement3 s'il lui arrivait malheur chez Antoine, de mettre immédiatement à mort Mariamme : car, disait-il, il aimait passionnément sa femme et redoutait comme un outrage que, son mari mort, sa beauté ne lui valût les hommages de quelque autre. En parlant ainsi, il visait Antoine, qui convoitait la reine, dont il avait depuis longtemps entendu vanter la beauté. Ces ordres donnés, Hérode, fort peu rassuré sur son avenir, se rendit auprès d'Antoine.

6[20]. Joseph, chargé du gouvernement du royaume, était par cela

même constamment en relation avec Mariamme, tant à cause des affaires que des hommages qu'il lui devait comme reine ; il ne tarissait pas en conversations au sujet d'Hérode, de l'amour et de la passion du roi pour elle. Comme les deux princesses, et surtout Alexandra, le raillaient à la manière des femmes, dans son ardeur de leur montrer les sentiments du roi, il se laissa aller jusqu'à révéler ses instructions, comme une preuve qu'Hérode ne pouvait vivre sans sa femme et que, s'il lui arrivait malheur, il ne voulait pas être séparé d'elle même par la mort. Telle fut la déclaration faite par Joseph. Mais les femmes, comme il fallait s'y attendre, virent là, non pas l'indice de la violente passion d'Hérode, mais celui de sa cruauté, puisque, même lui disparu, son caprice tyrannique les condamnait à la mort et à la destruction ; aussi cette révélation leur devint-elle une pensée insupportable.

7. Cependant le bruit se répandit dans Jérusalem, propagé par les ennemis d'Hérode, qu'Antoine avait mis à mort celui-ci après l'avoir supplicié. Cette nouvelle, comme de juste, jeta le trouble parmi tous les familiers du palais, et surtout parmi les femmes. Alexandra voulut même persuader Joseph de quitter avec elles le palais et de se réfugier sous la sauvegarde des aigles de la légion romaine qui campait alors

 

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auprès de la ville, sous les ordres de Julius[21], pour protéger le

royaume. Par cette précaution, tout d'abord, si quelque trouble s'élevait au palais, ils se trouveraient plus en sûreté, grâce à la bienveillance des Romains : de plus, Alexandra pouvait espérer tout obtenir d'Antoine s'il voyait seulement Mariamme, et par lui recouvrer le pouvoir avec toutes les prérogatives dues à ceux qui sont nés de race royale.

  1. Au milieu de tous ces calculs, arriva une lettre d'Hérode sur ses affaires, contredisant les bruits et les nouvelles répandus de tous côtés. Aussitôt arrivé auprès d'Antoine, il l'avait, en effet, gagné par les présents apportés de Jérusalem, et dans leurs entrevues il l'avait rapidement amené à déposer tout ressentiment à son égard ; les discours de Cléopâtre n'avaient pu prévaloir contre ses flatteries. Antoine avait déclaré qu'il était inconvenant de demander des comptes à un roi sur des faits de son gouvernement, sans quoi ce ne serait plus un roi ; et qu'il était juste que ceux qui lui avaient donné honneur et pouvoir lui permissent d'en user. Il avait signifié à Cléopâtre qu'il trouvait mauvais qu'elle se mêlât indiscrètement des affaires d'Etat. Hérode racontait tout cela dans sa lettre et mentionnait tous les honneurs dont il était l'objet auprès d'Antoine, siégeant à ses côtés lorsqu'il jugeait, admis à sa table chaque jour, en dépit de l'animosité de Cléopâtre et des accusations qu'elle portait contre lui : car désirant posséder son pays, elle demandait pour elle-même son royaume et cherchait par tous les moyens à se débarrasser de lui. Mais Hérode, grâce à l'appui qu'il trouvait dans l'équité d'Antoine, n'avait plus aucun désagrément à redouter ; et il allait revenir prochainement après s'être assuré, plus active encore pour son royaume et ses affaires, la bienveillance d'Antoine. Quant à Cléopâtre, elle n'avait plus à garder d'espoir d'agrandissement, car Antoine lui avait donné, au lieu de ce qu'elle demandait, la Cœlé-Syrie[22], et l'avait ainsi apaisée, en même temps qu'il coupait court à

ses prétentions sur la Judée.

  1. L’arrivée de cette lettre à Jérusalem fit renoncer les princesses au projet qu'elles avaient formé de se réfugier auprès des Romains dans leur croyance à la mort d'Hérode ; mais leur intention ne put demeurer secrète. Lorsque le roi, après avoir escorté Antoine sur son chemin contre les Parthes[23], revint en Judée, sa soeur Salomé et sa

mère lui dévoilèrent les plans d'Alexandra ; Salomé se plaignit aussi de sou mari Joseph, l'accusant calomnieusement de relations coupables avec Mariamme. Elle agit ainsi sous l'influence de la haine qu'elle portait depuis longtemps à cette dernière, qui, dans leurs

 

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différends, prenait des airs hautains et lui reprochait l'humble origine de sa famille. Hérode, toujours passionnément épris de Mariamme, fut aussitôt profondément troublé et ne put résister au soupçon ; il se contint cependant, pour que son amour ne l'entraînât pas à quelque imprudence, et, sous l'aiguillon de la souffrance et de la jalousie, il interrogea Mariamme en particulier sur ses relations avec Joseph. Celle-ci nia avec serment et allégua pour sa défense toutes les justifications que pouvait lui fournir son innocence. Le roi peu à peu se laissa persuader ; sa colère tomba ; vaincu par sa passion pour sa femme, il alla jusqu'à s'excuser d'avoir cru aux bruits qu'on lui avait rapportés et la remercia d'avoir fait preuve de tant de sagesse. Il renouvela toutes ses protestations passionnées d'amour, et tout finit, comme c'est l'ordinaire dans les discussions entre amants, par des larmes et des embrassements. Comme le roi renouvelait sans cesse ses assurances d'amour et tâchait d'en persuader sa femme : « Est-ce le fait d'un homme épris, lui dit Mariamme, l'ordre que tu as laissé, s'il t'arrivait malheur aux mains d'Antoine, de me mettre également à mort, moi qui ne suis coupable de rien ? » A ces paroles, le roi, violemment frappé, la rejeta loin de lui et se mit à pousser des gémissements en s’arrachant les cheveux, s'écriant qu'il avait là un indice évident du commerce de Joseph avec elle : car celui-ci ne lui aurait pas révélé des instructions secrètes, s'il n'avait existé entre eux une intimité étroite. Et peu s'en fallut, dans cet état d'esprit, qu'il ne tuât sa femme vaincu par son amour pour elle, il pût maîtriser ce mouvement par un pénible et violent effort sur lui-même mais, quant à Joseph, sans même le laisser paraître devant lui, il le fit mettre à mort ; il fit aussi enchaîner et emprisonner Alexandra, qu'il accusait d'être la cause première de tout.

IV

  1. Convoitises de Cléopâtre ; Antoine lui donne le canton de Jéricho. -
  2. Hérode repousse une tentative de séduction de Cléopâtre. - 3. Triomphe d'Antoine sur l’Arménie. - 4. Difficultés avec le roi des Arabes.

1[24]. Cependant la Syrie était en proie aux troubles, car Cléopâtre ne

cessait d'exciter Antoine à entreprendre sur tous les souverains. Elle voulait, en effet, le persuader de les déposséder tous pour lui donner leurs territoires : or, elle pouvait beaucoup sur lui, grâce à la passion qu'elle lui inspirait. Elle était, d'ailleurs, par nature, âpre au gain, et il n'était violations de droits qu'elle n'eût commises. Elle avait

 

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empoisonné son frère, âgé de quinze ans, à qui elle savait que reviendrait la royauté elle avait fait tuer par Antoine sa soeur Arsinoé, réfugiée, suppliante, dans le temple d'Artémis, à Ephèse. Insatiable de richesses, sur le moindre soupçon de trésors, elle avait profané temples et tombeaux ; pas de sanctuaire qui lui parût si inviolable, qu'elle n'en ravit tous les ornements ; pas de lieu profane qui ne souffrit d'elle tous les excès, si le pillage devait contribuer à contenter l'avidité de cette reine injuste[25]. En somme, rien ne pouvait

satisfaire cette femme, prodigue et esclave de ses désirs, et qui souffrait comme d'une privation si le moindre de ses souhaits ne se réalisait pas. Aussi poussait-elle toujours Antoine à enlever quelque chose aux autres pour le lui donner, et comme elle avait passé avec lui en Syrie, elle méditait de s'approprier cette province. Elle fut cause de la mort de Lysanias, fils de Ptolémée, en l'accusant d'avoir appelé les Parthes[26], et elle demanda à Antoine la Judée et l'Arabie,

qu'elle voulait qu'il enlevât à leurs rois. Antoine se laissait toujours dominer par cette femme au point qu'elle semblait l'avoir assujetti non seulement par le commerce de ses charmes, mais encore par des philtres, à toutes ses volontés ; cependant ici l'injustice eût été si flagrante qu'il n'osa pas, en poussant la soumission jusqu'à ce point, s'exposer aux dernières fautes. En conséquence, ne voulant ni opposer un refus absolu à Cléopâtre, ni se déconsidérer publiquement en accomplissant tous ses ordres, il se contenta d'enlever aux deux rois quelques parcelles de leur territoire et lui en fit présent. Il lui donna également les villes situées en deçà du fleuve Eleuthère jusqu'à l'Egypte, à l'exception cependant de Tyr et de Sidon, qu'il savait libres de toute antiquité, et bien qu'elle insistât pour les obtenir[27].

2[28]. Cléopâtre ainsi pourvue, après avoir accompagné jusqu'à

l'Euphrate Antoine, qui allait faire une expédition contre l'Arménie[29], revint sur ses pas et s'arrêta à Apamée et à Damas ;

puis elle passa en Judée, où Hérode vint à sa rencontre ; il lui prit à ferme[30] les districts d'Arabie qu'elle tenait d'Antoine ainsi que les

revenus du territoire de Jéricho : dans cette contrée pousse le baumier, - qui ne se trouve que là, et qui est le produit le plus estimé du pays - et le palmier y est abondant et magnifique. Profitant de son séjour et de ses relations quotidiennes avec Hérode, Cléopâtre essaya de faire du roi son amant ; elle était portée par son tempérament à rechercher sans retenue les plaisirs des sens ; peut-être aussi lui inspira-t-il une passion ; mais plus probablement elle désirait se ménager de nouvelles occasions d'intrigues en prenant pour prétexte la violence dont elle prétendrait avoir été victime. Quoi qu'il en soit,

 

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elle paraissait comme emportée par son désir. Mais Hérode, depuis longtemps mal disposé pour Cléopâtre, qu'il savait funeste à tous, trouva en cette circonstance qu'elle méritait son mépris, si c'était vraiment l'impudeur qui lui faisait ainsi perdre toute retenue, et que, si ces propositions cachaient un piège, il fallait prendre les devants en se vengeant d'elle. Il refusa donc de l'entendre et délibéra avec ses amis s'il devait la mettre à mort, profitant de ce qu'il l'avait en son pouvoir. Il épargnerait ainsi bien des malheurs à tous ceux qu'elle avait déjà lésés et qu'elle pourrait léser encore ; ce meurtre serait même profitable à Antoine, auquel elle ne resterait pas fidèle, le jour où quelque circonstance ou nécessité l'obligerait à compter sur elle. Tels étaient les projets d'Hérode. Ses amis l'arrêtèrent, en lui représentant tout d'abord l'imprudence qu'il y aurait à tenter une si grande entreprise et à s'exposer au plus manifeste des dangers ; ils le prièrent avec instance de ne rien faire par entraînement irréfléchi. Antoine ne supporterait pas, en effet, ce meurtre, lui mit-on même sous les yeux les avantages qu'il en retirait ; car son amour s'exaspérerait à la pensée que la violence et la ruse lui avaient enlevé sa maîtresse ; aucune justification ne paraîtrait suffisante pour un attentat commis sur la femme qui occupait la plus haute situation parmi celles de son temps ; quant aux avantages, pour se hasarder à les lui faire valoir, il y aurait à la fois présomption et condamnation implicite des sentiments d'Antoine. Il était donc évident qu'Hérode attirerait sur son trône et sur sa race des maux sans nombre et sans fin, alors qu'il pouvait, tout en écartant la faute que Cléopâtre voulait lui faire commettre, se tirer d'affaire avec honnêteté. En l'effrayant ainsi, en lui montrant le danger auquel vraisemblablement il s'exposerait, les amis d'Hérode purent l'empêcher d'exécuter son projet. Et le roi reconduisit en Égypte Cléopâtre, après l'avoir comblée de présents.

8[31]. Antoine, après s'être emparé de l'Arménie, envoya prisonnier

en Égypte Artabaze, fils de Tigrane, avec ses fils et ses satrapes ; il les donna à Cléopâtre, avec toutes les richesses du royaume, qu'il avait enlevées. Artaxias, fils aîné d'Artabaze, qui avait pu s'échapper, monta sur le trône d'Arménie. Archélaüs et Néron César[32] le

détrônèrent et ramenèrent, pour le nommer roi, Tigrane, son frère puîné ; mais ces événements ne se passèrent que dans la suite.

4. Pour les tributs qu'il devait sur les territoires donnés par Antoine, Hérode les paya exactement, jugeant prudent de ne pas fournir à Cléopâtre de motifs de ressentiment. Le roi d'Arabie[33], dont

Hérode s'était chargé de garantir le tribut, lui paya pendant un certain

 

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temps ses deux cents talents ; mais dans la suite il montra du mauvais vouloir et mit de la lenteur à effectuer les paiements ; il soulevait toutes sortes de difficultés, ne payait qu'à grand'peine une partie de la somme, et cela même non sans chicane[34].

V

1. Guerre d'Hérode contre Malchos, roi des Arabes Nabatéen. Défaite de Canatha. - 2. Tremblement de terre en Judée. - 3-5. Nouvelle campagne ; victoire de Philadelphie.

1[35]. Hérode, voyant que l'Arabe se conduisait avec autant

d'ingratitude et que finalement il refusait de remplir ses engagements, s’apprêta à marcher contre lui, mais fixa pour terme de cette entreprise la fin de la guerre romaine. On s'attendait, en effet, à la bataille d'Actium, qui eut lieu en la cent quatre-vingt-septième Olympiade[36], et César se préparait à disputer à Antoine l'empire du

monde ; Hérode, qui se trouvait possesseur depuis longtemps d'un territoire riche en pâturages, et dont les revenus et la puissance s'étaient accrus, leva des soldats pour prêter secours à Antoine et apporta beaucoup de zèle à ses préparatifs. Mais Antoine lui fit dire qu'il n'avait nul besoin de son aide et lui ordonna de marcher contre l'Arabe, dont il venait d'apprendre par lui et Cléopâtre la mauvaise foi : c'est Cléopâtre qui lui avait suggéré cette décision, pensant que les deux adversaires s'affaibliraient mutuellement et qu'elle en profiterait. Sur cet ordre d'Antoine, Hérode revint sur ses pas et réunit son armée comme pour envahir immédiatement l'Arabie ; sa cavalerie et son infanterie prêtes, il se transporta sous les murs de Diospolis[37], où les Arabes s'étaient rassemblés : car les préparatifs

de guerre d'Hérode ne leur avaient pas échappé. Une bataille meurtrière eut lieu, d’où les Juifs sortirent vainqueurs. Mais à la suite de ce combat, une importante armée d'Arabes se réunit à Cana[38],

place forte de Cœlé-Syrie. Hérode prévenu marcha contre eux à la tête de la plus grosse partie de ses forces, et arrivé en un endroit favorable[39], il résolut de camper et de se fortifier pour attendre

l'occasion d'en venir aux mains. Cette décision provoqua les réclamations de la multitude des Juifs, qui voulaient être menés sans retard contre les Arabes ; leur bâte venait de leur confiance dans leur bonne organisation ; les plus impatients étaient ceux qui avaient vaincu dans le combat précédent, où ils n'avaient pas même laissé leurs adversaires en venir aux mains[40]. Devant ce tumulte et

 

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l'ardeur montrée par ses troupes, le roi résolut de profiter des bonnes dispositions de l'armée, et, déclarant qu'il ne voulait pas montrer moins d'empressement qu'eux, il se mit à leur tête, en armes, suivi de tous ses soldats rangés par régiments. Les Arabes furent aussitôt frappés de terreur, et après une faible résistance, voyant les Juifs invincibles et pleins d'ardeur, ils reculèrent et prirent la fuite pour la plupart. Ils eussent été taillés en pièces si le stratège Athénion n'avait trahi Hérode et les Juifs. Il commandait, au nom de Cléopâtre, ce territoire, et, comme il était en désaccord avec Hérode, il attendait le résultat de l'action, son plan bien arrêté : si les Arabes accomplissaient quelque exploit, il était résolu à ne pas intervenir ; mais s'ils étaient battus - ce qui arriva - il se disposait, avec les troupes levées dans le pays, à tomber sur les Juifs. Lorsqu'il vit ces derniers fatigués et persuadés qu'ils avaient bataille gagnée, il les chargea à l'improviste et en fit un grand carnage ; car les Juifs, qui avaient dépensé toute leur ardeur contre leurs ennemis déclarés et usaient déjà sans défiance de leur victoire, succombèrent facilement à cette attaque et furent accablés de coups, sur un terrain peu favorable à la cavalerie, plein de pierres, et dont les assaillants avaient beaucoup plus l'habitude qu'eux. En les voyant en aussi mauvaise posture, les Arabes reprirent courage, revinrent sur leurs pas et massacrèrent les Juifs en déroute. Ceux-ci subirent donc de tous les côtés des pertes importantes ; bien peu des soldats dispersés purent se réfugier dans le camp. Le roi Hérode, désespérant de l'issue du combat, partit à cheval pour aller chercher du secours ; mais il ne put arriver à temps, malgré sa hâte, et le camp des Juifs fut pris. Les Arabes eurent ainsi le rare bonheur de remporter contre toute attente la victoire, alors qu'ils en étaient si éloignés, et de détruire un grand nombre de leurs adversaires. Après cela Hérode se borna au brigandage, parcourant le territoire des Arabes, qu'il dévastait par ses incursions ; campant dans la montagne, évitant les engagements réguliers, causant de réels dommages à l'ennemi par ses attaques incessantes et son activité, il amendait ses affaires et réparait de toutes façons son désastre.

2[41]. A ce moment, où se livra la bataille d'Actium entre César et Antoine, la septième année du règne d'Hérode[42], la Judée fut

éprouvée par un tremblement de terre, comme on n'en avait encore, semble-t-il, jamais ressenti, et qui causa la mort d'un très grand nombre de bestiaux. Il y eut aussi environ trente mille personnes écrasées par la chute de leurs maisons ; mais l'armée, qui campait en plein air, ne fut pas atteinte par la catastrophe. Les Arabes, à cette nouvelle, que leur transmirent amplifiée bien au delà de la vérité tous

 

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ceux qui voulaient flatter leur haine en exagérant les faits, conçurent de grandes espérances, comme si, le territoire ravagé, les habitants détruits, il n'y eût plus désormais pour eux d'obstacle. Ils mirent à mort les envoyés des Juifs, venus pour faire la paix à la suite des derniers événements, et marchèrent pleins d'ardeur contre l'armée juive. Les Juifs ne voulurent pas d'abord les attendre ; découragés par leurs revers, ils délaissaient leurs affaires, dont ils étaient arrivés à désespérer complètement ; ils n'avaient plus, en effet, l'espoir de lutter à armes égales, après leurs défaites, ni de recevoir aucun secours, dans la situation où se trouvaient leurs affaires domestiques. Dans cette consternation, le roi entreprit de rendre confiance aux chefs par ses exhortations et d'essayer de relever leur courage abattu. Il commença par secouer et réconforter quelques-uns des meilleurs ; puis il osa parler à la foule, après avoir hésité dans la crainte de la trouver hostile, à la suite de tant de désastres. Il les exhorta donc dans les termes suivants :

3[43]. « Je n'ignore pas, mes amis, que depuis quelque temps nos

entreprises n'ont abouti qu'à des échecs, et dans de pareilles circonstances, il est bien difficile aux plus énergiques de conserver leur courage. Mais, puisque la guerre nous presse, et que, de tous les malheurs survenus, il n'en est pas un auquel une seule victoire ne puisse remédier, j'ai voulu vous adresser quelques exhortations et vous dire comment vous pourrez rester dignes de votre grandeur d'âme naturelle. Je désire d'abord, au sujet de la guerre, vous montrer que nous la faisons justement, obligés que nous sommes par les insultes de nos ennemis : c'est là, si vous l'entendez bien, le plus grand stimulant pour votre ardeur. Puis, je veux vous faire voir qu'aucun des maux qui nous accablent n'est fait pour nous effrayer, et que nous avons encore les plus grandes espérances de victoire. Je commencerai par le premier point, vous prenant à témoin de ce que j'avance. Vous connaissez la perfidie des Arabes ; s'ils se sont toujours conduits, envers tous les autres peuples, avec toute la déloyauté qu'on pouvait attendre d’une nation barbare et dénuée de la connaissance de Dieu, c'est à nous surtout qu'ils s'en prirent, par avidité et par envie, épiant nos embarras pour nous attaquer à l'improviste. A quoi bon en dire plus long ? Et pourtant, lorsqu'ils faillirent perdre leur indépendance et passer sous la domination de Cléopâtre, qui donc, si ce n'est nous, les a délivrés de cette crainte ? C'est l'amitié qui me lie à Antoine, ce sont les bonnes dispositions de celui-ci à notre égard, qui leur ont épargné un malheur irrémédiable, Antoine mettant tous ses soins à ne rien faire qui pût éveiller notre défiance. Comme il voulait cependant donner à Cléopâtre quelques

 

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parties des deux royaumes, c'est encore moi qui négociai cette affaire, et qui, par de nombreux présents, pris sur mes propres biens, réussis à garantir à tous deux la sécurité ; je me chargeai des dépenses, donnant deux cents talents, me portant garant pour deux cents autres, qui ont été touchés par Cléopâtre, et dont les Arabes nous ont frustrés. Il était pourtant juste que les Juifs ne payassent à personne au monde aucun tribut, aucune dîme des produits de leur territoire ; encore moins devaient-ils le faire pour ces hommes que nous avons sauvés ; et il était souverainement injuste que ces Arabes, après avoir avoué avec force protestations et remerciements qu'ils croyaient nous devoir leur salut, nous fissent du tort en nous dépouillant, alors qu'ils étaient non nos ennemis, mais nos amis. La bonne foi, qu'on doit montrer même à l'égard des pires ennemis, est de la plus stricte obligation avec des amis ; il n'en est cependant pas ainsi chez ce peuple, qui ne voit rien au-dessus du gain, d'où qu'il vienne, et ne considère pas l'injustice comme blâmable, s'il peut en tirer quelque profit. Vous demanderez-vous donc encore s'il faut châtier des hommes sans foi, quand Dieu lui-même le veut et nous recommande de toujours haïr l'arrogance et l'injustice, et cela lorsque vous allez affronter une guerre non seulement juste, mais encore nécessaire ? Car ils ont commis, en égorgeant nos envoyés, l'acte qui, de l'aveu des Grecs et des barbares, est la pire des déloyautés. Les Grecs, en effet, ont déclaré les hérauts sacrés et inviolables ; et, nous-mêmes, c'est par des envoyés célestes que nous tenons de Dieu nos plus belles doctrines et nos plus saintes lois[44]. Ce nom seul a la vertu de faire

apparaître Dieu aux hommes et de réconcilier les ennemis entre eux. Quel plus grand sacrilège pourrait-on donc commettre que de tuer des envoyés venus pour s'entretenir de justice ? et comment pourraient-ils encore être prospères dans la vie, victorieux à la guerre après un pareil attentat ? la chose me parait impossible. Peut-être dira-t-on que si le bon droit et la justice sont pour nous, nos ennemis ont pour eux le courage et le nombre. Mais tout d'abord il est impie de proférer de semblables paroles : ceux qui ont pour eux la justice ont aussi pour eux Dieu, et là où est Dieu, là sont le nombre et le courage. Que si nous considérons maintenant notre propre force, ne les avons-nous pas vaincus dans le premier combat ? à la seconde rencontre, ils n'attendirent même pas le choc et ils prirent la fuite, incapables de supporter notre élan et notre vaillance ; c'est lorsque nous étions vainqueurs qu'Athénion nous a attaqués sans aucune déclaration de guerre. Ont-ils fait là preuve de courage, ou, pour la seconde fois, de déloyauté et de ruse ? Pourquoi donc nous décourager, par les motifs mêmes qui devraient nous donner les plus grandes espérances ? pourquoi redouter des hommes qui ont toujours été vaincus en

 

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combat régulier et qui, lorsqu'on leur accorde la victoire, ne la doivent qu'à la perfidie ? Au cas, d'ailleurs, où vous croiriez à leur courage, comment cette pensée même n'est-elle pas pour vous un aiguillon ? car le vrai mérite ne consiste pas à attaquer un ennemi plus faible, mais à pouvoir vaincre même plus fort que soi. Enfin, si quelques-uns se laissent effrayer par tous nos malheurs domestiques et pour les effets du tremblement de terre, réfléchissez tout d'abord que ces malheurs mêmes servent à tromper les Arabes, qui croient le mal plus grand qu'il n'est en réalité. Songez ensuite qu'il n'est pas glorieux que là où ils trouvent des raisons d'audace, nous en voyions, nous, de lâcheté. Nos ennemis, en effet, ne doivent pas leur assurance à quelque supériorité personnelle, mais à l'espoir qu'ils ont de nous trouver accablés par nos malheurs. Si nous marchons contre eux, nous leur enlèverons toute leur arrogance, et nous-mêmes nous y gagnerons de combattre des ennemis ayant perdu confiance. Aussi bien nous n'avons pas été éprouvés autant qu'on le dit, et la catastrophe n'est nullement, comme le croient quelques-uns, un effet de la colère divine. Il n'y a là que de simples accidents, des cataclysmes physiques. Et si Dieu est l'auteur de nos désastres, il est bien évident que c'est aussi lui qui y a mis un terme, satisfait du résultat obtenu : s'il avait, en effet, voulu nous accabler encore davantage, il ne s'en serait pas tenu là. Qu'il veuille cette guerre et qu'il la trouve juste, lui-même nous en a bien donné la preuve. Quelques morts ont été causées dans le pays par le tremblement de terre, mais aucun des hommes sous les armes n'a eu de mal ; vous avez été tous sauvés, Dieu voulant ainsi montrer clairement que, si même vous étiez tous partis en campagne avec vos femmes et vos enfants, vous n'auriez souffert aucune perte irréparable. Pénétrés de toutes ces vérités, et plus encore de l'idée que vous avez en toute occasion Dieu comme défenseur, marchez, enflammés d'une juste ardeur, contre des hommes parjures à l'amitié, perfides dans le combat, sacrilèges à l'égard des ambassadeurs, et qui toujours ont été vaincus par votre valeur. »

4[45]. Ce discours releva beaucoup le courage des Juifs, qui ne

demandèrent plus qu'à combattre. Hérode, après avoir offert les sacrifices suivant les rites, leva en hâte le camp et marcha contre les Arabes après avoir franchi le Jourdain[46]. Ayant posé son camp près

des ennemis, il jugea bon de s'emparer d'un château situé entre les deux armées : il pourrait, en effet, s'en servir pour engager plus tôt la bataille, et, d'autre part, s'il fallait différer, il assurait ainsi la défense de son camp. Les Arabes avaient eu la même idée ; on se disputa donc la place, d'abord dans une escarmouche, puis avec des forces

 

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plus nombreuses engagées de chaque côté, jusqu'à ce que le parti arabe vaincu battit en retraite. Ce succès donna aussitôt grand espoir aux Juifs. [Hérode, à la tête] de ses troupes, [provoqua les ennemis au combat ; mais voyant leur armée frappée de terreur et leur chef Elthémos][47] disposé à tout plutôt qu'à engager la bataille, il ne mit

que plus d'audace à arracher leurs palissades et à se rapprocher de leur camp ; forcés hors de leurs retranchements, les Arabes s'élancèrent en désordre, sans ardeur ni espoir de vaincre. Ils en vinrent cependant aux mains, ayant pour eux la supériorité du nombre et contraints par la nécessité à payer d'audace. La lutte fut très vive ; des deux côtés les morts furent nombreux. Enfin les Arabes lâchèrent pied et prirent la fuite, Dans leur déroute, il en périt un grand nombre, non seulement de la main de l'ennemi, mais par leur propre faute : les uns furent écrasés par la masse des fuyards qui se précipitaient sans ordre, d'autres tombèrent sur leurs propres armes. Ils perdirent cinq mille hommes. Le reste se réfugia en toute hâte dans les retranchements ; mais, même en sûreté, ils ne pouvaient espérer le salut, car ils manquaient de tout le nécessaire, et surtout d'eau. Les Juifs les poursuivirent ; mais n'ayant pu réussir à pénétrer avec eux dans le camp, ils s'établirent autour du retranchement et firent bonne garde pour empêcher ceux qui voudraient porter secours d'entrer, et ceux qui voudraient fuir, de sortir.

5[48]. Les Arabes, réduits à cette triste situation, envoyèrent des

parlementaires auprès d'Hérode, d'abord pour traiter de la suspension des hostilités, puis, pressés par la soif, pour déclarer qu'ils acceptaient toutes les conditions, pourvu qu'on leur donnât immédiatement la liberté. Mais Hérode repoussa ambassade, offres de rançon[49] pour

les prisonniers, et toutes autres conditions modérées, si ardent était son désir de tirer vengeance de leur conduite déloyale à l'égard des Juifs. Contraints donc par tant de causes et surtout par la soif, ils sortirent et vinrent se livrer à la captivité et aux chaînes. Après cinq jours, quatre mille hommes furent ainsi faits prisonniers ; le sixième jour, tous ceux qui restaient résolurent de faire une sortie régulière et d'attaquer l'ennemi, préférant, s'il devait leur arriver malheur, ne pas périr misérablement en détail. Ainsi décidés, ils sortirent des retranchements, mais furent incapables de se battre ; affaiblis de corps et d'âme, ils ne pouvaient fournir une belle résistance ; ils regardaient d'ailleurs la mort comme un bonheur, la vie comme une calamité. Au premier choc il en tomba environ sept mille[50]. Les

Arabes, à la suite de ce désastre, perdirent toute leur ancienne assurance. Pleins d'admiration pour l'habileté dont Hérode avait fait preuve au milieu de ses propres calamités, ils s'inclinèrent désormais

 

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devant lui et le proclamèrent protecteur de leur nation. Hérode exalté par son succès revint dans son royaume, s'étant acquis la considération de tous par cet exploit.

VI[51]

1-4. Bataille d'Actium. Dangers d'Hérode. Il fait mourir Hyrcan. - 5­6. Il se rend à Rhodes et se concilie la faveur d'Octave. - 7. Ses services à l'armée d'Octave dans la campagne d'Égypte.

  1. Tout avait donc bien pour lui, car il s'était rendu sur tous les points inattaquable, quand une crise survint qui remit tout en question, à la suite de la victoire de César sur Antoine à Actium. La situation parut alors désespérée à Hérode lui-même, comme aux ennemis et amis qui l'entouraient : il n'était pas vraisemblable, en effet, qu'il restât indemne, étant donnée l'amitié très étroite qui l'unissait à Antoine. Ses amis désespéraient de son salut ; ses ennemis feignaient en public de partager ses angoisses, mais éprouvaient une secrète joie, comptant sur une révolution avantageuse. Hérode, voyant qu'Hyrcan seul restait investi du prestige de la race royale, pensa qu’il importait de se débarrasser de lui il estimait que, s'il avait lui-même la vie sauve et échappait au danger, il garantirait sa sécurité en empêchant ce rival, plus digne que lui d'occuper le trône, de guetter le retour d'une pareille occasion : s'il lui arrivait, au contraire, malheur de la part de César, il souhaitait, par jalousie, faire disparaître le seul candidat possible à la royauté.
  2. Telles étaient les pensées que ruminait Hérode, quand ses adversaires lui fournirent un nouveau motif d'agir. Hyrcan, de caractère paisible, n'avait, ni alors ni en aucun autre temps, voulu se mêler des affaires ou tenter des nouveautés, résigné à sa fortune et prêt à se contenter de ce qu’elle lui apportait. Mais Alexandra, qui était ambitieuse et qui ne pouvait réfréner son espoir d'un changement, suppliait son père de ne pas supporter jusqu'au bout les injustices d'Hérode à l'égard de leur famille ; elle l'exhortait à se mettre en sécurité, pour se réserver des espérances ultérieures et le priait d'écrire à ce sujet à Malchos, alors chef des Arabes, pour lui demander de les accueillir et de leur donner asile. Une fois eux partis, si les affaires d'Hérode tournaient comme le faisait prévoir l'hostilité de César, ils seraient seuls à recueillir le pouvoir, en raison de leur race et de la sympathie du peuple. Hyrcan repoussait ces conseils. mais Alexandra, avec sa passion de l'intrigue et sa ténacité de femme,

 

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ne lui laissa de repos ni jour ni nuit, revenant sans cesse sur ce sujet, sur les mauvaises intentions d'Hérode à leur égard ; elle fit si bien qu'il se laissa enfin persuader de confier à Dosithée, un de ses amis, une lettre par laquelle il priait l'Arabe de lui envoyer une escorte de cavaliers pour l'emmener et l'accompagner jusqu'au lac Asphaltite, distant de trois cents stades des frontières du territoire de Jérusalem. Il avait confiance en Dosithée, qui se montrait plein de dévouement pour lui et pour Alexandra, et qui avait de sérieuses raisons d'en vouloir à Hérode : car il était parent de Joseph, que le roi avait fait mettre à mort, et frère [de l'un] de ceux qui avaient été tués auparavant à Tyr par ordre d'Antoine[52]. Toutes ces raisons ne

décidèrent cependant pas Dosithée à servir fidèlement Hyrcan ; estimant qu'il y avait moins à espérer de lui que du roi, il livra la lettre à Hérode. Celui-ci le remercia de son dévouement et le pria de lui rendre encore le service de porter la lettre, après l'avoir pliée et scellée, à Malchos et de rapporter la réponse : car il avait grand intérêt à connaître également les sentiments de Malchos. Dosithée s'acquitta avec zèle de la mission. L'Arabe répondit qu'il était prêt à recevoir Hyrcan, sa suite et tous les juifs ses partisans ; qu'il enverrait des troupes pour protéger leur fuite et que tout ce que demandait Hyrcan lui serait accordé. Dès qu'Hérode eut entre les mains cette seconde lettre, il envoya chercher Hyrcan et l'interrogea sur les engagements pris par lui avec Malchos. Hyrcan ayant nié, Hérode montra au Conseil leur correspondance et fit mettre à mort Hyrcan.

3. Nous avons suivi ici les mémoires du roi Hérode[53]. Mais les

autres historiens ne s'accordent pas avec cette version. Ils croient que ce n'est pas pour les raisons alléguées, mais sur une accusation insidieusement intentée, à sa manière, qu'Hérode fit tuer Hyrcan. Voici leur récit. Au cours d'un banquet, Hérode, dans une conversation où rien ne pouvait éveiller le soupçon, demanda à Hyrcan s'il avait reçu des lettres de Malchos ; Hyrcan avoua avoir reçu des lettres de salutation. Hérode lui demanda encore s'il n'avait pas reçu quelque présent. Rien de plus, répondit Hyrcan, que des chevaux de selle, dont Malchos lui avait envoyé quatre (paires). Hérode en aurait pris prétexte pour l'accuser de corruption et de trahison, et aurait donné l'ordre de l'étrangler. Comme preuve qu'Hyrcan n'avait par aucune faute mérité cette mort, on allègue la douceur de son caractère, le fait que jamais ni dans sa jeunesse, ni lorsqu’il fut lui-même roi, ne montra de témérité ni d'audace, qu'il laissa même pendant son règne presque tous les soins de son gouvernement à Antipater. De plus, il avait alors quatre-vingt-un ans[54] ; il regardait le pouvoir d'Hérode comme assuré sans

 

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contestation possible, puisqu'il avait traversé l'Euphrate, abandonnant les Juifs habitant au delà du fleuve, qui l'entouraient de leur vénération, pour venir se mettre sans restriction sous les ordres d'Hérode. Il est donc invraisemblable et peu conforme à son caractère qu’il ait conspiré et cherché à faire une révolution, et cette accusation n'aurait été qu'un simple prétexte d'Hérode.

  1. Telle fut la fin d'Hyrcan, qui avait connu dans le cours de son existence bien des fortunes diverses. Dès le début, sous le règne de sa mère Alexandra, nommé grand-prêtre du peuple juif, il occupa cette charge pendant neuf ans. Après la mort de sa mère, il monta sur le trône, mais n'y resta que trois mois ; chassé par son frère Aristobule, il fut rétabli par Pompée et recouvra tons ses honneurs, qu'il conserva pendant plus de vingt ans[55]. Renversé une seconde fois par

Antigone, et mutilé par lui, il fut emmené prisonnier chez les Parthes. Il revint plus tard dans son pays, attiré par les espérances qu'Hérode faisait reluire à ses yeux. Aucun de ces changements ne se produisit selon son attente[56] ; sa vie ne connut que les déboires, mais le plus

triste fut, comme nous l'avons dit plus haut, la mort qu'il trouva dans sa vieillesse. Il semble avoir été doux et modéré en tout ; il laissait à ses ministres la plus grande part dans le gouvernement, n'étant ni remuant, ni capable de régner ; c'est sa douceur même qui permit à Antipater et à Hérode d'arriver à la situation qu'ils occupèrent, et il n'y eut ni justice ni reconnaissance de leur part dans le sort qu'ils lui firent subir.

  1. Hérode, après s'être ainsi débarrassé d'Hyrcan, fut obligé de se rendre en hâte auprès de César ; il ne pouvait conserver grand espoir pour son propre salut à cause de l'amitié qui le liait à Antoine et soupçonnait Alexandra de vouloir profiter des circonstances pour détacher de lui le peuple et susciter des troubles qui mettraient sa royauté en danger. Il remit donc la direction de toutes les affaires à son frère Phéroras, et envoya sa mère, Cypros, sa soeur et tous ses enfants à Masada, avec ordre à son frère, si l'on apprenait qu'il lui fût arrivé malheur, de se saisir du pouvoir. Quant à sa femme Mariamme, comme il était impossible, en raison de ses dissentiments avec sa belle-soeur et sa belle-mère de lui faire partager leur existence, Hérode l'établit à Alexandreion avec sa mère Alexandra ; il confia cette place à son intendant Joseph[57] et à l'Ituréen Soaimos, dont il

avait éprouvé le dévouement depuis l'origine ; ces hommes, sous prétexte d'honneurs à rendre aux deux femmes, furent chargés de les surveiller. Hérode leur avait aussi laissé l'ordre, s'ils apprenaient

 

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quelque mauvaise nouvelle à son sujet, de faire périr les deux princesses et de s'efforcer de conserver la royauté à ses fils, de concert avec son frère Phéroras.

  1. Ces instructions données, il partit pour Rhodes, où il devait rencontrer César[58]. Quand il eut débarqué, il quitta son diadème,

sans rien abdiquer, du reste, de sa dignité. Et lorsqu'il fut admis à s'entretenir avec César, il s'appliqua encore plus à faire ressortir sa grandeur d'âme : loin de recourir aux supplications, comme on pouvait s'y attendre, loin de s'abaisser aux prières, comme un coupable, il rendit compte, sans s'excuser[59], de tout ce qu'il avait

fait. Il dit à César qu'une étroite amitié l'avait lié avec Antoine, qu'il avait fait tout son possible pour que celui-ci fût vainqueur ; empêché par une diversion des Arabes de le joindre avec ses troupes, il lui avait envoyé de l'argent et des approvisionnements. Et il n'avait rempli là que les moindres de ses obligations, car lorsqu'on fait profession d'amitié pour un homme et qu'on le reconnaît pour son bienfaiteur, on doit se donner corps, âme et biens pour partager ses dangers ; lui n'en avait pas fait assez. Il avait, du moins, conscience d'avoir bien agi en ne l'abandonnant pas après la défaite d'Actium, en ne donnant pas une direction nouvelle à ses espérances quand la fortune elle-même changeait de camp ; il était resté pour Antoine, sinon un allié bien utile, du moins un conseiller avisé, en lui indiquant, comme seul moyen de se sauver et de ne pas tout perdre, la mort de Cléopâtre : « Celle-ci disparue, ajouta Hérode, il aurait eu quelque chance de garder son empire et de trouver à conclure avec toi un accord mettant fin à votre inimitié. Mais il n'a voulu examiner aucune de ces raisons ; il a préféré, à son grand dam et à ton grand avantage, n'écouter que son imprudence. Et maintenant, si, dans ta colère contre Antoine, tu condamnes aussi mon zèle pour lui, je ne saurais désavouer ma conduite ni rougir de dire publiquement mon attachement pour lui ; si au contraire, enlevant le masque[60], tu veux

considérer comment je me comporte avec mes bienfaiteurs et quel ami je suis, ma conduite antérieure te permettra de me bien

connaître : car, il n'y aura de changé qu'un nom, et tu apprécieras aussi bien que lui la solidité de mon amitié. »

  1. Ce discours, qui dénotait si bien la franchise de son caractère, ne fit pas une médiocre impression sur César, qui avait l'esprit large et généreux ; ainsi les raisons mêmes dont on faisait un grief contre Hérode devinrent à César des motifs de lui accorder sa bienveillance. Il lui rendit son diadème, l'exhorta à ne pas se montrer moins attaché à lui qu'autrefois à Antoine, et lui prodigua les honneurs ; il ajouta

 

Zone de Texte: 1. A son retour dans son royaume, il trouva sa maison toute troubléeFlavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

que Quintus Didius lui avait écrit qu'Hérode l'avait secondé de tout son zèle dans l'affaire des gladiateurs[61]. Heureux d'avoir été l'objet

d'une aussi flatteuse réception, Hérode vit, contre toute espérance, son trône consolidé grâce à la générosité de César et à un sénatus-consulte des Romains, que celui-ci lui fit obtenir pour plus de sécurité. Là-dessus, il accompagna César vers l'Egypte, le comblant, lui et ses amis, de présents, au delà même de ses moyens, et se montrant d'une rare générosité. Il demanda même la grâce d'Alexandre, un des familiers d'Antoine, mais il ne put l'obtenir, car César était lié par un serment antérieur[62]. Il revint ensuite en Judée,

plus honoré et plus indépendant que jamais, au grand étonnement de ceux qui s'attendaient à un résultat tout opposé ; on eût dit qu'il sortait toujours des dangers avec plus de splendeur, grâce à la protection divine. Il s'occupa aussitôt de recevoir César, qui devait passer avec ses troupes de Syrie en Égypte[63]. Dès que celui-ci arriva, il le reçut

à Ptolémaïs, avec toute la magnificence royale, distribua des présents de bienvenue à son armée et lui fournit en abondance tout le nécessaire. Il fut désormais compté parmi les plus fidèles amis de César, qu'il accompagnait à cheval dans les revues de troupes, et qu'il hébergea, ainsi que ses amis, dans cent cinquante chambres, ornées de toutes les richesses du luxe et meublées somptueusement. Et comme l'armée traversait le désert, il sut pourvoir à ses besoins. Si bien que ni le vin, ni l'eau, encore plus indispensable aux soldats, ne firent défaut. Il fit présent à César lui-même de huit cents talents, et l’impression générale fut qu'il s'était, dans tous ces bons offices, montré plus généreux et plus magnifique que ne le faisaient prévoir les ressources de son royaume. Cette conduite ajouta encore à la confiance qu'on avait en sa fidélité et en son zèle, et il tira surtout de grands avantages d'avoir su accommoder sa générosité aux besoins du moment. Au retour d'Égypte, les services qu'il rendit de nouveau ne le cédèrent en rien à ceux de l'aller.

VII

1-2. Démêlés d'Hérode avec Mariamme. – 3. Territoires attribués à Hérode par Auguste. - 4-6. Supplice de Soaimos et de Mariamme ; caractère de cette princesse. - 7. Douleur et maladie d'Hérode. - 8. Supplice d'Alexandra. - 9-10. Supplice de Costobaros et de ses complices.

 

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et sa femme Mariamme et sa belle-mère Alexandra fort mécontentes. Persuadées, comme il y avait lieu de le soupçonner, qu'on les avait enfermées à Masada, non pour assurer leur sécurité personnelle, mais afin que, soumises à une étroite surveillance, elles ne pussent avoir la disposition de rien, même de ce qui leur appartenait, elles en étaient vivement irritées. Mariamme se persuadait, d'ailleurs, que l'amour du roi était une feinte et une duperie où il ne cherchait que son propre intérêt ; elle s'indignait à la pensée que, s'il arrivait malheur à Hérode, elle n'aurait plus, grâce à lui, aucun espoir de conserver la vie ; elle se rappelait les instructions données à Joseph[64] et ne négligeait

aucune attention pour gagner ses gardiens, surtout Soaimos, dont elle savait que tout dépendait. Soaimos au commencement resta fidèle et se conforma à tous les ordres donnés par Hérode ; puis les deux femmes, par leurs discours et leurs présents, l'ayant patiemment circonvenu, il se laissa gagner peu à peu et finit par leur révéler toutes les instructions du roi, dans la persuasion où il était que celui-ci ne reviendrait pas avec la même puissance. Il pensait que, agissant ainsi, tout en échappant au danger du côté d'Hérode, il s'assurerait les bonnes grâces des deux femmes, qui bien probablement ne perdraient pas leur rang, mais gagneraient encore au change soit qu'elles régnassent elles-mêmes, soit qu'elles fussent très proches du roi. Il ne se flattait pas moins, au cas où même Hérode reviendrait toutes choses réglées à sa guise, que le roi ne pourrait rien refuser à sa femme, dont il le savait follement épris. Tels étaient les motifs qui le poussèrent à révéler les ordres reçus. Mariamme les apprit avec amertume, se demandant si jamais elle verrait le terme des dangers qu'elle avait à redouter de la part d'Hérode ; et elle se trouvait outrée envers lui, faisant des voeux pour que le roi échouât complètement dans sa mission, car elle jugeait que, s'il réussissait, la vie avec lui serait intolérable. Elle le montra, d'ailleurs, clairement dans la suite, et ne cacha rien de ses sentiments.

2. Hérode, aussitôt débarqué, au retour de ce voyage dont le succès avait dépassé toutes ses espérances, annonça à sa femme la première, comme de juste, la nouvelle de cet heureux résultat et courut embrasser celle qui passait pour lui avant tous en raison de son amour et de leur intimité. Mais Mariamme, en l'écoutant raconter ses succès, éprouvait moins de joie que de mécontentement, et ne put dissimuler ses impressions. Enflée de sa dignité, de l'orgueil persistant de sa haute naissance, elle répondait par des soupirs aux embrassements d'Hérode et faisait à ses récits mine plus chagrine que joyeuse. Ces sentiments, non plus soupçonnés, mais ouvertement manifestés, troublèrent Hérode. Il s'inquiéta de voir l'inexplicable aversion,

 

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nullement dissimulée, de sa femme à son égard ; il s'en indignait, et, impuissant à maîtriser son amour, il ne pouvait rester longtemps irrité ou réconcilié passant constamment d'un extrême à l'autre, il était, dans les deux cas, en proie à la plus grande perplexité. Ainsi flottant entre la haine et l'amour, plusieurs fois sur le point de punir Mariamme de son dédain, l'empire qu'elle avait pris sur son âme ne lui laissait pas la force de se séparer de cette femme. Finalement, malgré la satisfaction qu'il aurait eu à se venger, il y renonça dans la crainte, s'il la faisait mourir, que le châtiment ne fût, sans qu'il le voulût, plus dur pour lui-même que pour elle[65].

  1. Quand elles le virent dans ces dispositions à l'égard de Mariamme, sa soeur et sa mère trouvèrent l'occasion excellente pour donner libre cours à leur haine contre celle-ci ; dans leurs entretiens, elles excitèrent Hérode par de graves accusations, propres à allumer chez lui l'aversion et la jalousie. Il écoutait volontiers ces propos, sans trouver le courage d'agir contre sa femme comme s'il y ajoutait foi ; cependant ses dispositions à l'égard de Mariamme devinrent toujours plus mauvaises et la discorde s'enflammait entre eux, Mariamme ne cachant nullement ses sentiments, et lui-même sentant chaque jour son amour se changer en colère. Et certainement il se serait laissé aller à quelque acte irréparable, mais à ce moment, comme on annonçait que César était vainqueur et que la mort d'Antoine et de Cléopâtre le rendait maître de l'Égypte[66], Hérode, pressé de se

porter à sa rencontre, laissa en l'état ses affaires domestiques. Comme il partait, Mariamme lui amena Soaimos, déclara qu'elle lui devait une vive reconnaissance pour ses soins et demanda pour lui au roi une place de préfet ; Soaimos obtint ce poste. Cependant Hérode, arrivé en Égypte, eut avec César des entrevues pleines de cordialité, comme un ami déjà ancien, et fut comblé d'honneurs. César lui fit don de quatre cents Gaulois, choisis parmi les gardes du corps de Cléopâtre, et lui rendit le territoire que cette reine lui avait fait enlever ; il ajouta encore à son royaume Gadara, Hippos, Samarie, et, sur le littoral, Gaza, Anthédon, Jopé et la Tour de Straton.

  1. Ces beaux succès rehaussèrent encore l'importance d'Hérode. Il accompagna César jusqu'à Antioche, puis revint chez lui. Mais autant à l'extérieur les choses tournaient à son avantage, autant ses affaires domestiques le faisaient souffrir, en particulier son mariage, qui jadis avait paru le rendre si heureux : car il éprouvait à juste titre pour Mariamme un amour qui ne le cédait en rien à celui des amants les plus célèbres. Celle-ci, d'ailleurs chaste et fidèle à son époux, avait dans le caractère un mélange de coquetterie et de hauteur ; elle se

 

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jouait volontiers d'Hérode, qu'elle savait esclave de sa passion, et, sans se rappeler, comme l'exigeaient les circonstances, qu'elle n'était qu'une sujette, à la discrétion d'un maître, elle l'offensait souvent gravement. Hérode prenait la chose en plaisanterie et supportait ses incartades avec fermeté. Mais Mariamme raillait ouvertement aussi la mère et la soeur du roi de leur humble origine et parlait d'elles en termes injurieux ; aussi ces femmes étaient-elles divisées par une discorde et une haine implacables et à ce moment s'accablaient-elles d'accusations. Les soupçons, ainsi entretenus, durèrent une année entière après le retour d'Hérode d'auprès de César. Alors la crise, préparée de longue main, éclata à l'occasion que voici. Le roi, certain après-midi, s'étant couché pour se reposer, fit appeler Mariamme qu'il adorait toujours. Elle vint, mais refusa de s'étendre auprès de lui, malgré le désir qu'il témoigna ; bien plus, elle se montra pleine de dédain, et lui reprocha d'avoir tué son père[67] et son frère. Hérode

prit fort mal cette offense, et comme il était enclin à agir précipitamment, sa soeur Salomé, s'apercevant de son grand trouble, lui envoya son échanson, depuis longtemps gagné, avec ordre de lui dire qu'il avait été sollicité par Mariamme de l'aider à préparer un breuvage destiné au roi. Si Hérode s'inquiétait et s'informait de ce qu'était ce breuvage, l'échanson devait dire qu'[il l'ignorait], car c'était Mariamme qui le détenait et lui-même n'était chargé que de le présenter. Si le roi au contraire, ne témoignait à ce sujet aucune curiosité, l'échanson n'avait qu'à garder le silence ; il ne courrait ainsi aucun danger. Après lui avoir ainsi fait la leçon, Salomé choisit cette occasion pour l'envoyer la réciter. L'échanson se présenta, débitant avec zèle un récit vraisemblable, disant que Mariamme lui avait fait des présents pour le décider à donner certain breuvage au roi. Le roi s'émut et demanda quel était ce breuvage ; l'homme répondit que c'était une potion qu'elle lui avait remise et dont lui-même ignorait l'action ; et que, dès lors, il avait pensé plus sûr pour lui-même, et pour le roi de révéler le fait. Cette épouse augmenta encore l'inquiétude d'Hérode, et pour connaître la vérité sur ce breuvage, il fit mettre à la torture l'eunuque le plus fidèle de Mariamme, sachant que rien de grave ou d'insignifiant ne se faisait à l'insu de cet homme. L'eunuque, mis à la question, ne put rien dire sur le fait même, mais déclara que la haine de Mariamme pour le roi venait des rapports que lui avait faits Soaimos. Avant même qu'il eût fini de parler, le roi poussa un grand cri, disant que Soaimos, jusqu'alors si fidèle à sa personne et au royaume, n'aurait pas trahi les ordres donnés, si les relations entre lui et Mariamme n'étaient allées trop loin. Il fit aussitôt saisir et mettre à mort Soaimos. Puis il réunit ses plus intimes familiers et leur déféra en jugement sa femme ; l'accusation, qu'il

 

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poussa fort sérieusement, porta sur les philtres et breuvages dont elle aurait, selon ses calomniateurs, voulu faire usage. L'âpreté du langage d'Hérode, la colère qui troublait son jugement furent telles que les assistants, le voyant ainsi disposé, finirent par condamner Mariamme à mort. La sentence une fois portée, il vint à l'esprit d'Hérode et de quelques-uns de ceux qui étaient présents, de ne pas tuer la reine précipitamment, mais de l'enfermer dans l'une des places fortes du royaume[68]. Mais Salomé et son entourage mirent toute leur ardeur

à se débarrasser d'elle et parvinrent à convaincre le roi, en lui remontrant la nécessité d'éviter les troubles qui éclateraient dans le peuple, si Mariamme restait vivante. En conséquence, elle fut conduite au supplice.

