Robert Estienne

10/10/2016 13:28

 

Robert Estienne
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Naissance Voir et modifier les données sur Wikidata
ParisVoir et modifier les données sur Wikidata
Décès Voir et modifier les données sur Wikidata
GenèveVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom dans la langue maternelle
Robert EstienneVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
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Activités
imprimeur, éditeurVoir et modifier les données sur Wikidata
Frère
Enfant

 

Robert Estienne, né en 1503 à Paris et mort le 

 à Genève, est un lexicographe et imprimeurfrançais. Il fut nommé avant 1539, par le roi François Ier, imprimeur royal pour l'hébreu et le latin, auxquels s'ajouta le grec en 1544.

 

***

ROBERT ESTIENNE 
 
 
 
Au nombre des causes qui favorisèrent la réformation religieuse du seizième siècle, il faut placer en première ligne la découverte de l’imprimerie par Gutemberg. Cet ouvrier de génie ne se doutait pas, en 1456, quand il imprimait à Mayence sa fameuse Bible, dite la Bible de quarante-deux lignes {1}, qu’il forgeait les armes avec lesquelles Luther et ses compagnons d’œuvre attaqueraient la papauté. Si le pontife romain, alors tout-puissant, avait pressenti le mal qu’une presse à imprimer lui ferait, il aurait donné à Gutemberg un bûcher ou un cachot ; quand il s’aperçut des ravages que la grande invention faisait dans son Église, c’était trop tard, il lui fallut subir, tout en le maudissant, ce qu’il ne pouvait empêcher. 
 
      Le protestantisme, qui a eu ses statuaires, ses poètes, ses peintres, a aussi ses grands imprimeurs, à la tête desquels figure Robert Estienne, le plus connu des trois fils de Henri Estienne. 
 
      Robert naquit à Paris en 1503. On ignore, disent les frères Haag, quels furent ses maîtres ; ils durent être excellents si on en juge par les progrès rapides de l’enfant auquel, de bonne heure, les langues grecque, latine et hébraïque devinrent familières. À dix-sept ans, il perdit son père ; sa mère s’étant remariée, il fit son apprentissage d’imprimeur sous la direction de Simon de Colines, son beau-père, qui géra l’établissement d’Henri Estienne pendant la minorité de ses héritiers. 
 
     Robert, qui avait de grandes connaissances littéraires, composait, mais avec intelligence ; quand il voyait des fautes sur la copie, il les corrigeait. Sa hardiesse faillit lui devenir funeste, car il osa rétablir quelques passages d’un Nouveau Testament que son beau-père lui avait donné à collationner. La Sorbonne s’émut de la témérité du jeune typographe ; et à dater de ce jour, et pendant trente ans, elle ne cessa de le poursuivre comme un homme dangereux. 
 
      Notre jeune ouvrier, qui avait une âme noble et un cœur intrépide, ne baissa pas la tête devant une corporation contre laquelle le roi lui-même se sentait quelquefois impuissant ; il ne s’agissait de rien moins que de brûler le jeune audacieux dont le seul crime était d’avoir rétabli la vérité dans des passages altérés par les docteurs de l’Église romaine ; un procès lui fut intenté. Il gagna sa cause, après avoir prouvé aux Sorbonnistes qu’ils étaient des ignorants et des faussaires. 
 
      Robert, parvenu à sa majorité, fonda une imprimerie qui devint célèbre, et à laquelle il dut la gloire qui s’est attachée à son nom. Selon la coutume du temps, il prit pour marque un olivier, avec cette devise tirée de l’épître aux Romains : « Noli altum sapere (sed time). Ne t’élève pas, mais crains » ; il eut le bonheur d’épouser une femme intelligente et aimante qui l’aida dans sa noble industrie, et le soutint dans ses épreuves. Elle était la fille du célèbre imprimeur Jodocus Badius, et s’appelait Perrette Bade. 
 
