Guillaume Farel

10/06/2016 12:50
Guillaume Farel
Description de cette image, également commentée ci-après

Huile sur bois, Bibliothèque de Genève.

 
Naissance
GapDauphiné
Décès
Neuchâtel
Activité principale Théologien
Pasteur protestant
Réformateur religieux
Auteur
Langue d’écriture Français
Mouvement Réforme protestante
Genres Exégèse
Sermons

Œuvres principales

  • Le Glaive de l’esprit.
  • La Sainte Cène du Seigneur.
 
Guillaume Farel, né à Les Farreaux près de Gap en 1489 et mort à Neuchâtel le 13 septembre 1565, est un réformateur qui a joué un rôle important dans l’expansion de la réforme protestante en Suisse romande.
 
***
FAREL 
 
 
 
Vers 1520, un jeune gentilhomme des environs de Gap quittait son hameau des Fareaux et se dirigeait vers Paris ; les voyages ne se faisaient pas alors avec autant de facilité qu’aujourd’hui. Aussi c’était un grand événement quand du fond d’une province lointaine on voyait quelqu’un se diriger vers la capitale, et l’on s’en étonnait bien plus que lorsque de nos jours on entend dire d’une personne : Elle va à Cuba ou à la Nouvelle-Orléans. — Le jeune homme qui entreprenait ce long voyage s’appelait Guillaume Farel. 
 
      Quoique gentilhomme, il n’était pas riche ; aussi il n’avait ni chevaux, ni voiture, ni laquais ; il allait à pied, marchant beaucoup, dépensant peu, étant cependant très libéral. Quand sur sa route il rencontrait une chapelle, il prenait dans sa bourse une pièce de monnaie de cuivre et la jetait dans le tronc du saint ou de la sainte, pour subvenir à l’entretien de la lampe qui brûlait devant sa statue. Il n’aurait pas voulu, le matin, se mettre en route sans entendre une messe, et réciter ses prières. 
 
      Après plus de vingt-deux jours de marche, il arriva à Paris, la grande ville, à Paris, dont on parlait en province, comme de l’une des sept merveilles du monde. — Mais notre gentilhomme n’avait pas fait un si long voyage pour voir des maisons et des palais ; un but plus noble le poussait du Midi vers le Nord, c’était le désir de compléter ses études auprès des maîtres de la science de cette époque. 
 
      Le plus célèbre d’entre eux était Jacques Le-Fèvre d’Étaples, dont nous avons raconté la vie. La première fois qu’il vit Guillaume Farel, il se sentit attiré vers lui et lui donna, dans son cœur, la place qu’un père donne à son fils. Son élève était vif, hardi, courageux ; ses yeux pétillaient comme deux saphirs ; mais il était bon, doux, humble, pieux, et parmi ses compagnons d’étude nul ne le surpassait en austérité, en jeûne et en veilles. Il fréquentait assidûment l’église, portait un cilice pour mortifier son corps, couchait sur la dure, et, comme son illustre maître, vénérait les images et baisait dévotement les reliques. 
 
      Quelle qu’ai été la réserve du bon Le-Fèvre, il se sentit entraîné par son cœur et surtout par le besoin qu’a tout homme de communiquer ses pensées et ses sentiments ; il étudia le Nouveau Testament avec le gentilhomme gapois, qui ne l’avait jamais lu : quelle découverte pour lui ! pas de trace, dans le livre saint, des dogmes auxquels il croyait avec toute la naïveté de l’enfance ! Il fut accablé comme un homme à qui l’on ravit son plus cher trésor ; il aimait tant son Église ! il se complaisait tant dans les cérémonies de son culte ! il jeûnait si volontiers, s’administrait la discipline avec tant de conscience ! et voilà, le livre saint lui disait : « Tout cela est inutile pour le salut. » Il résista longtemps, la lutte fut douloureuse ; mais la Bible l’emporta, et la Réforme française eut en lui son premier et son plus intrépide missionnaire. 
 
