Théodore de Bèze

10/11/2016 13:34

 

Théodore de Bèze
Bèze, Théodore de (1519-1605) - 1596 - inc Boissard, J.J Bibliotheca chalcographica -1652-69.png

Portrait de Théodore de Bèze en 1596.

Naissance
VézelayBourgogneFrance
Décès  (à 86 ans)
GenèveSuisse
Nationalité
École/tradition Réforme protestante
Calvinisme
Monarchomaque
Principaux intérêts Réformateur protestant
Théologien protestant
Droit
Littérature
Œuvres principales Poemata (1548)
Abraham sacrifiant (1550)
Le Passavant (1553)
Confession de foy chrestienne(1559)
Le Psautier huguenot (1551-1562)

Droit des magistrats (1574)
Influencé par Melchior Wolmar
Heinrich Bullinger
Jean Calvin
A influencé Les réformateurs protestants de la seconde moitié du XVIe siècle
Citation Plus à me frapper on s'amuse, tant plus de marteaux on y use
 

 

Théodore de Bèze, né le 

 à Vézelay et mort le 

 à Genève, est un humaniste,théologien protestant, traducteur de la Bible, professeur, ambassadeur et poète. Il fut le porte-parole de laRéforme en France au colloque de Poissy, puis pendant les guerres de religion. Il fut le chef incontesté de la cause réformée dans toute l’Europe et le successeur de Jean Calvin à la tête de l'Académie de Genève1

 

***

THÉODORE DE BÈZE 
 
 
 
Après la mort de Calvin, il n’y eut parmi ses lieutenants et compagnons d’œuvre qu’un seul qui ait été jugé digne de lui succéder ; on l’appelait Théodore de Bèze. Cet homme célèbre naquit à Vézelay en 1519. Sa famille était riche, considérée, et appartenait à la petite noblesse. Son père remplissait dans sa ville natale les fonctions de bailli et sa mère se nommait Marie Bourdelot. À peine âgé de cinq ans, le jeune Théodore fut envoyé à Paris et confié aux soins de l’un de ses oncles, conseiller au Parlement, qui se chargea de son éducation, et le remit, quatre ans après, aux soins de l’illustre Melchior Wolmar, qui professait alors à Orléans. Sous la direction de ce maître habile, l’enfant fit des progrès rapides. Il lisait les auteurs classiques de l’antiquité avec une facilité qui excitait l’admiration de ses condisciples et remplissait de joie le cœur de l’excellent Wolmar, qui voyait dans chacun de ses élèves une plante que Dieu lui confiait ; quand il quitta Orléans pour aller à Bourges, l’une des villes les plus savantes du royaume, son élève chéri l’accompagna et acheva avec lui ses études classiques. Il avait commencé son cours de droit, lorsque Wolmar fut tout à coup rappelé, en 1535, en Allemagne. L’attachement de Bèze pour lui était si fort qu’il voulut l’accompagner. Son père s’y opposa et lui ordonna d’aller continuer son droit à Orléans. Il obéit, mais en pleurant, et il n’oublia jamais ce bon Wolmar, qu’il appelait « le fidèle précepteur et gouverneur de sa jeunesse. » 
 
    Le jeune étudiant avait un esprit vif, pénétrant, une imagination ardente, un cœur aimant. Il était, comme Clément Marot, dévoré du démon de la poésie ; aussi il s’endormait aux leçons de ses professeurs dont l’enseignement était lourd, pédantesque, fatigant ; et pendant que son père le croyait occupé à étudier le Digeste et les Pandectes de Justinien, il traduisait Ovide, Catulle, Anacréon, et faisait des vers. Un autre à sa place aurait échoué à ses examens ; mais sa facilité à tout comprendre, à tout saisir, était si grande qu’il se présenta hardiment devant ses examinateurs, et prit, en 1539, le grade de licencié en droit. L’oncle qui l’avait pris sous sa protection était mort en 1532 ; mais un autre oncle, l’abbé de Froidmont, frère du défunt, l’avait pris sous la sienne, et lui avait fait obtenir le prieuré de Longjumeau, quoiqu’il ne soit pas entré dans les ordres. 
 
