JÉRÉMIE

02/01/2014 13:29
 

 

JÉRÉMIE

 

586-570 AVANT J.C. JÉRÉMIE

 

Introduction

Quand le juge prononce la condamnation du criminel, il le fait avec hauteur ; il relève la tête et bombe la poitrine. Son comportement va de pair avec la sentence ; après tout, le malfaiteur n’a que ce qu’il mérite. Aucun prophète n’a été obligé de donner un message plus terrible que Jérémie et il la fait fidèlement, mais avec les larmes aux yeux. Jérémie n’avait pas la puissance du prophète Élie ni l’éloquence d’Ésaïe ; c’était un homme timide, apeuré, conscient de sa faiblesse qui désirait ce qu’il n’a jamais eu, la sympathie et l’amour de ses compatriotes. Il n’avait pas en lui la force nécessaire pour accomplir sa mission et fut brisé en accomplissant son devoir.

   On le haïssait ; il fut rejeté autant que son message et il ne recueillait des hommes qu’injures et moqueries, calomnies, coups et blessures, menaces de mort et emprisonnements. Il fut aussi attaché au pilori, accusé de trahison et jeté au fond d’une citerne (#Jérémie 11:18-21; 12:6; 15: 19; 18: 18; 20:1-3; 37:11-16; 38:6). Mais malgré tout, il a tenu bon jusqu’au bout et a rempli le mandat qui lui avait été confié quand l’Éternel lui a dit :

Je fais de toi comme une ville fortifiée, comme un pilier de fer et un rempart de bronze face à tout le pays : face aux rois de Juda, à ses ministres, à ses prêtres et à son peuple (#Jérémie 1:18).

   Jérémie se projette dans ces prophéties qui souvent sont autobiographiques. De nature tendre et aimante, c’est une figure attachante et le prototype de l’Homme de douleur (#Esaïe 53:3), le Messie qui doit venir. Quand Jésus est allé dans la région de Césarée de Philippe, il interrogea ses disciples :  —  Que disent les gens au sujet du Fils de l’homme ? Qui est-il d’après eux ? Ils répondirent :  —  Pour les uns, c’est Jean-Baptiste ; pour d’autres Élie ; pour d’autres encore : Jérémie ou un autre prophète (#Matthieu 16:13-14).

   Les opinions divergeaient et personne n’était sûr de son identité. Il avait la puissance d’Élie, l’humilité de Jean-Baptiste, mais c’était aussi un homme habitué à la souffrance comme Jérémie. En effet, tous deux ont porté le fardeau que Dieu leur a confié, celui d’un peuple rebelle couvert de la crasse du péché. La différence réside bien sûr dans le fait que le Christ est mort pour expier les péchés de tous les hommes.

  Jérémie a voulu abandonner sa mission ; un jour, il a dit :

« Je veux oublier sa parole et je ne parlerai plus en son nom. » Mais sa tentative fut vaine car dit-il : il y a, dans mon cœur, comme un feu qui m’embrase enfermé dans mes os, je m’épuise à le contenir et n’y arrive pas ! (#Jérémie 20: 9).

 

   Il continua donc à prophétiser les menaces de l’Éternel bien que cela lui brisait le cœur. Car cet homme, comme je l’ai dit, était très sensible, exactement ce que l’Éternel voulait pour annoncer ses jugements à une nation corrompue et dégénérée. Dieu voulait ainsi communiquer à son peuple rebelle que le châtiment qu’il allait lui infliger lui faisait beaucoup de peine. Comme le dit Ésaïe, les jugements de l’Éternel sont une œuvre insolite et une tâche étrange (comparez #Esaïe 28:21).

   Jérémie est né dans le petit village d’Anatoth, aujourd’hui Anata, à 5 km au nord-est de Jérusalem situé sur le territoire de la tribu de Benjamin. Issu d’une famille de prêtres, Dieu l’a choisi comme prophète avant même sa naissance (#Jérémie 1:5; 645 av. J.-C.), l’a appelé alors qu’il était très jeune (#Jérémie 1:6), et lui a interdit de se marier à cause des catastrophes qui allaient s’abattre sur le royaume de Juda (#Jérémie 16:1-4).