      Comme le timide Le-Fèvre, le nouveau converti ne tint pas cachée dans son cœur la vérité chrétienne ; son maître voulait le retenir, le modérer ; mais il ne l’écoutait pas, il allait en avant, disant à tous que Rome avait fait naufrage dans la foi. 
 
      Farel devint l’ami de tous ces hommes de cœur, de courage et de talent, qui, à Paris et à Nîmes, se réunissaient autour du vieux Le-Fèvre, comme autour d’un maître vénéré. Quand la persécution éclata à Meaux, Farel se demanda de quel côté il dirigerait ses pas. Il consulta son cœur et partit pour Gap, où il arriva en 1522, avec le désir ardent de convertir sa famille et ses compatriotes. À peine arrivé, il prêche ; la foule se presse autour de lui, mais il trouve dans les capucins gapois des adversaires ardents, qui le forcent à s’enfuir ; l’ardent missionnaire n’avait pas jeté en vain la semence évangélique sur ce sol superstitieux : ses quatre frères se convertirent, ainsi que plusieurs autres personnes. 
 
     Farel retourna à Meaux, qu’il quitta en 1523, après que le malheureux Briçonnet ait abandonné ses frères. L’année suivante, nous trouvons notre vaillant champion à Bâle, où il soutint publiquement et avec beaucoup d’éclat des thèses contre l’Église romaine ; de l’aveu de tous, il fut vainqueur, et compta parmi ses disciples un homme qui devint célèbre, sous le nom de Conrad Pelican. Le réformateur retrouva à Bâle des ennemis comme à Meaux ; il dut s’enfuir à Strasbourg, où il se lia d’amitié avec les protestants célèbres que possédait cette grande et illustre cité ; il avait alors trente-cinq ans et plus que jamais il était désireux de travailler à l’œuvre de son bien-aimé Sauveur, auquel il avait tout consacré : cœur, corps, âme, intelligence et vie. Il ne se plut pas à Strasbourg, où l’on parlait l’allemand qu’il n’entendait pas. Il partit pour Montbéliard. 
 
      Montbéliard est une jolie petite ville, située dans une contrée des plus agréables ; ses habitants, comme tous les catholiques de cette époque, étaient plongés dans une ignorance profonde, et la Parole sainte leur était aussi inconnue que l’Alcoran ; ils avaient bien la croix, mais ils n’y voyaient pas ce Jésus qui a répandu son sang pour la rémission de nos péchés. — Que fera Farel ? dira-t-il, à la vue de tant d’ignorance et de superstition :  — Je prendrai mon bâton d’apôtre et j’irai ailleurs porter mon ministère ? Non, il plantera son bâton au milieu de la ville, en face de l’église catholique, à la vue des prêtres, des moines et des nonnes, et de sa voix retentissante, comme un tonnerre, il attaquera, la Bible à la main, les superstitions romaines. Le clergé poussa un cri d’effroi. « Quel est, s’écria-t-il, cet audacieux, cet impie qui vient apporter parmi nous le désordre et le poison de ses doctrines ? » Mais plus les prêtres crient, plus Farel élève la voix et plus le peuple veut l’écouter ; il sent, il comprend que cet étranger n’est pas un ministre de perdition, il se presse autour de lui, et lui de battre en brèche les fondements du catholicisme romain. L’alarme est dans le camp des prêtres ; ils cherchent, dans les magistrats de Lucerne, un appui contre lui. Le duc de Wurtemberg, auquel appartenait la principauté de Montbéliard, et qui favorisait en secret les efforts du réformateur, est obligé de céder aux menaces qui lui viennent de Lucerne, et Farel est contraint de fuir de Montbéliard comme il a fui de Gap et de Meaux ; mais en partant il laisse, après lui, une semence de vie, qui en germant et se développant, dotera tout le pays de Montbéliard du bienfait inappréciable de la Réforme. 
 