  1. Alexandra, considérant la situation et conservant peu d'espoir de ne pas être traitée par Hérode de la même façon, changea lâchement de visage et prit une attitude tout opposée à son ancienne arrogance. Dans son désir de paraître avoir ignoré tout ce dont avait été accusée Mariamme, elle se précipita dehors et insulta sa fille en public, lui reprochant ses mauvais procédés et son ingratitude à l'égard de son mari, criant bien haut qu'elle subissait un juste châtiment de son audace, car elle n'avait pas su reconnaître comme il le fallait les bienfaits dont Hérode avait comblé toute la famille. Ces démonstrations hypocrites et inconvenantes - elle osa même lui arracher les cheveux - n'inspirèrent à tous que du dégoût pour son indigne fausseté ; mais ce sentiment fut surtout visible chez la condamnée, Mariamme, en effet, considéra d'abord, sans prononcer une parole, sans laisser paraître aucun trouble, la bassesse d'Alexandra, et, pleine de dignité, sembla surtout affligée de voir la faute que commettait sa mère en prenant publiquement une attitude aussi misérable. Elle-même marcha à la mort impassible et sans changer de couleur, et jusque dans cette extrémité, sa noblesse éclata aux yeux des spectateurs[69].
  2. Ainsi mourut Mariamme, femme d'une vertu et d'une grandeur d'&me remarquables, mais perdue par son manque de modération et sa nature querelleuse. Par sa beauté, par la majesté de son main¬tien en société, elle surpassait plus qu'on ne saurait le dire les femmes de son temps; mais ce fut là surtout l'origine de ses malentendus avec le roi et de l'impossibilité pour elle de mener avec lui une vie agréable. Choyée, en effet, par lui, à cause de son amour pour elle, assurée qu'elle n'avait rien à craindre de fâcheux de sa part, elle s'arrogea avec lui une liberté de parole illimitée. Et comme le sort de ses parents l'affligeait, elle crût pouvoir dire sans réserve à Hérode son

 

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sentiment sur ce point; elle ne réussit qu'à se faire prendre en aversion par la mère et la soeur du roi et par le roi lui-même, le seul de qui elle crût en toute confiance n'avoir à attendre aucun ennui[70].

7[71]. Sa mort ne fit qu'aviver la passion du roi qui déjà

précédemment, comme je l'ai dit, passait la mesure. Son amour, en effet, n'avait pas cette affection paisible qui naît de la vie commune. Follement épris dès le début, la liberté de satisfaire sa passion n'avait pas empêché celle-ci de croître de jour en jour. Cet amour sembla alors plus que jamais, par l'effet d'un châtiment divin pour la mort de Mariamme, s'emparer de lui souvent il appelait sa femme à grands cris, ou bien il poussait de honteux gémissements ; il essaya de toutes les distractions possibles, rechercha les festins et les compagnies, mais rien ne réussit. Il refusait donc de s'occuper;des affaires du royaume, et la douleur l'égarait au point qu'il ordonnait à ses serviteurs d'appeler Mariamme, comme si elle était encore vivante et pouvait les entendre. Telles étaient les dispositions d'Hérode, quand survint une maladie contagieuse qui fit de grands ravages dans le peuple, et parmi les plus considérés des amis du roi ; tous supposèrent qu'elle avait été suscitée par Dieu en ressentiment de l'injuste supplice de Mariamme. Les idées du roi en furent encore assombries; enfin, il se retira dans le désert, et là, sous prétexte de chasser, s'abandonnant tout entier à sa douleur, il ne put résister longtemps et tomba très gravement malade. Il était en proie à la fièvre, à de violentes douleurs dans la nuque, à des troubles cérébraux. Aucun des remèdes qu'il prit ne le soulagea; par un effet contraire, ils le mirent dans un état désespéré. EL tous les médecins qui l'entouraient, voyant l'opiniâtreté du mal et que le roi ne supportait dans son régime d'autre contrainte que celle de la maladie, décidèrent de satisfaire tous ses caprices et s'en remirent au hasard d'une guérison dont ils désespéraient dans ces conditions. C'est ainsi que la maladie retenait Hérode à Samarie, ville qui prit le nom de Sébaste[72].

8. Alexandra, qui se trouvait à Jérusalem, à la nouvelle de l'état du roi, fit tous ses efforts pour se rendre maîtresse des forts de la ville. Il y en avait deux, commandant l'un la ville proprement dite, l'autre le Temple, et quiconque en était le maître l'était aussi du peuple entier : car on ne pouvait, sans sa permission, offrir les sacrifices, et la pensée de ne pouvoir les offrir était insupportable pour tous les Juifs, qui préféraient la mort à l'impossibilité de rendre à Dieu le culte accoutumé. Alexandra fit donc des ouvertures aux gouverneurs,

 

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assurant qu'il était indispensable de lui livrer ces positions à elle-même et aux fils d'Hérode, de crainte que, si celui-ci venait à mourir, quelqu'autre ne pût les prévenir et s'emparer du pouvoir ; si, au contraire, il recouvrait la santé, personne ne les conserverait mieux au roi que ses plus proches parents. Mais ces raisons trouvèrent sourde oreille ; les chefs, fidèles jusqu'alors à Hérode, le demeurèrent plus encore en cette circonstance par haine d'Alexandra et parce qu'ils trouvaient impie de désespérer de l'état d’Hérode tant qu'il était encore vivant ; ils lui étaient, en effet, attachés de longue date, et l’un d'eux, Achiabos, était aussi cousin du roi. Ils lui dépêchèrent donc aussitôt un envoyé pour lui faire connaître les desseins d'Alexandra. Hérode, sans retard, donna l'ordre de la mettre à mort. Lui-même il échappa à la maladie à grand'peine et après de longues souffrances ; mais il resta ombrageux, aigri par ses douleurs d'esprit et de corps, et saisit plus volontiers tous les prétextes pour supplicier ceux qui lui tombaient sous la main. C'est ainsi qu'il mit à mort même ses plus intimes amis, Costobaros, Lysimaque, Antipater surnommé Gadias, et Dosithée[73] ; voici à quel propos.

9. Costobaros appartenait à une famille de l'Idumée : il était des premiers en dignité dans ce pays, et ses ancêtres avaient été prêtres de

Cozé, que les Iduméens adoraient comme un dieu. Hyrcan (Ier) changea la forme du gouvernement des Iduméens, pour leur donner les coutumes et les lois des Juifs. Hérode, en prenant le pouvoir, nomma Costobaros gouverneur de l'Idumée et de Gaza, et lui fit épouser sa soeur Salomé, dont il avait tué, comme nous l'avons raconté, le premier mari, Joseph[74]. Costobaros accueillit avec joie

ces faveurs inespérées ; mais exalté par son bonheur, il en vint petit à petit à juger indigne de lui d'obéir aux ordres qu'il recevait d’Hérode, indigne des Iduméens d'avoir changé leurs institutions contre celles des Juifs pour vivre sous la dépendance de ceux-ci. Il envoya donc un message à Cléopâtre, pour lui dire que l'Idumée avait toujours appartenu aux ancêtres de cette reine, qu'il était donc juste qu'elle demandât ce territoire à Antoine ; lui-même était prêt à reporter sur la reine tout son dévouement. S'il agissait ainsi, ce n'était pas qu'il fût plus désireux de se trouver sous la dépendance de Cléopâtre ; mais il pensait qu'une fois Hérode privé de la plus grande partie de ses ressources, il lui deviendrait facile de s'emparer lui-même du pouvoir sur les Iduméens, et d'arriver aux plus hautes destinées : il ne mettait, en effet, nulle borne à ses ambitions, ayant un soutien sérieux dans la noblesse de sa race et les richesses qu'il avait amassées avec une patiente avarice ; enfin, il ne roulait que de vastes projets. Cléopâtre demanda le territoire à Antoine, mais elle éprouva un refus. Hérode,

 

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informé de cette intrigue, fut sur le point de faire mourir Costobaros ; toutefois à la prière de sa soeur et de sa mère, il le relâcha et lui pardonna, mais sans désormais se confier à lui.

10. Quelque temps après, Salomé, ayant eu des discussions avec Costobaros, lui fit signifier par lettre la rupture de leur mariage, ce qui est contraire aux lois des Juifs : car ce droit est réservé chez nous au mari[75] ; la femme même répudiée ne peut de sa propre initiative

se remarier sans le consentement de son premier mari. Salomé, au mépris de la coutume nationale et usant simplement de sa propre autorité, renonça à la vie commune et déclara à son frère Hérode que c'était par dévouement pour lui qu'elle se séparait de son mari ; car elle avait appris que celui-ci, avec Antipater, Lysimaque et Dosithée, conspirait contre lui. Elle donna comme preuve de ce qu'elle avançait l'existence des fils de Babas, que Costobaros gardait depuis douze ans. C'était la vérité et cette nouvelle inattendue fit une profonde impression sur le roi, frappé par le caractère extraordinaire du fait qu'on lui rapportait. Il avait autrefois, en effet, cherché à se venger des fils de Babas[76], qui s'étaient montrés hostiles ; mais depuis lors,

tant de temps s'était écoulé, qu'ils lui étaient même sortis de la mémoire. Son animosité et sa haine à leur égard avaient l'origine suivante. Lorsque Antigone avait le pouvoir et qu'Hérode vint assiéger la ville de Jérusalem à la tête de ses troupes, pressés par toutes les calamités qui accompagnent un siège, la plupart des habitants faisaient appel à lui et inclinaient déjà vers lui leurs espérances. Mais les fils de Babas, qui occupaient une haute situation et avaient une grande influence sur le peuple, restèrent fidèles à Antigone ; ils dénigrèrent violemment Hérode et exhortèrent la multitude à conserver à ses rois un pouvoir qu'ils tenaient du droit de naissance. Telle fut l'attitude politique de cette famille, qui, d'ailleurs, suivait son intérêt. La ville prise et Hérode maître du pouvoir, Costobaros avait été chargé de barricader les issues et de surveiller la ville, pour empêcher l'évasion des citoyens obérés ou hostiles au roi ; sachant que les fils de Babas étaient tenus en haute estime et considération par le peuple tout entier et songeant que, s'il les sauvait, il pourrait jouer un rôle important dans une révolution future, il les fit enlever et les cacha dans des fermes qui lui appartenaient. A ce moment il détourna la méfiance d'Hérode - car la vérité fut soupçonnée - en l'assurant par serment qu'il ne savait rien sur leur compte. Puis, lorsque le roi, par des proclamations et promesses de récompense, mit tout en oeuvre pour les découvrir, il ne voulut rien avouer ; tout au contraire, persuadé qu'après ses premières dénégations il ne pourrait échapper au châtiment si l'on retrouvait ces

 

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hommes, il s'attacha, non plus seulement par bienveillance, mais encore par nécessité, à dissimuler leur retraite. Le roi, sur les révélations que lui fit maintenant sa soeur, envoya dans l'endroit qu'on lui avait indiqué comme leur résidence et les fit mettre à mort avec leurs complices, en sorte qu'il ne resta personne de la race d'Hyrcan[77] ; Hérode eut désormais un pouvoir absolu, n'y ayant

plus de personnage en crédit qui pût s'opposer à ses violences[78].

VIII

1-2. Bâtiments d'Hérode à Jérusalem. Le théâtre et les jeux quinquennaux. Affaire des trophées. - 3-4. Complot de l'aveugle. -5. Réseau de forteresses. Reconstruction de Samarie-Sebaste.

1. Dès lors il s'éloigna de plus en plus des coutumes nationales et par l'introduction d'habitudes étrangères mina l'ancienne constitution, jusque-là inattaquable ; ce qui nous fit alors et depuis le plus grand tort, car on négligea tout ce que jadis était propre à entretenir le peuple dans la piété. Tout d'abord, en effet, il institua en l'honneur de César des jeux, qui devaient être célébrés tous les quatre ans ; il fit bâtir à Jérusalem un théâtre et dans la plaine un vaste amphithéâtre, édifices remarquables par leur magnificence, mais contraires aux habitudes des Juifs, car aucune tradition n'en autorisait l'usage ni les spectacles qu'on y donnait. Hérode cependant célébra avec le plus grand éclat cette fête quinquennale, pour laquelle il adressait des invitations aux voisins et convoquait tous les peuples[79]. Il avait fait

venir de partout des athlètes et concurrents de toutes sortes, attirés par les prix proposés et par la gloire que donnerait la victoire ; et l'on réunit dans chaque ordre d'exercices les champions les plus illustres car d'importantes récompenses furent proposées non seulement aux exercices gymniques, mais encore aux musiciens et aux autres artistes thyméliques, et l'on mit tout en oeuvre pour que les plus célèbres vinssent les disputer. Des prix de grande valeur furent aussi donnés pour les courses de chars à quatre ou deux chevaux ainsi que pour les courses de cavaliers ; et toutes les recherches de luxe et de magnificence qui étaient déployées ailleurs furent imitées par Hérode dans son désir de donner des fêtes qui missent sa grandeur en relief. Tout autour du théâtre furent disposées des inscriptions en l'honneur de César, des trophées rappelant les peuples qu'il avait vaincus et conquis, le tout exécuté en or pur et en argent. Quant au matériel, il n’était vêtements coûteux ou pierres précieuses dont on ne donnât le spectacle en même temps que celui des jeux. On fit aussi venir des

 

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bêtes féroces, des lions en grand nombre, ainsi que d'autres animaux, choisis parmi les plus forts et les plus rares ; on les fit se déchirer entre eux, ou combattre avec des condamnés. Les étrangers furent frappés d'admiration par la somptuosité déployée, en même temps que vivement intéressés par les dangers de ce spectacle ; mais les indignes voyaient là la ruine certaine des coutumes en honneur chez eux : car il était d'une impiété manifeste de jeter des hommes aux bêtes, pour le plaisir que d'autres hommes trouvaient à ce spectacle, impie également d'abandonner les moeurs nationales pour en adopter d'étrangères. Mais ce qui surtout les chagrinait, c'était les trophées : croyant, en effet, qu’il y avait des figures enfermées dans les panoplies, ils s'indignaient, car leurs lois interdisaient d'honorer de semblables images.

  1. Leur trouble n'échappa point à Hérode. Il jugea inopportun d'user de violence et se contenta de causer avec quelques-uns d'entre eux, de les raisonner pour essayer de les délivrer de leur scrupule religieux. Il ne put les convaincre, et dans leur ressentiment pour toutes les offenses dont il leur semblait coupable, ils déclaraient tout d'une voix que, tout le reste leur parût-il supportable, ils ne pourraient admettre dans la ville des représentations humaines - ils voulaient parler des trophées -, car elles étaient contraires aux coutumes nationales. Hérode, les voyant inquiets et pensant qu'il serait difficile de les faire changer d'avis, si l'on ne trouvait le moyen de les satisfaire, fit venir les principaux d'entre eux et les conduisit au théâtre ; là, leur montrant les trophées, il leur demanda ce qu'ils croyaient que ce pût être : ils s'écrièrent que c'étaient des figures humaines. Donnant alors l'ordre d'enlever tous les ornements qui les recouvraient, il leur montra l'armature de bois à nu. A les voir ainsi dépouillés, les mécontents ne purent retenir leurs rires, et ce qui contribua le plus à la détente, fut que déjà auparavant ils s'étaient moqués des images.
  2. Quand Hérode eut ainsi détourné les soupçons du peuple et brisé l'élan de colère qui l'avait soulevé, la plupart des Juifs se tinrent tranquilles, changèrent de sentiment et revinrent de leur hostilité ; plusieurs cependant persistèrent dans le mécontentement que leur causait l'introduction d'habitudes étrangères. Persuadés que la dérogation aux coutumes nationales amènerait de grands malheurs, ils jugèrent qu'il était de leur devoir de s'exposer eux-mêmes au danger de mort plutôt que de paraître tolérer avec indifférence qu'Hérode, la constitution bouleversée, introduisît par la force des habitudes contraires aux moeurs juives, et fût en apparence le roi, en réalité l'ennemi du peuple entier. S'étant donc unis par le serment de

 

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ne reculer devant aucun péril, dix citoyens s'armèrent de poignards cachés sous leur manteau ; parmi les conjurés, se trouvait un aveugle, poussé par l'indignation que lui causaient les récits qu'il entendait ; incapable d'agir et de rien faire pour aider à l'exécution du complot, il était cependant prêt à payer de sa personne s'il arrivait malheur aux autres, et sa présence ne fut pas un médiocre encouragement pour ceux-ci.

4. Ainsi décidés, ils se rendirent, comme il était convenu, au théâtre, dans l'espoir qu'Hérode, attaqué par eux à l'improviste, ne pourrait leur échapper et qu'ils pourraient du moins, à défaut du roi, mettre à mort nombre des gens de sa suite ; ce résultat leur paraissait devoir suffire, si, même au prix de leur vie, ils amenaient le peuple et le roi lui-même à réfléchir à ses outrages. Tels étaient leur dessein et leur résolution bien arrêtés. Mais l'un des hommes chargés par Hérode de surveiller ces sortes d'affaires et de les lui dénoncer découvrit le complot et le dévoila au roi au moment où il se rendait au théâtre. La nouvelle ne parut nullement invraisemblable à Hérode, étant donné la haine dont il se savait l'objet de la part de la plupart des Juifs et les troubles survenus à chaque événement ; il rentra donc dans son palais et fit convoquer nominativement ceux qui étaient accusés. Surpris par ses serviteurs et saisis sur le fait, les conjurés, voyant qu'il n'y avait pour eux aucune chance de salut, s'appliquèrent à ennoblir leur mort inévitable par une inébranlable fermeté : sans défaillance, sans rétractation, ils montrèrent leurs poignards, bien que déjà maîtrisés[80], et déclarèrent qu'ils s'étaient conjurés dans un esprit de

justice et de piété, ayant en vue, non pas quelque intérêt ou ressentiment personnel,mais avant tout la cause des coutumes nationales, que tous doivent observer ou défendre au prix de leur vie. Après cet aveu très franc du but de leur complot, entourés par les soldats du roi, ils furent entraînés, accablés de tourments et mis à mort. Peu après quelques Juifs s'emparèrent du dénonciateur et, non contents de le tuer, coupèrent son cadavre en morceaux, qu'ils donnèrent à manger aux chiens. Nombre de citoyens assistèrent au meurtre, mais personne ne le dénonça, jusqu'au jour où, Hérode ayant ordonné une enquête sévère et implacable, quelques femmes mises à la torture avouèrent les faits dont elles avaient été témoins. Les auteurs du crime furent alors punis, et Hérode se vengea sur toute leur famille de leur témérité. Cependant la ténacité du peuple et son inébranlable fidélité aux lois rendaient la situation difficile pour Hérode, s'il ne prenait d'énergiques mesures pour assurer sa sécurité ; aussi résolut-il de cerner le peuple de tous tes côtés, afin d'empêcher une révolte ouverte de la part des révolutionnaires.

 

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5. Il commandait déjà la ville par le palais où il habitait, et le Temple par la forteresse appelé Antonia, qui avait été bâtie par lui. Il s'avisa de faire de Samarie un troisième rempart contre la population tout entière ; il lui donna le nom de Sébaste et pensa que cette place pourrait lui servir de forteresse contre la contrée, aussi utilement que les autres[81]. Il fortifia donc cette bourgade, distante de Jérusalem

d'un jour de marche, et aussi bien placée pour tenir en respect la capitale que la campagne. Pour la défense du royaume entier, il releva la forteresse appelée jadis Tour de Straton, et à laquelle il donna le nom de Césarée[82]. Dans la grande plaine, sur la frontière

de Galilée, il fonda une colonie militaire peuplée de cavaliers d'élite de sa garde, appelée Gaba ; il colonisa de même le territoire d'Hesbon dans la Pérée[83]. Ces fondations se firent successivement ; ainsi

petit à petit il pourvoyait à sa sécurité, enfermant le peuple dans une ceinture de places fortes, pour lui enlever autant que possible toute facilité de se laisser entraîner aux troubles, comme il en avait l'habitude au moindre mouvement, et lui faire comprendre qu'à la première tentative de soulèvement il y aurait toujours à proximité des troupes qui sauraient en avoir connaissance et la réprimer. A l'époque où nous sommes, désireux de fortifier Samarie, il s'occupa de lui donner une population, composée de beaucoup de ses anciens compagnons d'armes et de nombreux habitants des territoires voisins ; son ambition était d'y élever un temple et, grâce à lui, de donner de l'importance à une ville qui n'en avait pas auparavant ; mais surtout il voulait assurer sa sécurité par sa magnificence[84]. Il

changea le nom de la ville et l'appela Sébaste, distribua le territoire avoisinant, dont les terres étaient excellentes, aux colons, afin qu'aussitôt arrivés ils se trouvassent déjà prospères ; il entoura la ville d'une forte muraille, utilisant pour la défense la situation escarpée de la place, et traçant une enceinte, non pas de la dimension de l'ancienne, mais telle qu'elle ne le cédât en rien à celle des villes les plus renommées elle avait en effet vingt stades. A l'intérieur, au milieu même de la ville, il traça un enclos sacré d'un stade demi, orné avec beaucoup de recherche, et dans lequel il éleva un temple égalant les plus célèbres par ses dimensions et sa beauté ; peu à peu il prodigua dans la ville les embellissements, considérant, d'une part, les nécessités de sa défense personnelle et faisant de cette place par la solidité de sa muraille une forteresse de premier ordre, d'autre part désireux de passer pour aimer les belles choses et de laisser à la postérité des monuments de sa munificence[85].

 

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IX

1-2. Famine ; habile générosité d'Hérode. - 3. Hérode renforce le corps expéditionnaire de Gallus. Son palais. Son mariage avec Mariamme II. - 4. Forteresse et ville d'Hérodion. - 5-6. Prospérité et largesses d'Hérode. Construction de Césarée.

  1. Cette même année, qui était la treizième du règne d'Hérode[86], les

plus grands malheurs s'abattirent sur le pays, soit que Dieu manifestât sa colère, soit que les fléaux reviennent ainsi dans certaines périodes déterminées. Il y eut d'abord des sécheresses continues, si prolongées que la terre ne porta ni moissons ni même aucun de ses produits naturels ; puis, à la suite du changement de nourriture nécessité par la rareté du blé, les habitants furent en proie aux maladies, ensuite à la peste, les maux se succédant sans trêve. Le manque de soins médicaux et de nourriture favorisa les progrès de la peste, dont les débuts avaient été terribles, et la mort des malheureux ainsi frappés jeta le découragement parmi les autres, impuissants à soulager leur détresse. La récolte de l'année perdue, les réserves de l'année précédente épuisées, il ne restait plus aucun espoir, car le mal se prolongeait au delà de toute prévision, menaçant de persister après l'année courante ; les hommes n'avaient donc plus aucune ressource, et les semences des plantes qui avaient résisté furent perdues à leur tour, la terre ne produisant rien pour la seconde fois. La nécessité s'appliquait à trouver des moyens nouveaux pour satisfaire les besoins. Le roi lui-même ne fut pas le moins éprouvé ; il ne touchait plus les tributs qu'il recevait sur les produits de la terre et se trouvait

avoir dépensé ses richesses en         libéralités pour les villes qu'il
bâtissait. Et rien ne paraissait capable d'apporter même quelque soulagement car le premier effet du mal avait été une recrudescence de la haine que portaient à Hérode ses sujets : l'insuccès fait toujours accuser les hommes au pouvoir.

  1. Dans une pareille crise Hérode s'ingéniait à trouver un remède à la situation. La chose était difficile les peuples voisins ne pouvaient donner du blé, car ils n'étaient pas moins atteints ; et, d'autre part, il n'avait plus d'argent, à supposer que l'argent eût permis de trouver même de faibles ressources à grand prix. Cependant, pensant qu'il fallait ne négliger aucun moyen de venir en aide à son peuple, il fit mettre au creuset tous les ornements d'argent et d'or de son palais, sans épargner les pièces luxueuses de son mobilier ou les objets ayant une valeur d'art. Il envoya l'argent qu'il en retira en Égypte, dont

 

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Pétronius avait reçu de César le gouvernement. Pétronius, auquel s'étaient déjà adressés nombre de malheureux pressés par ce même besoin, était un ami personnel d'Hérode et désirait sauver ses sujets : il leur donna donc par préférence l'autorisation d'exporter du blé et s'occupa de l'achat et du transport, de telle sorte que ce secours fut en grande partie, sinon entièrement, son oeuvre. Hérode, une fois arrivé le convoi qui apportait ces ressources, sut attribuer à sa propre prévoyance tout le mérite de ce soulagement ; par là, non seulement il amena les moins bien disposés pour lui à changer d'opinion, mais encore donna les plus grandes preuves de son zèle et de sa sollicitude. A tous ceux qui étaient capables de préparer eux-mêmes leur pain, il distribua du blé, après avoir procédé à l'enquête la plus minutieuse ; mais comme il y avait nombre de malheureux que leur vieillesse ou quelque autre infirmité rendaient incapables d'apprêter leurs aliments, il pourvut à leurs besoins en employant des boulangers et en leur donnant leur nourriture toute prête. Il prit, de plus, des dispositions pour qu'ils pussent passer l'hiver sans danger, car le manque de vêtements se faisait aussi sentir, les troupeaux étant détruits et complètement perdus, de sorte qu'on n'avait ni laine, ni aucune des autres matières nécessaires pour l'habillement. Quand il eut pourvu ainsi aux nécessités de ses sujets, il s'appliqua à secourir également les villes voisines, en fournissant des semences aux Syriens. Il ne tira pas moins de profit de cette mesure, car sa générosité ranima leur sol fertile, et chacun se trouva suffisamment pourvu de vivres. Enfin, quand vint le moment de la moisson, il n’envoya pas moins de cinquante mille hommes dans la campagne, qu'il nourrit et entretint lui-même. En somme, il releva par sa libéralité et sa sollicitude son royaume fort éprouvé et soulagea ses voisins, qui souffraient des mêmes maux : car il n'y eut personne qui, poussé par la nécessité à s'adresser à lui, n'eût reçu de lui quelque secours approprié à ses besoins. Les peuples, les villes, les particuliers qui, pour avoir trop de monde à leur charge, se trouvèrent sans ressources, eurent, en recourant à lui, tout ce qui leur manquait ; il y eut au total dix mille cores de blé distribués hors du royaume - le core est une mesure qui vaut dix médimnes attiques[87] -, et environ quatre-vingt mille

employés au soulagement du pays lui-même. Les soins d'Hérode, son opportune générosité firent une telle impression sur les Juifs et eurent un tel retentissement chez les autres peuples, que les haines soulevées jadis par la violation de quelques coutumes ou de certaines traditions de gouvernement disparurent complètement de la nation ; la libéralité dont il avait fait preuve dans ces terribles conjonctures parut racheter ses torts. Sa renommée s'étendit aussi à l'extérieur. Ainsi les malheurs incroyables qui l'assaillirent, s'ils éprouvèrent fortement son royaume,

 

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servirent d'autant plus sa gloire : en faisant preuve, en effet, dans de difficiles circonstances, d'une grandeur d'âme inattendue, il amena un revirement de l'opinion publique, si bien qu'il sembla avoir été dès le début de son règne, non pas le tyran que le montrait l'expérience du passé, mais le maître secourable que l'avait fait paraître sa sollicitude au moment du besoin.

  1. Vers ce même temps[88], il envoya à César un corps auxiliaire de

cinq cents hommes choisis dans ses gardes du corps, qu'Ælius Gallus emmena vers la mer Erythrée, et qui rendirent à ce général de grands services. Puis comme sa prospérité avait repris un nouvel essor, il se bâtit un palais dans la ville haute ; il y éleva d'immenses salles, qui reçurent la plus riche décoration, or, marbres, revêtements précieux ; chacune d'elles contenait des lits de table pouvant recevoir un grand nombre de convives et avait ses dimensions et sa désignation particulières[89] ; l'une s'appelait, en effet, salle de César, l'autre salle

d'Agrippa. Puis il se remaria par amour, car aucune considération ne pouvait l'empêcher de vivre au gré de son plaisir. L'origine de son mariage fut la suivante. Il y avait à Jérusalem un prêtre notable, Simon, fils d'un certain Boéthos d'Alexandrie, et qui avait une fille qui passait pour la plus belle de ce temps. Comme on parlait beaucoup d'elle à Jérusalem, l'attention d'Hérode fut d'abord éveillée par ces ouï-dire; dès qu'il la vit, il fut frappé de l'éclat de la jeune fille. Il écarta cependant absolument l'idée d'abuser de son pouvoir pour la posséder[90], prévoyant à bon droit qu'on l'accuserait de

violence et de tyrannie ; il pensa qu'il valait mieux l'épouser. Et comme Simon était trop obscur pour entrer dans sa maison, mais d'un rang cependant trop élevé pour qu'on pût le laisser de côté, le roi trouva que le moyen le plus convenable pour contenter son désir était de rehausser la noblesse de cette famille par de plus grands honneurs. Il enleva donc aussitôt le grand pontificat à Jésus, fils de Phabès, et le remplaça par Simon ; puis il célébra son alliance avec celui-ci[91].

  1. Après son mariage, il construisit une nouvelle forteresse à l'endroit où il avait vaincu les Juifs, alors qu'il avait été chassé et qu'Antigone se trouvait au pouvoir[92]. Cet emplacement est distant de Jérusalem

d'environ soixante stades ; il est naturellement fort et se prête admirablement à une pareille destination. C'est, en effet, une colline assez haute[93], artificiellement exhaussée et présentant dans son

ensemble la forme d'un mamelon ; de distance en distance sont des tours rondes ; on y moule par un escalier roide, comptant environ deux cents marches de pierre polie. Intérieurement se trouvent des

 

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appartements royaux, luxueux, aussi bien aménagés pour la défense que pour l’agrément ; au pied de la colline furent exécutés des travaux remarquables, notamment pour l'adduction de l'eau, dont la place était dépourvue, et qui fut amenée de loin à grands frais. Les constructions élevées au pied de la colline, qui leur servait d'acropole, ne le cédaient en importance à aucune ville.

5. Tout lui ayant réussi au gré de ses espérances, Hérode ne soupçonnait pas que le moindre trouble pût s’élever dans son royaume ; il était, en effet, sûr de ses sujets, et par la terreur - car il était inflexible dans la répression, - et par la générosité qu'on savait pouvoir attendre de sa grandeur d'âme dans les circonstances difficiles. Il s'assurait aussi la sécurité à l'extérieur, comme un rempart pour son peuple : car il entretenait avec les villes des relations habiles et cordiales, savait à l'occasion flatter les princes, qu'il comblait de cadeaux, leur créant chaque jour de plus grandes obligations envers lui, et mettait à profit, pour consolider son trône, ses dispositions naturelles à la largesse ; en somme, de succès en succès, il savait tout faire servir à fortifier sa situation. C'est son vif désir d'atteindre ce but et son envie de complaire à César et aux plus influents des Romains qui le mirent dans la nécessité de transgresser les coutumes, de violer nombre d'usages consacrés. Son ambition le poussa notamment à bâtir des villes et à élever des temples ; il ne le fit pas sur le territoire juif, car les Juifs n'auraient pu le supporter, puisqu'il nous est interdit, par exemple, d'honorer, à la manière des Grecs, des statues et des figures modelées ; mais il choisit à cet effet des territoires et des villes hors de la Judée, alléguant auprès des Juifs qu’il agissait ainsi non de sa propre initiative, mais sur des instructions et des ordres formels, tandis qu'il déclarait à César et aux Romains qu'il sacrifiait même les coutumes nationales à son désir de les honorer ; au fond, il ne se préoccupait que de lui-même, s'efforçant de laisser pour la postérité de plus grands souvenirs de son règne. Et c'est là ce qui le poussait à reconstruire des villes et à dépenser, dans cette intention, sans compter.

6[94]. Il avait remarqué sur le bord de la mer un emplacement tout à

fait propre à la fondation d'une ville : c'était le lieu autrefois appelé Tour de Straton. Il dressa un plan grandiose de la ville même et de ses édifices et la construisit entièrement, non pas de matériaux quelconques, mais en pierre blanche. Il l'orna de palais somptueux et de monuments à l'usage du public ; et, ce qui fut le plus important et exigea le plus de travail, la pourvut d'un port, parfaitement abrité, aussi grand que le Pirée, avec des quais de débarquement à l'intérieur

 

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et un second bassin. Le plus remarquable dans la construction de cet ouvrage, c'est qu'Hérode ne trouva sur les lieux mêmes aucune facilité pour le mener à bien, et qu'on ne put l'achever qu'avec des matériaux amenés à grands frais du dehors. La ville est, en effet, située en Phénicie, sur la route maritime d'Égypte, entre Jopé et Dora, petites marines, d'accès difficile à cause du régime des vents de sud-ouest qui arrivent du large chargés de sable dont ils couvrent le rivage, entravant le débarquement, si bien que le plus souvent les marchands sont obligés de jeter l'ancre en pleine mer. Hérode remédia aux inconvénients de ce régime ; il traça le port en forme circulaire, de façon que de grandes flottes pussent mouiller tout près du rivage, immergeant à cet effet des rochers énormes jusqu'à une profondeur de vingt brasses ; ces rochers avaient pour la plupart cinquante pieds de longueur, au moins dix-huit[95] de largeur et neuf

d'épaisseur, quelques-uns plus, d'autres moins. Le môle, bâti sur ces fondements, qu'il projeta dans la mer, avait une longueur de deux cents pieds. La moitié, véritable rempart contre la grosse mer, était destinée à soutenir l'assaut des flots qui venaient s'y briser de tous côtés ; on l'appela donc le brise-lames. Le reste soutenait un mur de pierre coupé de distance en distance par des tours dont la plus grande s'appelle Drusus, très bel ouvrage, tirant son nom de Drusus, beau-fils de César, mort jeune. On construisit une série d'abris voûtés pour servir d'asile aux matelots ; sur le devant, on traça un large quai de débarquement, enveloppant dans son pourtour le port tout entier et offrant une promenade charmante. L'entrée et l'ouverture du port se trouvaient exposées au vent du nord, qui est le plus favorable. A l'extrémité de la jetée, à gauche de l'entrée, s'élevait une tour [bourrée de pierres ?][96], pouvant opposer une forte résistance ; à droite se

dressaient, reliés entre eux, deux énormes piédestaux, plus grands que la tour d'en face[97]. Tout autour du port est une suite ininterrompue

de bâtiments construits en pierre soigneusement polie ; au centre est une colline sur laquelle on bâtit le temple de César, visible de loin pour les navigateurs et renfermant les statues de Rome et de César. La ville elle-même reçut le nom de Césarée ; elle est remarquable par la qualité des matériaux employés et le soin apporté à la construction. Les souterrains et les égouts construits sous la ville ne furent pas moins soignés que les édifices élevés au-dessus d'eux. Les uns, espacés à intervalles réguliers, aboutissent au port et à la mer ; un autre, transversal, les réunit tous de façon à emporter facilement les pluies et les immondices et à permettre à la mer, lorsqu'elle est poussée par le vent du large, de s'étendre et de laver en dessous la ville entière. Hérode bâtit aussi un théâtre de pierre et, au sud du port et en arrière, un amphithéâtre pouvant contenir un très grand nombre

 

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de spectateurs et parfaitement situé, avec vue sur la mer. La ville fut terminée en douze ans[98], car le roi ne souffrit aucune interruption

dans les travaux et n'épargna aucune dépense.

X

1. Les fils d'Hérode à Rome. Il reçoit la province affermée à Zénodore et réduit les brigands de la Trachonitide. - 2. Sa visite à Agrippa. Intrigues des Arabes. - 3. Auguste en Syrie. Plaintes des Gadaréniens. Hérode reçoit la tétrarchie de Zénodore. Temple de Panion. - 4. Système de gouvernement d'Hérode. Les Pharisiens refusent le serment. - 5. Son attitude envers les Esséniens ; prédiction de Manahem.

4. A ce moment, alors que Sébaste était déjà bâtie, Hérode résolut d'envoyer à Rome ses fils Alexandre et Aristobule, pour être présentés à César[99]. A leur arrivée ils descendirent chez Pollion,

l'un de ceux qui témoignaient le plus d'empressement pour l'amitié d'Hérode, et ils reçurent la permission de demeurer même chez César. Celui-ci, en effet, reçut avec beaucoup de bonté les jeunes gens ; il autorisa Hérode à transmettre la royauté à celui de ses fils qu'il choisirait et lui fit don de nouveaux territoires, la Trachonitide, la Batanée et l'Auranitide ; voici quelle fut l'occasion de ces largesses[100]. Un certain Zénodore avait affermé les biens de

Lysanias[101]. Trouvant ses revenus insuffisants, il les augmenta par

des nids de brigands qu'il entretint dans la Trachonitide. Ce pays était, en effet, habité par des hommes sans aveu, qui mettaient au pillage le territoire des habitants de Damas ; et Zénodore, loin de les en empêcher, prenait sa part de leur butin. Les populations voisines, maltraitées, se plaignirent à Varron, qui était alors gouverneur [de Syrie] et lui demandèrent d'écrire à César les méfaits de Zénodore. César, au reçu de ces plaintes, lui manda d'exterminer les nids de brigands et de donner le territoire à Hérode, dont la surveillance empêcherait les habitants de la Trachonitide d'importuner leurs voisins. Il n'était pas facile d'y parvenir, le brigandage étant entré dans leurs moeurs et devenu leur seul moyen d'existence ; ils n'avaient, en effet, ni villes ni champs, mais simplement des retraites souterraines et des cavernes qu'ils habitaient avec leurs troupeaux. Ils avaient su amasser des approvisionnements d'eau et de vivres qui leur permettaient de résister longtemps en se cachant. Les entrées de leurs retraites étaient étroites et ne livraient passage qu'à un homme à la fois, mais l'intérieur était de dimensions incroyables et aménagé en

 

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proportion de sa largeur. Le sol au-dessus de ces habitations n'était nullement surélevé, mais se trouvait au niveau de la plaine : cependant il était parsemé de rochers d'accès rude et difficile, pour quiconque n'avait pas un guide capable de lui montrer le chemin ; car les sentiers n'étaient pas directs et faisaient de nombreux détours. Quand ces brigands se trouvaient dans l'impossibilité de nuire aux populations voisines, ils s'attaquaient les uns les autres, si bien qu'il n'était sorte de méfait qu'ils n'eussent commis. Hérode accepta de César le don qu'il lui faisait ; il partit pour cette région et, conduit par des guides expérimentés, il obligea les brigands à cesser leurs déprédations et rendit aux habitants d'alentour la tranquillité et la paix.

2. Zénodore, irrité en premier lieu de se voir enlever son gouvernement[102], et plus encore jaloux de le voir passer aux mains

d'Hérode, vint à Rome pour porter plainte contre celui-ci. Il dut revenir sans avoir obtenu satisfaction. A celte époque Agrippa fut envoyé comme lieutenant de César dans les provinces situées au delà de la mer Ionienne[103]. Hérode, qui était son ami intime et son

familier, alla le voir à Mytilène, où il passait l'hiver, puis revint en Judée. Quelques habitants de Gadara vinrent l'accuser devant Agrippa, qui, sans même leur donner de réponse, les envoya enchaînés au rot. En même temps les Arabes, depuis longtemps mal disposés pour la domination d'Hérode, s’agitèrent et essayèrent de se soulever contre lui, avec d'assez bonnes raisons, semble-t-il : car Zénodore, qui désespérait déjà de ses propres affaires, leur avait antérieurement vendu pour cinquante talents une partie de ses états, l'Auranitide. Ce territoire étant compris dans le don fait par César à Hérode, les Arabes prétendaient en être injustement dépossédés et créaient à ce dernier des difficultés, tantôt faisant des incursions et voulant employer la force, tantôt faisant mine d’aller en justice. Ils cherchaient à gagner les soldats pauvres et mécontents, nourrissant des espérances et des rêves de révolution, auxquels se complaisent toujours les malheureux[104]. Hérode, qui depuis longtemps

connaissait ces menées, ne voulut cependant pas user de violence ; il essaya de calmer les mécontents par le raisonnement, désireux de ne pas fournir un prétexte à des troubles.

3[105]. Il y avait déjà dix-sept ans qu’Hérode régnait lorsque César vint en Syrie[106]. A cette occasion la plupart des habitants de

Gadara firent de grandes plaintes contre Hérode, dont ils trouvaient l'autorité dure et tyrannique. Ils étaient enhardis dans cette attitude

 

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par Zénodore, qui les excitait, calomniait Hérode et jurait qu'il n'aurait de cesse qu'il ne les eût soustraits à sa domination pour les placer sous les ordres directs de César. Convaincus par ces propos, les habitants de Gadara firent entendre de vives récriminations, enhardis par ce fait que leurs envoyés, livrés par Agrippa, n'avaient même pas été châtiés : Hérode les avait relâchés sans leur faire de mal, car, si nul ne fut plus inflexible pour les fautes des siens, il savait généreusement pardonner celles des étrangers. Accusé de violence, de pillage, de destruction de temples, Hérode, sans se laisser émouvoir, était prêt à se justifier ; César lui fit, d'ailleurs, le meilleur accueil et ne lui enleva rien de sa bienveillance, malgré l'agitation de la foule. Le premier jour il fut question de ces griefs, mais les jours suivants l'enquête ne fut pas poussée plus loin : les envoyés de Gadara, en effet, voyant de quel côté inclinaient César lui-même et le tribunal et prévoyant qu’ils allaient être, selon toute vraisemblance, livrés au roi, se suicidèrent, dans la crainte des mauvais traitements ; les uns s'égorgèrent pendant la nuit, d'autres se précipitèrent d'une hauteur, d'autres enfin se jetèrent dans le fleuve. On vit là un aveu de leur impudence et de leur culpabilité, et César acquitta Hérode sans plus ample informé. Une nouvelle et importante aubaine vint mettre le comble à tous ces succès : Zénodore, à la suite d'une déchirure de l'intestin et d'hémorragies abondantes qui en résultèrent, mourut à Antioche de Syrie. César attribua a Hérode sa succession assez considérable, qui comprenait les territoires situés entre la Trachonitide et la Galilée, Oulatha, le canton de Panion et toute la région environnante[107]. Il décida, en outre, de l'associer à

l'autorité des procurateurs de Syrie[108], auxquels il enjoignît de ne

rien faire sans prendre l'avis d'Hérode. En un mot, le bonheur d'Hérode en vint à ce point que des deux hommes qui gouvernaient l'empire si considérable des Romains, César, et, après lui, fort de son affection, Agrippa, l'un, César, n'eut pour personne, sauf Agrippa, autant d'attention que pour Hérode, l'autre, Agrippa, donna à Hérode la première place dans son amitié, après César[109]. Profitant de la

confiance dont il jouissait, Hérode demanda à César une tétrarchie pour son frère Phéroras, auquel il attribua sur les revenus de son propre royaume une somme de cent talents ; il désirait, s'il venait lui-même à disparaître, que Phéroras pût jouir paisiblement de son bien, sans se trouver à la merci de ses neveux[110]. Après avoir

accompagné César jusqu'à la mer, Hérode, à son retour, lui éleva sur les terres de Zénodore un temple magnifique en marbre blanc, près du lieu qu'on appelle Panion. Il y a en cet endroit de la montagne une grotte charmante, au-dessous de laquelle s'ouvrent un précipice et un gouffre inaccessible, plein d'eau dormante ; au-dessus se dresse une

 

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haute montagne : c'est dans cette grotte que le Jourdain prend sa source. Hérode voulut ajouter à cet admirable site l'ornement d'un temple, qu'il dédia à César[111].

4. C'est alors aussi qu'il remit à ses sujets le tiers des impôts, sous prétexte de leur permettre de se relever des pertes qu'ils avaient éprouvées par la disette, en réalité pour se concilier les mécontents ; car beaucoup supportaient impatiemment l'introduction définitive de nouvelles habitudes, où ils voyaient la ruine de la piété et la décadence des mœurs ; et c'était là l'objet de toutes les conversations du peuple, en proie à l'irritation et au trouble. Hérode surveillait fort cet état d'esprit : il supprimait toutes les occasions possibles d'agitation, obligeant les habitants à toujours être à leur travail, interdisant toute réunion aux citadins, les promenades et les festins communs ; leurs moindres gestes étaient épiés. Quiconque se laissait prendre en faute était sévèrement puni ; nombre de personnes, arrêtées en public ou secrètement, étaient conduites à la forteresse Hyrcania et mises à mort ; dans la ville, sur les routes, des hommes apostés surveillaient tous les rassemblements. Hérode lui-même, dit-on, ne dédaignait pas de jouer ce rôle ; souvent, vêtu comme un simple particulier, il se mêlait, la nuit venue, aux groupes pour surprendre les appréciations sur le gouvernement. Ceux qui restaient des adversaires résolus des moeurs nouvelles étaient impitoyablement pourchassés par tous les moyens ; quant aux autres, il espéra les amener à la fidélité en leur faisant prêter serment et il les contraignit à s'engager solennellement à lui conserver, comme à leur souverain, leur dévouement ainsi juré. La plupart, par servilité et par crainte, se plièrent à ses exigences ; pour ceux qui montraient quelque fierté et s'indignaient contre cette contrainte, il s'en débarrassait à tout prix. Il voulut amener Pollion le Pharisien et Samaias, ainsi que la plupart de ceux de leur école, à prêter serment mais ils n'y consentirent pas et cependant ne furent pas châtiés comme les autres récalcitrants, car Hérode se montra indulgent pour eux, en considération de Pollion[112]. Furent également exemptés de cette obligation ceux

qu'on appelle chez nous Esséens : c'est une secte qui mène une vie conforme aux préceptes qu'enseigna Pythagore chez les Grecs. Je parlerai d'eux ailleurs avec plus de détails[113], mais il est bon de

dire pour quelle raison il les tenait en haute estime et leur témoignait plus de considération que n'en mériteraient de simples mortels ; cette explication ne paraîtra pas déplacée dans un livre d'histoire et fera comprendre l'opinion qu’on avait sur leur compte.

 

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5. Il y avait parmi les Esséniens un certain Manahem, d'une honnêteté éprouvée dans la conduite de sa vie, et qui tenait de Dieu le don de prévoir l'avenir. Un jour qu'Hérode, alors enfant, allait à l'école, cet homme le regarda attentivement et le salua du titre de roi des Juifs. Hérode crut que c'était ignorance ou moquerie et lui rappela qu'il n'était qu'un simple particulier. Mais Manahem sourit tranquillement et lui donnant une tape familière[114] : « Tu seras pourtant roi, lui dit-

il, et tu régneras heureusement, car Dieu t'en a jugé digne. Et souviens-toi des coups de Manahem, et que ce soit pour toi comme un symbole des revirements de la fortune. Ce te serait, en effet, un excellent sujet de réflexions, si tu aimais la justice, la piété envers Dieu, l'équité à l'égard des citoyens ; mais, moi qui sais tout, je sais que tu ne seras pas tel. Tu seras heureux comme personne ne l'a été, tu acquerras une gloire immortelle, mais tu oublieras la piété et la justice, et cet oubli ne saurait échapper à Dieu ; sa colère s'en souviendra à la fin de ta vie. » Sur le moment Hérode ne fit pas grande attention à ces prédictions, n'ayant aucun espoir de les voir se réaliser ; mais quand il se fut élevé peu à peu jusqu'au trône et à la prospérité, dans tout l'éclat du pouvoir, il fit venir Manahem et l'interrogea sur la durée de son règne. Manahem ne lui en dit pas le total ; comme il se taisait, Hérode lui demanda s'il régnerait dix ans. Manahem répondit oui, et même vingt, et trente, mais n'assigna aucune date à l'échéance finale. Hérode se déclara cependant satisfait, renvoya Manahem après lui avoir donné la main, et depuis ce temps honora particulièrement tous les Esséniens. J'ai pensé que, quelque invraisemblance qu'il y ait dans ce récit, je devais le faire à mes lecteurs et rendre ce témoignage public à mes compatriotes, car nombre d'hommes de cette espèce doivent au privilège de leur vertu d'être honorés de la connaissance des choses divines[115].

XI

1-2. Hérode décide la reconstruction du Temple. - 3. Description du Temple et des fortifications de la colline sacrée. - 4. La tour Antonia ; vicissitudes du vêtement du grand-prêtre. - 5. Les portes, le portique royal, les trois parvis. - 6-7. Fêtes de l'inauguration du nouveau Temple ; miracle des pluies nocturnes.