      Quand Bèze eut pris ses grades, il retourna à Paris, où il fit bonne et belle figure. Voici le portrait que fait de lui le Père Maimbourg, grand ennemi des protestants : « Il était bien fait, de belle taille, ayant le visage agréable ; l’air fin et délicat et toutes les manières d’un homme du monde, qui le faisaient estimer des grands et surtout des dames, auxquelles il prenait grand soin de ne pas déplaire. Pour l’esprit, on ne peut nier qu’il ne l’ait très beau, vif, aisé, subtil, enjoué et poli, ayant pris peine de le cultiver par l’étude des belles-lettres, et particulièrement de la poésie, où il excellait en français et en latin, sachant avec cela un peu de philosophie et de droit qu’il avait appris aux écoles d’Orléans. » À ces avantages personnels, qui faisaient de lui l’un des gentilshommes les plus accomplis de son temps, Bèze joignait la fortune. Les revenus de son prieuré de Longjumeau lui permettaient de vivre en grand seigneur, au milieu d’une société polie, mais corrompue ; et lui, qui n’avait pas reçu dans son cœur les germes des vérités chrétiennes, s’abandonna aux plaisirs avec toute la fougue de son âge. Plus tard, ses ennemis et le Père Maimbourg le lui reprochèrent avec une ardeur qui tenait de la rage. Entre autres choses, ils l’accusèrent d’avoir ravi à un tailleur son épouse et de l’avoir conduite à Genève ; c’est l’une de ces calomnies si familières aux jésuites quand ils les croient nécessaires au triomphe de leur cause. Ce qui demeure vrai, c’est que Bèze, qui menait joyeuse vie à Paris, prit en grande affection une jeune fille d’une condition inférieure à la sienne, « mais d’une sagesse, disent les frères Haag, à l’abri de toutes les séductions. » Le jeune prodigue, qui n’osait, à cause de son oncle, dont le consentement lui aurait été refusé, l’épouser officiellement, contracta avec elle un mariage de conscience, promit de ne pas devenir prêtre et de ratifier leur union dès que les circonstances le lui permettraient. Nous n’approuvons nullement ce genre d’union ; mais de là à l’enlèvement de la femme d’un tailleur il y a loin. 
 
      Quand Bèze fit ses promesses à la jeune fille, il était sincère ; mais, bientôt après, emporté dans le tourbillon des plaisirs, son affection pour elle diminua ; sa jeune épouse appartenait à une famille obscure, et, en s’unissant légalement à elle, il perdait son prieuré de Longjumeau, c’est-à-dire sa fortune, qui lui permettait de faire belle figure à Paris. Et lui, qui, un mousquet à la main, aurait monté bravement à l’assaut d’une ville en vrai gentilhomme français, n’avait pas le courage de regarder en face la pauvreté ; s’il le faisait, elle lui faisait peur ; il aurait probablement abandonné Claudine, si Dieu n’avait eu pitié de lui ; il lui envoya, en 1547, une maladie qui le mit aux portes du tombeau. 
 