     Notre apôtre retourna à Strasbourg, où il trouva le vieux Le-Fèvre, qui s’y était réfugié ; il quitta, en 1526, cette ville hospitalière, visita Mulhouse, où la Réforme s’était introduite, ne résista pas au désir de revoir Montbéliard, où il fit une courte apparition et partit, déguisé en prêtre, pour Neuchâtel, d’où il fut chassé ; mais on le vit, tour à tour, à Aigle, à Bex, à Olon, à Morat, qui se prononcèrent pour la Réforme. 
 
      De toutes les villes de la Suisse que Farel désirait ranger sous la bannière de Jésus-Christ, Neuchâtel était celle qui lui tenait le plus à cœur. Il y alla ; mais il se trouva en présence d’obstacles qui auraient découragé tout autre que lui ; l’entrée de la ville lui avait été interdite sous des peines très sévères ; ses victoires sur les papistes lui avaient donné une certaine célébrité. 
 
      Au moment où les prêtres se croyaient hors de tout danger, Farel médite un hardi coup de main ; il est seul ; pour toute arme il n’a que sa Bible ; mais pour compagnon de combat il a Jésus-Christ, sous l’empire duquel il veut soumettre la ville ; il se lève et se met en route, arrive à Serrières, petit village situé à une demi-heure de Neuchâtel ; il se présente chez le curé : « Je veux, lui dit-il, annoncer l’Évangile, donnez-moi votre église » ; celui-ci refuse, mais il lui permet de prêcher dans le cimetière ; la pierre d’une tombe devient sa chaire. Le bruit de son arrivée circule partout ; quelques soldats neuchâtelois, qui avaient entendu des prédications évangéliques, accoururent vers lui. « Venez, lui dirent-ils, à Neuchâtel, nous vous servirons d’escorte » ; et voilà Farel au milieu d’eux qui, comme un conquérant, se dirige vers la ville, y pénètre et se met à prêcher dans les rues. Les prêtres crient, les magistrats s’épouvantent ; mais le peuple, qui est las de la domination des prêtres, veut entendre l’audacieux réformateur, dont l’éloquence entraînante éclaire, instruit, subjugue. Quelques jours après, Farel, guéri d’une blessure qu’il avait reçue à Valengin dans une émeute où il avait failli perdre la vie, retourne à Neuchâtel, recommence ses prédications, malgré l’opposition des magistrats. Ses auditeurs, enthousiasmés de son éloquence surhumaine, l’entraînent à la cathédrale, l’installent dans la chaire, déchirent les images, brisent les statues et, de leurs mains frémissantes, inscrivent sur les murs de la vieille église cette inscription mémorable, qu’on y voit encore : Le 23 octobre 1530 fut abattue et ôtée de céans l’idolâtrie par les bourgeois. Rome était vaincue à Neuchâtel ; la Réforme y triomphait. 
 
     Un homme ordinaire aurait dit : « Ma tâche est achevée, le temps du repos est venu. » Mais pour Farel, le repos était dans le travail ; il aimait les catholiques, et aurait versé joyeusement son sang pour leur conversion. 
 
      Pendant les deux années qui suivirent, le réformateur continua ses travaux avec un grand succès, dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud. Au mois de septembre 1532 nous le trouvons à Genève, où il s’était arrêté en venant des vallées vaudoises. Il était accompagné de son ami et compatriote Antoine Saunier. 
 
      Genève est bâtie à l’extrémité ouest du beau lac Léman, dans une situation qui en fait l’une des plus agréables villes du monde. Cette cité, comme toutes celles qui étaient sous la domination papale, était ignorante, superstitieuse, et avait pour évêque Pierre de Labaume, prélat célèbre par son amour de la bonne chère. 
 