      La maison des deux jeunes époux devint le rendez-vous des savants les plus renommés de cette belle et glorieuse époque. Robert occupait parmi eux une place distinguée ; dans sa famille, tout le monde, jusqu’aux domestiques, parlait latin, la seule langue avec laquelle les savants de toutes les nations communiquaient entre eux. Robert leur était particulièrement cher, parce que les ouvrages grecs et latins qui sortaient de ses presses étaient remarquables par la correction du texte, la beauté des caractères et l’élégance de l’impression ; aussi mérita-t-il le titre de prince des typographes, et le célèbre historien de Thou affirme que la France et la chrétienté tout entière lui doivent plus qu’aux plus grands hommes de guerre. 
 
     En 1528, Robert fit paraître une édition de la Bible en latin ; quatre ans après, il en fit paraître une nouvelle accompagnée de notes courtes, mais claires, tirées des meilleurs commentateurs. La Sorbonne cria au scandale et déclara que la mort était une peine trop douce pour un tel crime. 
 
      Robert avait imprimé des vérités aussi incommodes aux Sorbonnistes que le soleil aux oiseaux de nuit. Ses ennemis qui ne le lui pardonnaient pas, cherchèrent mille moyens de le perdre et ne lui épargnèrent ni les espions, ni les visites domiciliaires. Il supporta tout avec une grande patience et continua avec une admirable persévérance à propager, par la presse, la connaissance des saintes Écritures. 
 
      Après la mort de François Ier, Robert se trouva sans protecteur ; et, chose étrange ! parmi les hommes qui voulaient proscrire ses belles Bibles, il y en avait qui ne connaissaient pas le latin, et même l’un d’entre eux dit un jour : « Pardieu ! j’avais plus de cinquante ans et je ne savais pas ce que c’était qu’un Nouveau Testament. » Après de longs pourparlers, notre imprimeur finit par se trouver, au Conseil du roi, en présence d’une dizaine de Sorbonnistes et de plusieurs seigneurs et évêques ; on discuta avec animation. Les docteurs, qui se croyaient infaillibles, ne s’étant pas concertés, se chargèrent de la défense de Robert, soit en étant de son avis, soit en disant des choses niaises et ridicules qui amusaient les assistants. L’imprimeur défendit ses textes avec autant d’habileté que d’érudition, et après des débats longs et orageux, le Conseil du roi décida que cette affaire regardait les évêques, et défendit aux Sorbonnistes de continuer à usurper un droit de censure qui ne leur appartenait pas. 
 
      En entendant l’arrêt du Conseil, les docteurs murmurèrent, se retirèrent frémissant de rage, et résolurent de soumettre les textes de notre imprimeur à la chambre ardente ; c’était jeter l’agneau dans la gueule du loup. 
 
     Cette chambre ardente avait été instituée pour constater les cas d’hérésie ; chaque fois qu’un protestant était cité à comparaître devant elle, il évitait rarement la mort ; or, comme cette chambre condamnait les accusés à être brûlés, on lui donna le surnom d’ardente, du mot latin ardere, qui signifie brûler. 
 
      Robert Estienne vit de suite le danger ; dans ce moment critique de sa vie, il déploya une grande habileté et un plus grand courage ; il aurait pu, en se rétractant, vivre tranquille, il ne le voulut pas. Malgré la justesse de sa cause, défense lui fut faite de vendre ses Bibles ; mais comme l’arrêt qui le frappait était trop inique, on ordonna à la Sorbonne de l’indemniser et de lui donner quinze cents écus. 
 
      Les docteurs jetèrent de hauts cris : « C’est infâme, dirent-ils, qu’on prenne le parti des méchants ! » Le roi Henri II, qui aurait dû le protéger, à l’exemple de son père, était faible ; les docteurs ne payèrent rien, et l’imprimeur se trouva ainsi à peu près ruiné, mais non découragé. « Je puis dire, à la vérité, écrivait-il à un ami, que mon esprit a toujours été libre, je n’ai jamais servi à l’argent, le Seigneur m’a accoutumé au travail comme l’oiseau au vol. » Il continua à faire travailler ses nombreuses presses, d’où sortit sa belle Bible hébraïque. Les Sorbonnistes ne s’opposèrent pas à sa vente, car ils ne connaissaient pas la première lettre de l’alphabet hébreu ; mais bientôt après ils criaillèrent contre notre imprimeur, qui résolut dès lors de quitter la France. 
 