    Bèze, qui n’était pas incrédule, mais qui n’avait pas donné son cœur à Dieu, fut saisi d’une frayeur extraordinaire à la pensée que la mort allait le jeter devant le tribunal de Dieu ; ses péchés rangés en bataille contre lui l’accusaient, et que pouvait-il trouver en lui pour se rassurer ? Sa vie n’avait-elle pas été celle de l’enfant prodigue ? N’avait-il pas dilapidé les talents que le Maître lui avait confiés ? Les appels qu’il lui avait faits n’avaient-ils pas été perdus pour lui, et quand Jésus avait frappé à la porte de son cœur, ne lui avait-il pas dit : « Je ne veux pas t’ouvrir, ou bien, je t’ouvrirai plus tard, car le maître que je veux servir n’est pas toi, mais le monde » ? Sa détresse était grande ; mais au moment où il croyait qu’il était perdu à jamais, il se rappela les enseignements du pieux Wolmar, et s’écria : « Mon Dieu, si tu me rends à la santé, je te promets de me consacrer à toi et de vivre selon les préceptes de ton saint Évangile ! » Sa prière était du nombre de celles que Dieu aime tant sur les lèvres des pécheurs ; aussi il l’entendit et le mourant fut rendu à la santé. À peine relevé de maladie, notre jeune gentilhomme, qui ne pouvait se déclarer protestant sans s’exposer à la mort, renonça à ses bénéfices. Il partit avec son épouse, et arriva le 15 octobre 1548, pauvre à Genève, où il était appelé à seconder Calvin dans son œuvre, et à devenir, après lui, le premier homme du protestantisme français. 
 
      À peine arrivé, le fugitif fit régulariser son mariage et s’occupa des moyens de subvenir à son entretien et à celui de sa femme ; il forma le projet de monter une imprimerie avec son ami Crespin, le pieux auteur de cette belle Histoire des Martyrs, qui se trouvera dans chaque maison protestante, le jour où les descendants des premiers huguenots auront la foi et le zèle de leurs courageux ancêtres. 
 
      Avant de mettre son projet à exécution, Bèze voulut revoir son maître, Melchior Wolmar, pour lequel il conservait une affection filiale, dont il lui avait déjà donné une preuve en lui dédiant la première édition de ses poésies. Le maître et l’élève se revirent à Tubingue ; leur entrevue fut touchante, et Wolmar ne sut assez bénir le Seigneur d’avoir amené dans son bercail son cher Théodore. À son retour de Tubingue, on offrit à Bèze la chaire de grec dans la nouvelle académie de Lausanne ; il l’accepta avec empressement, et son ami Crespin dut seul monter son imprimerie, qu’il rendit célèbre par la beauté et l’excellence des livres sortis de ces belles presses, qui contribuèrent d’une manière si puissante à la propagation de la Réforme. 
 
      À peine installé dans sa chaire de professeur, Bèze s’y révéla comme un maître et attira autour de lui des élèves, dont il conquit l’estime et le respect par sa piété, et l’admiration par l’éclat de son talent. Il sut racheter par sa prodigieuse activité le temps qu’il avait dilapidé dans les plaisirs du monde, et accrut par de nouvelles études la somme déjà si grande de ses connaissances ; en arrivant à Lausanne, il n’était qu’un littérateur, en la quittant, il était un théologien. Son commerce était si agréable, sa conversation si instructive, qu’il fut recherché et aimé par tous les hommes célèbres que la persécution avait amenés dans cette ville délicieuse, et qui laisse chez ceux qui l’ont visitée un souvenir qui ne s’efface jamais. 
 
      Le propre des hommes supérieurs qui ne recherchent ni la popularité ni les grandeurs, c’est de s’imposer ; ils arrivent naturellement à leur place comme l’eau par son propre poids à son niveau. Ce fut le cas de Bèze ; chaque fois qu’une affaire grave concernant les intérêts de la religion surgissait, les regards se tournaient vers lui et on faisait appel à son zèle et à son intelligence. Il se mettait immédiatement à l’œuvre, et l’homme qui ne semblait s’occuper que de questions littéraires et théologiques, se trouva, sans s’en douter, l’un des plus habiles diplomates de son temps ; mais il ne professa jamais cette maxime cynique « que la parole a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée » : « il était adroit, mais droit. » 
 
      Les services signalés qu’il rendit aux églises réformées de France, dans plusieurs grandes occasions, attirèrent les regards sur sa personne, et sans qu’il s’en doute, il devint un personnage considérable. Après quelques années de séjour à Lausanne, il se retira à Genève, où il obtint le droit de bourgeoisie, et remplit, à la satisfaction de tous, les doubles fonctions de prédicateur et de professeur ; ses manières distinguées, son affabilité, sa conversation vive, animée, spirituelle, sa piété réelle et sans raideur, lui gagnèrent tous les cœurs. Aussi les gens du monde, qui redoutaient l’austérité de Calvin, disaient qu’ils aimeraient mieux être en enfer avec Théodore de Bèze que dans le ciel avec le réformateur. 
 