1. A ce moment, dans la dix-huitième année de son règne[116], après

avoir fait tout ce qui précède, Hérode aborda une entre¬prise considérable, la reconstruction du Temple de Dieu. Il voulait agrandir l'enceinte et augmenter la hauteur de l'édifice pour le rendre plus

 

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imposant ; il pensait, avec raison, que cette oeuvre serait la plus remarquable de toutes celles auxquelles il aurait travaillé et qu'elle suffirait pour lui assurer une éternelle gloire. Mais sachant que le peuple n’était nullement préparé à cette grande entreprise et s'effrayerait de ses difficultés, il voulut tout d'abord l'amener par la persuasion à donner son concours à tout ce dessein. Il convoqua donc les habitants et leur parla en ces termes : « De tout ce que j'ai fait pendant mon règne, je crois inutile de rien dire, chers compatriotes, bien que j'en aie retiré moins d'honneur que vous-mêmes de sécurité. De même que, dans les conjonctures les plus difficiles, je n'ai jamais rien négligé de vos intérêts, ainsi dans toutes les constructions que j'ai élevées, je me suis préoccupé moins de mettre ma personne que vous tous à l'abri des injures : je crois donc, avec la volonté de Dieu, avoir amené le peuple juif à un degré de prospérité qu'il n'avait jamais connu auparavant. Vous rappeler tous les ouvrages exécutés l’un après l'autre en différents endroits du pays, toutes les villes construites sur notre ancien territoire ou dans mes acquisitions nouvelles, parure magnifique pour notre nation, me parait inutile, puisque tout cela vous est bien connu ; mais l'entreprise à laquelle je veux me consacrer aujourd'hui est la plus pieuse, la plus belle de toutes celles de mon règne et je veux en mettre la preuve évidente sous vos yeux. Notre Temple actuel a été élevé en l'honneur du Dieu Tout-puissant par nos pères, à leur retour de Babylone ; mais il lui manque en hauteur soixante coudées pour atteindre les dimensions qu'avait le premier Temple, celui qui fut bâti par Salomon[117]. Il ne

faut pas en accuser la piété de nos pères : ce n’est pas leur faute si le Temple est trop petit ; c'est que les dimensions de l'édifice leur furent imposées par Cyrus et Darius, fils d'Hystaspe, dont ils furent les esclaves et ceux de leurs descendants, avant de l'être des Macédoniens ; ils n'eurent donc pas la possibilité d'égaler la grandeur du premier monument de leur piété[118]. Mais aujourd'hui que, par la

volonté de Dieu, je détiens le pouvoir, et que nous jouissons d'une longue paix, de richesses, de revenus considérables, et surtout que les Romains, les maîtres du monde, ou peu s’en faut, nous témoignent de l'amitié et de la bienveillance, je veux essayer, en réparant les négligences que nous imposèrent jadis la nécessité et la servitude, de m'acquitter envers Dieu, par ce pieux hommage, de ses bienfaits et du don de la royauté. »

2. Ainsi parla Hérode. Ce discours inattendu étonna le peuple. Jugeant chimérique l'espoir exprimé par le roi, les Juifs y restèrent insensibles, se demandant avec inquiétude si Hérode, après s'être hâté de démolir tout l'édifice, aurait les ressources suffisantes pour mener

 

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à bonne fin son projet : le danger leur paraissait donc très grand, et l'entreprise d'une grandeur malaisée à réaliser. Le roi, les voyant dans ces dispositions, les rassura en leur promettant de ne pas jeter bas le Temple avant d’avoir réuni tous les matériaux nécessaires à l'achèvement des travaux. L'effet suivit la promesse : il fit préparer mille chariots pour transporter les pierres, choisit dix mille ouvriers des plus expérimentés, acheta pour mille prêtres des vêtements sacerdotaux[119], enseigna aux uns le métier de maçon, aux autres

celui de charpentier ; et tous ces préparatifs ainsi soigneusement achevés, se mit à l'oeuvre.

3. Après avoir démoli les anciennes fondations, il en jeta de nouvelles sur lesquelles il éleva le Temple, qui mesura cent coudées en longueur [et en largeur][120] et vingt de plus dans la hauteur,

excédant qui disparut plus tard par suite d'un affaissement survenu, avec le temps, dans les fondation ; il avait été décidé, du temps de Néron, de le rétablir[121]. Le Temple fut construit en pierre blanche

très dure, dont chaque bloc mesurait vingt-cinq coudées de longueur, huit de hauteur et environ douze d'épaisseur. Dans le Temple, comme dans le portique royal[122], on tint les nefs latérales moins hautes et

le bâtiment central plus élevé, il était visible à plusieurs stades de distance, pour les habitants de la campagne, surtout pour ceux qui demeuraient en face, ou s'avançaient dans cette direction. Les portes d'entrée, aussi hautes, avec leur linteau, que le Temple même, furent ornées de tentures bigarrées, offrant à l'œil des fleurs teintes en pourpre et des colonnes brodées, Au-dessus des portes, dans l'espace compris jusqu'au couronnement du mur, courait une vigne d'or aux grappes pendantes, merveille de grandeur et d'art, et dans laquelle la finesse du travail le disputait à la richesse de la matière. Hérode entoura le Temple de spacieux portiques, soigneusement proportionnés aux dimensions de l'édifice et beaucoup plus riches que ceux d'autrefois personne, semblait-il, n'avait jamais aussi magnifiquement orné le Temple. Les deux portiques étaient appuyés à un puissant mur, et ce mur lui-même était l'oeuvre la plus colossale dont on eût jamais entendu parler. L'emplacement du Temple est, en effet, une colline rocheuse, escarpée, qui monte cependant en pente douce, du côté des quartiers est de la ville, jusqu'au sommet Notre premier roi[123] Salomon, sous l'inspiration divine, y exécuta des

travaux considérables. Sur le sommet, il fortifia par un mur tout le plateau ; dans le bas, il éleva à partir du pied même de la colline, qu'entoure au S.-O. un ravin profond, une seconde muraille en pierres liées par des scellements de plomb ; en s'avançant la muraille

 

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embrassait graduellement un morceau de la colline et s'élevait de plus en plus[124]. Toute cette construction, de plan carré, était d'une

grandeur et d'une hauteur inimaginables : extérieurement, la vue ne s'arrêtait que sur les larges surfaces des pierres ; intérieurement des crampons de fer maintenaient l'appareil et lui assuraient une solidité à toute épreuve. Ce travail une fois poussé jusqu'au niveau du sommet de la colline, on égalisa soigneusement celui-ci, puis on combla sur tout le pourtour la cavité comprise entre le mur et le flanc de la colline, jusqu'à ce que l'on fût de plain-pied avec le plateau et l’on nivela la surface du remblai. Cet ensemble constitua l'enceinte, qui avait quatre stades de tour, chaque côté ayant un stade de longueur. En dedans de ce mur d'enceinte, un autre mur de pierre[125] suit le

sommet lui-même ; le long de l'arête orientale, un portique double s'y appuie, de dimensions égales au mur, et s'ouvre sur les portes du Temple, placé au milieu[126]. Nombre de nos anciens rois

embellirent ce portique, et tout autour du sanctuaire étaient suspendues des dépouilles barbares ; le roi Hérode les consacra toutes (à nouveau) après y avoir joint celles qu'il avait enlevées aux Arabes.

4. Du côté nord on avait construit, dans l'angle du péribole[127], une

citadelle, admirablement fortifiée et pourvue d'excellents moyens de défense. Elle fut bâtie par les rois pontifes de la race ses Asamonéens, prédécesseurs d'Hérode, qui l'appelèrent Baris[128] et la destinèrent à

abriter le vêtement sacerdotal que le grand-prêtre ne revêt que lorsqu'il doit offrir un sacrifice. Hérode laissa le vêtement au même endroit, mais, après sa mort, il fut sous la garde des Romains jusqu'au temps de Tibère César. Sous cet empereur, Vitellius, gouverneur de Syrie, étant venu à Jérusalem, y reçut du peuple un accueil magnifique ; désireux de le reconnaître par un témoignage de bienveillance, comme les Juifs lui demandaient de leur rendre la garde du vêtement sacré, il en écrivit à Tibère César, qui octroya leur requête ; et ils conservèrent la disposition de ce vêtement jusqu'à la mort du roi Agrippa. Après celui-ci, Cassius Longinus, alors gouverneur de Syrie, et Cuspius Fadus, procurateur de la Judée, ordonnèrent aux Juifs de déposer le vêtement dans la tour Antonia : les Romains, disaient-ils, devaient en être les maîtres, comme ils l'étaient auparavant. Les Juifs envoyèrent des ambassadeurs à l'empereur Claude pour lui adresser une requête à ce sujet. Lorsqu'ils furent arrivés à Rome, le roi Agrippa II, qui s'y trouvait alors, présenta la demande à l'empereur qui accorda l'autorisation sollicitée et envoya des ordres au proconsul de Syrie[129]. Auparavant, le

vêtement se trouvait sous le sceau du grand-prêtre et des gardiens du

 

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trésor ; la veille de la fête, les gardiens du trésor se rendaient auprès du chef de la garnison romaine et, après avoir vérifié leur sceau, emportaient le vêtement. Puis, la fête passée, ils le rapportaient au même endroit et l'y déposaient, après avoir montré au commandant de la garnison que le sceau était bien le même. Mais je me suis laissé entraîner par le souvenir douloureux des événements ultérieurs à donner tous ces détails. A l'époque où nous sommes, le roi des Juifs, Hérode, fortifia encore cette tour Baris afin d'assurer la sécurité et la défense du Temple, et, en souvenir d'Antoine, son ami et le chef des Romains, il lui donna le nom d'Antonia[130].

5. Du côté de l'ouest, le mur d'enceinte du Temple avait quatre portes : l'une conduisait au palais, par un chemin qui franchissait le ravin intermédiaire ; deux autres menaient au faubourg[131] ; la

dernière conduisait dans les autres quartiers de la ville, par un long escalier qui descendait jusqu'au fond du ravin, d'où il remontait ensuite : car la ville se trouvait en face du Temple, bâtie en amphithéâtre et entourée sur toute la partie sud par un profond ravin. Sur le quatrième front du mur d'enceinte, au midi, il y avait aussi des portes dans le milieu, et de plus le portique royal, qui s'étend en longueur, avec son triple promenoir, du ravin est au ravin ouest : on n'aurait pu le prolonger davantage. C'était l'ouvrage le plus admirable qui fût sous le soleil. Telle était déjà la profondeur du ravin qu'en se penchant pour en voir le fond on n'en pouvait supporter la vue ; Hérode cependant construisit sur le bord même un portique de dimensions immenses, au point que si l'on essayait, du haut du toit, de sonder cette double profondeur, on était saisi de vertige, l'oeil ne parvenant pas à mesurer l'abîme. Les colonnes furent disposées symétriquement sur quatre rangs, dont le quatrième était engagé dans le mur de pierre ; l’épaisseur des colonnes était telle qu'il fallait trois hommes, joignant leurs bras tendus bout à bout, pour les embrasser ; le périmètre à la base était de vingt-sept pieds, car un double tore s'enroulait sous le fût[132]. Il y avait en tout cent soixante-deux

colonnes[133] ; les chapiteaux sculptés étaient de style corinthien, et

le tout d'une magnificence frappante. Entre Ces quatre rangs de colonnes couraient trois promenoirs couverts. Les deux extrêmes, qui se faisaient pendant et étaient disposés de même façon, avaient chacun trente pieds de largeur, un stade de longueur, plus de cinquante pieds de hauteur ; l'allée du milieu avait la moitié en plus de largeur et une hauteur double : cette nef surpassait donc de beaucoup les deux voisines. Le plafond était orné de sculptures en plein bois figurant toutes sortes de dessins ; il était surélevé dans le milieu et soutenu par un mur formant corniche, qui reposait sur

 

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l'entablement de l'étage inférieur[134] ; ce mur était décoré de

colonnes engagées, et le tout parfaitement poli : quiconque n'a pas vu ce travail ne peut s’en faire aucune idée, et ceux qui l'ont vu étaient frappés d'admiration. Tel était le premier parvis. Il en renfermait un second, assez peu éloigné, auquel on avait accès par quelques marches et qu’entourait une barrière de pierre ; une inscription en interdisait l'entrée aux étrangers sous peine de mort[135]. Le parvis

intérieur avait au sud et au nord trois portails à quelque distance les uns des autres, et, au soleil levant, un seul, la grande porte, par laquelle nous autres Juifs, à la conditions d'être purs, entrions avec nos femmes. Au delà de cette enceinte il était défendu aux femmes de passer outre[136]. Un troisième parvis était contenu dans le

précédent, où les prêtres seuls pouvaient pénétrer. Il renfermait le Temple et, devant celui-ci, l'autel sur lequel nous offrions nos holocaustes à Dieu[137]. Le roi Hérode n'eut accès à aucune de ces

dernières parties de l'édifice[138], dont il était exclu parce qu'il n'était

pas prêtre. Mais il s'occupa activement des travaux des portiques et des parvis extérieurs et les acheva en huit ans.

  1. Le sanctuaire fut bâti par les prêtres en un an et six[139] mois.

Tout le peuple fut rempli de joie pour ce prompt achèvement de l'oeuvre et en rendit grâces d'abord à Dieu, ensuite au zèle du roi ; la reconstruction fut célébrée par des fêtes et des bénédictions. Le roi offrit en sacrifice à Dieu trois cents bœufs ; quant aux autres, chacun fit suivant ses propres ressources, et il est impossible de dire le nombre des victimes, car on ne saurait approcher de la vérité. Il arriva en effet que le jour de l'achèvement du Temple coïncida avec l'anniversaire de l'avènement du roi, que l'on célébrait habituellement, et cette coïncidence donna à la fête le plus grand éclat[140].

  1. Le roi se fit aussi creuser un passage souterrain, conduisant de la tour Antonia à l'enceinte sacrée intérieure, du côté de la porte est, au dessus de cette porte il se fit également construire une tour, dont il voulait avoir ainsi l'accès par des souterrains, pour se mettre à l'abri an cas de soulèvement populaire contre la royauté. On dit que tout le temps que dura la construction du Temple, il ne plut jamais pendant le jour ; il n'y eut d'averses que la nuit, de façon que les travaux ne furent pas interrompus[141]. Cette tradition nous a été transmise par

nos pères, et la chose n'a rien d'incroyable si l'on considère tant d'autres manifestations de Dieu. C'est ainsi que le Temple fut reconstruit.

 

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  1. Quelques traits de ce chapitre (récompenses et châtiments, cadeaux et à Antoine) sont réunis dans Guerre, I, § 358.
  2. Les mss. sauf E ont ici Pollion, mais cf. livre XIV, ix, 4.
  3. L'année 38/7 av. J.-C. Cf. livre XIV, xvi, 2.
  4. Josèphe ne parait pas s'apercevoir que cette version des causes de la mort d'Antigone est peu d'accord avec celle qu'il a donnée dans le livre XIV, xvi, 3, d'après Nicolas.
  5. Cf. pour le retour d'Hyrcan Guerre, I, § 433-4.
  6. Livre, XIV, xiv, 10.
  7. Texte incertain.
  8. L'intervention d'Hérode en faveur du retour d'Hyrcan, racontée ici, se concilie assez mal avec la section précédente où ce retour est attribué aux démarches d'Hyrcan lui-même. Destinon (op. cit., p. 110) soupçonne ici la « contamination » de deux versions distinctes, dont la première seule dériverait de Nicolas (la fin de cette section trahit, en effet, une source hostile à Hérode).
  9. Cf. Guerre où Mariamme est accusée d'avoir envoyé elle-même son portrait.
  10. Nous ne comprenons pas les mots xaÜ spoudaiñteron ° y•tton:.
  11. Si Ananel était « de la race des grands-prêtres » (quel que soit le

sens précis qu'on attache à ces mots), il n'était pas un « prêtre obscur » (ii, 4).

  1. Livre XII, v, 1.
  2. Livre XIV, i, 2. Ces deux précédents contredisent la formule,

 

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Ananel, qui..., citée plus haut.

  1. Nous lisons pñton avec P et la traduction latine, suivis par Naber (les autres mss. ont tñpon)

[15] Le récit, très abrégé, de Guerre est un peu différent. Après avoir

mentionné la fête des Tabernacles et l'émotion du peuple, Josèphe écrit : « l'enfant fut envoyé de nuit à Jéricho et là tué, sur l'ordre du roi, par la main des Gelates (ou : des Gaulois), qui le plongèrent dans une piscine ». Il semble pourtant qu'Hérode n'ait eu des mercenaires gaulois qu'après la mort de Cléopâtre (vii, 3).

  1. Octobre 35 av. J.-C.
  2. Naber lit ¯p‹thse, les mss. ont °tthse « ne put fléchir Alexandra ».
  3. Printemps 34 av. J.-C.
  4. Les mss. ont yeÝon. Joseph aurait donc été l'oncle paternel ou

maternel d'Hérode ; mais plus loin (iii, 9) nous voyons qu’il était son beau-frère (le mari de sa soeur), ce qui est confirmé par Guerre, I, § 441. Naber propose donc avec raison d'écrire ici p¡nyeron ; déjà Arnaud a traduit ainsi.

  1. Pour le récit qui suit (sections 6-9) cf. Guerre, I, § 441-444.

Mais c'est par erreur que le récit abrégé de Guerre fait périr Mariamme en même temps que Joseph.

  1. Personnage inconnu. Quelques mss. ont ußoè ƒIoéda.
  2. Selon Schürer (I3, 364) il s'agirait du royaume de Chalcis dans le

Liban, mais la donation de ce royaume à Cléopâtre est placée par Plutarque, Dion et Porphyre en 36 av. J.-C. M. Bouché Leclercq (Histoire des Lagides, II, 73) pense au titre de Reine des rois conféré à Cléopâtre au retour de l'expédition d'Arménie, mais sans plus de vraisemblance. Nicolas a peut-être commis un anachronisme.

  1. Ce n'est pas précisément contre les Parthes que marchait alors Antoine, mais contre les Arméniens (Dion Cassius, XLIX, 39).

 

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  1. Guerre, I, § 359-361.
  2. Texte mutilé.
  3. Il s'agit de Lysanias, dynaste de Chalcis en Liban (Iturée), fils et

successeur de Ptolémée, fils de Mennaios. Son exécution se place en 36, à la veille de l'expédition d'Antoine contre les Parthes (Porphyre ap. Eusèbe, I, 170 Schœne). Cf. Kromayer, Zeit und Bedeutunq der ersten Schenkung Mark Antons an Kleopatra, dans l'Hermes, XXIX (1894), p. 571 suiv.

  1. Toutes ces donations se placent probablement en 36, soit avant

l'expédition contre les Parthes (Plutarque), soit après (Dion) : Schürer (I, 380) les place en 34, et le langage de Josèphe (iv, 2) semble prouver que ce dernier a partagé cette opinion.

  1. Guerre, I, § 362.
  2. Printemps 34 av. J.-C.
  3. Au prix de 200 talents par an (Guerre, § 362 - cf. infra, v, 3).

Mais en réalité, comme on le verra plus loin, en ce qui concerne les districts arabes Hérode ne faisait que l'avance du tribut dû par Malchos.

  1. Guerre, I, § 363.
  2. C'est-à-dire Archélaüs, roi de Cappadoce, et le futur empereur

Tibère (Josèphe copie Nicolas sans savoir peut-être de qui il s'agit). Artaxias ne fut d'ailleurs pas détrôné par les Romains, mais par « ses proches » (Tacite, Ann., II, 3).

  1. C'était toujours Malchos ou Malichos (Guerre). Cf. livre XIV, xiv, 1.
  2. Le sens exact de •zhmÛvw m'échappe.
  3. Guerre, I, § 364-369.
  4. La 187e Olympiade commença en juillet 32 av. J.-C. ; la bataille

 

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d'Actium est du 2 septembre 31, donc de la 2e année de cette Olympiade, à moins que les Olympiades de Josèphe ne commencent au 1er janvier qui suit leur véritable origine.

  1. Site inconnu. Faut-il corriger en Dium (DÝon pñlin au lieu de

Diñspolin) ? C'est certainement dans cette région, à l'E. de la Décapole, qu'il faut placer la campagne.

  1. Kan• dans Ant. ; KanŽya (Kanawat) dans Guerre. Mais peut-être faut-il lire Kanata (distinct de Kanatha), aujourd'hui Kerak, à l'O. du Haouran.
  2. En lisant avec Niese et les mss. PF Øn xalÒ (Kan• vulg.). L'endroit s'appelait Ormiza (Guerre).
  3. Texte douteux. Je lis avec les mss. ¤pitr¡cantew (Naber : ¤pitr¡contew)
  4. Guerre, I, § 370-372.
  5. Cette année va du printemps (Nisan) 31 au printemps 30. La catastrophe eut lieu (Guerre) au commencement du printemps, donc cinq mois avant la bataille d'Actium, •xm‹zontow toè perÜ †Axtion pol¡mou (Guerre).
  6. Guerre, I, § 373-379 (développement très différent).
  7. La même idée est exprimée par saint Paul (Galates, iii, 19; Hébreux, ii, 2). Notre texte aurait dû être cité par Bousset dans son exposé de la doctrine angélologique à l'époque de Jésus (Religion des Judentums, p. 323 Suiv.).
  8. Guerre, I, § 380-383.
  9. Près de Philadelphie en Ammonitide (Guerre).
  10. La lacune du texte, marquée par Dindorf, a été remplie conjecturalement par Niese d'après le texte de Guerre.
  11. Guerre, I, § 384-385.

 

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  1. Cinq cents talents, d'après Guerre.
  2. Six mille selon quelques mss.
  3. Guerre, I, § 388-395 (il n'y est pas question du supplice d'Hyrcan).
  4. Livre XIV, xiii, 2.- L’expression « parent de Joseph » achève de prouver que Joseph n'était pas oncle, mais simplement beau-frère d'Hérode (supra, iii, 5).
  5. Ces mémoires ou registres n’ont probablement jamais été publiés ; Josèphe les cite à travers Nicolas, qui a pu les connaître en qualité de secrétaire du roi.
  6. Ce chiffre est inexact ou altéré, comme l'a fait observer

Wellhausen (Geschichte, 3e éd., p. 221), car le père d'Hyrcan, Alexandre Jannée, épousa Salomé, veuve de son frère mort en 103 ; Hyrcan est donc né au plus tôt en 102 et n'avait à sa mort (31) que 72 ans au plus.

  1. Le texte a quarante, mais entre le rétablissement d'Hyrcan par Pompée (fin 63 ou commencement 62 av. J.-C.) et l'usurpation d'Antigone (40) il ne s'est passé que 22 ou 23 ans.
  2. Sens douteux. Peut-être : « aucune de ces espérances ne se réalisa ».
  3. Le nom de ce personnage (qui ne reparaît pas dans la suite) a été suspecté ; on y a vu une confusion avec un épisode antérieur (supra, iii, 5).
  4. Printemps 30 av. J.-C.
  5. Œnupotim®tvw, sens probable (æpotÛmhosiw, excuse, justification en grec alexandrin).
  6. tõ prñsvpon •nelÅn, sens douteux. Peut-être : « faisant abstraction des personnes ? »

 

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  1. Q. Didius, gouverneur de Syrie (les mss. des Antiquités ont

xataidiow, xapidiow, le Bellum xai Bentidiow ; la vraie leçon est due à Hudson), assisté par Hérode, avait arrêté une troupe de gladiateurs partis de Cyzique pour secourir Antoine. Josèphe, en abrégeant Nicolas, rend l'allusion inintelligible. Cf. Dion Cassius, LI, 7.

  1. Il s'agit d'Alexas de Laodicée, confident d'Antoine, qui l'avait envoyé à Hérode (Plut., Ant., 72).
  2. Déjà plus haut il a été dit prématurément qu'il accompagna Octave jusqu'à l'Égypte.

[64] Supra, iii, 5. C'est peut-être cette phrase (de Nicolas ?) qui a fait

croire à Josèphe que cette fois encore un des gardiens de Mariamme s'appelait Joseph.

  1. Texte et sens extrêmement incertains. Nous suivons le texte de

Niese (par€aêtoè). Avec celui du Laurentianus (parƒ aét°w) le sens pourrait être : « que le châtiment ne fût disproportionné à l'offense ».

  1. Août 30 av. J.-C.
  2. Lapsus pour « grand-père ». A l'époque de l'exécution

d'Alexandre, père de Mariamme (49 av. J.-C.), Hérode ne comptait

pas. Deux mss. ont d'ailleurs p‹ppon au lieu de pat¡ra.

  1. Destinon (op. cit., p. 112) suppose non sans vraisemblance que

parmi ces conseillers enclins à l'indulgence se trouvait Nicolas lui-même.

  1. Fin 29 av. J.-C.
  2. Si l'on compare ce récit de la mort de Soaimos et de Mariamme

avec l'épisode raconté plus haut (iii, 6) qui amena l'exécution de Joseph, on ne peut manquer d'être frappé de l'étroite analogie de plusieurs circonstances des deux récits. Cette analogie est si grande que dans le récit abrégé de Guerre les deux épisodes paraissent être fondus en un seul, placé au moment du voyage d'Hérode auprès d'Antoine. Le gardien infidèle s'appelle Joseph, non Soaimos, et Hérode, irrité par les calomnies de Salomé, le fait mettre à mort avec

 

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Mariamme. Frappé de ces coïncidences, Destinon (op. cit., p. 113) a émis l'hypothèse que le double récit des Antiquités résulte d'une erreur : Josèphe ayant trouvé deux narrations du même fait, où le nom seul du gardien différait, en aurait fait deux épisodes différents. Pas plus que Schürer (I, 386), je ne puis admettre cette hypothèse ; l'erreur, si erreur il y a, a sûrement été déjà commise par Nicolas ; mais il y a plus probablement simple similitude des événements eux-mêmes. Toute fois rien ne prouve qu'Hérode ait sérieusement soupçonné Mariamme d'adultère avec Soaimos ; son accusation ne porte que sur la tentative d'empoisonnement.

  1. Guerre, I, § 444.
  2. Cette dénomination est prématurée, car Samarie a pris ce nom

nouveau au plus tôt en janvier 27 av. J.-C., époque où Octave reçut le titre d'Auguste (Sebastñw) Cf. Schürer, I2, p. 366.

  1. Sans doute le même personnage qui avait trahi Hyrcan en vi, 2.
  2. Voir iii, 9.
  3. Deutéronome, ch. xxiv. La répudiation du mari est également condamnée par l'Évangile (Marc, x, 12).

[76] Niese préfère la leçon Sabbas du manuscrit P, mais le nom de

Babas était commun alors. D'après une tradition rabbinique, c'est un Baba ben Bouta qui aurait conseillé à Hérode de reconstruire le Temple.

  1. Les « complices » des fils de Babas sont Costobaros,

Lysimaque, Antipater et Dosithée, mais on ne sait qui parmi tous ces suppliciés appartenait « à la race d'Hyrcan ». Schürer fait, d'ailleurs, observer avec raison que la fille d'Antigone vivait encore vingt ans plus tard (Ant., XVII, 5, 2, fin).

  1. 26 ou 25 avant J.-C. (12 ans après la prise de Jérusalem par Hérode).
  2. En lisant Žpò pantòw (sans toè) §ynouw.
  3. xratoæmenoi, sens douteux (xratoæmena L et Niese).

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

  1. Texte corrompu.
  2. La construction commença en 22 av. J.-C. (infra, ix, 6, fin).
  3. Il faut lire avec Schürer ¤pÜ t» GalilaÛ& G‹ba etc. ; Gaba, dont

l'emplacement n'est pas certain, était située au pied du Carmel (Guerre, III, iii, 1). Hesbon (Hesbdn) se trouvait à l'E. du Jourdain vis-à-vis de Jéricho.

  1. Le texte est fort douteux.
  2. Pour la reconstruction de Samarie-Sebaste, cf. Guerre, I, qui

ajoute deux détails : le nombre des colons (6000) et la dédicace du temple à César (Auguste>.

  1. 25-24 av. J.-C.
  2. Le core (kar) ou homer est évalué par Benzinger à 364 litres ; le

médimne attique (solonien) en vaut 52. L'évaluation de Josèphe est donc très inexacte. Peut-être a-t-il confondu le médimne avec le métrète, employé pour les liquides (39 litres).

  1. 25-24 av. J.-C. Le chiffre de 500 auxiliaires juifs est également donné par Strabon, XVI, 4, 23.
  2. Texte altéré que n'éclaire pas le passage parallèle de Guerre.
  3. Texte corrompu.
  4. Jésus, fils de Phabès, avait donc succédé à Ananel (XV, 3, 3) à

une époque inconnue. D'après certains passages de Josèphe (XVII, 4, 2 etc.), le beau-père d'Hérode se serait appelé Boéthos, et non Simon, fils de Boéthos. Cf. Schürer, II3, p. 217. La fille s'appelait Mariamme (Guerre, I).

  1. Livre XIV, viii, 9. Josèphe omet de rappeler ici le nom de la

forteresse, Hérodion, qui est donné dans la description parallèle de Guerre (liv. I). Pour le site, au N. de Thékoa (Guerre, IV, ix, 5), aujourd'hui Djebel el-Foureidis, cf. Schürer, I3, 390.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

  1. ¢ggçw ¢pieixÇw xolvnñw, texte altéré ; le sens résulte de Guerre (liv. I).
  2. Pour la description de Césarée, cf. Guerre, I.
  3. Dix seulement d'après Guerre.
  4. Nenagm¡now, leçon des meilleurs mss., appelle un complément. Perihgm¡now (leçon de AMW) peut-il signifier « circulaire » ?
  5. La tour et les deux piédestaux supportaient des statues colossales (Guerre).
  6. L'an 10 avant J.-C. Ailleurs (XVI, 136) la durée du travail est évaluée à 10 ans.
  7. 24 ou 23 av. J-C.
  8. Pour l'épisode de Zénodore cf. Guerre, I, xx, 4. La donation eut

lieu (Guerre) après la « première période actiaque » (période de célébration des jeux actiaques) c'est-à-dire après septembre 24 av. J.-C.

  1. Lysanias, fils de Ptolémée, prince de Chalcis, avait été mis à

mort par Antoine en 34 (supra, iv, 1). Ce sont ses états, devenus vacants, que le gouvernement romain avait baillés à ferme à Zénodore. L'origine de ce dernier est inconnue. Sur une inscription mutilée d'Héliopolis (Renan, Mission de Phénicie, 317) il parait être désigné comme fils de Lysanias ; mais il ne l'était peut-être que par une adoption posthume. Il possédait, indépendamment des territoires affermés, une tétrarchie propre.

  1. En effet, le don de César comprenait les 3 provinces de

Lysanias (supra, x, 1 ; Guerre, I, xx, 4) et non pas simplement la Trachonitide. Voir infra.

  1. 23 av. J.-C. La visite d'Hérode à Mytilène se place probablement en 22.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

  1. Tel me parait être le sens de cette phrase, dont le texte est altéré.
  2. Guerre, I, 399-400.
  3. 20 av. J.-C. (Dion, LIV, 7).
  4. Oulatha était près du lac Houleb, la Panias est sur le haut

Jourdain. Ces territoires constituaient le domaine héréditaire de Zénodore (Dion, LIV, 9), qui sur ses monnaies prend le titre de ZhnodÅrou tetr‹rxou xaÜ •rxier¡vw. Ils sont distincts, malgré les doutes de Schürer (I3, 715), des territoires de Lysanias, pris à ferme par Zénodore. La date 87 inscrite sur les monnaies (Wroth, Galatia, etc., p. 281) indique une ère commençant vers 115 av. J.-C. : c'est l'époque où ces territoires auront secoué le joug des Séleucides.

  1. ƒEpÛtropo désigne à proprement parler les procurateurs, non le

gouverneur de la province. L’expression de Guerre (xat¡sthse dƒ açtòn xai SurÛaw dlhw [xoÛlhw ?] ¢pÛtropon) est sûrement exagérée.

  1. Phrase presque identique dans Guerre, I, xx, 4.
  2. Le voeu d'Hérode est exaucé (Guerre, I, xxiv, 5) ; la tétrarchie

de Phéroras comprenait la Pérée ou une partie de cette région (ibid., xxx, 3).

  1. C'est le temple figuré sur les monnaies du tétrarque Philippe, fils d'Hérode (Madden, Coins of the Jews, p. 123 suiv.).
  2. Pour Pollion et Saméas (Abtalion ? et Schemaya ou Schammai ?) cf. supra, i, 1.

[113] Cf. livre XVIII, 1, 5, description d'ailleurs moins détaillée que

celle de Guerre, II, viii, 2-13. La forme €EssaÝow que Josèphe emploie (Esséens) est celle que préfère uniformément Philon.

  1. Mot à mot : « lui tapant les fesses ».
  2. Ce récit (sect. 5) ne parait pas emprunté à Nicolas de Damas,

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

mais à la tradition essénienne, comme les anecdotes semblables concernant les Esséniens Juda (Ant., XIII, ii, 2) et Simon (XVII, xiii, 3). On n'oubliera pas que Josèphe avait vécu chez les Esséniens et prédit l'empire à Vespasien.

  1. 20-19 av. J.-C. (Guerre dit à tort : la quinzième année).
  2. D'après I Rois, 6, 2 le temple de Salomon avait 30 coudées de

haut ; mais la Chronique (II, 3, 4) donne au portique antérieur une hauteur de 120 coudées. D'autre part on a vu (livre XI, iv, 6) que le temple de Zorobabel, d'après les prescriptions de Cyrus, en avait 60. Josèphe, qui suit la Chronique, en a conclut que ce second temple avait 60 coudées de moins que le premier ; la correction de Bekker, ¡pt‹ (d'après le ms. E), est donc à rejeter.

  1. Le texte parait altéré, mais le sens s'impose.
  2. ßeratixôw est un peu surprenant ; ne faudrait-il pas ¥rgatixñw

(des vêtements de travail) ? Hérode dut employer des prêtres aux travaux du Temple proprement dit, parce que seuls les prêtres y avaient accès.

  1. Ces mots manquent dans les mss., mais cf. Guerre (V, v, 4) où la largeur de la façade est évaluée à 100 coudées.
  2. Cf. Guerre, V, i, 5.
  3. Cf. plus loin xi, 5
  4. Bizarre désignation.
  5. Nous traduisons au jugé, le texte est d'une obscurité désespérante. Pour b‹yow au sens de hauteur, cf. plus bas, xi, 5.
  6. C'est le mur de crête dont il a été déjà question plus haut.
  7. Josèphe à l'air de croire que le portique E. du péribole était l'oeuvre de Salomon, ce qui est invraisemblable.
  8. A l'angle nord-ouest.

 

Zone de Texte: [137] Pour cette description cf. Guerre, V, 5 ; C. Apion, II, 8 ; Philon, De monarchia, II, 2 ; Mishna, Middoth, et parmi les travauxFlavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

  1. Elle existait déjà sous Aristobule Ier (livre XIII, xi, 2).
  2. Pour plus de détails sur ces épisodes, cf. Ant. XVIII, 4, 3 ; XX,

1. Dans notre passage la dernière phrase est ainsi conçue : ¢nteilam¡nou OæitellÛÄ tÒ t°w SurÛaw •ntistrat®gÄ, mais le mot OæitellÛÄ est ou interpolé ou un lapsus de Josèphe, puisque le gouverneur était alors Cassius Longinus. La visite de Vitellius à Jérusalem est de 36 ap. J.-C., la décision de Claude est de l'an 45.

  1. Cf. Guerre, I, xxi, 1. Il est pourtant difficile d'admettre

qu'Hérode ait appelé la tour de ce nom sous le règne d'Auguste, où la mémoire d'Antoine resta longtemps proscrite. Schürer, I3, 388, place en conséquence ce travail sous Antoine.

  1. Bezetha, au N. de la ville.
  2. M°xow ne désigne pas la hauteur de la colonne (qui était

d'environ 50 pieds) mais le périmètre de la base. Le texte est peut-être mutilé. Un tronçon présumé d'une de ces colonnes est décrit par Clermont-Ganneau, Archaeol., Researches in Palestine, I, 254.

  1. Chiffre non divisible par 4. Faut-il corriger en 164 ? Saulcy

suppose (Hérode, 234) que la dernière colonne de chacune des rangées intermédiaires était supprimée pour élargir l'accès du pont (?).

  1. Nous lisons avec la plupart des mss., peridedomhm¡nou (FV

peritetmhm¡nou) toÝw ¢pistulÞoiw prometvpidÛou toÞxou et nous traduisons au jugé.

  1. Une de ces inscriptions (moulage au musée du Louvre, original

à Constantinople) a été retrouvée en 1871 par M. Clermont-Ganneau. Cf. Rev. arch., 1872, t. XXIII, pl. X.

  1. Ce texte n'est pas clair. En réalité la seconde cour parait avoir

été divisée par un mur N. S. en deux rectangles, dont celui de l'est était seul accessible aux femmes.

 

Flavius Josèphe, ANTIQUITES JUDAÏQUES, livre 15.

modernes Spiess, Der Tempel in Jerusalem nach Josephus, 1880, p. 46 suiv. et dans la Zeitschritf des deutschen Pal. Vereins, XV (1892), p. 234 suiv. ; Drüner, Untersuchungen über Josephus, Diss, Marburg, 1898. p. 57 suiv.; Hildersheim, Die Beschreibung des Herod's Tempel in Tractat Middot und bei Fl. Josephus, 1877.

  1. toætvn tÇn triÇn, c'est-à-dire, suivant Whiston, le 3e parvis, le

Temple et le rayon de l'autel des holocaustes. Mais cette interprétation ingénieuse est bien forcée et le texte, comme l'a vu Hudson, sans doute altéré.

  1. Cinq mois selon P.
  2. Comme l'avènement effectif d'Hérode (son occupation de

Jérusalem) tombe probablement dans l'été (juillet) 37 av. J.-C., les travaux du Temple auraient commencé d'après cela en janvier 39 av. J.-C. Nous ne savons pas si les 18 mois que dura la construction du Temple proprement dit sont compris dans les 8 ans cités plus haut ou s'y ajoutent.

  1. Voir les traditions rabbiniques analogues dans Derenbourg, p. 152 suiv. Talmud de Babylone, Taanith, 23 a, etc..

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

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JOSEPHE

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

Contre Apion

Flavius Josèphe

Traduction de René Harmand

Agrégé de l’Université, professeur au lycée de Nancy
Révisée et annotée par
Théodore Reinach
Membre de l’Institut
1911
Ernest Leroux, éditeur - Paris

LIVRE 1

I

De l'antiquité de la race juive, contestée par l'ignorance ou la malveillance[1]

1 J'ai déjà suffisamment montré, je pense, très puissant

Épaphrodite[2], par mon histoire ancienne, à ceux qui la liront, et la

très haute antiquité de notre race juive, et l'originalité de son noyau primitif, et la manière dont elle s'est établie dans le pays que nous occupons aujourd'hui ; en effet 5 000 ans[3] sont compris dans

l'histoire que j'ai racontée en grec d'après nos Livres sacrés. 2 Mais puisque je vois bon nombre d'esprits, s'attachant aux calomnies haineuses répandues par certaines gens, ne point ajouter foi aux récits de mon Histoire ancienne et alléguer pour preuve de l'origine assez récente de notre race que les historiens grecs célèbres ne l'ont jugée digne d'aucune mention, 3 j'ai cru devoir traiter brièvement tous ces points afin de confondre la malveillance et les mensonges volontaires

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

de nos détracteurs, redresser l'ignorance des autres, et instruire tous ceux qui veulent savoir la vérité sur l'ancienneté de notre race. 4 J'appellerai, en témoignage de mes assertions, les écrivains les plus dignes de foi, au jugement des Grecs, sur toute l'histoire ancienne; quant aux auteurs d'écrits diffamatoires et mensongers à notre sujet, ils comparaîtront pour se confondre eux-mêmes. 5 J'essaierai aussi d'expliquer pour quelles raisons peu d'historiens grecs ont mentionné notre peuple ; mais, d'autre part, je ferai connaître les auteurs qui n'ont pas négligé notre histoire à ceux qui les ignorent ou feignent de les ignorer.

II

Sur les choses de l'antiquité les Grecs ne sont pas dignes de foi.

6 Et d'abord le suis saisi d'un grand étonnement à voir les gens qui croient nécessaire, dans l'étude des événements les plus anciens, de s'attacher aux Grecs seuls et de leur demander la vérité, sans accorder créance ni à nous ni aux autres hommes. Pour ma part, je vois qu'il en va tout autrement, Si l'on rejette, comme il convient, les vains préjugés, et Si l'on s'inspire des faits eux-mêmes pour être juste. 7 En effet, j'ai trouvé que tout chez les Grecs est récent et date, pour ainsi parler, d'hier ou d'avant-hier: je veux dire la fon¬dation des villes, l'invention des arts et la rédaction des lois; mais de toutes choses la plus récente, ou peu s'en faut, est, chez eux, le souci d'écrire l'histoire. 8 Au contraire, les événements qui se sont produits chez les Égyptiens, les Chaldéens et les Phéniciens - pour l'instant je n'ajoute pas notre peuple à la liste -, de l'aveu même des Grecs, ont été l'objet d'une transmission historique très ancienne et très durable. 9 En effet, tous ces peuples habitent des pays qui ne sont nullement exposés aux ravages de l'atmosphère, et leur grande préoccupation a été de ne laisser dans l'oubli aucun des événements accomplis chez eux, mais de les consacrer toujours par des annales officielles, oeuvre des plus savants d'entre eux. 10 Au contraire, le pays de Grèce a essuyé mille catastrophes[4] qui ont effacé le souvenir des événements passés ; et

à mesure qu'ils instituaient de nouvelles civilisations, les hommes de chaque époque croyaient que toute chose commençait avec la leur ; c'est tardivement aussi et difficilement qu'ils connurent l'écriture ; en tout cas ceux qui veulent en reculer l'usage le plus loin se flattent de l'avoir apprise des Phéniciens et de Cadmos. 11 Pourtant, même de cette époque on ne saurait montrer aucune chronique conservée dans

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

les dépôts soit sacrés, soit publics, puisque, au sujet des hommes mêmes qui marchèrent contre Troie tant d'années plus tard, on est fort embarrassé et l'on fait force recherches pour savoir s'ils connaissaient l'écriture[5]. Et l'opinion prévalente c'est plutôt qu'ils ignoraient

l'usage actuel des lettres. 12 Nulle part d'ailleurs en Grèce on ne trouve un écrit reconnu plus ancien que la poésie d'Homère. Or, il est clair que ce poète est encore postérieur à la guerre de Troie. Et lui-même, dit-on, ne laissa pas ses poèmes par écrit ; mais, transmis par la mémoire, ils furent plus tard constitués par la réunion des chants ; de là les nombreuses divergences qu'on y constate[6]. 13 Quant aux

Grecs qui ont entrepris d'écrire l'histoire, comme Cadmos de Milet, Acousilaos d'Argos et ceux qu'on cite après lui, ils n'ont vécu que peu de temps[7] avant l'expédition des Perses contre la Grèce. 14 Mais

bien certainement les premiers philosophes grecs qui aient traité des choses célestes et divines, comme Phérécyde de Syros[8], Pythagore

et Thalès[9] furent, tout le monde s'accorde là4essus, les disciples des

Égyptiens et des Chaldéens avant de composer leurs courts ouvrages, et ces écrits sont aux yeux des Grecs les plus anciens de tous ; à peine même les croient-ils authentiques.

III

Contradictions de leurs historiens.

15 N'est-il donc point absurde que les Grecs s'aveuglent ainsi en croyant être seuls à connaître l'antiquité et à en rapporter exactement l'histoire ? Et ne peut-on point facile¬ment apprendre de leurs historiens mêmes que, loin d'écrire de science certaine, chacun d'eux n'a lait qu'émettre des conjectures sur le passé ? Le plus souvent, en tout cas, leurs ouvrages se réfutent les uns les autres et ils n'hésitent pas à raconter les mêmes laits de la façon la plus contradictoire. 16 Il serait superflu d'apprendre aux lecteurs, qui le savent mieux que moi, combien Hellanicos diffère d'Acousilaos sur les généalogies, quelles corrections Acousilaos apporte à Hésiode, comment sur presque tous les points les erreurs d'Hellanicos sont relevées par Éphore, celles d'Éphore par Timée, celles de Timée par ses successeurs, celles d'Héro¬dote par tout le monde[10]. 17 Même sur l'histoire de Sicile Timée n'a pu s'entendre avec Antiochos, Philistos ou Callias ; pareil désaccord sur les choses attiques entre les atthidographes, sur les choses argiennes entre les historiens d'Argos. 18 Et pourquoi parler de l'histoire des cités et de faits moins considérables, quand sur

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

l'expédition des Perses et sur les événements qui l'accompagnèrent les auteurs les plus estimés se contredisent ? Sur bien des points, Thucydide même est accusé d'erreurs par certains auteurs, lui qui pour¬tant passe pour raconter avec la plus grande exactitude l'histoire de son temps.

IV

Les Grecs n'ont pas dés l'origine tenu des annales officielles.

19 Bien d'autres causes d'une telle divergence apparat traient peut-être à qui voudrait les chercher, mais, pour moi, j'attribue aux deux que je vais dire la plus grande influence. Je commencerai par celle qui me parait dominante. 20 L'insouciance des Grecs, depuis l'origine, à consigner chaque événement dans des annales officielles, voilà surtout ce qui causa les erreurs et autorisa les mensonges de ceux qui plus tard voulurent écrire sur l'antiquité. 21 Car non seulement chez les autres Grecs on négligea de rédiger des annales, mais même chez les Athéniens, qu'on dit autochtones et soucieux d'instruction, on trouve que rien de semblable n'a existé, et leurs plus anciens documents publies sont, à ce qu'on dit, les lois sur le meurtre rédigées pour eux par Dracon, personnage qui a vécu peu avant la tyrannie de Pisistrate[11]. 22 Que dire, en effet, des Arcadiens, qui vantent

l'ancienneté de leur race ? C'est à peine si plus tard encore ils apprirent l'écriture.

V

Ils font oeuvre littéraire plutôt que scientifique.

23 Ainsi, c'est l'absence, à la base de l'histoire, de toutes annales antérieures, propres à éclairer les hommes désireux de s'instruire et à confondre l'erreur, qui explique les nombreuses divergences des historiens. 24 En second lieu il faut ajouter à celle-là une cause importante. Ceux qui ont entrepris d'écrire ne se sont point attachés à chercher la vérité, malgré la profession qui revient toujours sous leur plume, mais ils ont fait montre de leur talent d'écrivain ; 25 et si par un moyen quelconque ils pensaient pouvoir en cela surpasser la réputation des autres, ils s'y pliaient, les uns se livrant aux récits mythiques, les autres, par flatterie, à l'éloge des cités et des rois.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

D'autres encore s'adonnèrent à la critique des événements et des historiens, dans la pensée d'établir ainsi leur réputation. 26 Bref, rien n'est plus opposé à l'histoire que la méthode dont ils usent continuellement. Car la preuve de la vérité historique serait la concordance sur les mêmes points des dires et des écrits de tous ; et, au contraire, chacun d'eux, en donnant des mêmes faits une version différente, espérait paraître par là le plus véridique de tous. 27 Ainsi pour l'éloquence et le talent littéraire nous devons céder le pas aux historiens grecs, mais non point aussi pour la vérité historique en ce qui concerne l'antiquité, et principalement quand il s'agit de l'histoire nationale de chaque pays.

VI

Les Juifs, au contraire, ont toujours eu soin d'écrire leurs annales, dont la rédaction est confiée aux prêtres.

28 Que chez les Égyptiens et les Babyloniens, Si l'on remonte à la plus lointaine antiquité, le soin des annales et la spéculation qui les concerne aient été entre les mains, chez ceux-là des prêtres, chez les Babyloniens des Chaldéens, et que, parmi les peuples en relations avec les Grecs, les Phéniciens surtout aient usé de l'écriture pour les organisations de la vie et pour transmettre le souvenir des événements publics, tout le monde l'accorde; je crois donc inutile d'insister. 29 Mais que nos ancêtres se soient préoccupés de leurs annales autant, pour ne pas dire plus encore que les peuples nommés plus haut, en confiant leur rédaction aux grands-prêtres et aux prophètes, que jusqu'à nos jours cette coutume ait été très rigoureusement observée et, pour parler plus hardiment, doive continuer à l'être, je vais essayer de le montrer brièvement[12].

VII

Soins pris pour assurer la pureté de race des prêtres.

30 Non seulement dès l'origine ils ont commis à ce soin les meilleurs, ceux qui étaient attachés au culte de Dieu, mais ils ont pris des mesures pour que la race des prêtres demeurât pure de mélange et sans souillure. 31 En effet, celui qui participe au sacerdoce doit, pour engendrer, s’unir à une femme de même nation et, sans considérer la

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

fortune ni les autres distinctions, faire une enquête sur sa famille, extraire des archives la succession de ses parents et présenter de nombreux témoins[13]. 32 Et nous ne suivons pas cette pratique

seulement en Judée même, mais, partout aussi où se rencontre un groupe des nôtres, les prêtres observent rigoureusement cette règle pour les mariages. 33 Je parle de ceux d'Égypte, de Babylone et de tous les autres pays du monde où les hommes de la race sacerdotale peuvent être dispersés. Ils envoient à Jérusalem le nom patronymique de leur femme avec la liste de ses ancêtres en remontant, et les noms

des témoins. 34 Si le pays est en proie à la guerre - comme le fait s'est produit souvent lors des invasions d'Antiochos Épiphane, de Pompée le Grand et de Quintilius Varus[14], et surtout de nos jours - 35 ceux

des prêtres qui survivent reconstituent de nouveaux livrets à l'aide des archives[15] et vérifient l'état des femmes qui restent. Car ils

n'admettent plus celles qui ont été prisonnières, les soupçonnant d'avoir eu, comme il est souvent arrivé, des rapports avec un étranger[16]. 36 Et voici la preuve la plus éclatante au soin exact

apporté dans cette matière : nos grands-prêtres, depuis deux mille ans, sont nommés, de père en fils, dans nos annales[17]. Ceux qui

contreviennent le moins du monde aux règles précitées se voient interdire l'accès des autels et la participation aux autres cérémonies du culte.

VIII

Les livres saints ; respect qu'ils inspirent

37 Par une conséquence naturelle, ou plutôt nécessaire - puisqu'il n'est pas permis chez nous à tout le monde d'écrire l'histoire et que nos écrits ne présentent aucune divergence, mais que seuls les prophètes racontaient avec clarté les faits lointains et anciens pour les avoir appris par une inspiration divine, les faits contemporains selon qu'ils se passaient sous leurs yeux, - 38 par une conséquence naturelle, dis-je, il n'existe pas chez nous une infinité de livres en désaccord et en contradiction, mais vingt-deux seulement qui contiennent les annales do tous les temps et obtiennent une juste créance. 39 Ce sont d'abord les livres de Moïse, au nombre de cinq, qui comprennent les lois et la tradition depuis la création des hommes jusqu'à sa propre mort. C'est une période de trois mille ans à peu près. 40 Depuis la mort de Moïse jusqu'à Artaxerxés[18], successeur de Xerxès au trône de Perse, les

prophètes qui vinrent après Moïse ont raconté l'histoire de leur temps

 

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on treize livres[19]. Les quatre derniers contiennent des hymnes à Dieu et des préceptes moraux pour les hommes[20]. 41 Depuis

Artaxerxés jusqu'à nos jours tous les événements ont été racontés, mais on n'accorde pas à ces écrits la même créance qu'aux

précédents, parce que les prophètes ne se sont plus exactement succédé. 42 Les faits montrent avec quel respect nous approchons nos propres livres. Après tant de siècle écoulés, personne ne s'y est permis aucune addition, aucune coupure, aucun changement. Il est naturel à tous les Juifs, dès leur naissance, de penser que ce, sont là les volontés divines, de les respecter, et au besoin de mourir pour elles avec joie. 43 Aussi l'on a vu déjà beaucoup d'entre eux en captivité supporter les tortures et tous les genres de mort dans les amphithéâtres pour ne point prononcer un seul mot contraire aux lois et aux annales qui les accompagnent. 44 Chez les Grecs, qui en supporterait autant par un tel scrupule ? Même pour sauver tous leurs

écrits aucun n’affronterait le moindre dommage. 45 Car pour eux, ce sont discours improvisés suivant la fantaisie de leurs auteurs. Et cette opinion, ils l'appliquent avec raison aux historiens anciens, puisque de nos jours encore on voit des auteurs oser raconter les événements sans y avoir assisté en personne et sans s'être donné la peine d'interroger ceux qui les connaissent. 46 Certainement sur la guerre même que nous avons eue récemment, des auteurs ont publié de prétendues histoires sans être venus sur les lieux ou s'être approchés du théâtre de l'action. Mais d'après des on-dit, ils ont réuni un petit nombre de faits, et les ont décorés du nom d'histoire avec une impudence d'ivrognes[21].