      Robert Estienne n’avait pas impunément lu la Bible, elle avait parlé à son âme honnête et droite, et sans qu’il se soit dit : Je veux être protestant, il l’était devenu. Les bûchers sur lesquels il avait vu monter tant de courageux confesseurs de Jésus-Christ, ne l’avaient pas effrayé, et sans sa nombreuse et belle famille, il serait demeuré en France, au risque d’y être brûlé ; mais il était père, et désirait naturellement chercher, pour ses enfants, un lieu où il pourrait les faire élever chrétiennement et les soustraire à la haine des prêtres. Il jeta les yeux sur Genève, déjà le refuge de tant de Français. Il fit partir successivement les membres de sa famille, et arriva lui-même, en novembre 1550, dans la ville hospitalière, accompagné de son fils aîné, Henri. 
 
     Dans le mois suivant, Robert fit confirmer son second mariage avec Marguerite Deschamps, et reprit ses travaux d’imprimerie. Ce fut lui qui eut l’idée de publier le Nouveau Testament en versets, usage qui depuis a été suivi et qui offre de grands avantages pour la masse des lecteurs. 
 
      La haine des prêtres poursuivit Robert Estienne jusque sur la terre étrangère ; on l’accusa, lui, l’un des hommes les plus désintéressés et les plus probes de son époque, d’avoir volé les caractères grecs de l’imprimerie royale ; mais son nom est demeuré pur de toute tache, et la boue qu’on a voulu lancer contre lui, est retombée sur ses lâches accusateurs qui, n’ayant pu lui ôter la vie, tentèrent de lui ôter l’honneur. 
 
      Robert, par sa conduite éminemment chrétienne, obtint, en 1556, de ses nouveaux hôtes, le droit de bourgeoisie. C’est ainsi que les persécutions qui appauvrissaient la France, enrichissaient l’étranger. Calvin et Théodore de Bèze honorèrent de leur amitié le grand imprimeur qui mourut le 7 septembre 1559, jeune encore ; à cette époque, on vieillissait vite ; mais la vie était bien remplie. 
 
     Robert Estienne laissa plusieurs enfants qui portèrent dignement son nom ; le plus célèbre est Henri, celui qui l’accompagnait quand il fuyait une patrie ingrate, à la grandeur de laquelle il avait concouru. Henri eut les goûts de son illustre père, et « parti de plus bas, disent les frères Haag, il arriva plus haut. » Dès ses plus jeunes années, son désir d’apprendre se développa avec tant de force, qu’il devint une passion ; il parlait grec comme un Athénien, latin comme un habitant de Rome. Des maîtres célèbres, au nombre desquels était Turnèbe, travaillèrent au développement de ses belles facultés ; à dix-sept ans, il prenait rang parmi les savants de son siècle ; à dix-neuf, il visitait les principales bibliothèques de l’Europe, et se mettait en rapport avec tous les hommes célèbres de cette admirable époque. Son voyage dura deux ans : après quelques jours de repos, il passa la Manche et alla à Londres, où Édouard VI, encore enfant, mais enfant précoce, l’accueillit gracieusement. Il retourna en France en passant par le Brabant. Quand il rentra dans le foyer paternel, son père se disposait à s’expatrier. Quel que fut l’attrait que Paris offrit au jeune savant, il n’hésita pas ; il aimait son père, et le suivit à Genève. Habitué à une vie facile et élégante, le séjour de cette ville lui parut trop austère, et la seconde femme de son père, dont le caractère était un peu difficile, lui rendait le toit paternel peu agréable ; aussi la passion des voyages se réveilla en lui, et il partit pour l’Italie ; il visita des bibliothèques, des musées, conversa avec des hommes lettrés, retourna à Genève et se maria avec l’une des filles de sa belle-mère, « et pendant neuf ans, disent ses biographes, il jouit de toutes les douceurs de la vie domestique. » 
 
      Henri succéda à son père, prit la direction de son imprimerie et la porta au plus haut degré de prospérité. Le travail était son élément ; il dormait à peine : ses forces s’épuisèrent, et un profond abattement succéda à la fièvre de travail qui le consumait ; ses amis croyaient qu’il ne reprendrait plus son activité première ; mais au moment où il paraissait le plus abattu, il reprenait ses premières forces, et retombait bientôt après dans son état de langueur dont il ne sortait que par sa fièvre de travail ; on le plaignait et on l’admirait. 
 