      Si la Réforme à Neuchâtel avait offert des difficultés, Genève en offrait de plus grandes encore ; mais Farel, qui ne calculait pas les obstacles, avait la foi qui renverse les montagnes. 
 
      Farel commença à prêcher : à peine les prêtres surent-ils que ce grand perturbateur du repos public, comme ils l’appelaient, était à l’œuvre, qu’ils lui tendirent un piège ; le conseil épiscopal lui fit proposer une conférence publique, c’était l’appeler à une fête, il accepta ; à peine fut-il entré dans le local où elle devait avoir lieu, que les prêtres vomirent contre lui des injures et en vinrent à des voies de fait. Farel protesta avec indignation contre leur lâche guet-apens ; sa vie courut un grand danger ; mais il s’échappa de leurs mains, le corps meurtri, le visage ensanglanté, et se retira avec son ami Saunier à Granson, où il trouva son disciple Froment. 
 
    Farel, soutenu par les magistrats bernois, put retourner dans son champ de travail. Dieu lui donna pour aide un jeune homme, doux de caractère, pieux, éloquent ; on l’appelait Pierre Viret. Farel fut son père spirituel, et l’homme que ses parents destinaient à la prêtrise, fut appelé à servir la cause de la Réforme. Farel, aidé de Viret et de Froment, se mit à l’œuvre avec son ardeur habituelle, et sous les coups de son marteau démolisseur, les fausses traditions romaines tombèrent une à une ; mais notre missionnaire ne se borna pas à dire aux Genevois : Le pape est faillible, la messe est une idolâtrie, le culte des saints est une invention du démon, le purgatoire un lieu imaginaire. Non, après avoir démoli l’erreur, il édifie la vérité avec les saints matériaux qu’il prend dans la Sainte Écriture, et rien que dans la Sainte Écriture. C’est là ce qui faisait sa force et sa puissance sur les masses ; les prêtres le sentaient bien ; ils le redoutaient, et nul d’entre eux n’osait controverser avec lui : « Ce petit homme, disaient-ils, a un démon dans chacun des poils de sa barbe rousse. » Nous n’entrerons pas dans des détails sur le grand combat qui se donna, pendant quatre ans, à Genève ; on le trouvera, en partie, dans les biographies de Froment et de Viret ; nous dirons qu’après des efforts inouïs et une persistance que rien ne put lasser, Farel vainquit le peuple, les magistrats, l’évêque et ses prêtres, et se rendit maître de Genève, où la messe fut abolie solennellement le 12 août 1535. Ce fut un grand jour pour cette ville, qui mérita bientôt après de porter le nom de Rome protestante ; elle inscrivit, sur ses portes, ces mots significatifs : Post tenebras lux (Après les ténèbres la lumière). Jamais ville n’eut de plus belles armoiries ; en effet, après les ténèbres du papisme, la lumière de l’Évangile ne s’était-elle pas levée sur cette cité, petite par son étendue, mais grande par le beau rôle qu’elle a joué dans le monde ? 
 
      Genève était devenue protestante ; mais elle n’était pas vraiment pieuse ; le pape avait bien été chassé de ses murs, mais Jésus-Christ n’y régnait pas encore. C’est ce que déplorait Farel, embarrassé de sa victoire. Que ferai-je, se dit-il dans l’angoisse de son âme, de ce peuple livré à toutes les mauvaises passions de son cœur, de ce peuple démoralisé par l’exemple de ses prêtres ? Et ses regards suppliants s’élevaient vers Celui qui seul est fort. Dieu entendit ses prières ardentes et lui envoya du secours. Au moment où le réformateur était dans ses plus grandes perplexités, il apprend qu’un jeune homme, déjà célèbre, est arrivé à Genève ; il va le trouver dans son auberge : « C’est Dieu, lui dit-il, qui t’envoie ; la moisson est blanche ; mais nous manquons de moissonneurs. 
    — Je ne suis pas un homme de luttes, lui dit l’étranger ; je suis faible de santé, c’est dans le cabinet qu’est mon champ de travail. 
 