IX

Apologie de son histoire de la guerre.

47 Moi, au contraire, et sur l'ensemble de la guerre et sur le détail des faits, j'ai écrit une relation véridique, ayant assisté en personne à tous les événements. 48 Car j'étais général de ceux qu'on appelle chez nous les Galiléens tant que la résistance fut possible, puis, capturé, je vécus prisonnier dans le camp romain. Vespasien et Titus, me tenant sous leur surveillance, m'obligèrent à être toujours auprès d'eux, enchaîné au début; plus tard, délivré de mes liens, je fus envoyé d'Alexandrie avec Titus au siège de Jérusalem. 49 Pendant ce temps pas un fait n'a échappé à ma connaissance. En effet, je notais avec soin non seulement ce qui se passait sous mes yeux dans l'armée romaine,

 

Zone de Texte: XIFlavius Josèphe, contre Apion, libre I

mais encore les renseignements des déserteurs que j'étais seul à comprendre. 50 Ensuite, dans les loisirs que j'eus à Rome, la préparation de mon histoire entièrement terminée, je me fis aider pour le grec par quelques personnes et c'est ainsi que je racontai les événements pour la postérité. Il en résulta pour moi une telle confiance dans la véracité de mon histoire qu'avant tous les autres je voulus prendre à témoin ceux qui avaient commandé en chef dans la guerre, Vespasien et Titus. 51 C'est à eux les premiers que je donnai mes livres et ensuite à beaucoup de Romains qui avaient participé à la campagne; je les vendis d'autre part à un grand nombre des nôtres, initiés aux lettres grecques, parmi lesquels Julius Archélaüs[22], le

très auguste Hérode[23], et le très admirable roi Agrippa lui-même.

52 Tous ces personnages ont témoigné que je m'étais appliqué à défendre la vérité, eux qui n'auraient point caché leurs sentiments ni gardé le silence si, par ignorance ou par faveur, j'avais travesti ou omis quelque fait.

X

Réponse à ses adversaires.

53 Cependant certains personnages méprisables ont essayé d'attaquer mon histoire, y voyant l'occasion d'un exercice d'accusation paradoxale et de calomnie[24], comme on en propose aux jeunes

gens dans l'école; ils devraient pourtant savoir que, Si l'on promet de transmettre à d'autres un récit véridique des faits, il faut d'abord en avoir soi-même une connaissance exacte pour avoir suivi de près les événements par soi-même ou en se renseignant auprès de ceux qui les savent. 54 C'est ce que je crois avoir très bien fait pour mes deux ouvrages. L'Archéologie, comme je l'ai dit[25], est traduite des Livres

saints, car je tiens le sacerdoce de ma naissance et je suis initié à la philosophie[26] de ces Livres. 55 Quant à l'histoire de la guerre, je l'ai

écrite après avoir été acteur dans bien des événements, témoin d'un très grand nombre, bref sans avoir ignoré rien de ce qui s'y est dit ou fait. 56 Comment alors ne point trouver hardis ceux qui tentent de contester ma véracité ? Si même ils prétendent avoir lu les mémoires des empereurs, ils n'ont pas, du moins, assisté à ce qui se passait dans notre camp à nous, leurs ennemis.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

Division du sujet.

57 Cette digression m'était nécessaire parce que je voulais faire voir la légèreté de ceux qui font profession d'écrire l'histoire. 58 Après avoir montré suffisamment, je pense, que la relation des choses antiques est un usage traditionnel chez les Barbares plutôt que chez les Grecs, je vais dire d'abord quelques mots contre les gens qui essaient de prouver la date récente de notre établissement par ce fait qu'aucune mention de nous, suivant eux, ne se trouve dans les historiens grecs ;

59 ensuite je fournirai des témoignages en faveur de notre antiquité tirés des écrits d'autres peuples, et enfin je montrerai que les diffamateurs de notre race sont tout à fait absurdes dans leurs diffamations.

XII

Les historiens grecs ne mentionnent pas les Juifs parce qu'ils ne les connaissaient pas.

60 Or donc, nous n'habitons pas un pays maritime[27], nous ne nous

plaisons pas au commerce, ni à la fréquentation des étrangers qui en résulte. Nos villes sont bâties loin de la mer, et, comme nous habitons un pays fertile, nous le cultivons avec ardeur, mettant surtout notre amour-propre à élever nos enfants, et faisant de l'observation des lois et des pratiques pieuses, qui nous ont été transmises conformément à ces lois, l'oeuvre la plus nécessaire de toute la vie. 61 Si l'on ajoute à ces raisons la particularité de notre genre d'existence, rien dans les temps anciens ne nous mettait en relations avec les Grecs, comme les Égyptiens, qui exportaient chez eux des produits et importaient les leurs, ou comme les habitants de la côte phénicienne qui s'adonnaient avec ardeur au petit et au grand commerce par amour du gain[28]. 62

D’autre part, nos ancêtres ne se livrèrent pas non plus à la piraterie comme d'autres, ou à la guerre par le désir de s'agrandir, quoique le pays possédât des dizaines de milliers d'hommes qui ne manquaient point d'audace. 63 Voilà pourquoi les Phéniciens, qui sur leurs vaisseaux venaient trafiquer en Grèce, furent de bonne heure connus eux-mêmes et firent connaître les Égyptiens et tous ceux dont ils transportaient les marchandises chez les Grecs à travers des mers immenses. 64 Ensuite les Mèdes et les Perses révélèrent leur existence par la conquête de l'Asie, ces derniers mieux encore par leur

 

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expédition jusqu'à l'autre continent. Les Thraces furent connus grâce à leur proximité, les Scythes par les navigateurs du Pont-Euxin. 65 Bref, tous les peuples riverains de la mer, tant à l'orient qu'à l'occident, se firent plus facilement connaître aux auteurs qui voulurent écrire l'histoire, mais ceux qui habitaient plus haut dans les terres restèrent la plupart du temps ignorés. 66 Nous voyons que le fait s'est produit même en Europe, puisque Rome, qui depuis longtemps avait acquis une telle puissance et dont les armes étaient si heureuses, n'est mentionnée ni par Hérodote ni par Thucydide, ni par un seul de leurs contemporains ; ce fut longtemps après et avec peine que la connaissance en parvint chez les Grecs. 67 Sur les Gaulois et les Ibères telle était l'ignorance des historiens considérés comme les plus exacts, parmi lesquels on compte Ephore, que, dans sa pensée, les Ibères forment une seule cité, eux qui occupent une si grande portion de l'Occident; et ils ont osé décrire et attribuer à ces peuples des moeurs qui ne correspondent ni à des faits ni à des on-dit. 68 S'ils ignorent la vérité, c'est qu'on n'avait point du tout de relations avec ces peuples ; mais s'ils écrivent des erreurs, c’est qu'ils veulent paraître en savoir plus long que les autres. Convenait-il donc de s'étonner encore si notre peuple aussi ne fut pas connu beaucoup d'auteurs et n'a pas fourni aux historiens l'occasion de le mentionner, établi ainsi loin de la mer et ayant choisi pareil genre de vie ?

XIII

Mais les peuples voisins témoignent de notre antiquité.

69 Supposez que nous voulions, pour prouver que la race des Grecs n'est pas ancienne, alléguer que nos annales n'ont point parlé d'eux, nos adversaires n'éclateraient-ils pas de rire, apportant, je pense, les mêmes explications que je viens de donner, et, comme témoins de leur antiquité, ne produiraient-ils pas leurs voisins ? C'est ce que je vais moi-même essayer de faire. 70 J'invoquerai surtout les Égyptiens et les Phéniciens, dont on ne saurait récuser le témoignage; il est notoire, on effet, que les Égyptiens sans exception, et parmi les Phéniciens ceux de Tyr[29], avaient à notre égard les plus mauvaises

dispositions. 71 Des Chaldéens je ne saurais en dire autant, car ils furent les ancêtres de notre race et, à cause de cette parenté, ils mentionnent les Juifs dans leurs annales. 72 Quand j'aurai apporté les cautions four¬nies par ces peuples, je ferai connaître aussi les historiens grecs qui ont parlé des Juifs afin d'enlever à nos envieux le

 

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dernier prétexte de chicane contre nous.

Témoignage de l'Égyptien Manéthôs.

73 Je commencerai d'abord par les écrits des Égyptiens. Je ne puis citer leurs livres mêmes : mais voici Manéthôs[30], qui était de race

égyptienne, auteur manifestement initié à la culture grecque, car il écrivit en grec l'histoire de sa patrie, traduite, comme il le dit lui-même, des tablettes sacrées, et sur bien des points de l'histoire d'Égypte il reproche à Hérodote d'avoir, par ignorance, altéré la vérité. 74 Donc ce Manéthôs, au second livre de l'Histoire d'Égypte, écrit ceci à notre sujet. Je citerai ses propres paroles, comme si je le produisais lui-même comme témoin[31] : 75 « Toutimaios[32]. Sous

son règne, je ne sais comment, la colère divine souffla contre nous, et à l'improviste, de l'Orient, un peuple de race inconnue eut l'audace d'envahir notre pays, et sans difficulté ni combat s'en empara de vive force ; 76 ils se saisirent des chefs, incendièrent sauvagement les villes, rasèrent les temples des dieux et traitèrent les indigènes avec la dernière cruauté, égorgeant les uns, emmenant comme esclaves les enfants et les femmes des autres. 77 A la fin, ils firent même roi l'un des leurs nommé Salitis. Ce prince s'établit à Memphis, levant des impôts sur le haut et le bas pays et laissant une garnison dans les places les plus convenables. Surtout il fortifia les régions de l'est, car il prévoyait que les Assyriens, un jour plus puissants, attaqueraient (par là) son royaume[33]. 78 Comme il avait trouvé dans le nome

Séthroïte une ville d'une position très favorable, située à l'est de la branche Bubastique et appelée, d'après une ancienne tradition théologique, Avaris[34], il la rebâtit et la fortifia de très solides

murailles ; il y établit, en outre, une multitude de soldats pesamment armés, deux cent quarante mille environ, pour la garder. 79 Il y venait l'été tant pour leur mesurer leur blé et payer leur solde que pour les exercer soigneusement par des manoeuvres afin d'effrayer les étrangers. Après un règne de dix-neuf ans, il mourut. 80 Ensuite un second roi, nommé Bnôn, occupa le trône quarante-quatre ans. Son successeur Apachnas, régna trente-six ans et sept mois, puis Apophis soixante et un ans, et Annas cinquante ans et un mois ; 81 après eux tous, Assis, quarante-neuf ans et deux mois. Tels furent chez eux les six premiers princes, tous de plus en plus avides de détruire jusqu'à la

racine le peuple égyptien. 82 On nommait l'ensemble de cette nation

 

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Hycsos[35], c'est-à-dire « rois pasteurs ». Car « hyc » dans la langue

sacrée signifie roi, et « sôs » veut dire pasteur au singulier et au pluriel dans la langue vulgaire ; la réunion de ces mots forme Hycsôs. » 83 D'aucuns disent qu'ils étaient Arabes. Dans une autre copie, il est dit que l'expression « hyc » ne signifie pas rois, mais indique, au contraire, des bergers captifs. Car « hyc », en égyptien, et « hac », avec une aspirée, auraient proprement le sens tout opposé de captifs. Cette explication me parait plus vraisemblable et plus conforme à l'histoire ancienne[36]. 84 Ces rois nommés plus haut,

ceux des peuples appelés pasteurs, et leurs descendants[37], furent

maîtres de l'Égypte, d'après Manéthôs, durant cinq cent onze ans. 85 Puis les rois de la Thébaïde et du reste de l'Égypte se soulevèrent contre les Pasteurs; entre eux éclata une guerre importante et très longue. 86 Sous le roi qu'on nomme Misphragmouthôsis[38], les

Pasteurs vaincus furent, dit-il, chassés de tout le reste de l'Égypte et enfermés dans un lieu contenant dans son périmètre dix mille aroures[39] : ce lieu se nommait Avaris[40]. 87 Suivant Manéthôs, les

Pasteurs l'entourèrent complètement d'une muraille haute et forte pour garder en lieu sûr tous leurs biens et leur butin. 88 Le fils de Misphragmouthôsis, Thoummôsis, tenta de les soumettre par un siège et les investit avec quatre cent quatre-vingt mille hommes. Enfin, renonçant au siège, il conclut un traité d'après lequel ils devaient quitter l'Égypte et s'en aller tous sains et saufs où ils voudraient[41].

89 D'après les conventions, les Pasteurs avec toute leur famille et leurs biens, au nombre de deux cent quarante mille pour le moins[42], sortirent d'Égypte et, à travers le désert, firent route vers

la Syrie. 90 Redoutant la puissance des Assyriens, qui à cette époque étaient maîtres de l'Asie, ils bâtirent dans le pays appelé aujourd'hui Judée une ville qui pût suffire à tant de milliers d'hommes et la nommèrent Jérusalem. - 91 Dans un autre livre de l'histoire d'Egypte[43], Manéthôs rapporte que ce même peuple appelé les

Pasteurs était désigné du nom de « Captifs » dans leurs Livres sacrés. Et il dit vrai. Car pour nos aïeux les plus reculés, c'était une coutume héréditaire de faire paître les troupeaux[44], et leur vie nomade les fit

ainsi appeler pasteurs. 92 D'autre part, le nom de Captifs ne leur a pas été donné sans raison dans les annales des Egyptiens, puisque notre ancêtre Joseph dit au roi d'Égypte[45] qu'il était captif et fit venir plus

tard ses frères en Égypte avec la permission du roi. -

 

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Suite du témoignage de Manéthôs.

93 Mais j'examinerai ailleurs[46] ces faits avec plus de précision.

Pour le moment, je cite les Egyptiens comme témoins de notre seule antiquité. Je vais donc reprendre la citation de Manéthôs sur la chronologie. 94 Voici ce qu'il dit[47] : « Après que le peuple des

Pasteurs fut parti d'Égypte vers Jérusalem, le roi qui les avait chassés d'Egypte [Tethmôsis][48] régna vingt-cinq ans et quatre mois, puis

mourut. La succession de son trône échut à son fils Hébron, pendant treize ans. 95 Après lui, Aménophis régna vingt ans et sept mois; sa soeur Amessis, vingt un ans et neuf mois; le fils de celle-ci, Méphrès, douze ans et neuf mois; puis, de père en fils, Misphragmouthôsis, vingt-cinq ans et dix mois; 96 Touthmôsis[49], neuf ans et huit mois ;

Aménophis (II), trente ans et dix mois ; Or, trente-six ans et cinq mois ; la fille d'Or, Akenchéris, douze ans et un mois ; le frère d'Akenchéris, Rhathotis, neuf ans. 97 Puis, de père en fils,

Akenchérès I, douze ans et cinq mois ; Akenchérès II, douze ans et trois mois ; Harmaïs, quatre ans et un mois ; Ramessès, un an et quatre mois; Armessès Miamoun, soixante-six ans et deux mois ; 98 Aménophis (III), dix-neuf ans et six mois ; puis Sethôs, nommé aussi Ramessès, puissant par sa cavalerie et sa flotte[50]. Ce dernier donna

à son frère Harmaïs le gouvernement de l'Egypte et l'investit de toutes les autres prérogatives royales ; il lui enjoignit seulement de ne pas porter le diadème, de ne pas maltraiter la reine, mère de ses enfants, et de respecter aussi les concubines royales. 99 Lui-même partit en campagne contre Chypre et la Phénicie, puis encore contre les Assyriens et les Mèdes, qui tous, par les armes ou sans combat, et effrayés par ses forces considérables, furent soumis à sa domination. Enorgueilli par ses succès, il se mit en campagne avec plus d'audace encore, pour conquérir du côté de l'Orient les villes et les terres. 100 Après un assez long temps, Harmaïs, qui était resté en Égypte, fit sans pudeur tout le contraire des recommandations de son frère. Il violenta la reine et usait couramment des autres femmes sans réserve; sur le conseil de ses amis, il portait le diadème et s'éleva contre son frère. 101 Mais le chef des prêtres d'Égypte écrivit et envoya à Séthôs un mémoire dans lequel il lui révélait tout et l'informait que son frère Harmaïs s'était insurgé contre lui. Aussitôt le roi revint à Péluse et s'empara de son propre royaume. 102 Le pays fut appelé de son nom Ægyptos. Car, dit-on, Séthôs se nommait Ægyptos et Harmaïs, son frère, Danaos[51]. »

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

XV'

Ces faits sont de beaucoup antérieurs aux plus anciens de l'histoire grecque.

103 Tel est le récit de Manéthôs. Il est clair, si l'on suppute le temps d'après les années énumérées, que nos aïeux les Pasteurs, comme on les nomme, chassés d'Egypte, s'établirent dans notre pays trois cent quatre-vingt-treize ans avant l'arrivée de Danaos à Argos[52]. 104 Et

pourtant, les Argiens considèrent ce personnage comme le plus ancien nom de leur histoire[53]. Ainsi sur deux points très

importants, Manéthôs nous a fourni son témoignage tiré des livres égyptiens: d'abord sur noire arrivée d'une autre contrée en Égypte, ensuite sur notre départ de ce pays, départ si lointain dans le passé qu'il a précédé de mille ans à peu près la guerre de Troie[54]. 105

Quant aux faits que Manéthôs a ajoutés, non d'après les livres égyptiens, mais, de son propre aveu, d'après des fables sans auteur connu, je les réfuterai plus tard[55] en détail et je montrerai

l'invraisemblance de ses mensonges.

XV''

Mention des Juifs dans les chroniques phéniciennes. Témoignage de Dios.

106 Je veux maintenant passer de ces documents à ceux que contiennent sur notre race les annales des Phéniciens et produire les témoignages qu'ils nous fournissent. 107 Il y a chez les Tyriens, depuis de très longues années, des chroniques publiques, rédigées et conservées par l'Etat avec le plus grand soin, sur les faits dignes de mémoire qui se passèrent chez eux, et sur leurs rapports avec l'étranger. 108 Il y est dit que le temple de Jérusalem fut bâti par le roi Salomon environ cent quarante-trois ans et huit mois avant la fondation de Carthage par les Tyriens[56]. 109 Ce n'est pas sans raison que leurs annales mentionnent la construction de notre temple[57]. En effet, Hirôm, roi de Tyr, était l'ami de notre roi

Salomon, amitié qu'il avait héritée de son père[58]. 110 Rivalisant de zèle avec Salomon pour la splendeur de l'édifice, il lui donna cent vingt talents d'or et fit couper sur le mont appelé Liban les plus beaux bois, qu'il lui envoya pour la toiture. En retour, Salomon lui donna de

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

nombreux présents et même, entre autres, un territoire de Galilée qu'on nomme Khabôlon[59]. 111 Mais ils furent surtout portés à

s'aimer par leur goût pour la sagesse : ils s'envoyaient l'un à l'autre des questions qu'ils s'invitaient mutuellement à résoudre; Salomon s'y montrait le plus habile et, en général, l'emportait en sagesse. On conserve aujourd'hui encore à Tyr beaucoup des lettres qu'ils échangèrent[60]. 112 Pour prouver que mes assertions sur les

chroniques tyriennes ne sont pas de mon invention, je vais citer le témoignage de Dios, qui passe pour avoir raconté exactement l'histoire phénicienne. Cet auteur, dans son histoire de la Phénicie, s'exprime ainsi[61] : 113 « Après la mort d'Abibal, son fils Hirôm

devint roi. Il ajouta un remblai au quartier oriental de la ville, agrandit celle-ci, y relia le temple de Zeus Olympien, qui était isolé dans une île, en comblant l'intervalle, et l'orna d'offrandes d'or ; il monta sur le Liban, où il fit couper les bois pour la construction des temples[62]. 114 Le tyran de Jérusalem, Salomon, envoya, dit-on, à

Hirôm des énigmes et demanda à en recevoir de lui : celui qui ne pourrait deviner paierait une somme à celui qui aurait trouvé la solution[63]. 115 Hirôm y consentit et, n'ayant pu résoudre les

énigmes, dépensa, pour payer l'amende, une grande partie de ses trésors. Puis, avec l'aide d'un certain Tyrien nommé Abdémon, il résolut les questions proposées et lui même en proposa d'autres ; Salomon ne les ayant pas résolues, restitua tout et paya en plus à Hirôm une somme considérable. »

XVIII

Témoignage de Ménandre d'Ephèse.

116 Ainsi Dios nous a apporté son témoignage au sujet des assertions qui précèdent. Mais après lui je vais citer encore Ménandre d'Ephèse. Cet auteur a raconté pour chaque règne les événements accomplis tant chez les Grecs que chez les Barbares et s'est efforcé de puiser ses renseignements dans les chroniques nationales de chaque peuple. 117 Donc parlant des rois de Tyr, quand il arrive à Hirôm, il s'exprime ainsi[64] : « Après la mort d'Abibal la succession de son trône échut à

son fils Hirôm, qui vécut cinquante-trois ans et en régna trente-quatre. 118 Il combla l'Eurychore et dédia la colonne d'or qui est dans le temple de Zeus ; puis, s'étant mis en quête de bois de construction, il fit couper sur le mont qu'on nomme Liban des cèdres pour les toits

 

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des temples, démolit les anciens temples et en bâtit de nouveaux ; ceux d'Héraclès et d'Astarté; 119 le premier il célébra le Réveil d'Héraclès[65] au mois de Péritios[66]. Il dirigea une expédition

contre les habitants d'Utique (?), qui refusaient le tribut ; après les avoir replacés sous sa domination, il revint chez lui. 120 Sous son règne vivait un certain Abdémon, garçon encore jeune[67], qui

résolvait toujours victorieusement les questions posées par Salomon, roi de Jérusalem. »

121 On suppute le temps écoulé depuis ce roi jusqu'à la fondation de Carthage de la manière suivante. Après la mort d'Hirôm, la succession du trône revint à Baléazar, son fils, qui vécut quarante-trois ans et en régna (dix)-sept[68]. 122 Après lui Abdastratos, son

fils, vécut vingt-neuf ans et régna neuf ans. Les quatre fils de sa nourrice conspirèrent contre lui et le firent périr. L'aîné, nommé Méthousastratos, fils de Léastratos, monta sur le trône: il vécut cinquante-quatre ans et en régna douze. 123 Puis son frère Astharymos vécut cinquante-huit ans et en régna neuf. Il fut tué par son frère Phellès, qui s'empara du trône, gouverna huit mois et vécut cinquante ans. Celui-ci fut assassiné par Ithobal[69], prêtre d'Astarté,

qui vécut soixante-huit ans[70] et régna trente-deux ans. 124 Il eut

pour successeur son fils Balezoros qui vécut quarante-cinq ans et en régna six. A ce dernier succéda son fils Mettên qui vécut trente-deux ans et régna vingt-neuf ans ; 125 à Mettên Pygmalion, qui vécut cinquante-six ans et régna quarante-sept ans. Dans la septième année de son règne[71] sa soeur s'enfuit et fonda en Libye la ville de

Carthage. 126 Ainsi tout le temps qui sépare l'avènement d'Hirôm de la fondation de Carthage fait un total de cent cinquante-cinq ans et huit mois, et comme c'est dans la douzième année du règne d'Hirôm que fut construit le temple de Jérusalem[72], depuis la construction

du temple jusqu'à la fondation de Carthage cent quarante-trois ans et huit mois se sont écoulés.

127 Est-il besoin de multiplier ces témoignages venus des

Phéniciens ? On voit que la vérité est solidement établie par le consentement des auteurs, et que certes la construction du temple est bien postérieure à l'arrivée de nos ancêtres dans le pays, car c'est seulement après l'avoir conquis tout entier qu'ils bâtirent le temple. Je l'ai clairement montré d'après les Livres sacrés dans mon Archéologie[73].

 

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XIX

Les Chaldéens parlent aussi des Juifs. Témoignage de Bérose.

128 Je vais maintenant parler des faits consignés et racontés à notre sujet dans les annales chaldéennes; ils sont, même sur les autres points, tout à fait conformes à notre Écriture. 129 Ils sont attestés par Bérose[74], Chaldéen de naissance, connu pourtant de tous ceux qui

s'occupent d'érudition, car lui-même a introduit chez les Grecs les ouvrages des Chaldéens sur l'astronomie et la philosophie. 130 Ce Bérose donc, se conformant aux plus anciennes annales, raconte comme Moïse le déluge et l'anéantissement des hommes dans cette catastrophe et il parle de l'arche dans laquelle Noé, le père de notre race, fut sauvé quand elle fut portée sur les cimes des montagnes d'Arménie[75]. 131 Puis il énumère les descendants de Noé, dont il

donne aussi les époques, et arrive à Nabopalassar, roi de Babylone et de Chaldée. 132 Dans le récit détaillé de ses actions, il dit de quelle façon ce roi envoya contre l'Égypte et notre pays son fils Nabocodrosor avec une nombreuse armée, quand il apprit la révolte de ces peuples, les vainquit tous, brûla le temple de Jérusalem, emmena toute notre nation et la transporta à Babylone[76]. Il arriva

que la ville resta dépeuplée durant soixante-dix ans[77] jusqu'au

temps de Cyrus, premier roi de Perse. 133 Le Babylonien, dit l'auteur, soumit l'Égypte, la Syrie, la Phénicie, l'Arabie, surpassant par ses exploits tous les rois de Chaldée et de Babylone, ses prédécesseurs[78]. 134 Je citerai les propres paroles de Bérose qui

s'exprime ainsi : 135 « Son père Nabopalassar, apprenant la défection du satrape chargé de gouverner l'Égypte, la Cœlé-Syrie et la Phénicie[79], comme il ne pouvait plus lui-même supporter les

fatigues, mit à la tête d'une partie de son armée son fils Nabocodrosor, qui était dans la fleur de l'âge, et l'envoya contre le rebelle. 136 Nabocodrosor en vint aux mains avec celui-ci, le vainquit dans une bataille rangée[80] et replaça le pays sous leur domination.

Il advint que son père Nabopalassar pendant ce temps tomba malade à Babylone et mourut après un règne de vingt et un ans. 137 Informé bientôt de la mort de son père, Nabocodrosor régla les affaires de l'Égypte et des autres pays; les prisonniers faits sur les Juifs[81], les

Phéniciens, les Syriens et les peuples de la région égyptienne[82]

furent conduits, sur son ordre, à Babylone par quelques-uns de ses amis avec les troupes les plus pesamment armées et le reste du butin;

 

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lui-même partit avec une faible escorte et parvint à travers le désert à Babylone. 138 Trouvant les affaires administrées par les Chaldéens et le trône gardé par le plus noble d'entre eux, maître de l'empire paternel tout entier, il ordonna d'assigner aux captifs, une fois arrivés, des terres dans les endroits les plus fertiles de la Babylonie. 139 Lui-même avec le butin de guerre orna magnifiquement le temple de Bel et les autres, restaura l'ancienne ville, en construisit une autre hors des murs, et, afin que des assiégeants ne pussent plus détourner le cours du fleuve et s'en faire une arme contre elle, il éleva trois remparts autour de la ville intérieure et trois autour de la ville extérieure, les premiers en brique cuite et en asphalte, les autres en brique simple. 140 Après avoir fortifié la ville d'une façon remarquable et décoré les portes d'une façon digne de leur sainteté, il construisit auprès du palais de son père un second palais attenant au premier. Il serait trop long de décrire en détail sa hauteur et les autres marques de sa magnificence. 141 Je dirai seulement que, grand et somptueux à l'excès, il fut achevé en quinze jours[83]. Dans cette

résidence royale il fit élever de hautes terrasses de pierre, leur donna tout à fait l'aspect des collines, puis, en y plantant des arbres de toute espèce, il exécuta et disposa ce qu'on appelle le parc suspendu, parce que sa femme[84], élevée dans le pays mède, avait le goût des sites

montagneux. »

Autre récit de Bérose.

142 Voilà ce que Bérose a raconté sur ce roi et bien d'autres choses encore dans le IIIe livre de son Histoire de Chaldée, où il reproche aux écrivains grecs[85] de croire faussement que Sémiramis l'Assyrienne fut la fondatrice de Babylone et de s'être trompés en écrivant que ces ouvrages merveilleux y furent construits par elle. 143 Quant à ces faits les annales chaldéennes doivent être considérées comme dignes de loi, d'autant que les archives des Phéniciens s'accordent aussi avec le récit de Bérose sur le roi de Babylone, attestant qu'il soumit la Syrie et toute la Phénicie. 144 Là-dessus du moins Philostrate tombe d'accord dans ses Histoires, quand il raconte le siège de Tyr[86], et Mégasthène dans le IVe livre de l'Histoire de l'Inde[87], où il essaie de montrer que le roi de Babylone mentionné

plus haut surpassa Héraclès par son courage et la grandeur de ses exploits, car, dit-il, il soumit la plus grande partie de la Libye et de

 

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l'Ibérie[88]. 145 Quant aux détails qui précèdent[89] sur le temple de Jérusalem, son incendie par les Babyloniens envahisseurs, l'époque où l'on commença à le rebâtir, après que Cyrus eut pris le sceptre de l'Asie, ils seront clairement prouvés par le récit de Bérose, mis sous les yeux du lecteur. 146 Il dit, en effet, dans le IIIe livre: « Nabocodrosor, après avoir commencé la muraille dont j'ai parlé[90], tomba malade et mourut ayant régné quarante-trois ans, et le pouvoir royal revint à son fils Evilmaradouch. 147 Ce prince, dont le gouvernement fut arbitraire et violent, victime d'un complot de Nériglisar, son beau-frère, fut assassiné après deux ans de règne. Lui supprimé, Nériglisar, son meurtrier, hérita du pouvoir et régna quatre ans. 148 Son fils Laborosoardoch, un enfant, détint la puissance royale neuf mois; mais un complot fut ourdi contre lui parce qu'il montrait une grande méchanceté, et il périt sous le bâton par la main de ses familiers. 149 Après sa mort ses meurtriers se concertèrent et s'accordèrent à donner le trône à Nabonnède, un Babylonien qui avait fait partie de la même conjuration. Sous son règne les murs de Babylone qui avoisinent le fleuve furent restaurés en brique cuite et en asphalte. 150 Il régnait depuis dix-sept ans quand Cyrus partit de Perse avec une armée nombreuse, soumit tout le reste de l'Asie, puis s'élança sur la Babylonie. 151 A la nouvelle de sa marche, Nabonnède s'avança à sa rencontre avec son armée et lui livra bataille ; il fut défait, s'enfuit avec une faible escorte et s'enferma dans la ville de Borsippa. 152 Cyrus prit Babylone, fit abattre les murs extérieurs de la ville, parce qu'elle lui paraissait trop forte et difficile à prendre, et leva le camp pour aller à Borsippa assiéger Nabonnède. 153 Comme celui-ci, sans attendre l'investissement, s'était d'abord rendu, Cyrus le traita humainement, lui donna comme résidence la Carmanie et lui fit quitter la Babylonie. Nabonnède demeura en Carmanie le reste de sa vie et y mourut. »

Il s'accorde avec les Livres juifs et les Annales phéniciennes.

154 Ce récit s'accorde avec nos livres et contient la vérité. En effet, il y est écrit que Nabuchodonosor, dans la dix-huitième année de son règne[91], dévasta notre temple et le fit disparaître pour cinquante ans[92] ; que, la deuxième année du règne de Cyrus, ses nouveaux fondements furent jetés et que, la deuxième année aussi du règne de Darius, il fut achevé. 155 J'ajouterai encore les annales des

 

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Phéniciens; il ne faut point omettre des preuves même surabondantes. 156 Voici le dénombrement des années[93]. Sous le roi Ithobal,

Nabuchodonosor assiégea Tyr pendant treize ans[94]. Puis Baal

régna dix ans. 157 Après lui on institua des juges, qui occupèrent leurs fonctions, Eknibal, fils de Baslekh, pendant deux mois; Chelbès, fils d'Abdée, dix mois; le grand-prêtre Abbar trois mois; les juges Myttynos et Gérastrate, fils d'Abdélime, six ans, après lesquels[95]

Balator régna une année. 158 Ce roi mort, on envoya chercher Merbal à Babylone et il occupa le trône quatre ans. Après lui on manda son frère Hirôm, qui régna vingt ans. C'est sous son règne que Cyrus

exerça le pouvoir en Perse. 159 Ainsi le total du temps écoulé donne cinquante-quatre ans plus trois mois[96]. En effet, c'est la (dix)-

septième année de son règne que Nabuchodonosor commença le siège de Tyr, et la quatorzième année du règne d'Hirôm que Cyrus le Perse prit le pouvoir. 160 L'accord est complet au sujet du temple entre nos livres et ceux des Chaldéens et des Tyriens, et la preuve de mes assertions sur l'antiquité de notre race est confirmée et indiscutable.

XXII

Les Grecs même mentionnent les Juifs. Pythagore de Sanies, Hérodote, Chœrilos, Cléarque, Hécatée d'Abdère, Agatharchide.

161 Ceux qui ne sont point disputeurs à l'excès se contenteront, je pense, de ces explications; mais il faut aussi satisfaire aux questions des gens qui, refusant d'ajouter foi aux annales des barbares, accordent leur créance aux Grecs seuls ; il faut leur présenter beaucoup de ces Grecs mêmes qui connurent notre nation et la mentionnèrent à l'occasion dans leurs propres ouvrages. 162 Pythagore de Samos, auteur fort ancien, qui, pour sa sagesse et sa piété, est considéré comme le premier de tous les philosophes, a, de toute évidence, non seulement connu nos institutions, mais encore les a largement imitées. 163 De ce philosophe nous n'avons aucun ouvrage reconnu authentique, mais beaucoup d'écrivains ont raconté ce qui le concerne. Le plus célèbre est Hermippe, esprit que tout genre de recherche intéressait. 164 Il raconte dans le premier livre de son Pythagore que ce philosophe, après la mort d'un de ses intimes nommé Calliphon, originaire de Crotone, disait qu'il avait commerce nuit et jour avec l'âme de celui-ci, et qu'elle lui donnait le conseil de ne point passer à un endroit où un âne s'était couché[97], de s'abstenir

 

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de toute eau saumâtre (?) et de se garder de toute médisance[98]. 165 Puis l'auteur ajoute encore : « Il pratiquait et répétait ces préceptes, se conformant aux opinions des Juifs et des Thraces qu'il prenait pour son compte ». En effet, on dit avec raison[99] que ce philosophe fit

passer dans sa doctrine beaucoup de lois juives. 166 Dans les cités non plus notre peuple n'était pas inconnu autrefois; beaucoup de nos coutumes s'étaient déjà répandues dans quelques-unes et il en est qui jugeaient bon de les suivre. On le voit chez Théophraste dans ses livres des Lois. 167 D'après lui, les lois tyriennes défendent d'employer des formules de serments étrangers, parmi lesquels, entre autres, il compte le serment nommé korban ; or, nulle part on ne le trouverait ailleurs que chez les Juifs ; traduit de l'hébreu, ce mot signifie quelque chose comme « présent de Dieu »[100].

168 Et en vérité Hérodote d'Halicarnasse non plus n'a pas ignoré notre nation, mais il l'a mentionnée manifestement d'une certaine manière.

169 Parlant des Colques au second livre, il s'exprime ainsi : « Seuls d'entre tous, dit-il, les Colques, les Égyptiens et les Éthiopiens pratiquent la circoncision depuis l'origine. Les Phéniciens et les Syriens de Palestine reconnaissent eux-mêmes avoir appris cette pratique des Egyptiens. 170 Les Syriens des bords du Thermodon et du Parthénios, de même que les Macrons, leurs voisins, assurent qu'ils l'ont apprise récemment des Colques. Voilà les seuls peuples circoncis, et eux-mêmes imitent évidemment les Égyptiens. Mais des Égyptiens eux-mêmes et des Éthiopiens, je ne puis dire lesquels ont appris des autres la circoncision[101]. » 171 Ainsi il dit que les Syriens de Palestine étaient circoncis ; or, parmi les habitants de la Palestine, les Juifs seuls se livrent à cette pratique. Comme il le savait, c'est donc d'eux qu'il a parlé[102].

172 D'autre part, Chœrilos, poète assez ancien[103], cite notre nation comme ayant pris part à l'expédition de Xerxès, roi de Perse, contre la Grèce. En effet, après l'énumération de tous les peuples, à la fin il mentionne aussi le nôtre en ces termes :

173 « Derrière eux passait une race d'un aspect étonnant.

« Le langage phénicien sortait de leurs lèvres.

« Ils habitaient dans les monts Solymiens auprès d'un vaste lac.

 

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« Leur chevelure broussailleuse était rasée en rond, et, par dessus, « Ils portaient le cuir d'une tête de cheval séché à la fumée. »

174 Il est clair, je crois, pour tout le monde, qu'il parle de nous, car les monts Solymiens sont dans notre pays et nous les habitons ; là aussi se trouve le lac Asphaltite, qui occupe le premier rang parmi tous les lacs de Syrie pour la largeur et l'étendue[104].

175 Voilà comment Chœrilos fait mention de nous. Non seulement les Grecs connurent les Juifs, mais encore ils admiraient tous les Juifs qu'ils rencontraient; et non pas les moindres d'entre les Grecs, mais les plus admirés pour leur sagesse, comme il est facile de s'en convaincre. 176 Cléarque, disciple d'Aristote, qui ne le cédait à aucun des péripatéticiens, rapporte dans le premier livre du Sommeil cette anecdote que son maître Aristote racontait au sujet d'un Juif. Il donne la parole à Aristote lui-même. Je cite le texte : 177 « Il serait trop long de tout dire, mais il sera bon d'exposer pourtant ce qui, chez cet homme, présentait quelque caractère merveilleux et philosophique. Je te préviens, dit-il, Hypérochide, que mes paroles vont te paraître singulières comme des songes. » Et Hypérochide répondit respectueusement: « C'est justement pour cela que nous désirons tous t'entendre. 178 - Eh bien alors, dit Aristote, suivant le précepte de la rhétorique, donnons d'abord des détails sur sa race, pour ne point désobéir à ceux qui enseignent la narration. - Parle à ta guise, dit Hypérochide. - 179 Cet homme donc était de race juive et originaire de Cœlé-Syrie ; cette race descend des philosophes indiens[105]. On

appelle, dit-on, les philosophes Calanoi dans l'Inde[106], et Juifs en

Syrie, du nom de leur résidence; car le lieu qu'ils habitent se nomme la Judée. Le nom de leur ville est tout à fait bizarre: ils l'appellent Jérusalémé. 180 Cet homme donc, que beaucoup de gens recevaient comme leur hôte, et qui descendait de l'intérieur vers la côte, était Grec, non seulement par la langue, mais aussi par l'âme. 181 Pendant que je séjournais en Asie[107], il aborda aux mêmes lieux, et se lia

avec moi et quelques autres hommes d'étude, pour éprouver notre science. Comme il avait en commerce avec beaucoup d'esprits cultivés, il nous livrait plutôt un peu de la sienne. » 182 Telles sont les paroles d'Aristote dans Cléarque, et il raconte encore que ce Juif poussait à un point étonnant la force d'âme et la tempérance dans sa manière de vivre. On peut, si l'on veut, en apprendre davantage dans ce livre même. Pour moi, je me garde de citer plus qu'il ne faut[108].

 

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183 Ainsi s'exprime Cléarque dans une digression, - car le sujet qu'il traite est différent, - et c'est ainsi qu'il nous mentionne. Quant à Hécatée d'Abdère, à la fois philosophe et homme d'action consommé, qui fleurit en même temps que le roi Alexandre et vécut auprès de Ptolémée, fils de Lagos, ce n'est pas incidemment qu'il a parlé de nous; mais il a composé spécialement sur les Juifs mêmes un livre[109] dont je veux brièvement parcourir quelques passages. 184

D'abord je vais établir l'époque. Il mentionne la bataille livrée près de Gaza par Ptolémée à Démétrius ; or, elle eut lieu onze ans après la mort d'Alexandre[110] et dans la CXVIIe olympiade, comme le

raconte Castor. 185 En effet, après avoir inscrit cette olympiade, il dit : « Dans ce temps Ptolémée, fils de Lagos, vainquit en bataille rangée, à Gaza, Démétrius, fils d'Antigone, surnommé Poliorcète. » Or Alexandre mourut, l'accord est unanime, dans la CXIVe olympiade[111]. Il est donc évident que sous Ptolémée et sous

Alexandre notre peuple florissait. 186 Hécatée dit encore qu'après la bataille de Gaza, Ptolémée devint maître de la Syrie et que beaucoup des habitants, informés de sa douceur et de son humanité ? voulurent partir avec lui pour l'Égypte et associer leurs destinées à la sienne. 187 « De ce nombre, dit-il, était Ezéchias, grand-prêtre des Juifs[112],

âgé d'environ soixante-six ans et haut placé dans l'estime de ses compatriotes, homme intelligent, avec cela orateur éloquent et rompu à la politique autant qu'homme du monde. 188 Pourtant le nombre total des prêtres juifs qui reçoivent la dîme des produits et administrent les affaires publiques est d'environ quinze cents[113]. »

189 Et revenant sur ce personnage : « Cet homme, dit-il, après avoir obtenu cette dignité[114] et lié commerce avec moi, réunit quelques-

uns de ses familiers... et leur fit connaître toutes les particularités de sa nation[115], car il avait par écrit l'histoire de l'établissement des

Juifs dans leur pays et leur constitution. » 190 Puis Hécatée montre encore comment nous nous comportons à l'égard des lois, que nous préférons subir toutes les souffrances plutôt que de les transgresser, et que nous plaçons là notre honneur. 191 « Aussi, dit-il, ni les

sarcasmes de leurs voisins et de tous les étrangers qui les visitent, ni les fréquents outrages des rois et des satrapes perses ne peuvent les faire changer de croyances; pour ces lois ils affrontent sans défense les coups et les morts les plus terribles de toutes, plutôt que de renier les coutumes des ancêtres. » 192 Il apporte aussi des preuves nombreuses de leur fermeté à observer les lois. Il raconte qu'Alexandre, se trouvant jadis à Babylone et ayant entrepris de restaurer le temple de Bel tombé en ruines[116], donna l'ordre à tous

 

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ses soldats sans distinction de travailler au terrassement ; seuls les Juifs s'y refusèrent et même souffrirent les coups et payèrent de fortes amendes jusqu'à ce que le roi leur accordât leur pardon et les dispensât de cette tâche. 193 « De même, dit-il, quand des étrangers venus chez eux, dans leur pays, y élevèrent des temples et des autels, ils les rasèrent tous et pour les uns payèrent une amende aux satrapes, pour d'autres reçurent leur grâce. » Et il ajoute qu'il est juste de les admirer pour cette conduite. 194 Il dit aussi combien notre race est populeuse. « Bien des myriades de Juifs, dit-il, furent d'abord emmenées à Babylone par les Perses[117] et beaucoup aussi après la mort d'Alexandre passèrent en Égypte et en Phénicie à la suite des révolutions de la Syrie. » 195 Ce même auteur donne des renseignements sur l'étendue de la région que nous habitons et sur sa beauté. « Ils cultivent, dit-il, environ trois millions d'aroures[118] de la terre la meilleure et la plus fertile en toutes sortes de fruits; car telle est la superficie de la Judée. » 196 D'autre part, sur la grande beauté et l'étendue considérable de la ville même de Jérusalem, que nous habitons depuis les temps les plus reculés, sur sa nombreuse population et sur la disposition du temple, voici les détails que donne le même auteur : 197 « Les Juifs ont de nombreuses forteresses[119] et de nombreux villages épars dans le pays, mais une seule ville fortifiée, de cinquante stades environ de circonférence[120] ; elle a une population de cent vingt mille âmes environ, et ils l'appellent Jérusalem. 198 Vers le milieu de la ville s'élève une enceinte de pierre longue de cinq plèthres environ[121], large de cent coudées[122] et percée de doubles portes. Elle renferme un autel carré, formé d'une réunion de pierres brutes, non taillées, qui a vingt coudées de chaque côté et dix de hauteur[123]. A côté se trouve un grand édifice, qui contient un autel et un chandelier, tous deux en or et du poids de deux talents[124]. 199 Leur feu ne s'éteint jamais ni la nuit ni le jour. Pas la moindre statue ni le moindre monument votif. Aucune plante absolument, comme arbustes sacrés ou autres semblables. Des prêtres y passent les nuits et les jours à faire certaines purifications et s'abstiennent complètement de vin dans le temple[125]. » 200 L'auteur témoigne, en outre, que les Juifs firent campagne avec le roi Alexandre[126], et ensuite avec ses successeurs. Lui-même dit avoir assisté à un incident créé par un Juif pendant l'expédition et que je vais rapporter. 201 Voici ses paroles : « Marchant vers la mer Erythrée, j'avais avec moi, parmi les cavaliers de mon escorte, un Juif nommé Mosollamos[127], homme intelligent, vigoureux, et le plus

habile archer, de l'aveu unanime, parmi les Grecs et les barbares. 202

 

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Cet homme, voyant de nombreux soldats aller et venir sur la route, un devin prendre les auspices et décider la halte de toute ta troupe, demanda pourquoi l'on restait là. 203 Le devin lui montra l'oiseau et lui dit que, s'il restait posé là, l'intérêt de tous était de s'arrêter ; s'il prenait son vol en avant, d'avancer ; s'il le prenait en arrière, de rebrousser chemin. Alors, le Juif, sans dire un mot, banda son arc, lança la flèche et frappa l'oiseau, qu'il tua. 204 Le devin et quelques autres s'indignèrent et l'accablèrent d'imprécations. “Pourquoi cette fureur, dit l'homme, ô malheureux ?” Puis, prenant la bête entre ses mains : “Comment cet oiseau, qui n'a pas su pourvoir à son propre salut, nous donnerait-il sur notre marche une indication sensée ? S'il avait pu prévoir l’avenir, il ne serait pas venu ici, de crainte de mourir frappé d'une flèche par le Juif Mosollamos[128]”. »

205 Mais en voilà assez sur des témoignages d'Hécatée ; si l'on veut en apprendre davantage, il est facile de lire son livre. Je n'hésiterai pas à nommer aussi Agatharchide, qui, pour railler notre sottise, à ce qu'il croit, fait mention de nous[129]. 206 Il raconte l'histoire de

Stratonice[130], comment elle vint de Macédoine en Syrie après

avoir abandonné son mari Démétrius, comment, Séleucus ayant refusé sa main contre son attente, elle souleva Antioche pendant qu'il faisait son expédition en partant de Babylone, 207 puis, après le retour du roi et la prise d'Antioche, comment elle s'enfuit à Séleucie, et, au lieu de gagner rapidement le large ainsi qu'elle le pouvait, se laissa arrêter par un songe, fut prise et mise à mort. 208 Après ce récit, Agatharchide raille la superstition de Stratonice et cite comme exemple de faiblesse pareille ce qu'on raconte de nous. 209 Il s'exprime ainsi : « Ceux qu'on appelle Juifs, habitants de la ville la plus fortifiée de toutes, que les naturels nomment Jérusalem, sont accoutumés à se reposer tous les sept jours, à ne point, pendant ce temps, porter leurs armes ni cultiver la terre ni accomplir aucune autre corvée, mais à prier dans les temples jusqu'au soir les mains étendues. 210 Aussi lorsque Ptolémée fils de Lagos envahit leur territoire avec son armée, comme, au lieu de garder la ville, ces hommes persévérèrent dans leur folie, leur patrie reçut un maître tyrannique, et il fut prouvé que leur loi comportait une sotte coutume[131]. 211 Par cet événement, tout le monde, sauf eux, apprit

qu'il ne faut recourir aux visions des songes et aux superstitions traditionnelles concernant la divinité, que lorsque les raisonnements humains nous laissent en détresse dans des circonstances critiques. » 212 Agatharchide trouve le fait ridicule ; mais, si on l'examine sans malveillance, on voit qu'il y a pour des hommes de la grandeur et un

 

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mérite très louable à se soucier toujours moins et de leur salut et de leur patrie que de l'observation des lois et de la piété envers Dieu.

XXIII

Autres auteurs grecs qui ont parlé des Juifs.

213 J'ajoute que ce n'est pas par ignorance de notre nation, mais par jalousie, ou pour d'autres causes honteuses, que quelques-uns des historiens ont omis de nous mentionner ; je vais, je crois, en fournir la preuve. Hiéronyme, qui a composé l'histoire des successeurs d'Alexandre, contemporain d'Hécatée, et ami du roi Antigone, gouvernait la Syrie. 214 Cependant, tandis qu'Hécatée a écrit un livre entier sur nous, Hiéronyme ne nous a mentionnés nulle part dans son Histoire[132], bien qu'il eût vécu presque dans notre pays, tant ces

hommes différaient de sentiments! A l'un nous avons semblé mériter une mention importante; une passion tout à fait défavorable à la vérité empêcha l'autre de voir clair. 215 Pourtant il suffit, pour prouver notre antiquité, des annales égyptiennes, chaldéennes et phéniciennes, auxquelles s'ajoutent tant d'historiens grecs. 216 Outre ceux que j'ai déjà cités, Théophile, Théodote, Mnaséas, Aristophane, Hermogène, Evhémère, Conon, Zopyrion et beaucoup d'autres peut-être - car je n'ai pas lu tous les livres - ont parlé de nous assez longuement[133]. 217 La plupart de ces auteurs se sont trompés sur

les origines pour n’avoir pas lu nos livres sacrés; mais tous s'accordent à témoigner de notre antiquité dont j'ai fait l'objet de ce traité. 218 Pourtant Démétrius de Phalère, Philon l'ancien et Eupolémos ne se sont pas beaucoup écartés de la vérité[134]. il faut

les excuser, car ils ne pouvaient suivre nos annales en toute exactitude.

XXIV

Les calomnies à l'adresse des Juifs. Raison générale.

219 Il me reste encore à traiter un des points essentiels annoncés au début de ce traité[135] : montrer la fausseté des accusations et des

propos injurieux par lesquels on s'est attaqué à notre race, et invoquer contre ceux qui les ont écrits leur propre témoignage. 220 Que beaucoup d'autres peuples aient subi le même sort par l'inimitié de

 

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quelques-uns, c'est un fait connu, je pense, de ceux à qui la lecture des historiens est plus familière. 221 D'aucuns, en effet, ont essayé de salir la noblesse des peuples et des villes les plus illustres et de diffamer leur constitution, Théopompe celle d'Athènes, Polycrate celle de Lacédémone ; l'auteur des Trois cités - ce n'est pas Théopompe, comme certains le croient - a aussi déchiré Thèbes[136].

Timée également a, dans ses Histoires, beaucoup diffamé ces cités et d'autres encore[137]. 222 ils s'attachent surtout aux personnages les

plus célèbres, les uns par envie et par malveillance, d'autres dans la pensée que ce langage nouveau les rendra dignes de mémoire. Auprès des sots ils ne sont point déçus dans cette espérance, mais les esprits au jugement sain condamnent leur grande méchanceté.

XXV

Elles vinrent d'abord des Égyptiens, qui les haïssaient.