     Henri était protestant, mais son cœur n’était pas chrétien ; ses voyages lui avaient procuré plus de science que de moralité, sa vie n’était pas des plus exemplaires, et tous ses écrits n’étaient pas de ceux dont un père peut permettre la lecture à son fils. Ce qui serait passé inaperçu à Paris, devint un crime à Genève, où régnait le code ecclésiastique qui forçait les citoyens à vivre comme des chrétiens. Henri Estienne fut souvent réprimandé, et même, le 6 février 1570, la cène lui fut interdite. Le séjour à Genève lui devint dès lors odieux, et il alla à Paris où Henri III l’accueillit très gracieusement et l’admit dans sa familiarité. Son ambassadeur intercéda pour lui auprès des magistrats de Genève, et notre savant put retourner dans cette ville pour y reprendre la direction de son imprimerie. La leçon qu’il avait reçue fut perdue pour lui, et il composa des écrits immoraux qui le firent censurer publiquement par le consistoire et chasser du conseil des Deux-Cents. Il fut même condamné à la prison. 
 
      Henri III, qui n’était pas très moral, fit agir son ambassadeur auprès des magistrats genevois, afin d’obtenir son élargissement. Ses démarches ne furent pas infructueuses. Il sortit de prison et promit de ne plus rien imprimer avant de le soumettre à la censure d’un ministre. Mais il ne tint pas sa promesse, et, par sa faute, il se condamna à une vie errante, agitée qui convenait trop bien à sa nature mobile et inquiète. Sa fortune qui aurait pu devenir considérable, fut gravement compromise par ses voyages continuels. À peine est-il dans un endroit, que l’ennui le saisit et qu’il court vers un autre qu’il abandonne bientôt après ; tour à tour abattu, et plein d’énergie, il fait paraître des ouvrages remplis d’érudition. — En 1590, il est à Bâle ; en 1592, il professe le grec à Lausanne ; l’année d’après, il est à Heidelberg ; en 1577, à Montpellier, où .il s’ennuie, et qu’il quitte pour se rendre à Lyon, où la mort l’arrête. En arrivant dans cette ville, il était malade ; comme il n’avait personne pour le soigner, il se fit transporter à l’hôtel-de-Dieu où il expira dans les premiers jours de mars, à l’âge de soixante-dix ans. Il ne laissa aucune fortune à sa veuve et à ses enfants. Il fallut vendre ses livres à l’encan, pour payer ses créanciers. Il ne manqua au célèbre imprimeur qu’une piété vivante pour prendre place au nombre des hommes illustres dont s’honore le plus le protestantisme français. Privé de la seule chose nécessaire, cet homme si admirablement doué ressemble à un magnifique navire qui a de trop grandes voiles et un trop petit gouvernail. 
 
   Il porta la peine de sa légèreté, et la fit porter à sa famille, qui n’hérita de lui qu’un grand nom qu’elle ne sut pas porter. 
 
      Henri Estienne avait pour gendre le célèbre Casaubon, dont nous raconterons la vie. Quand il apprit sa mort, il écrivit les paroles suivantes dans son journal : 
 