      — Ah ! tu aimes le repos, lui cria Farel d’une voix tonnante ; eh bien, que Dieu maudisse ton repos. » 
 
      Ces paroles firent une si profonde impression sur le cœur de l’étranger, qu’il crut entendre la voix de Dieu lui-même. Je resterai, lui dit-il ; ce mot décida du sort de Genève ; elle avait eu dans Farel son réformateur, elle eut dans Calvin (c’était lui) son législateur. 
 
      Farel qui, jusqu’à ce moment, avait occupé le premier rang dans l’œuvre de la Réforme, se plaça volontairement au second plan, et salua son chef dans ce frêle jeune homme qui n’avait pas trente ans. Mais en s’abaissant il s’éleva, car il fut plus grand par son humilité que par son courage. N’est-il pas écrit que celui qui est maître de son cœur, est plus fort que celui qui prend des villes ? 
 
      A dater de cette grande époque, Farel ne se fit plus connaître par des actions d’éclat ; il continua ses travaux de réformateur, et son nom devint inséparable de celui de Calvin. Il travailla, avec son jeune ami, à la régénération des Genevois, qui, après avoir déclaré qu’ils voulaient vivre chrétiennement, trouvèrent que c’était trop difficile et regrettèrent leurs prêtres qui les laissaient se conduire comme ils voulaient, pourvu qu’ils ne disent et ne fassent rien contre l’Église. Ces mêmes hommes donc, qui avaient appelé Calvin et Farel à la tâche de les réformer, les chassèrent ; ceux-ci prirent leur bâton de voyageur, mais ne secouèrent pas la poussière de leurs souliers contre la ville ingrate et coupable. Ils se retirèrent, en 1538, Calvin à Strasbourg et Farel à Neuchâtel, où il fut nommé pasteur. 
 
    L’homme qui renversait avec facilité les remparts du romanisme, s’apercevait qu’il était plus facile de faire haïr le pape que de faire aimer Jésus-Christ ; les Neuchâtelois qui, le 15 octobre 1530, avaient chassé l’idolâtrie romaine de leur ville, ne voulaient pas la bannir de leur cœur ; c’est cependant ce qu’il fallait faire, sans cela que leur aurait servi de se faire protestants ? Farel leur parla en chrétien qui désire ardemment que le règne de Dieu vienne. Ils ne l’écoutèrent pas, s’irritèrent, s’ameutèrent contre lui et parlèrent de le chasser ; mais Dieu, qui aimait Neuchâtel et voulait qu’elle devienne l’une des lumières de la réforme, changea les dispositions de ce malheureux peuple, et les mêmes hommes qui voulaient bannir Farel, adoptèrent le 1er février 1542 les ordonnances ecclésiastiques, qui menaçaient de peines sévères tous ceux qui voudraient vivre dans le mal. 
 
      De Neuchâtel le réformateur avait les yeux sur toutes les villes où il apercevait un mouvement religieux, alors il quittait momentanément ses fonctions pastorales et devenait missionnaire ; il apprend en 1542 que l’esprit de Dieu souffle à Metz, et tout aussitôt il quitte les bords de son lac, traverse le Jura, l’Alsace, et arrive le 3 septembre 1542 dans cette célèbre ville que François de Guise avait prise à Charles-Quint et que lui veut rendre à Dieu. Le lendemain il prêche dans le cimetière des Dominicains ; c’est en vain que les moines du couvent lancent leurs cloches à toutes volées pour couvrir sa voix qui est plus éclatante que leur carillon. 
 