      Un événement saillant dans l’histoire de la réformation française mit en évidence Bèze et témoigna de la haute opinion que l’on avait de ses talents et de son éloquence. 
 
    Il s’agissait de représenter le protestantisme dans un célèbre colloque, qui devait se réunir dans la petite ville de Poissy, sous la présidence du jeune Charles IX, et en présence de tous les grands dignitaires de la cour. Les catholiques devaient y être représentés par le cardinal de Lorraine, qui appartenait à la puissante maison des Guises, et occupait par ses talents incontestables la première place parmi les prélats français. 
 
      Il fallait que le protestantisme ait fait de grands progrès en France pour que la cour consente à ce que les deux partis se trouvent en présence ; mais nous nous hâtons d’ajouter que dans ce moment le vent soufflait au protestantisme, et que la reine-mère, Catherine de Médicis, dont nous raconterons l’histoire, penchait vers les idées nouvelles, non par conviction car elle ne croyait à rien, mais parce qu’elles semblaient seconder son ambition insatiable. Dans la grande et belle histoire de de Thou nous trouvons une lettre de Catherine, dans laquelle cette reine propose au pape des réformes touchant la messe, le purgatoire, la confession auriculaire, le culte des images, etc. Dans ce moment, elle ignorait ou voulait ignorer que le pape aurait signé la ruine de son Église, en annulant ou modifiant un seul de ces articles de foi que le concile de Trente ordonne de croire sous peine d’être maudit. La lettre de la reine-mère irrita le pape, qui essaya, mais vainement, par son légat, d’empêcher la tenue du colloque ; il savait ce que lui avait coûté la présence de Luther à la diète de Worms. Quand il fut certain que la conférence aurait lieu, il chercha les moyens de tout brouiller. Il réussit. 
 
    Au jour indiqué (9 septembre 1560), une auguste et nombreuse assemblée était réunie à Poissy dans le réfectoire des religieuses de cette petite ville. Autour du roi, de son épouse, de la reine-mère, des princes et des princesses, se pressaient les plus grands dignitaires de l’État. Cinquante-deux prélats, revêtus des plus beaux insignes de leurs dignités, occupaient des sièges particuliers. Au premier rang se trouvait le cardinal de Lorraine, chargé de défendre les intérêts du catholicisme et d’attaquer la Réforme. Près de lui, il avait un prélat vieux, cassé, mais plein d’énergie et de fanatisme, le cardinal de Tournon. Ce prêtre s’était rendu au colloque en murmurant et par obéissance à son jeune roi ; il ne comprenait pas qu’on veuille condescendre à conférer avec des hérétiques qui, à ses yeux, ne méritaient que les fers et la potence. Toute discussion lui paraissait superflue, puisque, d’après lui, la vérité du romanisme brillait d’un aussi vif éclat que le soleil en plein midi, quand le ciel est pur et sans nuages. Le cardinal de Lorraine, au contraire, loin de fuir la discussion, la recherchait. Il comptait réduire au silence ses adversaires et se faire de leur défaite un piédestal pour sa gloire. 
 
      Quand l’assemblée fut formée, on introduisit les pasteurs huguenots ; Bèze marchait en tête ; ils étaient habillés à la française : de petits mantelets flottaient sur leurs épaules ; leur costume noir, étriqué, leurs chapeaux à larges bords et sans grâce contrastaient, à leur désavantage, avec les costumes riches et élégants de leurs adversaires ; près d’eux, ils parurent un moment bien petits, bien mesquins ; ils s’avancèrent gravement, lentement, et se dirigèrent vers le banc qui leur avait été désigné et placé bien au-dessous de ceux des évêques. À. peine arrivé à sa place, Bèze, entouré de ses collègues promena, sans en être troublé, ses regards sur l’assemblée, et s’adressa au roi dans un discours respectueux, mais ferme ; puis, fléchissant les genoux, il improvisa cette magnifique prière qu’on lit, chaque dimanche, dans les églises réformées, et dans laquelle le pasteur fait, au nom des fidèles, la confession publique de leurs fautes et de leurs péchés. 
 