      « Estienne, dit-il, est mort à Lyon, loin de sa maison, comme quelqu’un qui n’aurait pas eu de foyer, lui qui avait un établissement considérable à Genève ; loin de son épouse, lui qui en avait une très chaste ; loin de ses enfants, lui qui en avait encore quatre en vie. Chose déplorable, et d’autant plus déplorable, que le défunt n’était absent de chez lui par aucune nécessité. Que nous sommes de misérables êtres, lorsque je pense, mon Estienne, toi ! qui aurais pu tenir le premier rang parmi les hommes de ta condition, tu as mieux aimé être rejeté que d’être en honneur. Toi, qui avais reçu de grands biens laissés par ton père, tu as mieux aimé les dissiper que de les conserver. Toi qui avais été si bien doué par la divine Providence, que pas un ne rivalisait avec toi pour la connaissance des lettres, et surtout des lettres grecques. Cela, mon Estienne, ne fut pas tant ton fait que le résultat des vices de notre esprit, car il n’est donné qu’à un petit nombre de connaître ses avantages et d’en profiter. Cependant, ô grand homme, tu as fait des tiens, étant ferme, le meilleur usage ; tu as si bien mérité des lettres qu’il y en a peu qui puissent t’être justement comparés et presque aucun qui puisse t’être préféré ! Sans doute ! ô grand homme ! dans le bien comme dans le mal, tu as donné de grands exemples. Fasse le ciel que moi et les miens, nous imitions tes vertus, ton ardeur infatigable à l’étude. S’il y eut des taches en ta vie, et entre autres celle-ci, que tu as toujours préféré être loin de ta maison que d’y être présent, efforçons-nous de ne pas tomber dans les mêmes fautes. Je te supplie, ô Dieu éternel, de veiller sur les enfants survivants et sur la famille Stéphanienne ; fais en sorte qu’elle prospère dans la suite, et dans toutes les vertus. Surtout, je te recommande, ô Dieu ! mon épouse ; si elle vient à apprendre la mort de son père, quelles plaintes, quels gémissements fera-t-elle entendre ! console-la donc, Père des miséricordes, qui seul en as le pouvoir, et fais que toujours nous nous accordions les deux dans l’amour de toi et dans ton culte, avec les très chers enfants que tu nous as donnés ! Amen. » 
 
   Ces paroles de Casaubon sur Henri Estienne sont le jugement de la postérité, et quelque grands que soient les services rendus par un homme aux arts, aux lettres et aux sciences, à la religion même, on ne doit jamais oublier que le plus grand qu’il puisse rendre à l’humanité, c’est l’exemple d’une sainte vie. 
 
      L’imprimerie, nous l’avons dit en commençant la biographie de Robert et de Henri Estienne, rendit à la réforme des services incalculables, et parmi ceux qui, les premiers, marchèrent sur les traces de Gutemberg, l’histoire compte bien des noms illustres qui honorèrent leurs presses en popularisant la sainte Écriture. Genève, cette petite ville, qui comptait à peine vingt mille habitants, avait, à la fin du seizième siècle, vingt-deux imprimeurs ! De leurs presses sans cesse en activité, sortirent, par milliers de milliers d’exemplaires, les écrits des réformateurs qui, en se répandant dans toute l’Europe, portèrent à la papauté un coup dont elle ne s’est pas relevée. Ces imprimeurs, pour la plupart, étaient des savants distingués, et pour eux, imprimer n’était ni une profession, ni un métier, mais une noble vocation dont ils avaient conscience. — Sans doute, quelques-uns d’entre eux déshonorèrent leurs presses en les faisant servir à propager des livres licencieux, mais ce ne fut heureusement qu’une exception. Parmi ceux qui eurent le sentiment de leur responsabilité, il faut placer en première ligne l’avocat Jean Crespin, natif d’Arras. Il eut pour professeur de droit, le célèbre jurisconsulte Baudoin, et pour ami de jeunesse, Théodore de Bèze. Il s’enfuit de France en même temps que lui, et se réfugia à Genève, où il fonda une imprimerie qui devint célèbre, même à côté de celle d’Henri Estienne. 
 
      La vie de Crespin ne présente rien qui soit de nature à exciter notre curiosité, aussi elle est tout entière dans les livres qu’il imprima et dans ceux qu’il composa ; le plus connu de ces derniers, c’est sa grande Histoire des martyrs. Ce livre est le livre d’or des protestants, et s’il y avait aujourd’hui au milieu d’eux un peu plus du zèle de leurs glorieux ancêtres, l’Histoire des martyrs aurait sa place marquée entre la Bible et les Psaumes. Honneur donc à l’avocat d’Arras qui, après de patientes recherches, nous fait assister aux douleurs, aux souffrances et aux martyres de ceux de nos pères qui ne voulurent pas se courber sous le joug papal ! Honneur à l’homme qui dédia ses presses à Jésus-Christ, et ne les fit servir qu’à la propagation de son saint Évangile ! 
 