      « Voilà, disent ironiquement les frères Haag, tout ce que les enfants de Saint-Dominique surent opposer à l’éloquence foudroyante de Farel. » 
 
      Les magistrats de Metz furent de meilleurs controversistes que les cloches de ces moines. Ils défendirent au réformateur de prêcher en public et en particulier. Devant cet ordre, appuyé de la force, Farel se retira à Montigny, d’où il alla prêcher à Gorze, où sa vie courut les plus grands dangers ; les femmes de cette localité faillirent l’étrangler parce qu’il leur assurait que la vierge Marie ne doit être ni invoquée, ni adorée. L’intrépide missionnaire retourna à Neuchâtel, qu’il ne quitta, depuis cette époque, que pour faire quelques courtes apparitions à Genève, pour y voir son ami Calvin et recevoir ses conseils. 
 
     Les ennemis de Farel n’étaient sobres à son égard ni d’attaques ni de critiques. C’est un fou furieux, disaient les uns ; c’est un extravagant, disaient les autres ; c’est une peste publique, disaient-ils tous ensemble ; mais nul n’osa l’accuser d’ambition ni de mauvaise vie. Un jour, c’était au mois de novembre 1543, il arriva à Genève dans un état piteux : ses souliers étaient percés, ses habits usés. Les magistrats furent touchés du dénuement de celui qui avait brisé leurs fers et les avait soustraits au joug humiliant de Rome. Ils voulurent lui donner une marque d’attachement et décidèrent, en plein conseil, « que la ville ferait cadeau, à M. Guillaume Farel, d’un habit neuf. » Ce jour-là, ces bons magistrats eurent l’honneur de vêtir Jésus-Christ dans la personne de l’un de ses plus fidèles et utiles serviteurs  {1}. Plus tard nous retrouvons notre réformateur à Genève à une époque de troubles extraordinaires, dont on trouvera le récit dans la vie de Calvin. La populace s’ameuta contre lui à l’occasion d’un sermon dans lequel il avait fortement censuré les Libertins : c’est ainsi qu’on appelait une classe de citoyens qui ne voulaient pas se soumettre aux ordonnances ecclésiastiques et prétendaient n’avoir d’autre règle de conduite que leur propre volonté ; aussi, fidèles au nom qu’ils portaient, ils vivaient dans le libertinage, publiquement, sans honte. Ce furent ces hommes immoraux qui intentèrent à Farel un procès devant les tribunaux, en l’accusant de sédition ; mais tout ce que Genève comptait d’hommes pieux et d’honnêtes gens, se groupèrent autour de l’accusé et l’accompagnèrent au tribunal, qui le renvoya de la plainte et ne voulut pas même écouter sa justification. 
 
      Par son âge, Farel paraissait destiné à précéder dans la tombe son ami Calvin ; il lui survécut ; sa douleur fui profonde quand il lui dit adieu pour la dernière fois ; il l’aimait tant et il était si digne d’être aimé ! 
 
      Farel vieillissait ; mais les forces lui revenaient comme à l’aigle ; toujours pasteur, toujours missionnaire, il allait, çà et là, comme les apôtres, fonder des églises. C’est ainsi qu’il arriva à l’âge de soixante-seize ans. La mort l’arrêta ; quand il la vit, il la regarda face à face sans se troubler. 
 
      Comme saint Paul, il pouvait dire, à la dernière étape de sa vie : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, la couronne de justice m’est réservée ; en effet, son bon Sauveur la lui réservait …  Et quelle couronne que la sienne ! chacun des diamants qui la composaient, et ils étaient nombreux, était une brebis perdue qu’il avait ramenée à Jésus-Christ. 
 