   Jérémie commença à prêcher sous le règne du bon roi Josias (en 627 av. J.-C.) pour lequel il composa une complainte funèbre lors de ses funérailles (#2Chroniques 35:25). Contemporain des prophètes Sophonie, Habaquq et Ézéchiel, il exerça son ministère pendant plus de 40 ans (627-586 et au-delà) sous les règnes des cinq derniers rois de Juda : Josias (640-609), trois de ses fils [Yoahaz 609 ; Yehoyaqim (609-598) ; Sédécias (597-586)] et un petit-fils (Yehoyakîn ; 598-597). Les quatre derniers furent des rois idolâtres.

   Jérémie était un homme remarquable qui fut condamné à participer à l’agonie d’une nation épuisée et à voir disparaître un à un les signes de sa vitalité jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une coquille vide, froide, ténébreuse et corrompue. La mission de ce grand homme de Dieu a été de prophétiser alors que le royaume de Juda se trouvait sur une pente glissante menant à la catastrophe. Des débats passionnés agitaient la classe politique, les intrigues de cour étaient à leur comble et les pires décisions prévalaient sur les conseils de sagesse. La mission du prophète était de barrer la route à un peuple qui courrait à sa perte.

  Dans ce but, il a fourni un effort héroïque pour l’arrêter et lui faire rebrousser chemin. Le message de jugement qu’il annonçait ne comportait aucune fatalité. Les prophètes de l’Ancien Testament ne sont pas des devins qui prédisent un avenir coulé dans le béton qu’on ne peut que subir. Ils croient toujours que la repentance est possible. C’est pourquoi ils avertissent des conséquences qu’entraînent les fautes du peuple afin que celui-ci les délaisse et revienne à l’Éternel. Jérémie souligne particulièrement que si un peuple change, l’Éternel renonce au malheur dont il l’a menacé (#Jérémie 18:7-10). Voilà pourquoi il appelle fréquemment ses auditeurs à se repentir.

   Jérémie, c’est la foi debout au milieu des ruines. Il ne domine pas son temps, mais le subit comme un fardeau assigné. Il désespère, mais en même temps espère tout. Il accepte tout pour Dieu, pour ses concitoyens ingrats et aveugles, voilà sa vie. Lorsque dans sa nuit obscure il épanche son cœur, il le fait sans amertume et sans colère. Les censures les plus sévères, les invectives les plus poignantes sont mêlées aux cris d’une compassion émouvante et aux appels les plus tendres de la miséricorde divine.

   Patriote par toutes les fibres de son être, il se voit obligé de conseiller la reddition la plus honteuse. Il souffrit cruellement de devoir apporter le message de jugement dont il était chargé, car il ne voulait pas le malheur de son peuple. Il n’a pas été entendu ce qu’il savait d’avance, mais il espérait quand même. Ayant échoué, il a dû regarder son peuple qu’il aimait de la tendresse d’une mère aller se précipiter dans la perdition et partir en exil.

   Il faut dire aussi que la condition spirituelle de Juda était catastrophique car entachée d’une idolâtrie grotesque (comparez chapitre 2) bien avant Jérémie. Plus d’un siècle auparavant, déjà à l’époque d’Ésaïe, le roi Ahaz (741-726) avait instauré un culte accompagné de sacrifices d’enfants au dieu Molok dans la vallée de Ben-Hinnom aux environs de Jérusalem. Le roi Ézéchias avait aboli cette monstruosité et inauguré plusieurs réformes religieuses (#Esaïe 36:7), mais le règne de ses deux premiers successeurs, Manassé et Amon, jeta sans retour Israël sur la pente qui devait le conduire à sa ruine. Sous le règne de Manassé qui dura 55 ans, le torrent d’idolâtrie et de corruption reprit et accéléra sa marche.