     Crespin mourut en 1572, de la peste ; sa famille aujourd’hui est éteinte, mais le nom du pieux imprimeur vivra aussi longtemps que celui des martyrs protestants dont il nous a conservé la mémoire. 
 
      Dans une belle préface notre savant et pieux imprimeur s’adresse à « l’Église de notre Seigneur et à tous ses vrais enfants épars entre les peuples et nations. 
 
      Si j’avais, lui dit-il, à faire à quelque roi ou prince terrestre, j’userais de préface qui recommanderait ce que je lui présenterais. Mais envers vous, ô bienheureuse épouse du Seigneur, qui avez nourri ceux qui vous sont offerts dans ce recueil, je n’ai besoin de recommandation ! » 
 
      En parlant des martyrs dont il veut raconter la vie, il dit : « Ce ne sont pas leurs os, leurs cheveux, les membres de leurs corps, ni les haillons ou pièces de leurs habillements que je veux vous recommander, afin que vous en fassiez des reliquaires à l’imitation de l’Église romaine, mais je veux vous les montrer parlant en leurs écrits et remportant des triomphes plus magnifiques que ceux que le monde décerne à ceux qui remportent des victoires. Dans ces jours de calamité y a-t-il une plus grande consolation à vous offrir que l’exemple de leur constance et de leur fidélité ? » 
 
      Le pieux écrivain tient parole. Il n’est pas effrayé par la grandeur de son œuvre, et dans un livre in-folio de plus de 1 400 pages à deux colonnes, il nous raconte en termes simples, touchants, souvent énergiques et originaux, l’histoire des martyrs de la Rome païenne et de la Rome papale. Il prouve que ceux qui meurent sous les Valois, meurent pour la même cause que ceux qui étaient décapités, brûlés sous les empereurs romains. Que de noms oubliés ne remet-il pas en lumière, et comme on est fier de descendre des Louis de Berquin, des Caturce, des Jean Leclerc, quand on sait que ces grands martyrs protestants mouraient pour professer la même foi que les Irénée, les Polycarpe, les Blandine et tant d’autres dont le nom nous est demeuré inconnu ! 
 
   Le livre des Martyrs de Crespin était complet quand il le termina, puisqu’il nous fait assister à l’immolation des protestants, ses contemporains. Mais hélas ! les Valois et les Bourbons ont rendu sa continuation nécessaire, car que de potences ne se sont-elles pas dressées, et de bûchers ne se sont-ils pas allumés depuis l’année si sinistre de 1572. 
 
      En terminant cette courte notice sur Crespin, nous sentons le besoin d’attirer l’attention de nos lecteurs sur le mot martyr. Ce mot tiré du grec signifie témoin. Il fut donné à ceux des premiers chrétiens qui furent mis à mort à cause de leur foi : Ce sont, disaient leurs frères des témoins de Jésus, ils lui rendent témoignage en face de ses ennemis et meurent pour la gloire de son saint nom. 
 
      De tous les noms qu’un chrétien peut porter, il n’en est pas de plus glorieux que celui de martyr ; mais si un martyr est un homme qui rend témoignage à Jésus-Christ par sa fidélité, nous sommes tous appelés à porter ce nom, puisque tous, nous sommes appelés à le glorifier par nos œuvres. 
 
      Ne l’oublions pas, le ciel ne sera donné en héritage qu’aux témoins de Jésus-Christ. N’est-il pas écrit que celui qui confessera Jésus devant les hommes, Jésus le confessera devant son Père et devant ses anges ; et que celui qui le reniera, il le reniera. Enfin on croit assez généralement qu’il est plus difficile de rendre témoignage à Dieu aux jours de persécution qu’à ceux de paix ; c’est une erreur. En effet, où sont parmi nous les protestants qui glorifient hautement Dieu par leur haine du péché, l’amour du ciel et le détachement des choses de la terre ! Hélas ! on les compterait, tant ils sont peu nombreux ! Mais qu’on se reporte aux jours où Crespin écrivait son Martyrologe, et on les comptera par milliers. O ! que Dieu nous donne les martyrs de la paix, comme il nous a donné ceux des persécutions. 
 
Notes 
 
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{1} Sans doute parce que chaque page avait 42 lignes. 
 

 

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