223 Les calomnies à notre adresse vinrent d'abord des Égyptiens, puis, dans l'intention de leur être agréables, certains auteurs entreprirent d'altérer la vérité; ils n'avouèrent pas l'arrivée de nos ancêtres en Égypte telle qu'elle eut lieu, ni ne racontèrent sincèrement la façon dont ils en sortirent. 224 Les Égyptiens eurent bien des motifs de haine et d'envie : à l'origine la domination de nos ancêtres sur leur pays[138], et leur prospérité quand ils l'eurent quitté pour retourner

chez eux. Puis l'opposition de leurs croyances et des nôtres leur inspira une haine profonde, car notre piété diffère de celle qui est en usage chez eux autant que l'être divin est éloigné des animaux privés de raison. 225 Toute leur nation, en effet, d'après une coutume héréditaire, prend les animaux pour des dieux, qu'ils honorent d'ailleurs chacun à sa façon, et ces hommes tout à fait légers et insensés, qui dès l'origine s'étaient accoutumés à des idées fausses sur les dieux, n'ont pas été capables de prendre modèle sur la dignité de notre religion, et nous ont jalousés en voyant combien elle trouvait de zélateurs. 226 Quelques-uns d'entre eux ont poussé la sottise et la petitesse au point de ne pas hésiter à se mettre en contradiction même avec leurs antiques annales, et, bien mieux, de ne pas s'apercevoir, dans l'aveuglement de leur passion, que leurs propres écrits les contredisaient.

 

XXVI

 

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Calomnies de Manéthôs.

227 Le premier qui m'arrêtera, c'est celui dont le témoignage m'a déjà servi un peu plus haut à prouver notre antiquité. 228 Ce Manéthôs, qui avait promis de traduire l'histoire d'Égypte d'après les Livres sacrés, après avoir dit que nos aïeux, venus au nombre de plusieurs myriades en Égypte, établirent leur domination sur les habitants, avouant lui-même que, chassés plus tard, ils occupèrent la Judée actuelle, fondèrent Jérusalem et bâtirent le temple; Manéthôs, dis-je, a suivi jusque-là les annales. 229 Mais ensuite, il prend la liberté, sous prétexte de raconter les fables et les propos qui courent sur les Juifs, d'introduire des récits invraisemblables et veut nous confondre avec une foule d'Égyptiens lépreux et atteints d'autres maladies,

condamnés pour cela, selon lui, à fuir l'Égypte. 230 En effet, après avoir cité le nom du roi Aménophis, qui est imaginaire, sans avoir osé, pour cette raison, fixer la durée de son règne, bien qu'à la mention des autres rois il ait exactement ajouté les années[139], il lui

applique certaines légendes, oubliant sans doute que depuis cinq cent dix-huit ans, d'après son récit, avait eu lieu l'exode des pasteurs vers Jérusalem. 231 En effet, c'est sous le règne de Tethmôsis qu'ils partirent ; or, suivant l'auteur, les règnes qui succèdent à celui-là remplirent trois cent quatre-vingt-treize ans jusqu'aux deux frères Séthôs et Hermaios, dont le premier reçut, dit-il, le nouveau nom d'Ægyptos, et le second celui de Danaos. Séthôs, ayant chassé son frère, régna cinquante-neuf ans, et l'aîné de ses fils, Rampsès, lui succéda pendant soixante-six ans[140]. 232 Ainsi, après avoir avoué

que tant d'années s'étaient écoulées depuis que nos pères avaient quitté l'Égypte[141], intercalant dans la suite le fabuleux roi

Aménophis, il raconte que ce prince désira contempler les dieux comme l'avait fait Or, l'un de ses prédécesseurs au trône[142], et fit

part de son désir à Aménophis, son homonyme, fils de Paapis, qui semblait participer à la nature divine par sa sagesse et sa

connaissance de l'avenir[143]. 233 Cet homonyme lui dit qu'il pourrait

réaliser son désir s'il nettoyait le pays entier des lépreux et des autres impurs. 234 Le roi se réjouit, réunit[144] tous les infirmes de l'Égypte -

ils étaient au nombre de quatre-vingt mille - 235 et les envoya dans les carrières à l'est du Nil[145] travailler[146] à l'écart des autres

Égyptiens. Il y avait parmi eux, suivant Manéthôs, quelques prêtres savants[147] atteints de la lèpre. 236 Alors cet Aménophis, le sage

devin, craignit d'attirer sur lui et sur le roi la colère des dieux si on les forçait à se laisser contempler ; et, voyant des alliés dans l'avenir se

 

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joindre aux impurs et établir leur domination en Égypte pendant treize ans, il n'osa pas annoncer lui-même ces calamités au roi, mais il laissa le tout par écrit et se tua. Le roi tomba dans le découragement. 237 Ensuite Manéthôs s'exprime ainsi textuellement : « Les hommes enfermés dans les carrières souffraient depuis assez longtemps, lorsque le roi, supplié par eux de leur accorder un séjour et un abri, consentit à leur céder l'ancienne ville des Pasteurs, Avaris, alors abandonnée. 238 Cette ville, d'après la tradition théologique, est consacrée depuis l'origine à Typhon[148]. Ils y allèrent et, faisant de

ce lieu la base d'opération d'une révolte, ils prirent pour chef un des prêtres d'Héliopolis nommé Osarseph[149] et lui jurèrent d'obéir à

tous ses ordres. 239 Il leur prescrivit pour première loi de ne point adorer de dieux[150], de ne s'abstenir de la chair d'aucun des

animaux que la loi divine rend le plus sacrés en Égypte[151], de les

immoler tous, de les consommer et de ne s'unir qu'à des hommes liés par le même serment. 240 Après avoir édicté ces lois et un très grand nombre d'autres, en contradiction absolue avec les coutumes égyptiennes, il fit réparer par une multitude d'ouvriers les murailles de la ville et ordonna de se préparer à la guerre contre le roi Aménophis. 241 Lui-même s'associa quelques-uns des autres prêtres contaminés comme lui, envoya une ambassade vers les Pasteurs chassés par Tethmôsis, dans la ville nommée Jérusalem, et, leur exposant sa situation et celle de ses compagnons outragés comme lui, il les invita à se joindre à eux pour marcher tous ensemble sur l'Égypte. 242 Il leur promit de les conduire d'abord à Avaris, patrie de leurs ancêtres, et de fournir sans compter le nécessaire à leur multitude, puis de combattre pour eux, le moment venu, et de leur soumettre facilement le pays. 243 Les Pasteurs, au comble de la joie, s'empressèrent de se mettre en marche tous ensemble au nombre de deux cent mille hommes environ et peu après arrivèrent à Avaris. Le roi d'Égypte Aménophis, à la nouvelle de leur invasion, ne fut pas médiocrement troublé, car il se rappelait la prédiction d'Aménophis,

fils de Paapis. 244 Il réunit d'abord une multitude d'Égyptiens, et après avoir délibéré avec leurs chefs, il se fit amener les animaux sacrés les plus vénérés dans les temples et recommanda aux prêtres de chaque district de cacher le plus sûrement possible les statues des dieux. 245 Quant à son fils Séthôs, nommé aussi Ramessès du nom de son grand-père Rampsès[152], et âgé de cinq ans, il le fit emmener chez

son ami[153]. Lui-même passa (le Nil) avec les autres Égyptiens, au

nombre de trois cent mille guerriers bien exercés, et rencontra l'ennemi sans livrer pourtant bataille ; 246 mais pensant qu'il ne fallait pas combattre les dieux, il rebroussa chemin vers Memphis, où il prit

 

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l'Apis et les autres animaux sacrés qu'il y avait fait venir, puis aussitôt, avec toute son armée et le peuple d'Égypte, il monta en Éthiopie ; car le roi d'Éthiopie lui était soumis par la reconnaissance.

247 Celui-ci l'accueillit et entretint toute cette multitude à l'aide des produits du pays convenables à la nourriture des hommes, leur assigna des villes et des villages suffisants pour les treize ans d'exil imposés par le destin à Aménophis loin de son royaume, et n'en fit pas moins camper une armée éthiopienne aux frontières de l'Égypte pour protéger le roi Aménophis et les siens[154].

248 Les choses se passaient ainsi en Éthiopie. Cependant les Solymites firent une descente avec les Égyptiens impurs et traitèrent les habitants d'une façon si sacrilège et si cruelle que la domination des Pasteurs paraissait un âge d'or à ceux qui assistèrent alors à leurs impiétés. 249 Car non seulement ils incendièrent villes et villages, et ne se contentèrent pas de piller les temples et de mutiler les statues des dieux, mais encore ils ne cessaient d'user des sanctuaires comme de cuisines pour rôtir les animaux sacrés qu'on adorait, et ils obligeaient les prêtres et les prophètes à les immoler et à les égorger, puis les dépouillaient et les jetaient dehors. 250 On dit que le prêtre d'origine héliopolitainne qui leur donna une constitution et des lois, appelé Osarseph[155], du nom du dieu Osiris adoré à Héliopolis, en

passant chez ce peuple changea de nom et prit celui de Moïse. »

XXVII

Sottises du récit de Manéthôs.

251 Voilà ce que les Égyptiens racontent sur les Juifs, sans compter bien d'autres histoires que je passe pour abréger. Manéthôs dit encore que dans la suite Aménophis revint d'Éthiopie, suivi d'une grande armée, ainsi que son fils Rampsès, à la tête d'une armée lui aussi, que tous deux ensemble attaquèrent les Pasteurs et les impurs, les vainquirent, et qu'après en avoir tué un grand nombre, ils les chassèrent jusqu'aux frontières de Syrie. Voilà, avec des faits du même genre, ce qu'a raconté Manéthôs[156]. 252 Or il dit

manifestement des sottises et des mensonges, comme je vais le montrer en retenant d'abord ce fait, pour réfuter plus tard d'autres auteurs ; il nous a accordé et il a reconnu que notre race ne tire pas son origine des Égyptiens, mais que nos ancêtres vinrent du dehors s'emparer de l'Égypte et qu'ils la quittèrent. 253 Mais nous n'avons pas

 

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été mêlés dans la suite aux Égyptiens infirmes, et Moïse, qui conduisit le peuple, loin d'être des leurs, avait vécu bien des générations plus tôt, comme je vais essayer de le prouver par les propres discours de Manéthôs.

XXVIII

Absurdité du point de départ.

254 D'abord la cause sur laquelle il édifie sa fable est ridicule : « Le roi Aménophis, dit-il, désira voir les dieux. » Lesquels? Si ce sont les dieux consacrés par leurs lois, le boeuf, la chèvre, les crocodiles et les cynocéphales, il les voyait. 255 Quant à ceux du ciel, comment le pouvait-il? Et pourquoi eut-il ce désir ? - Parce que, par Zeus[157]

déjà avant lui un autre roi les avait vus. - Il avait donc appris de lui leur nature et comment celui-ci avait pu les voir ; alors il n'avait pas besoin d'un nouveau moyen. - 256 Mais le devin grâce auquel le roi pensait réussir était, dit-on, un sage. - Alors comment n'a-t-il pas prévu que le désir du roi était irréalisable ? et en fait il ne s'est pas réalisé. Et pour quelle raison la présence des mutilés et des lépreux rendait-elle les dieux invisibles ? Les dieux s'irritent contre l'impiété, non contre les infirmités du corps. 257 Puis, comment quatre-vingt mille lépreux et malades ont-il pu être réunis presque en un seul jour ? Comment le roi n'a-t-il pas écouté le devin ? Il lui avait prescrit, en effet, de faire passer la frontière d'Égypte aux infirmes, et le roi les enferma dans les carrières, comme un homme qui a besoin d'ouvriers, mais non qui a décidé de purifier le pays. 258 D'après Manéthôs, le devin se tua parce qu'il prévoyait la colère des dieux et le sort réservé à l'Egypte, et il laissa au roi par écrit sa prédiction. Alors pourquoi dès le début le devis n'a-t-il pas eu la prescience de sa mort ? 259 Pourquoi n'a-t-il pas combattu tout de suite la volonté qu'avait le roi de voir les dieux? Puis, était-il raisonnable de craindre des maux qui ne se produiraient pas de son vivant ? Et pouvait-il lui arriver rien de pire que ce suicide précipité ? 260 Mais voyons le trait le plus absurde de tous. Informé de ces faits, et redoutant l'avenir, le roi, même alors, ne chassa pas du pays ces infirmes dont il devait, suivant la prédiction, purger l'Égypte, mais, sur leur demande, il leur donna pour ville, d'après Manéthôs, l'ancienne résidence des pasteurs, nommée Avaris. 261 Ils s'y réunirent en masse, dit-il, et choisirent un chef parmi les anciens prêtres d'Héliopolis, et ce chef leur apprit à ne point adorer de dieux, à ne point s'abstenir des animaux honorés d'un

 

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culte en Égypte, mais à les immoler et à les manger tous et à ne s'unir qu'à des hommes liés par le même serment; il fit jurer au peuple l'engagement de rester fidèle à ces lois, et, après avoir fortifié Avaris, il porta la guerre chez le roi. 262 Il envoya une ambassade à Jérusalem, ajoute Manéthôs, pour inviter le peuple de cette ville à s'allier à eux, avec la promesse de leur donner Avaris, car cette ville avait appartenu aux ancêtres de ceux qui viendraient de Jérusalem ; ils partiraient de là pour s'emparer de toute l'Égypte. 263 Puis, dit-il, ceux-ci firent invasion avec deux cent mille soldats, et le roi d'Égypte Aménophis, pensant qu'il ne fallait pas lutter contre les dieux, s'enfuit aussitôt en Éthiopie après avoir confié l'Apis et quelques-uns des autres animaux sacrés à la garde des prêtres. 264 Alors les Hiérosolymites, qui avaient envahi le pays, renversèrent les villes, incendièrent les temples, égorgèrent les prêtres, en un mot ne reculèrent devant aucun crime ni aucune cruauté. 265 Le fondateur de leur constitution et de leurs lois était, d'après notre auteur, un prêtre originaire d'Héliopolis, nommé Osarseph du nom d'Osiris, le dieu d'Héliopolis, mais il changea de nom et s'appela Moysès. 266 Treize ans plus tard - c'était la durée fixée par le destin à son exil - Aménophis, suivant Manéthôs, arriva d'Éthiopie avec une armée nombreuse, attaqua les Pasteurs et les impurs, remporta la victoire, et en tua un grand nombre après les avoir chassés jusqu'aux frontières de la Syrie[158].

XXIX

Invraisemblances de la suite du récit.

267 Là encore Manéthôs ne comprend pas l'invraisemblance de ses mensonges. Les lépreux et la foule qui les accompagnait, en admettant qu'ils fussent irrités au début contre le roi et ceux qui leur avaient infligé ce traitement suivant la prédiction du devin, se

seraient en tout cas adoucis à son égard quand ils sortirent des carrières et reçurent de lui une ville et un pays. 268 Et Si même ils lui en avaient voulu, ils auraient conspiré contre sa personne et n'auraient point déclaré la guerre à tous les Égyptiens, alors qu'évidemment ils avaient parmi ceux-ci une foule de parents, nombreux comme ils étaient. 269 Même résolus à combattre aussi les Égyptiens, ils n'auraient point osé faire la guerre à leurs propres dieux et n'auraient point non plus rédigé des lois absolument contraires à celles de leurs pères, dans le respect desquelles ils avaient été élevés. 270 Nous

 

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devons savoir gré à Manéthôs de dire que, si les lois furent violées, ce ne fut point sur l'initiative des gens venus de Jérusalem, mais sur celle des Égyptiens eux-mêmes, et que leurs prêtres surtout s'en sont avisés et ont fait prêter serment à la foule. 271 Mais cette invention-ci n'est-elle point absurde ? Alors qu'aucun de leurs proches ou de leurs amis ne les suivit dans leur révolte ni ne prit sa part de leurs dangers, les contaminés envoyèrent à Jérusalem, et en ramenèrent des alliés ! 272 Quelle amitié, quelle parenté existait donc entre eux auparavant ? Au contraire, ils étaient ennemis et les moeurs les plus différentes les séparaient. Suivant lui, les gens de Jérusalem prêtèrent tout de suite l'oreille à la promesse qu'ils occuperaient l'Égypte, comme si eux-mêmes ne connaissaient point parfaitement le pays dont ils avaient été chassés par la force ! 273 Encore si leur situation avait été embarrassée ou mauvaise, peut-être se seraient-ils exposés au danger. Mais, habitant une ville opulente, et recueillant les fruits d'un vaste pays plus fertile que l'Egypte[159], pourquoi, dans l'intérêt d'anciens

ennemis et d'estropiés qu'aucun même de leurs proches ne supportait, allaient-ils s'exposer au danger en les secourant ? Car certainement ils ne prévoyaient pas que le roi s'enfuirait. 274 Au contraire, Manéthôs dit lui-même qu'à la tête de trois cent mille hommes le fils d'Aménophis[160] marcha à leur rencontre dans la direction de

Péluse[161]. La nouvelle en était notoire dans tous les cas parmi ceux

qui étaient là; en revanche, d'où auraient-ils conjecturé qu'il changerait d'avis et prendrait la fuite ? - 275 Vainqueurs de l'Égypte, dit-il ensuite, les envahisseurs venus de Jérusalem commettaient mille sacrilèges qu'il leur reproche, comme s'il ne les avait pas introduits en qualité d'ennemis ou comme s'il était juste de faire un crime de cette conduite à des hommes appelés de l'étranger, alors qu'avant leur arrivée des Égyptiens de race commettaient ces mêmes impiétés et avaient juré de les commettre. 276 D'autre part, dans la suite Aménophis revint à la charge, gagna une bataille, et, tout en massacrant les ennemis, il les chassa jusqu'en Syrie. Ainsi, pour tous les envahisseurs, d'où qu'ils viennent, l'Égypte est une proie facile ; 277 ainsi, ses conquérants d'alors, informés qu'Aménophis était vivant, n'ont ni fortifié les routes par où l'on vient d'Éthiopie, bien qu'ils eussent pour le faire de nombreux armements, ni préparé leurs autres forces ! « Le roi, dit Manéthôs, les poursuivit jusqu'en Syrie en les massacrant, à travers le sable du désert ». Or, on sait que même sans combattre, il est difficile à une armée de le traverser.

 

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Les Juifs ne sont pas Égyptiens d'origine.

278 Donc, d'après Manéthôs (lui-même), notre race n'est point originaire de l'Egypte, et elle n'a point été non plus mélangée d'hommes de ce pays ; car beaucoup de lépreux et de malades moururent vraisemblablement dans les carrières où ils avaient longtemps séjourné et souffert, beaucoup dans les combats qui suivirent, la plupart dans le dernier, et dans la fuite.

Absurdité des assertions de Manéthôs sur Moïse.

279 Il me reste à réfuter ses assertions sur Moïse. Les Égyptiens, qui considèrent ce personnage comme admirable et divin, veulent en faire un des leurs par une calomnie invraisemblable: ils disent qu'il appartenait au groupe des prêtres chassés d'Héliopolis pour cause de lèpre. 280 Or, on voit dans les annales qu'il a vécu cinq cent dix-huit ans plus tôt[162] et qu'il conduisit nos pères de l'Égypte dans le pays

que nous habitons aujourd'hui. 281 Et il n'était pas non plus affecté d'une maladie de ce genre, comme ses propres paroles le prouvent. En effet, il défend aux lépreux et de séjourner dans une ville et de résider dans un village; ils doivent errer seuls, les vêtements déchirés. Celui qui les a touchés ou a vécu sous leur toit est, selon lui, impur. 282 Si même, grâce aux soins apportés à la maladie, le lépreux revient à la santé, il lui prescrit force purifications: de laver ses souillures en se baignant dans des eaux de source, et de raser complètement sa chevelure; il lui ordonne aussi de faire des sacrifices nombreux et divers avant d'entrer dans la ville sainte[163]. 283 Et pourtant il eût été naturel, au contraire, s'il avait été victime de cette calamité, qu'il usât de soins prévoyants et d'humanité envers ceux qui avaient eu le même malheur. 284 Or, non seulement il a ainsi légiféré sur les lépreux, mais ceux même dont le corps porte la moindre mutilation n'ont point le droit d'être prêtres, et si un accident de ce genre arrive à un prêtre même en exercice, Moïse lui enlève cet honneur[164]. 285 Est-il probable ou qu'il ait établi sans bon sens, ou que des hommes rassemblés à la suite de semblables calamités aient accepté des lois faites contre eux-mêmes à leur honte et à leurs dépens ? 286 Mais, de plus, Manéthôs a transformé son nom de la manière la plus invraisemblable. On l'appelait, dit-il, Osarseph. Ce mot n'a point de

 

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rapport avec celui qu'il remplace. Le vrai nom signifie: « celui qui fut sauvé de l'eau », car l'eau chez les Égyptiens se dit « Môü[165] ».

287 La preuve est assez claire, je pense : tant que Manéthôs suivait les antiques annales, il ne s'écartait guère de la vérité ; mais lorsqu'il s'est tourné vers les légendes sans autorité, il les a combinées sans vraisemblance ou il a cru des propos dictés par la haine.

XXXII

Récit de Chærémon.

288 Après lui, je veux examiner Chærémon[166]. Cet auteur

également déclare qu'il écrit l'histoire d'Égypte, et, après avoir cité le même nom de roi que Manéthôs, 289 Aménophis, et Ramessès son fils, il raconte qu'Isis apparut à Aménophis dans son sommeil, lui reprochant la destruction de son temple pendant la guerre. L'hiérogrammate Phritobautès dit que, s'il purifiait l'Égypte des hommes atteints de souillures, ses terreurs cesseraient. 290 Le roi réunit deux cent cinquante mille de ces hommes nuisibles et les chassa. A leur tête étaient Moïse et Joseph, également hiérogrammates. Leurs noms égyptiens étaient Tisithen pour Moïse, et Peteseph pour Joseph. 291 Ces exilés arrivèrent à Péluse et rencontrèrent trois cent quatre-vingt mille hommes abandonnés par Aménophis, qui n'avait pas voulu les amener en Égypte[167]. 292 ils

conclurent avec eux un traité d'amitié et marchèrent sur l'Egypte. Aménophis, sans attendre leur attaque, s'enfuit en Éthiopie, laissant sa femme enceinte. Elle se cacha dans des cavernes et mit au monde un enfant du nom de Ramessès, qui, devenu homme, chassa les Juifs en Syrie au nombre d'environ deux cent mille, et reçut son père Aménophis revenu d'Ethiopie.

XXXIII

Ses mensonges. Manéthôs et lui se contredisent.

293 Voilà ce que raconte Chærémon. Il résulte claire¬ment, je pense, des récits précédents que l'un et l'autre ont menti[168]. Car s'ils

s'étaient appuyés sur quelque fait réel, un pareil désaccord était impossible. Mais ceux qui composent des livres mensongers ne

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

mettent point leurs écrits d'accord les uns avec les autres ; ils façonnent les faits à leur fantaisie. 294 Ainsi, pour Manéthôs, le désir qu'avait le roi de voir les dieux fut l'origine de l'expulsion des contaminés; Chærémon y substitue sa propre invention, l'apparition d'lsis en songe. 295 Pour celui-là, c'est Aménophis qui, dans sa prédiction, conseilla au roi la purification; pour celui-ci, c'est Phritobautès. Voyez aussi combien se rapprochent leurs évaluations de cette multitude : l'un parle de quatre-vingt mille hommes, l'autre de deux cent cinquante mille ! 296 De plus, Manéthôs jette d'abord les contaminés dans les carrières ; puis il leur donne Avaris comme résidence, les excite à la guerre contre les autres Egyptiens, et c'est alors que, selon lui, ils appelèrent à leurs secours les Hiérosolymites. 297 Pour Chærémon, chassés d'Égypte, ils trouvèrent auprès de Péluse trois cent quatre-vingt mille hommes abandonnés par Aménophis et, avec eux, revenant sur leurs pas, ils attaquèrent l'Égypte et Aménophis s'enfuit en Éthiopie. 298 Mais le plus beau, c'est qu'il ne dit ni qui étaient, ni d'où venaient tant de milliers de soldats, s'ils étaient Égyptiens ou arrivés du dehors. Il n'a pas même révélé pour quelle raison le roi n'avait pas voulu les amener en Égypte, lui qui, au sujet des lépreux, a imaginé l'apparition d'Isis. 299 A Moïse Chærémon a adjoint Joseph, chassé avec lui, croit-il, dans le même temps, alors qu'il mourut quatre générations avant Moïse[169], ce qui

fait à peu près cent soixante-dix ans[170]. 300 Ramessès, fils

d'Aménophis, suivant Manéthôs, est un jeune homme qui combat avec son père[171], et partage son exil après la fuite en Éthiopie ;

suivant la version de Chærémon, il naît dans une caverne, après la mort de son père[172], puis remporte une victoire sur les Juifs et les

chasse en Syrie au nombre d'environ deux cent mille. 301 Ô légèreté ! il n'avait pas dit d'abord qui étaient les trois cent quatre-vingt mille hommes et il ne dit pas non plus comment périrent les quatre cent trente mille[173] (qui manquaient), s'ils tombèrent dans le combat, ou

s'ils passèrent dans le camp de Ramessès. 302 Mais voici le plus étonnant : il est impossible d'apprendre de lui à qui il donne le nom de Juifs et qui il désigne ainsi : les deux cent cinquante mille lépreux ou les trois cent quatre-vingt mille hommes de Péluse. 303 Mais ce serait sottise, sans doute, de réfuter plus longuement des auteurs qui se réfutent eux-mêmes ; d’être réfuté par d'autres serait moins extraordinaire.

 

XXXIV

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

Récit de Lysimaque, plus invraisemblable encore.

304 Après eux je présenterai Lysimaque[174], qui a pris pour ses

mensonges le même thème que les écrivains précités, la fable des lépreux et des infirmes, mais qui les surpasse par l'invraisemblance de ses inventions; aussi est-il clair que son ouvrage est inspiré par une profonde haine. 305 D'après lui, sous Bocchoris, roi d'Égypte, le peuple juif atteint de la lèpre, de la gale et d'autres maladies, se réfugia dans les temples, et y mendiait sa vie. Comme un très grand nombre d'hommes étaient tombés malades, il y eut une disette en Égypte. 306 Bocchoris, roi d'Égypte[175], envoya consulter l'oracle

d’Ammon au sujet de la disette. Le dieu ordonna de purger les temples des hommes impurs et impies en les chassant de là dans des lieux déserts, de noyer les galeux et les lépreux, car, selon lui, le soleil était irrité de leur existence, et de purifier les temples; qu'ainsi la terre porterait des fruits. 307 Bocchoris, informé de l'oracle, appela près de lui les prêtres et les serviteurs de l'autel, leur ordonna de faire un recensement des impurs et de les livrer aux soldats pour qu'ils les emmenassent dans le désert, et de lier les lépreux entre des feuilles de plomb pour les jeter à la mer. 308 Les lépreux et les galeux noyés, on réunit les autres et on les transporta dans des lieux déserts pour qu'ils périssent. Ceux-ci s'assemblèrent, délibérèrent sur leur situation; la nuit venue, ils allumèrent du feu et des torches, montèrent la garde, et, la nuit suivante, après un jeûne, ils prièrent les dieux pour leur salut. 309 Le lendemain un certain Moïse leur conseilla de suivre résolument une seule route jusqu'à ce qu'ils parvinssent à des lieux habités et leur prescrivit de n'avoir de bienveillance pour aucun homme, ni de jamais conseiller le meilleur parti, mais le pire, et de renverser les temples et les autels des dieux qu'ils rencontreraient. 310 Les autres y consentirent et mirent à exécution leurs décisions; ils traversèrent le désert, et, après bien des tourments, arrivèrent dans la région habitée, puis, outrageant les hommes, pillant et brûlant les temples, ils vinrent dans le pays appelé aujourd'hui Judée, y bâtirent une ville et s'y fixèrent. 311 Cette ville fut nommée Hiérosyla (sacrilège) à cause de leurs dispositions d'esprit. Plus tard, devenus maîtres du pays, avec le temps, ils changèrent cette appellation pour éviter la honte, et donnèrent à la ville le nom de Hiérosolyma, à eux-mêmes celui de Hiérosolymites[176].

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

Ses mensonges et ses contradictions.

312 Lysimaque n'a donc même pas trouvé moyen de nommer le même roi que les précédents, mais il a imaginé un nom plus nouveau, et, laissant de côté le songe et le prophète égyptien, il s'en est allé chez Ammon pour en rapporter un oracle sur les galeux et les lépreux. 313 En disant qu'une foule de Juifs était réunie dans les temples, a-t-il voulu donner ce nom aux lépreux, ou seulement à ceux des Juifs qui avaient été frappés de ces maladies ? 314 Car il dit : « le peuple juif ». Quel peuple ? Etranger ou indigène ? Pourquoi, si ces hommes sont Égyptiens, les appelez-vous Juifs ? S'ils étaient étrangers, pourquoi ne dites-vous pas leur origine ? Et comment, si le roi en a noyé beaucoup dans la mer et chassé le reste dans des lieux déserts, en a-t-il survécu un si grand nombre[177] ? 315 Ou de quelle manière ont-ils traversé le désert, conquis le pays que nous habitons aujourd'hui, fondé une ville et bâti un temple célèbre dans l'univers ? 316 Il fallait aussi ne pas se contenter de dire le nom du législateur, mais encore nous informer de sa race et de sa famille. Et pourquoi se serait-il avisé d'établir pour eux de semblables lois sur les dieux et sur les offenses à faire aux hommes pendant le voyage ? 317 Égyptiens, ils n'eussent point changé si facilement les coutumes de leur patrie. S'ils venaient d'ailleurs, ils avaient de toute façon des lois conservées par une longue habitude. 318 S'ils avaient juré contre ceux qui les chassèrent une éternelle hostilité, c'eût été un récit vraisemblable ; mais qu'ils aient engagé contre toute l'humanité une guerre implacable, eux qui avaient besoin du secours de tout le monde, vu leur état misérable qu'il dépeint lui-même, cela dénote une très grande folie, non de leur part, mais de la part de l'historien menteur. 319 Il a encore osé dire qu'ils ont dénommé leur ville en souvenir du pillage des temples et ont changé son nom dans la suite. Il est clair que ce nom attirait la honte et la haine sur leurs descendants ; et eux, les fondateurs de la ville, auraient pensé se faire honneur en la nommant ainsi ! Et le digne homme, dans l'ivresse de l'injure, n'a pas compris que le pillage des temples n'est pas désigné par le même mot chez les Juifs et chez les Grecs. 320 Que pourrait-on ajouter contre un menteur si impudent ? Mais comme ce livre est déjà d'une étendue convenable, je vais en commencer un second où j'essaierai de présenter le reste des observations relatives à mon sujet.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Les intitulés des chapitres sont de notre fait.
  2. C'est le même auquel est dédiée la Vita et qui fut un des patrons

des Antiquités (I, § 8). Le langage de Josèphe dans ces divers passages prouve que c'était un personnage haut placé et qui avait subi des vicissitudes politiques; aussi l'a-t-on identifié, non sans vraisemblance, à Épaphrodite, affranchi et secrétaire de Néron, qui aida son maître à se tuer, et fut plus tard, à raison de ce fait, banni puis mis à mort par Domitien en 96 (Suétone, Domitien, 14). La seule objection c'est que la Vita, dédiée à Épaphrodite, parle d'Agrippa II comme étant mort (c. 65, § 359) ; or, d'après Photius (cod. 33), ce roi serait mort l'an 3 de Trajan (100 ap. J.-C.). Mais ce renseignement est suspect et nous ne possédons aucune monnaie d'Agrippa postérieure à Domitien. Épaphrodite ayant été tué en 95 (Dion, LXVII, 14) et les Antiquités achevées en 93 (Ant., XX, 11), il en résulte que le Contre Apion a été écrit en 94 ou 95.

  1. Même chiffre Ant. Proœm : les 5.000 années se d6composent en

3.000 de la création à Moïse (infra, I, 39) et en 2.000 depuis l'époque de Moïse et Aaron (infra, I, 36 et II, 226). Ailleurs (Ant., X, 8, 5, etc.) Josèphe ne compte que 4223 ans depuis la création jusqu'à Titus.

  1. Déluges d'Ogygès et de Deucalion, etc. Idée empruntée à Platon, Timée, p. 22 B, comme tout ce développement.
  2. Allusion aux discussions soulevées parmi les érudits alexandrins au sujet de l'interprétation des s®mata lugr‹ de l'Iliade (VI, 168).
  3. Ce passage est une des pierres angulaires des Prolégomènes de Wolf.
  4. En réalité, Cadmos parait avoir fleuri vers le milieu du vie siècle.
  5. Seul texte qui attribue une origine égyptienne ou chaldéenne aux

doctrines de Phérécyde de Syros. Cependant Gompers, Griechische Denker, I, 430, identifie ƒYghnñw avec l'Ouginna babylonien.

  1. On retrouve chez Apollonios de Tyane (Jamblique, Vit. Pyth., 12)

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

et Plutarque l'idée que Thalès de Milet fut disciple des Égyptiens ; l'adjonction des Chaldéens est propre Josèphe.

  1. A l'appui de ces assertions on peut citer les fr. 7 et 12

d'Acousilaos, 19 d'Éphoro, 55, 125 et 143 de Timée ; Polémon, Istros et Polybo ont attaqué Timée, et Thucydide, Ctésias, Manéthôs, Strabon ont critiqué Hérodote.

  1. D'après la plupart des auteurs, Dracon avait, en réalité, rédigé un

code de lois complet, mais seules ses lois sur le meurtre furent maintenues par Solon. Nous possédons encore des fragments d'une copie officielle sur pierre qui en fut faite an 409/8 avant J.-C. (Inscriptions juridiques grecques, II, n° xxi). La législation de Dracon (vers 624 av. J.-C.) est antérieure de plus de soixante ans à la première usurpation de Pisistrate (561) : Josèphe la rajeunit pour les besoins de sa thèse.

  1. Josèphe confond volontairement la tenue des registres

généalogiques, telle qu'elle était pratiquée sous le second temple par le sacerdoce, avec la manière toute différente dont furent composés les anciens livres historiques de la Bible. Il est curieux de le voir affirmer que, même après la ruine de l'Etat juif, ces registres continueront à être tenus à jour. L'évènement n'a pas confirmé cette prédiction.

  1. Sur ses indications sur le mariage des prêtres, comparer les

renseignements généalogiques fournis par Josèphe au commencement de son autobiographie et extraits par lui « des registres publics ». En réalité, la loi était encore plus exigeante que ne le dit ici Josèphe : la femme d'un prêtre ne devait pas seulement être de race israélite, mais n'être ni veuve, ni divorcée, ni déflorée, ni prostituée (cf. Lévitique, xxi, 7-14; Ant., III, ch. III, § 276-277.).

  1. Quintilius Varus, gouverneur de Syrie, étouffa la révolte qui éclata après la mort d'Hérode (4 av. J.-C.).
  2. Les « livrets » (gr‹mmata) sont des généalogies particulières, extraites des archives, et que conservait chaque famille sacerdotale.
  3. Cf. Ant., III, 12, 2; XIII, 10, 5; Mishna Ketoubot, II, 9. Ce qui n'empêcha pas Josèphe lui-même (qui était prêtre) d'épouser en

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

premières noces une captive (Vita. 414).

  1. Ailleurs (Ant., XX, 10, 1) Josèphe compte 83 grands-prêtres

depuis Aaron jusqu'au temps de Titus, mais il ne les énumère pas et

l'on ne voit pas à quelles annales il est fait ici allusion.

  1. Josèphe a en vue le livre d'Esther.
  2. Même chiffre, Ant., X, 2, 2.
  3. On a discuté sur l'identification des 17 livres qui composent,

avec le Pentateuque, le canon de 22 livres adopté par Josèphe. Voici la liste de Gutschmid: 4 anciens prophètes (Josué, Juges avec Ruth, Samuel, Rois), 4 nouveaux (Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Petits prophètes), 5 hagiographes (Job, Daniel, Chroniques, Esther, Esdras), 4 livres lyriques et moraux (Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Can¬tique). Le chiffre de 22 se retrouve encore ailleurs (Méliton, Origène, saint Jérôme). Mais ce qui est caractéristique c'est que la liste de Josèphe concorde avec la division de la Bible grecque (où Ruth est rattaché à Juges et les Lamentations à Jérémie) tandis que la tradition palestinienne compte 24 livres. Hœlscher (dans Pauly-Wiasowa, p. 1996) voit là une nouvelle preuve de la dépendance de Josèphe vis-à-vis de l'érudition judéo alexandrine.

  1. Je crois avec Thackeray (Josephus, I, p. 181) que Josèphe lait ici

allusion non à l'Histoire de Juste de Tibériade (Vita, 336 suiv.) mais à des histoires bâclées pour la circonstance par des auteurs grecs ou latins, et qui n'ont pas laissé de trace.

  1. Julius Archélaüs, fils d'Helcias, avait épousé Mariamme, fille

d'Agrippa Ier (Ant., XIX, 355); il était donc le beau-frère d'Agrippa II.

  1. Hérode d semnñtatow est non pas, comme l'a cru Dessau, le très

jeune fils d'Aristobule (roi de Petite Arménie et arrière petit-fils d'Hérode le Grand), mais, probablement, suivant Otto (Pauly-Wissowa, Supplément, II, 162), un fils de Phasaël (neveu d'Hérode le Grand) et de Salampio (fille du même). Cf. Ant., XVIII, 131-138.

  1. Cf. Thucydide, I, 22.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Ant., I, 5 ; XX, 261.
  2. L’interprétation rabbinique.
  3. L'Etat juif n'a en effet atteint la côte méditerranéenne que très

tard, sous l'Hasmonéen Simon et le judaïsme ne prédomina jamais dans les ports palestiniens.

  1. La médiocre place que la navigation occupait dans la vie d'Israël

ressort de la pénurie des informations de la Bible sur la marine; en dehors du récit des entreprises de Salomon et de Josaphat sur la Mer Rouge et des mentions du trafic phénicien, les seuls textes de quelque étendue qui concernent la mer sont Jonas, i-ii et le Psaume 107, 23­32.

  1. D'après Ezéchiel xxxvi, 2, Tyr aurait applaudi à la destruction de

Jérusalem. A une époque plus récente, les Tyriens de Kydasa furent pour les Galiléens de mauvais voisins (Bellum IV, 2, 3 § 111) et en 66 les gens de Tyr massacrèrent un grand nombre de Juifs (Bellum, II, 18, 5 § 478).

  1. Le Laurentianus emploie le plus souvent la forme Manéthon qui

a passé dans l'usage, mais Josèphe a écrit Manéthôs, que le copiste a laissé subsister § 228, 287, 288, 296, 300. Manéthôs est attesté depuis le iiie siècle av. J.-C. (Hibeh Pap., n° 72); le mot signifie peut-être « Vérité de Thot » (Spiegelberg, Orient. Literaturz., 1928 et 1929).

  1. Les § 75-82 sont un extrait textuel de Manéthôs, de première ou seconde main, peu importe.

[32] Toutimaios est vraisemblablement la transcription du nom d'un

des deux rois Tetoumes qui doivent appartenir à la fin de la 14e dynastie ; cf. Journal Asiatique, 1910, II, p. 323 et Ed. Meyer, Geschichte des Alterlums, I, ii, 4e éd., p. 307.

  1. Manéthôs revient § 90 sur la menaçante puissance assyrienne.

Mais l'époque à laquelle nous transportent les récits des § 77 et 90 est bien antérieure à celle où l'Assyrie a commencé à inquiéter les régions méditerranéennes. Maspero a supposé (Histoire ancienne, II, p. 52) qu'il faut lire Chaldéens pour Assyriens ; il est bien plus probable que le narrateur croit conformes à l'histoire les fables

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

grecques sur l'empire assyrien de Ninos et de Sémiramis (Ed. Meyer, l. l., p. 312).

  1. Le nom égyptien est Haouarit. D'après quelques-uns, il signifie

« maison de la fuite » et se rattacherait à la légende de Set-Typhon (voir infra, § 237).

  1. La forme véritable de ce nom (conservée par Eusèbe) parait être

„UxoussÅw. Il est probable, d'ailleurs, que c'est le roi des étrangers seulement qui était désigné sous ce nom, Hiq Shaousou, « roi des pillards ». Cf. Maspero, Histoire ancienne, II, 54.

  1. On ne peut pas considérer le § 83 comme une annotation

(primitivement marginale) de l'archétype du Laurentianus (cf. § 92 et § 98), car tout ce passage se lit ainsi chez Eusèbe. Ce sont plutôt des corrections apportées à Manéthôs par un commentateur auquel Josèphe les emprunte sans bien se rendre compte de leur origine (Ed. Meyer, Æg. Chronologie, p. 72). Manéthôs lui-même n'admettait certainement pas l'origine arabe des Hycsos, puisque les chronographes qui ont reproduit sa liste des rois pasteurs l'intitulent FoÜnixew j¡noi basileäw.

  1. Les § 84-90 sont non plus une citation textuelle, mais un soi-

disant résumé de Manéthôs, emprunté à une autre source et cette source était négligente ou mal informée : 1° parce qu'elle parle d'Avaris comme s'il n'en avait pas été question ; 2° parce qu'elle attribue la prise de cette ville à deux rois plus tardifs (cf. § 95) et non au véritable conquérant Amôsis.

  1. Transcription fautive de Menkheperra Thoutmès (Thoutmès III).
  2. Environ 2 756 hectares. Les mots t¯n perÛmetron (ajoutés par

Josèphe) semblent impliquer qu'il a pris l'aroure pour une mesure de longueur.

  1. Josèphe oublie qu'il a déjà été question d'Avaris et de ses fortifications (§ 78).

[41] D'après les documents égyptiens et les chroniqueurs (Eusèbe,

Africanus) Avaris aurait, au contraire, été prise de vive force par le roi Amôsis. Cf. Maspero, op. cit., II, 86 suiv.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Ce chiffre reproduit celui des « hoplites », donné plus haut, § 78.
  2. Cet « autre livre » serait, d'après certains commentateurs, une

désignation incorrecte de l'« autre exemplaire » mentionné plus haut, § 83. En tout cas le § 95 paraît faire double emploi avec 83.

  1. Dans leur conversation avec Pharaon, les fils de Jacob déclarent

qu'ils sont bergers, comme l'ont été leurs pères (Genèse, xlvi, 34 et xlvii, 3).

  1. Ou plutôt à son échanson (Genèse, xl, 15). Le Florentinas a ici

en marge: « Dans un autre exemplaire on lit : Vendu par ses frères, il fut amené en Égypte au roi de ce pays ; plus tard, il fit venir auprès de lui ses frères, avec la permission du roi. »

[46] Voir plus bas, ch. xxvii.

  1. Ici un nouvel extrait authentique de Manéthôs (§ 94-102) mais qui, jusqu'au § 97, n'a conservé que le squelette chronologique.
  2. Tout à l'heure (§ 88) il était appelé Thoummôsis. Le nom paraît interpolé.

[49] Ce Touthmôsis fils de Misphragmouthôsis ressemble

singulièrement au Thoummôsis fils de Misphragmouthôsis sous lequel aurait au lieu l'expulsion des Hycsos (§ 88).

  1. Ici le ms. a en marge : « Dans une autre copie on lit : Après lui

Séthôsis et Ramessès, deux frères ; le premier, ayant une armée navale, subjuguait de force tous les peuples maritimes qui osaient l'affronter (?) ; peu après, ayant tué son frère Ramessès, il nomma gouverneur de l'Égypte son autre frère Harmaïs. » D'après Gutschmid, il s'agirait d'une autre copie de Manéthôs et la note émanerait de Josèphe ; nous ne pouvons nous ranger à cet avis : il s'agit d'une correction au texte de Josèphe et qui suppose déjà la lecture de L S¡yvsiw xaÜ „Ram¡sshw (Meyer). Séthôsis est le Sésostris d'Hérodote, qui rapporte aussi ses victoires navales (II, 102).

  1. Meyer (loc. cit., p. 75) croit sans raison décisive que

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

l'identification du couple Séthôs-Harmaïs avec Ægyptos-Danaos est due, non à Manéthôs, mais à un commentateur ou interpolateur juif.

  1. L’addition des chiffres donnés au ch. XV ne fournit, entre

l’expulsion des Hycsos et l’avènement de Séthôs, que 334 ans. Il est probable, comme l’a vu Lepsius, que Josèphe (ou plutôt sa source) a ajouté à cette somme les 59 ans qu’il assigne plus loin (§ 231) au roi Séthôs. Josèphe a donc reproduit ce total d’après un apologiste antérieur sans se soucier de le mettre en accord avec la liste précédente (Hœlscher).

  1. Josèphe oublie Inachos, le plus ancien roi d'Argos (Spanheim).
  2. Ce chiffre paraît trop élevé d'environ 400 ans.
  3. Voir plus loin, ch. xxvi.
  4. Ce chiffre résulte des durées des règnes données au ch. xviii.
  5. Rien de pareil dans les extraits donnés plus loin (note du § 113).
  6. Cf. Ant. jud. VIII, 5, 3. D'après la Bible, c'est le père de

Salomon, David, qui était déjà lié d'amitié avec Hirôm (I Rois, v, i ; II Samuel, v, ii).

  1. Ces renseignements sont empruntés au livre des Rois, I, ix, 10­14.

[60] Les négociations entre Salomon et Hirôm sont racontées I Rois,

v; mais il n'est question ni d'énigmes comme dans le cas de la reine de Saba (I Rois, x, i), ni d'échange de lettres. Josèphe pense vraisemblablement aux lettres qu'il a reproduites Ant. VIII, 2, 6, et qui furent sans doute forgées par Eupolémos (cf. Eusèbe, Praep., IX, 33).

  1. Le texte de Dios est également reproduit dans les Antiquités,

VIII, 5, 3, § 147-9. On ne sait d'ailleurs rien de cet auteur, que C. Müller (Frag. hist. gr., IV, 398) identifie à Ælius Dios, auteur d'un ouvrage perÜ ƒAlejandreÛaw. Mais il pourrait aussi y avoir une confusion avec Aaàtow, auteur de Foinixix‹ (ibid., 437).

 

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  1. C'est dans ces mots (cf. infra § 118) que Josèphe trouve (à tort) une allusion à la construction du temple de Jérusalem.

[63] Ce texte n'est pas d'accord avec ce qui suit, car l'amende est

d'abord payée par celui qui ne résout pas les énigmes sans condition de réciprocité.

  1. Le texte de Ménandre est également reproduit dans les

Antiquités, VIII, 5, 3, § 144-146. Cet historien est appelé par Clément d'Alexandrie et Tatien « Ménandre le Pergaménien ». Gutschmid estime que son ouvrage ne concernait que l'histoire des villes de Phénicie. Époque inconnue.

  1. Ce réveil d'Héraclès paraît avoir été une fête phénicienne se

rattachant au mythe d'après lequel Héraclès, tué par Typhon, aurait été ranimé au contact d'une caille que lui apporta Iolas (Eudoxe de Cnide, ap. Athénée, IX, 392 D). - Abel (Revue Biblique, 1908, p. 577) a rapproché de l'information de Ménandre le titre d'¡gerse(Ûthw) [toè] „Hraxl¡ou(w) qui figure dans une inscription d'Amman-Philadelphie.

  1. Le mois Péritios correspond à peu près à février.
  2. Trait qui manque à la relation de Dios (supra, § 115) et dont

l'intérêt a été remarqué par Cosquin, Revue Biblique, 1899, p. 67. L'enfant prodige dont la sagacité assure la victoire d'un souverain défié par un rival reparaît dans le Conte démotique de Siosiri, où, grâce au héros âgé de douze ans, Ramsès II a le dessus sur le roi d'Ethiopie (I. Lévy, La légende de Pythagore, p. 194). Assez proche d'Abdémon et de Siosiri est le jeune Daniel de l'histoire de la chaste Suzanne (Daniel, xiii) qui à l'âge de douze ans d'après certaines versions (cf. Baumgartner, Archiv für Religionw, XXIV, p. 273), confond l'imposture des deux vieillards.

  1. Le chiffre 17 (Théophile, etc.) doit être adopté de préférence à 7

(Laurentianus) pour obtenir au § 126 le total exigé : de même au § 124 nous avons adopté pour Mettên 29 ans de règne (Théophile) au lieu de 9 (Laurentianus).

  1. Josèphe a remarqué, dans les Ant. Jud., l'identité d'Ithobal avec Ethba'al, le père de Jézabel.

 

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  1. Nous adoptons, comme Gutschmid et Naber, ce chiffre de

préférence à celui de quarante-huit ans, qui a pour lui la majorité des témoins, mais est difficilement conciliable avec le contexte : Ithobal aurait été père de Balezoros à neuf ans, grand prêtre, puis meurtrier de Phellès et roi à seize ans.

  1. En 814 d'après la date la plus communément admise.
  2. Ailleurs (Ant. VIII, 3, i, § 62) Josèphe dit que la construction

commença l'an onze d'Hirôm, an 240 de Tyr. Gutschmid suppose que cette date était donnée dans les chroniques tyriennes pour la construction du temple d'Héraclès et que Josèphe l'a transportée arbitrairement à celle du temple de Jérusalem.

  1. Cf. Antiq. jud., VIII, 3, i suiv.
  2. Auteur d'un ouvrage sans doute intitulé Babyloniaca, dédié à

Antiochos Sôter et qui avait été publié, suivant Lehmann-Haupt, en 275.

  1. Le texte de Bérose est cité littéralement Antiq. jud., I, 3, 6, § 93.

A la suite de Gutschmid et Ed. Schwartz, P. Schnabel, Berossos, p. 166, pense que Josèphe n'a connu ce passage de Bérose qu'à travers Alexandre Polyhistor (auquel Eusèbe emprunte le récit du déluge). Nous rappelons que Bérose parlait non de Noé, mais de Xisuthros ; l'identification est du fait de Josèphe.

  1. Josèphe a par étourderie placé ici sous le règne de Nabopalassar

la destruction du temple, qui n'eut lieu que sous celui de son fils. Au reste, il résulte du texte même reproduit plus loin que Bérose n'a pas fait mention de cet événement.

  1. C'est la durée que Josèphe assigne régulièrement à la captivité de

Babylone (Ant. Jud. X, 9, 7 § 184 ; XI § 1 ; XX, 10, 2 § 233). Le chiffre, trop élevé de plus de vingt ans pour l'intervalle qui sépare la déportation sous Nabuchodonosor et le retour sous Cyrus, est emprunté à la chronologie factice de II Chroniques xxxvi, 21, elle-même basée sur Jérémie xxv, 11 et xxix, 10. Josèphe, dont l'impéritie en matière de chronographie est extrême (cf. I. Lévy, Revue des Et. Juives, 1906, I, p. 169) n'a pas remarqué (v. infra, § 154) que ce chiffre est inconciliable avec celui qui résulte des données de Bérose.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Le jugement sur Nabuchodonosor, roi qui éclipsa ses devanciers,

se retrouve Ant. X, § 219. Josèphe l'a emprunté avec tout le § 133 à la source qui lui a fourni l'extrait de Bérose.

  1. Il s'agit du roi d'Égypte, Néchao. L'historiographie chaldéenne officielle le désignait comme un « satrape rebelle ».

[80] Sans doute la bataille de Karkemish, sur l'Euphrate, où

Nabuchodonosor battit Néchao en l'an 4 de Iehoiakim de Judée (Jérémie, xlvi, 2).

  1. Il est surprenant que les Juifs soient nommés en tête, alors que la

Judée n'a pas été mentionnée dans le résumé du § 133 et ne paraît pas avoir été touchée par la campagne de 605. Après Hugo Winckler, Julius Lewy a conjecturé (Mutteil. vorderas. - aeg. Gesellsch., t. 29, 2, p. 35, n. 3) que ƒIondaÛvn te xaÛ est une addition de Josèphe. Cette hypothèse est inacceptable: 1° Josèphe n'a jamais, à notre connaissance, falsifié de son chef un témoignage ; 2° dans le récit des Antiquités sur la campagne contre Néchao (X, 6, § 86) il note expressément qu'après la bataille de Karkhamissa Nabuchodonosor occupa la Syrie jusqu'à Péluse à l'exception de la Judée ; 3° les mots suspectés figurent dans l'extrait de Polyhistor préservé par l'Eusèbe arménien. Josèphe est donc hors de cause ; mais on peut se demander si Polyhistor n'a pas été interpolé par un Juif surpris de ne pas trouver trace des déportations de Nabuchodonosor, et si la fin du § 138 n'est pas de la même main que ƒIondaÛvn te xaÛ.