   Toutes les religions païennes des peuples d’alentour, les idolâtries phénicienne, syrienne, ammonite, moabite, chaldéenne, introduites par le roi lui-même, eurent comme rendez-vous le temple de Jérusalem. Tous ceux qui essayèrent de résister, prophètes ou simples fidèles, furent mis à mort. Manassé, écrit un auteur sacré, fit tuer beaucoup de gens innocents, au point que Jérusalem fut remplie d’un bout à l’autre de ses victimes (#2Rois 21: 16). Un châtiment terrible frappa le monarque ; il fut emmené en Assyrie avec une troupe de vingt-deux rois captifs dont une inscription assyrienne nous a conservé la liste. Dans ce document, nous lisons ces mots : Minasi, roi de Yauda, c’est-à-dire Manassé roi de Juda (comparez #2Chroniques 33:11). Manassé se repentit de ses crimes et revint dans son royaume, mais cela n’amena aucun changement durable au sein du peuple.

   Son fils Amon se hâta de renouer avec les premières et les plus mauvaises pratiques de son père : les sacrifices d’enfants et une idolâtrie épouvantable. Il fut assassiné après deux ans de règne, mais les Israélites continuèrent de plus belle jusqu’au temps de Jérémie (#Jérémie 7:31; 19: 5; 32:35) où beaucoup adoraient également la reine du ciel (#Jérémie 7:18; 44:19).

   Le règne de Josias, fils d’Amon, permit un temps d’arrêt sur le chemin de la ruine. Quoique tout jeune encore, il déclencha des réformes qui permirent de diminuer les pratiques idolâtres. Après qu’un exemplaire du livre de la loi fut retrouvé dans le temple (622 av. J.-C. ; #2Rois 22: 8), il renouvela, au nom de tout son peuple, l’alliance avec l’Éternel et fit célébrer la Pâque de la manière la plus grandiose et solennelle. L’avenir se présentait sous les auspices les plus favorables, quand une catastrophe soudaine mit fin à cette tentative de relèvement. C’était le moment où le pharaon Néco partait faire la guerre en Orient contre les Babyloniens. Comme il s’arrogeait le droit de traverser la Palestine, Josias décida de l’arrêter, une entreprise vaine qu’il paya de sa vie à la bataille de Meguiddo (609 av. J.-C.).

   Comme le réveil spirituel qu’il avait inauguré était superficiel et que le cancer mortel du péché était profond, ses successeurs rétablirent une idolâtrie d’état et officielle en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Alors, le peuple, comme un train en folie, continua résolument en direction du précipice de sa ruine. Jérémie assista à la destruction de Jérusalem et vit le peuple massacré ou emmené en captivité. Lui fut autorisé à rester dans le pays parce que le roi de Babylone qui connaissait son ministère le respectait. Je lis le passage :

Nabuchodonosor, roi de Babylone, confia Jérémie à Nebouzaradân, chef de la garde royale, en lui ordonnant :  —  Prends-le en charge, veille sur lui, ne lui fais aucun mal, mais au contraire, agis à son égard comme il te le dira (#Jérémie 39:11-12).

   Jérémie décide de rester dans le pays, cependant, quand les Israélites restants décidèrent de s’enfuir en Égypte, il s’opposa à leur projet, mais fut contraint par la force de les accompagner (#Jérémie 42:15-43:3; 43:6-7). Selon la tradition, comme il continuait à prophétiser, les Juifs le lapidèrent. Cependant, une note rabbinique affirme que lorsque Nabuchodonosor a envahi l’Égypte (568-567 av. J.-C.) il l’emmena à Babylone.

   La situation tragique du peuple de Juda et les prophéties de Jérémie permettent aussi une réflexion sur le péché. La rébellion contre Dieu n’est pas un acte qui se perd dans le passé et qu’on oublie, car il laisse derrière lui une trace, une souillure qui demeure et qui appelle un jugement. De plus, il affecte la personne entière, il colle à la peau, est enraciné dans le cœur et imprégné dans la chair. Jérémie le présente comme une maladie incurable.

   Le pécheur se construit une vision du monde qui est insensée et irrationnelle qui le force à faire une lecture complètement fausse de l’histoire (comparez #Jérémie 44:17), mais il est incapable de voir la vérité (#Jérémie 6:15). Le péché asservit l’homme tout entier le rendant incapable de revenir de lui-même à Dieu (#Jérémie 13: 23).