   Les assistants, dont la plupart n’avaient jamais entendu une prière faite de cœur, furent, les uns étonnés, les autres touchés ; et quand Bèze eut exposé avec autant de précision que d’éloquence la foi protestante, on aperçut sur la figure des prélats une grande anxiété ; pour la première fois ils se sentaient attaqués corps à corps, car les armes dont leur adversaire se servait si habilement étaient meurtrières, puisqu’il donnait pour base au protestantisme la Bible, l’histoire et le sens commun, et s’en servait pour attaquer Rome et justifier ceux qui s’étaient séparés de sa communion. 
 
      Les prélats, cloués sur leurs bancs, subissaient la plus horrible des tortures, quand tout à coup ils se mettent à crier : « Blasphème ! blasphème ! » Bèze, en traitant la question de la messe, avait dit « que le corps de Jésus-Christ est éloigné du pain et du vin autant que le plus haut ciel l’est de la terre. » 
 
      Lorsque le tumulte fut apaisé, l’orateur continua son discours, parla du gouvernement de l’Église, et le termina en protestant de la soumission absolue des réformés au roi dans toutes les choses qui ne concernaient pas le service de Dieu. 
 
      La journée fut bonne pour la Réforme ; elle aurait été certainement meilleure, si Bèze n’avait pas attaqué de front le dogme de la présence réelle du Christ dans les éléments de la cène, et se soit contenté de montrer par les saintes Écritures et le témoignage des Pères que, si Christ est présent dans le sacrement de l’Eucharistie, il ne l’est pas à la manière du concile de Trente. 
 
      Le lendemain, Bèze, qui avait trop de tact pour ne pas reconnaître qu’il avait fait fausse route, adressa à Catherine de Médicis une lettre dans laquelle il justifia son affirmation de la veille. Pendant ce temps-là, les prélats se concertaient pour répondre à l’orateur calviniste. Ce n’était pas facile ; le cardinal de Lorraine ne crut pas la tâche au-dessus de ses forces, et le 16 septembre, devant la même assemblée, il essaya de réfuter Bèze. Il ne le fit ni sans talent, ni sans bonheur, car il eut l’art d’esquiver les questions en attaquant au lieu de répondre. 
 
      Dans la biographie de Pierre Martyr, nous parlerons encore de ce colloque, qui eut beaucoup de retentissement et porta peu de fruits, pour la raison que des deux côtés on s’était présenté au combat avec la résolution bien arrêtée de ne rien céder ; cependant il eut ce résultat de prouver au monde que les réformés n’étaient pas des novateurs. Quant à Théodore de Bèze, il fut l’objet des distinctions de la cour, et il put prêcher à Saint-Germain devant un auditoire composé de grandes dames et des plus hauts dignitaires du royaume. 
 
      Bèze retourna à Genève quelques jours après la rupture des conférences ; mais il ne tarda pas à rentrer en France ; le moment était des plus critiques : les Guises et le prince de Condé avaient commencé cette première guerre civile qui, dans l’espace de moins d’un demi-siècle, devait être suivie de six autres, et avoir pour résultat d’affaiblir la France au dedans et la déshonorer au dehors. Bèze rejoignit l’armée huguenote, dans laquelle il fut chargé des fonctions d’aumônier et de trésorier. Il assista à la célèbre bataille de Dreux, ce qui lui attira de la part de Claude de Saintes, l’évêque le plus fanatique de cette époque, le reproche d’avoir versé le sang. « J’ai été au combat, lui répondit Bèze, du commencement à la fin ; j’y étais en manteau et non en armes, et personne ne me reprochera en vérité ni la fuite, ni le meurtre de qui que ce soit. » 
 