  1. Gutschmid constatant que xaÛ est mal attesté et supposant

qu'¡ynÇn est interpolé, propose de lire SurÇn tÇn xatŒ t¯n Aägupton. Il est probable que t. x. t. A. ¦. concerne les peuples de l'Arabie nommée § 133 à côté de la Syrie.

  1. L'exactitude des informations de Bérose sur les grands travaux

de Nabuchodonosor a été confirmée par les fouilles (cf. Koldewey, Des wiederersteende Babylon) et par les textes épigraphiques. En particulier, l'histoire de la construction du palais en quinze jours, qui a l'air de sortir d'un conte de fées, est textuellement traduite d'une inscription du roi (Langdon, Neubabyl. Königsinschriften, p. 139).

  1. Nabuchodonosor avait épousé, d'après un texte de Bérose

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

conservé par l'Eusèbe arménien et le Syncelle, la princesse Amytis, fille d'Astyage.

  1. Ctésias, Deinon, Clitarque, etc., que suivront encore Strabon, Diodore, Quinte-Curce, etc.

[86] La citation de Philostrate est donnée avec plus de précision dans

les Antiquités, X, ii, 1, § 228. Ici l'allusion au siège de Tyr (dont il ne sera question que plus loin, § 156) reste peu intelligible pour le lecteur.

  1. G. Müller et Gutschmid lisent IIe au lieu de IVe : l'ouvrage de Mégasthène n'avait probablement que trois livres.

[88] Même citation dans les Antiquités, X, ii, 1, § 227. Schnabel, à la

suite de Gutschmid, estime que Josèphe n'a connu ce texte de Mégasthène qu'à travers Alexandre Polyhistor auquel l'emprunte

également Abydénos (ap. Eusèbe, Praep. ev., IX, 41).

  1. Plus haut, § 132. Mais la citation qui va suivre ne prouve rien de ce qu'avance Josèphe.
  2. Probablement le « mur de Médie » mentionné par Xénophon et Strabon (Gutschmid).
  3. Jérémie, lii, 29. Ailleurs (Jérémie, ibid., 12 ; II Rois, xxv, 8) on trouve indiquée la 19e année.

[92] Ce chiffre de 50 ans, qu'Eusèbe lisait dans Josèphe (le

Laurentianus donne ¥pt‹, sept) ne figure nulle part dans la Bible qui, comme on l'a vu (note à § 132), parle de soixante-dix ans ; il résulte des données de Bérose (§ 147-9 : 43 - 18 + 2 + 4 + 0,9 + 17) combinées avec la notion de la 2e année de Cyrus qui provient d'Esdras, iii, 8. Plus loin, la 2e année de Darius est tirée de Zacharie, i, 12 et d’Esdras, iv, 24 (en réalité, cette année marque la reprise des travaux du Temple, et non leur achèvement, qui eut lieu quatre ans plus tard, Esdras, vi, 15).

  1. La citation qui suit est probablement empruntée à Ménandre d'Éphèse.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Même chiffre dans Ant., X, 228, d'après Philostrate.
  2. Ïn metajç signifierait en bon grec « dans l'intervalle desquels »,

mais cela est peu intelligible. C'est ce qui a conduit Gutschmid à admettre le sens (hellénistique) de « après » ; cependant Josèphe lui-même semble n'avoir pas compté à part l'année de Balator.

  1. Le total des années énumérées aux § 156-8 donne 55 ans 3

mois ; Josèphe ne compte que 54, 3, soit parce qu’il prend metajç (157) au sens classique, soit parce que son point de départ sous-entendu est non le siège de Tyr (an 17) mais la destruction du temple qui eut lieu (154) l’an 18 de Nabuchodonosor. Comme la reconstruction commença l’an 2 de Cyrus = 16 (?) d’Hirôm, il faut retrancher du total les 4 dernières années d’Hirôm et l’on obtient bien les 50 ans du § 154.

  1. Cf. l'histoire de l'ânesse de Balaam, Nombres, xx, 22-23.
  2. Cf. Exode, XXII, 28 ; Lévitique, XIX, 16. Comparer les textes du

Talmud qui défendent de prendre le bain de purification dans une eau stagnante (Mishna Mikwaot) ou de boire de l'eau qui est restée

découverte la nuit (Houllin, 9 b ; jer. Teroum., 48 c).

  1. Antonius Diogène ap. Porphyre, Pyth. 11 ; Aristobule ap. Eusèbe, Praep. XIII, 12, 4.

[100] Ou plutôt « offert à Dieu » (Lévitique, i, 10 ; ii, 4 ; iii) = tabou.

Le prétendu serment « par l'or du Temple », Korbanas (Matth., xxiii, 16) se confond avec celui-ci.

  1. Hérodote, II, 104 (texte rappelé aussi en abrégé Ant., VIII, 262).

[102] Les mots « Syriens de Palestine », dans la langue d'Hérodote,

désignent les Philistins ; or nous savons qu'au moins à l'époque biblique ceux-ci étaient incirconcis. On a essayé de diverses manières de justifier soit Hérodote, soit Josèphe. Cf. mes Textes d’auteurs grecs et romains, p. 2.

  1. Il florissait vers la fin du ve siècle.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Le raisonnement de Josèphe est ingénieux, mais peu probant.

Les fabuleux monts Solymiens (inconnus, quoi qu'il en dise, en Judée et qu'on chercha en Lycie) ont été empruntés par Chœrilos à Homère (Odyssée, V, 383 ; texte visé par Josèphe, Antiquités, VII, 3, 2, § 67 ; cf. Tacite, Hist., V, 2). La tonsure ronde, coutumière chez les Arabes (Jérémie, ix, 25 ; Hérodote, III, 8), est expressément interdite aux Juifs (Lévitique, xix, 27). La coiffure en protome de cheval appartient aux Éthiopiens d'Asie (Hérodote, VII, 70).

  1. Dans son traité De l'éducation (Diog. Laërce, prooem. § 9),

Cléarque faisait descendre les gymnosophistes des mages et Diogène ajoute : « quelques-uns prétendent que les Juifs aussi descendent des mages ». Le parallèle entre les Juifs et les brahmanes était aussi indiqué par Mégasthène (ap. Clem. Alex., Stromat., I, 15).

  1. En réalité, Calanos n'est que le sobriquet individuel du

gymnosophiste Sphinès qui suivit l'armée d'Alexandre et mit

volontairement fin à sa vie en montant sur le bûcher.

  1. Il s'agit du séjour d'Aristote à Atarné (348-345).
  2. E. Havet a supposé que Josèphe avait un autre motif de ne pas

prolonger sa citation : c'est que le Juif d'Atarné serait identique au « magnétiseur », assez vulgaire dont il était question dans le même traité de Cléarque (fr. ap. Pitra, Analecta sacra, V, 2, p. 2 1).

  1. Ce livre ne doit pas être confondu avec l'ouvrage certainement

apocryphe sur Abraham, également attribué à Hécatée (cf. Textes, p. 236). Les uns, comme Willrich, voient dans le livre sur les Juifs un faux, d'autres le croient identique à l'ouvrage (ou à la partie d'un grand ouvrage ?) d'Hécatée auquel Diodore a emprunté son aperçu du judaïsme (Diodore, XL, 3- Textes, p. 14 suiv.).

  1. En 312 av. J.-C.
  2. 323 av. J.-C.
  3. Ezéchias ne figure pas sur la liste des grands-prêtres juifs de

cette époque donnée par Josèphe (Antiq., XI, 8, 7; XII, 2, 4), liste d'ailleurs sujette à caution (cf. Willrich, Juden und Griechen, p. 107 suiv.) Willrich a supposé, Urkundenfälschung, p. 29, que la figure

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

d'Ezéchias est calquée sur celle du grand-prêtre Onias qui se réfugia en Égypte sous Philométor.

  1. Chiffre très inférieur à celui de 4289 donné (pour le temps de Zorobabel) par Esdras, ii, 36-39, et Néhémie. vii, 39-42.

[114] Quelle dignité ? la grande prêtrise ou bien quelque distinction

qui lui fut accordée par Ptolémée Sôter et dont il était question dans un passage sauté par Josèphe ?

  1. Texte sans doute altéré. J. Février (La Date, la Composition et

les Sources de la Lettre d'Aristée, p. 70) a proposé de reconnaître dans diaforŒn un mot rarissime qui signifierait livre ; il s'agirait du Pentateuque.

  1. Cette entreprise est attestée par Arrien, VII, 17 et Strabon, xvi, i, 5.

[117] Il ne s'agit pas de la déportation de Juifs par Artaxerxés Ochus

(Syncelle, I, 486 Dindorf), mais de la captivité de Babylone elle-même qu'Hécatée (?), mal informé, attribue aux Perses et non aux Chaldéens. J. G. Müller (Des Flavius Josephus Schrift gegen den Apion, p. 175) voit dans cette erreur une preuve de l'authenticité du morceau, mais, comme le remarque Willrich, II Maccabées, I, 19, parle aussi de la captivité de Babylone comme d'une déportation eÞw t¯n Persix®n.

  1. 825.000 hectares. L'évaluation d' « Hécatée » est modérée, à la

différence de celle de la Lettre d'Aristée, § 116 : la Palestine au moment de la conquête par les Hébreux aurait compté 60 millions d'aroures (plus de 16 millions d'hectares).

  1. Anachronisme.
  2. 40 stades seulement suivant Timocharès (Textes, p. 52) et

Aristée (§ 105), 33 selon Josèphe (Bellum, V, 4, 2), 27 selon Xénophon l'arpenteur (Textes, p. 54). Le chiffre de la population est pareillement exagéré.

  1. 150 mètres.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Autre exagération. Le décret de Cyrus (Esdras, vi, 3) prescrit 60 coudées pour la largeur du temple.

[123] L'autel de l'Exode (xxvii, i, suiv.) n'a que 5 coudées de long et

de large sur 3 de haut. Il est remarquable que les dimensions ici indiquées sont celles que la Chronique (II, iv, i) attribue à l'autel d'airain du temple de Salomon.

[124] Cf. I Maccabées, i, 23.

  1. Lévitique, i, 9. Le « service de nuit » des prêtres ne peut être qu'une garde.
  2. Mensonge évident.
  3. Transcription grecque de Meschoullam.
  4. L'histoire de Mosollamos est la caricature d'un très vieux

thème : déjà l'Iliade (B, 858) met en scène un oiônistès que son art ne prémunit pas contre les dangers de l'expédition où il trouvera la mort.

  1. Agatharchide de Cnide, qui florissait sous Ptolémée VI

Philométor (181-146 av. J.-C.) avait laissé d'importants ouvrages géographiques et historiques, notamment une Histoire d'Europe en 49 livres et une Histoire d'Asie en 10 livres. Le fragment suivant est reproduit en partie dans les Antiquités, XII, I, i.

  1. Stratonice, fille d'Antiochus Ier Soter, roi d'Asie, avait épousé

Démétrius II de Macédoine. Lorsque celui-ci prit une autre femme, vers 239, elle vint à Antioche dans l'espoir d'épouser son neveu Séleucus II Gallinicus.

  1. La date de cet évènement est inconnue : il ne peut s'agir de

l'expédition de 320, où Ptolémée envoya en Syrie son lieutenant Nicanor (Diodore, XVIII, 43). Willrich a supposé (Juden und Griechen, p. 23) que la prise de Jérusalem suivit la victoire de Gaza (312), mais, comme il le rappelle lui-même, Diodore ne mentionne (XIX, 85 suiv.) parmi les villes de Palestine prises, puis rasées à cette occasion, que Joppé, Samarie et Gaza. Nous savons, d'autre part, que Jérusalem fut démantelée par Ptolémée (Appien, Syr., 50).

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Hiéronyme de Cardie vécut environ de 360 à 265 avant J.-C.

Son histoire des diadoques et des épigones allait de la mort d'Alexandre à celle de Pyrrhus.

  1. Théophile avait parlé des rapports de Salomon avec Hirôm

(Polyhistor, fr. 19) Théodote, Samaritain, est l'auteur d'un PerÜ ƒIoudaÛvn, en vers (ibid., fr. 9). Nous retrouverons Mnaséas plus loin (II, 9). Hermogène avait écrit des Frugiax‹ où il était question de Nannacos, le Noé phrygien (Frag. hist. graec., III, 524 Didot). Evhémère est l'auteur célèbre du roman intitulé Histoire sacrée. Aristophane, Conon, Zopyrion sont inconnus ou douteux.

  1. Auteurs juifs cités par Polyhistor que Josèphe a pris pour des Grecs.
  2. Plus haut, §§ 3-4 et 59.
  3. Théopompe avait la réputation d’un écrivain âpre et médisant

(maledicentissimus scriptor, Nepos, Alcib., 11) mais sa malveillance s’était exercée particulièrement contre Athènes ; tout au plus, en sa qualité de victime des démocrates, avait-il jugé sévèrement les démagogues athéniens (cf. C. Müller, FHG, I p. lxxv). Le Tripolitixñw, plus souvent appelé Trix‹ranow, était un pamphlet contre Athènes ; Sparte et Thèbes, œuvre du sophiste Anaximène, qui l’avait faussement mis sous le nom de Théopompe (Pausanias, VI, 18). Quant à Polycrate, on ne sait s’il faut y voir l’auteur d’ailleurs inconnu de Laxvnix‹ dont Athénée (IV, 139 D=FHG., IV 480) cite une description de la fête des Hyacinthies, ou, comme le croit C. Müller, le sophiste athénien du ive siècle, auteur d’un pamphlet célèbre contre Socrate.

  1. Timée devait à sa médisance, particulièrement contre les rois, le surnom de ƒEpitÛmaiow que lui donna Istros.
  2. Les Hycsos assimilés à Joseph.
  3. Ed. Meyer (Chronologie, p. 77) a fait observer que Manéthôs

n'indique la durée d'un règne qu'à la fin de celui-ci; et il pense que Josèphe ne disposait que d'un extrait qui s'arrêtait avant la fin du règne d'Aménophis. Il est difficile de savoir d'ailleurs sous quel Aménophis Manéthôs plaçait l'histoire des Impurs. D'après Josèphe,

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

elle serait postérieure au règne de Séthôs = Seti, 3e roi de la 19e dynastie; or, aucun roi de cette dynastie ne porte le nom d'Amenhotep. Si l'histoire était racontée « hors cadre » on pourrait songer soit à Aménophis III (1411-1375) sous lequel vécut Aménophis, fils de Paapis (= § 232) soit à Aménophis IV (1375­1358) dont la réforme religieuse et le culte solaire trouvaient un écho dans l'anecdote du « prêtre d'Héliopolis » rebelle. Quoi qu'il en soit, Josèphe paraît admettre (§ 231) que l'Aménophis en question est le successeur de Ramsès (II) fils de Séthôs. Mais il se trompe dans son calcul en plaçant son avènement (§ 230) 518 ans après l'exode des Hycsos. En effet, comme je l'ai déjà montré plus haut (note sur le § 103) le total des règnes énumérés entre cet exode et l'avènement de Séthôs ne fournit que 334 ans et non 393 (§ 103, 231 et II, 16); en y ajoutant 59 + 66 = 125 ans pour les règnes de Séthôs et de Ramsès (§ 231) on trouve donc 459 ans et non 518. Il semble bien que Josèphe (ou sa source) ait compté deux fois les 59 ans de Séthôs.

  1. Voir la note ci-dessus.
  2. Mais Manéthôs n'assimilait pas les Hycsos aux Hébreux.
  3. Or est le 9e roi de la XVIIIe dynastie (supra. § 96). Mais

Hérodote, II, 42, raconte la même histoire de l'Héraclès égyptien et il y a peut-être une confusion avec le dieu Horus.

  1. Ce personnage paraît avoir une réalité historique: c'est

Amenhotep, fils de Hapou, ministre d'Aménophis III, dont Mariette a découvert la statue avec une inscription intéressante; on lui attribuait des grimoires magiques (Maspero, II, 298 et 449; Wilcken, Ægyptiaca, p. 147 suiv. ; Breasted, Ancient Records, II, 911).

  1. On apprend plus loin, § 237, que le rassemblement des infirmes

s’est fait en très peu de temps. Josèphe a supprimé ce détail, de même que § 245 il omet de présenter l'« ami », et de dire que la rencontre d'Aménophis avec les envahisseurs a lieu vers Péluse (fait mentionné seulement au § 274).

  1. Ce sont (Lepsius, F. G. Müller, Maspero) les carrières de

Tourah, déjà connues d'Hérodote (II, 8 et 124) comme ayant fourni les matériaux des pyramides.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Sur l'emploi des forçats dans les carrières à l'époque

ptolémaïque, v. Bouch-Leclercq, Histoire des Lagides III, 241 et IV, 193 et 337.

  1. Osarseph d'Héliopolis et ses confrères, qui sont sans doute ses

compatriotes (infra. § 238 et 245) : les Héliopolitains sont, d'après Hérodote II, 3, AÞguptÛvn logiÅtatoi.

  1. Voir plus haut, §§ 78 et 86.
  2. Ce nom théophore est clairement calqué sur celui de Joseph par

la substitution de l'élément Osiris à Iahveh, quoique plus loin ce personnage joue le rôle, non de Joseph, mais de Moïse.

  1. L'« athéisme » vient en tête des commandements d'Osarseph-

Moïse, à titre de « première loi ». L'auteur sait-il que le Décalogue commence par l'ordre de n'avoir d'autre dieu que Iahveh ? Ou se rappelle-t-il l'ordonnance des listes de devoirs dressés par les moralistes grecs et où est inculqué, comme premier précepte (Xénophon, Mem. IV, 4, 19, Poème doré, v. i, cf. Dieterich, Nekyia, p. 146 et suiv.) le respect des dieux ?

  1. Cf. Tacite, Histoires, V, 4 : ils sacrifient le bélier comme pour insulter Hammon, et le boeuf, parce que les Égyptiens adorent Apis.

[152] Le prince héritier, fils d'Aménophis, porte les deux noms de

Séthôs et de Ramessès comme le roi Séthôs-Ramessès de § 98, également fils d'Aménophis. On remarque que le double nom n'apparaît jamais chez Josèphe qu'une seule fois : le Séthôs d xaÜ „Ram¡sshw de § 98 est Séthôs tout court §§ 101, 102 et 231 (comme d'ailleurs chez l'Africain), celui de § 245, au contraire, ne s'appelle plus que Ramessès ou Rampsès §§ 251 et 300 (comme chez Chaeremon, infra § 292). Les mots S¡yvn tòn xaÜ du présent texte et d xaÜ „Ram¡sshw de § 98 sont donc des éléments adventices destinés à identifier un Séthôs fils d'Aménophis et un Ramessès fils d'Aménophis ; cf. Ed. Meyer, Chronologie, p. 91, qui considère les additions comme des interpolations à Manéthôs.

  1. Quel ami ? Il n'est pas certain qu'il s'agisse du roi d'Éthiopie dont il sera bientôt question.

 

Zone de Texte: [160] Nous avons vu plus haut (§ 245) que c'est Aménophis lui-même qui fit cette marche inutile et que son fils n'était alors âgé queFlavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Texte suspect.
  2. Josèphe (Manéthôs ?) paraît oublier qu'il a déjà mentionné

Osarseph au § 238. E. Meyer (op. cit. p. 77) voit dans ce paragraphe une addition d'un commentateur antisémite de Manéthôs, de sorte que l'assimilation Osarseph = Moïse n'émanerait pas de ce dernier.

  1. Tout ce récit de Manéthôs est, comme le dit Maspero, « un

roman où très peu d'histoire se mêle à beaucoup de fables ». Il semble même que ce peu d'histoire se borne aux noms du roi et de son ministre sorcier. L’invention première ne parait pas appartenir à Manéthôs, car Hécatée d'Abdère, dont l'ouvrage est, semble-t-il, un peu plus ancien, raconte déjà (ap. Diodore, XL, 3) que les Hébreux sont des étrangers expulsés d'Égypte à la suite d'une peste: c'était la tradition juive elle-même, accommodée au goût du public égyptien. La version d'Hécatée se corsa de nouveaux détails dont le motif est transparent : par exemple, les Juifs ont prétendu que Dieu frappa les Egyptiens de la lèpre ; on riposte qu'eux-mêmes sont des lépreux, etc. Les auteurs de ces contes polémiques n'avaient qu'une connaissance très superficielle de la Bible et, en fait de noms propres, n'avaient guère retenu que ceux de Joseph et de Moïse. On faisait de Moïse le petit-fils de Joseph (Apollonios Molon) ou son fils (Justin) ; parfois même leurs rôles ont dû être confondus. C'est ce qui explique que Manéthôs donne à Moïse un nom égyptien qui visiblement avait été d'abord inventé pour Joseph. S'il fait de lui un prêtre d'Héliopolis, c'est peut-être parce que lui-même était prêtre de Sébennytos et qu'il y avait rivalité entre les deux corporations.

  1. Singulière expression sous la plume d'un Juif. Elle reparaît plus loin, II, 63

[158] On ne peut s'empêcher de trouver extrêmement oiseuse cette

répétition presque textuelle (§§ 260-266) de ce qui a été raconté il y a un instant (§§ 237-250). On dirait que Josèphe avait d'abord procédé par analyse du texte de Manéthôs et qu'ayant ensuite jugé à propos d'insérer la citation textuelle il a oublié de remanier en conséquence le « résumé » qui suit

  1. Exagération manifeste.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

de cinq ans. Josèphe contredit Manéthôs sans le relire, ici comme § 300.

  1. V. la note à § 234.
  2. Cf. la note sur § 231
  3. Cf. Lévitique xiii, 45-46 ; xiv.
  4. Sur l'exclusion du sacerdoce à raison d'un accident corporel, cf. Lévitique, xxii, 16-23.

[165] Cette étymologie est également donnée (avec l'addition

nécessaire que és°w signifie sauvé) Antiq., II, 9, 6, § 228, et avec une légère variante par Philon, De vita Moysis, I, 4.

  1. Philosophe stoïcien, directeur du Musée d'Alexandrie,

hiérogrammate et précepteur de l'empereur Néron. Très probablement identique au Xair®mvn LevnÛdou qui figure parmi les envoyés alexandrins auprès de l'empereur Claude (pap. 1912 du Br. Mus. = Bell, Jews and Christians in Egypt, p. 29).

  1. Josèphe lui-même (§ 298) interprète ainsi cette phrase obscure et probablement corrompue.

[168] Josèphe aura beau jeu à relever les contradictions des deux

récits de Manéthôs et de Chærémon; mais il aurait dû simplement en conclure que ce dernier n'est qu'une modification arbitraire de celui de Manéthôs.

  1. Exode, vi, 16 suiv.
  2. Le chiffre de 170 ans quoique dérivé de Exode, vi, 16-20, est

en contradiction avec la durée du séjour des Hébreux en Egypte, Exode, xix, 40 et Ant., II, 9, 1, § 204.

  1. Nouvelle défaillance de mémoire. On a vu (§ 245) que, d'après

Manéthôs, Ramsès n'avait que cinq ans au moment de la fuite de son père. Cf. § 274.

 

Flavius Josèphe, contre Apion, libre I

  1. Chærémon ne dit rien de pareil (§ 292).
  2. Correction nécessaire (le ms. a 230.000), car 250.000 lépreux

(§ 290) et 380.000 Pélusiens (§ 293) font 630.000 et Ramsès ne chasse que 200.000 Juifs (§ 292). On pourrait également songer à conserver 230.000 pour les morts et disparus, en lisant 400.000 pour les survivants, mais le chiffre 200.000 est attesté par deux fois, §§ 292 et 300.

  1. L'époque exacte de cet écrivain est inconnue. On sait seulement

(Athénée, IV, 158 D) qu'il vécut après Mnaséas (IIe siècle). Il était d'Alexandrie et avait écrit, outre l'ouvrage cité par Josèphe, des YhöaixŒ par‹doja et des Nñstoi.

  1. Nous verrons plus loin. (II, 2, § 16) que ce Bocchoris est censé

avoir vécu I 700 ans avant Josèphe ; on ne peut dans ce cas le confondre avec le Bocchoris de Manéthôs (XXIVe dynastie, VIIIe siècle ?), quoique la date de ce dernier prince concorde avec celle qu'Apion assignait à l'Exode. Diodore de Sicile (I, 65) mentionne un Bocchoris, difforme et rusé, qui aurait régné immédiatement après les constructeurs de pyramides ; peut-être est-ce le même qu'a en vue Lysimaque. Les anecdotes rapportées par divers auteurs sur le compte du roi Bocchoris ne précisent pas la date de ce prince.

  1. Le récit de Lysimaque est reproduit dans Tacite, Hist., V, 3,

avec des détails supplémentaires, qui ont probablement la même provenance.

  1. Il est singulier que Josèphe n'ait pas relevé une autre

contradiction entre Lysimaque et ses prédécesseurs : si tous les lépreux ont été noyés (§ 307), les Juifs ne sont donc pas des lépreux, mais seulement des impurs.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

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JOSEPHE

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

Contre Apion

Flavius Josèphe
Traduction de René Harmand
Agrégé de l’Université, professeur au lycée de Nancy
Révisée et annotée par
Théodore Reinach
Membre de l’Institut
1911
Ernest Leroux, éditeur - Paris

LIVRE 2

I

Plan de la réfutation d'Apion.

1 Dans le cours du premier livre, très honoré Épaphrodite, j'ai fait voir la vérité sur l'antiquité de notre race, m'appuyant sur les écrits des Phéniciens, des Chaldéens et des Égyptiens, et citant comme témoins de nombreux historiens grecs ; j'ai, en outre, soutenu la controverse contre Manéthôs, Chœrémon et quelques autres. 2 Je vais commencer maintenant à réfuter le reste des auteurs qui ont écrit contre nous. Pourtant je me suis près à douter s'il valait la peine de combattre le grammairien Apion[1] ; 3 car dans ses écrits, tantôt il

répète les mêmes allégations que ses prédécesseurs, tantôt il ajoute de très froides inventions ; le plus souvent ses propos sont purement bouffons et, à dire vrai, témoignent d'une profonde ignorance, comme émanant d'un homme au caractère bas et qui toute sa vie fut un

 

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bateleur. 4 Mais puisque la plupart des hommes sont assez insensés pour se laisser prendre par de tels discours plutôt que par les écrits sérieux, entendent les injures avec plaisir et les louanges avec impatience, j'ai cru nécessaire de ne point laisser sans examen même cet auteur, qui a écrit contre nous un réquisitoire formel comme dans un procès. 5 D'ailleurs, la plupart des hommes, je le vois, ont aussi l'habitude de se réjouir fort quand celui qui a commencé par calomnier autrui se voit lui-même convaincu de son ignominie. 6 Il n'est pas facile d'exposer son argumentation ni de savoir clairement ce qu'il veut dire. Mais on distingue à peu près, dans le grand désordre et la confusion de ses mensonges, que les uns rentrent dans le même ordre d'idées que les récits examinés plus haut sur la façon dont nos ancêtres sortirent d'Égypte, que les autres constituent une accusation contre les Juifs résidant à Alexandrie ; 7 en troisième lieu, il mêle à ces assertions des calomnies contre les cérémonies de notre temple et le reste de nos lois.

II

Ses absurdités sur Moïse et sur les maladies des Juifs qui s'enfuirent d'Égypte.

9 Que nos pères n'étaient point de race égyptienne, qu'ils ne furent chassés d'Égypte ni en raison de maladies contagieuses, ni pour d'autres infirmités de ce genre, je crois en avoir donné plus haut des preuves, non seulement suffisantes, mais encore surabondantes. Je vais mentionner brièvement les allégations ajoutées par Apion. 10 Il s'exprime ainsi dans le troisième livre de son Histoire d'Égypte: « Moïse, comme je l'ai entendu dire aux vieillards parmi les Égyptiens, était d'Héliopolis[2] ; assujetti aux coutumes de sa patrie, il installa

des lieux de prières en plein air, dans des enceintes telles qu'en avait la ville et les orienta tous vers l'est[3] ; car telle est aussi l'orientation

d'Héliopolis. Au lieu d'obélisques, il dressa des colonnes sous lesquelles était sculptée une barque; l'ombre projetée par une statue sur la barque y décrivait un cercle correspondant à celui du soleil dans l'espace.[4] »

12 Telle est l'étonnante assertion de ce grammairien. Ce mensonge n'a pas besoin de commentaire.; les faits le mettent en pleine évidence. En effet, ni Moïse lui-même, quand il éleva à Dieu le premier tabernacle, n'y a placé aucune sculpture de ce genre ou n’a

 

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recommandé à ses successeurs de le faire ; ni Salomon, qui dans la suite construisit le temple de Jérusalem, ne s'est permis aucune oeuvre superflue comme celle qu'a imaginée Apion. 13 D'autre part, il dit avoir appris « des vieillards » que Moïse était Héliopolitain : c'est sans doute qu'étant plus jeune lui-même, il a cru des hommes qui, en raison de leur age, avaient dû connaître Moïse et vivre de son temps. 14 Du poète Homère, lui grammairien, il ne peut nommer la patrie avec certitude, ni celle de Pythagore, qui a vécu, peu s'en faut, hier et avant-hier[5]. Mais sur Moïse, qui les précède de tant d'années, il se

montre si crédule aux récits des vieillards que son mensonge en

devient manifeste. 15 Sur l'époque où, selon lui, Moïse emmena les lépreux, les aveugles et les boiteux, l'accord est parfait, j'imagine, entre les écrivains antérieurs et cet exact grammairien. 16 En effet, selon Manéthôs, c'est sous le règne de Tethmôsis que les Juifs furent chassés d’Égypte, 393 ans avant la fuite de Danaos à Argos ; selon Lysimaque, c'est sous le roi Bocchoris, c'est-à-dire il y a 1.700 ans ; Molon et d'autres donnent la date à leur fantaisie. 17 Mais Apion, le plus sûr de tous, a fixé la sortie d’Égypte exactement à la VIIe olympiade et à la première année de cette olympiade, année, dit-il, où les Phéniciens fondèrent Carthage[6]. Il a ajouté de toutes pièces

cette mention de Carthage dans la pensée qu'elle était un témoignage éclatant de sa véracité. Mais il n'a pas compris que par là il s'attire un démenti. 18 En effet, s'il faut, sur cette colonie, croire les annales phéniciennes, il y est écrit que le roi Hirôm vécut cent cinquante-cinq ans avant la fondation de Carthage[7] ; 19 j'en ai fourni les preuves

plus haut d'après les annales phéniciennes, montrant que Hirôm était l'ami de Salomon qui éleva le temple de Jérusalem, et qu'il contribua pour une grande part à la construction de cet édifice[8]. Or, Salomon

lui-même bâtit le temple six cent douze ans après que les Juifs furent sortis d'Égypte[9]. 20 Après avoir donné à la légère, pour le nombre

des expulsés, la même évaluation que Lysimaque[10] - il prétend

qu'ils étaient cent dix mille - Apion indique une cause extraordinaire et bien vraisemblable qui explique, d'après lui, le nom du sabbat. 21 « Ayant marché, dit-il, pendant six jours, ils eurent des tumeurs à l'aine et, pour cette raison, ils instituèrent de se reposer le septième jour, une fois arrivés sains et saufs dans le pays nommé aujourd'hui Judée, et ils appelèrent ce jour sabbat, conservant le terme égyptien. Car le mal d'aine se dit en Égypte sabbô. » 22 Comment ne pas rire de cette niaiserie, ou, au contraire, comment ne pas s'indigner de l'impudence qui fait écrire de pareilles choses ? Apparemment tous ces cent dix mille hommes avaient des tumeurs à l'aine ? 23 Mais s'ils

 

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étaient aveugles, boiteux et atteints de toutes les maladies, comme le prétend Apion, ils n'auraient pas pu fournir même une marche d'un seul jour. Et s'ils ont été capables de traverser un vaste désert, et de vaincre, en combattant tous, les ennemis qui se dressaient devant eux, ils n'auraient pas été en masse atteints de tumeurs à l'aine après le sixième jour. 24 Car cette maladie n'atteint point naturellement ceux qui marchent par force: des myriades d'hommes, dans les armées, font pendant de longs jours de suite les étapes convenables ; et, d'autre part, comment croire que cette maladie leur soit venue toute seule ? ce serait l'hypothèse la plus absurde de toutes. 25 L'étonnant Apion, après avoir commencé par dite qu'ils mirent Six jours à parvenir en Judée[11], raconte ensuite que Moïse gravit la monta8ne

nommée Sinaï, située entre l'Égypte et l'Arabie, y resta caché quarante jours et en descendit pour donner les lois aux Juifs. Cependant, comment se peut-il que les mêmes hommes restent quarante jours dans le désert sans eau, et aient traversé tout l'espace

(entre les deux pays) en six jours ? 26 Quant au nom du Sabbat, le changement grammatical qu'il opère dénote beaucoup d'impudence ou une profonde ignorance ; car sabbô et sabbaton sont très différents. 27 En effet, sabbaton, dans la langue des Juifs, désigne la cessation de tout travail, et sabbô signifie chez les Égyptiens, comme il le dit, le mal d'aine.

III

Il voudrait faire croire que les Juifs sont de race égyptienne.

28 Voilà sur Moïse et les Juifs chassés d'Égypte les nouveautés imaginées par l'Égyptien Apion, en contradiction avec les autres auteurs. Faut-il d'ailleurs s'étonner qu'il mente sur nos aïeux et dise qu'ils étaient Égyptiens de race ? 29 Car lui-même a fait sur son propre compte le mensonge inverse: né dans l'oasis d'Égypte, et plus Égyptien qu'aucun autre[12], pourrait-on dire, il a renié sa vraie

patrie et sa race, et, quand il se donne faussement comme Alexandrin, il avoue l'ignominie de sa race. 30 Il est donc naturel qu'il appelle Egyptiens les gens qu'il déteste et veut insulter. En effet, s'il n'avait pas eu le plus grand mépris pour les Égyptiens, il ne se serait pas évadé lui-même de cette race: les hommes fiers de leur patrie se flattent d'en être appelés citoyens et attaquent ceux qui s'arrogent sans droit ce titre. 31 A notre égard les Égyptiens ont l'un de ces deux sentiments : ou ils imaginent une parenté avec nous pour en tirer

 

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gloire, ou ils nous attirent à eux pour nous raire partager leur mauvaise réputation. 32 Quant au noble Apion, il semble vouloir par ses calomnies contre nous payer aux Alexandrins le droit de cité qu'il a reçu d'eux, et, connaissant leur haine pour les Juifs qui habitent Alexandrie avec eux, il s'est proposé d'injurier ceux-là, et d'envelopper dans ses invectives tous les autres Juifs, mentant avec impudence sur les uns et les autres[13].

IV

Accusations injustes contre les Juifs d'Alexandrie.

33 Voyons donc quelles sont les graves et terribles accusations qu'il a dirigées contre les Juifs habitant Alexandrie. « Venus de Syrie, dit-il, ils s'établirent auprès d'une mer sans ports, dans le voisinage des épaves rejetées par les flots ». 34 Or, Si le lieu mérite une injure, elle retombe je ne dis pas sur la patrie, mais sur la prétendue patrie d'Apion, Alexandrie. Car le quartier maritime fait également partie de cette ville et, de l'aveu général, c'est le plus beau pour une résidence. 35 Et je ne sais ce qu'aurait dit Apion si les Juifs avaient habité près de la nécropole au lieu de s'établir près du palais[14]. 36 Si les Juifs

ont occupé ce quartier de force, sans jamais en avoir été chassés dans la suite, c'est une preuve de leur vaillance. Mais, en réalité, ils le reçurent d'Alexandre comme résidence[15] ; chez les Macédoniens,

ils obtinrent la même considération qu'eux-mêmes, et, jusqu'à nos jours, leur tribu[16] à porté le nom de Macédoniens. 37 S'il a lu les

lettres du roi Alexandre et de Ptolémée, fils de Lagos, si les ordonnances des rois d'Égypte suivants lui sont tombées sous les yeux, ainsi que la stèle qui s'élève à Alexandrie, contenant les droits accordés aux Juifs par César le Grand, si, dis-je, connaissant ces documents il a osé écrire le contraire, il fut un malhonnête homme ; s'il ne les connaissait pas, un ignorant[17]. 38 Et quand il s'étonne

qu'étant Juifs ils aient été appelés Alexandrins[18], il fait preuve de la

même ignorance. En effet, tous les hommes appelés dans une colonie, si diverses que soient leurs races, reçoivent leur nom du fondateur. 39 A quoi bon citer les autres peuples ? Les hommes de notre propre race qui habitent Antioche s'appellent Antiochiens ; car le droit de cité leur fut donné par son fondateur Séleucus[19]. De même les Juifs

d'Ephèse et au reste de l'Ionie ont le même nom que les citoyens indigènes, droit qu'ils ont reçu des successeurs d'Alexandre[20]. 40

 

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Les Romains, dans leur générosité, n'ont-ils pas partagé leur nom avec tous les hommes, ou peu s’en faut, non seulement avec des individus, mais avec de grands peuples tout entiers ? Par exemple les Ibères d'autrefois, les Etrusques, les Sabins sont appelés Romains[21]. 41 Mais si Apion supprime ce genre de droit de cité,

qu'il cesse de se dire Alexandrin. Car né, ainsi que je l'ai déjà dit, au plus profond de l'Égypte, comment serait-il Alexandrin si l'on supprimait le don du droit de cité, comme lui-même le demande pour nous ? Pourtant les Égyptiens seuls se voient refuser par les Romains, maîtres aujourd'hui de l'univers, le droit d'être reçus dans aucune cité[22]. 42 Mais Apion a le coeur si noble que, voulant prendre sa

part d'un bien dont il était écarté, il a entrepris de calomnier ceux qui l'ont reçu à bon droit. Car ce n'est pas faute d'habitants pour peupler la ville fondée par lui avec tant de zèle qu'Alexandre y a réuni quelques-uns des nôtres ; mais, soumettant à une épreuve attentive la vertu et la fidélité de tous les peuples, il accorda aux nôtres ce privilège. 43 Car il estimait notre nation au point même que, suivant Hécatée, en reconnaissance des bons sentiments et de la fidélité que lui témoignèrent les Juifs, il ajouta à leurs possessions la province de Samarie exempte de tribut[23]. 44 Ptolémée, fils de Lagos, partageait

les sentiments d'Alexandre à l'égard des Juifs qui habitaient Alexandrie. En effet, il mit entre leurs mains les places fortes de l'Egypte dans la pensée qu'ils les garderaient fidèlement et bravement[24] ; et comme il désirait affermir sa domination sur

Cyrène et les autres villes de Libye, il envoya une partie des Juifs s'y établir[25]. 45 Son successeur, Ptolémée, surnomme Philadelphe, non

seulement rendit tous les prisonniers de notre race qu'il pouvait avoir, mais il donna maintes fois aux Juifs des sommes d'argent, et, ce qui est le plus important, il désira connaître nos lois et lire nos livres sacrés. 46 Il est constant qu'il fit demander aux Juifs de lui envoyer des hommes pour lui traduire la loi, et il ne confia pas aux premiers venus le soin de bien faire rédiger la traduction, mais c'est Démétrios de Phalère, Andréas et Aristée, l'un, le plus savant homme de son temps, 47 les autres, ses gardes du corps, qui furent chargés par lui de surveiller l'exécution de ce travail; or il n'aurait pas désiré approfondir nos lois et la sagesse de nos ancêtres s'il avait méprisé les hommes qui en usaient, au lieu de les admirer beaucoup[26].

V

Estime des rois d'Egypte et des empereurs romains pour les Juifs

 

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d'Alexandrie.

48 Apion a aussi ignoré que successivement presque tous les rois de ses aïeux témoignèrent à notre égard les plus bienveillantes dispositions. En effet, Ptolémée III, surnommé Evergète après avoir conquis toute la Syrie, ne sacrifia pas aux dieux égyptiens en reconnaissance de sa victoire, mais il vint à Jérusalem, y fit suivant notre rite de nombreux sacrifices à Dieu, et lui consacra des offrandes dignes de sa victoire[27]. 49 Ptolémée Philométor et sa femme

Cléopâtre[28] confièrent à des Juifs tout leur royaume et mirent à la tête de leur armée entière Onias et Dosithéos[29], deux Juifs, dont

Apion raille les noms, quand il devrait admirer leurs actions et, loin de les injurier, leur être reconnaissant d'avoir sauvé Alexandrie dont il se prétend citoyen. 50 En effet, alors que les Alexandrins faisaient la guerre à la reine Cléopâtre[30] et couraient le danger d'être

anéantis misérablement, ce sont ces hommes qui négocièrent un accommodement et conjurèrent les troubles civils. « Mais ensuite, dit-il, Onias mena contre la ville une forte armée, alors que Thermus, l'ambassadeur romain était là et présent[31]. » 51 Je prétends qu'il eut

raison et agit en toute justice. Car Ptolémée surnommé Physcon, après la mort de son frère Ptolémée Philométor, vint de Cyrène dans l'intention de renverser du trône Cléopâtre et les enfants[32] du roi

pour s'attribuer injustement la couronne. 52 C'est pour cela qu'Onias lui fit la guerre afin de défendre Cléopâtre, et n'abandonna pas dans le péril la fidélité qu'il avait vouée à ses rois. 53 Dieu témoigna clairement de la justice de sa conduite; en effet, comme Ptolémée Physcon n'osait pas combattre l'armée d'Onias, mais prenant tous les Juifs citoyens de la ville avec leurs femmes et leurs enfants, les livra nus et ligotés aux éléphants pour qu'ils mourussent écrasés par ces bêtes, enivrées pour la circonstance, l'événement tourna contrairement à ses prévisions. 54 Les éléphants, sans toucher aux Juifs placés devant eux, se précipitèrent sur les amis de Physcon, dont ils tuèrent un grand nombre. Après cela, Ptolémée vit un fantôme terrible qui lui défendait de maltraiter ces hommes. 55 Et comme sa concubine favorite, nommée Ithaque par les uns, Irène par les autres, le suppliait de ne pas consommer une telle impiété, il céda à son désir, et fit pénitence pour ce qu'il avait déjà fait et pour ce qu'il avait failli faire. C'est l'origine de la fête qu'avec raison célèbrent, comme on sait, à l'anniversaire de ce jour, les Juifs établis à Alexandrie, parce qu'ils ont manifestement mérité de Dieu leur salut[33]. 56 Mais

Apion, dont la calomnie ne respecte rien, n'a pas craint de faire un

 

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crime aux Juifs de la guerre contre Physcon, alors qu'il aurait dû les en louer. Il parle aussi de la dernière Cléopâtre, reine d'Alexandrie, pour nous reprocher l'hostilité qu'elle nous a témoignée au lieu de consacrer son zèle à l'accusation de cette femme ; 57 qui ne s'abstint d'aucune injustice et d'aucun crime, soit contre ses parents, soit contre ses maris, ou ses amants, soit contre tous les Romains en général et leurs chefs, ses bienfaiteurs; qui alla jusqu'à tuer dans le temple sa soeur Arsinoé innocente à son égard ; 58 qui assassina traîtreusement son frère aussi, pilla les dieux nationaux et les tombeaux de ses ancêtres; qui, tenant son royaume du premier César, ne craignit pas de se révolter contre le fils et successeur de celui-ci[34] ; et,

corrompant Antoine par les plaisirs de l'amour, en fit un ennemi de sa patrie, un traître envers ses amis, dépouillant ceux-ci de leur rang

royal, et poussant les autres jusqu'au crime. 59 Mais à quoi bon en dire davantage ? Ne l'abandonna-t-elle pas lui-même au milieu du combat naval, lui, son mari, le père de leurs enfants, et ne l'obligea-t-elle pas à livrer son armée et son empire pour la suivre ? 60 En dernier lieu, après la prise d'Alexandrie[35] par César, elle ne vit plus

d'espoir pour elle que dans le suicide, tant elle s'était montrée cruelle et déloyale envers tous. Pensez-vous donc que nous ne devions pas nous glorifier de ce que, dans une disette, comme ledit Apion, elle ait refusé de distribuer du blé aux Juifs ? 61 Mais cette reine reçut le châtiment qu'elle méritait ; et nous, nous avons César pour grand témoin de l'aide fidèle que nous lui avons apportée contre les Egyptiens[36] ; nous avons aussi le Sénat et ses décrets, ainsi que les

lettres de César Auguste qui prouvent nos services. 62 Apion aurait dû examiner ces lettres et peser, chacun en son genre, les témoignages rédigés sous Alexandre et sous tous les Ptolémées, comme ceux qui émanent du Sénat et des plus grands généraux romains. 63 Que si Germanicus ne put distribuer du blé à tous les habitants d'Alexandrie[37], c'est la preuve d'une mauvaise récolte et

de la disette de blé, non un grief contre les Juifs. Car la sage opinion de tous les empereurs sur les Juifs résidant à Alexandrie est notoire. 64 Sans doute, l'administration du blé leur a été retirée, comme aux autres Alexandrins; mais ils ont conservé la très grande preuve de confiance que leur avaient jadis accordée les rois, je veux dire la garde du fleuve et de toute la (frontière ?)[38] dont les empereurs ne

les ont pas jugés indignes.

 

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Ils peuvent être citoyens d'Alexandrie sans adorer les dieux égyptiens.

65 Mais il insiste. « Pourquoi donc, dit-il, s'ils sont citoyens, n'adorent-ils pas les même dieux que les Alexandrins? » A quoi je réponds: « Pourquoi aussi, bien que vous soyez tous Égyptiens, vous livrez-vous les uns aux autres une guerre acharnée et sans trêve au sujet de la religion[39] ? 66 Est-ce que pour cela nous ne vous donnons pas à

tous le nom d'Égyptiens, et vous refusons-nous plus qu'à tous les autres celui d'hommes, parce que vous adorez des animaux hostiles à notre nature, et que vous les nourrissez avec un grand soin, alors que toute la race humaine semble une et identique[40] ? 67 Mais s'il y a

entre vous Égyptiens de telles différences d'opinions, pourquoi t'étonnes-tu que des hommes, venus d'un autre pays à Alexandrie, aient conservé sur cette matière leurs lois primitivement établies ? 68 - Il nous accuse encore de fomenter des séditions. En admettant que le grief fût fondé contre les Juifs établis à Alexandrie, pourquoi fait-il à ceux d'entre nous qui sont établis partout ailleurs un crime de leur concorde bien connue ? 69 Et puis, il est facile de reconnaître que, en réalité, les fauteurs de séditions ont été des citoyens d'Alexandrie du genre d'Apion. En effet, tant que les Grecs et les Macédoniens furent maîtres de cette cité, ils ne soulevèrent aucune sédition contre nous, et ils toléraient nos antiques solennités. Mais quand le nombre des Égyptiens se fut accru parmi eux par le désordre des temps, les séditions se multiplièrent sans cesse. Notre race, au contraire,

demeura pure. 70 C'est donc eux qu'on trouve à l'origine de ces violences, car le peuple était loin désormais d'avoir la fermeté des Macédoniens et la sagesse des Grecs; tous s'abandonnaient aux mauvaises moeurs des Egyptiens et exerçaient contre nous leurs vieilles rancunes. 71 C'est, en effet, du côté opposé qu'a été commis ce qu'ils osent nous reprocher. La plupart d'entre eux jouissent mal à propos du droit de cité alexandrin, et ils appellent étrangers ceux qui sont connus pour avoir obtenu des maîtres ce privilège ! 72 Car les Égyptiens, à ce qu'il semble, n'ont reçu le droit de cité d'aucun roi, ni, à notre époque, d'aucun empereur[41]. Nous, au contraire, Alexandre

nous a introduits dans la cité, les rois ont augmenté nos privilèges et les Romains ont jugé bon de nous les conserver à jamais. 73 Aussi, Apion s'est-il efforcé de nous décrier auprès d'eux sous prétexte que nous ne dressons pas de statues aux empereurs. Comme s'ils ignoraient ce fait ou avaient besoin d'être défendus par Apion[42] ! il

aurait mieux fait d'admirer la grandeur d'âme et la modération des Romains, qui n'obligent pas leurs sujets à transgresser leurs lois

 

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héréditaires, et se contentent de recevoir les honneurs qu'on leur offre sans manquer à la religion ni à la loi. Car il n'y a point de charme dans les honneurs rendus par nécessité et par force. 74 Ainsi les Grecs et quelques autres peuples croient qu'il est bon d'élever des statues; ils prennent plaisir à faire peindre le portrait de leurs pères, de leurs femmes et de leurs enfants; quelques-uns vont jusqu'à acquérir les portraits de gens qui ne les touchent en rien; d'autres font de même pour des esclaves favoris. Est-il donc étonnant qu'on les voie rendre aussi cet honneur à leurs empereurs et à leurs maîtres ? 75 D'autre part, notre législateur [a désapprouvé cette pratique], non pour défendre, comme par une prophétie, d'honorer la puissance romaine, mais par mépris pour une chose qu'il regardait comme inutile à Dieu et aux hommes, et parce qu'il a interdit de fabriquer l'image inanimée de tout être vivant et à plus forte raison de la divinité, comme nous le montrerons plus bas. 76 Mais il n'a pas défendu d'honorer, par d'autres hommages, après Dieu, les hommes de bien ; et ces honneurs, nous les décernons aux empereurs et au peuple romain. 77 Nous faisons sans cesse des sacrifices pour eux et non seulement chaque jour, aux frais communs de tous les Juifs[43], nous célébrons de telles

cérémonies, mais encore, alors que nous n'offrons jamais d'autres victimes en commun..., nous accordons aux seuls empereurs cet honneur suprême que nous refusons à tous les autres hommes. 78 Voilà une réponse générale à ce qu'a dit Apion au sujet d'Alexandrie.

VII

Légende ridicule de la tête d'âne adorée dans le temple.

79 J'admire aussi les écrivains qui lui ont fourni une telle matière, je parle de Posidonios et d'Apollonios Molon, qui nous font un crime de n'adorer pas les mêmes dieux que les autres peuples. D'autre part, quand ils mentent également et inventent des calomnies absurdes contre notre temple, ils ne se croient pas impies, alors que rien n'est plus honteux pour des hommes libres que de mentir de quelque façon que ce soit, et surtout au sujet d'un temple célèbre dans l'univers entier et puissant par une si grande sainteté. 80 Ce sanctuaire, Apion a osé dire que les Juifs y avaient placé une tête d'âne, qu'ils l'adoraient et la jugeaient digne d'un si grand culte; il affirme que le fait fut dévoilé lors du pillage du temple par Antiochos Épiphane et qu'on découvrit cette tête d'âne faite d'or, et d'un prix considérable. - 81 A cela donc je réponds d'abord qu'en sa qualité d'Égyptien, même si

 

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chose pareille avait existé chez nous, Apion n'eût point dû nous le reprocher, car l'âne n'est pas plus vil que les furets (?), les boucs et les autres animaux qui ont chez eux rang de dieux. 82 Ensuite comment n'a-t-il pas compris que les faits le convainquent d'un incroyable mensonge ? En effet, nous avons toujours les mêmes lois, auxquelles nous sommes éternellement fidèles. Et, quand des malheurs divers ont fondu sur notre cité comme sur d'autres, quand [Antiochos] le Pieux[44], Pompée le Grand, Licinius Crassus et, en dernier lieu,

Titus César triomphant de nous ont occupé le temple, ils n'y trouvèrent rien de semblable, mais un culte très pur au sujet duquel nous n'avons rien à cacher à des étrangers.