   Jérémie constate donc l’échec du projet dont Israël était porteur, échec du peuple choisi, échec de la lignée de David, échec de la réforme des rois Ézéchias et Josias et enfin l’échec de toutes les alliances de Dieu avec les descendants d’Abraham. Cependant, le caractère radical de cet échec rend la situation mûre pour la promesse d’un tout nouveau commencement, un nouveau régime, une nouvelle alliance dans laquelle les causes de l’échec de l’ancienne seront éliminées. Un simple raccommodage ne peut suffire parce qu’il ne changera rien au fond du problème ; il faut que Dieu crée du neuf sur terre (#Jérémie 31:22).

   Bien que le jugement occupe la plus grande place dans la prédication de Jérémie, c’est lui, plus que tout autre prophète, qui développe le thème de la nouvelle alliance, car l’objectif que Dieu poursuit de manière ultime est la restauration du peuple choisi et avec lui de toute l’humanité. Pour établir un nouveau régime, il faut complètement détruire l’ancien parce qu’il est nécessaire qu’il y ait rupture.

Le jugement que Jérémie annonce va donc atteindre tout ce qui symbolise l’ancien régime ; il faut tout extirper : Jérusalem, la ville de David et que l’Éternel s’était choisie, est mise à sac. Détruit est le temple auquel le peuple voue un attachement superstitieux, comme à un talisman censé le protéger quoiqu’il arrive. Même le coffre de l’alliance qui se trouvait dans le Saint des saints au cœur du temple et qui symbolisait la relation toute particulière entre l’Éternel et son peuple, disparaît définitivement (#Jérémie 3:16).

   Les rois, les uns après les autres, sont abandonnés à l’ennemi et le peuple aussi. Une grande partie périt par l’épée, la famine ou la peste et le reste part en exil. Le pays promis doit être évacué de ses habitants, car tout ce qui rappelle l’ancien régime doit disparaître. C’est dans cette optique que Jérémie appelle les Israélites à abandonner tout espoir et à se soumettre aux Babyloniens, car en agissant ainsi, c’est rompre avec un peuple perverti atteint d’une maladie incurable, et un système qui a échoué. L’exil à Babylone sera une épreuve purificatrice qui permettra d’en finir avec l’idolâtrie, une plaie qui a empoisonné Israël depuis sa création.

   Le livre de Jérémie se présente sans ordre chronologique, comme une collection d’oracles entremêlés de récits biographiques suscités par les événements du moment. Il comporte aussi des confessions qui sont des prières dans lesquelles le prophète exprime en toute sincérité la manière dont il vit les circonstances douloureuses de son ministère. Il parle de ses découragements, exprime ses interrogations, et implore l’Éternel en lui demandant de le délivrer de ses persécuteurs.

   Ce livre s’est constitué en plusieurs étapes et l’histoire de sa formation a été mouvementée, ce qui est compréhensible au vu des événements dramatiques qui ont marqué la vie du prophète et du royaume de Juda. Un certain nombre d’oracles figurent en double exemplaire en deux endroits différents. À la fin de la vie de Jérémie ou peu après sa mort, on les a rassemblés en deux collections différentes. La plus longue, représentée par le texte hébreu traditionnel, semble avoir été conservé par les exilés en Babylonie tandis que l’autre qui est environ 12 % plus courte, a été recueillie par ceux qui se sont réfugiés en Égypte, où elle a servi de base aux traducteurs d’Alexandrie qui ont rédigé la Septante, l’ancienne version grecque de l’Ancien Testament.

 

Jérémie affirme l’efficacité de la parole divine, car ce qu’il annonce s’accomplit (#Jérémie 5:14; 23: 9) parce que Dieu étant fidèle, il fait ce qu’il dit. Cependant, aujourd’hui, on ne lit guère Jérémie, et pourtant il révèle le secret de la force nécessaire pour traverser les crises aiguës d’une époque où les valeurs d’antan disparaissent et où le monde change rapidement. Au travers de ces prophéties, le fidèle apprend à croire sans voir et à faire confiance à Dieu malgré ses circonstances. 

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