      L’illustre aumônier, après la défaite des huguenots, accompagna Coligny en Normandie, et retourna à Genève à la conclusion de la paix, qui eut lieu en 1563. L’année suivante, Calvin étant mort, il fut à l’unanimité désigné pour son successeur. Il n’avait sans doute ni son génie, ni sa vaste science, ni sa grande réputation ; mais il avait un ensemble de qualités qui le rendirent propre à recueillir l’héritage de ce grand homme. Nul ne lui disputa la première place, et comme son illustre prédécesseur, il la conserva jusqu’à sa mort. Les luttes terribles que ce dernier avait eues avec les Libertins lui furent épargnées, et il recueillit ce que son maître avait semé avec tant de larmes et de douleurs. Genève ne faisait que grandir en piété, en moralité, en science. La main de Dieu était visiblement sur elle, et pendant de longs jours, elle fut cette ville dont parle l’Évangile, qui est située sur une haute montagne et qui ne peut être cachée ; tous les regards étaient tournés vers elle, et quoique en une demi-heure on aurait pu faire le tour de ses remparts, elle n’en était pas moins la Rome protestante, versant autant de lumière sur la chrétienté que la Rome papale y versait de ténèbres. 
 
     Par son activité, Bèze suppléait à tout : il était prédicateur, pasteur, professeur, historien, théologien, diplomate, et, comme Calvin, l’avocat consultant de toutes les églises réformées de France et l’arbitre de leurs différends. Sa correspondance était immense ; mais Dieu était avec lui, et dans la prière il trouvait les forces nécessaires pour accomplir une tâche au-dessus des forces humaines. 
 
      Bèze était alors un homme si important que sa présence était nécessaire partout où se débattaient les grands intérêts du protestantisme. En 1571, il présida le célèbre synode de La Rochelle ; en 1572, après le massacre de la Saint-Barthélémy, il recueille les pasteurs et les laïques qui fuient le sol ingrat qui les a vus naître. En apprenant la sinistre nouvelle de l’assassinat de ses frères, il s’était écrié en versant des larmes : « Je l’avais bien prévu ! » 
 
      Il nous faudrait écrire un volume pour raconter en détail la vie de cet éminent personnage qui, tour à tour, est appelé en France, dans le pays de Montbéliard, à Berne, en Allemagne. Partout il est accueilli avec distinction, et là où d’autres auraient échoué, il réussit. Il est si droit, si persuasif, si conciliant ! sa parole douce calme les passions, dissipe les haines, et si parmi les protestants il a des contradicteurs, il ne compte pas un seul ennemi. 
 
      Les absences forcées et prolongées de Bèze, utiles à la cause protestante en général, étaient funestes à Genève. Quand il revint (1588), il trouva la république dans une position critique ; faute de fonds, deux professeurs avaient été congédiés, et l’académie était menacée d’une prochaine décadence. Bèze, alors septuagénaire, se chargea de tous les cours sans négliger aucun des devoirs de ses travaux habituels, et rendit ainsi à l’académie l’éclat qu’elle avait perdu. Au moment où le travailleur prend sa retraite, le réformateur se met à l’œuvre, ou plutôt continue son œuvre, et sait, comme son vénéré maître Calvin, dompter par son énergie ses infirmités corporelles. 
 
    Les années, plus fortes que sa volonté, l’obligèrent, en 1600, à s’arrêter ; sa mémoire, si prompte, si tenace, s’affaiblit considérablement ; mais, chose remarquable ! si les choses récentes lui échappaient, celles du passé étaient vivantes dans son souvenir, et l’homme qui ne se souvenait plus de la grande reine Elisabeth, récitait des chapitres entiers de l’Ancien et du Nouveau Testament. 
 