83 Mais qu'Antiochos (Épiphane) mit à sac le temple contre toute justice, qu'il y vint par besoin d'argent sans être ennemi déclaré, qu'il nous attaqua, nous ses alliés et ses amis, et qu'il ne trouva dans le temple rien de ridicule, 84 voilà ce que beaucoup d'historiens dignes de foi attestent également, Polybe de Mégalopolis, Strabon de Cappadoce, Nicolas de Damas, Timagène, les chronographes Castor et Apollodore ; tous disent que, à court de ressources, Antiochos viola les traités et pilla le temple des Juifs plein d'or et d'argent. 85 Voilà les témoignages qu'aurait dû considérer Apion s'il n'avait eu plutôt lui-même le coeur de l'âne et l'impudence du chien, qu'on a coutume d'adorer chez eux. Car son mensonge n'a pas même pu s'appuyer sur quelque raisonnement d'analogie (?). 86 En effet, les ânes, chez nous, n'obtiennent ni honneur ni puissance, comme chez les Égyptiens les crocodiles et les vipères, puisque ceux qui sont mordus par des vipères ou dévorés par des crocodiles passent à leurs yeux pour bienheureux et dignes de la divinité[45]. 87 Mais les ânes

sont chez nous, comme chez les autres gens sensés, employés à porter les fardeaux dont on les charge, et s'ils approchent des aires pour manger[46] ou s'ils ne remplissent pas leur tâche, ils reçoivent force

coups ; car ils servent aux travaux et à l'agriculture. 88 Ou bien donc Apion fut le plus maladroit des hommes à imaginer ses mensonges, ou, parti d'un fait, il n'a pas su en conclure justement (?), car aucune calomnie à notre adresse ne peut réussir.

VIII

Autre légende calomnieuse : le meurtre rituel.

89 Il raconte encore, d'après les Grecs, une autre fable pleine de

 

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malice à notre adresse. Là-dessus, il suffira de dire que, quand on ose parler de piété, on ne doit pas ignorer qu'il y a moins d'impureté à violer l'enceinte d'un temple qu'à en calomnier les prêtres. 90 Mais ces auteurs se sont appliqués plutôt à défendre un roi sacrilège qu'à raconter des faits exacts et véridiques sur nous et sur le temple. Dans le désir de défendre Antiochus et de couvrir la déloyauté et le sacrilège qu'il a commis envers notre race par besoin d'argent, ils ont encore inventé sur notre compte la calomnie qu'on va lire. 91 Apion s'est fait le porte-parole des autres[47] : il prétend qu'Antiochus

trouva dans le temple un lit sur lequel un homme était couché, et devant lui une table chargée de mets, poissons, animaux terrestres,

volatiles. L'homme restait frappé de stupeur. 92 Bientôt il salua avec un geste d'adoration l'entrée du roi comme si elle lui apportait le salut ; tombant à ses genoux, il étendit la main droite et demanda la liberté. Le roi lui dit de se rassurer, de lui raconter qui il était, pourquoi il habitait ce lieu, ce que signifiait cette nourriture. L'homme, alors, avec des gémissements et des larmes, lui raconta d'un ton lamentable son malheur. 93 Il dit, continue Apion, qu'il était Grec, et que, tandis qu'il parcourait la province pour gagner sa vie, il avait été tout à coup saisi par des hommes de race étrangère et conduit dans le temple ; là on l'enferma, on ne le laissait voir de personne, mais on préparait toutes sortes de mets pour l'engraisser. 94 D'abord ce traitement qui lui apportait un bienfait inespéré lui fit plaisir ; puis vint le soupçon, ensuite la terreur ; enfin, en consultant les serviteurs qui l'approchaient, il apprit la loi ineffable des Juifs qui commandait de le nourrir ainsi ; qu'ils pratiquaient cette coutume tous les ans à une époque déterminée ; 95 qu'ils s'emparaient d'un voyageur grec, l'engraissaient pendant une année, puis conduisaient cet homme dans une certaine forêt, où ils le tuaient ; qu'ils sacrifiaient son corps suivant leurs rites, goûtaient ses entrailles et juraient, en immolant le Grec, de rester les ennemis des Grecs ; alors ils jetaient dans un fossé les restes de leur victime. 96 Enfin, rapporte Apion, il dit que peu de jours seulement lui restaient à vivre, et supplia le roi, par pudeur pour les dieux de la Grèce et pour déjouer les embûches des Juifs contre sa race, de le délivrer des maux qui le menaçaient. 97 Une telle fable non seulement est pleine de tous les procédés dramatiques, mais encore elle déborde d'une cruelle impudence. Cependant elle n'absout pas Antiochus du sacrilège, comme l'ont imaginé ceux qui l'ont racontée en sa faveur. 98 En effet, ce n'est pas parce qu'il prévoyait cette horreur qu'il est venu au temple, mais, selon leur propre récit, il l'a rencontrée sans s'y attendre. Il fut donc en tout cas volontairement injuste et impie et athée, quel que soit

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

l'excès du mensonge que les faits eux-m~mes montrent facilement. 99 En effet, les Grecs ne sont pas seuls, comme on sait, à avoir des lois en désaccord avec les nôtres; mais il y a surtout les Égyptiens et beaucoup d'autres peuples. Or, quel est celui de ces peuples dont les citoyens n'aient jamais eu à voyager chez nous ? Et pourquoi dès lors, par un complot sans cesse renouvelé, aurions-nous besoin, pour les Grecs seuls, de verser le sang ? 100 Et puis comment se peut-il que tous les Juifs se soient réunis pour partager cette victime annuelle et que les entrailles d'un seul aient suffi à tant de milliers d'hommes, comme le dit Apion[48] ? Et pourquoi, après avoir découvert cet

homme quel qu'il fût, Apion n'a-t-il pu enregistrer son nom[49] ? 101

ou comment le roi ne l'a-t-il pas ramené dans sa patrie en grande pompe, alors qu'il pouvait par ce procédé se donner à lui-même une grande réputation de piété et de rare philhellénisme, tout en s'assurant de tous, contre la haine des Juifs, de puissants secours ? 102 Mais passons: il faut réfuter les insensés non par des raisons, mais par des faits. Tous ceux qui ont vu la construction de notre temple savent ce qu'il était, connaissent les barrières infranchissables qui défendaient sa pureté[50]. 103 Il comprenait quatre portiques concentriques dont

chacun avait une garde particulière suivant la loi. C'est ainsi que, dans le portique extérieur tout le monde avait droit d'entrer, même les étrangers ; seules les femmes pendant leur impureté mensuelle s'en voyaient interdire le passage. 104 Dans le second entraient tous les Juifs et leurs femmes, quand elles étaient pures de toutes souillures; dans le troisième les Juifs mâles, sans tache et purifiés ; dans le quatrième les prêtres revêtus de leurs robes sacerdotales. Quant au saint des saints, les chefs des prêtres y pénétraient seuls, drapés dans le vêtement qui leur est propre. 105 Le culte a été réglé d'avance si soigneusement dans tous ses détails qu'on a fixé certaines heures pour l'entrée des prêtres. En effet, le matin dès l'ouverture du temple, il leur fallait entrer pour faire les sacrifices traditionnels, puis de nouveau à midi jusqu'à la fermeture du temple. 106 Enfin il est défendu de porter dans le temple[51] même un vase ; on n'avait placé

à l'intérieur qu'un autel[52], une table, un encensoir, un candélabre,

tous objets mentionnés même dans la loi. 107 Il n'y a rien de plus ; il ne s'y passe point de mystères qu'on ne doive pas révéler, et à l'intérieur on ne sert aucun repas. Les détails que je viens de signaler sont attestés par le témoignage de tout le peuple et apparaissent dans les faits. 108 Car, bien qu'il y ait quatre tribus de prêtres[53], et que

chacune de ces tribus comprenne plus de cinq mille personnes, cependant ils officient par fractions à des jours déterminés; une lois ces jours passés, d'autres prêtres, leur succédant, viennent aux

 

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sacrifices, et, réunis dans le temple au milieu du jour, en reçoivent les clefs de leurs prédécesseurs, ainsi que le compte exact de tous les vases, sans apporter à l'intérieur rien qui serve à la nourriture ou à la boisson. 109 Car il est interdit d'offrir même sur l'autel des objets de ce genre, sauf ceux qu'on prépare pour le sacrifice.

En conséquence que dire d'Apion sinon que, sans examiner ces faits, il a débité des propos incroyables ? Et cela est honteux, car lui, grammairien, ne s'est-il pas engagé à apporter des notions exactes sur l'histoire ? 110 Connaissant la piété observée dans notre temple, il n'en a pas tenu compte, et il a inventé cette fable d'un Grec captif secrètement nourri des mets les plus coûteux et les plus réputés, des esclaves entrant dans l'endroit dont L'accès est interdit même aux plus nobles des Juifs s'ils ne sont pas prêtres. 111 C'est donc une très coupable impiété et un mensonge volontaire destiné à séduire ceux qui n'ont pas voulu examiner la vérité, s'il est vrai qu'en débitant ces crimes et ces mystères, ils ont tenté de nous porter préjudice.

IX

Fable ridicule d'après laquelle un Iduméen, déguisé en Apollon, alla dérober dans le temple la tête d'âne.

112 Après cela Apion raille les Juifs, comme très superstitieux, en ajoutant à sa fable le témoignage de Mnaséas[54]. Cet auteur raconte,

à l'en croire, qu'il y a très longtemps, les Juifs et les Iduméens étant en guerre, d'une certaine ville iduméenne nommée Dora[55], un des

hommes qui étaient attachés au culte d'Apollon[56] vint trouver les

Juifs. Il se nommait, dit-il, Zabidos. Il leur promit de leur livrer Apollon, le dieu de Dora, qui se rendrait à notre temple si tout le monde s'éloignait. 113 Et toute la multitude des Juifs le crut. Zabidos cependant fabriqua un appareil de bois dont il s'entoura et où il plaça trois rangs de lumières. Ainsi équipé il se promena, de sorte qu'il avait de loin l'apparence d'une constellation[57] en voyage sur la

terre. 114 Les Juifs, frappés de stupeur par ce spectacle inattendu, restèrent à distance et se tinrent cois. Zabidos tout tranquillement arriva jusqu'au temple, arracha la tête d'or du baudet - c'est ainsi qu'il s'exprime pour faire le plaisant - et revint en hâte à Dora. 115 Ne pourrions-nous pas dire à notre tour qu'Apion surcharge le baudet, c'est-à-dire lui-même, et l'accable sous le poids de sa sottise et de ses mensonges ? En effet, il décrit des lieux qui n'existent pas et, sans le

 

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savoir, change les villes de place. 116 L'Idumée est limitrophe de notre pays, voisine de Gaza, et elle n'a aucune ville du nom de Dora. Mais en Phénicie, près du mont Carmel, il y a une ville appelée Dora, qui n'a rien de commun avec les niaiseries d'Apion ; car elle est à quatre journées de marche de l'Idumée. 117 Et pourquoi nous accuse-t-il encore de n’avoir point les mêmes dieux que les autres, si nos pères se sont laissé persuader si facilement qu'Apollon viendrait chez eux et s'ils ont cru le voir se promener avec les astres sur la terre ? 118 Sans doute ils n'avaient jamais vu une lampe auparavant, ces hommes qui allument tant et de si belles lampes dans leurs fêtes ! Et personne, parmi tant de milliers d'habitants, n'est allé à sa rencontre quand il s'avançait à travers le pays ; il a trouvé aussi les murailles vides de sentinelles, en pleine guerre ! 119 Je passe le reste ; mais les portes du temple étaient hautes de soixante coudées, larges de vingt[58], toutes

dorées et presque d'or massif ; elles étaient fermées tous les jours par deux cents hommes[59] au moins, et il était défendu de les laisser

ouvertes. 120 Il a donc été facile à ce porteur de lampes, je pense, de les ouvrir à lui tout seul, et de partir avec la tête du baudet ? Mais est-elle rentrée toute seule chez nous ou celui qui l'a prise l'a-t-il rapportée dans le temple afin qu'Antiochos la trouvât pour fournir à Apion une seconde fable ?

X

Mensonge du serment de haine contre les Grecs.

121 [60]Il forge aussi un serment par lequel, prétend-il, en invoquant le dieu qui a fait le ciel, la terre et la mer[61], nous jurons de ne

montrer de bienveillance envers aucun étranger, mais surtout envers les Grecs. 122 Une fois qu'il se mettait à mentir il aurait dû dire au moins: envers aucun étranger, mais surtout envers les Égyptiens. De cette façon sa fable du serment aurait concordé avec ses mensonges du début, Si vraiment nos ancêtres ont été chassés par les Égyptiens, qui leur étaient apparentés, non pour aucun crime mais à cause de leurs malheurs. 123 Quant aux Grecs, nous en sommes trop éloignés par les lieux comme par les coutumes pour qu'il puisse exister entre eux et nous aucune haine ou aucune jalousie. Loin de là, il est arrivé que beaucoup d'entre eux ont adopté nos lois; quelques-uns y ont persévéré, d'autres n'ont pas eu l'endurance nécessaire et s'en sont détachés. 124 Mais de ceux-là, nul n'a jamais raconté qu'il eût entendu prononcer chez nous le serment en question ; seul Apion, semble-t-il,

 

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l'a entendu, et pour la bonne raison qu'il en était l'inventeur.

XI

Prétendue preuve de l'injustice des lois juives, tirée des malheurs des Juifs.

125 Il faut encore grandement admirer la vive intelligence d'Apion pour ce que je vais dire. La preuve, à l'en croire, que nos lois ne sont pas justes, et que nous n'adorons pas Dieu comme il faut, c'est que nous ne sommes pas les maîtres, mais bien plutôt les esclaves tantôt d'un peuple, tantôt d'un autre, et que notre cité éprouva des infortunes[62], - comme si ses propres citoyens étaient habitués

depuis une haute antiquité à être les maîtres dans la cité la plus propre à commander au lieu d'être asservis aux Romains. 126 Cependant qui supporterait de leur part une telle jactance ? Parmi le reste des hommes il n'est personne pour nier que ce discours d'Apion ne s'adresse assez bien à lui. 127 Peu de peuples ont eu la fortune de dominer fût-ce par occasion, et ceux-là même ont vu des revers les soumettre à leur tour à un joug étranger ; les autres peuples, pour la plupart, sont plusieurs fois tombés en servitude. 128 Ainsi donc les seuls Égyptiens, parce que les dieux, à les en croire, se sont réfugiés dans leur pays et ont assuré leur salut en prenant la forme d'animaux[63], ont obtenu le privilège exceptionnel de n'être soumis

à aucun des conquérants de l'Asie ou de l'Europe, eux qui n'ont pas ou un seul jour de liberté en aucun temps, pas même de leurs maîtres nationaux ! 129 Du traitement que leur infligèrent les Perses, qui, non pas une fois, mais à plusieurs reprises, saccagèrent leurs villes, renversèrent leurs temples, égorgèrent ce qu'ils prennent pour des dieux, je ne leur fais pas un grief. 130 Car il ne convient pas d'imiter l'ignorance d'Apion, qui n'a songé ni aux malheurs des Athéniens, ni à ceux des Lacédémoniens, dont les uns furent les plus braves, les autres les plus pieux des Grecs, du consentement unanime. 131 Je laisse de côté les malheurs qui accablèrent les rois renommés partout pour leur piété, comme Crésus. Je passe sous silence l'incendie de l'Acropole d'Athènes, du temple d'Éphèse, de celui de Delphes, et de mille autres. Personne n'a reproché ces catastrophes aux victimes, mais à leurs auteurs[64]. 132 Mais Apion s'est trouvé pour produire

contre nous cette accusation d'un nouveau genre, oubliant les propres maux de son pays, l'Égypte. Sans doute Sésostris, le roi d'Égypte légendaire, l'a aveuglé[65]. Mais nous, ne pourrions-nous pas citer

 

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nos rois David et Salomon, qui ont soumis bien des nations ? 133 Cependant n'en parlons pas. Mais il est un fait universellement connu, quoique ignoré d'Apion : c'est que les Perses et les Macédoniens, maîtres après eux de l'Asie, asservirent les Egyptiens, qui leur obéirent comme des esclaves, alors que nous, libres, nous régnions même sur les cités d'alentour pendant cent vingt ans environ[66], jusqu'au temps de Pompée le Grand. 134 Et alors que

tous les rois de la terre avaient été subjugués par les Romains, seuls nos rois, pour leur fidélité, furent conservés par eux comme alliés et amis.

XII

Apion prétend que la race juive n'a pas produit de grands hommes.

135 « Mais nous n'avons pas produit d'hommes dignes d'admiration, qui, par exemple, aient innové dans les arts ou excellé dans la sagesse ». Et il énumère Socrate, Zénon, Cléanthe et d'autres du même genre; puis, ce qui est le plus admirable de tous ses propos, il s'ajoute lui-même à la liste et félicite Alexandrie de posséder un tel citoyen.

136 Assurément il avait besoin de témoigner pour lui-même ; car aux yeux de tous les autres il passait pour un méchant ameuteur de badauds, dont la vie fut aussi corrompue que la parole, de sorte qu'on aurait sujet de plaindre Alexandrie si elle tirait vanité de lui. Quant aux grands hommes nés chez nous qui méritèrent des éloges autant qu'aucun autre, ils sont connus de ceux qui lisent mon Histoire ancienne.

XIII

Autres griefs injustifiés : les Juifs sacrifient des animaux, ne mangent pas de porc et pratiquent la circoncision.

137 Le reste de son réquisitoire mériterait peut-être d'être laissé sans réponse pour que lui-même soit son propre accusateur et celui des autres Égyptiens. En effet, il nous reproche de sacrifier des animaux domestiques, de ne point manger de porc, et il raille la circoncision.

138 Pour ce qui est d'immoler des animaux domestiques, c'est une pratique qui nous est commune avec tous les autres hommes, et Apion, par sa critique de cet usage, s'est dénoncé comme Égyptien.

 

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S'il avait été Grec ou Macédonien, il ne s'en serait pas ému. Ces peuples, en effet, se font gloire d'offrir aux dieux des hécatombes; ils mangent les victimes dans les festins, et cette pratique n a pas vidé l'univers de troupeaux, comme l'a craint Apion. 139 Si, au contraire, tout le monde suivait les coutumes égyptiennes, c'est d'hommes que l'univers serait dépeuplé pour être rempli des bêtes les plus sauvages, qu ils prennent pour des dieux et nourrissent avec soin. 140 En outre, si on lui avait demandé lesquels de tous les Egyptiens il considérait comme les plus sages et les plus pieux, il eût convenu assurément que c'étaient les prêtres. 141 Car dès l'origine ils furent, dit-on, chargés de deux fonctions: le culte des dieux et la pratique de la sagesse. Or, tous les prêtres égyptiens sont circoncis et s'abstiennent de manger du porc[67]. Et même parmi les autres Egyptiens, il n'en est pas un seul

qui ose sacrifier un porc aux dieux. 142 Apion n'avait-il pas l'esprit aveuglé lorsque, se proposant de nous injurier pour faire valoir les Egyptiens, il les accusait au contraire eux qui, non seulement pratiquent ces coutumes blâmées par lui, mais encore ont enseigné aux autres peuples la circoncision, comme le dit Hérodote[68]. 143

Aussi est-ce justement, à mon avis, qu'après avoir médit des lois de sa patrie, Apion a subi le châtiment qui convenait. Car il fut circoncis par nécessité, à la suite d'un ulcère des parties sexuelles; d'ailleurs la circoncision ne lui profita point, sa chair tomba en gangrène et il mourut dans d'atroces douleurs. 144 Il faut, pour être sage, observer exactement les lois de son pays relatives à la religion et ne point attaquer celles des autres. Mais Apion s'est écarté des premières et a menti sur les nôtres.

Ainsi finit Apion; que ce soit aussi la fin de mes observations à son sujet.

Réfutation des erreurs d'Apollonios Molon et de Lysimaque sur les lois juives.

145 Mais puisque Apollonios Molon, Lysimaque et quelques autres, tantôt par ignorance, le plus souvent par malveillance, ont tenu, sur notre législateur Moïse et sur ses lois, des propos injustes et inexacts, accusant l'un de sorcellerie et d'imposture, et prétendant que les autres nous enseignent le vice à l'exclusion de toute vertu, je veux parler brièvement et de l'ensemble de notre constitution et de ses

 

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détails, comme je le pourrai[69]. 146 Il apparaîtra clairement, je

pense, qu’en vue de la piété, des rapports sociaux, de l'humanité en général, et aussi de la justice, de l'endurance au travail et du mépris de la mort, nos lois sont fort bien établies. 147 J'invite ceux qui tomberont sur cet écrit à le lire sans jalousie. Ce n'est point un panégyrique de nous-mêmes que j'ai entrepris d'écrire, mais après les accusations nombreuses et fausses dirigées contre nous, la plus juste apologie, à mon avis est celle qui se tire des lois que nous continuons

à observer. 148 D'autant plus qu'Apollonios n'a pas réuni ses griefs en un faisceau comme Apion ; mais les a semés çà et là, tantôt nous injuriant comme athées et misanthropes, tantôt nous reprochant la lâcheté, et, au contraire, à d'autres endroits, nous accusant d'être téméraires et forcenés. Il dit aussi que nous sommes les plus mal doués des barbares et que pour cette raison nous sommes les seuls à n'avoir apporté pour notre part aucune invention utile à la civilisation. 149 Toutes ces accusations seront, je pense, clairement réfutées s'il apparaît que c'est le contraire que nous prescrivent nos lois et que nous observons rigoureusement. 150 Si donc j'ai été obligé de mentionner les lois contraires, en vigueur chez d'autres peuples, il est juste que la faute en retombe sur ceux qui veulent montrer par comparaison l'infériorité des nôtres. Ces éclaircissements leur interdiront je pense, de prétendre ou que nous n'avons pas ces lois dont je vais citer les principales, ou que nous ne sommes pas, parmi tous les peuples, le plus attaché à ses lois.

Moïse est le plus ancien des législateurs connus.

151 Reprenant donc d'un peu plus haut, je dirai d'abord que, comparés aux hommes dont la vie est affranchie de lois et de règles, ceux qui, soucieux de l'ordre et d'une loi commune en ont donné le premier exemple, mériteraient justement ce témoignage qu'ils l'ont emporté par la douceur et la vertu naturelle. 152 La preuve en est que chaque peuple essaie de faire remonter ses lois le plus haut possible pour paraître ne point imiter les autres hommes et leur avoir, au contraire, lui-même ouvert la voie de la vie légale. 153 Les choses étant ainsi, la vertu du législateur consiste à embrasser du regard ce qui est le meilleur et à faire admettre, par ceux qui doivent en user, les lois instituées par lui ; celle de la multitude est de rester fidèle aux lois adoptées et de n’en rien changer sous l'influence de la prospérité ni

 

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des épreuves.

154 Eh bien, je prétends que notre législateur est le plus ancien des législateurs connus du monde entier. Les Lycurgue, les Solon, les Zaleucos de Locres et tous ceux qu'on admire chez les Grecs paraissent nés d'hier ou d'avant-hier comparés à lui, puisque le nom même de loi dans l'antiquité était inconnu en Grèce. 155 Témoin Homère qui nulle part dans ses poèmes ne s'en est servi[70]. En effet

la loi n'existait même pas de son temps; les peuples étaient gouvernés suivant des maximes non définies et par les ordres des rois. Longtemps encore ils continuèrent à suivre des coutumes non écrites, dont beaucoup, au fur, et à mesure des circonstances, étaient modifiées.

156 Mais notre législateur, qui vécut dans la plus haute antiquité - et cela, je suppose, de l'aveu même des gens qui dirigent contre nous toutes les attaques - se montra excellent guide et conseiller du peuple ; et après avoir embrassé dans sa loi toute l'organisation de la vie des hommes, il leur persuada de l'accepter et fit en sorte qu'elle fût conservée inébranlable pour l'éternité.

L'oeuvre de Moïse.

157 Voyons la première grande oeuvre qu'il accomplit. C'est lui qui, lorsque nos ancêtres eurent décidé, après avoir quitté l'Egypte, de retourner dans le pays de leurs aïeux, se chargea de toutes ces myriades d'hommes, les tira de mille difficultés et assura leur salut; car il leur fallait traverser le désert sans eau et de grandes étendues de sable, vaincre leurs ennemis et sauver, en combattant, leurs femmes, leurs enfants, et en même temps leur butin[71]. 158 Dans toutes ces

conjonctures il fut le meilleur des chefs, le plus avisé des conseillers et il administra toutes choses avec la plus grande conscience. Il disposa le peuple entier à dépendre de lui, et, le trouvant docile en toute chose, il ne profita point de cette situation pour son ambition personnelle ; 159 mais dans les circonstances précisément où les chefs s'emparent de l'empire absolu et de la tyrannie, et habituent les peuples à vivre sans lois, Moïse, élevé à ce degré de puissance, estima au contraire qu'il devait vivre pieusement et assurer au peuple les meilleures lois, dans la pensée que c'était le moyen le meilleur de

 

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montrer sa propre vertu, et le plus sûr de sauver ceux qui l'avaient choisi pour cher. 160 Comme ses desseins étaient nobles et que le succès couronnait ses grandes actions, il pensa avec vraisemblance que Dieu le guidait et le conseillait. Après s'être persuadé le premier que la volonté divine inspirait tous ses actes et toutes ses pensées[72],

il crut qu'il fallait avant tout faire partager cette opinion au peuple; car ceux qui ont adopté cette croyance, que Dieu surveille leur vie, ne se permettent aucun péché[73]. 161 Tel fut notre législateur. Ce n'est

pas un sorcier ni un imposteur, comme nos insulteurs le disent injustement[74] ; mais il ressemble à ce Minos tant vanté par les

Grecs, et aux autres législateurs qui le suivirent. 162 Car les uns[75]

attribuent leurs lois à Zeus, les autres les ont fait remonter à Apollon et à son oracle de Delphes, soit qu'ils crussent cette histoire exacte, soit qu'ils espérassent ainsi se faire obéir plus facilement. 163 Mais qui institua les meilleures lois et qui trouva les prescriptions les plus justes sur la religion, on peut le savoir par la comparaison des lois elles-mêmes et voici le moment d'en parler.

164 Infinies sont les différences particulières des moeurs et des lois entre les hommes; mais on peut les résumer ainsi : les uns ont confié à des monarchies, d'autres à des oligarchies, d'autres encore au peuple le pouvoir politique[76]. 165 Notre législateur n'a arrêté ses regards

sur aucun de ces gouvernements ; il a - si l'on peut faire cette violence à la langue - institué le gouvernement théocratique[77],

plaçant en Dieu le pouvoir et la force. 166 Il a persuadé à tous de tourner les yeux vers celui-ci comme vers la cause de tous les biens que possèdent tous les hommes en commun, et de tous ceux que les Juifs eux-mêmes ont obtenus par leurs prières dans les moments critiques. Rien ne peut échapper à sa connaissance, ni aucune de nos actions, ni aucune de nos pensées intimes. 167 Quant à Dieu lui-même, Moïse montra qu'il est unique, incréé, éternellement immuable, plus beau que toute forme mortelle, connaissable pour nous par sa puissance, mais inconnaissable en son essence. 168 Que cette conception de Dieu ait été celle des plus sages parmi les Grecs, qui s'inspirèrent des enseignements donnés pour la première fois par Moïse[78], je n'en dis rien pour le moment; mais ils ont formellement

attesté qu'elle est belle et convient à la nature comme à la grandeur divine; car Pythagore, Anaxagore, Platon, les philosophes du Portique qui vinrent ensuite, tous, peu s’en faut, ont manifestement eu cette conception de la nature divine[79]. 169 Mais tandis que leur

philosophie s'adressa à un petit nombre et qu'ils n'osèrent pas

 

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apporter parmi le peuple, enchaîné à d'anciennes opinions, la vérité de leur croyance, notre législateur, en conformant ses actes à ses discours[80], ne persuada pas seulement ses contemporains, mais il

mit encore dans l'esprit des générations successives qui devaient descendre d'eux une foi en Dieu innée et immuable. 170 C'est que, en outre, par le caractère de sa législation, tournée vers l'utile, il l'emporta toujours beaucoup sur tous les autres ; il ne fit point de la piété un élément de la vertu, mais de toutes les autres vertus, des éléments de la piété, je veux dire la justice, la tempérance, l'endurance, et la concorde des citoyens dans toutes les affaires[81].

171 Car toutes nos actions, nos préoccupations et nos discours se rattachent à notre piété envers Dieu. Moïse n'a donc rien omis d'examiner ou de fixer de tout cela. Toute instruction et toute éducation morale peuvent, en effet, se faire de deux manières : par des préceptes qu'on enseigne, ou par la pratique des moeurs. 172 Les autres législateurs ont différé d'opinion et, choisissant chacun celle des deux manières qui leur convenait, ont négligé l'autre[82]. Par

exemple, les Lacédémoniens[83] et les Crétois élevaient les citoyens

par la pratique, non par des préceptes. D'autre part, les Athéniens et presque tous les autres Grecs prescrivaient par les lois ce qu'il fallait faire ou éviter, mais ne se souciaient point d'en donner l'habitude par l'action.

XVII

Moïse a réuni le précepte et l'application.

173 Notre législateur, lui, a mis tous ses soins à concilier ces deux enseignements[84]. il n'a point laissé sans explication la pratique des

moeurs, ni souffert que le texte de la loi fût sans effet ; à commencer par la première éducation et la vie domestique de chacun, il n'a rien laissé, pas même le moindre détail à l'initiative et à la fantaisie des assujettis ; 174 même les mets dont il faut s'abstenir ou qu'on peut manger, les personnes qu'on peut admettre à partager notre vie, l'application au travail et inversement le repos il a lui-même délimité et réglé tout cela pour eux par sa loi, afin que, vivant sous elle comme soumis à un père et à un maître, nous ne péchions en rien ni volontairement ni par ignorance. 175 Car il n'a pas non plus laissé l'excuse de l'ignorance; il a proclamé la loi l'enseignement le plus beau et le plus nécessaire ; ce n'est pas une fois, ni deux ni plusieurs, qu'il faut l'entendre : mais il a ordonné que chaque semaine,

 

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abandonnant tous autres travaux, on se réunit pour écouter la loi et l'apprendre exactement par coeur[85]. C'est ce que tous les

législateurs semblent avoir négligé.

XVIII

Supériorité des Juifs, qui tous connaissent leur loi.

176 La plupart des hommes sont si loin de vivre suivant leurs lois nationales que, peu s'en faut, ils ne les connaissent même pas, et que c'est seulement après un délit qu'ils apprennent par d'autres qu'ils ont violé la loi. 177 Ceux qui remplissent chez eux les charges les plus hautes et les plus importantes avouent cette ignorance, puisqu'ils placent auprès d'eux, pour diriger l'administration des affaires, les hommes qui font profession de connaître les lois[86]. 178 Chez nous,

qu'on demande les lois au premier venu, il les dira toutes plus facilement que son propre nom. Ainsi, dès l'éveil de l'intelligence, l'étude approfondie des lois les grave pour ainsi dire dans nos âmes[87] ; rarement quelqu'un les transgresse, et aucune excuse ne

saurait conjurer le châtiment.

XIX

L'univers de croyance produit chez les Juifs la concorde.

179 Telle est avant tout la cause de notre admirable concorde. L'unité et l'identité de croyance religieuse, la similitude absolue de vie et de moeurs produisent un très bel accord dans les caractères des hommes.

180 Chez nous seuls, on n'entendra pas de propos contradictoires sur Dieu, - comme chez d'autres peuples en osent soutenir, non pas les premiers venus suivant la fantaisie qui les prend, mais des philosophes mêmes, les uns essayant par leurs discours de supprimer toute divinité, les autres privant Dieu de sa Providence sur les hommes ; - 181 on ne verra pas non plus de différence dans les occupations de notre vie: nous avons tous des travaux communs et une seule doctrine religieuse, conforme à la loi, d'après laquelle Dieu étend ses regards sur l'univers. Que toutes les autres occupations de la vie doivent avoir pour fin la piété, les femmes mêmes et les serviteurs vous le diraient.

 

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XX

Si les Juifs ne sont point inventeurs, c'est qu'ils respectent la tradition. 182 C'est l'origine du grief qu'on nous fait aussi[88], de n'avoir point

produit d'inventeurs dans les arts ni dans la pensée. En effet, les autres peuples trouvent honorable de n'être fidèles à aucune des coutumes de leurs pères; ils décernent à ceux qui les transgressent avec le plus d'audace un certificat de profonde sagesse. 183 Nous, au contraire, nous pensons que la seule sagesse et la seule vertu est de ne commettre absolument aucune action, de n'avoir aucune pensée contraire aux lois instituées à l'origine. Ce qui paraîtrait prouver que la loi a été très bien établie ; car lorsqu'il n'en est pas ainsi, les tentatives pour redresser les lois démontrent qu'elles en ont besoin.

XXI

Apologie de la constitution théocratique.

184 Mais pour nous, qui avons reçu cette conviction que la loi, dès l'origine, a été instituée suivant la volonté de Dieu, ce serait même une impiété que de ne pas l'observer encore. El en effet, que pourrait-on y changer ? Que trouver de plus beau ? ou qu'y apporter de l'étranger qu'on juge meilleur ? 185 Changera-t-on l'ensemble de la constitution ? Mais peut-il y en avoir de plus belle et de plus juste que celle qui attribue à Dieu le gouvernement de tout l'Etat, qui charge les prêtres d'administrer au nom de tous les affaires les plus importantes et confie au grand prêtre à son tour la direction des autres prêtres ? 186 Et ces hommes, ce n’est point la supériorité de la richesse ou d'autres avantages accidentels qui les a lait placer dès l'origine par le législateur dans cette charge honorable ; mais tous ceux qui, avec lui, l'emportaient sur les autres par l'éloquence et la sagesse, il les chargea de célébrer principalement le culte divin. 187 Or, ce culte, c'était aussi la surveillance rigoureuse de la loi et des autres occupations. En effet, les prêtres reçurent pour mission de surveiller tous les citoyens, de juger les contestations et de châtier les condamnés[89].

XXII

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

Dieu dans la conception juive.

188 Peut-il exister une magistrature plus sainte que celle-là ? Peut-on honorer Dieu d'une façon plus convenable qu'en préparant tout le peuple à la piété et en confiant aux prêtres des fonctions choisies, de sorte que toute l'administration de l'Etat soit réglée comme une cérémonie religieuse ? 189 Car les pratiques en usage, chez d'autres, un petit nombre de jours, et qu'ils ont peine à observer, les mystères et les cérémonies, comme ils les appellent, c'est avec plaisir, avec une décision immuable que nous les observons toute notre vie. 190 Quelles sont donc les prescriptions et les défenses de notre loi ? Elles sont simples et connues. En tête vient ce qui concerne Dieu : Dieu, parlait et bienheureux, gouverne l'univers ; il se suffit à lui-même et suffit à tous les êtres ; il est le commencement, le milieu et la fin de toutes choses[90] ; il se manifeste par ses oeuvres et ses bienfaits, et

rien n'est plus apparent ; mais sa forme et sa grandeur sont pour nous inexprimables. 191 Car toute matière, si précieuse soit-elle, est vile pour imiter son image, et tout art perd ses moyens s’il cherche à la rendre ; nous ne voyons, nous n'imaginons aucun être semblable et il est impie de le représenter[91]. 192 Nous contemplons ses oeuvres, la

lumière[92], le ciel, la terre, le soleil et la lune, les fleuves et la mer,

les animaux qui s'engendrent, les fruits qui croissent. Ces oeuvres, Dieu les a créées, non de ses mains, non par des efforts pénibles, et sans même avoir eu besoin de collaborateurs[93] ; mais il les voulut,

et aussitôt elles furent comme il les avait voulues[94]. C'est lui que

tous doivent suivre et servir en pratiquant la vertu ; car c'est la manière la plus sainte de servir Dieu.

XXIII

Le culte.

193 Il n'y a qu'un temple pour le Dieu un - car toujours le semblable aime le semblable[95] - commun à tous, comme Dieu est commun à tous. Les prêtres passeront tout leur temps à le servir, et à leur tête sera toujours le premier par la naissance. 194 Avec ses collègues, il fera des sacrifices à Dieu, conservera les lois, jugera les contestations, châtiera les condamnés. Si quelqu'un lui désobéit, il sera puni comme d'une impiété à l'égard de Dieu même. 195 Nos sacrifices n’ont pas pour but de nous enivrer – car Dieu déteste ces

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

pratiques – mais de nous rendre sages. 196 Dans les sacrifices, nous devons prier d’abord pour le salut commun, ensuite pour nous-même. Car nous sommes nés pour la communauté, et celui qui la préfère à son propre intérêt sera le plus agréable à Dieu. 197 On doit demander à Dieu non qu’il nous donne les biens – car il nous les a donnés lui-même spontanément et les a mis à la disposition de tous – mais que nous puissions les recevoir et les conserver après les avoir reçus[96].

198 Des purifications en vue des sacrifices sont ordonnées par la loi après un enterrement, un accouchement, après les rapports sexuels et dans bien d’autres cas.

XXIV

Prescriptions relatives aux mariages.

199 Quelles sont maintenant les prescriptions relatives au mariage ? La loi ne connaît qu’une seule union, l’union naturelle de la femme, et seulement si elle doit avoir pour but de procréer[97]. Elle a en horreur l’union entre mâles et punit de mort ceux qui l’entreprennent[98]. 200 Elle ordonne de se marier sans se préoccuper

de la dot, sans enlever la femme de force, et, d’autre part, sans la décider par la ruse ou la tromperie ; il faut demander sa main à celui qui est maître de l’accorder et qui est qualifié par sa parenté[99]. 201

La femme, dit la loi, est inférieure à l’homme en toutes choses[100].

Aussi doit-elle obéir non pour s’humilier, mais pour être dirigée, car c’est à l’homme que Dieu a donné la puissance. Le mari ne doit s’unir qu’à sa femme ; essayer de corrompre la femme d’autrui est un péché. Si on le commettait on serait puni de mort sans excuse, soit qu’on violentât une jeune fille déjà fiancée à un autre, soit qu’on séduisît une femme mariée[101]. 202 La loi a ordonné de nourrir tous

ses enfants et défendu aux femmes de se faire avorter ou de détruire par un autre moyen la semence vitale ; car ce serait un infanticide de supprimer une âme et d’amoindrir la race[102]. C’est pourquoi également, si l’on ose avoir commerce avec une accouchée, on ne peut être pur[103]. 203 Même après les rapports légitimes du mari et

de la femme la loi ordonne des ablutions[104]. Elle a supposé que l’âme contracte par là une souillure étant passée en autre endroit ; car l’âme souffre par le fait d’être logée par la nature dans le corps et aussi quand elle en est séparée par la mort[105]. Voilà pourquoi la loi a prescrit des purifications pour tous les cas de ce genre.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

XXV

L’éducation des enfants.

204 La loi n’a pas prescrit, à l’occasion de la naissance des enfants, d’organiser des festins et d’en faire un prétexte à s’enivrer[106]. Mais

elle veut que la sagesse préside à leur éducation dès le début ; elle ordonne de leur apprendre à lire, elle veut qu’ils vivent dans le commerce des lois et sachent les actions de leurs aïeux, afin qu’ils imitent celles-ci et que, nourris dans le culte de celles-là, ils ne les transgressent pas et n’aient pas point de prétexte à les ignorer[107].

XXVI

Les devoirs aux morts.

205 Elle a prévu aussi les devoirs à rendre aux morts, sans le luxe des enterrements ni les édifices funéraires qui attirent les yeux[108] ;

mais elle commet aux soins des funérailles les parents les plus proches, et tous ceux qui passent devant un convoi funéraire doivent[109] se joindre à la famille et pleurer avec elle ; l’on doit

purifier la maison et ses habitants après la cérémonie[110] [afin que l’auteur d’un meurtre soit très loin de sembler pur[111].]

XXVII

Autres prescriptions morales.

206 Le respect des parents vient au second rang, après le respect de Dieu[112], dans les prescriptions de la loi ; et si on ne répond pas à

leurs bienfaits, si l’on manque le moins du monde, elle livre le coupable à la lapidation[113]. Elle veut que tout vieillard soit respecté par des jeunes gens[114], car Dieu est la vieillesse

suprême[115]. 207 Elle défend de rien cacher à ses amis, car elle

n’admet point d’amitié sans confiance absolue[116]. Même si l’inimitié survient, il est défendu de dévoiler les secrets[117]. Si un

juge reçoit des présents, il est puni de mort[118]. L’indifférence

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

envers un suppliant qu’on pourrait secourir engage la responsabilité[119]. 208 On ne peut se saisir d’un objet qu’on n’a pas

mis en dépôt[120]. On ne s’emparera d’aucun objet appartenant à

autrui[121]. Le prêteur ne prendra pas d’intérêt[122]. Ces prescription et beaucoup d’autres analogues maintiennent les rapports qui nous unissent.

XXVIII

Prescriptions relatives aux étrangers.

209 Le souci qu’a eu le législateur de l’équité envers les étrangers mérite aussi d'être observé : on verra qu'il a pris les mesures Les plus efficaces pour nous empêcher à la fois de corrompre nos coutumes nationales et de repousser ceux qui désirent y participer.

210 Quiconque veut venir vivre chez nous sous les mêmes lois, le législateur l'accueille avec bienveillance, car il pense que ce n'est pas la race seule, mais aussi leur morale qui rapprochent les hommes[123]. Mais il ne nous a pas permis de mêler à notre vie

intime ceux qui viennent citez nous en passant[124].

XXIX

Humanité de la loi.

211 Ses autres prescriptions doivent être exposées: fournir à tous ceux qui le demandent du feu, de l'eau, des aliments ; indiquer le chemin[125] ; ne pas laisser un corps sans sépulture[126] ; être

équitable même envers les ennemis déclarés ; 212 car il défend de ravager leur pays par l'incendie[127], il ne permet pas de couper les

arbres cultivés[128], et même il interdit de dépouiller les soldats tombés dans le combat[129] ; il a pris des dispositions pour soustraire les prisonniers de guerre à la violence, et surtout les femmes[130]. 213

Il nous a si bien enseigné la douceur et l'humanité qu'il n'a pas même négligé les bêtes privées de raison ; il n'en a autorisé l'usage que conformément à la loi et l'a interdit dans tout autre cas[131]. Les

animaux qui se réfugient dans les maisons comme des suppliants ne doivent pas être tués[132]. Il ne permet pas non plus de faire périr en

même temps les parents avec leurs petits[133], et il ordonne

 

Zone de Texte: 220 S'il ne s'était trouvé que notre peuple fût connu de tous les hommes, que notre obéissance volontaire aux lois fût visible, 221 et siFlavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

d'épargner même en pays ennemi les animaux de labour et de ne pas les tuer[134]. 214 Il s'est ainsi préoccupé en toutes choses de la

modération, usant, pour l'enseigner, des lois citées plus haut, établissant d'autre part contre ceux qui les transgressent des lois pénales qui n'admettent pas d'excuse.

XXX

Châtiments et récompenses.

215 Dans la plupart des cas où l'on transgresse la loi, la peine est la mort: si l'on commet un adultère[135] ; si l'on viole une jeune

fille[136] ; si l'on ose entreprendre un mâle[137] ou si celui-ci

supporte pareil outrage. S'il s'agit d'esclaves (?) la loi est également inflexible[138]. 216 De plus les délits sur les mesures et les poids, la

vente malhonnête et dolosive, le vol, la soustraction d'un objet qu'on n'avait pas remis en dépôt, toutes ces fautes sont punies de châtiments non pas semblables à ceux des autres législations, mais plus sévères[139]. 217 Les outrages aux parents et l'impiété, même à l'état

de tentative, sont immédiatement punis de mort[140]. 218 Cependant

ceux dont tous les actes sont conformes aux lois ne reçoivent point en récompense de l'argent ni de l'or, ni même une couronne d'olivier ou d'ache, ou quelque distinction de ce genre proclamée par le héraut : mais chacun, d'après le témoignage de sa propre conscience, s'est fait la conviction que, suivant la prophétie du législateur, suivant la promesse certaine de Dieu, ceux qui ont observé exactement les lois, et qui, s'il fallait mourir pour elles, sont morts de bon coeur, reçoivent de Dieu une nouvelle existence et une vie meilleure[141] dans la

révolution des âges. 219 J'hésiterais à écrire ces choses si tout le monde ne pouvait voir par les faits que souvent beaucoup d'entre nous ont mieux aimé endurer vaillamment les pires traitements que de prononcer une seule parole contraire à la loi.

XXXI

Admirable attachement des Juifs à leurs lois.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

un auteur, ayant composé lui-même une histoire, en donnait lecture aux Grecs, ou leur disait avoir rencontré quelque part, en dehors du monde connu, des hommes qui se font de Dieu une idée si sainte et, pendant de longs siècles, sont restés fidèlement attachés à de telles lois, ce serait, je pense, un étonnement général de leur part à cause de leurs continuels changements[142]. 222 Certainement nous voyons

ceux qui ont tenté de rédiger une constitution et des lois analogues, accusés par les Grecs d'avoir imaginé un Etat chimérique, fondé, d'après eux, sur des bases impossibles. Je laisse de côté les autres philosophes qui se sont occupés de questions semblables dans leurs ouvrages. 223 Mais Platon, admiré en Grèce pour avoir excellé par la dignité de sa vie et pour avoir surpassé tous les autres philosophes par la puissance de son talent et par son éloquence persuasive, Platon ne cesse cependant d'être bafoué et tourné en ridicule[143], ou peu s'en

faut, par ceux qui se donnent pour de grands politiques. 224 Cependant si l'on examinait attentivement ses lois, on trouverait qu'elles sont plus faciles que les nôtres et qu'elles se rapprochent davantage des coutumes du plus grand nombre. Platon lui-même avoue qu'il serait imprudent d'introduire la vérité sur Dieu parmi les foules déraisonnables[144]. 225 Mais les oeuvres de Platon sont, dans

la pensée de quelques-uns, des discours vides, des fantaisies brillantes, et le législateur qu'ils admirent le plus est Lycurgue ; tout le monde entonne les louanges de Sparte parce qu'elle est pendant très longtemps restée attachée aux règles de ce législateur. 226 Qu'on l'avoue donc : l'obéissance aux lois est une preuve de vertu ; mais que les admirateurs des Lacédémoniens comparent la durée de ce peuple[145] aux deux mille ans[146] et plus qu'a duré notre

constitution. 227 En outre, qu'ils réfléchissent à ceci: les Lacédémoniens, tant que, maîtres d'eux-mêmes, ils conservèrent la liberté, jugèrent bon d'observer exactement leurs lois, mais lorsque les revers de la fortune les atteignirent, ils les oublièrent toutes ou peu s'en faut. 228 Nous, au contraire, en proie à mille calamités par suite des changements des princes qui régnèrent en Asie, même dans les périls extrêmes nous n'avons pas trahi nos lois ; et ce n'est point par paresse ou par mollesse que nous leur faisons honneur ; mais, si l'on veut y regarder, elles nous imposent des épreuves et des travaux bien plus pénibles que la prétendue fermeté prescrite aux Lacédémoniens. 229 Ceux-ci ne cultivaient point la terre, ne se fatiguaient pas dans des métiers[147], mais, libres de tout travail, brillants de santé, exerçant

leur corps en vue de la beauté, ils passaient leur existence dans la ville, 230 se faisaient servir par d'autres pour tous les besoins de la vie, et recevaient d'eux leur nourriture toute prête, résolus à tout faire

 

Zone de Texte: 236 Après cela, les Lysimaque, les Molon et autres écrivains du même genre, méprisables sophistes qui trompent la jeunesse, nousFlavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

et à tout supporter pour obtenir ce seul résultat - bien beau et bien humain -, d'être plus forts que tous ceux contre qui ils partiraient en guerre. 231 Et ils n'y réussirent même pas, pour le dire en passant ; car, ce n'est pas seulement un citoyen isolé, mais un grand nombre ensemble qui souvent, au mépris des prescriptions de la loi, se sont rendus avec leurs armes aux ennemis[148].

XXXII

Leur grandeur d'âme.

232 Est-ce que chez nous aussi on a connu, je ne dis pas autant d'hommes, mais deux ou trois seulement, qui aient trahi les lois ou redouté la mort ? je ne parle pas de la mort la plus facile qui arrive dans les combats, mais de la mort accompagnée de la torture du corps, qui semble être la plus affreuse de toutes. 233 C'est au point que, selon moi, quelques-uns de nos vainqueurs nous maltraitaient, non par haine pour des gens à leur discrétion, mais afin de contempler l'étonnant spectacle d'hommes pour qui l'unique malheur est d'être contraints de commettre une action ou seulement de prononcer une parole contraire à leurs lois. 234 Il ne faut pas s'étonner si nous envisageons la mort pour les lois avec un courage qui dépasse celui de tous les autres peuples. En effet, celles même de nos coutumes qui semblent les plus faciles sont difficilement supportées par d'autres; je veux dire le travail personnel, la frugalité de la nourriture, la contrainte de ne pas abandonner au hasard ou à son caprice particulier le manger et le boire, ni les rapports sexuels, ni la dépense ; d'autre part, l'observation du repos immuablement fixé. 235 Les hommes qui marchent au combat l'épée à la main et mettent en fuite les ennemis au premier choc, n'ont pu regarder en face les prescriptions qui règlent la manière de vivre. Nous au contraire, à nous soumettre avec plaisir aux lois qui la concernent, nous gagnons de montrer, dans le combat aussi, notre valeur.

XXXIII

Critique de la religion grecque.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

représentent injurieusement comme les plus vils de tous les hommes. 237 Je ne voudrais pas examiner les lois des autres peuples ; il est de tradition chez nous d'observer nos propres lois et non de critiquer celles des étrangers ; même la raillerie et le blasphème à l'égard des dieux reçus chez les autres nous ont été formellement interdits par le législateur, à cause du nom même de Dieu[149]. 238 Mais comme nos

accusateurs croient nous confondre par la comparaison, il n'est pas possible de garder le silence, d'autant plus que le raisonnement par lequel je vais répondre n'a pas été imaginé par moi pour la circonstance, mais a été exposé par des auteurs nombreux et très

estimés. 239 Quel est en effet parmi les auteurs admirés en Grèce pour leur sagesse celui qui n'a point blâmé les plus illustres des poètes et les législateurs les plus autorisés d'avoir semé dès l'origine parmi la foule de telles idées sur les dieux ? 240 Ils en grossissent le nombre à leur volonté, les font naître les uns des autres et s'engendrer de diverses façons. Ils les distinguent par leur résidence et leur manière de vivre, comme les espèces animales, ceux-ci sous terre, ceux-là dans la mer, les plus âgés prisonniers dans le Tartare[150]. 241 Tous

ceux à qui ils ont donné le ciel en partage sont soumis par eux à un prétendu père, qui est en réalité un tyran et un maître ; aussi voit-on, d'après leurs imaginations, conspirer contre lui son épouse, son frère et sa fille, qu'il engendra par la tête, pour le saisir et l'emprisonner[151], comme lui-même fit son propre père.

XXXIV

Grossièreté des dieux grecs.