     Les disciples du réformateur le soignèrent avec un tendre dévouement ; quant à lui, il fut missionnaire jusqu’à sa dernière heure. Il exhortait tous ceux qui le visitaient à servir fidèlement le Seigneur. Sa chambre s’était transformée en un temple, et son lit de douleur en une chaire, d’où il donnait ses derniers enseignements. Sa voix avait cette onction que donnent les approches de la mort et cette austérité que donne une foi vivante. Ah ! c’est un touchant spectacle que celui de ce vieillard qui s’avance en paix vers les sombres avenues de la vallée de l’ombre de la mort, appuyé sur les seuls mérites du Rédempteur, et cependant, entre tous les serviteurs de Dieu, il brille comme un flambeau, et sa vie n’a été qu’une aurore continuelle de dévouement de tous les jours. « Tous ceux qui le voyaient, dit l’un de ses biographes, apporter dans sa maladie la patience et la résignation chrétiennes d’un vrai enfant de Dieu, se ressouvenant de tout ce qu’il avait supporté pour la cause du Christ, s’écriaient : Voyez ce personnage toujours semblable à lui-même ! quelle grâce spéciale lui a été accordée ! Vous savez qu’il ne s’est jamais étonné de rien, et que là où nous autres, en plusieurs cas fâcheux, avons été éperdus et ébranlés, lui, au contraire, toujours constant et assuré avait son Seigneur, nous a, par un courage magnanime, fortifiés et affermis  {2} » 
 
      Le 13 septembre 1565 fut le jour de son triomphe ; il remit son âme à Dieu, et les anges la transportèrent dans leurs bras dans les palais célestes, où elle demeurera jusqu’à l’heure bénie où elle ira habiter dans son corps ressuscité. 
 
      L’homme auquel Genève donna un habit ne pouvait laisser une riche succession ; l’inventaire qu’on en fit la porta au chiffre de 120 livres, environ 400 francs de notre monnaie ; mais il laissa plus que de l’or, car il légua à l’Église protestante le souvenir de sa foi et de son courage. 
 
      Voici le portrait que l’histoire nous a laissé de Farel. « Il était petit, trapu, de pauvre apparence ; sa figure était commune ; son teint était brun, comme s’il avait été brûlé par le soleil ; à son menton pendaient deux ou trois touffes d’une barbe rousse souvent mal peignée ; mais quand cet homme de si chétive apparence parlait, ses yeux lançaient des flammes, sa voix retentissait comme un tonnerre, ses lèvres étaient parlantes. » 
 
   Quelque grand qu’ai été Farel, il n’était pas un homme complet, il manquait quelquefois de prudence, et savait mieux tenir le marteau qui démolit, que la truelle qui édifie ; mais tel qu’il était, il fut l’ouvrier providentiel du moment. Des hommes prudents, comme Érasme, doux comme Mélanchthon, n’auraient pas osé ce qu’il osa ; en craignant de tout compromettre, ils auraient tout compromis, tandis que Farel, en s’exposant à tout perdre, gagna tout. Nous ne nous constituons pas l’apologiste quand même du réformateur ; mais qui osera lui contester sa gloire, si ce n’est le clergé romain, son vaincu ; mais il a beau bourdonner autour de sa tombe, il ne parviendra pas à rapetisser l’homme qui, sans peur et sans reproche, l’attaqua corps à corps, et le vainquit dans vingt batailles rangées. 
 
      Le nom de Farel ne fera que grandir, même à côté de celui de Calvin. Les hommes de cœur et de courage sont rares, hélas ! dans ces jours de grandeur matérielle et de décadence morale ; et quand un serviteur de Dieu, tel que le vainqueur de Genève, se place en face de nous, il se grandit de toute notre petitesse. 
 
      Hélas ! oserons-nous le dire, nous manquons aujourd’hui d’hommes trempés comme le gentilhomme gapois, mais si tout à coup Dieu nous les donnait, et qu’au sein de notre Réforme, ils veuillent faire pour elle ce que Néhémie fit pour Jérusalem, ne rencontreraient-ils pas sur leur route des Samballat et des Tobyja ? 
 
      La ville d’Orbe va élever un monument à Viret, Neuchâtel oubliera-t-elle son grand réformateur ? 
 
Notes 
 
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{1} (Mt 25:40) 
 
{2} Histoire de la Réformation française, t. II, p. 245-246 
 

 

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