      Jusqu’à ses derniers moments, Bèze fut entouré de l’affection de ses collègues, des magistrats et des Genevois. Tous étaient fiers de lui : il était leur Théodore de Bèze. Heureux le peuple qui a le culte de ses grands hommes, et qui ne détourne pas d’un soleil qui se couche ses regards pour les reporter sur un soleil qui se lève ! 
 
      Dans la vie de saint François de Sales, nous raconterons quelques-uns des traits de la vieillesse de Bèze, qui s’éteignit paisiblement comme une lampe quand elle manque d’huile. « Il mourut, raconte Diodati, aussi sain d’esprit qu’il ait jamais été, faisant les plus belles prières à Dieu et admonitions à nous tous qu’il ait jamais faites, se leva du lit, et puis, s’y étant remis, passa de ce siècle en celui des bienheureux, sans aucune apparence de regret, de peur, ni de douleur. » 
 
      Dans le testament qu’il fit dix ans avant sa mort, il remercie Dieu des grâces qu’il lui a faites, des maladies dont il l’a guéri, des dangers dont il l’a délivré ; de l’honneur qu’il lui a fait en l’appelant au ministère évangélique et en lui donnant pour maître Calvin ; il remercie les magistrats et ses collègues des bontés qu’ils ont eues pour lui et exhorte ces derniers à demeurer fermement attachés à la doctrine du grand réformateur. Il recommande son âme à Dieu, Fils et Saint-Esprit, « embrassant par la foi l’obéissance parfaite de Christ et espérant le salut éternel par les seuls mérites de Jésus-Christ. » 
 
      Si, au moment où il traçait ces lignes, quelqu’un lui avait dit que lui, qui avait tant travaillé, avait mérité le ciel par ses œuvres, il lui aurait dit sans hésiter : « Arrière de moi, Satan. » Ce grand homme avait trop étudié la parole sainte et regardé à la croix de Golgotha pour vouloir un autre Sauveur que celui que Jean-Baptiste appelle l’Agneau de Dieu, et qui monta sur une croix infâme pour payer notre rançon. 
 
     Pendant toute la maladie du vieillard, les Genevois s’informèrent heure par heure de sa santé, et des prières ferventes s’élevèrent vers le ciel, les unes pour demander à Dieu de prolonger sa vie de quelques jours, les autres pour lui donner une fin paisible et tranquille ; et quand, le 13 octobre 1605, il remit son âme entre les mains du Maître qu’il avait servi avec tant de fidélité, tout Genève prit le deuil ; elle perdait dans l’illustre mort un père, un ami, un bienfaiteur. 
 
      Bèze avait demandé dans son testament que ses restes soient déposés au cimetière de Plainpalais, près de ceux de son maître et de son ami Calvin ; mais les magistrats ordonnèrent qu’ils soient ensevelis dans le cloître de Saint-Pierre, parce que les Savoisiens avaient menacé d’enlever son corps et de le porter à Rome. Était-ce une menace ou simple bruit ? Quoi qu’il en soit, c’est ce qui motiva la décision des magistrats. 
 
      Après trois siècles, Bèze, comme Calvin, occupe les esprits, et dans la lutte qui se continue entre catholiques et protestants, son nom, comme celui de Calvin, est l’objet des attaques et des insultes des adversaires de la Réforme. Ils reprochent à ses premières poésies des vers licencieux, à sa jeunesse tous les égarements de l’enfant prodigue ; ils osent même lui inventer des infamies. Mais ils ne s’aperçoivent pas que plus ils rabaissent le réformateur, plus ils l’élèvent, puisqu’à dater du jour où il abjura le romanisme, il les met, par sa conduite irréprochable, dans l’impossibilité de lui refuser leur estime. Il y a chez Bèze deux hommes : l’enfant prodigue ; il est alors papiste ; et l’enfant prodigue qui rentre dans la maison paternelle ; il est alors protestant. Comment ses adversaires n’ont-ils pas compris que chacune de leurs insultes est un hommage rendu à la Réforme ? 
 

 

 

 

 

 

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