242 C'est à juste titre que les esprits les plus distingués ne ménagent point leurs critiques à ces histoires ; et ils trouvent ridicule aussi d'être obligé de croire que parmi les dieux ceux-ci sont des jouvenceaux imberbes, ceux-là des vieillards barbus; que les uns sont préposés aux arts, que celui-ci travaille le fer[152], que celle-là tisse

la toile[153], qu'un troisième fait la guerre et se bat avec les hommes[154], que d'autres encore jouent de la cithare[155] ou se plaisent à lancer des flèches[156] ; 243 puis d'admettre qu'ils se

révoltent les uns contre les autres, et se querellent au sujet des hommes au point non seulement d'en venir aux mains entre eux, mais encore de se lamenter, et de souffrir, blessés par les mortels. 244 Et, pour comble de grossièreté, n'est-il pas inconvenant d'attribuer des

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

unions et des amours sans frein presque à tous les dieux des deux sexes ? 245 Ensuite, le plus noble d'entre eux et le premier, le père lui-même, après avoir séduit des femmes par la ruse et les avoir rendues mères, les voit, d'un oeil tranquille, emprisonner ou noyer ; et les enfants issus de lui, il ne peut ni les sauver, soumis qu'il est au destin, ni supporter leur mort sans pleurer. 246 Voilà de belles choses ; d'autres qui suivent ne le sont pas moins, comme l'adultère auquel les dieux assistent au ciel avec tant d'impudence que quelques-uns avouent même qu'ils envient le couple ainsi uni ; que ne devaient-ils pas se permettre quand le plus vieux, le roi, n'a pas même pu refréner son désir de posséder sa femme, ne fût-ce que le temps de gagner sa chambre à coucher[157] ? 247 Et les dieux en esclavage chez les

hommes, et salariés tantôt pour bâtir, tantôt pour paître les

troupeaux ; d'autres enchaînés dans une prison d'airain à la manière des criminels[158] ! Est-il un homme sensé qui ne soit excité par ces

contes à blâmer ceux qui les ont imaginés et à condamner la grande sottise de ceux qui les admettent ? 248 D'autres divinisent la crainte et la terreur, la rage et la fourberie; quelle est celle des pires passions qu'ils n'aient représentée avec la nature et sous la forme d'un dieu ? Ils ont même persuadé aux cités de faire des sacrifices aux plus favorables d'entre elles. 249 Aussi ils sont mis dans la nécessité absolue de croire que certains dieux accordent les biens, et de donner aux autres le nom de « dieux qui détournent les maux »[159]. Alors,

ils s'efforcent de les fléchir comme les plus méchants des hommes par des bienfaits et des présents, et s'attendraient à subir de leur part un grand mal s'ils ne les payaient pas.

Cela vient de ce que les Grecs n'ont pas à l'origine légiféré sur la religion.

250 Quelle est donc la cause d'une telle anomalie et d'une telle inconvenance à l'égard de la divinité ? Elle vient, je crois, de ce que leurs législateurs n'ont pas eu conscience à l'origine de la véritable nature de Dieu, et que, même dans la mesure où ils ont pu la saisir, ils n'ont pas su la définir exactement pour y conformer le reste de leur organisation politique ; 251 comme si c'était un détail des plus négligeables, ils ont permis aux poètes de présenter les dieux qu'ils voudraient, soumis à toutes les passions, et aux orateurs de donner le droit de cité par un décret à celui des dieux étrangers qui serait utile.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

252 Les peintres aussi et les sculpteurs jouirent à cet égard d'une grande liberté chez les Grecs, chacun tirant de sa propre imagination une forme, que l'un modelait dans la glaise et que l'autre dessinait. Les artistes les plus admirés se servent de l'ivoire et de l'or, qui fournissent matière à des inventions toujours nouvelles. 253 Et puis certains dieux, après avoir connu les honneurs dans la maturité, ont vieilli pour me servir d'un euphémisme ; 254 d'autres nouvellement introduits, obtiennent l'adoration[160]. Certains temples sont désertés

et de nouveaux s'élèvent, les hommes bâtissant chacun suivant son caprice, alors qu'ils devraient au contraire conserver immuable leur croyance en Dieu et le culte qu'ils lui rendent.

Analogies entre les lois de Platon et celles des Juifs.

255 Apollonius Molon était parmi les esprits insensés et aveugles ; mais ceux des philosophes grecs qui ont parlé selon la vérité, ont bien vu tout ce que je viens de dire, et ils n'ont point ignoré les froids prétextes des allégories[161]. C'est pourquoi ils les méprisèrent

justement, et leur conception de Dieu, vraie et convenable, fut conforme à la nôtre. 256 En partant de cette croyance, Platon[162]

déclare qu'il ne faut recevoir dans la République aucun poète, et il en exclut Homère en termes bienveillants après l'avoir couronné, et aspergé de parfum, pour l'empêcher d'obscurcir par ses fables la vraie conception de Dieu. 257 Mais Platon suit surtout l'exemple de notre législateur[163] en ce que sa prescription la plus impérieuse pour

l'éducation des citoyens est l'étude exacte et approfondie de la loi, obligatoire pour tous ; par les mesures aussi qu'il a prises pour empêcher que des étrangers ne se mêlassent au hasard à la nation et pour conserver dans sa pureté l'Etat, composé de citoyens fidèles aux lois[164]. 258 Sans avoir réfléchi à aucun de ces faits, Apollonios

Melon nous a fait un crime de ne point recevoir parmi nous les hommes qui se sont laissé assujettir auparavant par d'autres croyances religieuses, et de ne point vouloir de société avec ceux qui préfèrent d'autres habitudes de vie[165]. 259 Mais cette pratique non plus ne

nous est pas particulière ; elle est commune à tous les peuples, et non seulement à des Grecs mais aux plus estimés d'entre les Grecs. Les Lacédémoniens, non contents d'expulser couramment des étrangers, n'autorisaient pas leurs concitoyens à voyager au dehors, craignant dans les deux cas la ruine de leurs lois. 260 Peut-être aurait-on droit

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

de leur reprocher leur manque de sociabilité, car ils n’accordaient à

personne le droit de cité ni celui de séjourner parmi eux. 261 Nous, au contraire, si nous ne croyons pas devoir imiter les coutumes des autres, du moins nous accueillons avec plaisir ceux qui veulent participer aux nôtres. Et c'est là, je pense, une preuve à la fois d'humanité et de magnanimité.

XXXVII

Les Athéniens aussi punissaient sévèrement l'impiété. De même les Scythes et les Perses.

262 Je n'insiste pas sur les Lacédémoniens. Mais les Athéniens, qui ont cru que leur cité était commune à tous, quelle était sur ce point leur conduite ? Apollonios ne l'a pas su, ni qu'un seul mot prononcé au sujet des dieux en violation de leurs lois était inexorablement puni.

263 En effet, pour quelle autre raison Socrate est-il mort ? Il n'avait point livré sa patrie aux ennemis, il n'avait pillé aucun temple ; mais parce qu'il jurait suivant de nouvelles formules, et disait, par Zeus[166], à ce qu'on raconte, en manière de plaisanterie, qu'un

démon se manifestait à lui, il fut condamné à mourir en buvant la ciguë. 264 En outre, son accusateur lui reprochait de corrompre les jeunes gens, parce qu'il les poussait à mépriser la constitution et les lois de leur patrie. Donc Socrate, un citoyen d'Athènes, subit un tel châtiment. 265 Anaxagore, lui, était de Clazomènes ; cependant, parce que les Athéniens prenaient le soleil pour un dieu, tandis qu'il en faisait une masse de métal[167] incandescente, il s'en fallut de peu de

suffrages qu'il ne fût par eux condamné à mort. 266 Ils promirent publiquement un talent pour la tête de Diagoras de Mélos, parce qu'il passait pour railler leurs mystères. Protagoras, s'il n'avait promptement pris la fuite, aurait été arrêté et mis à mort parce que, dans un ouvrage, il avait paru contredire les sentiments des Athéniens sur les dieux. 267 Faut-il s'étonner qu'ils aient eu cette attitude à l'égard d'hommes aussi dignes de foi, quand ils n'ont pas même épargné les femmes? En effet, ils mirent à mort la prêtresse Ninos[168] parce qu'on l'avait accusée d'initier au culte de dieux

étrangers ; or la loi chez eux l'interdisait, et la peine édictée contre ceux qui introduisaient un dieu étranger était la mort. 268 Ceux qui avaient une telle loi ne pensaient évidemment pas que les dieux des autres fussent dieux ; car ils ne se seraient point privés d'en admettre un plus grand nombre pour en tirer profit.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

269 Voilà pour les Athéniens. Mais les Scythes eux-mêmes, qui se complaisent dans le meurtre des hommes et qui ne sont pas très supérieurs aux bêtes, croient cependant devoir protéger leurs coutumes; et leur compatriote, dont les Grecs admiraient la sagesse, Anarcharsis, fut mis à mort par eux à son retour[169], parce qu'il leur

paraissait revenir infecté des coutumes grecques. 270 Chez les Perses on trouverait aussi de nombreux personnages châtiés pour la même raison. Cependant Apollonios aimait les lois des Perses et les admirait, apparemment parce que la Grèce a bénéficié de leur courage et de la concordance de leurs idées religieuses avec les siennes, de celle-ci quand ils réduisirent les temples en cendres, de leur courage quand elle faillit subir leur joug ; il imita même les coutumes perses, outrageant les femmes d'autrui et mutilant des enfants[170]. 271 Chez nous la mort est la peine édictée contre qui

maltraite ainsi même un animal privé de raison[171]. Et rien n'a été

assez fort pour nous détourner de ces lois, ni la crainte de nos maîtres, ni l'attrait des usages honorés chez les autres peuples. 272 Nous n’avons pas non plus exercé notre courage à entreprendre des guerres par ambition, mais à conserver nos lois. Nous supportons patiemment d'être amoindris de toute autre façon, mais quand on vient à nous contraindre de changer nos lois, alors, même sans être en force, nous entreprenons des guerres, et nous tenons contre les revers jusqu'à la dernière extrémité. 273 Pourquoi, en effet, envierions-nous à d'autres leurs lois, quand nous voyons leurs auteurs mêmes ne point les observer ? En effet, comment les Lacédémoniens n'auraient-ils pas condamné leur constitution insociable et leur mépris du mariage[172], les Éléens et les Thébains la liberté sans frein des

rapports contre nature entre mâles[173] ? 274 Ces pratiques, en tout

cas, que jadis ils croyaient très honorables et utiles, si en fait ils ne les ont pas absolument abandonnées, ils ne les avouent plus, 275 et même ils répudient les lois relatives à ces unions, qui chez les Grecs furent jadis tellement en vigueur, qu'ils mettaient sous le patronage des dieux les rapports avec des mâles[174] et, suivant le même principe,

les mariages entre frères et soeurs[175], imaginant cette excuse aux

plaisirs anormaux et contraires à la nature, auxquels ils s'adonnaient eux-mêmes[176].

XXXVIII

Mais les autres peuples trouvent des moyens de violer la loi.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

276 Je laisse de côté pour le moment les pénalités : toutes les échappatoires que dès l'origine la plupart des législateurs offrirent aux coupables, édictant contre l'adultère l'amende, et contre le séducteur le mariage ; dans les affaires d'impiété aussi tous les prétextes qu'ils fournissent de nier au cas où l'on entreprendrait une enquête. En effet, chez la plupart tourner les lois est devenu une véritable étude. 277 Il n'en est pas ainsi chez nous; qu'on nous dépouille même de nos richesses, de nos villes, de nos autres biens, notre loi du moins demeure immortelle. Et il n'est pas un Juif, si éloigné de sa patrie, si terrorisé par un maître sévère, qu'il ne craigne la loi plus que lui. 278 Si donc c'est grâce à la vertu de nos lois que nous leur sommes tellement attachés, qu'on nous accorde qu'elles sont excellentes. Et si l'on estime mauvaises des lois auxquelles nous sommes à ce point fidèles, quel châtiment ne mériteraient pas ceux qui en transgressent de meilleures ?

XXXIX

La loi juive a subi l'épreuve du temps et a été adoptée par plusieurs peuples.

279 Or donc, puisqu'une longue durée passe pour l'épreuve la plus sûre de toute chose, je pourrais la prendre à témoin de la vertu de notre législateur et de la révélation qu'il nous a transmise de Dieu. 280 Car un temps infini s'étant écoulé depuis, si l'on compare l'époque où il vécut à celle des autres législateurs, on trouvera que pendant tout ce temps les lois ont été approuvées par nous et se sont attiré de plus en plus la faveur de tous les autres hommes. 281 Les premiers, les philosophes grecs, s'ils conservèrent en apparence les lois de leur patrie, suivirent Moïse dans leurs écrits et dans leur philosophie, se faisant de Dieu la même idée que lui[177], et enseignant la vie simple

et la communauté entre les hommes. 282 Cependant la multitude aussi est depuis longtemps prise d'un grand zèle pour nos pratiques pieuses, et il n'est pas une cité grecque ni un seul peuple barbare, où ne se soit répandue notre coutume du repos hebdomadaire, et où les jeûnes, l'allumage des lampes, et beaucoup de nos lois relatives à la nourriture ne soient observés[178]. 283 Ils s'efforcent aussi d'imiter et

notre concorde et notre libéralité et notre ardeur au travail dans les métiers et notre constance dans les tortures subies pour les lois. 284 Car ce qui est le plus étonnant, c'est que, sans le charme ni l'attrait au

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

plaisir, la loi a trouvé sa force en elle-même, et, de même que Dieu s'est répandu dans le monde entier, de même la loi a cheminé parmi tous les hommes. Que chacun examine lui-même sa patrie et sa famille, il ne mettra point en doute mes paroles. 285 Il faut donc ou bien que nos détracteurs accusent tous les hommes de perversité volontaire pour avoir désiré suivre des lois étrangères et mauvaises plutôt que leurs lois nationales et bonnes, ou qu'ils cessent de nous dénigrer. 286 Car nous n'élevons pas une prétention critiquable en honorant notre propre législateur et en croyant à sa doctrine prophétique au sujet de Dieu ; en effet, si même nous ne comprenions pas par nous-mêmes la vertu de nos lois, de toute façon le nombre des hommes qui les suivent nous eût portés à en concevoir une haute idée.

XL

Résumé de ce traité.

287 Au reste j'ai rapporté en détail les lois et la constitution des Juifs dans mes écrits sur les Antiquités[179] ; ici j'en ai fait mention dans

la mesure où c'était nécessaire, non pour blâmer les moeurs des autres ni pour exalter les nôtres, mais pour prouver que les écrivains injustes à notre égard ont attaqué avec impudence la vérité elle-même. 288 Je pense avoir suffisamment rempli dans cet ouvrage ma promesse du début. J'ai montré en effet que notre race remonte à une haute antiquité, tandis que nos accusateurs la disent très récente. J'ai produit d'antiques témoins en grand nombre, qui nous mentionnent dans leurs histoires, tandis qu’à croire leurs affirmations il n'en existe aucun. 289 Ils prétendaient que nos aïeux étaient Égyptiens ; j'ai montré qu’ils étaient venus en Égypte d'un autre pays. Ils ont affirmé faussement que les Juifs en avaient été chassés à cause de l'impureté de leur corps ; j' ai montré qu'ils étaient retournés dans leur patrie parce qu'ils le voulaient, et qu'ils étaient les plus forts. 290 Ils ont vilipendé notre législateur en le représentant comme très méprisable ; mais pour témoin de sa valeur il a trouvé Dieu autrefois et, après Dieu, le temps.

XLI

Conclusion.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

291 Sur les lois je n'avais pas besoin de m'étendre davantage: elles ont montré par elles-mêmes qu'elles enseignent, non l'impiété, mais la piété la plus vraie ; qu'elles invitent non à la haine des hommes, mais à la mise en commun des biens; qu'elles s'élèvent contre l'injustice, se préoccupent de l'équité, bannissent la paresse et le luxe, enseignent la modération et le travail ; 292 qu'elles repoussent les guerres de conquêtes, mais préparent les hommes à les défendre elles-mêmes vaillamment, inflexibles dans le châtiment, insensibles aux sophismes des discours apprêtés, s'appuyant toujours sur des actes ; car ce sont là nos arguments, plus clairs que les écrits. 293 Aussi oserai-je dire que nous avons initié les autres peuples à de très nombreuses et aussi à de très belles idées. Quoi de plus beau que la piété inviolable ? de plus juste que d'obéir aux lois ? 294 Quoi de plus utile que de s'accorder entre concitoyens, de ne point se désunir dans le malheur, et dans la prospérité de ne point provoquer de dissensions par excès d'orgueil ; dans la guerre de méprisez la mort, dans la paix de s'appliquer aux arts et à l'agriculture, et de croire que Dieu étend sur tout et partout son regard et son autorité ? 295 Si ces préceptes avaient été antérieurement écrits chez d'autres hommes, ou s'ils avaient été observés avec plus de constance, nous devrions à ces hommes une reconnaissance de disciples; mais si l'on voit que personne ne les suit mieux que nous, et si nous avons montré que la création de ces lois nous appartient, alors, que les Apion, les Molon et tous ceux dont le plaisir est de mentir et d’injurier soient confondus. 296 A toi, Épaphrodite, qui aimes avant tout la vérité, et par ton entremise à ceux qui voudront également être fixés sur notre origine, je dédie ce livre et le précédent.

[1] Apion, qui florissait sous Tibère, Caligula et Claude, avait écrit de

nombreux ouvrages d'érudition, notamment sur Homère, et une histoire d'Egypte en 5 livres. L'étendue de son savoir, mais aussi de son charlatanisme, est attestée par de nombreux témoignages. Il joua un rôle actif dans l'agitation antijuive d'Alexandrie sous Caligula. Ses attaques contre les Juifs se trouvaient en partie dans son Histoire d'Egypte (infra § 10), en partie, semble-t-il, dans un écrit spécial (§ 6­7).

 

[2] Nous avons déjà vu ce détail dans Manéthôs, supra, I, § 238.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. Apion, dans son ignorance, confond les synagogues occidentales

(proseuxaÛ) ou peut-être le temple d'Onias avec le temple de Jérusalem. En Occident on priait vers l'Orient, c'est-à-dire dans la direction de Jérusalem ; à Jérusalem même, cette direction, qui est celle du soleil levant, était prohibée par les docteurs, pour éviter toute confusion avec les païens (Soukka, 51 b ; Baba Batra, 25 a) ; dans le Temple, le Saint des Saints était à l'Ouest.

  1. Il y a là peut-être quelque vague souvenir dos bassins et des

colonnes de bronze du temple. Apion les a comparés à un de ces cadrans solaires à base hémisphérique ou conique comme on en a trouvé notamment en Égypte (Dictionnaire des Antiquités, Horologium, fig. 3886). Le mot sa‹fh, scaphion, était précisément employé pour désigner la conque hémisphérique du cadran solaire. Cf. Th. Reinach dans les Mélanges Kaufmann, p. 13 suiv.

  1. Josèphe aurait dû rappeler, à propos d’Homère, qu’Apion

prétendait avoir appris d’un homme d’Ithaque la nature du jeu auquel jouissait les prétendants de Pénélope (Athénée I, p. 16 F). – On faisait de Pythagore tantôt un Samien, tantôt un Tyrrhénien ou même un Syrien (de l’île de Syros ?). Cf. Diogène Laërce, VII, i ; Clément d’Alexandrie, Stromat., I, 14.

  1. Pour les dates de l’Exode, d’après Manéthôs et Lysimaque, voir

plus haut, I, 103 et 305. Pour (Apollonios) Molon, voir infra, II, 79, etc.. La date proposée par Apion correspond à 752 avant J.-C. C’est à peu près la date assignée au Bocchoris de la XXIVe dynastie par les chronographes. Mais cette date a pour but de faire coïncider les fondations de Carthage et de Rome, synchronisme absurde, emprunté à Timée (Denys d’Halicarnasse, I, 74).

  1. Supra, I, § 126.
  2. Supra, I, § 110 suiv.
  3. Ce chiffre ne s'accorde ni avec celui de la Bible (I Rois, vi, i), 480

ans, ni avec celui de Josèphe lui-même dans les Antiquités (VIII, 3, i, § 61) 592 ans. Mais on le retrouve dans un autre passage des Antiquités (XX, 10, 1, § 230).

 

Zone de Texte: [17] Nous ne savons rien de ces lettres et ordonnances. Quant à la « stèle de César le Grand » qui est encore mentionnée Ant., XIV, 10, 1,Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. L'extrait de Lysimaque ci-dessus (I, 304 suiv.) ne donne aucun

chiffre. Nous avons déjà (note, I, § 234) signalé d'autres omissions de ce genre, réparées après coup par Josèphe.

  1. Le texte ci-dessus d'Apion (§ 21), quoique très entortillé,

pourrait s'interpréter autrement : le sabbat aurait été institué en Judée, en souvenir du repos du 7e jour, mais ce repos n'aurait pas eu lieu nécessairement en Judée.

  1. Willrich (Juden und Griechen vor der makkabaïchen Erhebung,

p. 176) signale une contradiction entre ce texte et le § 48 où il serait question des ancêtres Macédoniens d'Apion ; mais dans ce dernier §, le mot Maxedñnvn est probablement interpolé (Naber).

  1. Il n'y a aucune raison de mettre on doute l'assertion de Josèphe

suivant laquelle Apion serait né dans l'oasis d'Egypte, c'est-à-dire dans une des deux grandes oasis qui formaient des nomes particuliers (Ptol., IV, 5, 61). Mais il n'on r6sulte pas nécessairement, comme le veut Josèphe, qu'il fût de race égyptienne, ni même, comme celui-ci l'insinue plus loin (§§ 32 et 41), qu'Apion ne dût la qualité d'Alexandrin qu'à la naturalisation personnelle. Nous savons par les papyrus que beaucoup de Grecs habitant les nomes de province jouissaient du droit de cité alexandrine, soit qu'ils fussent d'origine alexandrine, soit que leurs ancêtres eussent été naturalisés alexandrins. Sur cette question voir, outre le livre cité de Willrich, Isidore Lévy, Rev. Et. juives, XLI (1900), p. 188 suiv. ; Wilcken, Grundzüge, p. 46 ; Schubart, Archiv f. Papyruskunde, V, 105 ; Jouguet, Vie municipale, p. 10, 95.

  1. Le quartier juif était situé dans l'Est d'Alexandrie, au delà du

port, mais dans le voisinage du château royal ; la nécropole était à l'extrême Ouest de la ville.

  1. Cf. Bellum, II, 8, 7. En réalité l'établissement des Juifs à Alexandrie ne paraît pas antérieur à Ptolémée Sôter ; cf. Ant., XII, 8.
  2. Jouguet suppose que le terme macédonien désignait à Alexandrie les immigrés, par opposition aux indigènes égyptiens.

 

Zone de Texte: [24] Ici et Ant., XII, c. 7-9, Josèphe s'inspire du pseudo-Hécatée et duFlavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

elle émane en réalité d'Auguste (R. ét. Juives, 1924, p. 123).

  1. S'agit-il du titre d'Alexandrin usurpé par les Juifs ou ce titre leur

avait-il été conféré dans quelque document officiel ? Nous connaissons un document de ce genre : c'est l'édit de Claude, Ant., XIX, 280. Mais dans le pap. Berlin 1140 un pétitionnaire juif ayant été désigné comme ƒAlejadreæw le scribe a corrigé en : ƒIoudaÛvn tÇn Žpô ƒAlejadreÛaw.

  1. Assertion réitérée (Ant., XII, 3, 1) dont on voudrait la preuve.

Dans II Maccabées, IV, 9, nous voyons Jason promettre des sommes considérables à Antiochus Épiphane, s'il permet, entre autre, toçw Øn „Ierosolæoiw ƒAntioxeÝw ‹nxgr‹fai. Ce texte se rapporte à Jérusalem, non à Antioche. En tout cas, à l'époque romaine, les Juifs d'Antioche jouissent du droit de cité et leurs privilèges sont inscrits sur des tables de bronze (Bellum, VII, 5, 2).

  1. Cf. Ant., XII, 3, 2, où l’on voit que la chose est contestée. Il

s’agit surtout d’Antiochus II Théos. Voir la note de Schürer, III (3e éd.), p. 81-2

  1. Il y a là, en ce qui concerne les Ibères (Espagnols), une forte

exagération. L’Espagne renfermait bon nombre de colonies, de municipes, et Vespasien en 75 avait conféré le Jûs Latii à toute la péninsule (Tacite, Hist., III, 53, 70 ; Pline, III, 4, 30) ; mais le droit latin n’était pas encore la cité romaine.

  1. Assertion répétée au § 72 infra, mais qui est exagérée. Nous

savons seulement : 1° que les Égyptiens pour arriver à la cité romaine devaient d’abord être reçus citoyens d’Alexandrie (Pline à Trajan, Ep. 6), admission qui devait être accordée par l’empereur (Pline à Trajan, Ep. 10 ; Trajan à Pline, Ep. 7) ; 2° que l’Égyptien, même admis à la cité romaine, ne pouvait exercer les fonctions qui donnaient au sénat (Dion Cassius, LI, 17, 2).

  1. Ce renseignement ne dérive pas du véritable Hécatée, car c'est

sous Démétrius II que trois districts seulement de la Samaritide furent annexés, avec exemption d'impôts, à la Judée (I Maccabées, xi, 34). Cf. Schürer, I (2e édit.), p. 141 et Willrich, Judaica, p. 97.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

pseudo-Aristée, c. 13 Wendland, et par conséquent exagère ; mais il y avait certainement de petites garnisons juives en Égypte, par exemple celle d'Athribis, au sud du Delta (Rev. ét. j., XVII, 1888, p. 435), les castra Judaeorum à l'est (Notitia dignitatum) et le ƒIoudaÛvn stratñpedon à l'ouest (Ant., XIV, 8, 25 ; Bellum, I, 9, 4). Peut-être même la garnison juive d'Éléphantine a-t-elle encore subsisté quelque temps sous les Ptolémées. Cf. Schürer, III (3e éd.) p. 22.

  1. Renseignement non confirmé par ailleurs.
  2. Tout ce § dérive de la « lettre d'Aristée à Philocrate ».
  3. Ce renseignement ne se trouve nulle part ailleurs.
  4. Ptolémée VI Philométor régna de 181 à 145 avant J.-C. ; Cléopâtre (II) était sa femme et sa soeur.
  5. Dosithéos (Samaritain ?) n'est pas autrement connu. Onias peut bien être identique au fondateur du temple de Léontopolis (vers 160).

[30] Après la mort de Philométor (145), sa veuve avait proclamé roi

leur fils (Philopator néos) ; mais le frère du feu roi, Ptolémée (VIII) Evergète II (Physcon), vint de Cyrène, sans doute à l'invitation des Alexandrins, tua le jeune roi et s'empara du trône et de la reine, qu'il épousa.

  1. L. Minucius Thermus qui avait déjà en 154 installé Evergète II à Cypre (Polybe, XXXIII, 5).

[32] Filios = enfants, non fils. Philométor ne laissa pas plusieurs fils,

mais un seul, Philopator Néos ; un fils aîné (Eupator) était mort avant son père. Mais il y avait aussi une fille, Cléopâtre III, que Physcon épousa peu après.

  1. L'épisode des éléphants est mis sur le compte de Ptolémée IV

Philopator (221-204) par le IIIe livre des Macchabées, c. 4-5. L'origine commune de ces légendes doit être une fête véritable, analogue à celle de Pourim, et qui fut peut-être l'origine de celle-ci. D'autre part Willrich a cherché à montrer (Hermes, XXXIX, 244 suiv.) que l'intervention des généraux juifs contre Physcon est une transposition d'un épisode qui se placerait en réalité vers 88 au temps

 

Zone de Texte: [45] Sur les honneurs rendus en Égypte à la victime d'un crocodile, v.Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

où Sôter II supplanta Ptolémée Alexandre. Une persécution des juifs d'Alexandrie à cette époque est attestée par Jordanès, c. 81 Mommsen.

  1. Représenter la guerre de Cléopâtre contre Octave comme une « révolte », est bien caractéristique de l'historiographie officielle de l'Empire.
  2. Celle de 43/2 av. J. C. Cf. Wilcken, Grundzüge, p. 364,
  3. Jules César fut secouru par le contingent juif d'Hyrcan et d'Antipater dans la guerre d'Alexandrie, dont le récit lui était attribué.
  4. En 19 ap. J.C. Le véritable motif est que des distributions de ce genre ne devaient profiter qu'aux citoyens (Wilcken, Hermes, 63, 52).
  5. Sur ces « camps juifs » cf. Schürer, 3. éd., III, 98, note.
  6. Josèphe songe aux conflits qui opposaient les adeptes de cultes locaux antagonistes (Plutarque, De Iside, 72 ; Juvénal, Sat. xv, 33­92).
  7. L'idée parait être que les Égyptiens, en adorant des animaux hostiles à l'espèce humaine, manquent à la loi de solidarité entre les hommes.
  8. Cf. plus haut § 41 et la note.
  9. On se rappelle la crise soulevée par la prétention de Caligula de faire ériger sa statue dans le temple de Jérusalem.
  10. Au temple de Jérusalem on sacrifiait deux fois par jour pour le salut de l'Empereur et du peuple romain (Guerre, II, 197). Mais il semble que ce fût aux frais de l'empereur (Philon, Leg. ad Caium, § 157).
  11. Antiochos Sidétès surnommé Eçseö®w ; (Ant. jud., XIII, § 244), qui prit Jérusalem en 130 av. J.-C.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

Hérodote, II, 90. L'assertion relative à la vipère est isolée, mais on ne doit sans doute pas être mise doute. Spiegelberg (Sitzungsb. Bayr. Ak. Wissenschaften, 1925, 2, p. 2) s'est appuyé sur le texte de Josèphe pour conjecturer que Cléopâtre a voulu mourir de la morsure d'une vipère pour s'assurer la divinisation.

  1. Pourtant le Deutéronome (xxv, 4) défend de museler le boeuf qui foule le grain, à plus forte raison de le battre s'il en mange un peu.

[47] Josèphe veut-il dire qu'Apion a copié une source écrite, ou qu'il a

suivi des on-dit ? Dans le premier cas, le seul écrivain ancien dont on puisse le rapprocher est Damocrite, auteur d'un ouvrage sur les Juifs connu par une notice de Suidas (Textes d'auteurs grecs et romains, p 121). Mais l'époque de ce Damocrite est complètement inconnue. Il est du moins certain qu'il y a une parenté entre l'écrit résumé par Suidas et celui d'Apion : Damocrite a élevé contre les Juifs les deux mêmes griefs (culte de la tête d'âne, sacrifice de l'étranger), qu'Apion a groupés dans l'histoire de la visite d'Épiphane au Temple. Les variantes sont d'importance secondaire : la principale porte sur la fréquence du meurtre rituel.

  1. Apion ne paraît pas responsable de l'absurdité que lui prête

Josèphe le texte cité § 95 ne signifie pas que tous les Juifs participent au sacrifice.

  1. Texte peut-être mutilé.
  2. La description qui suit est une des sources de notre connaissance

du temple détruit par Titus, quoiqu'elle soit moins circonstanciée que Bell. V, 5 et Ant. Jud. XV, II. Josèphe s'y est inspiré de ses souvenirs personnels.

[51] Plus exactement « dans le sanctuaire ».

  1. On ne voit pas bien de quel autel il s'agit. Ailleurs (Guerre, V, 5, 5) Josèphe ne mentionne que les trois derniers objets.

[53] Ces quatre tribus représentent les quatre groupes sacerdotaux

primitifs revenus avec Zorobabel : Yedaya, Immer, Pachkhour, Kharim. Notre passage est le seul qui atteste encore l'existence de cette division à la fin de l'époque du second Temple, où d'ordinaire

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

(par ex. Vita, c. I) l'on compte 24 classes de prêtres (6 par groupe, Talmud de Jérusalem, Taanit, 68 a). Le chiffre de 5.000 prêtres par groupe est sans doute exagéré, même en y comprenant les lévites.

  1. Mnaséas de Patara, polygraphe du iiie siècle av. J.-C.
  2. Il s'agit bien probablement dans la pensée de Mnaséas de Adora

(aujourd'hui Doûra) ville effectivement située en Idumée. La même faute se retrouve Ant. jud., XIV, 88 (cf. Benzinger, v. Adora dans Pauly-Wissowa).

  1. Culte attesté chez les Iduméens par l'inscription de Memphis, Strack, Archiv für Pap., III, 129.
  2. Ici reprend le texte grec.
  3. 30 sur 15 d'après Guerre, V, 202.
  4. 20 par porte (Guerre, VI, 293).
  5. Le développement qui suit (§ 121-124) serait mieux à sa place

après le § 111 puisqu'il se rattache à la légende du serment contre les Grecs du § 95. Peut-être s'agit-il d'un morceau rajouté par Josèphe in extremis en marge et introduit à une fausse place par les copistes.

  1. L'invocation à Dieu qui a créé ciel, terre et mer est biblique

(Néhémie, ix, 6 ; Psaume, 146, 6 ; Actes des Apôtres, iv, 24). Apion a-t-il su l'existence de cette formule ? Ou son texte a-t-il été remanié par Josèphe ou sa source juive ?

  1. La prise de Jérusalem par Pompée a inspiré à Cicéron une

réflexion analogue (Pro Flacco, § 69 = Textes d'auteurs grecs et romains, p. 241).

  1. Cf. Ovide, Métamorphoses, V, 325 suiv. ; Diodore, I, 86, etc.
  2. Les incendies de l'Acropole d'Athènes par les Perses, du temple

d'Éphèse par Hérostrate sont bien connus L'allusion nu temple de Delphes peut se rapporter soit à l'incendie du temple primitif (548) soit à celui qu'allumèrent les barbares Maides au temps de Sylla

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

(Plut. Num. 9); il s'agit plutôt de ce dernier évènement.

  1. Allusion possible à la cécité dont auraient été frappés Sésostris et son fils (Hérodote, II, iii).
  2. Depuis l'insurrection des Macchabées (168).
  3. Sur la circoncision des Égyptiens, cf. Hérodote, II, 37 et 104 ;

sur celle des prêtres en particulier, voir W. Otto, Priester und Tempel im hellenistischen Aegypten, I, 214; II, 326. Sur l'abstinence de la viande de porc, Plutarque, Quaest. conviv., IV. 5.

  1. Hérodote, II, 104 (v. supra. I, § 169).
  2. Le plaidoyer pour la législation juive ainsi annoncé (ch. xv et

suiv.) présente de nombreuses concordances avec les Hypothetica de Philon dont Eusèbe a conservé un extrait, Praep. Ev., VIII, 6-7, pp. 355 c-361 b (cf. Wendland, Die Therapeuten und die phil. Schrift vom beachaul. Leben, 709-12; B. Motzo, Atti della R. Ac. di Torino, XLVII, 1911-2, 760; I. Lévy, La Légende de Pythagore. p. 212). Josèphe est tributaire de la source même où a puisé Philon, une apologie du judaïsme composée suivant toute apparence à Alexandrie vers le début de l'époque romaine. Il affecte de défendre la pure loi de Moïse, tandis que Philon reconnaît (l. l., 358 d) que les prescriptions qu'il énumère ne sont pas toutes contenues dans le Pentateuque et proviennent en partie de « lois non écrites ».

  1. Le mot nñmow ne se trouve pas, en effet, dans les poèmes homériques ; les plus anciens exemples sont dans Hésiode.

[71] Josèphe songe sans doute aux objets précieux dont les fils

d'Israël, au moment du départ, dépouillèrent les Égyptiens (Exode, xii, 35-7). Les Juifs alexandrins, choqués de ce que la Bible contait comme un tour de bonne guerre, ont essayé de divers moyens pour éliminer de l'incident tout ce qui ressemblait à un abus de confiance, cf. Josèphe, Ant., I, § 314, et Ezekiel le Tragique, fr. 7, v. 35.

  1. Noter la prudence rationaliste avec laquelle Josèphe défend « l'inspiration » divine de Moïse.
  2. Josèphe a utilisé cet argument dans les Ant. II, 3, i § 23-4, où

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

Ruben, pour dissuader ses frères de tuer Joseph, leur remontre que Dieu, à qui rien n'échappe, châtiera le fratricide. L'idée, qui n'est pas formulée dans la Bible, est un lieu commun pythagoricien, cf. Jamblique 174.

  1. Ces insulteurs sont d'après § 145 Apollonios Molon et

Lysimaque; le grief de go®teia revient chez Celse (Origène, Contre Celse, I, 26 = Textes, p. 165), et Pline (XXX, i = Textes, p. 282) ainsi qu'Apulée (Apol., 90 = Textes, p. 335) nomment Moïse dans une liste de magiciens fameux. Josèphe a puisé à la même source que Philon, ap. Eusèbe, Praep. Ev. VIII, 6, 356 a.

  1. Texte très altéré. Les conjectures de Niese admises, il s'agit de Minos et de Lycurgue.
  2. Division platonicienne, qu'on retrouve chez Polybe, Cicéron, etc.
  3. Ce mot, qui a fait fortune on changeant un peu de sens, est donc de l'invention de Josèphe - ou de sa source.

[78] L'idée que les philosophes grecs sont tributaires de la Bible est

depuis l'époque ptolémaïque un lieu commun de l'apologétique judéo-alexandrine. Déjà Artapanos imaginait qu'Orphée fut le disciple de Mousaios-Moïse. Suivant Philon, c'est de Moïse que se sont inspirés Héraclite et les stoïciens (cf. Elter, De gnomol. graec. historia, 221 ; Bréhier, Les idées philos. et relig. de Philon d'Alexandrie, 48 ; Paul Krüger, Philo und Josephas als Apologeten des Judentam 21). Aristobule (soi-disant contemporain de Ptolémée VI Philométor, en réalité prête-nom d'un faussaire d'époque impériale) fait dépendre de Moïse, outre Homère et Hésiode, Pythagore, Socrate et Platon (Eusèbe, Praep. Ev., XIII, 12) et Clément d'Alexandrie assure qu'il attribuait la même origine à la philosophie péripatéticienne (Strom. V, 14, 97).

  1. Josèphe s'aventure beaucoup en identifiant, par exemple, le panthéisme stoïcien au monothéisme hébreu.
  2. Même expression chez Philon, Vita Mosis. I, 6 § 29 et déjà dans la source de Jamblique, V. P., 176.
  3. Cette « concorde » remplace la sagesse, frñnhsiw, comme 4e

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

vertu cardinale (Thackeray).

  1. Le début de § 172, avec les mots de § 172 « ce qu'il fallait faire

ou éviter » provient du document copié par Jamblique, Vil. Pyth. 86 et 137. Il en est de même de § 192 (« il faut suivre Dieu ») et de § 197 (sur la prière). Cf. I. Lévy, La Légende de Pythagore, p. 213.

[83] V. Plutarque, Lycurg., 13.

  1. Théorie conforme à l'enseignement talmudique. Cf. Aboth R. Nathan, p. 22; Sabbath, p. 318.
  2. Josèphe, comme le Talmud de Jérusalem (Megilla, IV, 75 a), attribue à Moïse l'institution des lectures sabbatiques.
  3. Allusion aux assesseurs des archontes athéniens et au conseil des gouverneurs romains.
  4. Deutéronome, vi, 7 ; xi, 19.
  5. Supra, II, §§ 135 et 148.
  6. Les attributions judiciaires des prêtres sont encore très limitées

dans le Deutéronome (xvii, 8, etc.). Elles se sont développées à l'époque du second temple, et déjà Hécatée remarque que Moïse confia aux prêtres le jugement des causes les plus importantes (Diodore de Sicile, XL, 3, 6 = Textes d'auteurs grecs et romains, p. 17).

  1. L’idée que Dieu est le commencement et la fin de tout peut

s’appuyer sur divers textes bibliques, mais non pas celle qu’il en est aussi le milieu. Selon les rabbins (p. ex. Jer., Sanhédrin, 18 a) si le

mot vérité (        ) est le sceau de Dieu, c’est parce qu’il se compose
de la première, de la dernière et de la lettre médiane de l’alphabet ; mais n’est pas au milieu de l’alphabet hébreu. J’ai soupçonné ces trois lettres de représenter les initiales (transcrites en hébreu) des

¯

mots grecs Œrx

, m¡son, t¡low : ce jeu d’esprit mystique serait alors

d’origine alexandrine ; cependant le tav n’est presque jamais transcrit par un t.

  1. Exode, xx, 4, etc.

 

Zone de Texte: [102] La Loi ne renferme aucune disposition contre l’avortement. Il est absurde d’interpréter comme telle la bénédiction, Exode, xxiii, 26.Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. La lumière est nommée en tête, conformément à Genèse i, 3.
  2. Coup de griffe à Philon (De opif. mundi, § 24), qui, entraîné par

le Timée, attribuait à Dieu des collaborateurs. Pour tout le passage, cf. Genèse Rabba, 1 et 3.

  1. Cf. Philon, De opif. mundi, ad fin. ; Rosch Haschana, 11 a (= Houllin 60 a).

[95] Formule qui remonte à Platon, Gorgias, 510 b et à Aristote, Eth.

Nicom. VIII, i, 1155. Cf. Dibelius, Neue Jahrb. far das klaas, Alt. 1915, XXXV, p. 232.

  1. Idée platonicienne(Lois, III, 687 D), sans fondement dans la

Bible, mais ressemble singulièrement à la doctrine de l’Évangile selon St Mathieu, vi, 8 suiv.

  1. Cette restriction n’est nulle part formulée dans la Loi, mais elle

est dans l’esprit du Talmud (interdiction d’épouser une femme stérile : Yebamot, 61 b ; Tossefta Yebamot, 8, 4 ; répudiation de la femme qui n’a pas d’enfants après six ans de mariage : Mishna Yebamot, 6, 6). Josèphe s’est aussi souvenu de la doctrine essénienne, Bell. Jud., II, 8, 13

  1. Lévitique, xviii, 22 ; 29 ; xx, 13.
  2. Usages attestés par l’Écriture, mais non prescrits par le Loi.
  3. Genèse, iii, 16
  4. Les différentes variétés d’adultère sont prévues et punies,

Deutéronome, xxii, 22-27 ; Lévitique, xx, 10. Mais nulle part il n’est prescrit au mari « de ne s’unir qu’à sa femme ». L’adultère, dans la Bible, ne désigne que le commerce illégitime avec la femme (ou fille) d’autrui.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. Sur l’impureté de l’accouchée, cf. Lévitique, xii.
  2. Josèphe paraît avoir mal interprété le verset Lévitique, xv, 18

qui ne vise que le cas où l’homme est affligé d’un flux. Le Talmud connaît des ablutions après les rapports conjugaux : 1° pour les prêtres, avant la consommation des prémices (Baba Kamma, 82 b), 2° pour les laïques, avant la prière ou l’étude de la loi (mais ceci fut abrogé, Berakhot, 22 ; Houllin, 126).

[105] Encore une idée essénienne ; cf. Bell. Jud., ii, 8, 11.

  1. Cela n’exclut pas les fêtes à l’occasion d’une naissance ou d’une circoncision.
  2. Deutéronome, vi, 7 ; xi, 19.
  3. On ne trouve pas de prescriptions à ce sujet dans la Loi, mais bien dans le Talmud (Moed Katan, 27 a ; jer. Schekalim, 11)
  4. Rien de tel dans l’Écriture mais, cf. Talmud, Berakhot, 18 a ; Ecclésiastique, vii, 34.
  5. Nombres, xix, 11 suiv. ; Lévitique, xxi, 1 ; xxii, 4.
  6. L’interpolateur cherche un motif rationnel pour d’antiques usages fondés sur des croyances évanouies.
  7. Dans le Décalogue (Exode, xx, 12 = Deutéronome, v, 16),

immédiatement après les articles relatifs à la divinité vient celui qui prescrit d’honorer ses parents.

  1. Deutéronome, xxi, 18 suiv. Mais il faut plus qu’un « manque de reconnaissance » pour être lapidé.
  2. Lévitique, xix, 32.
  3. Daniel, vii, 9 (Dieu est appelé l’Ancien des jours). Josèphe interprète peut-être aussi à sa façon Lévitique, xix, 32 : Tu te lèveras devant la vieillesse... crains l’Eternel, ton Dieu.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. Doctrine essénienne (Bell. Jud., ii, 8, 7), inconnue au Pentateuque.
  2. Plusieurs proverbes prohibent l’indiscrétion (xi, 13 ; xx, 19 ;

xxv, 9), mais il n’y est pas question de livrer les secrets de ses anciens amis.

  1. Exode, xxiii, 8 ; Deutéronome, xvi, 19 ; xxvii, 25. Nulle part cependant n’apparaît le peine de mort.
  2. Ce n’est, dans la Bible, qu’un précepte moral : Deutéronome, xv, 7 suiv.
  3. Quoique confirmée par le § 216 cette prescription est bien singulière. En lisant ø xat¡yhxen (sans m®) on aurait un parallèle dans Lévitique, v, 21 (dénégation du dépôt).
  4. Exode, xx, 15 ; xxii, 1 suiv. ; Lévitique, xix, 11 ; Deutéronome, v, 17.
  5. Exode, xxii, 25 ; Lévitique, xxv, 36-7 ; Deutéronome, xxiii, 7.
  6. Exode, xxii, 21 ; xxiii, 9 ; Lévitique, xix, 33 ; Deutéronome, x, 19 ; xxiii, 7.
  7. Probablement une allusion à l'exclusion de l'étranger de la fête de Pâques (Exode, xii, 43).
  8. Deutéronome, xxvii, 18 : « Maudit soit celui qui égare l'aveugle

en son chemin ». Juvénal, XIV, 103, reprochait aux Juifs non monstrare vias eadem nisi sacra colenti. Josèphe avait déjà généralisé le précepte du Deutéronome dans Ant., IV, 276.

  1. On a voulu voir là un développement du verset Deutéronome, xxi, 23 qui prescrit d’enterrer le pendu (parce qu’il souille ceux qui le voient). On se rappellera aussi Tobit, i, 16 suiv.
  2. Pas de texte.
  3. Deutéronome, xx, 19.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. Rien de pareil dans la Loi.
  2. Deutéronome, xxi, 10 suiv.
  3. Défense de faire travailler le bœuf et l’âne pendant le sabbat, Deutéronome, v, 14, etc.
  4. On cherche vainement cette prescription dans le Pentateuque (mais cf. Baba Mezia, 85 a).
  5. Lévitique, xxii, 28 ; Deutéronome, xxii, 6.
  6. Pas de texte.
  7. Lévitique, xx, 10.
  8. Seulement si la vierge était fiancée, Deutéronome, xxii, 23.
  9. Lévitique, xx, 13.
  10. Texte sans doute altéré.
  11. Sur les faux poids, fausses balances, le dol, etc., les textes sont simplement prohibitifs (Lévitique, xix, 11-13 ; 35-36 ; Deutéronome, xxv, 13-15).
  12. Deutéronome, xxi, 18 ; Lévitique, xxiv, 13.
  13. Opinion pharisienne (Ant., XVIII, 14) sans fondement biblique.
  14. L'opposition entre les Juifs attachés à la tradition et les Grecs amis des nouveautés a déjà été indiquée II, § 182.
  15. Geffcken (Hermes, 1928, p 101) a rapproché l'expression de Josèphe de celle de l'auteur cité par Athénée 508 b c (suivant toute apparence Hérodicus de Babylone) : Athènes, qui a vu naître Dracon, Solon et Platon, a obéi aux deux premiers, mais n'a eu que risée pour les Lois et la République.

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. Cette observation, qui n'est guère à sa place, parait provenir du

contexte de la source de § 169. Il est sans doute fait allusion à Timée 28 c, où Platon déclare qu'il est impossible de communiquer à tout le monde la nature véritable du démiurge.

  1. Cicéron, Pro Flacco, 63, admire les Spartiates pour être restés

fidèles jusqu'à son temps aux lois reçues sept siècles auparavant. Moins hyperbolique, Plutarque fait valoir comme un exemple exceptionnel de stabilité politique que Sparte a observé pendant cinq siècles la constitution de Lycurgue sans autre changement que l'institution des éphores (Lycurgue, 30).

  1. Josèphe a déjà indiqué plus haut I, § 36 que l'intervalle qui

sépare son époque de celle de Moïse et d'Aaron est de deux mille ans. Ce chiffre qui excède de 200 environ celui qui résulte des données chronologiques précisas disséminées dans les Antiquités et la Guerre, se retrouve chez Philon (Eusèbe, Praep. Ev., VIII, 7, 357 b) et est sans doute emprunté à la source des Hypothetica.

  1. Cf. Nicolas de Damas, fr. 114, 1 ; Elien, Var. Hist., VI, 6, etc.
  2. Allusion notamment à l'affaire de Sphactérie.
  3. Allusion à Exode, xxii, 28, verset que les Septante interprètent

~ et qui est entendu dans le sens indiqué par Philon, Vit. Mos., III, 26 § 205 ; De Monarch., p. 818, § 7 ainsi que par Josèphe lui-même, Ant., IV, 207 (voir la note sur ce passage). On peut aussi rapprocher Exode, xxiii, 13 : « Vous ne prononcerez point le nom d'autres dieux ».

  1. Les Titans.
  2. Allusion à la scène de l'Iliade, A, 399.
  3. Héphaïstos.
  4. Athénée.
  5. Arès.

 

Zone de Texte: [170] Allusion aux incendies de temples et aux attentats contre jeunes filles et jeunes garçons dont Hérodote (VI, 32) accuse les Perses.Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. Apollon.
  2. Apollon et Artémis.
  3. Allusion au célèbre épisode de l'Ida, Iliade, Y, 329 suiv.
  4. Poséidon, Apollon, les Titans.
  5. C'est la traduction normale de ŽpotropaÛouw, mais à lire la phrase suivante il semble bien que Josèphe ait pris ce mot au sens passif « dieux à détourner » qui ne se rencontre qu'avec des termes abstraits, idée, spectacle, calomnie, etc. (Thackeray).
  6. Nous laissons de côté les gloses qui encombrent le texte du Laurentianus, §§ 253 et 254.
  7. Texte obscur.
  8. République, II in fine ; III, 398 A.
  9. Sur Platon imitateur de Moïse, v. supra. note à II § 168.
  10. Lois, XII, 949.
  11. Josèphe a déjà indiqué (II, § 148) qu'Apollonios reprochait aux Juifs leur misanthropie.
  12. Pour cette locution, cf. I, § 255.
  13. Une meule, d'après la leçon du Laurentianus.
  14. Au milieu du ive siècle (Démosthène, XIX, 285 ; et schol., XXXIX, 2 ; XL, 9. Denys d'Halicarnasse, Dinarch., 11). Elle avait introduit des mystères phrygiens.
  15. Hérodote IV, 76-7

 

Flavius Josèphe : Contre Apion - livre 2.

  1. Comme dans Ant., IV, 291, Josèphe interprète dans le sens de

l'interdiction de la castration le verset Lévitique, xxii, 24 ; mais on ne voit pas d'où lui vient l'idée que le contrevenant encourt la peine de mort.

  1. Cf. supra II, § 259.
  2. Dérive de la même source que Cicéron, Rép., IV, 4 et Plutarque, De educ. pueris, 15.
  3. Zeus et Ganymède.
  4. Zeus et Héra.
  5. Le commerce entre mâles est comme on a vu II § 215 puni de

mort par la Bible ; il en est de même pour l'inceste du frère ou de la soeur (Lévitique, xx, 19).

  1. Cf. plus haut, §§ 168 et 256.
  2. Les idées exprimées §§ 280 et 282 apparaissent déjà, suivant la

remarque de Cohn, chez Philon, Vita Mosis, II §§ 20-23. Cf. Tertullien, Ad Nationes, I, 13, avec les observations de Schürer, Geschichte, III, 166, n. 49. - L'allumage des lampes (ritus lucernarum chez Tertullien) se pratiquait le vendredi soir, avant le commencement du sabbat, afin de ne pas contrevenir au précepte défendant de faire du feu le jour férié (Exode, xxxv, 3). Cet usage, dont Josèphe et Tertullien attestent la popularité chez les demi-prosélytes, a été raillé par Sénèque et Perse (Textes d'auteurs grecs et romains, p. 263 et 264).

  1. Principalement Ant., livre III, ch. ix - xii.

 

 

www.areopage.net/PDF/FlaviusJosephe_OeuvresCompletes.pdf

 

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